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Une question de vies et de morts

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1794 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 19 septembre 2012

actualité, info

… Peut-on tenter de faire la lumière sur ce qui demeure une

zone grise

de la pratique médicale? …

Une question de vies et de morts

Que serait l’éthique, du moins la bioéthique, sans la technique biomédicale ? La question ressurgit aujourd’hui avec une publication du Lancet 1 qui fait valoir en substance que les massages cardiothoraciques d’une durée supérieure à la moyenne sont de nature à augmenter les chances de survie en cas d’arrêt cardiaque. C’est là une question assez embar- rassante à bien des égards, une question de vies et de morts puisqu’elle ne peut être dis- sociée de celle des conditions de prélèvement d’organes à des fins de transplantation.

Combien de temps faut-il réanimer ? La ques tion est certes brutale. Elle l’est encore plus quand on sait que le patient pourra peut-être, en cas d’échec, devenir un donneur d’organes destinés à des transplantations salvatrices. On mesure bien ce qu’il peut y avoir de dérangeant à poser de la sorte une telle problématique. Les différents acteurs concernés prennent d’ailleurs bien garde à ce qu’elle ne soit, précisément, jamais posée en ces termes ; et on les comprend. Pour autant, les faits sont là : en pratique, la durée des ef- forts de réanimation varie considérablement d’un hôpital à l’autre mais aussi d’un ma- lade à un autre. Variations en fonction de l’âge notamment et des chances raisonnables de succès de l’entreprise ; variation, aussi, en fonction des séquelles majeures qui pour- raient apparaître au décours de cette même entreprise trop prolongée.

Combien de temps tenter de réanimer et la réponse doit-elle être gravée dans le marbre des abaques officielles ? Faut-il au contraire laisser les hommes et les femmes de l’art y répondre au mieux de leur savoir et de leur

conscience ? Le rigoureux égalitariste prê- chera pour la première branche de l’alter- native. Les raisonnables, les pragmatiques choisiront la seconde. A qui se fier ? Tous les réanimateurs reconnaissent, généralement en privé, que le subjectif a bien souvent une part importante dès lors que l’équipe n’a pas obtenu une réponse «rapide» de son patient.

Peut-on tenter de faire la lumière sur ce qui demeure une zone grise de la pratique médicale ? C’est cette tentative que réalisent les auteurs d’une étude qui vient d’être pu- bliée par The Lancet. Ce travail d’équipe a

été dirigé par deux médecins cardiologues, Zachary D. Goldberger et Brahmajee K.

Nal lamothu (Université du Michigan, Ann Arbor). Il a été financé par l’American Heart Association, la Robert Wood Johnson Foun- dation et les National Institutes of Health américains. Les auteurs ont repris et analysé les dossiers de 64 339 personnes ayant fait un arrêt cardiaque prolongé dans 435 hôpi- taux américains, et ce entre janvier 2000 et août 2008 ; 20,1% des arrêts étaient liés à une tachycardie ou une fibrillation ventriculaire et dans 79,9% à une asystolie ou une activité électrique sans rythme. Un classement des établissements a été effectué en fonction de la durée moyenne des tentatives de réani- mation (de 16 à 25 minutes). L’ensemble des données est ensuite passé au grill des mé- thodes statistiques, le critère principal étant la reprise d’une activité cardiaque sponta- née et sans séquelles majeures.

«Cette étude est menée à partir d’un re- gistre observationnel a commenté, en France, le Pr Pierre Carli (Samu de Paris, Hôpital Necker), et c’est la réalité qui est observée.

Elle montre que les arrêts cardiaques surve- nant à l’hôpital sont différents de ceux se produisant en dehors de l’hôpital : les pre- miers sont plus liés à l’asystolie et à la disso- ciation électromécanique par état de choc ou détresse respiratoire, les autres à la fibrilla- tion ventriculaire et à la mort subite. L’idée de restreindre très vite la réanimation est donc inadaptée à la réanimation des patients à l’hôpital, il faut au contraire la prolonger. Il y a également des procédures qui ne sont pas mentionnées dans cet article, notam-

ment la CEC qui améliore encore la réanimation.»

Pour le Dr Goldberger, les résul- tats suggèrent que le fait de prolon- ger les efforts de réanimation (de 10 ou 15 minutes) est de nature à amé- liorer le résultat final. Il précise toutefois ne pas avoir de données chiffrées lui permet- tant d’établir une relation indiscutable entre les durées des tentatives de réanimation et les taux de survie obtenus. Cette étude éta- blit donc – pour la première fois selon The Lancet – que les personnes prises en charge dans les hôpitaux où les efforts de réanima- tion durent en moyenne plus longtemps, ont des taux de survie supérieurs à ceux traités dans les hôpitaux où les durées des réanimations sont plus courtes : un retour complet à la vie avec sortie de l’hôpital est

observé dans 16,2% des cas pour les établis- sements pratiquant des réanimations lon- gues (25 minutes) contre 14,5% pour ceux pratiquant des réanimations légèrement plus courtes (16 minutes). Ce sont là des données certes américaines, mais aussi qui peuvent faire réfléchir sur le Vieux Continent.

Interrogé par l’Agence France-Presse, le Pr Dan Benhamou, président de la Société française d’anesthésie et de réanimation, ex- plique qu’«un réanimateur sera plus actif sur un patient plus jeune dont on sait que le pronostic de récupération est meilleur et la réanimation sera prolongée». Dans le com- mentaire qui accompagne l’article du Lancet,

deux experts médicaux britanniques (Jerry Nolan, du Royal United Hospital NHS Trust à Bath, et Jasmeet Soar de l’Hôpital de South- mead, Bristol) estiment que «si la cause de l’arrêt cardiaque est potentiellement réver- sible, il peut être intéressant d’essayer un peu plus longtemps». S’ils lisent le Lancet les patients potentiels goûteront tout particu- lièrement le potentiellement et le un peu plus.

Sans doute aimeraient-ils que les auteurs soient (un peu) plus précis. Pour le Pr Benha- mou, si ces résultats se confirment, peut-être faudra-t-il «remettre en cause l’attitude ha- bituelle de ranimer peu longtemps quand cela semble sans espoir». Les mêmes patients potentiels demanderont s’il est absolument nécessaire de confirmer ces résultats. Et, si oui, qui les confirmera et de quelle manière ?

Que serait la bioéthique sans la technique biomédicale ? Cette publication ne peut pas ne pas être rapprochée du développement dans de nombreux pays développés, de la pratique des prélèvements d’organes dits «à cœur arrêté». On sait que, dans ce cas, le critère retenu ici n’est plus celui de la «mort cérébrale» mais redevient comme, dans le passé, un simple critère cardiaque. On sait aussi que cette nouvelle pratique vise à pal- lier la pénurie chronique d’organes trans- plantables à laquelle sont confrontées les équipes chirurgicales spécialisées (Rev me d point de vue

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Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 19 septembre 2012 1795 Suisse 2008;4:1068 et 1120).

«Cet article fait référence à la prise en charge thérapeutique et à la durée de réani- mation cardio-respiratoire (communément fixée à 30 minutes minimum) dans le cadre d’arrêts cardiaques survenant, dans cet ar- ticle, en secteur "intrahospitalier". C’est un débat de longue date sur la question "jusqu’où aller dans la réanimation de ces patients ?"

qui relève des seuls réanimateurs, explique- t-on auprès de l’Agence française de biomé- decine. Envisager un prélèvement d’organes n’intervient que lorsque le patient est déclaré mort, que le décès survienne après un arrêt cardiaque ou dans un contexte de mort

encéphalique. Ce n’est qu’une fois que les Samu-réa estiment le patient "réfractaire" et au-delà de toute ressource thérapeutique qu’ils le déclarent mort et que le don d’or- ganes est envisagé, mais jamais avant.» On entend bien. Comme on entend qu’il faut entièrement faire confiance à celles et ceux qui estiment et déclarent.

En France, une réflexion est en cours entre les sociétés savantes et l’Agence de biomé- decine concernant les arrêts cardiaques dits

«contrôlés» survenant à la suite d’une déci- sion de limitation ou d’arrêt des thérapeu- tiques actives. Toujours en France et en 2011, 122 donneurs après arrêt cardiaque ont été recensés. Il s’agissait pour la plupart de per- sonnes prises en charge en secteur extrahos- pitalier (et non pas en secteur intrahospitalier, qui est le sujet de l’article du Lancet). Parmi elles, 58 ont été prélevées, ce qui a donné lieu à 66 greffes de rein et 5 greffes de foie.

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

1 Goldberger ZD, Chan PS, Berg RA et al, for the Ameri- can Heart Association Get With The Guidelines – Resus- citation. Duration of resuscitation efforts and survival after in-hospital cardiac arrest : An observational study.

The Lancet, Early Online Publication, 5 September 2012. doi:10.1016/S0140-6736(12)60862-9.

© istockphoto.com/luismmolina

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