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Le droit de négocier ou d'adhérer à une convention collective de travail

AUBERT, Gabriel

AUBERT, Gabriel. Le droit de négocier ou d'adhérer à une convention collective de travail. In:

Corboz, Bernard. Mélanges Robert Patry. Lausanne : Payot, 1988. p. 21-39

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:14292

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à une convention collective de travail

1. Introduction

par Gabriel Aubert professeur à l'Université de Genève

1. Le 20 janvier 1987, le Tribunal fédéral rendait un arrêt reconnaissant à une organisation syndicale représentative le droit d'adhérer à une convention collective signée par un employeur avec une autre organisation syndicale '. Cet arrêt a suscité de vives critiques aussi bien dans les milieux syndicaux que dans les milieux patronaux. Il paraît donc utile d'en scruter les fondements, pour mesurer la portée de la nouvelle jurisprudence.

La question de savoir si un syndîcat peut exiger d'être admis comme partie à une convention collective existante se trouve liée à un autre problème: celui de déterminer si un syndicat peut faire valoir un droit de négocier une convention collective avec tel employeur ou telle organisation d'employeurs. Ce problème a été abordé le 27 mars 1985 par la Cour d'appel du Canton de Berne, dans un arrêt qui mérite aussi un examen attentif'.

Cette brève étude de droit du travail semblera peut-être hors de propos dans la partie des présents mélanges consacrée au droit commercial et bancaire: il s'imposait néanmoins de rendre hom- mage à l'activité déployée par le récipiendaire dans les tribunaux arbitraux institués par les conventions collectives de l'industrie des machines et de l'industrie horlogèr~.

, ATF 113 1137 _ JT 1987 1 471. ci-après: arrêt FTMH.

2 Jahrbuch des Schweizerischen Arbeitsrechts (ci-après JAR) 1986, p. 208.

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2. Rappelons tout d'abord quelques faits qui permettront de mieux comprendre les difficultés à l'origine des deux arrêts rendus récemment par le Tribunal fédéral et par la Cour d'appel bernoise.

Le mouvement syndical suisse se caractérise par le pluralisme, du point de vue idéologique ou confessionnel, d'une part, et, d'autre part, du point de vue professionnel'.

Du point de vue idéologique ou confessionnel, on discerne trois tendances: d'abord, le courant socialiste, représenté par la plus importante des confédérations, l'Union syndicale suisse, qui regroupait en 1986 441.196 salariés; puis le courant chrétien-social, représenté par la Confédération des syndicats chrétiens de la Suisse, qui s'appuyait en 1986 sur 105.716 salariés; enfin, le cou- rant radical (ou bourgeois), représenté par l'Union suisse des syn- dicats autonomes, qui rassemblait en 198622.162 salariés'. Le cou- rant chrétien-social révèle une grande diversité: il a absorbé en 1982 une association protestante (l'Association suisse des salariés évangéliques, enregistrant 3.789 membres)'; sa couleur idéologi- que varie selon les sections, qui sont tantôt moins à gauche, tantôt plus à gauche que les fédérations réunies au sein de l'Union syndi- cale.

Du point de vue professionnei, on distingue les organisations d'employés d'avec celles d'ouvriers. La Fédération des sociétés suisses d'employés, forte de 147.920 membres en 1986, place notamment sous son égide les «cols blancs» d'industries dont les

«cols bleus» sont enrôlés par les fédérations de l'Union syndicale'.

Toutefois, même celles de ces fédérations qui sont restées long- temps typiquement ouvrières s'efforcent aussi de recruter les employés occupés dans leurs branches. C'est le cas du Syndicat du bâtiment et du bois (autrefois Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment, qui a conservé son sigle FOBB) et de la Fédération des travailleurs de la métallurgie et de l'horlogerie (autrefois Fédéra- tion des ouvriers sur métaux et horlogers, dont le sigle FOMH est devenu FTMH), qui défendent la notion de syndicat d'industrie, ouvert aussi bien aux employés qu'aux ouvriers.

Du côté des employeurs, on n'observe évidemment pas les même clivages. Les organisations patronales sont beaucoup plus homogènes. Dans certaines branches, toutefois, apparaissent des associations dissidentes, regroupant par exemple de petites entre-

] Cf. l'analyse classique de Meynaud. J .. Les organisations professionnelles en SUÎsse. Lausanne 1963, p. 37 55.; nous n'envisageons ici que le secteur privé.

4 Anderegg, H., L'évolution des effectifs de l'Union syndicale en 1986. Revue syn- dical.suisse 1987, p. 146, 164-165.

, Anderegg, p. 165.

6 Anderegg, p. 164; la Fédération des sociétés suisses d'employés et l'Union syndi- cale entretiennent de relativement bons rapports.

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prises voulant échapper à la domination des grandes ou des employeurs mécontents de la gestion trop dispendieuse à leurs yeux de l'association majoritaire ou des caisses de compensation qui en dépendent.

Du pluralisme des organisations syndicales (et patronales) découlent naturellement des rivalités. Il y va de leurs options idéo- . logiques: les diverses organisations s'estiment chacune la mieux à

même de défendre efficacement ce qu'elles considèrent comme les intérêts de leur classe. Il y va également de préoccupations maté- rielles: lorsqu'elles se voient exclues de la négociation collective, les associations apparemment impuissantes perdent leur attrait, si bien que leur recrutement s'en trouve rendu plus difficile et que leurs ressources baissent.

3. Dans cette lutte entre organisations rivales, deux des moyens de pression fort utilisés dans le passé visaient directement les tra- vailleurs pris individuellement. Lors de la signature des conven- tions collectives, le syndicat dominant s'efforçait d'obtenir des employeurs que ces derniers s'engagent à ne conserver ou à ne prendre à leur service que ses propres membres, de sorte que les ouvriers appartenant à un autre syndicat se trouvaient pratique- ment contraints d'abandonner celui-ci s'ils entendaient garder ou' obtenir un emploi auprès d'un employeur lié par un tel accord (contrainte d'adhésion au syndicat, Verbandszwang). Dans d'autres cas, les parties à la convention collective prévoyaient que les tra- vailleurs non membres du syndicat signataire devaient respecter la convention collective (contrainte de soumission à la convention, Vertragszwang) et acquitter, pour pouvoir conserver ou obtenir un emploi auprès d'un employeur lié, une contribution dite de solida- rité d'un montant élevé; cette contribution, s'ajoutant à la cotisa- tion payée par l'ouvrier à son syndicat non signataire, pouvait représenter pour lui une charge si lourde qu'il était naturellement conduit à quitter son organisation pour adhérer au syndicat domi- nant.

Les syndicats indirectement victimes de tels moyens de pression ont contesté la licéité de ces derniers. C'est la jurisprudence qui a tranché, en 1948 et 1949. Les accords du premier type (Verbands- zwang) furent déclarés illicites. En revanche, les accords du second type (Vertragszwang) furent considérés comme licites, pourvu que la contribution de solidarité fût d'un montant suffisamment rai- sonnable pour ne pas dissuader les intéressés de rester au sein de leur syndicat 7.

7 ATF 74 li 158 - JT 1949 1301, Société dei. Viscose suisse SA; 75 li 305 - JT 19501162, Müller.

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Cette opinion se fonde sur les principes dégagés par le Tribunal fédéral en matière de boycottage. Selon la conception en vigueur à l'époque, les mesures destinées à contraindre une personne à adop- ter un certain comportement sont en soi licites et ne deviennent inadmissibles que si le but ou les moyens utilisés se révèlent contraires aux bonnes moeurs. Pour apprécier ce but et ces moyens, il faut prendre en considération, d'une part, la protection de la personnalité des salariés et de leurs organisations, dans le cadre de l'article 28 du code civil: la liberté d'association ou de coalition interdit les mesures ayant pour but de forcer un individu à adhérer à une association ou à la quitter. Il faut s'inspirer, d'autre part, des objectifs fondamentaux du droit collectif du tra- vail, qui requièrent l'assujettissement le plus large possible aux conventions existantes, pour éviter la sous-enchère des dissidents '.

Lors de la révision des dispositions sur la convention collective de travail en 1956, cette protection nuancée des dissidents, oeuvre du Tribunal fédéral, a été consacrée par le législateur, aux articles 356a et 356b du code des obligations. La loi a d'ailleurs précisé que les clauses contraignant les membres d'une organisation (syndicale ou patronale) à se soumettre à une convention collective en payant, le cas échéant, une contribution de solidarité, sont nulles lorsque cette organisation ne peut devenir partie à la convention ou conclure une convention analogue '.

4. La lutte entre organisations rivales prend encore d'autres formes que celles décrites ci-dessus. Ainsi, les organisations recon- nues comme parties aux conventions collectives de travail s'emploient souvent à tenir les autres à l'écart, qu'il s'agisse de l'adhésion à des conventions existantes ou de la conclusion de nouvelles conventions. Les exclus, au contraire, consacrent une bonne part de leur énergie à se faire admettre comme partenaires.

De la protection contre les mesures touchant directement les individus, il faut donc distinguer une autre protection: celle des organisations (syndicales ou patronales) contre des décisions uni- latérales ou des accords tendant à les empêcher de signer une convention collective existante ou de négocier la conclusion d'une nouvelle convention. Ce sont les deux questions que nous nous proposons d'étudier maintenant.

8 Cf. Berenstein, A .. Exclusivité syndicale et champ d'application des conventions collectives en Suisse, Revue internationale du travail, 196~ p. 169; Tschudi. H. P ..

Koalitionsfreibeit und Koalitionszwang, ROS 1948, p. 355 - Beitrige zum Arbeits- und Sozialrecht, Berne 1983, p. 207; Zllnetti, B .. Gewerkschaftsfreiheit und obligatorische Beitrage der nicht-organisierten Arbeitnehmer in der Schweiz, Recht der Arbeit1973, p. 77 - Arbeitsrecht und Sozialpolitik. Berne 1984, p. 219.

, Art. 356b al. 3 CO.

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II. Le droit d'adhérer à une convention collective existante

1. Comme le formule la maxime en tête de l"arrêt FTMH: «Les parties à une convention collective de travail ne peuvent invoquer l'autonomie de la volonté pour empêcher, sans intérêt légitime, un syndicat minoritaire suffisamment représentatif d'adhérer à la convention» ta. S'agit-il, comme le veulent certaines organisations majoritaires, d'une décision d'espèce sans portée véritable pour l'avenir ou, comme le pensent les minoritaires, d'un tournant signi- ficatif dont ils pourront tirer parti ? Pour bien comprendre le débat, il convient de retracer rapidement l"évolution de la matière.

2. Dans le cadre de l"ancienne jurisprudence, qui valait comme droit commun aussi bien sur le plan commercial que sur celui des relations collectives de travail, le boycottage était en principe licite; il ne devenait inadmissible que si le but ou les moyens utili- sés se révélaient contraires aux bonnes moeurs (!.

S'exprimant, dans cette perspective, sur la question du droit d'adhérer à une convention collective, les deux arrêts précités de 1948 et 1949 déclarent nettement que le principe de la liberté contractuelle doit d'une manière gènérale l"emporter sur tout autre: les organisations d'employeurs ou de travailleurs peuvent ainsi déterminer librement avec qui elles entendent contracter;

elles ont d'une manière générale le droit de refuser de contracter une convention même si elles sont d'accord avec leur interlocuteur sur le contenu de cette dernière".

Il sied de relever que cette opinion n'a été formulée qu'à titre d'obiter dictum. En effet, dans l'arrêt de 1948, le problème ne se posait pas, puisque le syndicat qui se prétendait exclu avait expres- sément refusé de prendre part aux pourparlers en vue de la conclu- sion de la convention collective Il. Dans celui de 1949, il ne surgis- sait pas non plus, puisque le syndicat majoritaire, signataire de la convention collective, avait expressément accepté l'adhésion des syndicats minoritaires suffisamment représentatifs 14.

Lors de la révision du titre dixième du code des obligations, en 1956, le législateur ne s'est pas prononcé explicitement. Il a certes

JO ATF 113 II 37 _ JTl987 [471.

Il Cf. Homburger, E. et Drolshammer. J., Schweizerisches Kanell· und Monopol . . recht, Berne 1981. p. 12555,146-148.

12 ATF 75 II 320 _ JT 1950 [ 181; cf. aussi ATF 74 II 161 - JT 1949 [307; ATF 113 II 40-41 - JT 1987 1 474-475.

Il ATF74 II 159 et 163-164 _ JT 1949 1 303 et 308.

14 ATF 75 II 324 et 328 _ JT 1950 1 179-180 et 182; ATF 113 II 41 - JT 1987 1 475.

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adopté l'article 356, alinéa 4, qui prévoit: «Lorsque plusieurs asso- ciations d'employeurs ou de travailleurs sont liées par la conven- tion, soit pour avoir pris part à sa conclusion, soit pour y avoir adhéré ultérieurement avec le consentement des parties, elles ont les unes envers les autres les mêmes droits et obligations; tout accord contraire est nu!». On pourrait déduire a contrario que l'adhésion d'une organisation à la convention suppose dans tous les cas le consentement des parties. Comme le relève toutefois le Tribunal fédéral dans l'arrêt FTMH, telle ne paraît pas avoir été la volonté des auteurs du texte. Le Conseil fédéral lui-même, qui avait pro- posé ce libellé", a déclaré se garder de réglementer en détail la protection des associations minoritaires. II a laissé cette mission au juge «notamment parce que la matière est encore trop mou- vante» ", en précisant: «On peut d'ailleurs s'attendre que, par suite d'une modification d~ la jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de boycott, les tribunaux apprécieront d'après une nou- velle optique les procédés utilisés par les associations et présentant quelque analogie avec le boycott» ". La lecture des débats parle- mentaires (fort vigoureux) ne permet pas de penser que les Cham- bres émirent un avis contraire, encore que \' opinion ait été claire- ment exprimée par un député (le rapporteur de langue française), qu'un droit à l'adhésion n'était pas envisagé ".

Ici intervient le fameux arrêt Giesbrecht c. Vertglas, de 1960, dans lequel le Tribunal fédéral renversa sa jurisprudence sur le

IS FF 1954 1 18!.

,. FF 19541 14!.

" FF 19541 140: cf. ATF 113 1 41 - JT 1987 1 475.

18 BOeN 1954, p. 61: comparer ATF 113 II 45 - JT 1987 1478.

" ATF 86 II 378 - JT 19611175 (Giesbrecht).

20 S'agissant de cet aspect des relations de travail que constituent les luttes entre organisations rivales. au sein même du camp patronal ou syndical, le problème de l'application de la jUrisprudence Giesbrecht n'a guère retenu l'attention de la doctrine. Seul Morand le traite brièvement, en faveur de cette application (Morand. C.·A .. La libené syndicale des salariés en Suisse, in Die Koalitionsfrei·

heit des Arbeitnehmers, Berlin 1980, p. 833). Vischer et Mathys se bornent à sou·

lever la question (Vischer, F., ZUt Stellung der Mehrheits· und der Minderheits- gewerkschaft im GesamtarbeilSvertragsrecht, in Festgabe zum Schw. Juristenrag.

Bâle 1963~ p. 291, note 5; Mathys, P .. Das Verhàltnis zwischen Kartellrecht und kollelctivem Arbeitsre<:ht. Bâle 1969, p. 84-85). Hug. FUr/.,. Nobel et StOckli ne l'ont pas considérée (Hug,

w..

Koalitionsfreiheit und Tarifautonomie ais Pro- bleme der modemen schweizerischen Demokratie, Berlin, Reihe zur «lntematio- nalen Tagung der Sozialakademie Dortmund», 1967, p. 19; Furte" R., Kollek- lives Arbeitsrecht und Winschaftsre<:ht. Berne 1982" p. 48-50: Nobel, P .• Kartell·

rechl und Arbeitsmarkt. SAS 1979, p. 58·59: Stockii. J.-F.. SChulZ gegen koali- tionsfeindliche Massnahmen, in Ekonomi. M. et Rehbinder. M. (éd.), Gegenwans- probleme der Koalitionsfreiheit, Berne 1979, p. 57).

21 Art. 1 et 4 LCart 1962, art. 1 al. 2 el 6 LCart 1985, R.S. 251: Furter. p. 42: Mathys.

p.30.

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boycottage: ce dernier est désormais considéré comme illicite, sauf si l'auteur défend des intérêts légitimes manifestement prépondé- rants, qu'il ne peut sauvegarder d'aucune autre manière; dans ce cas, c'est à lui qu'incombe la preuve des motifs justifiant la légiti- mité du boycottage 19,

Surgissait donc le problème de savoir si le renversement opéré par cet arrêt Giesbrecht valait non seulement sur le plan commer- cial, mais aussi sur celui des relations de travail", Notons d'ail- leurs que si la nouvelle jurisprudence fut entérinée par la loi fédé- rale sur les cartels et organisations analogues, dans ses versions de 1962 et 1985, ce texte ne s'applique qu'au marché des biens et des services, à l'exclusion du marché du travail",

3, S'agissant des relations de travail, le Tribunal fédéral a bel et bien opté pour la mise en oeuvre de la jurisprudence Giesbrecht,

C'est la Cour de cassation pénale qui a commencé, en 1975, s'agissant du boycottage d'un maître-boucher par un comité d'apprentis: l'illicéité de ce boycottage a été expressément établie à la lumière des nouvelles maximes",

Bien qu'implicitement, la Première Cour civile, dans l'arrêt Eschler- Urania sur le droit de grève, est allée en 1985 dans la même direction: n'a-t-elle pas posé que la grève est illégitime a priori, sauf si elle satisfait à des conditions particulières touchant son but (la réglementation de conditions de travail par une convention col- lective) et ses moyens (conduite de la grève par une organisation capable de conclure une telle convention, respect de la règle de la proportionnalité et de l'obligation de paix)"?

Et dans l'arrêt FTMH (dont c'est un des principaux enseigne- ments), le Tribunal fédéral s'est prononcé pour l'application de la nouvelle jurisprudence sur le boycottage au refus d'admettre un syndicat représentatif et loyal comme partie à une convention collective existante, Déclarant en principe illicite un tel refus, la Première Cour civile s'est explicitement inspirée de l'arrêt

" ATF lOI IV 302 - JT 1976 IV 140, avec référence à l'arrêt Giesbrecht,

2J ATF III Il 257-258 - JT 1986 1 15, Quant à la Deuxième cour de droit public, elle a adopté. la même année, une attiwde moins claire: examinant les effets d'une grève dans le secteur public, elle a déclaré que les mesures de lune sont en principe licites (arrêt du 25 octobre t 985, C. et autres c. Conseil d'Etat du canton du Tessin. consid. 3 h), mais a fondé Cette observation sur l'arrêt Giesbrt'cht (qui dit le contraire) et sur trois décisions antérieures, dont l'une (ATF 86 Il 374) concerne le domaine commercial et se trouve par conséquent dépassée par l'arrêt Giesbrecht et les deux autres (ATF 82 Il 315 - JT 1957 1217; 69 Il 82 - JT 1943 [ 510) touchent le droit du travail; on ne peut donc pas dire que la Cour ait vraiment examiné quels effets la nouvelle jurisprudence a déployés dans ce dernier domaine.

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Giesbrecht24 Elle souligne d'ailleurs le rôle de cette décision en droit collectif du travail, rappelant la perspective annoncée par le Conseil fédéral dans son message précité de 1954".

Ainsi, l'auteur du refus est tenu de faire valoir des motifs pré- pondérants pour rendre ce dernier légitime; ces motifs doivent l'emporter sur la valeur éminente de la liberté de coalition (qui protège les organisations professionnelles et leurs membres contre les manoeuvres ayant pour objet de réduire les premières à l'impuissance afin d'inciter les seconds à les quitter) et sur les buts fondamentaux du droit collectif du travail (c'est-à-dire l'assujettis- sement à la convention collective du plus grand nombre possible de travailleurs et d'employeurs)". C'est en invoquant l'autorité du professeur Vischer que le Tribunal fédéral a souligné l'importance, dans ce contexte, des droits de la personnalité des salariés et de leurs associations ".

4. Illicite en principe, le refus d'adhésion d'une organisation syndicale ou patronale à une convention collective de travail exis- tante n'est licite que dans des situations particulières. Ces dernières peuvent toucher sa représentativité ou sa loyauté.

Le droit d'adhérer n'est pas reconnu aux associations trop fai- bles numériquement. Cependant, pour mesurer la représentativité d'une organisation, il y a lieu de tenir compte du nombre de ses adhérents non seulement dans l'entreprise, mais aussi sur un plan plus large, soit cantonal (voire intercantonal) ou fédéral. Les grandes centrales syndicales bénéficient donc d'un avantage de ce point de vue. La jurisprudence n'est pas trés exigeante. Elle laisse au juge un grand pouvoir d'appréciation de chaque cas particulier:

a ainsi été reconnue comme représentative dans deux entreprises la section tessinoise de la FTMH, qui comptait 7 % des ouvriers parmi ses membres".

D'autre part, l'organisation désireuse d'adhérer doit se révéler loyale. Il faut qu'elle accepte de respecter toutes les obligations découlant de la convention. Il lui incombe en outre d'adopter,

24 ATF 113 II 42 et 45 - JT 1987 1 476 et 478 (la référence ne figure malheureuse- ment pas dans l'excellente traduction du Journal des Tribunaux, p. 478).

" FF 1954 1 140.

2. ATF 113 II 45 _ JT 1987 1 478.

" ATF 113 II 43-44 - JT 1987 1477; VIScher. F .• Zur Stellung •..• p. 294-295; VIS- cher. F .. Zum Gesamtarbeitsvertrag in der schweizerischen Wirtschaftsordnung.

in Freiheit und Verantwortung im Recht, Festschrift zum 60. Geburtstag von A.

. Meier·Hayoz. Berne 1982, p. 411-412; Vischer. F.. Gesamtarheitsvertrag und Normalarbeitsvertrag (Art. 356-360 OR). in Das Obligationenrecht, Kommentar zum Schweizerischen Zivilgesetzbuch. Zurich 1983, n° 18 ad Art. 356a.

28 ATF 113 II 46-48 _ JT 19871479-481.

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d'une manière générale, une attitude conciliable avec celle qu'on est en droit d'attendre d'une partie signataire; elle ne saurait béné- licier du droit d'adhésion si elle se comporte comme un interlocu- teur incorrect ou querelleur, si elle rend difficile l'entente avec les autres partenaires sociaux ou si elle fait obstacle aux négociations de renouvellement de la convention 29.

5. Ainsi, le raisonnement du Tribunal fédéral n'a rien de vérita- blement surprenant. Poursuivant l'application, en droit collectif du travail, des principes de l'arrêt Giesbrecht, il éclaire d'une lumière nouvelle la démarche même que nous avons rencontrée dans la jurisprudence antérieure'·.

Si la haute juridiction donne un poids accru aux buts fonda- mentaux des conventions collectives, c'est que, depuis la lin des années quarante, celles-ci se sont fortement développées et jouent un rôle essentiel dans notre «Arbeitsverfassung»31. L'élargisse- ment de leur champ d'application les renforce, puisqu'il réduit le risque de sous-enchère par des employeurs oU des travailleurs non liés. Il favorise aussi le contrôle de leur mise en oeuvre par un plus grand nombre d'organisations syndicales ou patronales.

Et si le Tribunal fédéral confère une portée déterminante à la liberté de coalition, c'est que, au cours des dernières décennies, notre vie politique et sociale s'est tout entière construite sur le plu- ralisme. Ainsi, en dépit du mode d'élection majoritaire, le gouver- nement fédéral (depuis près de trente ans) et les gouvernements cantonaux (depuis plus longtemps encore) accueillent en leur sein des représentants de toutes les tendances idéologiques et confes- sionnelles importantes. Dans les nombreuses commissions offi- cielles où siègent des syndicalistes, place est faite aux minorités".

Il saute dès lors aux yeux que le refus du droit d'adhésion, opposé aux organisations représentatives et loyales, cadrerait mal avec les principes fondamentaux qui inspirent le fonctionnement de nos institutions. On comprendrait d'autant moins un tel refus que les conveniions collectives, en raison de leur effet normatif, s'appa- rentent à la loi 33: l'Etat pluraliste déléguerait-il l'exercice d'une

29 ATF 113 1148 - lT 1987 [481.

30 cr. notes 7 et 8 supra.

)( Gygi. F.. Wirtschaftsverfassungsrecht. Berne 1981, p. 170: Schluep. W.'R.. Veber- bordungsgefahren von Arbeitskonflikten in unserer Zeit. in Zum Wirtschaft- recht. Eine Sammlung von Aufsiltzen, Berne 1978, 180-181: Aubert. G .. L·obliga.

tion de paix du travail. étude de droit suisse et comparé,. Genève 1981. p. 175.

12 Delley. J.-D. et Mo,.and. C.-A .. Rôle et statut constitutionnel des centrales syndi- cales en Suisse. in Recueil des travaux suisses présentés au Xème Congrès inter- national de droit comparé, Bâle 1979, p. 182.

33 Art. 357 CO: Vischer, n' 12 ad Art. 356.

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compétence quasi-législative à des associations désireuses d'exclure, voire d'écraser les minorités?

6. L'organisation adhérente doit-elle être admise gratuitement ou peut-elle se voir imposer le paiement d'une contribution aux frais de conclusion (activité des permanents des organisations:

indemnités versées aux travailleurs, voire aux employeurs mem- bres des délégations de négociation: déplacements et secrétariat) ? A notre avis, si elle a été indûment exclue des négociations, l'orga- nisation intéressée ne saurait être astreinte à une telle contribution:

il serait inéquitable d'exiger d'elle qu'elle aide des organisations qui l'auraient tenue à l'écart. En revanche, si elle n'a pas voulu participer aux négociations ou si sa participation a été refusée pour des motifs justifiés (représentativité insuffisante au moment des pourparlers, attitude déloyale), rien ne s'oppose à ce qu'elle doive apporter son écot en vue de la couverture des coûts. Au sur- plus, toutes les parties à la convention doivent contribuer égale- ment (c'est-à-dire proportionnellement) aux frais de l'exécution3'.

7. On rencontre dans la pratique des accords au moyen des- quels les parties à la convention collective s'interdisent de contrac- ter avec des associations tierces. Dans la mesure où ils visent des organisations loyales et représentatives, ces accords se heurtent au droit d'adhésion de ces dernières, tel que l'a reconnu l'arrêt

FTMH. Ils sont dès lors nuls".

8. Dans l'affaire FTMH, seule la partie patronale s'était oppo- sée à l'adhésion de ce syndicat à la convention collective de travail existante: le syndicat signataire avait donné son consentement. Le Tribunal fédéral a donc laissé ouverte la question de savoir si, en cas d'opposition de ce dernier, la FTMH aurait aussi pu demander l'adhésion à la convention existante ou si elle eût dû se contenter de la conclusion d'une convention parallèle avec les deux employeurs en cause 3 ••

Vischer paraît d'avis que la possibilité de conclure une conven- tion parallèle identique suffit à sauvegarder les intérêts personnels

34 Art. 356 al. 4 CO; FF 19541 157; E. SchweingruberlF. W. Bigler. Kommentar zum Gesamtarbeitsvertrag. Berne 1985. p. 47; Vischer, na 58 ad Art. 356.

35 Question laissée ouverte in FF 1954 1 141 et dans une sentence du Tribunal arbi~

tral suisse du bâtiment, du 22 mars 1966, p. 12 (non publiée); de cet avis: Vischer.

Zur Stellung ...• p. 294; Vischer. nQ 18 ad Art. 356a: Rehbinder. Schweizerisches Arbeitsrecht,. p. t 5 t; Hug, W .. Die Gesetzgebung über den Gesa.mtarbeitsvenrag und dessen Allgemeinverbindlichkeit. WuR 1954, p. 138-139; contra: Schwein·

gruberlBigler. p. 45.

3. ATF 113 1139 _ JT 1987 1473.

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de l'organisation syndicale ou patronale non signataire de la convention initiale; cet auteur souligne néanmoins qu'un tel traite- ment équivaudrait à une discrimination de cette organisation dont celle-ci souffrirait vis-à-vis de ses membres; aussi bien s'agit-il d'une solution minimum, l'adhésion à la convention existante paraissant plus conforme au respect de ses droits fondamentaux ".

Schweingruber, pour sa part, estime au contraire que la conclusion d'une convention parallèle par l'un des signataires de la conven- tion initiale contreviendrait au sens et au but de cette dernière;

selon lui, il serait impossible de se représenter, en pratique, la mise en oeuvre de deux conventions concurrentes instituant chacune sa commission paritaire et ses propres caisses de compensation 38.

Si le refus de conclure avec une organisation patronale ou syn- dicale loyale et représentative constitue en soi une forme du boy- cottage (et se trouve frappée, de ce fait, par une présomption d'iIIi- céité), on voit mal en quoi le renvoi à signer une convention paral- lèle (qui est aussi un refus de conclure) perdrait son caractère illi- cite; il s'agirait d'une marque d'ostracisme d'autant plus inadmissi- ble que les conditions de travail prévues par les deux textes seraient identiques.

De plus, supposé que deux conventions parallèles instituent deux commissions paritaires distinctes, en vue du contrôle de l'application des mêmes conditions de travail, il en résulterait un risque de divergences préjudiciable à cette application uniforme;

le jeu des rivalités s'en trouverait facilité; quant à l'employeur, il consacrerait le double de son temps au fonctionnement de la parti- cipation, ce qui n'irait pas sans causer des frais supplémentaires inutiles (à moins qu'il n'en profite pour diviser ses partenaires).

Supposé au contraire que seule une des conventions crée une com- mission paritaire, dont les membres du syndicat partie à l'autre convention seraient exclus, le principe de l'égalité (proportion- nelle) entre les associations contractantes se trouverait violé J ••

Ainsi, la solution consistant à renvoyer l'organisation minori- taire à signer une convention parallèle doit être écartée au profit de l'adhésion à la convention existante.

Il faut admettre en revanche que la présence de plusieurs caisses de compensation dépendant d'organisations différentes,

31 Vischer, Zum Gesamtarbeitsvertrag ... , p. 412; VIScher, n° 19 ad Art. 356a et n" 5 ad ArL 3560.'

38 SchweingruberjBigler, p. 4748.

39 Cf. art. 356 al. 4 CO et note 34 supra; certes, dans les prévisions de cette disposi- tion. l'égalité n'est garantie qu'aux parties à la même convention collective; le but fondamental de la loi ne saurait toutefois être éludé par un moyen de pure . forme. soit la signature de deux textes parallèles presque identiques.

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mais assurant des prestations identiques prévues par une seule convention collective peut· offrir des avantages. Selon leur mode de gestion, ces caisses mettent à la charge des intéressés des frais plus ou moins importants ;en vue de la limitation de ces frais, une certaine concurrence entre elles se révèle bénéfique. En outre, les rapports pécuniaires entre les caisses et leurs organisations ne sont pas toujours clairs; à cet égard encore la pression de la concur- rencejoue un rôle salutaire. Sauf si (en raison de difficultés parti- culières) la solidité financière de l'institution requiert l'affiliation de toutes les personnes assujetties à la convention collective, la coexistence de plusieurs caisses n'entraîne pas d'inconvénient sérieux: ce qui compte avant tout, ce n'est pas de savoir qui verse les prestations, mais d'être certain que les bénéficiaires les tou- chent; les caisses de compensation ne sont pas faites pour les orga- nisations patronales ou syndicales, mais pour le bien-être des sala- riés 40.

Dans la pratique, à notre connaissance, lorsqu'ont été signées deux conventions collectives parallèles, les parties ne mettent pas sur pied des commissions paritaires distinctes, sur la base des diffé- rentes conventions, au sein de chaque entreprise. En revanche, il arrive que des conventions collectives déterminent des prestations fournies, en fait, par des caisses différentes.

III. L'obligation de négocier

1. Il résulte de ce qui précède que les parties à une convention collective ont l'obligation d'admettre parmi elles (c'est-à-dire de conclure avec) les organisations représentatives et loyales.

Ces organisations peuvent-elles faire valoir un droit de négo- . cier, qu'il s'agisse d'entamer ab ovo des négociations ou de partici- per à des négociations se déroulant entre d'autres partenaires?

L'arrêt FTMH laisse expressément cette question ouverte".

Aux fins de la présente réflexion, le droit de négocier comporte que les interlocuteurs se rencontrent, que la partie demanderesse expose ses revendications, que l'autre partie écoute ces dernières, les examine et prenne position. Les règles de la bonne foi comman- dent que les interlocuteurs n'allèguent pas de faits faux et ne recourent pas à des manoeuvres dilatoires. Une fois ces étapes franchies, la négociation est terminée. Chaque partie reste libre de conclure une convention ou de maintenir le statu quo (sous réserve, évidemment, du droit des organisations représentatives et loyales d'adhérer à une convention existante).

40 JAAC 35 (1970·1971), p. 44.

41 ATF113II38 _ JT 1987 1 472.

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2. Se fondant sur le principe de la liberté contractuelle, le Tri- bunal fédéral a déclaré en 1948 qu'aucune association ne peut pré- tendre à un droit de participer à des négociations collectives ". La Cour d'appel de Berne, en 1985, lui a emboîté le pas". Schweingru- ber s'en tient à cette opinion traditionnelle". Vischer, en revanche, admet l'existence d'une obligation de négocier avec les syndicats suffisamment représentatifs's.

A vrai dire, dans l'arrêt rendu par le Tribunal fédéral en 1948, le problème de l'obligation de négocier ne se posait pas, car le syn- dicat dissident avait lui-même volontairement refusé de prendre part aux pourparlers en cause 46.

De plus, dans cette décision même, la haute juridiction a mar- qué que la liberté de refuser de négocier trouve ses limites dans les buts fondamentaux du droit collectif du travail: «En reconnaissant les organisations ouvrières comme parties contractantes, la loi a voulu compenser la supériorité économique du patronat et oppo- ser à celui-ci, lors de la fixation des conditions de travail, un parte- naire qui puisse discuter et traiter avec lui d'égal à égal et soit aussi fort non seulement en droit mais aussi en fait. L'employeur ou l'organisation patronale qui refuserait, sans aucun motif raisonna- ble, d'entrer en discussion avec une organisation ouvrière en vue de la conclusion d'un contrat collectif dans l'intention évidente d'affaiblir la situation des ouvriers et de se procurer de cette façon un avantage pour lui-même commettrait un acte illicite et contraire aux moeurs parce que son attitude aurait pour effet de priver les ouvriers de la protection voulue par la loi et irait à l'encontre _d'une des idées fondamentales de la législation sur le contrat col-

lectif de travail» ". Le Tribunal fédéral a pris le soin de rappeler expressément ce principe dans l'arrêt FTMH48.

Et surtout, on relèvera que, dans l'arrêt 1948, le Tribunal fédé- ral a justifié la liberté du refus de négocier en se fondant sur ce qu'il tenait pour une conséquence inacceptable: selon lui, l'obliga- tion de négocier risquait de déboucher sur l'obligation de conclure si les deux parties à la négociation tombaient d'accord; or, une telle contrainte ne serait pas admise en droit suisse". L'arrêt

42 ATF 74 II 161 _ JT 19491306.

"' JAR 1986, p. 210-211.

44 SchweingruberjBigler. p. 42.

45 Vischer, 2 55 ad Art. 356c, not. 6; Vischer. F.. Zum Gesamtarbeitsvenrag. ..

p. 411414, nOL 412; cet auteur était plus réservé auparavant: Vucher, F., Zur SteIlung ... p. 295-296.

46 Cf. note 13 supra.

41 ATF 74 II 163 _ JT 1949 1307-308.

48 ATF 1 I31I 40 _ JT 19871474.

'9 ATF 74 II 162 _ JT 19491307.

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FTMH ébranle évidemment cette construction: le droit d'adhérer à une convention collective existante entraîne un devoir de conclure à la charge des parties à cette convention; l'obligation de contrac- ter existe donc dans certaines limites en droit positif.

3. Même s'il déclare ne pas résoudre la question, l'arrêt FTMH l'éclaire d'une lumi~re à notre avis déterminante. Le renversement de la perspective en matière de boycottage des organisations syndi- cales et patronales, fondé sur l'arrêt Giesbrecht. ne sauraît demeu- rer ici sans conséquence. L'illicéité du boycottage des organisa- tions syndicales ou patronales est aujourd'hui la règle, la licéité l'exception. S'il en résulte, sous certaînes conditions, le droit d'adhérer à une convention collective, il doit en découler égale- ment le droit de négOCier.

En effet, les intérêts en cause sont largement les mêmes, car le refus de négocier opposé par l'un ou l'autre des acteurs (employeur, organisation d'employeurs, organisation de salariés).

de manière indépendante ou conjointement, porte atteinte, comme le refus de l'adhésion d'une organisation représentative et loyale.

aux droits de la personnalité des protagonistes: d'une part, à ceux des travailleurs au libre exercice de leur activité économique 50 et au libre choix d'un syndicat 51; d'autre part, à ceux de l'organisa- tion syndicale ou patronale comme corporation de droit privé qui, victime d'un tel boycottage. serait menacée dans son existence par l'impossibilité d'accomplir sa fonction ". D'ailleurs, l'obligation de négocier, pour un employeur ou pour une organisation patronale ou syngicale, comporte une diminution de la liberté moins forte que celle d'admettre une organisation comme partie à une conven- tion.

Aux exigences découlant des droits de la personnalité s'ajoute la nécessité de respecter les objectifs fondamentaux du droit du travail, parmi lesquels le développement de la convention collee·

tive joue un rôle de premier plan comme facteur de protection sociale, de paix du travail et d'assainissement des conditions de concurrence entre entrepreneurs s'agissant du coût de la main d'oeuvre". Seule la négociation peut conduire à ce but.

L'obligation de négocier sur le plan du droit privé paraît d'aîl- leurs d'autant plus naturelle qu'elle existe sur le plan du droit

50 ATF 113 II 45 _ JT 1987 1 478. avec références. notamment à Tercier. P .. Le nouveau droit de la personnalité. Zurich 1984, p. 7 t s.

51 A TF 113 II 45 _ JT 1987 1 478. avec références, notamment à ATF III II 253.

" ATF 113 II 45 - JT 1987 1479. avec références.

53 Cf. note 31 supra. Voir aussi Vischer. Zum Gesamtarbeitsvertrag ...• p. 396 ss; Vis- cher. n° 13 ss ad Art. 356; Berensrein. A .. Switzerland, in I~temational Encyclo- paedia for Labour Law and Industrial Relations, Deventer 1984, p. 149.

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public fédéral et cantonal: le droit du travail, croissant simultané- ment sur ces deux plans, est du reste sensible à leur interdépen- dance".

Ainsi, dans son champ d'application, la loi fédérale concernant l'Office fédéral de conciliation en matière de conflits collectifs du travail (applicable en cas de conflit débordant les limites d'un can- ton) prévoit: «Les personnes que cite l'office de conciliation sont tenues de comparaître, de participer aux débats, de fournir des renseignements et de produire les documents requis»". De même, la loi fédérale sur le travail dans les fabriques (qui oblige les can- tons à créer des offices de conciliation permanents pour régler à l'amiable les différends d'ordre collectif entre fabricants et ouvriers), statue: «Toutes les personnes citées par l'office sont tenues ( ... ) de comparaître, de prendre part aux débats et de four- nir tous renseignements» 56. Les cantons peuvent décider de confier à ces offices le soin de se saîsir de litiges survenus non seulement dans des fabriques, mais aussi dans d'autres entreprises. Là encore, les parties au conflit ont l'obligation de négocier". La violation de cette obligation est passible d'une peine d'amende".

Enfin, la jurisprudence a posé récemment qu'une grève ne pou- vait, en toute hypothèse, être considérée comme légitime qu'à condition qu'elle constituât l'u/tima ratio, lorsque la négociation d'une convention collective se bloque dans une impasse dont aucun autre moyen ne permet de sortir ' •. Cette règle, imposée aux salariés, a certainement pour corollaire, du côté des employeurs, l'obligation de prendre part à des négociations 60.

4. L'obligation de négocier ne saurait être absolue. On doit en réserver le bénéfice aux organisations représentatives et loyales.

L'exigence de représentativité revêt ici une importance plus grande qu'en matière d'adhésion: pour des raîsons pratiques, il faut limiter la quantité des parties à la négociation, que la présence d'interlocuteurs trop nombreux pourrait rendre excessivement

" Art. 342 al. 2 CO.

ss Art. 3 de la loi fédérale concernant l'Office fédéral de conciliation en matière de conflits collectifs de travail, du 12 février 1949, R.S. 821.42.

" Art. 31 de la loi fédérale sur le travail dans les fabriques, du 18 juin 1914 (encore en vigueur sur ce point)? R.S. 821.41.

57 Art. 16 de l'arrêté neuchâtelois concemant.l'institution d'un office cantonal de conciliation en matière de conflit de travail, du 9 avril 1918; an. 15, 18 et 33 de la loi vaudoise sur la prévention et le règlement des conflits collectifs, du 15 décembre 1942; art. 18 du règlement genevois de r office cantonal de concilia·

tion, du 25 novembre 1955, R.S. J/lf7.

58 Cf. les dispositions mentionnées aux notes 55 à 57 supra.

" ATFIIIIl258-JT1986I15.

60 Vischer. n° 3 ad Art. 356"c; Vischer. Zum Gesamtarbeitsvenrag. ..• p. 412: contra, JAR 1986, p. 210.

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difficile. Les organisations majontaues jouissent d'une positIOn justement privilégiée: le refus de négocier avec elles serait particu- lièrement contraire à la protection de leur personnalité et aux objectifs du droit collectif du travail. On doit admettre également les organisations minoritaires, pourvu qu'elles soient suffisamment importantes: les garanties dégagées ci-dessus s'appliquent aussi (et peut-être surtout) à elles

'1.

Quant à la loyauté, elle doit assurer le déroulement normal de la négociation et la mise en oeuvre correcte de la convention à conclure: les organisations qui se refuseraient d'emblée à tout compromis ou qui saboteraient les discussions par des polémiques publiques et intempestives se disqualifieraient d'elles-mêmes".

5. L'obligation de négocier a pour but la réglementation collec- tive des conditions de travail dans une entreprise ou une branche données (en vue d'y établir un minimum uniforme de protection des salariés). Lorsqu'une convention y a déjà été conclue, cette obligation perd son sens. En effet, la fonction de protection sociale est en principe déjà remplie; de plus, la coexistence de plusieurs conventions dont les champs d'application personnels se recouvri- raient en tout ou partie entraverait la fonction unificatrice de cet instrument. Dès lors, il n'y a pas lieu d'admettre une obligation de négocier une autre convention à la charge d'une partie à une convention collective existante visant la même catégorie profes- sionnelle. D'une manière générale, la seule voie qui s'ouvre à une organisation syndicale ou patronale dans une entreprise ou une branche déjà pourvues d'une convention collective est l'adhésion, si les conditions en sont satisfaites. Cependant, à l'échéance de la convention, toutes les parties (y compris l'adhérente) pourront par- ticiper aux négociations de renouvellement.

Les organisations syndicales doivent parfois se voir reconnaître le droit de négocier même si, dans la branche ou l'entreprise, a déjà été conclue une convention collective. Ce sera le cas lorsque la partie patronale a conclu la convention avec un tiers sans raison valable, dans le dessein d'affaiblir la partie salariée et d'en tirer profit"; par exemple lorsque l'organisation tierce se révèle dénuée de représentativité ou déloyale envers les personnes dont elle est censée défendre les intérêts (syndicat inféodé à un employeur ou à une organisations d'employeurs), de telle sorte que les buts protec- teurs du droit collectif du travail ne sauraient être atteints.

61 Vischer. 6 ad Art 356c; Vischer. Zum Gesamtarbeitsvertrag. .. ~ p. 412; plus

ré~ervé auparavant, Vischer. Zur Stellung ...• p. 296.

62 Vischer. nQ 7 ad Art. 356c.

" ATF74 li 163 - JT 1949 [307·308.

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La Cour d'appel du canton de Berne a abordé cette question il y a peu. Un syndicat (la FOBB) entendait conclure une convention collective de travail cantonale avec une association d'architectes, urbanistes et ingénieurs indépendants. Cette dernière s'y refusa.

Des négociations se déroulèrent devant l'office de conciliation compétent, mais sans résultat. Entre-temps, l'association patronale adhéra à une convention collective conclue sur le plan suisse par deux organisations d'ingénieurs et d'architectes, d'un côté, et par trois organisations d'employés, de l'autre. La FOBB persista dans son désir de conclure une autre convention avec l'association ber- noise et agit devant la juridiction civile afin de contraindre cette dernière à négocier une telle conclusion.

La question décisive était ici de savoir si, en adhérant à la convention collective existant sur le plan suisse, l'organisation d'employeurs avait porté un préjudice illicite à la FOBB. Sur la base d'un examen attentif, la Cour d'appel a admis que les organi- sations parties à cette convention étaient représentatives; elle a, en outre, constaté que la convention en vigueur ne comportait nulle- ment des désavantages manifestes pour les employés. Elle en a déduit, avec raison, que la FOBB ne pouvait prétendre négocier une convention séparée avec l'organisation patronale64•

6. Quelles seront les sanctions de l'obligation de négocier ? Rien n'empêche que l'organisation boycottée exige réparation de son préjudice économique ou moral (difficile à établir)". Elle pourra aussi solliciter la condamnation de la défenderesse à négo- cier, sous menace d'application de l'article 292 du code pénal66 Ces sanctions s'effaceront souvent devant celles, plus facilement applicables, prévues par la législation de droit public sur les offices de conciliation, soit les peines de police". Du reste, pratiquement, la conséquence la plus nette du refus de négocier réside sur un autre plan, soit celui des contrats individuels de travail entre l'employeur et le travailleur: la grève déclenchée pour surmonter ce refus devra être considérée comme légitime'·.

64 JAR 1986, p. 211-212. Dans cet arrêt, la Cour d'appel de Berne indique que la FOaS n'aurait pas de droit à participer aux négociations de renouvellement de la convention collective signée par rorganisation patronale avec des associations d'employes (JAR 1986, p. 212). Nous avons essayé de démontrer que cette obser- vation n'est pas compatible avec les conséquences qu'il y a lieu de tirer de l'arrêt FTMH. L'hypothèse de J'adhésion n'a toutefois pas été examinée; elle le serait aujourd'hui à la lumière (nouvelle) de cet arrêt. .

6S Bucher, A .. Personnes physiques et protection de la personnalité, Bâle 1985, p. 115, 145·146; Terrier, p. 241 55 et 269.

66 Bucher, p. 142; Tercier. p. 132.

67 Cf. notes 55458 supra.

68 Cf. note 59 supra.

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7. En fait, la néggciationavec plusieurs syndicats s'est imposée dans des branches importantes. Ainsi: dans la maçonnerie et le génie civil, la négociation de la convention collective a lieu simul- tanément avec les quatre syndicats représentatifs. Dans l'industrie des machines également, l'organisation patronale négocie avec les quatre syndicats représentatifs, mais séparément.

IV. Conclusion

1. Au cours des trente dernières années, les conventions collec- tives se sont multipliées: la jurisprudence sur le droit collectif du travail est restée rare. Les arrêts rendus par le Tribunal fédéral l'un en 1985 sur le droit de grève et l'autre en 1987 sur le droit d'adhé- rer à une convention collective existante marquent sans doute le début d'une époque plus féconde.

Le droit d'adhésion n'est pas tombé du ciel. Il s'inscrit dans une évolution logique, qui correspond d'ailleurs à celle du contexte économique, social et politique suisse. On ne peut que l'approuver.

Le droit de négociation, qu'il faut aussi reconnaître, repose sur les mêmes fondements: respect des objectifs essentiels du droit du travail, favorisant la réglementation collective des conditions de travail: respect des droits de la personnalité, en particulier des minorités.

S'inspirant de ces grands principes, le Tribunal fédéral élabore peu à peu notre droit collectif du travail, dans des domaines laissés largement vierges par le législateur. La matière est trop neuve pour faire l'objet de lois. Le rôle créateur du juge garde ici toute sa valeur.

2. La nouvelle jurisprudence entraîne déjà des adaptations dans la pratique. Les syndicats minoritaires l'invoquent, non sans succés, pour devenir parties à des conventions collectives dont ils ont jusqu'ici été tenus à l'écart: là où ils échouent, les tribunaux seront probablement appelés à trancher, de sorte qu'on peut s'attendre à des décisions se bornant tout simplement à faire entrer dans les faits les principes désormais établis ou précisant les cri- tères de la représentativité et de la loyauté.

Les syndicats majoritaires adoptent une attitude ambiguë. Ils critiquent certes la jurisprudence, mais ne craignent pas de s'en servir. Ainsi, devant l'Office cantonal de conciliation à Genève, en 1987, la FOBB a profité de l'arrêt FTMH pour obtenir son adhé- sion à une convention collective conclue par un employeur avec un autre syndicat: dans une seconde affaire, elle a toutefois refusé

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par principe d'admettre l'adhésion à une convention existante d'une organisation patronale qu'elle considérait comme minori- taire, de peur que des organisations syndicales minoritaires tirent parti de ce précédent.

La position de la FfMH elle-même est moins simple qu'il n'y paraît. L'arrêt qui porte son nom a certes été rendu sur recours d'une de ses sections; cette section (l'une des rares à être minori- taires dans son canton) n'avait pas tenu sa centrale au courant de la procédure; la victoire surprit les instances de Berne. Cette sur- prise ne fut pas totalement agréable, car, dans certains secteurs, la FfMH a dès longtemps manifesté une réelle hostilité envers les minorités (ainsi dans l'horlogerie). Toutefois, l'arrêt du Tribunal fédéral pouvait être utile ailleurs: confinée, dans l'industrie des machines, à la défense des ouvriers (qui ont leur propre conven- tion collective), la FfMH désire depuis plusieurs années se faire reconnaître comme porte-parole des employés. Ces derniers étant au bénéfice d'une convention séparée, signée par des associations de cols blancs, la FfMH s'est appuyée sur le récent arrêt du Tribu- nal fédéral pour obtenir son adhésion à cette seconde convention.

Les négociations sont actuellement en cours: les parties intéressées s'acheminent probablement vers la conclusion d'une convention unique pour les ouvriers et les employés. Si cette éventualité se réa- lisait, ce fait historique serait dans une large mesure dû à la juris- prudence nouvelle.

3. La réaction des employeurs n'est pas non plus univoque.

Naturellement, l'adhésion des organisations de salariés modérées leur plaît, car elle leur semble de nature à faciliter les discussions avec les syndicats plus revendicatifs; en revanche, celle d'organisa- tions minoritaires moins habituées à jouer le rôle de partenaires les inquiète. L'idée de devoir réexaminer leur politique à cet égard en raison d'une décision judiciaire indispose fortement certains d'entre eux.

Un problème délicat surgit dans quelques branches à l'occasion de rivalités particulières entre associations d'employeurs, liées à.

l'existence de caisses de compensation concurrentes. Ces caisses contribuent fortement au prestige et au bien-être des organisations dont elles dépendent. Certaines associations majoritaires, pour renforcer leur position, pourront être tentées de conserver une atti- tude conquérante envers les organisations minoritaires dotées de leurs propres caisses de compensation, afin d'absorber ces der- nières. Vu l'importance des intérêts économiques en jeu, des litiges sur cet aspect particulier de la protection des minorités ne sont pas à exclure.

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