• Aucun résultat trouvé

Hume et le commencement de la philosophie

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Hume et le commencement de la philosophie"

Copied!
23
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

Hume et le commencement de la philosophie

ENGEL, Pascal

ENGEL, Pascal. Hume et le commencement de la philosophie. In: Critique . Paris : Ed. de Minuit, 1983. p. 960-981

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:5050

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

HUME

LE COMMENCEMENT DE LA PHILOSOPHIE

YVES MICHA'UD Presses Universitaires de Prance8 1983, 287 p.

Hume et la fin coil.

de la philosophie <c Philosophie d'aujourd'hui a

B Do you coiize to n philojopher as io a cunning man, to learn sovlzetizillg b y magic or withckrafr, be- yond w h a ~ can be known by common prudence and discretion? D

(D.a.)

On nous a tellement rCpCtC que la philosophie Ctait finie, et la diva a entrepris tant de galas d'adieux, que c'est avec une mkfiance un peu lasse qu'on ouvre un livre portant ce titre. II y a ceux qui nous proposent des mCtaphysiques de remplace- rnent, avec des reculs interminables de 1'Etre dans la Distance, il y a ceux qui n'en finissent pas de se remettre de la Fin de llWistoire, et ceux qui, forts de leur Science Numaine, rCcoltent Zes avantages autrefois fournis par la position du philosophe et les disputent aux rares vrais praticiens de la discipline jceux qui croient nai'vement a la p6rennitC des problkmes philoso- phiques). Comme on l'a souvent remarque, depuis qu'il n'y a plus de philosophie, jamais il n'y en a eu autant. La manikre, le style, et non plus les problkmes, sont devenus l'essentiel.

Cornrne le dit Yves Michaud, cc quand la philosophie n'a plus de fondement inquestionnable, elle doit affronter la question de ses modes de vgrification, de sa reception et de ses effets. Entre les dklires de la solitude et de la subjectivitk et lies compromis du succ&s, il lui faut envisager la question de l'espace public oh elle s'origine, sh elle se forrnule et oh elle se vdrifie a (I). L ' h e ( I ) Mume et la fin de la philosophie, p. 29 (dorknavant citC MFP) C'Ctait le theme de son article a Champs dc verification ? ,, Critique, no 363, fkvrier 1978.

(3)

RUME 961 du Journalisme a commenc6 depuis longtemps. Mais il y a philosophie populaire et philosophie populaire. Rume a fait l'expkrience en son temps de ces difficult& (HFP, ch. I). Les professeurs aussi, quand ils mettent entre les mains des Clitves I'un des volumes du cc bon David a: on croit tomber sur du facile, mais la transparence mCme d'une philosophie qui a renonck B ce que Rume appelait <c une sinistre mCthode d'ana- chorkte

,,

pour adopter un style plus (c d o w n t o e a r t h

,,

est elle- m&me un obstacle. En France, plusieurs livres nous ont rappel6 depuis longtemps que Rume nlCtait pas cet empiriste un peu niais qui croyait que tout vient de lJexp&rience, et que sa doc- trine Ctait autrement subtile (2). Le beau livre de Michaud vient s'ajouter Q la liste. Lpun de ses mCrites est de nous prksenter un Hume nuancC, mitigk, capable B la fois du meilleur (son sens des problkmes, ses intuitions anticipatrices) et du pire (des arguments confus, souvent non-concluants, que Michaud va jusqulB qualifier de vCritable cc capharnaiim ,> (p. 187)). La clef du problitme tient B ce que Hume appelait son scepticisme

<( modCrC

,,

qui retire d'une main ce qu'il accorde de l'autre,

biaise et thkorise B la fois. ke scepticisme a des cc intermit- tences

,,

(ch. XLIH), presque des humeurs (cf. la cClkbre fin de la premibe partie drz Trait& d e la nature humaine) (3).

S'il y a une c( fin de la philosophie

,,

elle ne saurait Ctre qu'ironique. Hume n'en est pas plus responsable que, par exemple, Einstein ne serait responsable d'une <c fin de la physi- que

,,.

11 n'aurait pas aim6 se parer du prestige que ne manquent pas de procurer les grandes dkclarations B cet effet. Histori- quement, au contraire Hume nous a lkguC un grand nombre de problkmes qui animent encore de larges secteurs d'une recher- che en devenir. Quant aux fins (( profondes

,,

de la philosophie, si nous nous pla~ons dans cette perspective humienne, Rume aurait peut-irlre recmnu qu'elles sont synptomatiques dpune Cpoque et qu'elles portent la marque de la fin des systkmes que

(2) Dans la critique angIo-saxonne, il faut citer plusieurs ouvrages qui ont renouvelk le sujet : le remarquable Ntame de B. STROUD, Routledge and Megan Paul, 1977; les livres de J.L. MA~KIE, The cement of the uni- verse, Oxford, 1974; Htame's moral theory, Routledge and Kegan Paul, 1960; J. HARRISSON, Hume's moral epistemology, Oxford, 1977, et D.C.

S T O ~ , Probability and Hume's inductive scepticisnz, Oxford, 1973 (autres rkfkrences plus bas).

(3) Pour un empiriste, l'humeur compte, comme le caractkre I1 n'est pas indiffkrent de noter, comme le rkvkle la belle biographie de R~OSSNER (The life of David Htame, Oxford, 1970), que Hume Ctait un personnage sympathiq~~e. I1 n'btait pas piire-la-vertu comme Rousseau (et paranoiaqxe, voir sa fameuse querelle avec celui-ci), colCrique comme Wittgenstein, pritenlieux comme Popper

...

(4)

lui-m6me avait diagnostiqud, mais il aurait peut-Ctre aussi jug6 qu'il y avait autant de raisons de penser exactement le contraire.

1. EE TISSU DE LA CROYANCE

Hume est naturaliste et sceptique, et il oscille sans cesse entre les deux p6les. I1 con~oit la philosophie comme <( science de Ia nature humaine ),, et considkre qu'aucun n'aspect de la vie humaine nlCchappe aux principes de cette nature. Ce fai- sant, il cesse de voir i'homme comme un 6tre rationnel, et insiste sur I'influence, voire l'indistinction de la passion el de la raison ( a la raison n'est rien qu'un merveilleux instinct dans nos 2mes

...

(Trait&, p. 266) (4)). Mais il ne se contente pas d'opposer passion et raison, il fait une critique de la raison sur son propre terrain - et en ce sens se pose la question de savoir s'il entreprend une philosophie critique avant la lettre ; nous y reviendrons. Avec Stroud, on peut parler ici de la partie nCgative du programme de Nume (5). Mais les arguments nkga- tifs ont une contepartie positive. Si l'hornme, animal rationnel, avait de bonnes raisons de croire certaines choses avant de pouvoir les croire, alors les arguments montreraient qu'aucun hornme rationnel ne croirait jamais quoi que ce soit. On peut considdrer cela comme une rdduction A l'absurde du concept rationaliste de croyance (ou plus exactement de jugement). Et pourtant nous croyons quantitC de choses tout lie temps :

<<La nature, par unc nCcessftC abselue e t inconlrislabie, nous a deter- minCs B juger aussi bien qu'i respirer et sentir ... s (Trait&, I). 27@-71, RFP, p. 216).

Dans sa partie nkgative comme dans sa partie positive, la philo- sophie de Kume est une philosophie de la croyance. Celle-ci est autant ce qu'il y a expliquer que ce qui sert A expliquer.

Aussi ce concept central est-il ambigu ; il est, pour reprendre une expression de Michaud dans un autre contexte (BFP, p. 200), la baleine blanche de sa philosophie.

Comme on le sait le Trait6 de la nature humaine esk une tentative pour c introduire la mkthode expkrimentale dans les sujets moraux

)).

Par 18 Hume entend non seulement la moralit6 dans le domaine des actions, mais aussi le domaine de I'esprit, de ce qu'on appelait les (( sciences morales >> et (( la philosophie

(4) La rCfCrence est h I'Cdition f r a n ~ a i s e , Aubier (citC par M~canu~, p 214).

(5) STROUD, op. cif., I). 13-14, L'expression est d'ailleurs celle de Nume (Enqu2re ruv f'enfendem~wt ~ I L M ? ~ ~ P ? , p. 80).

(5)

HUME

pneumatique n. Mais ce G Newton de l'esprit humain n'a peut- Ctre jamais eu accbs directement aux Ccrits de l'auteur des Principia. La rCfCrence newtonienne est constante, mais il suit des manuels (WFP, p. 34). Ce qui l'inspire chez Newton, ce sont autant les rggles m6thodologiques, le refus des hypothkses, que le modble gravitationnel proprement dit, qui inspire bien la thCorie atomiste et associationniste des idCes, mais B titre de slogan (HFP, p. 57).

On connaft le pnincipe : des atomes mentaux, les impres- sions, s'associent par I'effet de I'imagination aprks sJCtre cons- titu6s en idCes. Mais la notion d'impression est vague (ce sont toutes nos perceptions les plus vives cc quand nous entendons, voyons, touchons, aimons, dksirons, voulons B) (Enqu6te sur I'entendement humain, p. 53 (6), HFP, p. 62). I1 s'agit 18 d'un donnC neutre, et rien de plus : les impressions n'ont aucune autre caractdristique en dehors du fait qu'elles sont donntes (HFP, p. 63). On a voulut voir dans les impressions humiennes un vCcu phCnomCnologiqme, une hylb husserlienne avant la lettre (7). Or ce donn6 n'est rien de subjectif, car les impres- sions ne sont que des (( points d'affection

,>

(NFP, p. 67), ce sont la ~c simple abstraction de la passivitC D (p. 63). Quant aux idees Nume les traite comine des doubles des impressions (p. 691, et les considkre tant6t comme des reprksentations ou des images mentales, au prix d'incons6quences (p. 69), tantbt eornme des occurrences rnentales ayant moins de vivacite, plus faibles que les impressions (p. 70). I1 serait aisk,

B

partir de 18, de concevoir ce Bonn6 primitif de I'esprit comme le sol ou la fondation B partir duquel les 6lCments plus complexes du

i c thCBtre >> de l'esprit se composent, et de reconnaitre dans

I'empirisme humien une entreprise de fondation de la connais- sance sur des minima d'expbience. En ce sens l'interprCtation mssellienne et positiviste (celle du Carnap de I'Aufbau) est une variante de I'interprktation phCnomCnologique, une reconstruc- tion de la connaissance 8 partir de la sensation. De mCme on pourrait concevoir le principe de l'empirisme (cc toutes nos idCes simples, B leur premikre apparition, dkrivent des impres- sions simples qui leur correspondent et qu'elles reprksentent exactement s (Traitk, p. 68)) comme une anticipation du prin- cipe russellien d'acquaintance (cc Pour nous Ctre intelligible, toute proposition doit CLre compos6e uniquement dYC1ments constitutifs dont nous avons connaissance s (8)), (WFP, p. 103).

(6) RCfCrence B I'kdition Leroy, Aubier.

(7) C'est I'interprktation, notamment, de M. MALHERBE, H m e , Vrin, 1976.

(8) RUSSELL, Pvobfbmes de philosophie, Payot, 1980, p. 68. Pour une cornparaison de Russell et de Hume, voir D. PEARS, Bertrand Russell and the british tradition in philosophy, New York, 1971.

(6)

De fait, iI y a bien 18 I'anticipation d'un principe de verification au sens nko-positiviste, bien qu'il ne soit pas sfir que Hume avait par 18 en vue une thkorie ge'ne'ralise'e de la signification (le principe hurnien ne vaut que pour I'apprentissage ostensif des significations (HFP, p. 100)). Mais la portke du principe est chez Hume avant tout nze'thodologique. Le but est d'ktablir une relation entre le sensoriel et I'intellectuel : <( il faut bien que Hume trouve des entitks mentales correspondant B ses assomp- tions mkthodologiques, kpistkmologiques et ontologiques >>

(HFP, p. 83). C'est un mouvement caractkristique de l'empi- risme de Hume, sur lequel Michaud insiste avec raison : beau- coup des notions introduites, qui semblent conduire 8 une thkorie de la gengse psychologique des klCments de l'esprit, ne le sont qu'h titre de nkcessitC conceptuelle, comme si Hume lui- meme ne prenait pas rkellement au skrieux les <( explications >>

qu'il donne.

I1 en est ainsi du fameux principe de diffe'rence qui fonde le nominalisme humien : tout ce qui est distinguable doit Gtre skparable. On a dit que Hume confondait ici possibilitk et concevabilitd (9) : it Toutes les fois que l'imagination p e r ~ o i t une diffkrence entre les idkes, elle peut aiskment produire une sgparation s (Trait&, p. 74, HFP, p. 81). Hume qualifie ce der- nier principe de maxime. Comme le dit Michaud, c c'est l'onto- logie nominaliste de la diffkrence qui garantit la psychologie de la distinction et lui permet en retour de devenir le test de la diffkrence a (IIFP, p. 79) (10). Les choses sont obscurcies par

%a tendanre constante chez H m e 8 chercher des traductions en langage psychologiste d'opQations et de concepts p o s h ikpartir de principes logiques, ontoiogiques et mkthodologiques, quand il ne confond pas tout simplement ces diffkrents niveaux d 'ana.lyse.

On n'a done pas totalement tort d'avoir vu en Wiime U I ~

prCcurseur des positivistes logiques, et sur ce point sa pensee est I'une des sources de ce qui allait $tre k'un des plus fkconds

(9) HFP, p. 90; voir Cgalement STROUD, ap. cit., p. 4.8 sq

(10) hlichaud ici rend irks clair ce nominalisme (bien qu'il indjque ses sources ockhamistes, il ne nous dik pas, comme iI le Eait pour Ncwron quelles Ctaient les sources de Hume et ses lectures). Le principe nomi- naliste de distinction est que si a et b ne sont pas & tous Cgards iden- tiques ils sont diffCrents ((Ecp) ( ~ ( a ) et non (cp(b)) implique a

+

b)).

Michaud emprunte ici & WEINBERG, Abstraction relation and empiricism, University of Wisconsin, 1965, p. 54, qui remarque que la formule ci- dessus entraine une quantification sur une propriCt6, donc, selon le critkre de Quine (&re c'est &tre la valeur d'une variable), une infidClit6 au nomi- nalisme strict - ce qui montre que le nominalisme de Hume est bien diffCrent (si le principe est correct) de celui des auteurs logiciens contemporai~s.

(7)

courants de la pensCe europCenne contemporaine (11). Mais si ses dkclarations anti-mCtaphysiques (cf. la fin de llEnqu&te sur l'entendement humain) sont souvent tout aussi radicales, si certaines de ses analyses de notre parler courant semblent anticiper Ies dkmarches logico-linguistiques des philosophes analytiques, il ne fait appel a aucun principe systCmatique de vkrification, et surtout pas B celte forme de rkductionnisme ernpiriste qui a fini par Ctre associC B son norn. Chez lui les dkmarches de clarification et d'analyse sont multiples, et

B

chaque question correspond une stratkgie dJenquCte spkcifique (HFP, ch. V) (12). De mCme sa position n'est assortie d'aucun fondationnalisme en thkorie de la connaissance, et n'est aucu- nement associCe aux dogmes positivistes qu'on a dans la mCme foul& accolb a son nom.

C'est ainsi qu'il ktait tentant, B partir de la distinction humienne entre les relations of ideas et les matters of fact, de voir se dessiner la distinction moderne de l'analytique et du synthCtique. Aux relations d'idkes correspondent les relations suivantes : ressemblance, contrariCt6, degrks de qualitC, propor- tions de quantiti ou de nombre (HFP, p. 142-143). Ce sont des relations rCelles, constantes et inviolables. Les autres ne dCpen- dent pas de l'idCe, et peuvent varier quand SidCe demeure la m&rne. Ce sont llidentitC, les relations de temps et de place, et la causalitC. Les sept relations sont ce que Hume appelle des relations a philosophiques

,,

: elles proviennent de nos compa- raisons rkflexives entre des idkes. Mais Hume est loin d'une conception qui ferait des relations du second type (externes) la source de propositions synthktiques, et des relations du pre- mier type (internes) la source des propositions analytiques. En particulier, les concepts mathkmatiques qui se rattachent aux relations internes d'idCes sont fondks dans des donnCes empi- riques dont ils sont les idCalisations, et sont donc en ce sens informatifs, bien qu'a priovi (13).

Mais il n'y a de relations philosophiques que parce qu'il y a des relations natureZles, celles-ci opgrent d'emblke et sont d&jB, quand l'esprit associe naturellement les idCes, el a des

(11) Cf. L. ~COLAKOVSKI, La philosophie positivisle, Gonthier, 1976 (12) On en dirait d'ailleurs autant de la philosophie analylique rCcente.

I1 est faux que celle-ci repose exdusivetnent sur des analyses linguisliques (c'est une tendance qui Ctait marquCe dans les annCes 50, mais qui a laissd aujourd'hui la place B un pluralisme des analyses - voir, par exemple, les ouvrages dz J.L. Mackie).

(13) La place ici manque pour parler de I'excellent chapitre VPII que Michaud consacre B I'analyse des mathClnatiques chez Hume, sujet com- plexe et souvent ndglig6 (en particulier la doctrine des minima et de la divisibilite finie).

(8)

attentes (NFP, p. 118). Ainsi la causalit6 peut Ctre envisagCe comme relation philosophique quand nous analysons cette notion. Elle est une relation naturelle quand elle entraine l9asso- ciation de deux idCes. C'est ici que nous rencontrons la notion de croyance et le naturalisme :

a La nature dtsigne en quelque sorte B chacun les iddes simples qui sont les plus propres a s'unir en une idCe complexe. >> (Traite', p. 75, cite HFP, p. 108.)

I1 y a plusieurs manikres d'aborder la notion humienne de croyance, selon qu'on se tourne vers ce que nous avons appelC avec Stroud la phase positive de l'analyse de la causallit&, ou vers la phase negative. Ici nous allons aborder la premikre, quitte B la retrouver ensuite dans la seconde.

Que I'esprit a une nature veut dire qu9il a des tendances.

Une premikre tendance est projective :

<< L'esprit a beaucoup de penchant 21 se rkpandre sur ies objets extd-

rieurs et i unir i ces objets les impressions intdrieures qu'ils provoquent et qui apparaissent toujo~irs au moment oh ces objets se dScouvrent anx sens D (Traite', p. 253-54, H F P , p. 126.)

Une autre est la tendance de I'imagination

B

compldter ce qui est esquisse' :

<< Une fois que l'esprit est en train d'obselver de l'uniformitk entre

les objets, il continue naturellement jusqu'i rendre l'uniformit6 aussi complste que possible. >, (Traite', p. 287.)

Ainsi se forment les attentes de r&gularitC et d'uniformitk qui constituent une bonne part de ce que nous croyons & propos des objets qui nous entourent.

Une troisikme tendance est ii d'assimilation du ressernblmt (HFP, p. 127) :

a De toutes les relations, la plus efficace est

...

la relation de ressem- blance. Car elle produit non seulenlent une association dtidCes, mais une association de dispositions; elle nous fait coricevoir I'une des iddas par un acte ou une operation de I'espri semblable i celui par lequel ~ious concevons une autre idCe. D (Traite', p. 291-92, HFP, p 127-8.)

Ces tendances de B'imagination, Hume les appelle des r2gfes gtndrales. Ce sont des r&gles extensives d'assimilation (NFP, p. 129). Ce sont elles qui nous conduisent

B

croire des choses qui ne sont que des (< probabilitks non philosophiques >> :

Un Irlandais ne peut svoir d'esprit, un Fran~ais ne peut avoir de solidit6. >, (Traite', p. 227 sq.)

Mais I'esprit a d'autres r&gles, correctives, qui permettent de redresser les effets de cette csCd.ulitC hitiale. Cornme Be dit

(9)

Michaud : (( Les premikes normalisent I'expCrience, en gros et les secondes normalisent la normalisation. )> (HFP, p. 129) On reviendra plus bas sur leur statut exact. Ee principal est de constater pour le moment que ces r8gles, bien que rkflexives, sont l'effet de la coutume. Ce sont elles qui produisent ce que Hume appelle des impressions de rCflexion. Ce sont des dispo- sitions, des propensions (propensities) qui conduisent B des croyances. (( Elles signalent et marquent des manibres d'agir de I'esprit en rkponse B lJexpCrience. )> (HFP, p. 131)

Le problbme de la nature de la croyance est donc pour Hume cr une question de philosophie naturelle, que nous devons dCterminer par exphience et par observation >> (Traitd, p. 179).

Deux principes difECrents sont nkcessaires pour expliquer l'occurrence des croyances (14) : le principe que nous venons d'aborder, selon lequel une conjonction constante observCe crCe une union dans l'imagination entre deux sortes de choses, et le principe de transmission de la force et de la vivacite d'une impression prCsente B une idCe associke. (Trait&, p. 175, <( maxi- me gCn6rale de la science de la nature humaine ,)). D'o& la

dkfinition :

a Une opinion ou croyance n'est rien qu'une idCe forte et vive dCrivCe d'une impression prCsente et en connexion avec elle. n (Trait&, p. 183, cf. p. 198.)

Mais c'est 18 un fait concernant la cause ou lborigine de la croyance, pas une explication de la nature de la croyance (15).

Les lecteurs qui chercheront chez Hurne des caract6risa"cons plus prdcises en seront pour leurs frais. Nume nous avertit d'emblCe :

a La croyance

...

consiste non dans la nature ni dans I'ordre de nos idCes, mais dans la manikre dont nous les concevons et dont nous les sentons dans I'esprit. Se ne peux, je l'avoue, expliquer parfaitement ce sentiment, cette maniere de concevoir. Nous pouvons employer des mots qui exprimenT quelque chose d'approchant. Mais son vCritable nom, son nom propre, c'est croyance ; ce terme, chacun le comprend suffisrtmrne~lt dans la vie courante. En philosophie, nous ne pouvons rien faire de plus que d'affirmer que I'esprit sent quelque chose qui distingue les idkes du jugement des fictions de I'imagination. Cela leur donne plus de force et d'influence; les fait apparaitre de plus grande importance ; les imprime dans I'esprit et les constitue comme principes directeurs de toutes nos actions n (Trait&, p. 173-74

-

passage ajoutC par Rume en appendice.)

Bume nous dit encore que la croyance donne plus de poids at= rCalitCs pr6sentes que les fictions et c< leur assure plus d'action sur les passions et I'imagination D (ibidem.), mais il ne

(14) Ici, je suis plutbt l'analyse de STROUD, OF. cit., p. 70 sq.

(15) STROUD, ibidem, p. 72.

(10)

ne nous indique pas ce qui permet vraiment de distinguer fic- tion el rCalitC. C'est le prix que paye son empirisme : <( L9empi- risme gagne la possibilitC de produire toujours de nouveaux concepts, de nouvelles fictions, au prix d'une absence de garantie d'application. ,> (16)

Si l'on essaie de s'interroger sur 1'Cchec de Hume B carac- tCriser adCquatement ce qui constitue pourtant un concept central de sa philosophie, on est amen6 2 constater d'abord que le dCfaut principal de son analyse est de ne pas rendre compte du caractkre propositionne2 de la croyance. On ne crojit pas simplement,

B

titre d'un Ctat de I'esprit, un sentir ; on croit qtre

...

Hume voit bien que croire n'est pas Xa m&me chose qu'avoir une idCe, m6me plus forte, qu'il y a une diffCrence entre croire et concevoiv (17), et que croire n9est pas simplement une opCration de juxtaposition des idCes. Et pourtant il ne donne aucune analyse du jugement, au sens de l'acte d'asserter une proposition, de donner son assentiment B des conceptions de l'esprit. Pour lui Pa croyance n'est pas une attitude proposi- tionnelle, au sens russellien : entre concevoir cc CCsar a, <( la mort de CCsar B, et (( la mort de CCsar dans son lit

,,,

il n9y a qu'une diffkrence de complexit6 (WFP, p. 104). HI reconnait bjen 19influence du langage sur ?a constitution des croyances, mais c'est pour expliquer le fait que nous croyons habituellement ce qu'on nous dit, plut6t que de v6rifier par nous-m&mes (HPP, p. 108). On rkpondra que les choses sont bien telles qu'elles devraient &re, car comment un empiriste serait-il capable d'expliquer ce qu'est un jugement (objection frCgCenne) ? Ici il faut bien reconnaitre que l'ernpirisme de Hume mCrite la mauvaise reputation qu'il a auprhs des rationalistes, et pas seu- Bement parce qu'ils sont rationalistes, et Bui empiriste. Pourtant il entrevoit un CLCment essentiei d'une analyse de la croyance, quand il park de propensit& et de dispositiozs h agtr. k&chaerd, comme beaucoup (cf. les positivistes et Carnap) trouve cette notion << mystkrieuse

>,

(HFP, p. 126) et il ne fait pas de doute que Henme ne fait pas de grands efforts pour l'expliquer. Sans doute Cgalement I'actualisme de Mume, son assimilation des modalit6s et du possible B des manigres de concevoir (RFP, p. 92) lui interdisent une veritable analyse du concept de dispo- sition en termes de conditionnels subg'onctifs ou irrkels

(X

croit que g = si X e'tait dans les circonstances C, il ferait A) comme plusieurs tentatives rCcentes l'ont fait (18). De m2me aurait-il

(16) Yves MICHAUD, s l'ernpirisme revisit6 %, Critique, janvier 1975, p. 54 (un C.R. du livre de J. BENNETT, Locke, Beukeley, Hume, celztrial themes, Oxford, 1971).

(17) STROVD, op. cit., p. 74-76.

(18) Cf., en particulier, A BURKS, Cause, chance, reason, University of Chicago; 1963.

(11)

$tC loin d'une analyse des dispositions cornme propriCtCs re'elles des objets et des individus, et encore plus du rapprochement de celles-ci avec des frkquences, des propensitb, au sens de la th6orie de la probabilitk dans certaines versions (19). Mais Hume est certainement le prCcurseur direct de cette Ccole de philosophie Ccossaise du x~x" si&cle, qui, avec Bain notam- ment (20), allait dCfinir la croyance comme disposition B l'action, idCe qui jouera un r81e central dans le pragmatisme de ligeirce (21). L8 encore ces idCes se seront dCveloppCes comme une consCquence du dCfi que Hume avait lancC.

2. LE CIMENT DE L'UNIVERS

On peut maintenant revenir 8 la phase nCgative, sans doute la plus connue, du programme de Hume. Michaud lui consacre un long chapitre p. 161-211). Ici aussi il importe de voir que sont associCes Ctroitement dans sa dCmarche une critique de l'idCe de cause, et une analyse de la relation causale, donc que les deux phases sont indparables. Et bien sar c'est 18 une difficult6 essentielle du scepticisme : les critiques qu'il adresse reposent sur les analyses ou les prCsuppositions qui entourent les notions mises en cause, en sorte que si l'on montre que ces analyses sont insuffisantes, le scepticisme en est lui-mCme affai- bli. E'argument humlen a CtC abondamment CtudiC, mais il a souvent CtC mCcompris, par la faute de Hume lui-m&rne, qui a travers les longues sections der Trait6 qui I'exposent, ne dCmCIe pas toujours correctement tous les fils d'une analyse souvent confuse, mais aussi parce qu'on a voulu trop vite I'interprCter.

On dispose

B

ce jour de plusieurs analyses tr&s dCtaillCes qui mettent un peu d'ordre dans les chemins suivis par Hume (22).

(19) Je reviens un peu plus bas sur les probabilites. Ici, je fais allusion B la conception que I'on trouve initialenlent chez Peirce, selon laquelle la probabilitk est une disposition d'un objet, au sens d'une propriktk rkelle, et B la conception a propensionnelle

.

des probabilitks que I'on trouve chez Popper (The propensity interpretation o f probability) et,, plus rCcemment, chez D.N. Mellor (The matter of chance, Cambridge, 1971), qui a dkfendu une thCorie c rkaliste

),

des dispositions (a In deFense of dispositions P, PhilosophicaZ Review, 1974).

(20) A. BAIN, The senses and the intellect, Londres, 1855, par exemple.

(21) Cf., par exemple, The fixation of belief, Collected Papers, Narvard, 1935-56, tome v.

(22) STOVE, op. cit., STROUD, op. cit., MACKTE, o p . cit. (The cement of the universe), et rkcemment T. BEAUCHAMP et A. ROSENBERG, Wume and the problem o f causation, Oxfoi-d, 1981, qui prCsenle la partic~~laritk remar- quable d'&tre une tentative de d6fense de Huine contre ses critiques. Dans Popper and after, Four irrationalists, Pergamon Press, 1982, D.C. Stove a reformulk son analyse de 1973 (ch. IV).

(12)

retenir l'essentiel (23).

Selon la conception traditionnelPe de la croyance (on pour- rait d ~ r e rationaliste si prCcisCment les rationalistes appelaient ceci des croyances), les hommes viennent B croire quelque chose en pesant le pour et le contre et en dCcidant de croire (asserter) ce pour quoi ils disposent de la meilleure justification. En mon- trant qu'aucune indiffkrence B partir d'une conjonction passbe constante de choses A et de choses B, et d'un A observe pr6- sentement

B

une croyance qu'un B surviendra n'est raisonnable ni justifiCe, Hume rejette cette thCorie. La forme de raisonne- ment dont parle Hume est la suivante :

(EP) Tous les A observCs ont CtC suivis par des B (expbrience passee)

(IP) Un R est observb maintenant (impression prbsente) donc (EF) A B surviendra (6vCnement futur).

Selon Hume, chaque fois que EP et IP sont vrais

B

propos de I'expCrience d'une personne, celle-ci inferera toujours en fait, et donc viendra B croire queEque chose de la forme de EF. Mais ce faisant, la personne n'est pas (c dCterminCe par la raison B :

<( Si la raison nous dkterminait (la traduction fran~aise dit : a raison-

nement D), ce serait d'aprks le principe que les cas, dont nous n'avons pas eu d'expkrience, doivent ressembler B ceux que nous avons expCri- mentCs et que le cours de la nature demeure toujours uniformkment identique. >> (24)

Un tel changement dans le cours de la nature est possible, car il est concevable (ibidem.). Mais ou bien on soutient sa croyance par un raisonnement dkmonstratif, qui proc&de

B

partir d'idCes seulement, ou bien on se fie aux ddcouvertes de I'expCrience sensorielle. Pour Hume ce sont les deux seules manihres dont les croyances peuvent &ere soutenues ou justi- fiCes. Le principe d'uniformitb (celui CnoncC par Hume dans la citation ci-dessus) ne peut &re 6tabli par I'observation. Done aucune justification par l'exphience n'est possible. Mais toute infkrence de I'observC

B

11inobserv6 est fondCe sur la suppo- sition que le principe d'uniformitg est vrai. Donc aucctme just&

fication ne peut etre donnee pour le principe d'uniformitb sans dCjA prCsupposer sa vbritC, ce qui serait Cvidemment << entrer dans un cercle, et prendre pour acquis ce qui est en question (Enqu2te sur Z'entendement kzumain, p. 81). VoilB pour la phase

c< nCgative D de l'analyse de Hume. Quant B la phase positive,

(23) Je suivrai surtout la prksentation de Stroud (og. cit., p. 53 sq).

(24) Tuaitk, p. 163.

(25) Abre'gC du trait& d e la ~attrve humaine, Cd. DUEULE, Aubier, 1971,

.

81.

(13)

nous en connaissons d6jB le principe. La personne qui croit FE ci-dessus n'est pas dCterminCe par la raison B la faire. Mais il n'en reste pas moins qu'il y a une raison pour laquelle elle croit ce qu'elle croit. C'est la raison pour laquelle Rume, s'il critique le concept de cause cherche aussi une explication causale du

~omportement humain. Nous connaissons sa rCponse : il sera question de tendances et de rkgles.

Tout comme plus haut B propos de la croyance, cela ne nous donne qu'un fait B propos de la causalitC, de notre justi- fication 8. croire, et de notre manibre de croire. Cela ne nous dit pas en quoi consiste la causalitC. En fait l'analyse de Nume est double, et on a quelquefois tendance B confondre les deux niveaux, quand on s'en tient

B

l'analyse (< projectionniste P de la causalit6 dans Z'esprit. Il y a aussi pour Rume une causalit6 dans les choses, qui consiste simplement en une vkgularitk des CvCnements (HFP, p. 205). Hume ne croit certes pas que le cinabre est tant6t lourd, tantat ICger, tantcit rouge, tanttit noir, pas plus que qui que ce soit d'ailleurs. Les r6gularitCs existent, elles sont dans la nature. Mume d6clare que cc la cause est pour nous le ciment de l'univers P, donc que nous projetons dans les choses une nCcessit6 qui nous est seulement imposCe par la coutume, mais comme le remarque Michaud, cette posi- tion antingcessitariste s'inscrit

B

l'intkrieur de convictions d6terminlste.s strictes, comme le rnontre son analyse des mira- cles (HFP, p. 209). 11 <c attribtae aux lois de la nature une nCces- sit6 de fer tout en affirmant que la relation causale n'est pas logiquernent nCcessaire

>>.

Or

<< Hume se trompe quand il exprinle comme si le dtterminisme pou-

vait &re Ctabli B l'intkrieur de sa conception de la causalitk. Dans une assignation causale, il y a affirmation d'une loi causale determinbe;

dans les procCdures obliaues, c'est ceIle d'une loi causale gknkrale que

a les rn&mes causes produisent les ~aSmes eflets r ; on affirme donc une rkgularitd soit restreinle soit gCnCraIisCe, mais il s'agit d'une rCgularitC, pas d'un dbterminisme. Que les m&mes causes aient les m&mes effets ne signifie pas que tout ce qui arrive a une cause. )> (HFP, p. 210.)

L'argument sceptique de Wume, que la causalit6 n'implique pas la n6cessitC a donc un artrrikre fond de grCsupposCs impor- tants :

Q Ou bien nous n'avons pas d'idke de la nkcessitk, ou bien la nkces- sit6 n'est que la dktermination de la pensCe B passer des causes aux effets et des effets aux causes d'aprks SexpCrience de Ieur union. >> (Trait&, p 252, NFP, p. 206.)

Or nous avons une id6e de la nCcessitC. Donc les causes sont des conditions ne'cessaires el suffisantes. Autour de cette analyse de la causalitC, la philosophie analytique rCcente a beau- coup discut6. Il semble qu'une des composantes du concept de causalit6 et de lei de la riatare sdt qa'une cmse 6bi uae loi

(14)

(si les lois sont causales, ce qui n-est pas non plus Cvident) soit, comme on dit, de cc soutenir ses contrefactuels D. Dire que A cause B, ou que tous les A sont des B, c'est dire que si A n9Ctait pas arrivi, B ne serait pas arrivC, ou que s'il n'y avait pas eu de A ils ne seraient pas des B. Des analyses conditionnel- les de la causalit6 ont CtC proposies par Lewis et Stalnalcer (26).

Mackie a proposC ce qu'il appelle une analyse en termes dJINVS conditions (une cause est une condition insuffisante mais ne'ces- saire qui est une partie d'une condition elle-m&me non nCces- saire mais insuffisante) qui doit beaucoup aux canons de l'in- duction de Stuart Mill (27). Selon Wume la causalitC concerne des skquences dlCvCnements simples. Mais l'essentiel de sa thkse est que 12 oh* il y a cause, il y a loi, c'est-&dire que les CvCne- ments dont 11 est question sont des CvCnements ge'ne'riques.

Pouvons-nous alors Cnoncer des propositions causales singu- li2res ? Cette question a aussi CtC beaucoup dCbattue (28). S'op- posent kgalernent les analyses extensionnelles et intensionnelles de la causalit6 (29). En fait, il faut bien dire que nous ne savons pas encore bien ce que c'est qu'une cause, ce que c'est que le dkterminisme, la nCcessit6 et les lois naturelles (30). Qu'est-ce qui distingue une gCnCralisation purement accidentelle, du genre : c< Tous Ies habitants de I'imrneuble sont chauves >>

d'une loi comme c< Tous les immeubles venteux favorisent la calvitie D ?

(26) Cf les articles contenus dans Ie recueil de E . Sosn, Causation and conditiorzaZs, Oxford University Press, 1975. Michaud fait allusion B cette question p. 208.

(27) Voir l'article de Mackie dans le recueil citC ci-dessus, e t The cement of the universe.

(28) Cf., en particuller, l'article de G.E.M. ANSCOMBE, i n Sosn, op. cit., e t i'article de E ~ ~ ~ ; s a i i , Causal ~ehtloizs, ibid., et dans Essays o;z actions and events, Oxford, 1980.

(29) Ramsey proposa une analyse extensionilelle. Cf. son General laws and causality, in Foundations, ed. MELLOR, Routledge, 1978 Davidson est dans cette lignee (art. cit.). Von Wright propose une analyse intension- nelle : cf., par exernple, Explanation and understanding, Cornell, 1971.

(30) Ce ne sont pas les tentatives nCo-essentialistes de Kripke e t Put- nam qui nous Cclaireront. Cf., par exemple, J.L. COIIEN, Tlze problem of natural laws, in MELLOR, ed., Prospects from pragmatism, Cambridge, 1980, p. 211 sq.

On peut soutenir arec Russell que la notion de causalit6 est une relique d'un 5ge rCvolu n, e t se ranger sons l a bannikre positiviste avec cette constatation. Beaucoup disent qu'il n'y a plus de lois en physique, qu'on est entrC dans une << nouvelle alliance

),.

C9es"i$tre plus positiviste que le roi (Schlick). J e doute que la notion de causalit6 ait disparu et qu'elle n'ait plus d1int&r&t. Cf., s u r ces points, J. EARGEAULT, << Causes, causalit&, deerminisme n, Archives de philosophie, 1981, no 3, rCCd. in Critiques et controverses, tome 2, UniversitC de Paris-XII, 1983 (diflusion : Didie~ Ei-adition).

(15)

3. LE PROBABLE ET LE PROUVABLE

Un autre pr6supposB de Hume, que nous avons CnoncC plus haut, est que si nous avons une raison quelconque de croire une proposition, cette proposition doit &tre soit m e proposition nCcessaire (fondke sur une relation d'idCes) soit une proposition concernant des faits observ6s. On a dit qu'il prksupposait ainsi un dCductivisme. De fait, c'est le fondement mtme de ce que Yon a appelC son << scepticisme inductif n (Stove, op. cit.). Hume, comme on sait ne park pas d'induction, mais son argument sceptique est devenu <( le probllkme de Hunie >> 2 propos de I'in- duction, celle-ci ktant l'infkrence d'un certain nombre de cas observ6s

a

un knoncC gCn6ral concernant l'inobservb. Tout se passe ici cornme si Hume supposait un concept tr&s fort de ce qu'est une croyance justifiCe, c'est-&-dire une connaissance. Son raisonnement est alors le suivant : puisque nous ii'avons pas une telle connaissance concernant le futur (une connaissance qui ait le caractbre de n6cessitB et de certitude requises), nous ne sommes justifi6s en rien et notre connaissance est non fondke. Elle est seulement (c probable )) (Enqugte sur Z'elztende- m e n t humain, section VI). Mais toute connaissance et tout raisonnement probables sont fond& sur la supposition que ie futur ressemblera au passk. Donc elle ne peut non plus Ctre jlastifike sans circularit6. Ian Hacking a bien mis en Cvidence le fait que Hume s'appuie sur le concept scholastique (et encore IocIcCen, cf. HFP, p. 138) de la connaissance comme certitude d&monstrative (31). Sa conception des probabilitb est pure- ment << kpistkmique ),: le hasard, la chance n'existent pas dans la nature, et sont seulernent le reflet de notre ignorance, con- ception que reprendra I'kcole laplacienne (HFP, p. 191). Pour- tant il est conscient de certains dkveloppements a son kpoque du calcul des probabilitks (HFP, p. I%), mais quand il en traite il s'exprime comme si toute espkce de probabilitk h i t de type inductif. I1 se garde bien de demander s'il n9y a pas une diffb rence entre ce que nous croyons et ce que nous calculons (HFP, p. 185). Michaud donne un juste diagnostic de la situation :

<< La fernleture de soil dCd~l~tivisme perrnet B Hume de mesurer

1'Ctendue du champ d u probable, mais lui interdit en m&me temps de le penser autremeilt que sous le sigixe de I'irrationaiitC : la CaillibilitC des inductions doit &tre la m&me chose que lear irrationalit&. >> (KFP, p. 191.) C'est essentiellement ce que l'on a retenu du scepticisme ItPumien. Russell en concluait que cc l'aliCn6 qui croit qu'il est un oeuf poch6 doit Gtre condamn6 seulement sur la base du fait

(31) I. HACKIXG, The emergence o f probability, Cambridge, 2975, p. 185.

(16)

propos des raisonnements inductifs (notre connaissance induc- tive est totalement incertaine et faillible), mais a repris son scepticisme inductif. Comme le dit D.C. Stove :

<(La renaissance de la philosophie humienne de la science durant ce siecle Eut un mouvement de retraite & partir de cette confiance en la science qui Ctait si grande, et croissait constamment, durant les deux sikcles prCcCdents, et: qui se rkvCla 2tre ma1 placCe prCcisCment 16 oh elle avait atteint son sommet. Le retraite Eut gCnCrale, les philosophes empi- ristes y prenant tous part. Popper et ses successeurs sont simplement ceux avec qui la retraite tourna en dCroute. 11s retombkrent totalement du cBt6 de Rume. * (33)

Et Stove sugghe que c'est 1& I'une des sources principales de I'irrationalisme contemporain en philosophie des sciences, celui de Feyerabend, de Lakatos, et de Popper lui-meme. On trouvera curieux un tel jugement : Sir Karl n'est-il pas le paran- gon du rationalisme? Dans sa reconstruction minutieuse de I'argument humien, Stove rnontre que I'irrationalisme prend sa source dans la conclusion humienne selon laquelle tout argu- ment inductif est non valide (p. 33). Mais si I'on admet que certains arguments inductifs peuvent &tre valides, Pe scepticisme humien disparait. I1 y a irrationalisme 2 partir du moment o&

Yon refuse d'admettre qu9il y ait quelque raison que ce soit die croire les conclusions dlinfCrences inductives (34). Si I'on rejette Ie dkductivisme, nous dit Stove

<( rien de fatal pour la philasophie empiriste des sciences ne n'ensuit du

fait qlle I'on admet que des argumrnts passaat de I'observC B 11inobserv6 Ize sont pas Zes meilleirus ; 2 nloins que Le fait d'admettre ceci ne soit combink, et le f u l par H~lme, avec 11hypoth6se fatale que seuls Ies meil- Ieurs feront l'affaire. a (OD. cit , p. 83.)

On a affaire B une forrne de raisonnement usuelle mais bien insidieuse, selon laquelle puisque I'idCal n'est pas rCalis6, rien d'approchant ne l'est non plus.

Stove n9a pas en vue, pour remkdier

B

cette hypothkse fatale, une forme de justification cc analytique >> de I'induction, comme celle que donnaient les philosophes dans lles ann6es 50 : nos raisonnements inductifs sont justifi6.s parce que cela fait partie de notre sens ordinaire du mot << justifit2 m, c raison m, etc.

que nous ayons des certitudes inductives (HFP, p. 190). I1 pense beaucoup plus a la conception carnapienne des probabilitds (32) A history of avestern philosophy, p. 698, 1916 (citC par POPPER dans Objective Knowledge, Oxford, 1972, p. 5, tr. fr. Ed. Complexe, 1978.

(33) SIOVE, Popper and after, op. cit., p. 51.

(34) Op. cit., p. 66 sq. Gf. le compte rcndu de cet ouvrage dans LAR- GE~ULT, np. cit., 1983,

(17)

W U M E

inductives (35). La solution consisterait alors B d6velopper une logique inductive n o n dtductive.

Rien ne nous oblige donc B adopter la prkmisse dCducti- viste de Nume, ni son refus des probabilites inductives. Wume pense le champ du probable sous le signe de llirrationalitC, alors que nous avons aujourd'hui de nombreux moyens concep- tuels pour le penser sous le signe de la rationalitk. Et pourtant, s'il n'avait pas effectuC ce que Michaud appelle son << Cchappte vers la croyance )), bien des conceptions modernes de l'infkrence statistique Ctaient B sa portke : s'il avait poursuivi sa thkorie de la croyance comnle habitude d'action, il aurait peut-btl-e approchC certains concepts de la thCorie de la dCcision et des probabilitks subjectives ; il passe trks prks de la rkgle des gro- babilitks conditionnelles de Bayes (36) comme le note Michaud

(WFP, p. 184). Mais pour lui routes les probabilitds sont de mCme sorte et toutes les croyances se valent (WFP, p. 190).

Et pourtant son naturalisme inductif, selon lequel nous faisons des inductions, aurait pu le mettre sur la voie d'une Ctude de ces diverses justifications, qu'il ne donne pas, La encore il prCf6re dCfier, puis tomber dans une sorte de << fid8 isme naturaliste

,)

(HFP, p. 216).

C'est donc en toute infidClitC aux injonctions humiennes que l'on chercherait B donner une <( solution ),au problkme de I'induction, ou

B

analyser ses arguments h la lumikre des tra- vaux plus rkcents sur les probabilitCs. Mais ce serait aussi prolonger la voie encore vierge de son naturalisme. W. Salmon a donnd une allalyse de I'argument dm << dessein ),(design) dans Ies Dialogues sur la religion naturelle, qui s'inspire de la rkgle bayksienne des probabilitCs inverses. On peut reconstruire l'ar- gument de Philon colnme Ctablissant que la probabilitC que quelque chose vienne

B

l'existence et exhibe un ordre r6vClant

(35) P 89 sq. CE. GARXAP, Logical fotlndations o f probability, Univer- sity of Chicago, 1950.

(36) La thkorie subjectiviste et (( bayksienne )> a surtout Btb develop- pCe par De Finetti, Savage. Mais les concepts fondamentaux sont chez Ramsey (Trtlih and probability, in Fornndatons, op. cit.). Sur ces points, cf. J. LARGEAULT, Nasards, probabilite's, indr~ctions, UniversitC de Toulouse, 1979, et P. SUPEES, Lrlgiq~ie du prohable, Flammasion, 1381.

L'hostilitC de Popper a la doctrine subjectiviste des probabilitks est connue. I1 les trouve irrationnelles Mais si l'on con~oit l'a infCrence bayCsienne >> ( ~ u i rend compte d'une relation entre la probabilitk a priori attribuke B un CvCnement ou une proposition, et la probabilitC a poste- riori aprks observation), comme une thkorie (diffCrente de celle de Carnap) du raisonnement inductif, alors on a des c raisons D d'&tre justifiC par ce type de raisonnement. Mais pour un popperien, la notion de croyance est elle-m&me inutile, encore plus celle de degr6 de croyance. Qui est I5rrationaliste dans tout cela? Cf. J. LARGEAUZT, N BayCsianisme et induc- tion ,,, in Critiques et con?reversss, op. tit., p. 62.

(18)

a raison de chercher chez lui la source de ce qu'il appelle son

cc athdisme expkrimental D.

4. ACTIONS, PASSIONS ET CAUSES

D'une certaine mani&re, le scepticisme et l'anti-rationalisme de Hume en thkorie de la connaissance infectent sa conception des actions : il semblerait que nous soyons =id& par nos pas- sions et nos instincts parce qu'il n'y a pas de causes de notre comportement. Mais rien n'est plus CloignC de la position rdelle de Hume B ce sujet. I1 donne une analyse causale des actions humaines, mais encore en termes d9t~niforrnltC et de rCgularitds :

a Tout le a o n d e reconnait qu'il y a beaucoup dluniformitC dans les actions humaines, dans toutes les nations et B toutes les kpoques, et que la nature humaine reste toujours la mCme dans ses principes et ses opCrations. Les memes motifs produisent toujours les mCmes actions, les ni&mes CvCnements suivent des m h e s ,causes. 2 (Enqt~z^te sciv I'enten- dement hunzain, p. 131.) (35)

Mais bien souvent ses explications en appellent encore B la coutume, aux tendances. Cela a conduit de nombreux lec- teurs B nkgliger Zes analyses du livre 11 du Traite', qui, il est vrai, ne reparaitront pas dans IIEuzqtr&te, ek seront dans 1'Elzqu6te sur Zes principes de la rnovale rnis au second plan. Et pourtant 19analyse humienne des passions est I'une des plus intkressantes qui soient. Donald Davidson a donne un expos6 de la thCorie de l'orgueil de Hume qui ne c( prCtend pas Gtre ce que Hume a vraiment dit, mais ce qu'il aurait dfi vouloir dire B (39). Mais c'est ce genre d'entreprises qui permettent la Secture vivante d'km auteur du passC.

Davidson a lui-meme proposC une thkorie causale des actions, et soutenu que les explications des actions nlCtaient pas en gknCral des explications par les motifs ou 'les raisons,

(37) W. S.~LMON, <( Religion and science, a new look at Hume's dia- logues D, PZzilosophicnl Sttidies, 1978

(38) Cf. le passage saisissant, p. 439, du prisonnier condamn6 B 1'Ccha- faud : << Son esprit parcourt une certaine suite d'idCes : le refus des soldats

B consentir son Cvasion; I'action du bourreau; la skparation de sa t&te et de son corps ; 1'Ccoulement du sang; les mouvements convulsifs et la mort. 11 y a 1% un enchatnement de causes naturelles et d'actions volon- taires li6es les unes aux autres, et I'esprit ne sent pas de diffCrence quand il passe d'un cha2non B un autl-e. s

(39) D. DAVIDSON, a Hume's cognitive theory of prides, in Essays on actions and events, p. 277 sq.

(19)

mais des explications par les causes (op. cit.). Certes Hume cornme B son habitude commence par nous dire que I'orgueil n'est qu'une cr qualit6 ressentie ),, cc une impression simple et uniforme 8. Mais il n'y a pas de doute

B

avoir quant au caractkre causal de sa description :

G Mous devons Ctablir une distinction entre la cause et l'objet et ces passions (orgueil et humilitC) ; entre I'idCe qui les excite et celle vers laquelle elles dirigent leurs vues quand on les excite. AussitBt qu'on les kveille, I'orgueil et I'humilitC tournent notre attention vers nous-m&mes qtl'ils considerent comme leur objet ultime et final ; mais I1 faut quelque de plus pour les Cveiller : quelque chose qui soit particulier B chacime des passions et qui ne les produisc pas toutes deux au m&me degrk exac- tement. La premihe idCe qui se prCsente B l'esprit est celle de la cause, du principe productif. Celui-ci excite la passion qui y est like : cette passion, une fois excitCe, tourne notre vue vers une autre idCe qui est celle du moi. Voila donc une passion placCe entre deux idCes dont l'une la produit et I'autre est produit par elle. La premikre idCe reprCsente donc la cause, la seconde I'objet de la passion. )> (Traiti, 11, p 377.)

Davidson explicite le inCcanisme ainsi. Soit un individu qui est fier d'avoir une belle maison. Hume ne dit pas, comme Davidson (Actions, reasons and causes, op. cit.) que sa croyance qu'il a une belle maison est la cause de son orgueil, ou qu'il est fier parce qu'il croit qu'il a une belle maison. Ce serait sup- poser chez lui une th6orie propositionnelle de la croyance dont nous avons vu qu'il ne la soutient pas. Hume pasle plus souvent de l'homme qui est fier de sa maison. Mais sa th6orie causale est bien 18. La cause de I'orgueil est une conjonction de I'ide'e d'une maison, et d'une quaZitt (la beautC). La qualit6 cause la passion skpar6e et agrkable, qui sous la condition apprspsike cause (par association) la passion semblablement agr6able d'orgueil ou de fiertC. La passion d'orgueil elle-mCme cause toujours l'apparition de I'idke du moi, et cette id&e doit &tre relike (causalement, par association) 8 I'idCe de l'objet (la maison) sur lequel la qualit6 est plade. En bref :

c La cause, qui excite la passion (l'orgueil), est reliCe B l'objet (le moi) que la nature a atiribuC B la passion: la sensation, que la cause produit sCparCment, est relike B la sensation de la passion : cette double relation d'idCes et d'impressions produit la passion. D (Tuaitd, 11, p. 386) (40)

La relation causale, selon Davidson, a pour Ccho une rela- tion logique. Hume considkre comme Cquivalents I'approbation et le jugement de m6rite portks sur un individu. L'orgueil est I'approbation de soi, et peut s'exprimer comme un jugement (40) DAVIDSON, op. cit., p. 282. L'exemple de I'homme B la maison est celui de Nume (p. 388).

Références

Documents relatifs

Les Bretons, pris dans un rapport de domination à la fois social (pas de perspective d’ascension sociale pour les locuteurs du breton) et idéologique (le français, langue

130.. Faire par tie de tel les expo si tions signi fie une con sé cra tion pour l’artis te mais aussi pour le milieu artis ti que qui le sou tient ou d’où il est issu. Dans

« vacances », de rappeler avec Pieper que c’est en développant dans nos sociétés le véritable sens de la fête et des loisirs qu’on pourra retrouver le juste sens du travail et,

démontrer que sans cette conception de l’action syndicale, c’était l’application du plan initial du PDG de Moulinex avec 800 licenciem ents supplémentaires ; c’était

Ces moments de vie intense dans la classe sont des moments passionnants pour le maître (leur récit ne peut refléter leur

prenaient conscience de ce devoir moral, notre coopérative pourrait alors assumer son rôle en toute indépendance et réduire au strict minimum les compromis,

D’une part, en effet, nous sommes constamment conscients de nous-mêmes, et donc si le moi causait l’orgueil nous serions toujours émus de cette passion, ce qui est manifestement faux

• Si on observe au microscope de minces tranches transparentes d’un être vivant, on constate que l’on retrouve des éléments comparables:... • Les êtres