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Des galaxies lointaines se dévoilent
Elles sont situées à 12 milliards d’années-lumière... sachant qu’une année lumière équivaut à 9 460 milliards de km...
il n’est pas exagéré de qualifier de lointaines, les galaxies qui viennent d’être découvertes. Une équipe de l’IAS participe à cette mission de la NASA baptisée « Spitzer », dont
les premiers résultats sont particulièrement prometteurs.
En pointant les deux caméras du
télescopespatialSpitzer(IRACet
MIPS)dansdesrégionsducieloù
lavoielactéeneleséblouitpas,lesastro- nomes ont observé des galaxies infra- rougesdontlaplupartn’avaientjamais
été détectées auparavant. Cet observa- toire,leplusgrandjamaisconstruitpour
étudier l’univers dans l’infrarouge, a,
entreautrescommeobjectif,deparfaire
nos connaissances sur la formation et
l’évolutiondesgrandesstructuresetdes
galaxies qui les composent. L’équipe
dirigéeparHervéDole,maîtredecon- férences à l’université Paris-Sud 11,
Des galaxies dans le fond
Prévu par la théorie dès 1968, le Fond
Diffus Extragalactique (FDE) est en
quelque sorte le patrimoine histori- que des galaxies. Il correspond à la
signature de l’émission de toutes les
galaxies sur l’histoire entière de l’Uni- vers. L’observation et la description de
cefonddoiventpermettreauxastrono- mes de mieux comprendre les phéno- mènes de formations d’étoiles au sein
desgalaxiesetd’affinerlesmodèlessur
vient d’annoncer des premiers résul- tats spectaculaires. Les chercheurs ont
pu disposer d’une courte plage d’ob- servation à la fin des tests de mise en
serviceetderéglagedutélescopepour
l’«essayer».Leurcible:lefonddiffus
extragalactique. Comparé aux télesco- pes précédents, Spitzer a en effet une
vision beaucoup plus fine avec une
meilleure sensibilité pour les sources
faibles. Le télescope détecte ainsi des
galaxiesindividuellesalorsquesespré- décesseursnevoyaientessentiellement
qu’unfonddiffus.Cefonddiffusesten
faitlefondextragalactiqueinfrarouge.
Fig 1 : La galaxie M81 observée dans différentes longueurs d’onde (voir encadré 1).
L’amélioration de la résolution des télescopes facilite le travail des astronomes en dévoilant les plus fins détails des objets, ici le fond diffus extragalactique de la même portion du ciel.
De gauche à droite : Iras (©NASA), Iso (© G. Lagache et H. Dole, 2001) et Spitzer (©NASA/JPL/
SWIRE & H. Dole).
Fig. 2 : Le décalage spectral (indiqué par la flèche) vers des longueurs d’onde plus longues, c’est-à-dire vers le rouge, traduit une plus grande distance de l’objet et donc un plus grand redshift (noté z). © E. Le Floc’h et al., 2004
25 la formation et l’évolution des grandes
structures(amasdegalaxies,superamas
de galaxies). La zone explorée se situe
entre huit et douze milliards d’années- lumière, distance à laquelle les objets
observés datent seulement de deux et
six milliards d’années environ après le
Big-bang;enastronomie,plusonobser- veloin,plusonregardedanslepasséde
l’univers. Le FDE apparaît désormais
comme la somme de l’essentiel de la
lumière jamais émise par les galaxies
au cours de l’histoire de l’Univers plu- tôt qu’un fond diffus. Ce qui surprend
l’équipe d’astronomes, c’est le nombre
decesgalaxies.Ilyenatant,queleciel
enestrempli.Onentrevoitdéjàlesfabu- leuxrésultatsduprogramme:unesim- pleobservationrapideduFDEfournit
desmilliersdedonnées.Spitzerprouve
dèssespremièresobservationsqu’ilest
capabled’analyserdesgalaxiessurprès
de90%del’histoiredel’univers.
L’énergie des trous noirs
Enplusdeladistance,leschercheursa
pu déterminer quelques propriétés de
ces galaxies : «La plupart des galaxies
de nos relevés profonds sont intrinsè- quement très lumineuses, et sont l’objet
de formation stellaire violente ; la pro- ductiond’étoilespeutatteindreplusieurs
centaines de fois celle de notre propre
VoieLactée!»expliquelecommuniqué
depresse.Spitzernedétectepasseule-
mentdesgalaxiesàsursautdeformation
d’étoile. «Nous pensons que certaines
galaxiesrévéléesparSpitzernetirentpas
leur énergie seulement de la formation
d’étoile,maisaussidel’activitéd’untrou
noirsupermassif(demassedeplusieurs
milliardsdefoiscelledenotreSoleil!)en
leurcentre,etqui“accrète”degrandes
quantitésdegazattirédesrégionsexter- nes par instabilité gravitationnelle. Pour
détecter leur présence, nous avons com- parénosimagesSpitzerauximagesdans
lesrayonsX,etnousestimonsqu’environ
un cinquième des galaxies entrent dans
cettecatégoriedesgalaxiesànoyauactif»
précise un des collègues américains
d’Hervé Dole. Les astronomes obtien- nent ces informations sur la nature des
galaxies grâce à l’aspect de leur spectre
dansl’infrarouge,obtenusparlamesure
de l’intensité du rayonnement à certai- nes longueurs d’ondes seulement : les
galaxies à noyaux actifs présentent un
spectre «lisse» là où celles à forte for- mationstellaireaffichentunspectreplus
« chaotique ». Ces irrégularités sont la
signaturedemoléculescomplexes,carac- téristiquesdelaformationstellaire.
Mise en commun de données
Un gros travail de mise en commun
des données de plusieurs missions a
été réalisé afin d’obtenir l’intégralité
duspectredechacundesmilliersd’ob- jets étudiés. Cette formidable base de
données, unique en son genre, facilite
considérablement le travail des astro- nomes. Ainsi, il est possible d’obtenir
presque instantanément la distance de
ceslointainesgalaxies.Ilsuffitpourcela
de«lire»ledécalagespectral(fig.2).Ce
décalage,ouredshift,quis’expliquepar
l’expansion de l’univers, se manifeste
parunetranslationdesraiesduspectre
versdeslongueursd’ondepluslongues,
c’est-à-dire vers le rouge. La forme du
spectre est globalement similaire mais
présente un décalage qui est fonction
deladistance:plusl’objetestloin,plus
ledécalageestimportant.Lespremiers
résultatsmontrentquecertainesgalaxies
détectéesparletélescopeSptizersontà
un redshift de 2. Ce qui signifie qu’il
s’agit des galaxies les plus lointaines
jamaisdétectéesenaussigrandnombre
dansl’infrarouge,avecuncasextrêmeà
redshiftde3,7soitprèsde12milliards
d’années-lumière!
Avec autant d’éléments en seulement
douze minutes d’observations, on
comprend facilement l’enthousiasme
des astronomes associés à la mission.
«Spitzeradéjàatteintsonpremierbut,
explique Hervé Dole, avec autant de
résultats novateurs et originaux, comme
la découverte d’une grande densité de
galaxies ou la détection de galaxies à
grand redshift, et cela quelques mois
seulement après son lancement. Je n’ai
aucun doute que les observations en
cours, plus profondes mais aussi sur de
plus grandes surfaces, vont aboutir à
beaucoupd’autresrésultatsexcitants,qui
apporteront certainement des éléments
de réponse à la question intrigante de
l’originedesgalaxies».
SÉBASTIEN FARIN
CENTREDE VULGARISATIONDELA CONNAISSANCE
L’IASdansl’infrarouge
LeFondDiffusExtragalactiqueaétédécouverten
1996àpartirdesdonnéespubliquesdusatellite
COBE(COsmicBackgroundExplorer)paruneéquipe
del’Institutd’AstrophysiqueSpatiale(IAS),unité
mixtederecherchesCNRS/Paris-Sud11,dirigée
parJean-LoupPuget,aujourd’huidirecteurdel’IAS.
Cerésultatestlefruitdel’engagementconstant
del’IASdansl’astronomieinfrarouge,domaine
danslequelsemanifesteleFDE,depuisledébut
desannées1970.Despremiersobservatoires
infrarouges,desballonsstratosphériques,aux
observatoiresspatiauxmisenorbiteouembarqués
àborddesnavettesaméricaines,l’IASatoujours
participéauxprincipauxprogrammesd’observations.
L’améliorationcontinuedelarésolutiondestélesco- pesa,dansledomainedesinfrarougescommedans
lesautres,considérablementfavoriséunelecture
plusapprofondiedenotreunivers.
1)Observersoustoutesleslongueursd’ondes
L’étudedesastressurl’ensemble
duspectreélectromagnétiquepré- senteunénormeintérêt.Certains
phénomènes ne signent leur réa- litéquedanscesdomainesinvisi- blesàsesyeuxetunmêmeobjet
vudansdesdomainesdifférents,
livre des informations variées et
complémentaires. Prenons ainsi
l’exemple de M81, une galaxie
spirale située à quelques douze
millionsd’années-lumièredansla
direction de la constellation de
la Grande Ourse. C’est l’une des
galaxieslesplusfacilesàobser- veravecuninstrument,sonéclat
esttoutjustetropfaiblepourêtre
détectéàl’œilnu.Danslevisible,
M81présenteunaspectclassique
: le bulbe galactique, plus riche
en étoiles, est très lumineux et
lastructureenbrasestbienlisi- ble. Dans les autres parties du
spectre,lesinformationsobtenues
sont très différentes. Pour les
rayonnements les plus énergéti- ques(γ,XetUV),cesontlesphé- nomènes plus violents qui seront
observés. Les sources de rayons
UV sont en général des étoiles
chaudes,jeunesetmassives,dont
latempératureesttrèsélevée.Ces
étoiles en formation sont plutôt
localisées dans les bras de la
galaxie.Lafortesourcesituéeau
centre de laFig. 1 (image UV 2
500Å)estliéeàlaprésenced’un
trou noir. A la longueur d’onde
Hα, signature de l’hydrogène, ce
sont encore des étoiles en for- mation qui sont les principales
émettrices.Danslerouge(R),ce
sont les étoiles du bulbe qui se
dévoilent. Plus anciennes, elles
sontmoinschaudesquelesjeunes
étoiles. Dans les domaines des
plus grandes longueurs d’onde,
donc des plus faibles énergies,
les sources émettrices se multi- plient: étoiles dans l’infrarouge
proche,supernovae(radio),pulsar
(radio), gaz et poussières inters- tellaires (Infrarouge thermique
et radio). Sur les images infra- rouges de M81 (24µm, 70µm et
160µm), on découvre facilement
leszonesdeformationsstellaires.
Les poussières qui entourent ces
régionsabsorbentlerayonnement
desétoilesetré-emettentcelui-ci
dansl’infrarouge.Enfin,dansles
ondesradios,M81n’aplusgrand
chose à voir avec la galaxie que
nous connaissons dans le visi- ble. L’activité stellaire dans son
ensemble est responsable des
émissions radios. La source cen- trale, très intense, correspond de
nouveauautrounoir.
Matière grise