• Aucun résultat trouvé

cinéma Il y a toujours une autre histoire CRITIQUES

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "cinéma Il y a toujours une autre histoire CRITIQUES"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

n émerveillement, ce dernier film de Claude Chabrol. Le cinéaste jouit de sa maîtrise. Il s’en donne à cœur joie, multipliant les rebondissements d’une intrigue policière banale (une escroquerie à l’assu- rance) au cœur de laquelle se débattent des person- nages bouleversants d’humanité.

Par où, par quoi commencer ? Allons au plus simple, les premières images. Toujours un test et ici, quel test ! Les dix premières minutes de Bellamysont proprement étourdissantes. Vives, denses, simples et belles. La matrice est là, annonçant le film, l’enfantant, le proje- tant, vivant, jusqu’à sa dernière image. C’est si vrai que celle-ci reprend justement une de celles-là : une voiture à moitié calcinée sur une plage, à l’aplomb d’une falaise, en bas de laquelle la caméra a plongé. La boucle se boucle le temps du film, le temps de reconnaître que ce qui est en bas et ce qui est en haut sont liés, que

« tous les problèmes se ramènent au temps » (1), au temps révélé, parce que les apparences sont trom- peuses, parce que les visages d’ange provoquent des désirs de meurtre et que les princesses sont parfois des salopes, parce qu’il y a toujours une autre histoire…

Mais auparavant, il y aura eu ce si beau générique, ces noms qui semblent naître d’une pierre tombale et s’en élever. Nous sommes à Sète, au cimetière marin, et c’est de la tombe de Georges Brassens que s’exhaus- sent ces noms – on voit sa photo sur la tombe mais on le savait déjà : alors que l’écran était encore noir, le film commençait sur l’air siffloté des Copains d’abord – et puis la caméra survole les tombes – on voit la mer si bleue, pas loin – et quitte le cimetière en cadrant une croix blanche qui se détache sur le ciel et

CATHERINE SOULLARD

Il y a toujours une autre histoire

1. Citation extraite de la Pesanteur et la Grâce de Simone Weil, Plon, 1988.

U

cinéma

(2)

cinéma

2. Entretien avec Joël Magny dans Claude Chabrol, Les Cahiers du cinéma, 1987.

la mer. La dédicace du film s’inscrit sur fond d’horreur, un corps sans chair, brûlé, dans une voiture accidentée, en bas, sur la plage : « Aux deux Georges ». Brassens, et Simenon, dont Chabrol dit qu’il est « l’un de ceux qui [lui] ont fait le mieux comprendre que nous sommes tous des êtres humains y compris les monstres, qui ne sont qu’une déformation de nous-mêmes… Les choses se fabriquent progressivement. Il serait tout de même intéressant de savoir quand ça a pédalé dans la chou- croute. (2)» Quand ça a pédalé dans la choucroute, pas sûr que le film donne la solution, pas sûr d’ailleurs que ce soit possible, mais des pistes seront données, des explications tentées, des secrets levés, des retours sur l’enfance, sur l’origine, la genèse.

L’envol et la chute, le passage par la mort, par la fasci- nation de la mort – il sera beaucoup question de suicide dans Bellamy –, mais aussi de façon plus voilée mais non moins organique, de chant : le chant comme moyen de sauver, de vivre. Le personnage principal, Paul Bellamy, commissaire de police, est en vacances à Nîmes, dans la propriété de sa femme, comme tous les ans. Vacance qui va lui permettre de travailler en ama- teur (au sens premier du terme), de tâcher de tirer au clair l’histoire compliquée qu’un drôle de type est venue lui soumettre. Quand on aura dit que Bellamy est interprété par Gérard Depardieu, et combien magistralement, peut-être pourra-t-on toucher du doigt et sentir et voir les étranges liens qu’entretiennent la pesanteur et la grâce. Il apparaît à l’écran dans un fauteuil, on le croit assoupi, il réfléchit sur ses mots croisés, il cherche un mot pour « félicité ». Ce sera

« bonheur ». Massif et compact et intense, plus atta- chant, Gérard Depardieu l’aura rarement été autant que dans ce film, sous le regard aimant du cinéaste qui, avec ce commissaire en fin de carrière, bien- veillant et tranquille, faussement pépère, tourne en réalité un portrait du comédien mâtiné d’un très discret autoportrait. Vieillissant, plus vulnérable que jamais sous la carapace de cette masse de chair qu’il nourrit

(3)

cinéma

3 et 4. Citations extraites de la Pesanteur et la Grâce de Simone Weil, Plon, 1988.

avec gourmandise et trimballe avec une grâce que la femme « belle et profonde » avec laquelle il vit ne manque jamais de relayer quand cette dernière vient à lui faire défaut. Elle est cette main amie qui l’empêche de choir, elle est celle qui l’aime tel qu’il est. Il le sait.

« Nous, on s’aime », dira-t-il. On l’avait compris, on n’est pas si bêtes – s’il est en effet une certitude dans ce film qui en avance si peu, c’est bien l’amour qui unit Paul Bellamy et sa femme, passé au feu de la vie commune et du temps – mais si Paul éprouve le besoin de prononcer ces mots, c’est moins pour affir- mer cet amour que pour se rassurer, se protéger com- me un enfant jouant avec son talisman et se risquant à l’éprouver. « Tu as couché avec Jacques ? » lui deman- de-t-il d’ailleurs, agacé par la complicité que son demi- frère et sa femme entretiennent. « Quand ? » répondra- t-elle doucement. Ni Paul ni nous n’en saurons davantage. Les questions ici sont importunes, il s’agit de ne pas s’encombrer inutilement. Pour être heureux, nous dit Chabrol, ne soyons pas jaloux, ne croyons pas toutes les sornettes qu’on raconte. Faisons confiance et supportons le vide quand parfois il s’impose. Seule importe la vérité et celle-ci crève l’écran. Les regards et les mains ne mentent pas. Dans la bonbonnière de leur chambre, ces deux-là sont heureux.

« Allume la lumière, pour une fois », demande Paul.

Que la lumière soit pour qu’il la regarde et qu’elle le regarde, elle aussi, dans les yeux. « Tout ce qui est sans valeur fuit la lumière. Ici-bas, on peut se cacher sous la chair. À la mort, on ne peut plus. On est livré nu à la lumière. (3) » Qu’il puisse bientôt se délivrer du secret qui le ronge car « le bonheur n’est pas lié à l’innocence » (4), mais à l’acceptation de la réalité.

Gros godillots noirs à côté des fines mules à talons et à pompon de plume, « les hommes et les femmes, ce n’est pas pareil », constate Paul. Elle et lui forment la solide arcade sur laquelle s’incarne le film. Il rêve de tomber, elle le retient au bord du gouffre ; elle rêve de voyages, il la rive à son fauteuil. L’un et l’autre se gar-

(4)

cinéma

dent. Ombre et lumière, pesanteur et grâce. L’un n’existe pas sans l’autre. Tout est mêlé. De même que Paul Bellamy ne sera jamais certain d’avoir compris les mobiles du meurtre sur lequel il enquête, de même les sentiments qu’il éprouve envers son frère lui resteront longtemps douloureusement troubles. Et quand Jacques surgit, avec deux jours d’avance, dans la cave, une nuit, comme un rendez-vous qu’on n’attendait pas – pas encore – imposant sa loi, déjouant les règles et l’attente, on se dit que l’inconscient a de ces fantaisies terribles et qu’il faudrait un miracle pour que Bellamy, qui aime son prochain comme lui-même (« un bon flic est un bon Samaritain », aime-t-il à répéter) et déclare aussi haïr son frère comme lui-même, se tire de cette affaire sans y laisser des plumes. Un homme affronte ses doubles, ses démons, en essayant de n’en être pas dupe. Une femme est à ses côtés qui veille et ce miracle s’appelle Françoise (Marie Bunel, merveilleuse).

Et aussi...

Magie et cinéma du 3 au 15 mars à Toulouse où, pour la troisième édition de son festival, la cinémathèque de Toulouse propose plus de cinquante films de Méliès à nos jours avec des œuvres de Murnau, Franju, L’Herbier, Tim Burton, Terry Gilliam, etc., des films récemment restaurés par les principales archives euro- péennes ainsi qu’une passionnante rétrospective

« Kinojudaica-l’image des juifs dans le cinéma de Russie et d’Union soviétique », qui présentera des films russes et soviétiques produits entre 1910 et 1960 dont une par- tie n’a encore jamais été montrée en Europe occidenta- le, occasion de découvrir tout un pan méconnu de la culture juive d’Europe centrale et orientale.

Un colloque permettra de replacer cette production dans une perspective historique. Seront ainsi abordés : – le cinéma des années dix avec la Vie des juifs en Palestine, une des premières œuvres de propagande cinématographique. Très largement diffusé, ce film

(5)

cinéma

produit par une société d’Odessa en 1913 à l’initiative du mouvement sioniste fut retrouvé en 1997 aux archives françaises du film du CNC et restauré à partir du négatif original et des sources écrites provenant de la bibliothèque de Jérusalem pour recomposer les intertitres en français, en anglais et en hébreu… Les films juifs et leur rôle dans l’évolution des genres du cinéma russe des années 1910 ;

– le cinéma de fiction des années vingt-trente avec la Création du mythe d’Odessa ou comment Moïse Vinnitski devint Bénia Krik, Nathan Bekker et la ques- tion du retour dans la culture soviétique juive;

– les usages du cinéma documentaire avec, entre autres, l’itinéraire de Mikhail Romm, cinéaste sovié- tique et/ou cinéaste juif ;

– cinéma et antisémitisme (le cinéma comme outil pour lutter contre l’antisémitisme : l’exemple de la campagne de la fin des années vingt ; le Ciné-Juif en Allemagne, à Hollywood et en Union soviétique dans les années trente ; le cinéma dans la presse yiddish de BSSR dans les années vingt ; représenter l’Holocauste : les Insoumis (1945), Tailleur pour dames (1990), Papa (2004) ;

– les thèmes juifs dans le cinéma soviétique tardif.

Une partie de la programmation sera également pré- sentée à Paris au musée d’Art et d’Histoire du judaïsme le 8 mars et au Mémorial de la Shoah du 15 au 22 mars ainsi que dans les cinémathèques régionales (Nice, Grenoble, Perpignan) et à la Cineteca de Bologne en juillet. Tous les détails du festival sont sur

www.lacinemathequedetoulouse.com.

Boy A de John Crowley. Jack a 24 ans et sort de pri- son où il a passé toute son adolescence… Parcouru de flash-back qui permettent au spectateur de com- prendre peu à peu pourquoi Jack a été emprisonné, Boy A n’est pas un film de plus sur la réinsertion, mais un hymne à la vie – il s’agit pour Jack de retrouver sa place dans le monde, mais comment ? quel chemin emprunter, quel visage montrer, quelle identité, quel

(6)

cinéma

nom ? – incarné par des acteurs épatants et par une mise en scène qui privilégie l’intimité et la vérité des êtres.

Au diable Staline, vive les mariés !de Horatiu Malaele C’est un film roumain truculent, drôle, généreux, poé- tique, excessif. C’est aussi une histoire tragique réelle qui remonte à la dictature communiste, en 1953, à la mort de Staline. On comprend que cette tragédie ait poursuivi le réalisateur, célèbre comédien et metteur en scène de théâtre roumain, au point d’éprouver la nécessité de la porter à l’écran pour faire œuvre de mémoire et de réparation. Horatiu Malaele, dont c’est le premier film, dénonce les horreurs commises par les Russes, et rend un hommage vibrant et une forme de vie à ceux qui l’ont fait naître.

Références

Documents relatifs

Svetla KOLEVA – vice-president of the Balkan Sociological Forum, president of the Bulgarian Sociological Association, Institute for the Study of

DÉLAIS DE STAGE : périodes à compter de la date d’adhésion à la Mutuelle pendant laquelle la garan� e de la Mutuelle n’est pas due (pour certaines catégories de

Le film islandais – BRIM – fait partie de notre gros plan sur une récompense cinématographique qui est, très injustement, un peu moins connue que les Oscars… Chaque année,

Tout cela, bien sOr, n'est possible que par l'apport coopératif de tous ceux, enseignants dans leur classe, travailleurs des chantiers de l'I.C.E.M., membres de

Des cellules qui n’ont jamais été exposées aux UV, sont prélevées chez un individu sain et chez un individu atteint de Xeroderma pigmentosum.. Ces cellules sont mises en

Tout ce qui peut faire obstacle sur les voies biliaires tels que des obstacles au niveau du pancréas ou des ganglions au niveau du hile hépatique, peut se traduire par un

Le présent règlement est constitué de la présentation des tombolas, du cadre juridique, des définitions, des conditions générales de participation, de la durée,

Il est possible que après qu’il est arrivé sur terre, l’homme est retourné dans un état précaire après la disparition après qu’il est arrivé sur terre, l’homme est