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Il a pu paraître surprenant d apprendre

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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TRIBUNE n° 1194

2015-2025 : décennie

de la modernité pour l’appareil de défense tchèque

Étudiante en master de Sécurité internationale et Défense, à l'Université Lyon 3.

Aloÿse DORIGNAC

I

l a pu paraître surprenant d’ap- prendre la participation des Tchèques à la Task force Takuba, groupement de forces spéciales euro- péennes intégré au commandement de Barkhane, lancée le 27 mars 2020 (1). Alors même que certains voisins se sont montrés réservés voire réticents à rejoindre l’initiative, la République

tchèque prévoit de déployer entre 60 et 70 soldats dans le cadre de cette alliance européenne. Sortie des radars – supposant qu’elle y soit entrée – l’armée tchèque semble faire son « grand retour » depuis cinq ans. Mais peut-on réellement parler de retour, pour un système militaire qui n’a jamais été ni une priorité ni même une réalité ?

Après soixante ans sans pouvoir maîtriser sa politique étrangère et de sécurité, conséquence d’une double occupation germano-soviétique, on assiste à partir de 1989 à une refondation progressive de celle-ci. La transition est alors déli- cate, entre un divorce de velours aboutissant à la création des États tchèque et slo- vaque, et un besoin de protection et de (re)construction nationale urgent. Dès lors, la priorité n’est pas à la formation d’une politique de défense, reléguée au contraire au second plan ; Prague fait le choix de l’Otan, sous sa protection depuis le 12 mars 1999. Au-delà d’une carence de moyens, c’est d’abord un manque d’inté- rêt politique pour le secteur de la défense qui a retardé son développement.

L’absence d’expertise civile dans ce domaine s’est ajoutée à une faible crédibilité

(1) Opération à l’initiative de la France, officiellement lancée le 27 mars 2020 par audioconférence entre l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, la France, le Mali, le Niger, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, la République tchèque, le Royaume-Uni et la Suède. Son déploiement complet est prévu pour début 2021.

Forces spéciales au Sahel © Ministrère des Armées

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En 1999, le secteur de la défense est devenu importateur net pour la pre- mière fois depuis de nombreuses années (2) ; peut-être cela a-t-il contribué à une prise de conscience de la part des politiques tchèques, qui se penchent finalement sur le sujet au début du siècle. Une fois le pays économiquement et institutionnel- lement stable, des obstacles freinent toujours le plein développement d’une défense crédible. Dans la forme, beaucoup reste à faire pour remplacer le matériel sovié- tique obsolète, qui, d’ailleurs, commençait déjà à l’être au cours des dernières années de la guerre froide. Il ne faut pas oublier qu’il y a trente ans à peine que les Soviétiques ont quitté la Tchécoslovaquie. La transformation démocratique et institutionnelle s’est accompagnée d’un douloureux travail de mémoire, justifiant la réalité suivante : avant de prétendre moderniser le matériel, il est nécessaire de réformer le système de pensée et les institutions de la défense.

Un processus de démocratisation et des efforts de transparence ont été, dès lors, déployés. La classe politique n’étant pas totalement renouvelée, comme ce fut le cas dans la plupart des pays de l’ex-URSS et ses satellites, il a fallu en priorité éliminer l’influence exercée par les partis politiques – essentiellement le parti communiste – sur l’armée. Cette dernière est alors devenue subordonnée au prési- dent de la République, au gouvernement ainsi qu’au Parlement, dans un souci de contrôle démocratique. Par ailleurs, le document stratégique de 2016 (3) fait état de lacunes nécessitant des réformes, à savoir une organisation du personnel instable, une transition non préparée, un processus encore très bureaucratique ou encore un support logiciel inadéquat. Déjà plusieurs années auparavant, la collaboration entre personnel civil et militaire s’était améliorée au sein du ministère de la Défense, allant de pair avec un assouplissement du management, autrefois – on s’en doute – bien plus autoritaire (4). « La principale tâche (…) est de rem- placer une partie du matériel militaire (…) qui est moralement et physiquement obsolète » (5), mentionne le document cité précédemment. C’est à cela que s’emploie la République tchèque depuis 2015, année qui marque un véritable virage, d’une part stratégique, mais principalement matériel pour leur appareil de défense.

De fait, 2015 ouvre le champ à une transformation ambitieuse qui semble reposer sur deux piliers : une « désoviétisation » du matériel et un rapprochement occidental affirmé. Cette évolution rapide et importante du secteur de la défense s’inscrit dans un projet à long terme, de construction d’une défense solide à l’horizon 2025.

(2) BLAHA Jaroslav, « Trois “novices” dans l’Otan. Quelles conséquences pour l’industrie ? », Le Courrier des pays de l’Est, vol. 1032, n° 2, 2003, p. 18-28.

(3) Strategie vyzbrojování a podpory rozvoje obranného prumyslu Ceské republiky do roku 2025, II.5, p. 11 (Prague 2016).

(4) PAVLA Danisova, La politique de sécurité et de défense de la République tchèque, ENA (Promotion République 2005- 2007), 1.2.2, p. 13.

(5) Op. cit.

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La « désoviétisation » de l’appareil de défense tchèque En mai 2015, le gouvernement

tchèque approuve une liste de 11 appels d’offres représentant plusieurs centaines de millions d’euros, pour le ministère de la Défense ; il s’agit d’une vingtaine de Pandur II, d’une quarantaine de véhi- cules blindés d’infanterie, de systèmes de radars 3D, d’hélicoptères ou encore de munitions. Par ce biais, le pays renouvel- le son matériel soviéto-russe, afin d’opter pour des appareils plus récents, fonc- tionnels et surtout interopérables.

Ainsi, les Tchèques acquièrent, en 2018, des missiles de défense antiaérien- ne RBS 70 NG du suédois Saab, voués à se substituer aux 9K35 Strela-10M qui datent de l’ère soviétique. De plus, les hélicoptères russes en service Mi-24 et Mi- 35, sont remplacés par quatre Bell AH-1Z Viper et huit UH-1Y Venom améri- cains, suite à un contrat signé au Pentagone le 12 décembre 2019 (6). Côté infan- terie, les vieux BMP-2 soviétiques encore en dotation, vont à leur tour bientôt trouver des successeurs, parmi lesquels les Lynx de l’Allemand Rheinmetall sont en lice. La République tchèque a également passé commande de deux C295 auprès d’Airbus, appareils dont elle possède déjà quatre exemplaires que la société va pro- fiter pour moderniser (7). Les Français ont décidément su tirer profit de cette opportunité, puisque Nexter, à son tour, a lancé la production de pas moins de 62 véhicules blindés 6x6 Titus acquis par les Tchèques, pour un montant de

(6) BOQUET Justine, « Hélicoptères : signature du contrat entre les États-Unis et la République tchèque », Air & Cosmos, 3 janvier 2020.

(7) BOQUET Justine, « La République tchèque passe commande auprès d’Airbus », Air & Cosmos, 30 décembre 2019.

TRIBUNE

Pandur II 8x8 de la société autrichienne Steyr-Daimler-Puch Spezialfahrzeuge

© Army recognition

À gauche, Mi-24 soviétique encore en dotation en République tchèque. À droite Bell AH-1Z Viper américain, que les Tchèques ont commandé pour rempacer les hélicoptères soviétiques © US Navy

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Comme visé dans les objectifs du Concept de construction de l’armée de la République tchèque 2025(10), le pays devrait atteindre sa pleine capacité opération- nelle d’ici 2025, si tant est que les livraisons ne prennent pas de retard. Les appels d’offres et leurs réponses illustrent la volonté – et sa concrétisation – de s’affranchir d’une mentalité et d’un équipement militaire principalement issus de l’ère sovié- tique, au profit de l’industrie de défense européenne, et plus largement de ses par- tenaires de l’Otan.

Un rapprochement occidental affirmé

Depuis 2015, le budget consacré à la défense n’a cessé de croître, a déclaré le Premier ministre Andrej Babis en 2019 (11). Ce dernier ne manque pas de préci- ser que l’objectif est d’atteindre les 2 % du PIB d’ici 2024, en adéquation avec les critères fixés par l’Otan. Autre effort probant de la part de la République tchèque, suivant la même dynamique de rapprochement stratégique avec l’Ouest, est l’at- tention portée à l’interopérabilité de son matériel renouvelé. En effet, qu’il s’agisse des récentes acquisitions ou des appareils déjà en dotation, Prague met un point d’honneur à ce que le standard Otan soit appliqué. C’est le cas, entre autres, des radars de l’Israel Aerospace Industries (IAI), interopérables avec les C2 de l’Otan, mais c’est également l’effet recherché par la mise en conformité de certains appa- reils, notamment le Gripen C/D porté au standard MS20.

Par ailleurs, la République tchèque s’investit de plus en plus, ces dernières années, dans des entraînements internationaux ou des opérations de maintien de la paix. Ayant participé à une trentaine d’entre elles avec l’ONU, l’Otan, l’UE ou l’OSCE, elle devrait prendre prochainement le commandement de la mission européenne EUTM Mali, preuve de l’engagement de Prague dans les opérations extérieures (12). L’armée tchèque est également membre de la coalition anti- djihadiste dirigée par les États-Unis en Irak, retirée au début de la crise de Covid-19.

Enfin, comme évoqué précédemment, une soixantaine de forces spéciales tchèques devraient être envoyées dans le cadre de la Task Force Takuba, en soutien à l’opération Barkhane. Lors de la réunion annuelle du commandement tchèque le 20 novembre 2019, le général Ales Opata, chef de l’état-major de l’armée, a d’ailleurs rappelé et confirmé que l’« une des priorités de l’armée tchèque reste les missions à l’étranger ».

(8) GAIN Nathan, « Nexter lance la production des Titus tchèques », forcesopérations.com, 16 décembre 2019.

(9) « Czech Republic orders $40M RBS 70 NG from Saab », Defense World, 19 décembre 2018.

(10) Koncepce vystavby Armády Ceské republiky 2025, Prague 2016.

(11) MULLER Robert, « Czech PM says defense spending rising to reach NATO target », Reuters, 12 mars 2019.

(12) GROS-VERHEYDE Nicolas, « Les Tchèques vont prendre le commandement de la mission EUTM Mali », Bruxelles2.eu, 21 novembre 2019.

(5)

Malgré les récentes acquisitions de matériel américain, européen ou même israélien, il paraît clair que la République tchèque met un point d’honneur au développement de l’indus- trie locale. Certains de ses contrats avaient en effet pour exigence la prise en charge locale d’une part de la produc- tion, comme ce fut le cas pour les Titus montés sur les fameux châssis Tatra. Il s’agit alors de veiller au développement de l’industrie, de l’innovation et du savoir-faire national, afin de moins dépendre, à l’avenir, des puissances étrangères. Pour le moment, l’avionneur tchèque Aero Vodochody s’avère pro- metteur avec l’ouverture de l’enveloppe de vol du L-39NG. Une série d’essais en

vol concluants leur a permis d’espérer certifier l’avion – qui possède un moteur parmi les plus puissant (FJ44-4M) – au troisième trimestre 2020.

La position tchèque aujourd’hui ne nous permet pas d’affirmer de façon aussi manichéenne qu’il y a quelques années, que l’ennemi se trouve à l’est et l’ami à l’ouest. Il ne faut pas perdre de vue que l’adhésion à l’Otan s’est faite par défaut dans un contexte où elle était la seule solution, et que la République tchèque figure parmi les eurosceptiques de l’Union (13) ; cependant, ces deux institutions demeu- rent une garantie de sécurité et de défense dont les Tchèques ne semblent pas pou- voir, ni vouloir, s’émanciper pour le moment. Au contraire, les récents mouve- ments et acquisitions traduisent un soutien et une appartenance affirmée aux alliances occidentales, qui ne laissent pas place au doute concernant les bonnes intentions de cet allié. La page soviétique semble petit à petit se tourner dans tous les secteurs, matériellement comme moralement, et ce n’est pas pour nous déplaire.

La France a tout intérêt à maintenir de bonnes relations avec ce partenaire qui, au-delà d’être un bon client, sera peut-être, demain, amené à combattre à ses côtés. w

(13) « What do Central European think of the EU? », Kafkadesk, 20 juin 2018.

TRIBUNE

Véhicule blindé Nexter Titus 6x6, monté sur chassis Tatra © Gicat

L-39 NG tchèque © Aero Vodochody

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