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LETTRE
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,DE M. BURKE
A SON TRADUCTEUR.
Aî O N
SIEUR
Jeviens
de
recevoirlalettre quevous
m’avezfait l’honneurde m’e'crire hier.
Vous
defirezque
je revoie lesexpreffions fuivantes, dont j’ai fait
ufagèenparlantde
Henri
IV,Roi
deFra nce,
page
287
demon Ouvrage. « N’abandonnant
jamais«
dun
feul inftantles droits qu’il réclamoitfousA
ÏHENEWBfcRK*
UBRAKf
\
( 2 )
cc i’empire de la Loi;
&
n’épargnantpas le fang«
deceux
qui s’oppofoient à lui : fouvent dansles
combats,
quelquefoisfur l’échafaud».Vous
voudriez que j’adoucifle
un peu
cette maniéré de m’exprimer. Je ne fuis pas furpris de votre de-mande. Depuis
votre enfance,vous
n’avez en- tendu vanter que ladouceur
6c l’aménité de ce Prince.On met
dans l’ombre ,6c l’on faitpref-que
difparoître le carabtere de vigilance 6c de vigueur, fans lequeliln’auroit pasméritélenom
de Grand.
Le
but de cettepolitique eft évident.Le nom
deHenri IV
rappelloit, avec raifon, l’idée de la popularité.Les
Rois de Frances’en- orgueilliffoient de defcendre de ce Héros.C’étoit d’après lui qu’ils dévoient fe modeler.
C’eft fous l’abri de ce
nom
vénéré, que tousles Confpirateurs contre lesLoix,
contre la Reli- gion, 6c contre l’Ordre , s’efforcèrent de per- fuaber à leurRoi
, qu’il pouvoir
abandonner
toutes les précautionsdu
pouvoir, contre les defleins de l’ambition. C’efî après l’avoir ainfidéfarmé, qu’ils réfolurent de le livrer.
Lui
, fa Nobleffe 6c fes Magiffrats,( les foutiens natu-
rels
du
trône) dans les mains des voleurs&
desaffaffins. Il
y
a long-tems que cecomplot
étoit formé.On
devoit le mettreà exécution, fuivant les circonftances; 6c cettemode
de fufpendre par-tout des profils deHenri IV,
étoit un desmoyens
àemployer pour
le fuccès dece deffein;moyen
vraimentperfide, qui tend despiègesaux hommes,
6c quillesprend avecl’amorce de leurs propres vertus. \Toutes
les fois que ce Prince politique eut à( 3 )
adrefler quelques-uns de fes difcours infinuans (cequ’ilfitfouvent)ileut grandfoin de ne pas être trop littéral dans fes expreffions. C’étoit à
une
efpece d’affemblée de Notables, je crois
,
qu’il parla
du
projet de fe livrer entièrement dansleursmains.Mais
îorfquil leur donnoitainfide fa magie blanche
, dont i! étoit palfablement libéral, il le tenoit enpied près de latable,
&, comme
illeditlui-même,ccil avoit toujourslamaint« furlagarde de fon épée».
Les hommes
dontlepouvoir
eft envié,&
contre lefquels ilexiftedes faétions violentes, nepeuventpas, avecsûreté,
être
bons
d’aucune autre maniéré. Trajan,Mar-
cus-Aurelius,
&
tous leshommes
dans cettefituation, qui osèrentêtre vertueux, nejouireat de cette prérogative ardue
&
critique, qu’en maintenant inviolablement tous lesmoyens
des’attirer lerefpeét,
&
de foutenir leur autorité;les feuls par lefquels
on
puilfe exerceraucune
bienveillance.Dans une
tellepofition,un
Prince peut avecune
grande sûreté,&
alors avec au-tant defagelfeque de gloire, partager fon auto-
ritéavecfonpeuple ; parce qu’alors, ila le
pou-
voir de la partager à fa difcrétion,&
qu’il ne.frpas forcé à l’abandonner.
Dans une
autrediftri-bution
&
dansun
autrearrangementdespouvoirs,il ne feroit pas lemaître de fe rien réferver; il
n’auroit
aucun
mérite,non
plus,danslesconcef- fions qu’il feroit.Quel que
foit, au furplus , l’honneur qui appartient àun
tel partage volon- taire; quel que foitlaPolitique quipuilfeenga-
ger àen faireun
facrifice,danscertaineseirconf- tances :Henri IV
n’a fait ni l’un ni l’autre. IlA
%(
4
)n*a jamais partagé, d’une maniéré
quelconque, aucun
de fes pouvoirs.Ce que
j’ai dit de lui eft ftriétement vrai. S’en eft-il rapporté à a cun ju-gement du
peuple de Paris, pour décider
du
droitque
lesLoix du Royaume
lui donnoientà être Ton
Roi &
fon fouverainSeigneur? Eft-iljamais entrédans
aucun accomodement
avec lui fur fon titre? Quelleeft, dans ce long catalogue des prérogatives illimitées des Rois deFrance
( qu’elles foient juftes
ou non
) , celle qu’il a jamaisabandonnée
, limitée,ou même
foumife à aacune recherche? Il auroit été bien plus il- luftre encore, fi, après avoir conquis&
achetéfon
Royaume
, il eûtpris ce parti;&
s’il s’etoitTendule
Fondateur
d'une Conftitution régulière.Les
faits hiftoriques ne ra’ont pas fourni lesmoyens
de décider d’unemaniéré affez fuffifantepour moi
, fi jamais il s’eft trouvé en pofition depouvoir
mériter cette gloire,ou
s’il auroitpu
alors faire quelquesdémarches
de ce genre,
avec plus de sûretéqu’on n’en a eu
pour
le faire dernièrement. Mais,ce quieft très-probable;c’eftque
jamaisil n’aeupa*eille idée. Simême vous
ïifez avec attention les
Mémoires
de Sully, (&
je puis fuppofer que les opinions du Miniftre ne différoient guères de cellesde fon Maître);
vous
verrez bientôtcombien
ils étoient tousdeux
Royaliftes, dans toute l’étendue que l’on peutdonner
à cemot, &
avecquellepartialité exclu- five, ils tenoient à ce genre deGouverne-
ment.Quant
au fang qu’ila faitrépandre :—
il n’en a certainement pas faitvçrferune
goutte de plus(
;
)que
ce qui a été néceflairepour
faire valoir fon droit , qu’il n’auroit jamaisvoulu
foumettre àaucune
fortede décifion populaire; mais il verfa toutes celles qui luifurentnéceffaires.Combien
de
combats
fanglans n’a t-il pas foutenus contrela plus grande' partie
du
peuple de laFrance?
Combien
de villes n’a-t-il pas pillées&
facca- gée ?Son
Miniftre avoit-il quelquehonte
de prendre fa part dans le butin quitomboit
dansfes mains? Il eft vrai
que
tandis qu’il tenoit fa Capitale étroitement affiégée , il foulagea&
ilprotégea de malheureufes familles qui alloient, au péril de leur vie, récolter quelques mefures de bled fous les
murs
decettemême
Capitale.J’approuve ceci; mais je ne vais pas jufqu à
une
admiration enthoufiafte. Il auroit prefqu’étéun
monftre de cruauté,&
unidiot en politique, s’il eut fait autrement.Mais
tandis qu’il étoit ficompatiffant
pour une
poignée de gensmou-
rans de faim,
on
ne peutpas oublierque c’étoit lui qui affamoit par centaines&
par milliers*avant de pouvoir être en pofition de traiter avec cette compaffîon quelques individus fé- parés. Certainement il ne fit qu’ufer
du
droit de la guerre en affamant Paris.Mais
c’efl:un
droitdont
il s’eft prévalu dans toute fa pléni- tude. Il fuivitfoncœur &
fa politique dans les aéfes de facompafîion ; quant à la famine qu’il caufa, ily
fut forcé par fa pofition.Mais pou- vez-vous
fupporter les pane'gyrifies d’HenriIV
, relativement à ce fiège de Paris , lorfquevous
portezvos regards fur la dernière difette,&
fur-tout ce quia étéfaiten conféquence dans(
6
)cette malheureufe
époque? Au
refie jene parle pas de ceci maintenant, quoique je penfe que cela Toit fait
pour
remplir touteame honnête
d’indignation&
d’horreur.Quant
à l’échafaud,—
Il eft impofïible de décider aujourd’hui fiHenri IV
auroitpu
pru-demment
fauver le Maréchal de Biron, au lieu de le faire décapiter dans la Baftille. Il avoit eu des obligations importantes à ceMaréchal
deFrance,
ainfî qu’àfon père.Mais
ce Prince étoitmoins
remarquable par fa reconnoiiïanceque
par fa clémence.Comme
il ne répandit jamais de fang qu’avec de grands motifs , jefuppofe qu’il s’y crût obligé
pour
fon peuple& pour
le trône. Il faut convenir cependantque
s’il avoit fauvé cethomme impétueux &
téméraire,
on
n’auroit paspu
lui reprochercet aéte de commifération.S’il foupçonnoit que le
Maréchal
deBiron
fût capable d’occafîonner quelques fcènes dans le genre de celles que
nous
avons vues derniè-rement
, de produire dans leRoyaume
lamême
anarchie, la
meme
confufîon&
lamême dé-
treffe ,
comme
des préliminaires à l’établiffe-ment
d’une tyrannie humiliante&
vexatoireque nous fommes
fur le point de voir établir en France fous lenom
de Conflitution : il fitbien, très-bien de couper dès fon enfance le premier fil de toutes ces trahifons. Il n’auroit pas mérité la
couronne
qu’il conquît 3c qu’ilporta avec tantdegloire ,fi
,ne plaçant pas fa
compallîon dans les effetspréfervatifs d’une exé- cution févère,il s’étoit fait
un
fcrupule de punirces traîtres
&
ces ennemis de leur pays&
detout le genre
humain
; car , croyez-moi , il ny
a pas de vertu
ou
il n’y a pas de fageffe...La
foibleffe feule , c’eft-à-direun
allié& un
parent
du
crime , peut fe laiffer toucherpour
des crimes qui ont quelque rapport avec lepouvoir, &
qui vifent à l’ufurpation de quel-qu
autorité.Pardonner
detels crimes, ceu
taire lamême
chofe queceux
qui attentent a la det- truétion de la religion, des loix, de la poli- tique, de lamorale, de Tinduhrie, de la liberté&
de la profpérité de votre pays. SiHenri
IV,avoit des fujets
femb
labiés àceux
quidomi-
nentaujourd’hui, il n’eft pasdouteux qu ü
fit que fon devoir en les puniflant.
Le Koi
aéfcuei eft à la place des
vi&imes
, Scnon
pasdu vengeur
des crimes. C’eft plutôtun
malheur qu’un tort, s’il ne les a pas prévenusavec
cette vigueur précoce, cette activité
&
cecoup-d’œil d’un
Henri IV.
Il a , à ce que j’entendsdire,
&
je le crois, reçu de la natureune
par-faite intelligence,
un cœur doux & humain.
Ce
fontla les élémens de la vertu; mais il étoit né dans la pourpre ,&
il n’étoit pas préparépour une
fituation à l’épreuvede
laquelle^ la vertu la plus abfolumentparfaiteauroit à peinerélîfté.
Quant
auxdémarches
,aux hommes
,aux moyens
,aux
prétextes, aux projets , à la fuite de fauffesdémarches &
de faux calculsde toute nature
&
de toute efpece , qui ontréduit le
Roi
à ne plus paroître qu’une espece d’inftrument de la ruine de fon pays....C
efta l’Hiftoire à en tenir
compte.
( 8 )
Voilà ,
Monfieor
, ce que votre lettre m’a conduit àvous
écrire;vous pouvez
l’imprimercomme un
appendix à votre traduction ,jrn detelle manière quil
vous
plaira;ou
bien le ré- ferverpour
votre propre fatisfa&ion ,vous
en êtes le maître.Je fuis ,
&c,
Beaconsfield le