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Des soldats de plomb

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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LE VAILLANT SOLDAT DE PLOMB, Andersen

Il y avait une fois vingt-cinq soldats de plomb, tous frères, car ils étaient nés d'une vieille cuillère de plomb : l'arme au bras, la tête droite, ils avaient assez belle allure dans leur uniforme rouge et bleu.

La première parole qu'ils entendirent en ce monde, lorsqu'on souleva le couvercle de la boîte fut : « Des soldats de plomb ! ». Et c'est un petit garçon qui poussa ce cri en battant des mains. Il les avait reçus en cadeau pour son anniversaire et tout de suite il les aligna sur la table.

Les soldats se ressemblaient parfaitement, à l’exception d’un seul qui n'avait qu'une jambe car il avait été fondu le dernier et il ne restait plus assez de plomb. Il se tenait cependant sur son unique jambe aussi fermement que les autres et c'est lui,

justement, dont l’histoire est intéressante.

Sur la table où l'enfant les avait alignés, il y avait beaucoup d'autres jouets, dont un joli château en papier. À travers les petites fenêtres on pouvait voir jusque dans l'intérieur . Au-dehors, de petits arbres entouraient un petit miroir imitant un lac ; des cygnes en cire y nageaient et s’y reflétaient. Tout l'ensemble était bien joli, mais le plus ravissant était une petite demoiselle debout sous le portail ouvert du château.

Elle aussi était en papier ; mais portait une jupe de linon très clair, un étroit ruban bleu autour de ses épaules en guise d'écharpe sur laquelle scintillait une paillette aussi grande que tout son visage. La petite demoiselle tenait les deux bras levés, car c'était une danseuse, et elle levait aussi une jambe en l'air, si haut, que notre soldat ne la voyait même pas et qu’il s’imagina que la petite danseuse n'avait comme lui qu’une jambe.

«Voilà une femme qui me conviendrait, pensa-t-il, mais elle est de haute condition, elle habite un château, et moi je n'ai qu'une boîte dans laquelle nous sommes vingt-cinq, ce n'est guère un endroit digne d'elle. Cependant, il faut que je fasse sa connaissance.»

Il s'étendit de tout son long derrière une tabatière qui se trouvait sur la table ; de là, il pouvait admirer à son aise l'élégante petite demoiselle qui continuait à se tenir debout sur une jambe sans perdre l'équilibre.

Lorsque la soirée s'avança, tous les autres soldats furent remis dans leur boîte et les gens de la maison allèrent se coucher. Alors les jouets se mirent à jouer à la visite, à la guerre, au bal. Les soldats de plomb s’agitaient dans leur boîte, ils auraient bien voulu être de la fête, mais n'arrivaient pas à soulever le couvercle. Le casse-noisettes faisait des culbutes et la craie faisait mille folies sur l'ardoise. Au

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milieu de ce tapage, le canari s'éveilla et se mit à gazouiller et cela en vers, s'il vous plaît. Les deux seuls à ne pas bouger de leur place étaient le soldat de plomb et la petite danseuse. Elle se tenait toujours droite sur la pointe des pieds, les deux bras étendus ; lui, tout aussi vaillant sur son unique jambe ne la quittait pas des yeux.

L'horloge sonna minuit, et crac ! Le couvercle de la tabatière sauta, il n'y avait pas le moindre brin de tabac dedans, non, c’était un petit troll noir. C’était un jouet à surprise.

« Soldat de plomb, dit le troll, ne laisse pas tes yeux trainer comme ça ! ».

Mais le soldat fit semblant de ne pas entendre.

« Attends jusqu'à demain et tu verras ! » reprit le troll.

Le lendemain matin, quand les enfants furent levés, ils mirent le soldat de plomb sur la fenêtre ; mais tout à coup, enlevé par le vent ou par le troll, il tomba du troisième étage la tête la première. Quelle terrible chute ! Il avait la jambe en l'air, la tête en bas, sur son shako, la baïonnette enfoncée entre les deux pavés.

La bonne et le petit garçon descendirent aussitôt pour le chercher mais ils faillirent l’écraser sans le voir. Bien sûr ! Si le soldat de plomb avait crié : «Je suis là», ils l'auraient découvert. Mais il jugea qu’il n’était pas convenable de crier parce qu’il était en uniforme.

La pluie commença alors à tomber, les gouttes se suivirent bientôt sans arrêt et il y eut une averse torrentielle. Quand elle se fut calmée, deux gamins des rues arrivèrent.

« Tiens, dit l’un, voilà un soldat de plomb, faisons le naviguer ! ».

Ils fabriquèrent un bateau avec un journal, y placèrent le soldat de plomb, et lui firent descendre le ruisseau que formait l’eau du caniveau. Les deux gamins couraient à côté en battant des mains. Dieu ! Quelles vagues dans ce ruisseau ! Et quel courant ! C’est qu’il avait plu à verse ! Le bateau de papier était étrangement ballotté, montant, descendant, tournant mais, s’il en frémissait parfois, le soldat de plomb restait vaillant, sans sourciller, le regard fixe et l'arme au bras.

Soudain le bateau passa sous une longue dalle. Il y faisait aussi sombre que dans la boite aux soldats. «Où cela va-t-il me mener ? pensa-t-il. Oui, oui c’est la faute du troll. Oh ! Si seulement la petite demoiselle était dans le bateau avec moi, j'accepterais bien qu'il y fît deux fois plus noir. Cela me serait bien égal.»

Alors un gros rat d'égout se présenta, il habitait sous la dalle du caniveau.

«Voyons ton passeport ! Ton passeport ! » dit le rat. Le soldat de plomb resta silencieux, il serra seulement un peu plus fort son fusil. Le bateau continuait sa

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course et le rat le poursuivit. Il courait après en grinçant des dents et criait aux épingles et aux brins de paille en dérive. « Arrêtez-le, arrêtez-le, il n'a pas payé de douane, ni montré son passeport ! ».

Mais le courant devenait de plus en plus fort. Déjà, le soldat de plomb apercevait la clarté du jour là où s'arrêtait la dalle, mais il entendait aussi un

grondement qui avait de quoi faire peur même à un homme courageux. Le ruisseau, au bout de la dalle, se jetait droit dans un grand canal.

C'était aussi dangereux que pour nous d’être entrainé dans une grande chute d'eau. Il en était maintenant si près que rien ne pouvait l'arrêter. La barque s’y précipita, le pauvre soldat de plomb se tenait aussi raide que possible, personne ne pourrait lui reprocher d'avoir cligné des yeux.

La barque, après avoir tournoyé trois ou quatre fois sur elle-même, s'était emplie d'eau jusqu'au bord, il allait sombrer. Le soldat avait de l'eau jusqu'au cou et le bateau s'enfonçait toujours davantage, le papier s'amollissait de plus en plus, l'eau passa bientôt par-dessus la tête du navigateur. Alors, il pensa à la ravissante petite danseuse qu'il ne reverrait plus jamais, et le soldat de plomb entendit alors :

Soldat le péril est grand ! Voici la mort qui t’attend !

Le papier se déchira, le soldat passa au travers... mais, au même instant, un gros poisson l'avala.

Qu’il faisait noir là-dedans ! C’était pire que sous la dalle du caniveau, et puis comme on y était à l'étroit ! Notre soldat fut vaillant et il resta couché de tout son long, l'arme au bras.

Le poisson s'agitait en tous sens et fit les mouvements les plus effrayants.

Enfin, il demeura parfaitement tranquille, un éclair sembla le traverser. Puis, la lumière l'inonda d'un seul coup et quelqu'un cria :«Un soldat de plomb !».

Le poisson avait été pris, porté au marché, vendu, posé dans la cuisine où la servante l'avait ouvert avec un grand couteau. Elle prit avec deux doigts le soldat par le milieu du corps et le porta dans la chambre où tout le monde voulait voir un

homme aussi remarquable, qui avait voyagé dans le ventre d'un poisson, mais lui n’en retirait aucune fierté. On le posa sur la table...

Comme le monde est petit !... Il se retrouva dans la même pièce où il avait été auparavant. Il reconnut les enfants et les jouets qui étaient sur la table, le joli

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château avec la gentille petite danseuse ; elle se tenait toujours sur une jambe et avait l'autre en l'air, elle aussi était vaillante.

Le soldat de plomb en fut tellement ému qu’il en aurait presque pleuré des larmes de plomb, mais cela n’était pas convenable. Il la regarda, elle le regarda aussi, mais ils ne se dirent pas un mot.

Soudain, un des petits garçons prit le soldat et le jeta dans le poêle sans aucun motif, c’était certainement sous l'influence du troll de la tabatière.

Le soldat de plomb fut aveuglé par une vive lumière et sentait en lui une chaleur effroyable. Était-ce dû au feu lui-même ou à son grand amour ?

Il n'avait plus ses belles couleurs, était-ce le voyage ou le chagrin ? Il regardait la petite demoiselle et elle le regardait, il se sentait fondre, mais vaillant, il restait debout, l'arme au bras.

Alors, la porte s'ouvrit, le vent saisit la danseuse et, telle une sylphide, elle s'envola directement et rejoignit le soldat dans la poêle. Elle s'enflamma... et disparut.

Alors, le soldat fondit, se réduisit et forma un petit amas, et lorsque la bonne, le lendemain, vida les cendres, elle y trouva comme un petit cœur de plomb.

De la danseuse, il ne restait rien que la paillette, toute noircie par le feu, noire comme du charbon.

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