A NNALES SCIENTIFIQUES
DE L ’U NIVERSITÉ DE C LERMONT -F ERRAND 2 Série Mathématiques
A NDRÉ M ERCIER
Pascal, l’homme, le nombre et l’infini
Annales scientifiques de l’Université de Clermont-Ferrand 2, tome 7, série Mathéma- tiques, n
o1 (1962), p. 23-36
<
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PASCAL, l’homme, le nombre et l’infini
André MERCIER
~
Professeur
àl’Université de
Berne_
Rares sont les
esprits qui
se sontadonnés,
avec un succèsvéritable,
à des activités aussi variées que Blaise Pascal : auxmathématiques
pures, -ici,
nouscomptons
la théorie des nombresou
arithmétique,
lagéométrie synthétique
et lagéométrie projective,
le calculintégral, - puis
auxmathématiques appliquées, -là,
nouscomptons
la théorie desprobabilités
et la machine à cal-culer, -
à laphysique, - ici,
c’est toutel’importance
del’expérimentation qui
ressort,appliquée
dans
l’hydrostatique
etl’aérostatique, -
à laphilosophie
des sciences dans toute sasignification
laplus moderne, - à
lapolémique,
terraindangereux
s’il en. est un, - à lathéologie
et à la contem-plation mystique.
Il est entendu
qu’il
a eu desprécurseurs,
des maltres et des animateurscontemporains :
Archimède et Cavalieri pour le calculintégral, auquel
Roberval et JohnWallis,
sescontemporains , s’attaquèrent aussi, - Desargues
engéométrie projective, -
Fermat dans la théorie desnombres, -
le même Fermat etPacioli,
Cardan et même Galilée enanalyse
combinatoire etprobabilité, -
Toricellien
hydrostatique, -
Galilée pourl’importance
del’expérimentation
enphysique
ainsi que dans l’art de lapolémique scientifique...
etquant
à lathéologie
et à lapensée mystique, qu’il
me suffise deciter Saint
Augustin.
Mais
partout
Pascal sedistingue
parl’originalité
de son travail et lapureté
de sapensée ,
dont il se contente d’ailleurs. Il semble même que, retenu par les
scrupules
d’une conscience mé-ticuleuse,
il ait évité depoursuivre
ses recherches dansquelque
direction que ce fût au-delàjuste
des résultats
tangibles
essentiels à lacompréhension
duproblème, -
commesi,
aussitôt réussieune tentative dans une direction
donnée,
il l’eût délaissée parce quen’ayant
rien deplus
neuf en-core à y trouver, il se tournait vers une autre
direction, susceptible
de lui ouvrir des horizonsencore
inexplorés.
Il y aquelques années,
lespsychanalystes
auraientappelé
celapeut-être
dudonjuanisme,
sorte de maladie de nepouvoir
se contenter d’une seule et mêmecompagnie,
dedevoir ou vouloir constamment
changer.
Mais une telleexplication psychanalyste
seraitfausse,
àmon avis. Car en fait cette
agitation,
cette fébrilité ne sont pas unphénomène pathologique,
maisla
conséquence
de lagéniale
curiosité duchercheur,
et elles trouvent leurinterprétation
dans uncheminement à travers la
multiplicité
de l’être vers son unitédernière, toujours
etpartout
cherchée .Pascal a eu la
grâce
decompter parmi
les raresesprits qui,
tout en attestant de la valeur morale de l’activitéscientifique
parcequ’il
en a fait lui-mêmel’expérience
de manière laplus profonde,
ontcompris
tout aussi bienqu’elle
n’est pasl’alpha
etl’oméga,
et que s’il est honorable depoursuivre pendant
des années la même direction de recherche pour atteindre à degrandes
hauteurs, il y a aussi une
façon
de s’éleverqui
consiste àapprendre
et à maîtriser lestechniques
de la recherche rationnelle pour
pouvoir
s’en passer et s’adonner enfin à lacontemplation
deschoses ultimes et ineffables.
On attribue
généralement
à l’influence de Descartes d’avoir élevél’esprit géométrique
àl’honneur
qu’il
aaujourd’hui.
Mais Descartes lepartage
avec Pascal. Ecoutonsplutôt
ce que dit Pascal dans cette dissertation modèle dephilosophie
dessciences,
écrite en 1658 enguise
depré-
face aux Eléments de
géométrie
destinés àl’enseignement
dePort-Royal.
C’est au texte célèbreDe l’esvri t
géométrique
et de l’art de persuader quej’emprunte
ces passages ; paresprit géométrique ,
..disons de suite
qu’il
fautcomprendre "esprit mathématique".
Voici ce que dit Pascal :"on peut
avoir trois
principaux objets
dans l’étude de la vérité :"l’un,
de la découvrirquand
on lacherche ;
l’autre,
de la démontrerquand
on lapossède ;
ledernier,
de la discerner d’avec le fauxquand
on l’examine... Je nepuis
faire mieux entendre la conduitequ’on
doitgarder
pour rendre les démons- trationsconvaincantes, qu’en expliquant
celle que lagéométrie observe,
etje
n’ai choisi cette science pour y arriver que parcequ’elle
seule sait les véritablesrègles
duraisonnement,
et, sans s’arrêter auxrègles
dessyllogismes qui
sont tellement naturellesqu’on
nepeut
lesignorer,
s’arrête et se fonde sur la véritable méthode de conduire le raisonnement en toutes choses...
Cette véritable
méthode, qui
formerait les démonstrations dans laplus
hauteexcellence,
s’il étaitpossible d’y arriver,
consisterait en deux chosesprincipales : l’une,
den’employer
aucun termedont on n’eût
auparavant expliqué
nettement le sens ;l’autre,
de n’avancerjamais
aucuneproposi-
tion
qu’on
ne démontrât par des véritésdéjà
connues... Certainement cette méthode seraitbelle ,
#mais elle est absolument
impossible :
car il est évident que lespremiers
termesqu’on
voudraitdéfinir,
ensupposeraient
desprécédents
pour servir à leurexplication,
et que de même lespremières propositions qu’on
voudrait prouver ensupposeraient
d’autresqui
lesprécédassent ;
et ainsi il estclair
qu’on
n’arriveraitjamais
auxpremières. Aussi,
enpoussant
les recherches deplus
enplus,
on arrive nécessairement à des mots
primitifs qu’on
nepeut plus définir,
et à desprincipes
si clairsqu’on
n’en trouveplus qui
le soientd’avantage...
D’où ilparaît
que les hommes sont dans uneimpuissance
naturelle... de traiterquelque
science que ce soit dans un ordre absolument accom-pli...
Mais il ne s’ensuit pas de làqu’on
doive abandonner toute sorte d’ordre... Cetordre,
leplus parfait
entre leshommes,
consiste non pas à tout définir ou à toutdémontrer,
ni aussi à nerien définir ou à ne rien
démontrer,
mais à se tenir dans ce milieu de nepoint
définir les choses claires et entendues de tous leshommes,
et de définir toutes les autres... C’est ce que lagéo-
métrie
enseigne parfaitement.
Elle ne définit aucune de ceschoses,
espace,temps,
mouvement ,nombre, égalité,
ni les semblablesqui
sont engrand
nombre... On nepeut entreprendre
de défi-nir l’être sans tomber dans cette absurdité : car on ne
peut
définir un mot sans commencer parcelui-ci,
c’est... Ce n’est pas que tous les hommes aient la même idée de l’essence des choses queje
disqu’il
estimpossible
et inutile de définir. Car parexemple,
letemps
est de cette sorte.Qui
le pourra définir ? ... On trouverapeut-être étrange
que lagéométrie
nepuisse
définir au-cune des choses
qu’elle
a pourprincipaux objets :
car elle nepeut
définir ni lemouvement,
ni les nombres nil’espace ;
etcependant
ces trois choses sont cellesqu’elle
considèreparticulièrement
et selon la recherche
desquelles
elleprend
ces trois différents noms demécanique,
d’arithmé-tique,
degéométrie...
Ces troischoses, qui comprennent
toutl’univers,
selon cesparoles :
Deus fecit omnia inpondere,
in numero, et mensura.. , ont une liaisonréciproque
et nécessaire ...Ainsi il y a des
propriétés
communes à touteschoses,
dont la connaissance ouvrel’esprit
auxplus grandes
merveilles de la nature. Laprincipale comprend
les deux infinitésqui
se rencontrent dans toutes : l’une degrandeur,
l’autre depetitesse... Quelque petit
que soit unnombre, ...
onpeut
encore en concevoir un
moindre,
ettoujours
àl’infini,
sans arriver au zéro ou néant... Il en est de même dutemps.
Onpeut toujours
en concevoir unplus grand
sansdernier,
et unmoindre ,
sans arriver à un instant et à un pur néant de durée... On trouve des
esprits,
excellents en toutes autreschoses,
que ces infinitéschoquent...
C’est une maladie naturelle à l’homme de croirequ’il possède
la vérité directement... etqu’il
ne doitprendre
pour véritable que les choses dont le contraire luiparaît
faux...Qu’à
cesdifficultés,...
ilsopposent
ces clartés naturelles et ces vé- rités solides : s’il était véritable quel’espace
fûtcomposé
d’un certain nombre finid’indivisibles ,
il s’en
suivrait
que deux espaces... étant doubles l’un del’autre,
l’un contiendrait un nombre deces indivisibles doubles .. , de l’autre ...
Qu’ils
s’exercent ensuite à ranger despoints
en carrésjusqu’à
cequ’ils
en aient rencontré deux dont l’un ait le double despoints
del’autre,
# et alorsje
leur ferai céder tout ce
qu’il
y a degéomètres
au monde... mais s’il y aimpossibilité...
à ranger des carrés depoints... ,
commeje
ledémontrerais... , qu’ils
en tirent laconséquence"...
Interrompons
ici cettelongue citation,
pour attirer l’attention de ceuxqui
ne l’auront pasremarqué,
que le dernier passage prouve que Pascal a eu l’idée claire de cequ’on appelle aujourd’hui
la théorie des
ensembles,
etqu’il
aparfaitement
conçu ce que dans cette théorie moderne onappelle
la
puissance
du continu. Un passage antérieur nous montre que Pascal tenait lagéométrie,
c’est-à-dire les
mathématiques,
poursupérieure
à lalogique
en matière de raison.Ailleurs,
on verraitqu’il
a clairement conçu le passage à la limite vers l’infini comme versl’infinitésimal,
et toutcela,
comme d’autres passages encore, nous leprésentent
comme créateur de la méthode axioma-tique
moderne.Leibniz a avoué
plus tard,
dans une lettre àPérier,
beau-frère dePascal, qu’il
tenait dePascal l’idée du calcul
différentiel, -
et bien d’autrespourraient
faire un aveu semblable à propos d’autres découvertesimportantes qui
sont les leurs.Si donc Descartes avec sa
géométrie analytique
et tout lepoids
de sa méthode et de saphi- losophie
est àl’origine
d’un mouvement depensée qui
dure encore, c’est en Pascal quegermèrent
les racines de
quelques
unes des théoriesmathématiques
lesplus
subtilesqui
sont en vogue de nosjours.
Comparons
cette étude dephilosophie
des sciencesqu’est L’Esprit géométrtque
et l’Art de per- suader avec cette autrequi
sert d’introduction àl’Abrégé
de la vie de Jésus que Pascal écrivit en1654,
c’est-à-direquatre
ansplus
tôt :"... Comme
si une si saintevie, ... " dit-il, "ne pouvait
être écrite que par le même
esprit qui
avaitopéré
sa naissance,ils" [c’est-à-dire
ceux"qui
s’offrirent de mettre par écrit l’histoire de sa
vie] n’y
réussirent pas, parcequ’ils
suivaient leuresprit propre".
Etplus
loin ilpoursuit : "... ce
que les...Evangélistes
ont écrit pour des raisonsqui
ne sontpeut-être
pas toutes connues, par un ordre où ils n’ont pastoujours
euégard
à lasuite des
temps,
nous lerédigeons
ici dans lasuite"...
En d’autres termes, ce que Pascal a voulu
faire,
c’est une étudeobjective
etcritique
d’unepartie,
siimportante
pour lareligion chrétienne,
de la Bible. Reconnaissant que,quelque
hauteque soit
l’inspiration
desprophètes
et autres auteurs des Saintesécritures,
leurqualité
de créa-ture humaine et bornée entraînait
l’imperfection
des récitsqu’ils
nous ontlaissé,
et que,partant ,
nous sommes non seulement autorisés à passer au crible les
paroles traditionnelles,
nous sommes aussi tenus de les confronter entre elles et de leséprouver
à l’aide de la raison et de l’évidence . C’est là faire oeuvre d’historien d’unefaçon
nouvelle pourl’époque.
On retrouve le savantoriginal jusque
dans cetterequête
de méthode. Mais on trouve bienplus
encore, on trouve lesportes
que doit se donner la recherchepositive
de la vérité : lesportes, qui
fixent d’unefaçon
pour ainsi direunivoque
son domaine mais sans leborner,
à savoir que tout y est situé dans l’histoire mais ypeut
être ouvert par lesmathématiques.
Lesmathématiques
sont le seul moyen dedépasser
la finitude que l’historicité confère aux êtresqui
tombent sousl’expérience
de nos sens.Evidemment ,
Pascal ne l’ajamais
dit sous cetteforme,
mais il l’a si bienpressenti qu’il
nous faudra y revenir.Cet
esprit
de savant avec tous les bons côtésqu’il
recèle se retrouve constamment. Au PèreLalouère,
Pascal écrivait enseptembre 1658"... j’ai
autant dejoie
depublier
que vous avez résolu lesplus
difficilesproblèmes
de lagéométrie
quej’avais
deregret
en disant que ceux que vous avez résolus étaient peuauprès
deceux-là... "
etplus tard ".. , je
ne seraipoint
en repos que vous nem’ayez
fait lagrâce
de me mander par où vous êtes venus à ces solides de laCycloîde.
J’en aiune
grande curiosité"...
Car il faut se
rappeler
que Pascal était parvenu àintégrer
certaines fonctions enrapport
avec lacycloide,
ou roulette comme on disaitaussi,
etqu’il
avait fort bien saisiqu’en
cefaisant,
il avait fait une découvertemathématique
sensationnelle. Comme l’a dit le mathématicienanglais
Herbert W. Turnbull
(* ) : "Bien
que Pascal eût lancé undéfi,
personne nepouvait
entrer dans lalice ;
son oeuvrepeut
être considérée comme le secondchapitre
du calculintégral,
dont lepremier chapitre
avait étécomplété
parArchimède".
Ce défi
lancé,
Pascal l’avait fait d’unefaçon inusitée,
enempruntant
un faux nom, celui deDettonville,
pour restercaché,
lors degrande querelle
de 1658. Là où Toricelli avaitéchoué,
où Roberval avait fait desprogrès,
Pascal expose, ausujet
de latechnique
desIndivisibles, "une
mise au
point qui
arrive à sonapogée"(**).
C’est dans ce climat
qu’il
nous faut considérer l’hommequi, ayant
découvertl’infini,
en asenti le
dangereux mystère.
On luiprête
lapensée
célèbre"Le
silence éternel de ces espaces in- finism’effraie".
Cettepensée
n’est pas dans le recueiloriginal,
elle n’est que dans lacopie.
Aussi, lorsque j’y
songe, medemandai-je
si Pascal l’a vraimentpensée
tellequ’elle
estexprimée
dans cette
exclamation ; pourquoi
aurait-il étéeffrayé ?
Ce nepeut
être une peur ordinaire. Il nesaurait être
question,
chezlui,
que d’un frissonmystique.
CommeKoyré
l’a bien vu, les"deux grands
noms de la sciencefrançaise
du XVIIème siècle nousrappellent
que, sous l’unitéapparente
où voudrait la réduire une histoire
hâtive,
elle se montrait infiniment diverse et variée...Descartes
(1596-1650)...
est le théoricienqui
entend refaire... une science déductive autant que celle d’Aristote. Pascal(1623-1662)
est au contrairel’expérimentateur prudent qui
se méfie desprincipes,
où il voit desimples
résumésprovisoires
de faitsacquis... "(***~.
La science mécaniste n’est à aucundegré
uneexplication totale,
et laisse laplace
libre à uneposition philosophique : pragmatiste
chezMersenne, Gassendi,
Roberval et laplupart
des savants dusiècle, mystique
chezPascal, métaphysique
chez Descartes et chezNewton"(****).
Je dirais presque que Pascal a
pressenti
lafragilité,
laprécarité
même de cequi
allait---
(*) Traduction libre d’un passage tiré de The Forld of Ifathematics, A small library of the literature etc. ed.
by
James R. Newmann. Vol. I, Part II, section 1 : The Great Mathematicians
by
H. W. Turnbull,p. 135.
(Simon and Schuster, New York 1956).(")
Citation tirée de La Science moderne, tome II de l’Histoiregénérale
des sciences,publ.
par R. Taton, chap . Le XVIIème siècle, par R. Lenoble, page 231(Presses
universitaires. Paris 1958).(***)
Histoiregénérale
des sciences, loc. cit. tome II, p. 189.(*·" )
Ibid. p. 194.devenir nos théories. Il nous a fallu deux siècles et demi pour le
découvrir,
de Newton à Einstein et à Bohr.Pascal, lui,
ne l’avait-il pas entrevu du moment où Descartes voulut refaire Aristote mieuxqu’Aristote ?
Pour faciliter notre
étude,
il convient que nouspassions rapidement
en revue lecatalogue
des découvertes de Pascal.
Pascal fait
partie
de la liste des enfantsprodiges,
dont on saitqu’elle
contient surtout desmathématiciens et des musiciens. Monsieur Guitton
(*)
nousrappelait
que tous les enfants ont dugénie. Presque toujours,
cegénie
s’éteint avec l’adolescence. Souvent même les enfantsprodiges
ne
peuvent plus
sedépasser
eux-mêmes. Iln’y
a que de très raresexceptions : Pascal, Mozart,
Gauss... J’aime à mefigurer qu’Orphée
etPythagore
en furent aussi.A douze ans, Pascal
entreprit
seul l’étude de lagéométrie,
découvrit la méthode des démons- trations et les démonstrations elles-mêmes deplusieurs théorèmes,
à telleenseigne
que, comme nous le raconte Madame Périer la sceur deBlaise,
bien que lepère
de Pascal lui eût interdit l’étude de ces choses avantqu’il
sût le latin et le grec, sonpère "fut
siépouvanté
de lagrandeur
et de la
puissance
de cegénie" -
de son filsBlaise, donc, - "que,
sans lui dire mot, il lequitta ,
et alla chez M. Le
Pailleur, qui
était son amiintime,
etqui
était aussi très savant.Lorsqu’il
y futarrivé,
il demeura immobile et commetransporté.
M. Le Pailleurvoyant cela,
etvoyant
mêmequ’il
versaitquelques larmes,
futépouvanté,
et lepria
de ne pas lui célerplus longtemps
la causede son
déplaisir.
Monpère
lui dit :"Je
nepleure
pasd’affliction,
mais dejoie.
Vous savez lesoin que
j’ai pris
pour ôter à mon fils la connaissance de lagéométrie,
de peur de le détourner de ses autres études :cependant
voyez cequ’il
afait".
Surcela,
il lui montra même cequ’il
avait
trouvé,
par où l’onpouvait
dire enquelque façon qu’il
avait trouvé lamathématique...
Mon
père...
lui donna les Eléments d’Euclide pour les lire à ses heures de récréation. Il les vit et les entendit toutseul,
sans avoirjamais
eu besoind’explication ;
etpendant qu’il
lesvoyait ,
il
composait
et allait si avant,qu’il
se trouvaitrégulièrement
aux conférencesqui
se faisaienttoutes les
semaines,
où lesplus
habiles gens de Paris s’assemblaient pourporter
leurs ouvrages et pour examiner ceux des autres...... A
l’âge
de seize ans il fit un Traité des Coniquesqui
passa pour un sigrand
effortd’esprit, qu’on
disait quedepuis
Archimède on n’avait rien vu de cette force. Tous les habiles gens étaient d’avisqu’on l’imprimât...
mais comme mon frère n’ajamais
eu depassion
pour laréputation,
ilne fit
point
de cas de cela...Durant tout ce
temps-là,
il continuaitd’apprendre
le latin et le grec ; ... et monpère
l’entretenait tantôt de lalogique,
tantôt de laphysique
et des autresparties
de laphilosophie ;
et c’est tout cequ’il
en aappris, n’ayant jamais
été aucollège,
ni eu d’autres maîtres..., , . Ce fut en ce
temps-là
et àl’âge
de dix-neuf ansqu’il
inventa cette machine d’arithmé-tique,
parlaquelle
non seulement on fait toutes sortesd’opérations
sansplume
et sansjetons ,
mais on les fait même sans savoir aucune
règle d’arithmétique,
et avec une sûreté infaillible......A l’âge
devingt-trois
ans,...ayant
vul’expérience
deToricelli,
il inventa ensuite et exécutal’autre, qu’on
nommel’expérience
du vide...... Et
lorsqu’il
n’avait pas encorevingt-quatre
ans, la Providence de Dieuayant
fait naîtreune occasion
qui l’obligea
de lire les écrits depiété,
Dieu l’éclaira de telle sorte...qu’il comprit parfaitement
que lareligion
chrétienne nousoblige
à ne vivre que pourDieu,
et à n’avoirpoint
d’autre
objet
que lui. Et cette vérité luiparut
siévidente,
et si nécessaire et siutile, qu’elle
termina toutes ses recherches "
~"~)...
Malgré
cette décision de s’adonner aux chosesdivines,
Pascal continua à vouer leplus grand
intérêt aux choses de la science. En
1640,
ilimprima
son Fessai pour les coniques. Le Traîté desconiques
est enpartie perdu,
maisLeibniz, qui
en a lu le manuscrit en1676,
en a ditgrand
bien.Il ne reste
aujourd’hui
que la Generatio conisectionum.Dans sa célèbre Adresse de 1654 à l’Académie
parisienne,
société savanteprivée
d’oùnacquit, plus tard,
l’Académie desSciences,
Pascal a décrit un certain nombre de ses travauxmathématiques.
L’adresse Ceteberrimae Natheseos Academiae Parisiensi débute ainsi :"Haec vobis ,
---
(*) Dans sa conférence à la Séance des Académies au cours de la Célébration du Tricentenaire de Blaise Pascal à Clermont.
("*) La vie de Monsieur Pascal écrite par Madame Périer sa soeur, Femme de Monsieur Périer, Conseiller de la Cour des aides de Clermont.
doctissimi ac celeberrimi
viri,
autdono,
aut reddo...", puis
elle énumère les travaux que voici : les L’nceintes des puissancesnumériques, première
rédaction du traité sur la sommation despuis-
sances
numériques qui
serapublié après
sa mort en 1665. Ensuite le De numeris multipticibus mon- trant à calculer les diviseurs d’unnombre,
le De nume r i s maaeico maaeicis,qui
traite duproblème
descarrés
magiques,
c’est-à-dire de ladisposition
en carré des n2premiers
nombres entiers de ma-nière que la somme des chiffres dans une
rangée,
dans une colonne ou dans unediagonale,
soittoujours
lamême,
les carrés étant mêmemagico-magiques
du faitqu’ils
restentmagiques
si onen ôte les
rangées
et colonnes extérieures.Ensuite,
il offre son traité PromotusApollonius
Gallus du cercletangent
à trois autrescercles,
celui des Contacts coniques, ceux des Lieux plans et des Lieux sol ides, le Grand trai té des coniques, la Xéthode de perspective, et surtout ses traités duhasard ,
desprobabilités
ou des variablesaléatoires, "aleae geometria" (*), "novissima
autem acpenitus
intentatae materiaetractatio,
silicet decompositione
aleae in ludisipsi subjectis, quod gallico
nostro idiomate dicitur faire les
parties
desjeux..." ~‘*~.
A celas’ajoutait
encore la Gnomonique, mais il ne lajugeait
pasdigne
defigurer
in extenso dans cette remise de ses ouvrages :"Illi
suntgeometriae
nostrae maturifructus" :
tels furent les fruits de songénie mathématique,
etj’ai
né-gligé
le détail. Il y a lacorrespondance
avecFermat,
et desopuscules
divers.Bien entendu nous ne saurions passer sous silence deux oeuvres
fondamentales,
celle duTrian#le arithmétique,
et celle sur la roulette.Les traités du
triangle arithmétique exposent l’analyse
combinatoirequi
se rattache de siprès
aux recherches sur lesprobabilités.
Ces traités ont unprécurseur
chez un auteur du 16èmesiècle, Stifel, puis
chezTartaglia,
Stevin et d’autres. Mais Pascal lesdépasse
de loin. Lapubli-
cation en fut faite
après
sa mort. Il est difficile de direquand
ill’écrivit,
mais il semblequ’il
en a
préparé
l’éditionjusqu’à
sa mort.La célèbre courbe dite
Cycloide
a fait lesujet
d’un ouvrage intitulé Histoire de la Roulette ainsi que de courtes notes en latin où l’on trouve cequ’en
notation moderne onappelle
les inté-grales
dusinus,
du carré du sinus et du cube du sinus d’unangle.
C’est véritablement toute unehistoire que le
problème
de lacycloide, qui
remonte àGalilée,
passe par les mains du PèreMersenne, puis
par celles deRoberval,
deToricelli,
deFermat,
de Descartes. Par sonétude ,
Pascalatteignit,
pour citerLeibniz,
à"des
véritésprofondes
etextraordinaires"
sur la notion desomme
(...).
Toute unecorrespondance
s’établit avecSluze,
Carcavi etHuygens.
Lapublication
desfameux Problemata, que personne ne sut
résoudre,
sauf Pascal lui-mêmequi
lessignait Dettonville,
leur solution et divers traités connexes, firent sensation. Tout cela tournait autour de l’année 1658.Ces traités connexes ont pour
objet
les sommessimples,
les sinus duquart
ducercle,
lesarcs de cercle et les solides circulaires.
Et
pourtant
cetteactivité, -
etj’en
saute, - dans le domaine desmathématiques
pures, ne suffit pas àremplir
cette courte vie. Ils’y ajoute
les recherches enphysique.
C’est l’habitude de classer
parmi
les oeuvresphysiques
l’invention de la machine à calculer.En
effet,
c’est unmécanisme,
commel’horloge
deHuygens.
Les rouages sont des sortes de leviers.Néanmoins,
ce n’est pas uneapplication physique
au sens de l’utilisation d’une force de la nature ou de sonanalyse.
C’est la réalisation matérielle d’unprocédé imaginé
pour faire certains calculs d’unefaçon qui
évite mûrement toute erreur tellequ’on
en faitlorsqu’on
calcule de tête.Il y a des inventeurs
qui
inventent pour vendre. De faitPascal, ayant
obtenu dès 1645 du ChancelierSéguier
unprivilège
de fabrication de samachine, qui
futappelée
alors laascaline
dans sonentourage,
en annonça la vente à raison de cent livrespièce, prix
fort élevé pourl’époque.
Sept
machines seulement virent lejour,
de 1644 à 1653. Pascal les vérifiait lui-même et fournis- sait un certificat de bonne marche.Mais Pascal n’était pas
porté
sur le côtécommercial,
bien au contraire. Il avaitvoulu,
parson
invention,
et cela à dix-neuf ansdéjà,
éviter à sonpère,
administrateurroyal
enProvince ,
les calculs fastidieux
qu’il
devait faire de tête. Et il yparvint.
En
52,
il offrit une de ces machines à la Sérénissime reine deSuède, -
la mêmequi
avaitdésiré la
présence
de Descartes àStockholm, -
et la lettrequ’il
écrivit à cettegrande
amie dessciences est
significative
de l’estime enlaquelle
Pascal avait la science : -."J’ai", - dit-il, - "une
---
(*) Adresse à l’Académie.
F*) Ibid.
(·~_) Cité par
Jacques
Chevalier dans l’édition des OEuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, NRF, Gallimard , Paris 1954, à la page 173.vénération toute
particulière
pour ceuxqui
sont élevés ausuprême degré,
ou depuissance,
ou de connaissance. Les dernierspeuvent,
sije
ne metrompe,
aussi bien que lespremiers,
passer pour des souverains. Les mêmesdegrés
se rencontrent entre lesgénies qu’entre
lesconditions ;
et le
pouvoir
des rois sur lessujets n’est,
ce mesemble, qu’une image
dupouvoir
desesprits
sur les
esprits qui
leur sontinférieurs,
surlesquels
ils exercent le droit depersuader, qui
estparmi
eux ce que le droit de commander est dans legouvernement politique.
Ce secondempire
me
paraît
même d’un ordre d’autantplus élevé,
que lesesprits
sont d’un ordreplus
élevé que les corps, et d’autantplus équitable, qu’il
nepeut
êtredéparti
et conservé que par lemérite,
au lieu que l’autrepeut
l’être par la naissance ou par la fortune...Quelque puissant
que soit un mo- narque, il manquequelque
chose à sagloire,
s’il n’a pas laprééminence
del’esprit ;
etquelque
éclairé que soit un
sujet,
sa condition esttoujours
rabaissée par ladépendance" (*).
A la fin de l’Avis
nécessaire
ceux qui 1 auront curiosité de voir la machinearithmétique
et des’en servir, Pascal
ajoutait
cettenotice, qui
nous amuseaujourd’hui : "Les
curieuxqui
désirerontvoir une telle machine s’adresseront s’il leur
plaît
au sieur deRoberval, professeur
ordinaire demathématiques
auCollège Royal
deFrance, qui
leur fera voir succinctement etgratuitement
la facilité desopérations,
en feravendre,
et enenseignera l’usage.
Le dit sieur de Roberval demeureau
Collège Mal,tre Gervais,
rue duFoin, proche
les Mathurins. On le trouve tous les matinsjusqu’à
huit
heures,
et les samedis toutel’après dlnée".
Dans ses
Pensées,
on trouve sur la machine à calculerqu’il
avait inventée la remarque sui- vante, non de la main du penseur, mais de celle d’uncopiste,
remarquequi
estreproduite
parexemple
au numéro 340 de l’éditionBrunschvicg : "La
machinearithmétique
fait des effetsqui approchent plus
de lapensée
que tout ce que font lesanimaux ;
mais elle ne fait rienqui puisse
faire direqu’elle
a de lavolonté,
comme lesanimaux" (**).
La machine à calculer moderne a faitsur la
primitive
machine un pasimportant,
en cequ’elle possède
un organed’auto-contrôle,
le"fead-back"
des auteursanglo-saxons, qui
ressemble à unevolonté,
mais n’en est en réalité pas une ; aussi lapensée
de Pascal résume-t-elle en unephrase
cequ’on peut
dire encore de nosjours
des machines à calculer.Lorsqu’on
y songe assez, ons’aperçoit
que Pascal a ditlà,
à l’aide d’unexemple-clef,
eten
quelques
mots, des chosesplus profondes
que Kant ne l’a fait sur le libre arbitre par desgé-
néralités fastidieuses et
longues.
Le
pouvoir d’anticipation
de Pascal àpartir d’exemples-clefs
est unaspect
de songénie.
C’est à propos du
vide,
de lapesanteur
del’air,
et del’équilibre
desliquides (on
disait lesliqueurs)
que Pascal s’est fait un nom enphysique proprement dite,
à savoirqu’en
face des doutes émis par des gensqui
ne voulaient conclure à l’évidence del’expérience
de Toricelliqu’il
avaitrépétée
avec PierrePetit,
un ami de sonpère,
en1646,
il décida de monter desexpériences qui
ne laissassent aucun doute
possible
sur lapossibilité
du vide. Nonseulement,
il mit à faire cesexpériences
un soin que révèlent lesprotocoles qu’il
en fit etqui
sont un modèle du genre, maisen outre il
développa
sesarguments
d’unefaçon magistrale.
On sent un savant de latrempe
des Galilée. Enfait,
il estplus
moderne encore ; onpeut
dire que dans les écrits dePascal,
ontrouve le ton et le tour
pris depuis
lors par la scienceexpérimentale :
Présentation duproblème , description
fidèle desexpériences
et indication des raisons de les menerainsi,
résultatsd’expé- riences, "maximes" qu’on
enpeut
raisonnablementtirer,
et conclusionsquant
à la nature appa- rente desphénomènes, -
àquoi
ilajoute même,
cequi
prouve sonpouvoir d’anticipation (il
avait24
ans ! ), -
lesréponses qu’il
ferait à desobjections possibles.
Dans le
rapport
sur lesexpériences
touchant levide,
Pascalparle
même des atomesqui composent
lesliquides,
cequi suggère qu’il
avait le sentiment de la différence entre le"très petit"
de nature
physique
et matérielle et l’infinitésimal de naturegéométrique.
Deplus,
il réfute l’exis- tence d’une"matière imperceptible,
inouïe etinconnue",
bref d’un éther comme on a dit au 19èmesiècle,
et il admet que la lumièrepeut
fort bien se mouvoir dans le vide.Dans une missive au Jésuite
Noël, qui
avait bavardé sur lesujet,
ilrépond
avec une vervegaliléenne
en luireprochant
deprésupposer
toutes sortes de chosesgratuitement,
et il réclamesoit des démonstrations
mathématiques
soit des faitsd’expérience.
C’est aussi clairementdit,
maisavec moins de
méchanceté,
que par David Hume un siècleplus
tard dans sa Dissertation surl’entendement humain
(Inquiry on
the HumanUnderstandinaeJ.
---
(*) Lettre à la Sérénissime reine de Suède, de juin 1652.
(**) Pensées (d’après
l’édition de M.Brunschwicg),
Collection Gallia, Paris, Londres et New-York, J. M. Dent et fils, troisième éd. 1924.La
physique
est redevable encore à Pascal d’avoir fait faire par son beau-frère la fameuseExpérience
del’équilibre
des liqueurs en une des plus hautes montagnesd’Auvergne
en1648,
et d’avoir laissé sonexposé
sur la Pesanteur de la masse de l’air. Cetteexpérience, qu’il
nommaplusieurs
fois
"la grande expérience",
fut sa fierté et, par lamême,
la seule vanité de sa vie. Il enparle
comme de ce
qui
l’a faittriompher
de sescontradicteurs,
mais c’est à maconnaissance, -
àl’exception près peut-être
du passagedéjà
cité de la lettre à la Reine deSuède, -
la seule foisqu’il
s’est laissé aller à une faiblesse humainepareille.
Pour en revenir à ces deux
opuscules,
Pascalavait,
defait, projeté
d’écrire un Traité demécanique
dont ces deuxcomptes
rendus auraient faitpartie.
On ne sait pas si ce traité de mé-canique
a vu lejour.
Cela est douteux. Pascal n’écrivait pasvolontiers,
et avec les années où la maladies’intensifia,
cettepeine
d’écrire s’estaggravée.
Il y aurait eu
aussi, semble-t-il,
ungrand
Traité du vide. Cequ’on possède
n’est donc quefragmentaire.
Mais s’il est fortregrettable
que les manuscrits aientdisparu,
onpeut
se consoleren se disant que les
apports qui
sont venusjusqu’à
nous sontdéjà importants.
Il aurait été curieux de savoir ce que cet hommeplein d’originalité
avait à dire sur lamécanique.
Un hommequi
a eula
puissance
depensée
suffisante pour concentrer ses recherches engéométrie
sur la méthodeprojective
alors que tous à la suite de Descartes selançaient
sur lagéométrie métrique (*),
etqui
a
anticipé
le calcul infinitésimal etintégral,
a eupeut-être
sur lamécanique
des vuesoriginales.
Mais
on ne sait rien deprécis.
Ce que l’onsait,
on le sait des Pensées et c’est extrêmement vague.En somme c’est à Pascal
qu’on
doit le baromètre et sonemploi
pour la détermination des altitudes relatives. Le nom de baromètre ne fut donné queplus tard,
à la suite d’un essaipublié
par Mariotte en 1696. C’est en outre à Pascal et à son
contemporain
Otto de Guericke que noussommes redevables d’avoir introduit la notion de vide dans la science. Cela est d’une
grande
im-portance.
Le vide estaujourd’hui
une notion pour ainsi direpremière.
C’est dans le vide que sontrépartis
lesobjets physiques.
Cen’est, je
pense,plus
tellement à la réfutation de"l’horreur
duvide" qu’il
faut faire allusionaujourd’hui,
mais bien au fait d’avoirpermis
que l’onplaçât
lesobjets physiques
dans le vide. Leproblème
des relations entre laphysique
et lagéométrie
en aété bouleversé. C’est un défi lancé à l’idée d’une théorie unitaire de la
physique
et de lagéométrie.
C’est une réfutation de
Descartes,
c’est lapossibilité
d’unephysique
newtonienne. Et pour nousaujourd’hui,
c’est l’occasion de mettre enquestion
toute la doctrineeinsteinienne,
de douter de lapossibilité
d’unecosmologie physique
unitaire. Toutes choseségales d’ailleurs,
Pascal est à la racine d’unephysique canonique, quantique
etopérationnelle,
et non d’unephysique géométrique
di-rigée
par une raison pure kantienne pour ne pas dire aristotélicienne.Quant
aux vasescommunicants,
ils sonttrop
connus, enparticulier
par les dessins souventreproduits,
pourqu’il
vaille lapeine d’insister,
de même leprincipe
de la pressehydraulique qui
découle d’unprincipe général qui
n’est autre que celui des travaux virtuels.La machine à calculer et la presse
hydraulique
font de Pascal un inventeur comme le fut Archimède dansl’Antiquité
ouplus
récemment Léonard de Vinci. MaisPascal,
tout comme cesautres
grands
hommesqui
l’ontprécédé,
n’estjamais
resté quecela,
il fut un véritablephysicien,
car en
dépit
de lagrande circonspection
mise à établir les faitsd’expérience,
il en tira des conclu-sions avec
beaucoup
de maîtrise et d’audace. Les historiens de la science le considèrent de nosjours
comme le fondateur de laphysique expérimentale,
c’est-à-dire comme celuiqui
l’a mise surses
fondements,
même s’il a eu desprécurseurs
enTycho, Galilée,
Toricelli etquelques
autres.Rappelons
queTycho
Brahé est mort en1601,
Galilée en1642,
que ce dernier inventa le thermo- mètre en 1609.Huygens, qui
avait six ans de moins quePascal,
fut un autre de cespremiers physiciens
modernes.Quant
àBacon,
mort en1626, qu’une
certaine traditiondésigne
pour avoir instauré la méthodeexpérimentale,
il ne l’ajamais pratiquée lui-même,
aussi est-on en droit de dire que la véritableexpérience
date non seulement et non tellement deBacon,
mais de ceuxqui
en ont fait leur méthode de travail.
Des écrits de Pascal sur la
physique, j’aimerais
retenirquelques
citations. Tout d’abordcelle-ci,
tirée de la Conclusion du Traité sur la pesanteur del’air, qui
estsignificative
pour le peu de casqu’il
faisait de traditions d’école :"que
tous lesdisciples d’Aristote", - dit-il, - "assemblent
tout ce
qu’il
y a de fort dans les écrits de leurmaître,
et de sas commentateurs, ... sinonqu’ils
reconnaissent que lesexpériences
sont les véritables maltresqu’il
faut suivre dans laphy- sique,...
et que lapesanteur
de la masse de l’air est la véritable cause de tous les effetsqu’on
---
(*) Cf. Ernst Cassirer, The Problem of lnowledge