• Aucun résultat trouvé

Les étrangers dans l’arène socio-foncière à BONOUApp. 55-30.

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Les étrangers dans l’arène socio-foncière à BONOUApp. 55-30."

Copied!
26
0
0

Texte intégral

(1)

Rev. ivoir. anthropol. sociol. KASA BYA KASA, n°10 - 2006

©EDUCI 2006

LES ETRANGERS DANS L’ARENE SOCIO-FONCIERE A BONOUA

KOUAME N’Guessan Enseignant-chercheur Institut d’Ethno-Sociologie Université de Cocody Abidjan

I. BONOUA, TERRE D’IMMIGRATION

La mise en place du peuplement étranger dans la région, constitué en très grande partie par les Burkinabé, s’est effectuée, individuellement et par vagues successives, depuis les années 1950.

La forte présence des étrangers dans l’espace abouré est matérialisée dans trois localités : Impérié, Tchintchébé et Samo. Ces trois localités présentent des caractéristiques particulières.

Impérié ou Delanoy fait partie de la commune de Bonoua. Espace tampon entre les villages de Yaou et de Bonoua, le site sur lequel il est implanté faisait partie du territoire de Yaou1qui l’avait cédé aux habitants du village de Vitré, en provenance de Kodjoboué, qui, après un séjour d’un an, l’abandonneront pour aller s’installer à Grand-Bassam. A leur départ, le site va accueillir un père catholique. Impérié serait une déformation et une contraction de la phrase «pèriè nkomon» (je vais chez le père). Plus tard, Delanoy, un ressortissant européen vint s’y installer pour créer une plantation de café et de cacao.

1- Yaou serait la première localité à pratiquer la culture de l’ananas. Les exploitants louaient les terrains à Bonoua.

(2)

Le village actuel a été fondé, dans les années 1960, par les ouvriers de la SIACA et des employés, d’ethnie yacouba, de l’exploitant forestier français Laporte. Les Yacouba ont été, plus tard, rejoints par d’autres Ivoiriens originaires de l’Ouest de la Côte d’Ivoire (Wobè, Bété) et une importante communauté étrangère ouest-africaine dominée numériquement par les Burkinabé. Gbè Jeannot (un Yacouba) serait le premier habitant d’Impérié. La plupart des ressortissants burkinabé viennent de Koupéla.

La population totale du village tournait, en 2000, autour de 300 habitants.

Elle est en majorité composée de Burkinabé. La communauté ivoirienne, d’origines diverses (Guéré, Yacouba, Agni, Baoulé et N’Zima), se réduisait à une quinzaine de membres. Le premier chef du village était Gondo Etienne, de nationalité ivoirienne et d’ethnie yacouba. Le deuxième, en poste depuis 1973, de nationalité burkinabé et originaire du département de Koudougou (sous- préfecture de Yako), est arrivé en Côte d’Ivoire en 1956. Malgré l’existence d’un chef central ayant autorité sur tout le village, chaque groupe ou sous-groupe ethnique a le sien propre. Tous les habitants du village comprennent et parlent le moré, qui est la langue de la communauté burkinabé qui se confond aux Mossi. Cette langue est devenue une langue de communication et un trait d’union entre les habitants du village, surtout pour les enfants.

Impérié dispose d’une église catholique, d’un noviciat, d’une mosquée et d’une école primaire de 6 classes avec un jardin d’enfants. Le domaine scolaire couvre une superfi cie d’un hectare. En 2000-2001, il y avait 193 élèves au primaire et 55 au préscolaire, avec un effectif de 8 enseignants dont 6 instituteurs titulaires et deux bénévoles. L’effectif des élèves de l’école est à plus de 90% burkinabé. Le village a été loti en 1996. La répartition des lots2, d’un coût de 100.000 F, a été effectuée en 19983. Le lotissement offrait à tous les habitants du village, quelle que soit leur nationalité, la possibilité de disposer d’un terrain pour bâtir leur maison et accéder ainsi à la propriété foncière. Mais certains Burkinabé ont préféré revendre leurs lots, entre 400.000 F et 500.000 F, et partir ailleurs.

Tchintchébé, comme Impérié, fait partie de la commune de Bonoua. Il a été créé en 1962. Le village est essentiellement habité par des Burkinabé, même si l’on note la présence de Maliens et de Togolais. L’origine des membres de la

2- Les lots sont de 300 m² (15 m x 20 m).

3- Gbé Jeannot qui n’a pu avoir un lot, faute de moyens fi nanciers pour s’acquitter des frais de bor- nage demandés à chaque acquéreur, s’est retiré à Kodjoboué où il mène une vie de solitaire.

(3)

communauté burkinabé est plus diversifi ée : ils viennent de Koupéla (région de Ouagadougou) mais aussi de Yako, Kombiri, Boussé et Manga. Quatre familles abouré résidaient, en 2001, dans le village. Aucun allochtone n’y vit. Le chef de la communauté burkinabé est le chef de toute la communauté étrangère.

En 1998, la population du village était estimée à 1.335 habitants. La langue moré, qui est la langue la plus parlée, sert de langue de communication entre les autochtones, les allochtones et la population étrangère.

Le nom Tchintchébé donne une idée de l’environnement naturel de ce village au moment de sa création : un couvert végétal de forêt. L’allusion à cette végétation sylvicole transparaît dans les deux versions qui sont avancées pour expliquer le nom de cette localité. Pour les autochtones, il serait d’origine abouré et désignerait une liane («tchantchébé») utilisée comme chicotte pour battre les enfants. Dans la seconde version, Tchintchébé serait une déformation de l’expression moré «tchantchébé». Composé des mots «tchan» (couper) et

«tchébé» (rentrer), «tchantchébé» signifi erait «couper et rentrer dans la forêt», actes pionniers posés par les premiers habitants de ce village4.

Depuis 1995, le village dispose d’une école primaire dont la construction a été possible grâce aux fonds propres de la population et à l’assistance de la mission catholique. En 2001, l’école avait été pratiquement fermée car tous les élèves, de nationalité burkinabé et au nombre de 148, sont retournés dans leur pays d’origine à la suite des événements liés aux confl its entre les Abouré et les étrangers. Deux églises (une catholique et une protestante) et deux mosquées servent de lieux de culte aux fi dèles des deux principales religions que sont le christianisme et l’islam.

L’évolution démographique et l’installation progressive de la communauté étrangère se reflètent à travers deux sous-ensembles socio-spatiaux : Tchintchébé I et Tchintchébé II. Les Mossi originaires de Koupéla occupent le quartier Cocoterrain de Tchintchébé I alors que ceux en provenance de Boussé habitent le quartier Vas-y-voir de Tchintchébé II.

Samo, situé à 6 km de la ville de Bonoua, est un gros village burkinabé où vivent également de nombreux Maliens. Les étrangers qui ont permis son essor et qui forment aujourd’hui l’essentiel de sa population étaient dans le village Abrobakro. Abrobakro s’est retrouvé éloigné de la route lorsqu’il y a eu un nouveau tracé lors de la construction de la voie Bonoua-Aboisso ou Adiaké.

4- Selon une troisième version, Tchintchébé est la déformation de Tchanchévè, nom de l’une des sept familles originelles abouré qui aurait habité sur le site de ce village avant de migrer à Bonoua.

(4)

Les étrangers ont préféré abandonner cette localité pour s’installer à Samo qui est situé au bord de la route. Le village est loti et dispose d’une école primaire construite par la population étrangère. Le chef de la communauté burkinabé était à la fois le chef de sa propre communauté, le chef de la communauté de tous les étrangers et le chef du village. Depuis 2001, le chef du village est un Abouré.

A Impérié, Tchintchébé et Samo, la première génération de migrants burkinabé est arrivée dans les années 1950, la deuxième autour de 1960, année de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, et la troisième dans les années 1970. La dernière vague se situe dans les années 1990. Des membres de cette communauté sont toutefois arrivés dans la région de Bonoua dans les années 1930. Dans toutes les localités, les Maliens représentent, démographiquement, la deuxième communauté étrangère après celles des Burkinabé.

Les premiers migrants étrangers étaient des manœuvres dans les plantations de café et de cacao tenues par des autochtones ou des Européens. Dans les plantations de café ou de cacao des autochtones abouré, ils étaient soumis à trois régimes : «bougnon»5, «aboussan»6 et «tréklé»7. Mais l’économie vieillissante de ces cultures va être supplantée par celle de l’ananas qui sera introduite par la SALCI, une société française, en 1947 à Ono. L’Etat ivoirien concédera à la SALCI, pour la réalisation de ses plantations, 1.000 ha de terre ; cette superfi cie sera étendue par la suite à 1.500 ha.

Les activités de la SALCI, plantations et usine de transformation de l’ananas, vont drainer une importante main-d’œuvre. Il va y avoir un transfert de la main-d’œuvre agricole burkinabé des plantations de café et de cacao vers les plantations agro-industrielles d’ananas. C’est donc avec raison que certains étrangers déclarent qu’ils n’étaient pas venus pour produire de l’ananas mais que c’est l’ananas qui les a trouvés sur place.

La vocation de Bonoua pour la culture de l’ananas sera renforcée par la naissance de la SOCABO (Société de Culture de l’Ananas de Bonoua) et la SIACA (Société Ivoiro-Allemande de la Culture de l’Ananas). Cette dernière société était chargée de la transformation de l’ananas produit par la SOCABO.

5- «bougnon» : terme baoulé servant à désigner la main-d’œuvre saisonnière dont la rémunération équivaut à la moitié de la vente de la récolte.

6- «aboussan» : terme baoulé servant à désigner la main-d’œuvre saisonnière dont la rémunération équivaut au tiers de la vente de la récolte.

7- «tréklé» : terme malinké servant à désigner la main-d’œuvre journalière.

(5)

Les différentes sociétés initiatrices de la culture de l’ananas vont connaître la faillite dans les années 1980. Elles ont toutefois donné une vocation économique à la région de Bonoua qui va se pérenniser grâce à la reconversion des manœuvres agricoles en producteurs d’ananas et à une plus grande implication des cadres autochtones abouré dans la fi lière.

II. LES ÉTRANGERS ET LE MARCHÉ DE LA LOCATION DE TERRE Au moment de la reconversion des étrangers, passage du statut de manœuvres ou d’ouvriers agricoles à celui de producteurs dans la culture de l’ananas, la location des terres était déjà instituée et admise comme principe d’accès à la terre aux non autochtones. Les nouveaux producteurs d’ananas étrangers ont donc composé avec cette réalité.

La pratique foncière dans l’espace abouré est une pratique spécifi que qui exclut toute possibilité d’installation progressive et défi nitive d’un élément étranger. La culture de toutes les plantes pouvant entraîner une appropriation durable et défi nitive du sol a été interdite aux étrangers qui servaient de main- d’œuvre dans les plantations de café et de cacao et, plus tard, dans les plantations agro-industrielles et villageoises de palmier à huile, d’hévéa ou d’ananas.

L’accès des étrangers à la terre se fait exclusivement par la location même si par le passé certains ont pu bénéfi cier de dons faits par leurs tuteurs avec lesquels ils entretenaient de bonnes relations8.

La pratique de la location, qui est le mode d’accès le plus courant à la terre pour les étrangers, a été initiée par les entreprises de culture d’ananas. Elle était la compensation faite aux paysans pour l’immobilisation de leurs terres.

L’accès des étrangers à la terre pour la culture d’ananas se faisait de façon indirecte par l’intermédiaire des sociétés concessionnaires. Par exemple, du temps de la SODEFEL, l’Etat faisait les contrats avec les propriétaires terriens.

Le prix de la location de terre était prélevé sur les planteurs. A la disparition des différentes sociétés, on va assister à un transfert du contrat de location.

Les terres abandonnées par les sociétés de culture d’ananas vont être louées par les autochtones aux étrangers qui vont s’investir à fond dans cette activité qui va devenir leur principale source de revenus.

8- Les rapports de dépendance qui existent toujours entre ces étrangers et leurs hôtes autochtones constituent à la fois pour eux une contrainte (prestations dans les exploitations, prestations sociales) mais aussi un moyen de sécurisation foncière.

(6)

Les contrats de location dont le montant si situait entre 15.000 et 20.000 F/ha entre 1970-1980 se faisait oralement. Entre 1980 et 1985, le montant atteint 30.000 F/ha. Les coûts de location ont connu une nette évolution depuis les années 1990. Aujourd’hui, des terres sont louées à plus de 100.000F l’hectare.

On atteint parfois des sommets avec 300.000 F l’hectare.

Il y a également un changement dans les conditions de conclusion des contrats. Des ententes orales reposant sur la foi des deux parties, on est passé à des arrangements écrits devant des témoins. La forte demande sur un marché foncier face à des offres limitées entraîne souvent des remises en cause ou le non-respect des engagements pris par les propriétaires : double vente d’une même parcelle, refus de reconnaissance du contrat par un autre membre de la famille, refus de céder la parcelle après avoir perçu le montant de la location suite à des confl its intra-familiaux, vente d’une parcelle dont la propriété est contestée par quelqu’un d’autre, etc. Les arrangements écrits permettent de sécuriser les transactions foncières à l’avantage du locataire.

La parties impliquées dans la conclusion d’un contrat sont :

- le chef de la communauté autochtone, - le chef de la communauté étran- gère, - le propriétaire, - l’acquéreur ou locataire, - les témoins.

Les gros producteurs d’ananas, qui louent des terres sur une longue période, s’assurent une seconde précaution en faisant légaliser le contrat à la mairie ou à la sous-préfecture. Généralement, les informations portées sur les contrats sont les suivantes : les identités des personnes contractantes (nom et prénoms), la durée ( entre un et trois ans) et la date de signature du contrat, la superfi cie de la parcelle cédée (de 1 à plus de 20 ha), la culture à pratiquer (ananas) et le prix de location (à l’hectare) de la parcelle, l’intégralité de la somme payée au propriétaire foncier. La situation géographique de la parcelle est parfois indiquée.

Le paiement du coût de la location n’exclut pas la satisfaction des clauses sociales des transactions foncières ou clauses implicites qui consistent à offrir de la boisson ( en nature ou en espèces) au propriétaire foncier. Si ce geste est destiné à attirer la protection des ancêtres défunts, pour qui les libations sont faites, sur l’exploitant pour que ses affaires prospèrent, sa fi nalité réelle est de renforcer les liens entre le locataire et le propriétaire foncier. La sécurisation foncière passe également par une sécurisation des relations avec les propriétaires fonciers envers qui des gestes d’amitié sont constamment faits : travail gratuit, lorsqu’ils en possèdent, dans leurs plantations d’hévéa ou de palmier à huile.

(7)

Une autre pratique tend à se généraliser de plus en plus. Le propriétaire parsème la parcelle d’ananas de plants de palmier à huile ou d’hévéa.

L’exploitant étranger est obligé, lorsque la taille des plans de palmier ou d’hévéa ne permet plus de cultiver la parcelle, de l’abandonner. Une telle pratique permet au propriétaire foncier de bénéfi cier d’une main-d’œuvre et d’engrais gratuits pour créer sa plantation de palmier ou d’hévéa.

La location qui touchait exclusivement la culture de l’ananas voit son champ d’application s’étendre aux cultures vivrières, principalement à la culture du manioc.

L’accès à la terre pour les cultures vivrières était plus facile. Accueillir un étranger, c’est aussi lui offrir les moyens de subvenir à ses besoins alimentaires.

C’est une pratique qui est commune à toutes les sociétés traditionnelles africaines dont la plupart des économies reposaient principalement sur l’agriculture. Pour respecter cette tradition, à côté des terres louées pour la culture de l’ananas, des parcelles étaient ainsi gracieusement cédées par les autochtones à leurs hôtes pour les cultures de vivriers destinées à l’autoconsommation familiale.

L’évolution de la société globale africaine marquée de plus en plus par des rapports économiques marchands a des répercussions sur les différentes réalités locales. Aujourd’hui la gratuité de l’accès à la terre pour la pratique des cultures vivrières tend à disparaître pour être remplacée par la location, surtout quand elles entrent dans le cadre d’une activité lucrative. L’extension de la culture de l’ananas et le développement de celles du palmier à huile et de l’hévéa ont entraîné une raréfaction des terres disponibles pour les cultures vivrières. La conséquence d’une telle évolution a été la marchandisation des terrains disponibles pour les vivriers, surtout pour la culture du manioc.

La culture du manioc s’est imposée à Bonoua comme une culture commerciale. Elle demeure la principale culture de rapport pour les autres étrangers qui ne sont pas dans la production de l’ananas. L’accès à la terre pour cette culture revêt deux modes : la location et le contrat de partage de récolte.

La location obéit aux mêmes conditions que celles de la culture de l’ananas.

Pour le contrat de partage de culture, le propriétaire cède sa parcelle, dont la dimension varie généralement entre 0,5 et 1 ha, au locataire pour une durée d’un an renouvelable. Le locataire assure l’intégralité des dépenses liées à la production : nettoyage de la parcelle, main-d’œuvre, achat de boutures, etc. A la récolte, déduction faite des charges, les bénéfi ces de la vente sont partagés en deux parts égales entre le locataire et le propriétaire. Le partage se fait en fonction du nombre de chargements de camionnette. Pour un hectare de culture, une bonne production de manioc permet d’obtenir 6 chargements dont le coût

(8)

unitaire d’achat bord champ est de 200.000 F. Après le partage, le propriétaire peut reprendre sa parcelle ou renouveler le contrat avec le même locataire

Lorsque le propriétaire consent encore à donner gratuitement des terres pour les cultures vivrières, il le fait à des conditions précises. La parcelle est cédée pour cultiver exclusivement du maïs. Le champ de maïs est ensuite planté de manioc par le propriétaire ou son épouse. Après la récolte du maïs, au cycle est plus court (3 mois), dont le produit revient intégralement à l’étranger, le propriétaire terrien reprend la parcelle qui est devenue un champ de manioc.

Dans ce système, traduit en langue moré par l’expression «nakô nbouda kamana» qui signifi e «abattre la forêt et semer le maïs», l’étranger accède à la terre en contrepartie de sa force de travail qui permet au propriétaire d’obtenir une parcelle de manioc déjà mise en valeur.

Pour avoir une superfi cie plus importante, les locataires sollicitent des parcelles auprès de plusieurs propriétaires. L’accès des étrangers à la terre est facilité lorsqu’ils entretiennent de bonnes relations avec le propriétaire ou le tuteur (pour les premières générations de migrants). En effet, quel que soit le mode d’accès à la terre, les anciens migrants qui sont liés à leurs tuteurs par des relations solides bénéfi cient de privilèges que n’ont pas tous ceux qui n’ont plus d’attaches avec un tuteur autochtone ou qui ont rompu les attaches avec celui qui les a accueillis. Les migrants de la dernière génération s’appuient sur les réseaux relationnels des anciens pour avoir accès à la terre.

Les premiers migrants apparaissent comme des intermédiaires qui tirent un grand profi t de la situation des nouveaux venus sur qui ils exercent des rapports de tutelle à travers des contrats de métayage.

L’un des gros avantages des producteurs d’ananas burkinabé sur les producteurs autochtones est de pouvoir bénéfi cier d’une main-d’œuvre qu’ils vont chercher dans leur pays d’origine. Cette main-d’œuvre est soumise à un contrat de métayage qui peut par la suite ouvrir la voie à l’acquisition d’une parcelle par le manœuvre grâce au réseau de relations de celui qui l’emploie.

Le contrat de métayage qui est conclu entre les chefs d’exploitations, en majorité burkinabé, et des manœuvres qu’ils vont chercher dans leur pays d’origine, se présente sous deux formes :

- Dans la première forme, au terme d’un contrat dont la durée peut s’étendre sur trois ou quatre ans, le manœuvre (logé, nourri, soigné par le chef de l’exploitation) retourne dans son pays d’origine avec une somme variant entre 350.000 F et 500.000 F. A son retour, il lui est confi é une exploitation d’un hectare. Le chef d’exploitation assure toutes les charges relatives à la plantation

(9)

et le manœuvre s’occupe des travaux pour la production. Après la vente de la production et la déduction des frais engagés, les bénéfi ces sont partagés en deux parts égales. Le chef d’exploitation garde les rejets d’ananas qui serviront pour les prochaines cultures.

- La deuxième forme consiste pour le manœuvre contractuel «à regarder le champ» du chef d’exploitation. Elle s’établit sur la base d’une rémunération fi xe, arrêtée au moment de la conclusion du contrat, que le chef d’exploitation est tenu de respecter. Cette rémunération oscille entre 200.000 F et 320.000 francs. La plantation est laissée à l’entière responsabilité du manœuvre qui assure l’ensemble des travaux agricoles depuis le piquetage des rejets jusqu’à la mise en carton des fruits récoltés.

Exploitants sans terre, les producteurs d’ananas étrangers arrivent à compenser ce qui se présente pour eux comme un handicap par une plus grande expérience et la capacité de lever plus facilement la main-d’œuvre, également d’origine étrangère, surtout burkinabé, pour leurs exploitations.

Ces atouts font d’eux les principaux animateurs de la fi lière de la culture de l’ananas. Ils représentent 60% de l’ensemble des producteurs.

Le système de relations avec les autochtones que les premiers migrants ont mis en place repose sur le système du tutorat, avec ses obligations morales à l’égard du tuteur : participation volontaire aux événements importants marquant la vie de la famille du propriétaire, particulièrement les funérailles, divers cadeaux (poulets, vivres, somme d’argent symbolique), a permis sans trop de diffi culté l’accès à la terre. Les relations entre les Abouré et leurs hôtes étrangers sont restées dans la limite de la tolérance, de la politesse et de la reconnaissance. Il s’agit de deux communautés qui, dans le même espace, mènent leur existence de façon parallèle, sans atomes crochus. Leur principal point de convergence demeure la terre, moyen de production et source de revenus. L’absence d’unions matrimoniales entre les autochtones et les étrangers vivant sur le même sol, malgré plusieurs décennies de coexistence sans tensions véritables, est un indicateur, sur le plan humain, de l’étanchéité de la frontière qui existe entre les deux sociétés. Les uns et les autres ont instrumentalisé leurs rapports à travers le marché foncier. Le franchissement du seuil des rapports économiques par la nouvelle génération des migrants est venu dérégler le jeu foncier dont les bases ont été établies depuis de longues années.

(10)

III. LES ENJEUX SOCIO-ÉCONOMIQUES ET L’ACCÈS À LA TERRE La région de Bonoua a été projetée au devant de la scène nationale, au début de l’année 2001, à travers des articles parus dans la presse écrite. Il y était fait cas de la «Constitution» de la «République autonome de Bonoua»

et des relations confl ictuelles entre les autochtones abouré et les populations étrangères, particulièrement les populations burkinabé. Qualifi ées de «fl ambée de tribalisme et de xénophobie» par le quotidien «Le Patriote» dans son n°456 du 30 janvier 2001, les tensions entre les autochtones abouré et les étrangers ont été rangées d’offi ce au rang des conséquences de l’ivoirité : «Les jeunes abouré se sont découverts une nouvelle passion : la chasse à l’étranger. Et tous adorent le même dieu : l’ivoirité». Les événements auxquels il est fait allusion remontent à la nuit du 16 au 17 janvier 2001.

La «Constitution» défi nissait les droits et devoirs des étrangers dans cette «République» et les nouveaux rapports qui devaient désormais exister entre eux et leurs hôtes autochtones. Les données du terrain paraissent en réalité beaucoup plus complexes car les relations entre les étrangers et les autochtones ne sont que la partie visible d’un ensemble de problèmes relationnels qui impliquent d’autres acteurs sociaux. La base de ces problèmes, recouverts d’un vernis foncier, demeure fondamentalement économique.

Presque tous les exploitants agricoles étrangers dans les environs immédiats de la ville de Bonoua, sont des exploitants sans terre. Ils louent les parcelles qu’ils exploitent aux propriétaires abouré. Quelle que soit la durée de location d’une parcelle, il n’y a jamais eu de revendications ou de tentatives d’appropriation des terres exploitées. Il ne peut donc pas y avoir de confl its fonciers entre les locataires étrangers et les propriétaires abouré. Les seuls confl its qui relèvent du foncier sont ceux liés à l’exécution des contrats entre les propriétaires et les locataires. Dans presque tous les cas, c’est le propriétaire autochtone qui est redevable au locataire étranger. Parmi les cas de confl it les plus fréquents, il y a le non-remboursement d’une parcelle dont les frais ont été payés mais que le propriétaire refuse par la suite de mettre à la disposition du locataire ou les empiètements de parcelles dont les solutions sont toujours internes aux familles dont les membres ont cédé les différentes parcelles.

Les confl its latents ou déclarés entre les Abouré et les étrangers sont une conséquence de l’évolution des rapports socio-économiques entre les deux communautés. Alors que les autochtones s’installent dans la rente foncière, les étrangers, principalement les Burkinabé dont l’expérience dans les plantations agro-industrielles va être mise à profi t, commencent à faire fortune dans la culture d’ananas. Cette réussite va être aussi favorisée par la disponibilité du

(11)

matériel végétal (rejets) qu’ils ont pu facilement acquérir et la présence d’une main-d’œuvre familiale ou importée de leur pays d’origine qui leur permet de minimiser les coûts de production. Elle est également sous-tendue par l’acquisition de moyens matériels importants (camions de transport, tracteurs, engrais, herbicide) et l’accès à un code d’exportation qui leur ouvre directement l’accès aux marchés internationaux.

A la faillite des sociétés de culture et de transformation de l’ananas, l’exportation devient la principale voie d’écoulement de ce produit. Seuls les exploitants autochtones, titulaire d’un code d’exportation, avaient le droit d’écouler leurs produits sur le marché extérieur. Les producteurs étrangers africains étaient contraints à la vente bord-champ ou à travers les coopératives qui avaient un code interne qui permettait à leurs membres d’avoir accès aux marchés extérieurs. La direction de ces coopératives étant aux mains des autochtones, ces derniers avaient le contrôle sur l’ensemble de la production et tiraient profi t de leur qualité d’exportateur. Les producteurs étrangers qui ont pu bénéfi cier de codes d’exportation les ont rachetés avec les planteurs autochtones.

La donne change totalement dans les années 1984-1985 avec l’avènement des producteurs-exportateurs, sans distinction de nationalité. L’ananas devient, malgré les grands risques et les investissements importants que nécessite sa culture, une source d’enrichissement rapide. La perte de l’exclusivité du code d’exportation fait perdre aux autochtones leur importance dans une fi lière dans laquelle excellent désormais les étrangers, particulièrement les Burkinabé.

La réussite des étrangers dans la culture de l’ananas va provoquer un renversement des positions sociales. En face du maître d’hier, détenteur du pouvoir politique mais au pouvoir économique parfois dérisoire, se dresse l’ancien manœuvre dont l’aisance fi nancière et l’ostentation matérielle (à travers les voitures de luxe en particulier) apparaissent comme une offense à la société autochtone d’accueil. La puissance économique que confère la culture de l’ananas à certains étrangers leur permet de briser la frontière qui les sépare de ceux qui les ont accueillis. La réussite économique et la fortune auraient particulièrement grisé les Burkinabé dont les comportements se traduisent désormais par l’arrogance et l’irrespect envers les membres de la société autochtone.

L’absence de confl its ouverts entre deux communautés ne signifi e pas que les germes de ce confl it sont totalement absents. Ils peuvent être à l’état latent et se déclencher dès que les conditions de leur manifestation sont réunies.

(12)

La communauté autochtone reprochait, depuis longtemps, aux communautés étrangères de ne pas participer aux activités sociales de leur milieu d’accueil : sur environ 1000 planteurs d’ananas, seuls deux ont construit des habitations à Bonoua. Prétextant être des étrangers, ils préfèrent rapatrier tous les revenus très importants, évalués à plusieurs millions de francs qu’ils tirent de la culture de l’ananas, dans leur pays d’origine. Un quartier « Bonoua » aurait été construit au Burkina-Faso par les producteurs d’ananas à partir de leurs activités en Côte d’Ivoire. Le mythe du producteur d’ananas burkinabé riche, transférant quotidiennement ses revenus dans son pays d’origine, est présent dans l’esprit de tous les autochtones.

La société abouré est de toutes les sociétés akan de Côte d’Ivoire, sociétés majoritairement matrilinéaires, certainement l’une des rares, pour ne pas dire la seule, qui établit de façon systématique une séparation entre le père et son fi ls. La véritable «conjointe» de l’homme (au sens sociologique) est sa sœur avec qui il entreprend ses différentes réalisations. L’unité de production est ainsi constituée de l’homme, de sa sœur et de son neveu.

L’épouse sert uniquement d’agent reproducteur et doit se référer à son frère pour entreprendre. Le peu d’attention que l’homme accorde à sa femme ferait d’elle une épouse abandonnée qui pour subvenir à ses besoins (achat de pagnes, produits de beauté pour l’entretien de son corps, etc.) n’hésiterait pas à entretenir des relations sexuelles extra-conjugales avec des personnes fortunées. La rencontre du mythe du producteur d’ananas burkinabé riche et du mythe de l’épouse abouré délaissée par son mari fait voler en éclats dans l’imaginaire populaire les tabous matrimoniaux qui ont jusqu’ici rendu la femme autochtone inaccessible à l’étranger. Ces règles non écrites fonctionnent de façon asymétrique car la société d’accueil se conforte toujours dans une position de société supérieure et se donne des droits qu’elle refuse aux autres. De nombreux cas de relations, demeurées sans suite, entre jeunes gens abouré et jeunes fi lles étrangères mais terminées par des grossesses ont été signalés.

Les enfants issus de ces unions n’ont jamais été reconnus par leurs pères dont l’existence est totalement ignorée de la famille de la jeune fi lle. Bien que ce comportement sorte des normes sociales généralement admises, provoquer une situation confl ictuelle avec les autochtones rendrait les conditions d’accès à la terre plus diffi ciles et certainement plus contraignantes pour les chefs d’exploitation étrangers. Dans le souci de préserver les bonnes relations avec leurs hôtes, les étrangers s’imposent à eux-mêmes et ainsi qu’à leurs enfants des limites à leurs penchants affectifs même si les différences culturelles et la religion, chrétienne pour les uns et musulmane pour les autres, étaient déjà des obstacles, presque naturels, diffi ciles à franchir.

(13)

Les accusations contre les membres des communautés étrangères portent sur les délits de vols, adultères (avec des femmes abouré), viols de femmes (abouré) et meurtres. Les chefs de ces communautés, malgré la gravité de ces faits, auraient toujours protégé les coupables dont les actes de délinquance sont restés impunis. Dans cette récrimination contre les étrangers, les nationalités disparaissent pour se fondre en une seule, celle des Burkinabé, à laquelle on fait assumer tous les actes répréhensibles, isolés ou collectifs. C’est elle qui en porte la responsabilité quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils se sont produits.

Ils ont été portés au grand jour en 2001, mais les problèmes relationnels entre les deux communautés ont toujours existé. Le choc des tensions provoqué par une querelle entre un porte-faix nigérien («bella») et un jeune abouré va permettre de redéfi nir les rapports entre la communauté autochtone et les communautés étrangères. Le dialogue suivant, rapporté lors d’un entretien à Impérié, permet de traduire la disposition d’esprit qui prévalait déjà en 1999 chez les autochtones. Le Burkinabé, dans un état de détresse, vient trouver son tuteur abouré : «Patron, ça va pas à la maison». Réponse du tuteur : «Non, ce n’est pas moi le patron, c’est toi le patron». Question du tuteur : «ADO9 est-il burkinabé, non ?». Réponse du Burkinabé : «Je ne le connais pas». Réplique du tuteur : «Il est burkinabé».

Deux constats découlent de ce dialogue :

1) L’inversion des positions sociales entre l’ancien manœuvre et celui dont il était l’employé ;

2) La politisation et l’extension sur le plan national d’un confl it local.

La politisation du conflit fait de Bonoua le reflet des conflits inter- communataires entre Ivoiriens et étrangers. La réaction des Abouré devient une réaction normale dans la mesure où elle s’intègre dans le contexte de la lutte contre tous les étrangers qui veulent s’emparer de la Côte d’Ivoire. Leur réaction va se situer dans la logique et le prolongement de celles des Kroumen, dans le Sud-Ouest ivoirien, qui, en décembre 1999, ont chassé les Burkinabé qui y vivaient suite à un confl it où un membre de leur communauté avait donné la mort à un jeune autochtone.

Les premières tensions à Bonoua sont survenues en 1999 lorsqu’une jeune fi lle abouré a été assassinée à Wohou, un campement rattaché au

9- Alassane Dramane Ouattara, ancien Premier ministre du président Félix Houphouët-Boigny dont la nationalité ivoirienne est constatée par une partie de la population et de la classe politique.

(14)

village de Brahimadougou, par un Burkinabé. Malgré les amendes exigées (un mouton, une bouteille de rhum, un poulet et une somme de 100.000 francs), qui ont été satisfaites par les Burkinabé et qui devaient servir à purifi er le sol souillé par ce crime, le contentieux entre la communauté autochtone et la communauté burkinabé n’a pas été totalement vidé. Le principe de l’interdiction de l’exploitation des terres aux Burkinabé avait été arrêté et devait connaître une application à partir du 2 janvier 2000. Le coup d’Etat de décembre 1999 et l’avènement du régime militaire sont venus suspendre son exécution. Les sentiments qu’auraient manifesté les étrangers lors du coup d’Etat : sentiments de liesse, traduits par des danses et la fête au mouton, sont apparus aux yeux des autochtones comme une immixtion dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire et un soutien explicite à Alassane Dramane Ouattara, au profi t de qui le coup d’Etat aurait été réalisé. On peut donc dire, par cette attitude, que les étrangers seraient eux-mêmes, en partie mais inconsciemment, à l’origine de la politisation de la question foncière.

Le discours, au début, xénophile du Général Robert Guéi a, sans doute, été perçu comme un signal fort en direction des étrangers qui pensaient être désormais à l’abri de toutes les humiliations à travers les tracasseries policières et racket qu’ils subissaient régulièrement dans leur pays d’accueil avant le coup d’Etat. La chute du régime du Président Henri Konan Bédié qui est présenté comme le promoteur du concept de l’ivoirité, l’expression la plus manifeste de la xénophobie, ouvrait la perspective d’une meilleure intégration des étrangers dans la société ivoirienne. Mais de décembre 1999 à février 2001, il y a eu une évolution de la situation politique ivoirienne. La ré-appropriation du discours de l’ivoirité par les acteurs et partis politiques qui auparavant y étaient opposés, recrée des conditions qui permettent à la société autochtone d’appliquer les mesures qui avaient déjà été arrêtées. L’incident survenu en 2001, entre un jeune pousse-pousse abouré et un Malien, gardien au marché, qui accusait le premier d’avoir volé les produits qu’il était en train de transporter, sera le catalyseur de la manifestation violente d’une colère longtemps retenue. Les exploitations d’ananas, les magasins et les habitations des étrangers feront l’objet de la fureur des jeunes.

Pour désaliéner leur société, la stratégie la plus visible et la plus dissuasive adoptée par les Abouré a été la destruction des plantations d’ananas, l’expulsion des exploitants des parcelles en culture et l’immobilisation des terres déjà labourées mais qui n’avaient pas encore été plantées. La réaction de la société locale a été d’autant violente que dans l’évolution des rapports de production, certains exploitants abouré étaient devenus dépendants des gros producteurs burkinabé dont ils louaient les tracteurs et les camions pour les labours et le transport de leur production.

(15)

Parmi les mesures prises par les autochtones pour réglementer leurs rapports avec les étrangers, mesures suscitées par les jeunes mais qui semblent avoir eu de façon implicite et même explicite l’adhésion et la caution de l’ensemble de la communauté abouré, il y a l’interdiction des relations sexuelles entre autochtones et étrangers, l’interdiction de la location de terre aux étrangers. Dans le procès-verbal de l’assemblée des jeunes du 22 janvier 2001, il est spécifi é qu’il «est défendu à tout parent d’attribuer une partie des terres à une communauté étrangère pour une quelconque activité. Une amende de 500.000 F sera exigible au propriétaire dudit terrain. Les activités du locataire étant suspendues». Il est, d’autre part, «interdit de la façon la plus stricte, le mariage mixte à Bonoua (Abouré-communauté étrangère)». Un séminaire de réfl exion initié par les cadres de Bonoua et qui s’est tenu les 18- 19-26 septembre 2000 sur « Evolution et réadaptation des us et coutumes aux réalités de la vie sociale à Bonoua » avait déjà préparé le chemin aux jeunes.

Dans le document relatif aux résultats de ce séminaire, il est mentionné au titre «De la location de terre» que :

1) La location directe de terre aux non ivoiriens est interdite ;

2) Tout terrain en attente de location devra être confi é aux chefs N’Nowé.

Ces derniers procéderont à leur mise en location à travers un bureau de gestion qui sera créé à cet effet.

Le document du séminaire a été paraphé par le roi de Bonoua, les chefs de groupes d’âge et de quartiers, les différents représentants de la communauté et les notables.

L’interdiction de location de la terre aux membres de la communauté étrangère et de mariage entre les membres de cette communauté et ceux de la communauté autochtone visent le même objectif : réduire l’importance de la population étrangère dans la production de l’ananas. Les alliances matrimoniales ont parfois servi de canal d’accès à la terre. Epouser ou avoir des relations sexuelles avec une fi lle abouré apparaît comme une stratégie d’accès au domaine foncier des parents de celle-ci. Ces deux mesures se rejoignent dans le fond car elles ont une portée économique.

Dans la contestation des avantages liés aux unions matrimoniales, des dons de portions de terre qui avaient été faits à des beaux-parents à une date relativement ancienne, pour qu’ils puissent y créer leurs plantations, sont aujourd’hui remis en cause. En fi ligrane de tous ces nouveaux rapports sociaux et fonciers transparaît le code foncier rural dont on ignore véritablement les contours mais qui devient la boussole quand il s’agit de revendiquer des droits sur des terres qui sont occupées par des étrangers, quelle que soit leur

(16)

nationalité ou leur origine ethnique.

Le souci d’un meilleur contrôle de cette population étrangère dans toutes ses activités va se traduire par un renforcement de la tutelle exercée sur elle par la population autochtone. A Samo, localité de plus de 5.000 habitants, peuplée en majorité d’étrangers, le chef du village a toujours été, jusqu’aux derniers événements, un membre de la communauté burkinabé qui est celle qui est la plus importante démographiquement. Les populations autochtones ont installé un chef abouré qui gère aujourd’hui, théoriquement en tout cas, toutes les composantes du village quelle que soit leur nationalité. Le droit de propriétaire terrien des autochtones est réaffi rmé à travers une réglementation des cérémonies funéraires des étrangers. Les funérailles ne doivent pas excéder trois jours. La conservation d’un corps à la morgue de l’hôpital ne doit pas aller au-delà d’une semaine. Si un membre de la communauté étrangère vivant à Bonoua y décède, ses funérailles peuvent se dérouler à son lieu de résidence. Dans le cas contraire, elles doivent être faites à l’endroit où il a trouvé la mort. Toute infraction à cette règle est punie d’une amende de 50.000 F. Les nouvelles relations entre les Abouré et les étrangers sont exprimées, de façon fataliste par les membres de la communauté burkinabé d’Impérié :

«Pour les Abouré, étranger est devenu autre chose».

Dans les confl its autochtones-étrangers, il y a une diversité de situations.

Il n’y a pas une position unique aussi bien chez les autochtones que chez les étrangers.

Les planteurs d’hévéa, de palmier à huile ne se sentent pas concernés par un confl it qui a pour conséquence d’entraîner une raréfaction de la main-d’œuvre agricole fournie essentiellement par la population étrangère. Ces planteurs, qui sont également des cadres abouré, semblent être toutefois dans une situation délicate. Le contexte socioculturel dans lequel ils évoluent, marqué par l’omniprésence de la «sorcellerie», les pousse à ne pas contredire, ouvertement, la position de leurs parents sur laquelle ils préfèrent s’aligner. Les défi er est un grand risque que personne n’ose courir : le nombre anormalement élevé de décès (parfois six décès par jour) serait un signe de leur capacité de nuisance.

Ils perçoivent ces actes comme des actes de pure méchanceté sur l’initiative des producteurs d’ananas. Le combat à mener dans la fi lière ananas n’est pas celui qui doit être dirigé contre les producteurs burkinabé mais contre les Européens qui ont une main-mise totale sur la fi lière, depuis la culture jusqu’à l’écoulement des produits sur les marchés extérieurs. S’attaquer aux Burkinabé, c’est s’attaquer au maillon faible de la production alors que la vraie menace est ailleurs. Les relations de tutorat ont également fortement joué pendant la destruction des cultures. Les plantations des chefs burkinabé d’Impérié et de

(17)

Samo ont été épargnées. Les étrangers migrants temporaires, non assujettis à un tuteur de leur communauté, ne sont pas non plus solidaires de leurs compatriotes producteurs d’ananas. Ils préfèrent d’ailleurs travailler, en tant que manœuvres journaliers (tréklé), sur les exploitations des autochtones où les possibilités d’emploi sont plus variées (ananas, palmier à huile, cocotier,…) et plus permanentes.

Les confl its qui existent aujourd’hui entre les autochtones et les étrangers sont des confl its qui ne relèvent pas, apparemment, du foncier. Il s’agit de confl its nés des relations de coexistence entre la communauté étrangère et la communauté autochtone même si leurs conséquences touchent l’accès à la terre pour les exploitants étrangers. La communauté étrangère est d’ailleurs réduite pour la circonstance à la communauté burkinabé qui est fortement représentée dans la production de l’ananas. Les confl its extra-fonciers apparaissent donc comme des prétextes pour retirer aux communautés étrangères qui sont dans la fi lière de l’ananas leur principal moyen de production qui est la terre. Mais ces confl its sont, avant tout, la matérialisation des contradictions internes à la société abouré.

IV. LES PROBLÈMES FONCIERS ET LES CONTRADICTIONS DE LA SOCIÉTÉ ABOURÉ

Pour comprendre la complexité des problèmes fonciers à Bonoua, il faut avoir une idée de la structuration et du fonctionnement de la société abouré.

Les Abouré forment une communauté de sept villages : Adiaho, Bonoua, Yaou, Ebra, Moossou, Vitré I et Vitré II. Adiaho, Bonoua et Yaou , situés dans la sous-préfecture de Bonoua, sont les trois villages d’origine qui ont donné naissance aux quatre autres villages (Ebra, Moossou, Vitré I et Vitré II) localisés dans la sous-préfecture de Bassam. Tous les autres villages de la Sous- Préfecture de Bonoua, quand bien même ils auraient été créés par des Abouré, sont peuplés majoritairement par les non abouré (Ivoiriens et non Ivoiriens).

Les Abouré vivent simultanément dans les villages d’origine ou dans les campements rattachés aux différents villages (d’autochtones ou d’étrangers).

Malgré la tendance du village de Bonoua à créer une autorité politique centrale qui cherche à s’imposer aux autres, dans la réalité chaque village abouré est totalement autonome. «La Cour royale» de Bonoua n’aucune autorité sur les autres villages et les décisions prises dans cette localité n’ont pas force de loi ailleurs. Il n’y a que la similitude des situations socio-économiques qui crée l’impression qu’une décision prise à Bonoua s’impose à tous les autres villages.

(18)

La société abouré est une société à classes d’âge. Comme la plupart des sociétés akan du Sud de la Côte d’Ivoire, elle repose sur le principe d’une gestion rotative du pouvoir par les différentes classes d’âge selon des règles bien précises. A Bonoua, le pouvoir change de main tous les vingt ans. Cette organisation, très démocratique, est en contradiction avec la monarchisation qui veut actuellement se construire à travers l’incarnation d’un roi. Dans la gestion de la société, le «roi», qui est en fait un chef de village, est entouré d’un conseil de notables dont les membres sont choisis parmi les «familles-chaises»10.

La société abouré de Bonoua était composée de sept clans originels : Ehivévlé et Honlonvin, Oboum, Koho, Tchantchévé, Adévessé, Agbissi, Moho.

Par démembrement des premiers, le nombre de clans est passé à 11. Aux clans originels, sont venus s’ajouter les clans Adjéké, Memmlé et Essinvlin.

L’ensemble des clans est composé de 39 familles-chaises. Chaque famille- chaise est dirigée par un notable ( mlinté ). L’individu appartient à la famille- chaise de sa mère. Le roi est toujours issu de la famille-chaise du clan Ehivévlé.

Le représentant du clan Oboum, qui est le chef de tous les notables, joue le rôle de Premier ministre du roi et le supplée en cas d’absence. Le roi et le conseil des notables exercent les pouvoirs exécutif et judiciaire. Ils sont assistés par les classes d’âge au pouvoir et la génération N’Nowé qui représente le peuple (m’man)11. Les m’man sont obligatoirement consultés quand il s’agit de discuter des questions qui engagent la vie de l’ensemble de la communauté. Ils ont l’initiative des lois.

Auprès de cette structure traditionnelle, siège, depuis 1999, «Le conseil de surveillance de la coutume» créé par les N’Nowé.

La cour royale a été organisée à l’image de l’administration offi cielle, avec des permanences assurées à tour de rôle par des bénévoles. Elle célèbre des mariages, tient des registres de décès, peut être saisie de tous les problèmes et siège en tant que tribunal. Dans le domaine foncier, elle s’est arrogée, depuis les confl its autochtones-étrangers, le droit de la gestion de toutes les terres ; de cette manière, le roi détient aussi un droit de regard sur le comportement des propriétaires autochtones dont la tendance à l’aliénation des terres familiales est perçue comme un danger pour la société locale. La Cour royale est le dernier recours, surtout pour les étrangers, dans le règlement des confl its.

10- La chaise dans la société akan est un attribut du pouvoir et de l’autorité. La chaise est le symbole par lequel les membres d’une famille se reconnaissent.

11- Les porte-parole de la génération au pouvoir sont tous de la génération N’Nowé.

(19)

Les contrats entre les propriétaires et les locataires y sont formalisés et le roi devient le garant des engagements des uns et des autres dans leurs transactions foncières.

Les différents niveaux de juridiction qui interviennent dans le règlement des confl its fonciers sont respectivement la famille, le chef de quartier, le roi, la gendarmerie et la justice (où le dossier est transmis après une enquête par la gendarmerie assistée des agents du ministère de l’agriculture). La sous-préfecture qui est aussi une juridiction de règlement des confl its fonciers est aussi sollicitée mais souvent évitée. Les cas d’empiètements ou de contestations de propriété sont réglées au sein des différentes familles dès qu’ils sont portés à la connaissance des propriétaires par les locataires. Pour tous les cas de confl it entre les étrangers et les autochtones, la voie amiable est celle qui est recherchée par les étrangers. Les décisions de la Cour royale ne sont jamais contestées par les allochtones et les étrangers. Les étrangers semblent faire de l’adage «un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès» leur principale ligne de conduite dans les confl its qui les opposent aux autochtones. Une solution à l’amiable permet, non seulement de maintenir les bonnes relations avec leurs hôtes mais aussi de ne pas hypothéquer les possibilités d’avoir accès à la terre.

L’ampleur des problèmes survenus en 2001 a entraîné une internationalisation du règlement des tensions entre les populations étrangères (les Burkinabé) et les populations autochtones. L’intervention des autorités administratives et politiques locales a été soutenue par celle du consul du Burkina-Faso et l’Union européenne qui se sont impliqués dans la recherche de solutions. Avant la levée de l’interdiction de cultiver qui avait été imposée aux producteurs d’ananas étrangers, mesure de levée consécutive aux différentes médiations, un mouvement de délocalisation des producteurs étrangers, ceux qui ont des grandes exploitations, vers la zone d’Aboisso, avait commencé. Ce mouvement permet d’aller à la conquête de nouveaux espaces où les terres sont plus fertiles car non encore surexploitées comme le sont actuellement celles de Bonoua mais aussi d’être dans un contexte foncier plus sécurisant.

La société abouré, malgré la normalisation relative de la situation des étrangers, n’offre pas suffi samment de garantie pour certains producteurs. Les

(20)

contradictions à l’intérieur des familles, dont les répercussions se font sentir sur la gestion de la terre, sont trop fortes pour s’atténuer facilement.

Toute la propriété foncière en pays abouré se dessine dès la mise en valeur d’une portion de forêt vierge. Le père crée et entretient son exploitation agricole avec ses neveux utérins et ses petits-fi ls, héritiers potentiels. La société abouré étant une société matrilinéaire qui pratique pleinement l’avunculat, le fi ls, même s’il participe à la création de l’exploitation de son père, ne peut prétendre à l’héritage d’un bien pour lequel sa contribution est parfois demandée. La compensation offerte par le père est l’attribution d’une autre portion de forêt dont la mise en valeur effective lui confère un droit de propriété sur une partie du patrimoine foncier de la famille paternelle. Ce système où l’héritage revient aux oncles paternels et neveux utérins, s’il a fonctionné plus ou moins correctement, jusqu’à une époque encore pas lointaine, est aujourd’hui remis en cause par les fi ls qui le trouvent injuste, surtout quand ils ont participé à la mise en valeur d’une terre dont le contrôle leur échappe à la mort de leur père.

Le système de dévolution des biens et leur gestion par l’héritier sont devenus la principale source de confl its à l’intérieur des familles. Les principaux acteurs qui alimentent ces confl its sont les jeunes (neveux et fi ls), les vieux (oncles paternels) et les femmes (les sœurs).

Le problème de l’héritage dans les familles, assez complexe, est géré selon la situation particulière de chaque défunt. Une pratique, qui est devenue presque une tradition, confère des droits aux enfants qui ont aidé leur père dans ses activités de production. Ils peuvent ainsi entrer en possession d’une partie des terres mises en valeur et des plantations créées. Dans le partage, la plus grande partie des biens revient à la famille paternelle. Mais cette souplesse dans l’application des règles de dévolution, qui dans leur rigueur exclut les enfants du défunt, n’est pas admise dans toutes les familles. La première source de confl it naît souvent de l’attitude qu’adopte la famille paternelle à l’égard des enfants au décès de leur père : arracher tout ou concéder une partie des biens aux enfants du défunt. La réponse à cette question est aussi fonction de la situation socio-économique des héritiers potentiels et de la nature des biens laissés. Le désir d’expropriation des enfants du défunt est proportionnel à l’importance des biens et à l’état de pauvreté des oncles et neveux.

Le patrimoine foncier devient une source de division profonde au sein des familles quand les gestionnaires des terres, propriétés collectives, arrivent à les faire cadastrer et enregistrer comme des biens propres. Les terres ainsi enregistrées sortent du droit coutumier pour être désormais régies par le droit moderne où les premiers héritiers reconnus sont les descendants directs du défunt. De tels cas, bien que rares, existent. En 2000, des enfants, dont le père

(21)

s’était approprié les terres sur lesquelles il avait fait une plantation de palmier, ont porté plainte, après avoir été déboutés par la famille et la Cour royale de Bonoua, à la justice contre leur famille paternelle.

L’acquisition par le père, à titre personnel, d’une terre en dehors du patrimoine foncier familial n’est pas non plus une garantie pour l’accession des enfants à sa succession. La famille paternelle peut revendiquer des droits sur cette propriété privée si le défunt a eu en héritage des terres ou des plantations. La logique qui sous-tend une telle revendication est que les acquisitions personnelles du père l’ont été grâce à la fructifi cation du patrimoine, surtout foncier, familial.

Les règles de partage sont ici inversées et à l’avantage des enfants : le tiers des terres revient à la famille paternelle et les deux-tiers aux enfants.

Les confl its fonciers à l’intérieur des familles sont exacerbés par les divers changements qui marquent la société ivoirienne dans son ensemble.

L’année 1990 est considérée comme l’année où les remises en cause des structures traditionnelles ont commencé à se faire sentir de manière plus forte. Le multipartisme, l’esprit démocratique occidental, les lois modernes de succession, précédés d’une scolarisation qui a entraîné une rupture dans les comportements et les relations entre les générations, ont eu pour effet de transformer les attitudes des jeunes qui «sont chauds sur les héritages de leur père et font palabre avec les vieux».

La classe de la population autochtone qui tire l’essentiel de ses revenus de la location des terres est représentée par la classe des aînés ayant la gestion des terres familiales. Cette classe est contestée pour deux raisons principales : La jouissance individuelle des revenus de la location ; la trop grande propension à la location des terres aux étrangers. Dans un contexte où les jeunes deviennent de plus en plus autonomes et ne sont plus soumis aux obligations traditionnelles envers leurs oncles, ces derniers ne sont plus sûrs de pouvoir compter sur la force de travail des enfants de leurs sœurs.

Ils préfèrent louer les terres dont ils ont la gestion aux étrangers. On peut aujourd’hui parler de l’existence d’une véritable classe de rentiers de la terre à Bonoua dont les intérêts constituent un frein à l’accès à la terre pour les jeunes générations. Les étrangers vont se trouver ainsi au centre de confl its fonciers intra-familiaux aboutissant régulièrement à la remise en cause des contrats signés avec les propriétaires de terre. Lors du confl it Abouré-étrangers de 2001, les propriétaires fonciers qui tirent leurs revenus de la location de la terre se sont opposés aux actions de destruction des plantations et à l’interdiction d’en créer de nouvelles. Pour protéger les exploitations des étrangers, ils se sont déclarés propriétaires de leurs plantations.

(22)

La forte implication des jeunes dans la gestion de la question foncière a été accentuée par l’arrivée massive d’une partie des exploitants abouré expulsés de la forêt classée de Mlanmlanso, dans la sous-préfecture d’Aboisso. A la quête de nouvelles terres, ils ont investi la forêt classée de Mlanmlanso pour y cultiver du café et de cacao. Mais, dans le cadre des actions d’expulsion des populations clandestines des forêts classées, 6.000 familles abouré ont dû abandonner les plantations qui ont été faites dans cette forêt. L’arrivée massive de ces familles et la volonté de retourner à la terre de ceux qui sont devenus inactifs, du fait de l’arrêt des activités de pêche suite à l’ensablement de l’embouchure de la Comoé à Grand-Bassam, redonnent une nouvelle dimension à l’acuité de la question foncière. Les contrats de location, de très longue durée (10 ans et parfois même 20 ans), hypothèque le patrimoine foncier familial au profi t de quelques personnes à qui des revenus mensuels ou annuels sont régulièrement versés. Les étrangers détiendraient de cette manière une très grande partie du domaine des familles. Pour réapproprier leur patrimoine, on assiste à une remise en cause du principe même de la location de terre aux étrangers qui serait devenue un frein pour les autochtones qui veulent entreprendre des activités agricoles.

A l’observation, très peu de jeunes autochtones sont intéressés par les activités agricoles, surtout par la culture de l’ananas. Ils préfèrent s’investir dans la fabrication du koutoukou, liqueur obtenue à partir de la distillation du vin de palme, qui serait à leurs yeux plus rentable et moins pénible. Toute la main-d’œuvre (manœuvres agricoles, commis des coopératives) utilisés par les exploitants abouré est d’origine étrangère. La fabrication du koutoukou permet d’avoir des gains relativement importants en très peu de temps. Un hectare de palmier (140 pieds) permet d’obtenir 15 à 20 barils de koutoukou12, pour un revenu brut d’environ 2.000.000 F. En retranchant tous les frais (environ 500.000), en moins de trois mois, le fabricant obtient un revenu net de 1.500.000 F. La fabrication du koutoukou serait à la base de la fortune de quelques grands planteurs abouré. Cette activité leur a procuré les revenus qu’ils ont investis dans la culture de l’ananas, du palmier à huile ou de l’hévéa. L’argument de reprendre leurs terres pour permettre aux jeunes d’entreprendre des activités agricoles serait tout juste un argument-prétexte utilisé par les aînés pour faire partir les étrangers de la fi lière ananas.

12- Le baril, d’une contenance de 200 litres, est livré aux vendeurs grossistes à 100.000 F sur le site de production du koutoukou.

(23)

Les remises en cause vont aller au-delà des droits d’usage de la terre pour atteindre les droits de propriété des étrangers. Si la plupart d’entre eux n’ont qu’un droit d’usage sur les terres qu’ils exploitent, quelques-uns de la première génération de migrants ont pu, par des achats aux allochtones qui étaient à Bonoua et qui retournaient chez eux ou allaient dans d’autres régions de la Côte d’Ivoire, acquérir des terres dont ils détiendraient des titres fonciers ou des certifi cats de plantation reconnaissant leurs droits sur les parcelles qu’ils exploitent.

Les jeunes les plus actifs dans les revendications des terres sont les neveux.

Il est rapporté que ces derniers souhaitent la mort de leurs oncles pour prendre la possession des biens dont ils ont la gestion. Mais face à eux se dressent les fi ls qui sont les principaux laissés pour compte d’un système de dévolution des biens qui fait des neveux les héritiers exclusifs de leurs oncles maternels.

A l’intérieur de la famille se développent des confl its cristallisés autour de trois pôles : le pôle oncle maternel-neveu utérin ; le pôle neveu-fi ls et le pôle fi ls- oncle. Les confl its neveux-fi ls prennent l’allure d’une véritable guerre de clans quand les biens (terres, plantations, immeubles) laissés par le défunt suscitent beaucoup de convoitises.

Le sens de la dévolution des biens qui suit cette logique sociale fait du neveu l’héritier exclusif de son oncle maternel. Les confl its intra-familiaux se règlent généralement dans le cadre familial ou devant l’autorité traditionnelle que représente le roi. Ils peuvent être portés devant le sous-préfet. Le choix de la juridiction de règlement des confl its est déterminé par la position des protagonistes par rapport au droit moderne et au droit traditionnel. La préférence des neveux va à la juridiction traditionnelle et la cour royale alors que les fi ls optent pour le droit moderne et les tribunaux. Les fi ls essaient de susciter, avec l’appui du droit moderne, un courant de réforme réglementaire qui intègre leur situation dans le mode d’héritage traditionnel. La société autochtone, consciente des confl its entre les neveux et les enfants, tend vers une solution où le patrimoine qui est laissé par le défunt est divisé et réparti équitablement entre les deux parties. Elle essaie de dégager des principes généraux qui doivent servir de base pour régler la dévolution des biens entre les cousins et les neveux. Par exemple, les entreprises créées par le père et la cour dans laquelle il vivait reviennent aux enfants alors que tous les autres biens sont cédés aux neveux. Ce mode de répartition, qui est le résultat d’un compromis mais qui ne repose sur aucune norme juridique, traditionnelle ou moderne, n’est pas toujours accepté et les litiges se terminent souvent au tribunal. Les confl its intra-familiaux peuvent entraîner une remise en cause des transactions foncières conclues entre les propriétaires terriens et les locataires par leurs héritiers potentiels.

(24)

La location de la terre étant devenue depuis des décennies une composante essentielle du système économique local, sa remise en cause devient parfois une stratégie pour créer les conditions de nouvelles bases de renégociation avec les étrangers ou de redistribution des revenus de la rente foncière à l’intérieur des familles. Au fi l des générations, les conditions d’accès à la terre aux étrangers sont renégociées et deviennent de plus en plus restrictives et onéreuses.

Les confl its intra-familiaux débouchent sur des confl its inter-familiaux car dans la location de leurs terres, des propriétaires peuvent s’approprier, par ignorance ou délibérément, une partie du domaine foncier des autres familles.

Les empiètements de propriété provoquent la remise en cause des droits d’usage sur les parcelles louées aux étrangers. Les principales juridictions de règlement des confl its de contestation de propriété ou d’empiètement, qui impliquent à la fois les autochtones et les étrangers, sont la sous-préfecture et la cour royale. La sous-préfecture s’appuie sur les relevés cadastraux réalisés par les services de l’agriculture avant toute décision défi nissant les droits des personnes ou des familles en confl it. Pour les étrangers, les problèmes se posent en termes du respect du terme du contrat signé avec le « faux » propriétaire ou de remboursement des sommes payées pour l’exploitation de la parcelle litigieuse.

CONCLUSION

La région de Bonoua se caractérise aujourd’hui par les nombreux confl its fonciers dans lesquels sont impliqués différents acteurs sociaux. Mais les confl its les plus marquants sont ceux qui opposent les autochtones aux étrangers, particulièrement aux Burkinabé, et les jeunes autochtones à leurs aînés gestionnaires du patrimoine foncier de la famille. Ces confl its prennent des allures parfois violentes mais quels que soient leur nature et le degré de leur gravité, la structure juridictionnelle à laquelle on préfère se référer est la sous-préfecture ou l’autorité traditionnelle. Dans ces juridictions, les compromis sont possibles et chaque parti peut avoir un minimum de ses intérêts préservé.

Les producteurs étrangers étant tous des locataires des parcelles sur lesquelles ils travaillent, il n’y a de leur part aucune revendication d’un quelconque droit de propriété sur celles-ci. Mais l’importance des terres qu’ils exploitent et la durée d’immobilisation imposée par les contrats de très longue durée, fait d’eux des acteurs à part entière des confl its fonciers et de succession au sein des familles et de la société abouré. Leur statut de locataires de parcelles de culture permet de saisir les contradictions à l’intérieur d’une société où la rente foncière est devenue une source principale de revenus.

(25)

BIBLIOGRAPHIE

Contamin, B., Memel-Fotê, H., (éds), (1997), Le modèle ivoirien en questions. Crises, ajustements, recompositions. Paris, Karthala/ORSTOM,

Bonnecase, V., (2001), Les étrangers et la terre en Côte d’Ivoire (1901-1975). Document de travail.

Chauveau, J-P, (2000), «Question foncière et construction nationale en Côte d’Ivoire : les enjeux silencieux d’un coup d’Etat» In Politique africaine. Côte d’Ivoire, la tentation ethnonationaliste, 78, 94-125.

Dozon, J-P., (1997), «L’étranger et l’allochtone en Côte d’Ivoire» in Contamin, B., Memel-Fotê, H., (éds), 1997 : Le modèle ivoirien en questions. Crises, ajustements, recompositions. Paris, Karthala/ORSTOM., pp. 779-798

Koné, M., (2001), Droits délégués d’accès à la terre et aux ressources naturelles dans le Centre-Ouest de la Côte d’Ivoire : Bodiba (Oumé) et Zahia (Gboguhé), Paris/

Londres, GRET/IIED/IRD

Koné, M., Basserie, V., Chauveau, J-P, (1999), «‘‘petits reçus’’ et ‘‘conventions’’ : les procédures locales de formalisation des droits fonciers et les attentes de ‘‘papiers’’.

Etude de cas dans le centre-ouest ivoirien» in : Lavigne Delville, P., et Mathieu, P., (éds) : Formalisation des contrats et des transactions : repérage des pratiques populaires d’usage de l’écrit dans les transactions foncières en Afrique noire. Paris/

Louvain, GRET/UCL.

RÉSUMÉ

Bonoua, localisée dans le sud-est ivoirien, est une véritable mosaïque démographique et culturelle. Aux autochtones abouré, sont venues s’ajouter, progressivement et au fi l des décennies, des populations ivoiriennes provenant des régions montagneuses de l’Ouest, des savanes du centre et des pays limitrophes, particulièrement du Burkina Faso. Si la plupart des Ivoiriens sont retournés dans leur région d’origine ou ont opté pour d’autres destinations migratoires, les étrangers, particulièrement les Burkinabé et les Maliens, vont s’y fi xer et s’investir dans la culture de l’ananas, d’abord, en tant que manœuvres, ensuite, en tant qu’exploitants agricoles.

En matière de colonisation agricole, Bonoua est un cas particulier en Côte d’Ivoire.

Depuis des décennies, la location est presque l’unique mode d’accès à la terre pour les étrangers. Les enjeux ne sont font pas autour de la terre qui ne fait pas l’objet de confl its de propriété entre les autochtones et les étrangers mais autour de l’économie de l’ananas. A travers les contradictions au sein de la société, la modifi cation des rapports économiques entre les principaux acteurs de l’arène foncière, les relations entre les étrangers et les autochtones vont être calquées sur celles qui ont cours dans les zones forestières de l’Ouest.

Mots-clés : Côte d’Ivoire, Bonoua, Confl its fonciers, Immigration, Ananas.

(26)

SUMMARY

Bonoua, localized in the of the Ivory Coast southeast, is a true demographic and cultural mosaic. To the aboriginal Abouré, are come adds to them, progressively and with the passing of the decades, the Ivory Coast populations proceeding of the mountainous regions of the west, of the savannas of the centre and the adjacent fellow-countryman, particularly of Burkina-Faso. If most of the Ivory Coast returned in their region of origin or opted to other migratory destinations, the foreigners, particularly the Burkinabé and the Malians, go settle down and invest in the cultivation of the pineapple, fi rst, as handlings, after, as agricultural operators.

Concerning agricultural colonization, Bonoua is a particular case in Ivory Coast Republic. Since of the decades, the hire is almost the only access mode to the land for the foreigners. The stakes are not doing around the land that does not do the object of confl icts of property between the autochthons and the foreigners but around the economy of the pineapple. Through the contradictions within the society, the modifi cation of the economic yields between the principal actors of the of land sand, the relations between the foreigners and the autochthons go be traced on those that have run in the forested zones of the west.

Keywords : Ivory Coast, Bonoua, Confl icts of land, Immigration, Pineapple.

Références

Documents relatifs

ةماع ةرظن اهب نيقطانلا ريغل ةيبرعلا ميلعت ميلعت ناديمب اديازتم امامتها ةيضاملا ةليلقلا تاونسلا تدهش مامتهلاا اذه زرب دقو ،اهريغب نيقطانلل اهملعتو ةيبرعلا

1.6 Le Protocole portant création d’un Fonds complémentaire prévoit la création d’un mécanisme de sanctions en vertu duquel il ne sera pas versé d’indemnités en

par demi-journée, avec présence quotidienne d’1 médecin, pour accueil, permanences et consultations téléphoniques, entretiens d’urgence... Reste de l’équipe en support

Très faible Vérification des données mensuelles par rapport aux historiques des années précédentes. Erreur de report des

Compléter le document réponse n°1 Le capteur n°1 doit être sur l’entrée %I1,1 Le capteur n°2 doit être sur l’entrée %I1,2 Le capteur n°3 doit être sur l’entrée %I1,3

14 En résumé, la littérature indique que les pratiques de SST ne sont pas adaptées aux besoins des TÉT. Les formations en SST semblent rarement traduites, les initiations à la

Nous avons recensé 32 items dans le menu trophique du moineau (Tableau.05).. et Belhamra M., 2010 : Aperçu sur la faune Arthropodologique des palmeraies d’El-Kantara .Univ. Mohamed

Leurs professeurs ont bien voulu venir et me demander de les prendre à leur niveau actuel plutôt que de leur faire faire les devoirs qu'ils donnent.. pas bien