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Reference
Ces eaux qui quittent clandestinement la Suisse
SESIANO, Jean
Abstract
Dans les bassins-versants de Barberine et de Susanfe en Valais (Suisse), l'hydrologie de surface montre de nombreuses pertes. Les calcaires de cette région, très solubles et fissurés, laissent s'échapper les eaux en direction du Fer-à-Cheval, en Haute-Savoie (France). Cette perte se fait au détriment des barrages de Salanfe et d'Emosson qui ont ainsi un manque à turbiner.
SESIANO, Jean. Ces eaux qui quittent clandestinement la Suisse. Les Alpes , 2005, no. 7, p.
25-29
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:41732
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Scienza
emondo atpino Wissenschaft und Bergwelt
Sef,emae
et moqlqgne_
Recherches en
hydrogéologie
Ces eaux qui quittent clandestinement la Suisse
Bas-Valais:
desbarrages ont
étépris sous
laloupe par une équiPe d'hq- drogéolog
ues. Desrecherches
min u-tieuses
etI'utilisation
decolorants -
heureusement inoffensifs Pour
lanature - ont permis
de Percer lessecrets
de ces eauxqui s'échaPPent avant d'atteindre
lesbarrages.
Comment
?Réponse dans
letexte
ci-après.Durant
plusieurs années, des recherches en hydrogéologie-
la science qui s'occupedes eaux souterraiues
-
ont été menéesen Bers-Valais oùr trois barrages ont été édifiés : celui de Salanfe, celui du Vier-rx- Emosson et ceh,ri de Barberine, noyé de- puis une trentaine d'années dans la rete- nue d'Ernosson. Dès le départ,les barra- gistes ont toujours été conscients du fait qu'une partie de l'eau tombant sur les bassins versants de ces ouvrages, voire dans des vallées voisines reliées par des galeries d'addr-rction, n'atteignait pas les barrages. D'une part, il s'agit évidem- ment de l'eau qui s'évapore et retourne directement dans l'atmosphère. D'autre part, il y a les eaux qui s'infrltrent dans le sol, en
proportion
variable selon le type de roches.Types de roches
fréquentes
enBas-Valais
Dans les roches de nature cristalline comme les granites ou les gneiss,les fis- sures sont en général bouchées et il n'y a
que peu ou pas de fuites. Dans des roches sédimentaires telles que les argiles, on n'a généralement pas de fissures, elles sont donc imperméables. Par contre, dans les calcaires, il y a des fissures que
l'eau est capable de nettoyer et surtout, à
la longr-re, d'élargir par clissolution (cor- rosion). Les calcaires peuvent être plus ou rnoins purs, ph-rs ou tnoius argileux, donc plus ou moins perrnéables. C'est en grande partie ces divers types de roches que I'on trouve en Bas-Valais.
Un lac sans
fuite
Pour ce qui est du barrage du Vier-rx- Emosson,le mur de la retenue est édifié sur des gneiss, alors que la plus grande partie du lac est contenue dans des cal- caires argileux qui, eux, sont imperméa- bles. Sur la rive droite du lac, on rencon- tre des grès, ceux-là rnême sur lesquels on peut observer, un peu plus haut dans le vallon,les fameuses empreintes lais- sées par les dinosaures. Ce lac ne perd donc en principe pas d'eau.
En ce qui concerne le barrage d'Emos- son,la situation est différente. Alors que le lac lui-même se loge dans un type de roches identique à celui du lac précédent,
Le lac du barrage d'Emosson vu de ta Pointe des Rosses (2965 m)' sur la chaîne frontière entre la vallée de Barberine et celle du
Fer-à-Cheval, en France.
A I'arrière-plan, la région du glacier du Trient et du Tour, ainsi que I'Aiguille Verte
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SCIEilCE ET MOÊ{TAGhIE
Dominant te tac d'Emosson, [a paroi orientate de ta Pointe de la iinive (zele m) aPrès une chute de neige automnale
une partie des apports d'eau Provient et circule sur des roches plus jeunes'
Ces roches
qui laissent
Passer['eau
Les roches Plus jeunes du barrage d'Emosson sont formées de calcaires très purs, donc très solubles dans I'eau conte- nant un peu de gaz carbonique' Ce gaz est acquis par les précipitations traver- sant l'atmosphère, puis lors de
I'infiltra- tion
de l'eaudans le sol, au contact des racines du couvert végétal' Cette eau' maintenant légèrement acide,pourra
corroder en surface la roche en créant des lapiaz (ou lapiés), puis descendre en
proforrd.rrr
grâce à l'élargissement desfirr.tt.t.
En se rassemblant, ces eaux sou- terrainespourront
donner naissance àde véritables rivières.
La disposition et ia nature des cou- ches rocheuses ainsi que la direction des fractures vont déterminer la destinée des eaux infiltrées. Dans Ie cas présent'
l'in-
clinaison des strates en direction de I'ouest va conduire les eaux vers la France' Au lieu donc de s'écouler vers le barrage' elles passeront sous la frontière franco-suisse et reverront le
jour
dans la vallée du Fer-à-Cheval, en amont de Sixt'Infil-
trées à une altitude d'environ 2500
m'
elles réapparaissent vers 1950 m' au con- tact d'une couche argileuse imperméable' avant de cascader sur Près de i000 m pour rejoindre le fond de la vallée' Ellesàonn..ont
naissance au Giffre' affluent de l'Arve, qui se jette dans le Rhône à Genève. Ces nombreuses cascades sont du restel'atout
touristique du cirque du Fer-à-Cheval.La quantité d'eau perdue ainsi par ia retenuà d'Emosson peut sembler
impor-
tante en termes de litres: quelquesmil-
liards par année, mais cela ne représente guère qr.r.
d.,t*
jours de turbinage par laI.rrttul.
de La Bàtiaz,près de Martigny' lorsqu elle tourne à son régime maximum' C'est pourtant une somme importante qui manquera à I'aPPel"'
Eaux
qui s'échapPentvels
[a FranceVenons-en maintenant au troisième bar- rage, celui de Salanfe
,à
1920 md'aiti-
tuàe, sur le versant sud-est des Dents du
Midi.Il
est dominé par la Tour Sallière'Son cas est Pius comPlexe' Le mur du barrage et une partie de la cuvette sont situés sur les mêmes roches que les autres barrages. Cependant' I'amont du lac s'appuie sur un vaste delta issu du glaciei Noir, lui-même glacier régénéré àu glacier suspendu de la Tour Sallière' Ce àelta est forrné cle sédiments et de moraines lessivées, dont les élérnents
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sont de taille variable. Ces dépôts, qur combleront du reste progressivement toute la cuvette lacustre, sont gorgés d'eau et représentent une véritable éponge.Ils sont en contact aérien, mais surtout souterrain, avec une roche va- cuolaire à base de calcaire,les cornieules, assez solubles dans l'eau. Au cours des milliers d'années,l'eau s'y est creusé un chemin en suivant
I'inclinaison
des cou- ches. Passant sous les Dents duMidi,
elle revoit maintenant le jour, mélangée à des eaux plus froides, aux bains thermaux de Vald'llliez, environ
1000 m plus bas que lazoned'infiltration.
Comme la tempé- rature croît en général de 1o C par palier de 30 m en profondeur, c'est son passageà près de 2500 m sous les Dents du
Midi
qui lui vaut d'atteindre une température d'environ30'C
aux sources thermales.Une perte d'eau qui n'est
pourtant
pas le seul déboire du lac de Salanfe. En effet, une partie des eaux du bassin ver- sant du vallon voisin de Susanfe est cap- tée pour être dirigée par une galerie dans le vallon de Salanfe. Or,les eaux de ruis- sellement, issues du Ruan entre autres, circulent sur les mêmes calcaires très purs, donc très solubles, observés dans le vallon d'Emosson.Infiltrées dans des frs-
Extrait de I'Atlas géologique de [a Suisse, feuille 24, Barbe- rine. Les flèches indiquent la
direction de l'écoulement des eaux souterraines vers la France.
sures, elles vont suivre la direction
prln-
cipale de
fracturation
et la pente des couches pour revoir le jour, après Passage sous la frontière, au... Fer-à-Cheval ! Qui pourra prétendre après cela que le Giffre est une rivière typiquement haut- savoyarde ? Presque toutes ses eaux sont d'origine helvétique !L'origine d'une source
Pour être complet, il faudrait encore re- lever qu'une autre partie de I'eau circu-
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sEIËO'|EE ET' MCINT'AGNE
lant dans le vallon de Susanfe
s'infiltre
avant d'être captée. Cepenclant, celle-ci ne fera pas d'escapade en France voisine:elle reverra le
jour
ar,r fond de la gorge d'Encel, sous le Pas hornonyme. On Y observe en effet deux grosses sources quise font face: Source verte, à cause des al- gues et autres ûIousses qui la tapissent, et Source blanche, dénuée de végétaux' Alors que la seconde draine
plutôt
lespentes sud des Dents du
Midi,la
pre- mière évzrcue les eaux usées du vallon de Susanfe, oÙt se trouvent une cabane et un refuge,d'où
des eaux riches ennutri-
ments et un
important
développement d'algues.Finalement, comment peut-on mettre
er-r évidence de tels transits ? D'abord, une observation attentive du terrain pour y détecter les zones d'ir-rfiltration et les points potentiels d'émergences. Ensuite,
l'utilisation
de puissants colorants,inof-
fensifs pour I'environnement, comme let
fluorescéir1e, d'autres méthodes existernt, qui sont en général plus cofiteuses. Ce colorant teinte l'eau en jaune-vert, et la solutior-r est fluorescente sous le rayon- nement ultraviolet.
Il
est clair qr-re les quantités utilisées sont telles qtte, dans la ph-rpart des cets, cette coloration estinvi-
sible àl'æil
nu. Grâce à des instruntents de terrain ou de laboratoire,le passage du traceur est mis en évidence. Ceh'ri-ci nécessite de quelques heures à qr-relques jours pour réapparaître, selon la distanceLe gtacier des Fonds, dans le haut dr.l vallon de Barberine. La rareté des émissaires de surface montre bien qu'un imPortant drainage souterrain, ieune et donc exigu, s'est mis en Place.
A I'arrière-plan, I'arête sud du Ruan $o57 m) sous laquelle les eaux transitent avant de revoir le iour en France
Le versant français des laPiés du gtacier de Prazon. Très fissu' rés à I'origine, ces calcaires ont été distoqués Par les alter-
nances gel-déget. lls ne sol pas propices à des oPératio traçage, les infiltrations s'1 sant d'une manière diffuse
rassique qui sont perméables à ['e par leurs fissures. Eltes reposent sl une formation d'âge iurassique ég lement, mais argileuse et donc im;
méable au passage de ['eau (vire h beuse). D'où les sources à ce nivea Sur [e sentier menant à [a
cabane de Susanfe' vers 196o m, I'iniection du traceur dans un point d'absorption de I'eau: une perte. Le colorant réaPParaît au fond de la gorge d'Ence[, sous le Pas homonyme
Sur [a vire de Prazon (altitude rgoo m) dominée par le glacier homonyme, au fond du cirque du Fer-à-Chevat, d'abondantes Pré- cipitations s'aioutent aux eaux de fonte glaciaire Pour mettre
en crue les nombreuses résur- gences. La maieure Partie de ces eaux provient du versant suisse de [a chaîne frontière. On re- marque en haut les imPression- nantes falaises de calcaire iu- LES ALPES t lzoos
i\
parcourir
et le débit des ezrux souterrart- nes. Ces tratçages représentent donc uue techrriqr-re intéressante pour préciserl'origine
d'une sotlrce à I'heure oùr les ressoLlrces en eau deviennent de plus er-rplus préciellses.
Relevons enfin qLle ce phénornène est fréquent dans les endroits oùr une chaîne calcaire forme la frontière entre deux pays. Et c'est le célèbre spéléologr-re fran- çais
Norbert
Casteret qui, dans les an- nées 1930, avait dérnontrépollr
la pre- mière fois un tel passage, avec la réappa-rition
d'eaux espagnoles sur le versant français des Pyrénées clonnant ainsi naissance à la Garonne.I
Jean Sesiano,Genève
BibliOgraphie
Sesiano J.,Traç'nge urtrc lc hc dc borrogc icScsiarro 1., Dix atrs tlc raclre rcltes sttr
I'lrytlrogéo-
Solatlc c/ /e'ç sotttrc-ç tlte rrttalcs dc \hl d'llliaz (Vtltis' I.gic dc Io réci0rr d'Errtossorr (\rtrtais) et duFer-t\-
Srrisse) : tcctotrirlttc, litltologic ct géotlrcrrtric' 2003' Clreyttl (Htrttte -Snyoic, Frarrce ),2002.Rapport
Karstologia N" 4l ' pp' 't9-54'interne potrr le Comité scientifique des
Résen,es
Collet, L' \\t' et al' ( l95l )' fètrille 132'l Barbe - ruatr-rrelles cle Har-rte-Sayoie, 28p.
r'ir-re' Atlas géologiqLre de la Suisse 1 : 25 000' carte 24Le lac de barrage de Salanfe,
sur
celui de Susanfe. Des eaux le versant sud-est des Dentsdu
perdues par infiltrations à ce Midi. A I'arrière-plan, [aTour
barrage revoient [e iour, entre Saltière (3zzo m). A gauche,[e
autres, aux sources thermales col d'Emaney et, vers [adroite,
de Va[ d'llliezo ,9
g
;
o Eo dAprès une opération de traçage à la fluorescéine sur le versant suisse, le Giffre, rivière haute- savoyarde draine [e Fer-à-Cheval
Le guide M. Vaucher iette un couP d'ceiI sur une des résurgences de ta vire de Prazon, au Fer-à-Chevat. Les eaux proviennent du va[[on de Barbe- rine. Les dimensions exiguës de ces conduits souterrains [aissent suppo- ser qu'ils sont ieunes, ['eau n'ayant pas encore eu le temps de les élargir par corrosion
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