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La préoccupation maternelle primaire : « presque » une maladie

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DES MOTS POUR COMPRENDRE

SANTÉ MENTALE|155 |FÉVRIER 2011 9

Avec la naissance d’un enfant,

une modalité d’échange bien particulière s’installe entre lui et ses parents durant quelques mois. Cris, sourires, agitation ou regards du bébé déclenchent des conduites parentales qui vont du bercement à l’allaitement, en passant par des caresses ou des chants. Ces manifestations diverses venant du bébé sont l’objet d’une recherche d’interprétation et de nomination comme si chaque expression contenait une inten- tion, « tu veux voir ça », « tu as faim »…

Cette attention extrême forme la « préoc- cupation maternelle primaire » (1). Avec ce terme, D. W. Winnicott s’intéresse à l’état étrange que vivent les parents, notam- ment les mères, au contact de leur enfant alors qu’il est bébé.

UNE HYPERSENSIBILITÉ À AUTRUI

La « préoccupation maternelle primaire » désigne cet état psychique particulier de la mère qui accueille son nouveau-né en s’adaptant au plus près à ses besoins.

Cet état constitue un premier cadre dans lequel le nourrisson vit ses premières expé- riences et sensations. Pour créer cet envi- ronnement favorable, la mère doit déve- lopper une hypersensibilité qui lui per- met d’utiliser toutes les ressources de son empathie pour s’ajuster aux besoins de l’en- fant, tant physiques que psychiques.

Ces besoins sont alors complètement intri- qués, le développement psychique pré- coce s’étaye sur l’expérience du corps et des réponses de l’environnement. Face à cette tâche essentielle, la mère déplace l’in- térêt de son propre self au profit du bébé, ce qui lui permet de faire ce qu’il faut au bon moment et de savoir ce que peut res- sentir le bébé à partir de ses attitudes. Cette capacité se développe progressivement durant la grossesse et dure pendant les pre-

miers mois de vie de l’enfant. Winnicott présente cet état exceptionnel comme une

« maladie normale », « un repli, une dis- sociation, presque un état schizoïde ».

Ce vocabulaire tiré de la psychopatholo- gie souligne le travail psychique nécessaire de la mère pour mettre sa sensibilité et sa pensée au service d’une relation avec un petit être complètement dépendant et qui n’a pas encore accès au langage. Son hypersensibilité la rend vulnérable, fra- gile, exclusivement tournée vers le monde intérieur et elle-même doit être protégée par son environnement. Puis, la mère retrouve de l’intérêt pour elle-même, au rythme où son enfant le lui permet, sous la forme d’un sevrage progressif.

Cette capacité n’est pas une donne du fonctionnement psychique maternel, une sorte d’état naturel allant de soi et se plonger dans cet état particulier n’est pas toujours possible. Il peut être trop diffi- cile à la mère de prendre une distance suf- fisante avec ses propres intérêts ou bien, à l’inverse, la tendance à être constamment préoccupée par le bébé devient patholo- gique, rendant la sortie de cette « préoc- cupation maternelle primaire » et le retour aux intérêts de la mère, quasiment impos- sible si ce n’est sous la forme d’une rup- ture brutale.

UN BÉBÉ, ÇA N’EXISTE PAS

Avec cette notion, Winnicott ne se contente pas de décrire une étape essentielle de la relation mère-enfant. Il critique l’idée d’un instinct maternel inné qui se mettrait tout naturellement en place lors d’une naissance et développe une réflexion sur le travail psy- chique qui soutient l’établissement de rela- tions entre le développement psychique de l’enfant et son environnement au sein duquel la mère occupe une place prépondérante.

Pour Winnicott, les besoins corporels se transforment progressivement en besoin du moi. L’individu se construit selon un processus qui le conduit de l’état de dépendance absolue, puis relative, vers une indépendance progressive. La pré- occupation maternelle est le cadre de la première étape de ce parcours. Un envi- ronnement adapté aux soins du bébé est nécessaire au développement de l’en- fant. « Un bébé, ça n’existe pas », affir- mait Winnicott pour souligner qu’un bébé n’existe pas sans une mère ou une per- sonne qui prend cette place et lui donne des soins. Avec Winnicott, l’individu cesse d’être une unité isolée : « le centre de gravité de l’individu ne naît pas à partir de l’individu. Il se trouve dans l’ensemble environnement-individu ».

Selon cette approche, si la mère fournit, dès le début de la vie, une assez bonne adaptation aux besoins du bébé, si elle est « suffisamment bonne », la vie de l’en- fant n’est pas perturbée par les heurts avec l’environnement, au contraire une confiance se crée.

Les carences maternelles importantes interrompent ce processus. Elles n’en- gendrent pas un sentiment de frustra- tion ou de manque mais un vécu de menace d’annihilation, car c’est le pro- cessus de développement lui-même qui est menacé. L’établissement du moi repose en effet sur un sentiment continu d’exister, une confiance dans la capa- cité à faire face aux inévitables difficul- tés de l’existence.

UNE MÉTAPHORE DU SOIN PSYCHIQUE

Au-delà de cette étape première du déve- loppement de l’enfant, la préoccupation maternelle primaire est pour Winnicott une métaphore du travail thérapeutique :

« Ce que nous faisons dans la thérapie, c’est tenter d’imiter le processus naturel qui caractérise le comportement de toute mère avec son propre bébé. » À l’image de la mère suffisamment bonne, le soin psychique repose l’existence d’un envi- ronnement facilitant qui permet un tâton- nement, une série d’ajustements, et offre la possibilité aux potentialités des patients de se réaliser.

1– Winnicott D. W., « La préoccupation maternelle primaire », De la pédiatrie à la psychanalyse, Payot, 1969.

Une rubrique bimestrielle pour comprendre les concepts utilisés en psychiatrie… de la pratique vers la théorie et de la théorie vers la pratique. Un double mouvement.

VINCENT DI ROCCO

Psychologue, Annecy (74).

La préoccupation maternelle primaire : « presque » une maladie

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