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Walter Benjamin et l'image dialectique : l'histoire comme une dialectique des images

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Academic year: 2021

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Submitted on 6 Oct 2020

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Walter Benjamin et l’image dialectique : l’histoire

comme une dialectique des images

Ana-Josefa Lüderitz

To cite this version:

Ana-Josefa Lüderitz. Walter Benjamin et l’image dialectique : l’histoire comme une dialectique des im-ages. Philosophie. Université Toulouse le Mirail - Toulouse II, 2018. Français. �NNT : 2018TOU20063�. �tel-02958522�

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Université Toulouse - Jean Jaurès

Lüderitz F. Ana-Josefa

vendredi 5 octobre 2018

Walter Benjamin et l'image dialectique,

l'histoire comme une dialectique des images

ED ALLPH@ : Philosophie

ERRAPHIS - Équipe de Recherche sur les Rationnalités Philosophiques et les Savoirs

Daniel PAYOT, Professeur des universités, Université de Strasbourg Sébastien LAOUREUX, Professeur des universités, Université de Namur

Cécile LAVERGNE, Maître de conférences, Université de Lille 3 Guillaume SIBERTIN-BLANC, Professeur des universités, Université Paris 8 Emmanuel BAROT, Maître de conférences, Université Toulouse - Jean Jaurès

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Walter Benjamin et l'image dialectique,

L'histoire comme une dialectique des images

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Résumé : Nous avons essayé de définir la notion d'image dialectique et la dialectique au sein de cette image dans l'œuvre tardive de Walter Benjamin. On a travaillé sur une notion qui ne fut pas achevée par son auteur et qui n'apparaît que à travers sa genèse conceptuelle dans l'établissement du concept d'histoire. Nous avons suivi un parcours  retraçant la naissance d'un siècle qui crée des images reproductibles à l'infini. La spécificité de ces productions apparaît à travers la notion de fantasmagorie qui retraduit un moment de la dialectique qui compose celle de l'image. La fantasmagorie exprime au sein des représentations que forge un siècle la part archaïque et devenu mythologique de la superstructure économique de celui­ci. La mémoire, l'expérience et l'imagination semblent produire des représentations figurées des aspirations   autant   utopiques   que   destructrices   d'un   siècle,   et   d'offrir   ainsi   une   image intérieure des productions inhérentes aux mécanismes sociaux à la base du fétichisme, et qui s'expriment comme un inachèvement existentiel permanent. La marchandise apparaît comme la catégorie centrale de ce processus, définissant la finalité du concept d'histoire matérialiste comme un récit de l'émancipation qui cherche à s'opposer à un univers anhistorique devenu infernal, qui est une continuité au sein d'un retour éternel du même d'une catastrophe sociale engendré par l'idéologie du progrès qui lui est associée. La théorie des images dialectiques se pose en tant que perspective politique et théologique, diagnostique et projective, de l'histoire, comme celle d'une mémoire involontaire d'une humanité délivrée, en tant qu'établissement d'une temporalité de l'achèvement comme complétude et de la discontinuité.

Titre en anglais : Walter Benjamin  and  the  dialectical  image, History as a dialectic of images. Résumé en anglais :  We tried to define the notion of dialectical image and the dialectic within this image in Walter Benjamin's late work. We worked on a notion that was not completed by its author and that we only can grab through its conceptual genesis in the development of the concept of history. We followed a journey tracing the birth of a century that creates reproducible images to infinity. The specificity of these productions appears through the notion of phantasmagoria which translate a moment from the dialectic that composes the image's. The phantasmagoria expresses within the representations of a century the archaic and mythological part of the economic superstructure of it. Memory, experience and imagination seem to produce figurative utopian representations as well as destructive representations   of   the   aspirations   of   a   century,   and   to   offer   an   internal   image   of   the productions who belong to the social  mechanisms at  the basis of fetishism,  and which express   themselves   as   an   endless   permanent   existential   incompleteness.  Merchandise appears   as   the   central   category   of   this   process,   defining   the   finality   of   the   concept   of materialist history as a story of emancipation that seeks to oppose to an ahistorical infernal universe,   which   is   a  continuity   as   a   eternal   return   to  the   same   of   a   social   catastrophe generated by the ideology of progress associated with it. The theory of dialectical images arises as a political and theological, diagnostic and projective, historical perspective, as the one of an involuntary memory of a delivered humanity, as the foundation of completion times as completeness and discontinuity. Mots clés en français :  Histoire, Utopie, Expérience, Fétichisme, Marchandise, Mémoire, Catastrophe, Image

Mots  clés  en anglais :    History,  Utopia,  Experience,  fetishism,  Merchandise,  Memory, Desaster, Image.

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Remerciements

Pour commencer je tiens à exprimer ma profonde gratitude à Monsieur Emmanuel Barot qui, en acceptant de diriger mon projet doctoral,  et en suivant celui­ci au cours de toutes ces années, m’offrit la possibilité de mieux saisir quelques   éléments   de   la   pensée   philosophique,   ainsi   que   me   permettre   de d’appréhender ce que signifie un travail d'écriture et de recherche de fond.

Je souhaite remercier spécialement tous ceux qui m'ont encouragée à faire ce travail, et à tous ceux qui m'ont accompagnée le long de ce grand périple, et notamment   sur  sa  fin.   À tout   les  copains   qui  ont  cru   en  moi,  et  qui  m'ont patiemment écoutée, à tout ceux qui m'ont demandé ce que c'était mon sujet de thèse – car sans qu'ils ne s'en aperçoivent ils m'ont obligé à retraduire cette pensée de mille manières compréhensibles à chacun, et ils ont contribué à rendre ce travail plus intelligible pour moi même – j'exprime envers eux tous ma plus grande gratitude et reconnaissance.   Pour finir, je remercie ceux qui ont eu le courage de relire et corriger ma thèse, ils ont véritablement contribué à son intelligibilité. Je remercie du fond de mon   être   Hélène,   Aldo,   Solweig,   J.­B.,   Marie,   Hugo,   et   la   patience   de   M. Giambattista LeFennec. Pour finir je remercie particulièrement, pour sa relecture intégrale et finale, M. Christophe Lehmann. 

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À mes grands­mères et grands­pères, pour m'avoir raconté autant d'histoires.

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Sommaire

Walter Benjamin et l'image dialectique, L'histoire comme une dialectique des images Introduction...6 I. Les images du XIXème siècle...19 1. Les fantasmagories de la marchandise...20 2. La méthodologie de l'histoire comme montage d'images...72 3. Sur l'objet de l'histoire...129 II. Expérience et Histoire...172 1. Les images dialectiques, la remémoration et l'expérience vécue du choc...172 A. L'archaïque, le mythe et l'imagination au sein de l'expérience du rêve...173 B. Image intérieure...204 C. L'expérience vécue du choc et le mécanisme social...245 2. La remémoration comme correspondances, un collectionneur à la recherche des jours notables...269 A. L'allégoriste au regard destructeur...269 B. Méditations sur la marchandise...319 III. La valeur des images pour l'histoire...372 1. Le matérialisme historique se déguise en poupée : Présence d'esprit et politique...373 A. Le jeu du Nain...373 B. L'équivalent philosophique d'un tel appareil : Matérialisme et théologie...401 2. L'intérieur ou les souterrains de la conscience...431 A. De l'intérieur d'une machine à images dialectiques...431 B. Les matériaux des images...446 3. Terminus...496 A. Le sauvetage et le collectionneur...497 B. Le Maintenant de la connaissabilité...520

C.   Image   dialectique   et   perspective   historique :   la   mémoire   involontaire   de l'humanité délivrée...555

Conclusion Générale...613

Bibliographie...636

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Introduction

Qui tente de s'approcher de son propre passé enseveli doit faire comme un homme qui fouille. Il ne doit surtout pas craindre de revenir sans cesse à un seul et même état de choses – à le disperser comme on disperse de la terre, à le retourner […] car les ''états de choses'' se (sic.) sont rien de plus que des couches qui ne livrent qu'après une exploration   méticuleuse,   ce   qui   justifie   ces   fouilles.   C'est­à­dire   les   images,   qui, arrachées à tout contexte antérieur, sont pour notre regard ultérieur des joyaux en habits sobres [...]. Et il est à coup sûr utile, lors de fouilles, de procéder selon des plans. Mais tout aussi indispensable est le coup de bêche précautionneux et tâtonnant dans l'obscur royaume de la terre. [C]apable de montrer le sol actuel l'endroit où l'ancien était conservé. [...] Au sens le plus strict, le véritable souvenir doit donc, sur un mode épique et rhapsodique, donner en même temps une image de celui qui se souvient, de même qu'un bon rapport archéologique ne doit pas seulement indiquer les couches d'où proviennent les découvertes mais aussi et surtout celles qu'il a fallu traverser auparavant.1 Sur l'Histoire et l'image dialectique

L’Histoire   comme   récit  est  la   trace   des  manifestations   partielles  et   totales  d'une civilisation,   qu'elles   soient   écrites   ou   orales.   Ces   empreintes   sont   un   reflet   de   ses balbutiements,   de   ses   tâtonnements,   des  épreuves  de   son  génie,   mais   retracent   aussi   la trajectoire marquée de ses erreurs, de ses fausses illusions, des ses constructions trompeuses. Avec l'histoire se pose la double question centrale d'une tragédie et d'une comédie grecque, celle de la vie et de la mort des hommes, qui n'est autre que la question de l'existence humaine, de sa valeur et de sa destinée. L'homme est à chaque fois présenté par ce récit, et une image de son existence surgit, elle permet de mesurer, de sonder, d'évaluer celui qu'il est devenu, celui qu'il a été, mais cette image présente aussi celui qu'il désire, réalise ou échoue à devenir. L'histoire permet non seulement de garder une trace du passé, mais plus largement elle   permet   de   présenter   des   images   qui   mesurent   ce   passé,   et   qui   de   plus   permettent d'évaluer le présent. 

Benjamin pose la question de l'histoire comme quelque chose qui non seulement ne va pas de soi, mais comme quelque chose qui n'existe pas en soi. Il n'est d'histoire qui ne soit évaluation, interprétation, et donc construction de faits selon des choix méthodologiques, épistémologiques et politiques particuliers. Ici il n'est pas question d'une histoire universelle mais   de   celle   du   morcellement   de   peuples,   de   la   dislocation   sociale,   en   somme   de   la discontinuité d'un récit qui doit pour exister s'affirmer, s'actualiser, et être recommencé à nouveau par chacune de ses générations. Il est nécessaire de réitérer à chaque fois la lourde tache qu'est celle de sonder les valeurs que lègue le passé. Il est ici question, selon Benjamin, pour   les   générations   actuelles   de   révéler   et   de   construire   une   image   qui   reflète   cette évaluation à partir des conditions modernes et évolutives de l'aliénation. L'histoire, dans ces conditions, présente un récit qui actualise la croissante aliénation et les illusion que celle­ci engendre toujours plus profondément et plus imperceptiblement.  L'historiographie matérialiste se doit alors de construire une image qui présente cet état de fait, une présentation qui réussisse à contrer, à détourner et à affirmer autre chose qu'un récit de la perte. L'homme doit cependant y être présenté à l'image de son destin, celui­ci étant autant celui qu'il a construit, mais aussi celui qu'il subit, et pour finir celui qu'il désire construire. L'histoire matérialiste, depuis la perspective de la lutte des classes, pose alors la question de la destinée humaine, positionnement qui doit réapparaître à chaque fois que 1 BENJAMIN Walter, Images de pensée, « Fouilles et souvenirs », Paris, Christian Bourgeois, 1998, p. 181­182.

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recommence le récit qui la raconte ou qui l'actualise. L'histoire devient une tâche pratique, une   destinée   à   accomplir   au   présent,   un   souhait   de   complétude.   L’accomplissement   de l’homme comme être créatif, être de besoins, être contemplatif, être multiple et complexe, en somme être individuel et social, est un souhait à accomplir et non pas un fait nécessaire et encore moins un état de fait. Le devenir de l’humanité, sa construction ou sa destruction, ne prend sens que lorsque l’histoire rappelle qu’elle marque la trace des pas de la marche d’une infinité d’êtres. Pour Benjamin, l’histoire relève d’une instance de décision, qui, à chaque instant s’ouvre  à  cette   infinité  d’existences.  Le  présent   s'offre  comme  une  brèche  par  où  peut s’ouvrir la totalité de l’histoire, et permettre l’accomplissement humain, ou au contraire s'ouvrir encore sur celle de la destruction de l'humanité et de son oubli. Pour Benjamin il semble   possible   tout   autant   de   détruire   l'humanité   et   l'histoire   à   travers   l'oubli   de   la particularité de chaque existence individuelle et collective, comme il apparaît aussi possible de sauver cet instant d'humanité qu'est l'histoire et par lui de réactualiser le récit d'une tradition   d'humanité   rédimée  dans  sa  totalité  en   l'intégrant  à  un  récit  qui   l'accueille,   la sauvegarde et la restitue.

Au centre de cette recherche éclot une notion qui, énigmatique, semble néanmoins réunir   l'ensemble   des   questionnements   et   problèmes   autour   du   concept   d'histoire benjaminien,   l'Image   dialectique.   Cette   dernière   est   ici   étudiée   de   manière   quasi­ chronologique, à travers quelques unes de ses différentes apparitions dans un large corpus de textes principalement de Benjamin. Sa genèse nous apparaît de différentes manières en évoluant depuis les confins d'une théorie de la mosaïque dans l'Origine du drame baroque allemand  aux   fantasmagories   des  Exposés  des  Passages,   jusque   dans   les   brumeuses   et complexes frontières des  Thèses sur le concept d'histoire. Ce très large parcours fut pour nous l'occasion de rendre manifeste ce que signifie la lente et dure gestation d'une notion philosophique au sein de l'œuvre d'une vie de travail théorique, et par là de saisir ce qu'est la difficulté de la création en philosophie.  À travers cette genèse, cette construction, il fut principalement question de tenter de saisir ce que cette notion qu'est l'image dialectique désigne,  celle­ci ne s'affirmant dans le travail de Benjamin  que  vers la  fin de  son développement  théorique  et  seulement  sous forme  de schémas et d'ébauches. Il s'agit d'appréhender, à travers ce parcours, de quelle manière la fonction même de l'image semble refonder la finalité du concept d'histoire. Chez Benjamin l'image transforme l'expression de l'histoire en une présentation figurative, en modifiant en même temps la méthode de construction par laquelle opère le concept d'histoire. Benjamin cherche à fouiller le passé, à sonder celui­ci, et même à construire une forme d'archéologie de ce qui peut être désigné comme les origines des rapports fondateurs et devenus mythiques de la modernité et de l'idéologie du progrès. Il cherche à montrer ces origines et à rendre à travers eux l'image de l'homme qu'ils formulent et inculquent. Il cherche,  à travers une redéfinition de la finalité du concept d'histoire et de sa méthodologie, à rendre manifeste, non   seulement   les   fondements   idéologiques   des   rapports   d'aliénation   inhérents   à   la modernité, mais aussi à reformuler la finalité émancipatrice à la base du concept d'histoire matérialiste,   qui   est   fondée   et   sur   la   question   de   la   lutte   des   classes,   et   sur   celle   du matérialisme historique. 

Le centre de cette recherche est une élucidation du rôle central que joue la forme image dans la redéfinition du concept d'histoire matérialiste. Le concept d'histoire de Benjamin se place donc dans une problématique dialectique constituée par deux pôles opposés, ceux de la catastrophe et de l'utopie. L'image dialectique semble dans un premier temps avoir pour

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fonction principale la réunion, la mise en rapport, avoir le pouvoir de lier ce qui se présente comme constitué de fragments, de contradictions et de réalités disparates. Le rôle de l'image peut être compris comme ce qui permet de saisir l'unité de ce qui est toujours fait de milliers de détails, comme la forme qui permet de voir un dessin fait de millier de petits traits. L'image devient dialectique appliquée à l'histoire, domaine dans lequel il est question d'une mise en rapport qui est dialogue entre éléments, mise en relation qui permet la construction théorique d'une dimension historique interprétative.  L'image dialectique comme fondement logique d'un concept d'histoire matérialiste cherche à créer les possibilités de l'interprétation des faits et de permettre par là de construire du sens historique, de faire consister en somme ce qui permet de parler d'histoire. Il est ici question à travers la notion d'image dialectique d'une mise en perspective de ce qui constitue le paysage d'une réalité, son passé, mais aussi à construire de manière géologique ce qui permet de saisir la complexité de la situation historique du présent, elle permet donc de présenter ce­qui­est à travers le mouvement qui l'a transformé, c'est­à­dire l'autrefois qui l'a nourrit, pour  comprendre ce qu'il est devenu maintenant. Au sein de l'économie théorique du concept d'histoire le rôle de l'image dialectique est tout autant celui de rendre possible une présentation des ruines et des détails, à travers leur matérialité fragmentaire, montrer des morceaux de passé, que de faire d'eux une image, une unité, de les présenter dialectiquement comme un paysage constitué de forces en tension, et   de   rendre   par   là   possible   de   construire,   à   travers   ces   forces   contraires,   une   lecture historique, une évaluation. Pour Benjamin il est question de construire ce qui n'existe pas comme un en soi ni comme une nécessité, c'est­à­dire de constituer cette dimension qui n'est que pure construction, constituer les conditions de possibilité de la dimension historique des faits. Le concept d'histoire benjaminien présenté dans les  Thèses repose sur un fondement logique qu'est l'image dialectique. L'image dialectique est la forme qui fait fonctionner, voire qui permet de faire consister le concept histoire matérialiste benjaminien. Elle est tout autant son fondement politique que son fondement méthodologique.  Sur cette notion qu'est l'image dialectique semble reposer tout autant la présentation des fragments de mémoire que la construction de l'interprétation, c'est­à­dire l'évaluation des faits, le récit historique. Le soubassement théologique et politique du concept d'histoire prend sens à partir du matérialisme historique, en faisant reposer la finalité du concept sur la question de l'émancipation humaine et de son accomplissement. À travers celle­ci l'image dialectique apparaît alors comme l'horizon hypothétique à partir duquel, ou à travers lequel, les faits peuvent être lus et évalués, voir même distingués. L'image dialectique est alors une notion polyphonique, elle permet et de présenter les forces à l'œuvre au sein des différents fragments  de  passé,  mais  elle   représente   aussi  ce  qui   est  recherché  par  la  construction historique elle­même, elle est en somme tout autant le fondement méthodologique de la construction des faits, que la pierre de touche logique entre un concept théorique d'histoire et un projet pratique, politique et utopique d'émancipation humaine. Il nous a semblé alors nécessaire  de  travailler   le  concept  d'histoire   à  travers  l'angle  de  l'image   dialectique,   en comprenant l'histoire de l'image dialectique, chez Benjamin comme ouvrant sur un concept d'histoire qui présente l'histoire comme une dialectique entre images. * Quelques remarques préalables sur le parcours théorique et le choix bibliographique Avant de préciser ce qui constitue le fil conducteur et les principales questions qui composent la présente recherche, on se doit de préciser les quelques difficultés que nous

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avons tenté de surmonter au cours de son développement. Par rapport aux limites de cette étude il est possible au lecteur de se rapporter à la conclusion de cette recherche, dans laquelle il trouvera quelques éléments qui synthétisent la démarche suivie, ainsi que le détail des thématiques et axes de lecture qui n'ont pas été ici abordés, l'ampleur de cette entreprise ne nous a pas permis de parcourir l’entièreté des possibilités qu'elle implique.  Le corpus de textes sur lequel nous avons travaillé est principalement constitué de textes de Benjamin, et ne maniant pas la langue germanique parfaitement, le travail fut d'autant plus ardu. Le corpus principal, qui est constitué de nombreuses traductions au français, soit de Benjamin lui­même, soit de nombreux traducteurs, diverge selon les traductions ou encore selon les version de l'auteur lui­même, et cela même quand les textes sont établis directement en français par l'auteur. L'on a constaté donc des nombreuses différences entre traductions, et des dissemblances entre des textes de Benjamin en français, et entre des textes traduits à plusieurs reprises. Ces divergences furent parfois d'une grande aide puisqu'elles permettent d'ouvrir   des   éventails   notionnels   et   conceptuels   différents   et   vastes,   ce   qui   fait   qu'une difficulté de traduction peut s'avérer fructueuse.  L'ampleur du corpus critique fut aussi une difficulté à surmonter, et pour ce faire nous avons choisi de travailler à partir du grand commentaire de Jean­Michel Palmier Walter Benjamin, Le chiffonnier, l'ange et le Petit Bossu, qui fut une aide précieuse car il contenait des pistes de lecture pour de nombreuses questions et problèmes. Ce texte fut comme une boussole à l'intérieur du labyrinthe parfois chaotique, à première vue, qu'est l'œuvre de Benjamin. La lecture de la contribution de M. Pezzella intitulée  Image mythique et image dialectique transforma   dès   le   début   l'angle   problématique   du   travail   de   recherche.   À   travers   cette contribution l'image dialectique est directement mise en relation avec la question du mythe et des formes archaïques. Ce qui fit en grande partie évoluer le plan de rédaction en faisant apparaître un premier chapitre magmatique duquel se sont ensuite détachées deux parties distinctes, l'une dédiée à la mémoire et  à l'expérience, et l'autre dédiée au rôle et à la signification des expériences de l'enfance et à la mémoire historique. Les différents appareils critiques que constituent quelques éditions françaises bien documentées de Benjamin furent aussi   d'une   importance   cruciale,   tels   que   l'introduction   au  Livre   des   Passages  de   Rolf Tiedemann,  ainsi   que  la  préface  à  Sens  unique  et  les   précieuses  notations  sur  Charles Baudelaire, Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme de Jean Lacoste. On remarque avec ces commentateurs l'importance de la manière dont un texte est traduit et restitué dans une langue différente de celle d'origine. L'on apprécia particulièrement à travers ces appareils critiques la manière dont la compréhension d'une œuvre, ou son incompréhension, influent dans la manière dont celle­ci est traduite.  En ce qui concerne la littérature secondaire de notre bibliographie nous avons tenté de confronter   quelques   unes   des   intuitions   benjaminiennes   à   des   auteurs   comme   Herbert Marcuse et Georg Lukács qui tout deux nous ont permis de nourrir un certain nombre de thèmes qui ne sont pas explicitement développés par Benjamin. Nous remarquons le fait qu'au sein du corpus de Benjamin il y a d’innombrables références implicites qui ne font ni l'objet d'un développement clair ni  celui d'une nomenclature précise, ce qui rend parfois la tâche d’approfondissement semblable à un travail d'archéologue. Parfois il fut nécessaire, en vue de savoir à qui Benjamin faisait référence, de fouiller dans des lettres qui correspondent aux dates d'écriture des textes en question, ou sur des textes très divers et différents, pour finir par tomber sur des éléments, qui, faute de certitude ne sont encore que des pistes, ce qui nous obligea parfois à avancer dans l'obscurité. Ce fut le cas pour Lewis H. Morgan et La société   archaïque  qui   prit   place   dans   notre   corpus   en   vue   de   saisir   plus   clairement   la

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question de la préhistoire et de l'importance de l'histoire orale, mais sans toutefois savoir clairement si Benjamin y faisait explicitement référence. Le cas de la lecture d'une partie du travail de Johann Jakob Bachofen avec Le Droit Maternel était plus facile à placer, Benjamin ayant consacré un petit essai biographique à l'auteur. Cependant ces deux lectures restent néanmoins des approfondissements qui n'ont pas trouvé leur place au sein de ce travail, étant donné   qu'ils   mobilisent   à   eux   tout   seuls   des   ensembles   très   vastes   et   qui   ne   peuvent apparaître dans leur entièreté dans le présent développement. La lecture de Karl Marx fut aussi nécessaire, mais de la même manière il est difficile d'accoler aux textes de Benjamin des développements entiers autour de notions qui appartiennent à d'autres auteurs. Voici quelques unes des raisons pour lesquelles ces auteurs apparaissent soit dans des parties qui leur sont entièrement dédiées, soit qu'ils n'apparaissent finalement que très rapidement au sein des différents développements. Ils sont nécessaires à la lecture et compréhension de certaines idées exposées par Benjamin, mais ce dernier tend à garder très rapidement une forme de distance et d'autonomie par rapport à eux. Néanmoins la littérature secondaire mobilisée nous permit d'éclairer quelques sujets, mais on fut rapidement confronté au fait que la lecture de Benjamin impose ses propres codes, si bien elle implique une foule de lectures annexes qui permettent de comprendre et de situer son point de vue. Pour revenir à la forme du parcours emprunté nous pouvons dire que au début de ce travail de recherche et au cours des premières lectures, avant même d'entamer une première phase de construction de plan, on a été transposé très rapidement dans une forme de réalité à part qui oscille entre des formes très concrètes d'analyse et des abstractions difficiles  à surmonter et à éclairer. Chez Benjamin on est face à une foule d'éléments, de notions, de thèmes et de concepts qui évoluent, et se transforment, sans pour autant donner une vue claire de ce mouvement de métamorphose.  Hormis les problèmes de traduction et le fait de n'être en présence que de la littérature traduite  au français ou les textes français  de Benjamin, on sent  qu'il  y a une foule  de questions et de réponses qui se trouvent dans des textes qui ne sont pas encore traduits, et qui sont restées, pour nous, comme autant de questions posées et de réponses en suspens. Au commencement de ce long parcours on se trouve placé face à nombre de feuillets, de carnets, de   notes   raturées,   de   passages   biffés,   autant   de   préparations   et   ébauches   de   projets   de chapitres de livres différents, qui présentent cette longue élaboration qu'est celle du concept d'histoire. Dans ces écrits il est tout autant question du statut de l'expérience, de la valeur de la   culture,   du   rôle   de   la   mémoire,   du   statut   du   patrimoine   historique,   ainsi   que   d'une redéfinition de la valeur de la tradition.  Cet ensemble se présenta pour nous à première vue comme une recherche dans laquelle Benjamin tente de fournir ce qui permettrait une présentation claire de ce qui constitue l'image que l'homme a de lui­même. On approcha là une première définition de ce qui constituerait l'intérêt de l'image pour l'histoire, et l'intérêt d'une image historique de l'homme pour lui­même. Pour nous Benjamin entamait une forme de présentation de cette image à travers  une   analyse   de   la   production   et   reproduction   culturelle,   et   cette   présentation   se transforma en une analyse politique et historique de la valeur des objets produits par les formes de production qui naissent au XIXème siècle. Les grands bouleversements culturels du   siècle   sont   ce   à   partir   de   quoi   sont   analysées   ses   productions,   de   l'industrialisation sauvage à la consommation démocratisée, des nouveautés techniques au rêves utopiques qu'elles impliquent, de l'idéologie du progrès jusqu'à l'image d'une catastrophe. Ces grands bouleversements du siècle sont étudiés à partir de la question des fondements leurs origines. Il   est   question   ici   de   transformations   profondes   au   niveau   des   modes   de   vie   qui   sont

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comprises   comme   reliés   à   des   modes   de   production   et   de   reproduction   des   conditions matérielles de vie et de survie.  À travers ces transformations apparaît un questionnement sur le contenu et la forme de l'expérience et de celle de la mémoire attachées à l'histoire. À ce stade du parcours de la recherche, nous cherchons à comprendre de quelle manière l'expérience historique émerge à l'image d'une montagnes de décombres d'objets humains et sur une désolation et incapacité presque totale pour celui que l'on désigne comme moderne, en somme la question devient celle de saisir comment retraduire cette affirmation de Benjamin qui est celle d'un homme moderne comme un être mutilé et sans histoire. L'expérience de l'homme dans ces conditions apparaît comme soumise à l'empire de l'objet produit en vue de la valeur d'échange, mais pire encore l'image de l'homme pour lui­même commence peu à peu à disparaître au profit de celle de l'objet vide de sens. Dans ces conditions l'homme perd non seulement son corps social, il perd aussi l'image que le monde lui renvoyait de lui­même, et il est en passe de perdre jusqu'à la capacité même de forger cette image, de perdre son aptitude à la mémoire. On voit  alors apparaître  l'importance d'une expérience  traditionnelle, en  tant  que forme mémorielle crée par le lien social et qui jadis naissait du travail partagé, et des besoins vitaux et inutiles à partager. Cette expérience s'efface, et avec elle se délave l'empreinte du récit qu'elle faisait naître, la mémoire collective et le contenu de son héritage culturel. On aperçoit que pour Benjamin l'ensemble de ce qui faisait persister la mémoire collective est déplacé par l'information, et que l'expérience qui se construisait à partir de l’exercice disparaît peu à peu, ayant perdu le monde qui l’accueillait et qui la faisait refleurir à chaque saison. On est face   à   l'affirmation   suivante :   l'expérience   traditionnelle   non   actualisée,   s'éloigne   des hommes silencieusement, et disparaît de la face de la terre avec les images et les formes de communication que les civilisations ont mis tant de temps à construire. On commence donc notre travail en assumant que l'on est dans un paysage réel et théorique qui traduisent la catastrophe et les conditions de vie d'une modernité désolante, dans laquelle l'expérience, qui est définie comme présence et partage, devient absence, mutisme, et perte de soi. Notre travail se situe en face d'un homme moderne qui est non seulement un être désolé, mais aussi un être sans expérience et sans mémoire, en somme un être sans image de lui­même et donc sans histoire. Après ce terrible constat de départ, devant lequel l'on ne sait pas vraiment ce que l'on peut encore espérer d'un tel travail, on s'aperçoit que chez Benjamin il n'est pas question d'une forme de passéisme à travers lequel il chercherait à revivre le monde du passé et son expérience  perdue. Le  constat  pessimiste  chez lui fait  place  à une  vérité  philosophique fructueuse, l'utopie. Plus on avance dans la lecture de Benjamin et plus on s’aperçoit que les formes d'expérience se transforment et évoluent à l'image des formes de vie, l'expérience et la mémoire apparaissent alors comme des facultés plastiques, certes en danger et en très mauvais état, mais qui peuvent évoluer, être transformées et éventuellement être construites. L'image dialectique appartient à ce registre, elle est tout autant ce qui permet de constater la catastrophe humaine en cours, et de pointer les différents dangers liés aux traditions, que l'horizon utopique à accomplir et à mettre en œuvre en vue de construire une expérience possible, une mémoire collective et en somme recréer les conditions de possibilités qui permettraient de construire cette dimension théorique et pratique qu'est l'histoire, à travers les valeur d'une tradition souhaitée.  Plus en détail, dans cette perspective la méthodologie historique doit alors questionner et définir : les moyens de transmission, les différents origines des produits culturels, ce qui fonde leurs origines, les valeurs retransmises et réactualisées par les différentes traditions, et

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pour finir le type de tradition que les différents héritages culturels permettent de constituer. La   lutte   de   classes   devient   en   ce   sens   une   évaluation   des   différentes   traditions   qui s'affrontent au cours du temps au sein de se qui se construit comme échiquier de l'histoire. La   victoire   de   la   lutte   des  opprimés,  le   butin   de  l'histoire,   doit   reposer   sur   une   forme historique qui puisse s'assurer de ne pas relayer de manière inconditionnelle et non critique les valeurs culturelles de la tradition des oppresseurs, et réussir à construire des valeurs qui naissent de la quotidienneté du partage, du travail créateur, de la lutte, et des souhaits accomplis   de   complétude   de   ceux   qui   cherchent   un   présent   hors   du   domaine   de   la domination, hors de de l'asservissement humain et hors de l'asservissement de la nature. L'image dialectique apparaît comme appartenant à ce paysage politique, elle s'applique à présenter le produit culturel des différentes traditions à l'aune de celle qu'elle cherche à affirmer, celle des sans­noms.  Au centre de ce problème il est question de présenter ce qui constitue en propre les valeurs archaïques et mythologiques de la société moderne redevenue barbare, en incluant à leur évaluation la valeur de ce que constituerait l'expérience d'une tradition qui lui est opposée, et qui est celle d'une humanité rédimée. La construction du concept d'histoire se veut une recherche didactique, une présentation concrète de la vie des hommes à travers laquelle l'historien   doit   pouvoir   produire   des  images  maniables  par   tout   un   chacun,   des  valeurs compréhensibles,   applicables   et   appropriables   par   ceux   qui   composent   une   tradition émancipatrice qui est à continuer. *  Sur l'image de l'homme et le contenu de l'expérience Pour Benjamin ces problématiques et questionnements, ces réalités désolantes et ces formes utopiques, émergent depuis les transformations constitutives d'une époque qui voit naître des modifications radicales au sein de ce qui constitue les rapports de l'homme au monde. La naissance des grandes villes, celle des journaux quotidiens, des allumettes, du téléphone dans les cafés, des expositions universelles, de l'eau et du gaz à tout les étages, la grande industrie, la publicité, la foule, la guerre technicisée, en somme toutes les inventions qui désignent ce que l'on nomme la Modernité. Au cours de cette même époque naissent les passages parisiens, et dans ceux­ci Benjamin trouve en condensé les origines de ce qui, plus tard, s'affirmera comme effets engendrés par ces transformations. Pour Benjamin, dans les Passages, les vitrines se transforment en un espace du clignement, en eux tout devient le reflet d'un regard, et celui­ci   se change en myriade des profondeurs de l'existence des habitants du XIXème siècle. Benjamin nous place dans une réalité dialectique à la croisée d'un

tramway hippomobile et des passants dans la foule naissante, on est témoin des milliers de pas perdus qui rythment la vie de la collectivité morcelée qui habite le siècle de l'apogée du capitalisme.

Entre   les   différents   fragments   qui   forment   le   concept   d'histoire,   Benjamin   nous présente une réalité de collage qui  se  fait jour dans une temporalité de l'enfermement. Il cherche à arrêter le temps de la perte, et à inscrire de l'histoire humaine dans cet écoulement de sens qu'est devenu le récit informationnel inhumain de la vie mesurée par le tic tac des horloges et des sons de cloche qui ne réfèrent plus à des jours de commémoration. Morceau par morceau, pièce par pièce, mot par mot, l'historien cherche à collecter ce qui doit se constituer en image de l'homme. Ce qui lui apparaît, ce sont les marques de rêves et désirs d'un objet qui ne reflète plus une aura, et en eux il retrouve des formes de vécu qui ne reflètent plus une expérience comme exercice, et trouve sédimentée une mémoire vide qui ne

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fait plus que relayer muettement la terrible vérité du siècle, celle d'un monde inerte peuplé d'objets absurdes et destructeurs. 

Au cours de cette lecture l'on peut se sentir comme si l'on émergeait d'un rêve et que l'on s'était   réveillé   dans   un   univers   particulier,   à   la   croisée   entre   plusieurs   siècles   qui   se superposent   et   qui   montrent   une   épaisse   couche   de   temps.   Dans   cet   univers   de sédimentation, le civilisé des villes modernes de plus en plus conscient de lui­même est de plus en plus éloigné de son environnement social, de son espèce, et simultanément, de son côté, la société évolue dans un rêve profond, par lequel elle est devenue une masse amorphe qui se réalise dans sa perte. Dans cet univers, paradoxalement, l'Humanité s'endort face à un monde   surpeuplé   d'expressions   qui   capturent   l'attention   de   l'individu.   La   couche correspondant à la modernité renvoie alors à une représentation de la société et de l'individu qui guide toutes celles des siècles à venir, cette image est celle d'une réalité qui ne rend plus le regard à celui qui la contemple, en substituant à celui­ci l'image vide des marchandises devenues   des   centres   nerveux   témoignant   de   désirs   inassouvissables   au   centre   des préoccupations des individus morcelés du capitalisme. 

Dans cet univers étrange la réalité vécue devient celle d'un monde de brouillard, où pour l'historien   tout   devient   ambiguïté,   fantasmagorie,   illusion,   spectacle,   mais   aussi   réel   et matériel, un témoignage de la perte du monde, de la perte de l'homme et de l’absence d'histoire. Dans cet univers la particularité des choses uniques disparaît et fait place à une crise de la représentation qui traduit un profond ébranlement de la tradition. D'un autre côté, à   l'intérieur   de   ce   monde   irrespirable,   l'histoire   apparaît   alors   comme   ce   qui   doit   non seulement rendre une image et un regard, mais doit pouvoir proposer une issue à cette figure du monde qui devient celle de la perte de l'homme et de la nature. Il est question de trouver une issue à la perte de toute ressemblance entre le monde dans lequel on vit et ceux qui l'habitent. Dans ces conditions la fonction de l'image dialectique est celle de faire place à l'image d'un monde en transformation, qui contient aussi des potentialités émancipatrices. À travers   l'image   dialectique   Benjamin   cherche   une   issue   aux   rêves   fantasmagoriques qu'engendre un siècle, et qui réapparaîtront tant que la mythologie de la modernité et du progrès ne soit pas mise en échec, et donc déjouée par un regard, une image, une expérience, un souvenir qui fasse revivre une tradition des vaincus, et avec eux tout les vaincus.  Dans cet univers, qui est le nôtre, il est question d'une catastrophe qui suit son cours et qui continue son œuvre tant que la tradition des maîtres et des victorieux de l'histoire continue à ériger une culture asservissante, qui accepte de construire une culture sur le servage d'autrui, et qui dicte le poids des valeurs qui déterminent l'étendue de la réalité lisible. Au sein du projet de Benjamin, qui fut un projet partiellement inachevé, l'image dialectique questionne la fonction politique de l'histoire. Dans ce projet théologico­politique que Benjamin légua à la postérité, l'image de l'homme aliéné est confrontée à celle de l'utopie, et donc à la possibilité critique que construit cette mise en perspective qu'est le propre de tout projet politique émancipateur. Pour Benjamin le monde des choses­produites­ pour­être­échangées contre la valeur mutilante de la marchandise, devient un triste rêve d'objets duquel l'enfant du siècle doit se réveiller.  Nous voilà en plein milieu d'un vaste désert brumeux où l'humain perd contact avec le monde, et dont l'image dialectique a pour but de permettre de retrouver un souvenir restaurateur. Un bel enfant dort derrière le buisson épineux des pages suivantes.2 On arrive alors à une analyse qui présente la catastrophe du monde moderne. Cette 2 BENJAMIN Walter, Origine du drame baroque allemand, Paris, Flammarion, 1985, p. 10.

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présentation est celle d'une vue sur sur l'état de délabrement de la mémoire collective, rendant explicite le besoin d'un récit, et celui des actes qui l'accompagnent, et qui soient tout deux capables de fonder une expérience et une mémoire collective. Cet ensemble forme ce qui devrait constituer les matériaux de la tradition de l'humanité à rédimer. La catastrophe consiste à ne pas être en mesure d'évaluer ce que les faits signifient, de pouvoir distinguer entre des traditions qui s'opposent, de savoir discerner entre ce qui construit émancipation et ce qui fonde la destruction de l'humanité. La catastrophe est une forme d'ignorance qui s'ignore   elle­même   et   qui   empêche   tout   changement   possible,   obligeant   l'humanité   à reproduire la perte d'elle­même. La catastrophe moderne est donc celle de ne pas être en mesure de s'approcher d'une expérience qui fasse naître une mémoire de l'émancipation, et qui permette des fondement solides pour l'établissement d'une tradition des vaincus ; la catastrophe est celle de l'immobilisme théorique et pratique que cette incertitude produit. Cependant l'image dialectique réapparaît alors comme le versant utopique de cette même lecture, elle est l'envers de la catastrophe, elle est l'outil de l'ange des  Thèses, qui, sur l'amoncellement des décombres d'histoire, tente de réunir des morceaux, de la même manière que l'image dialectique est ce fondement qui permettrait à l'historien de construire des faits historiques. L'historien benjaminien cherche à faire face au morcellement des peuples, à faire face   au  mutisme,   au   manque   d'expérience,   et   de   faire   face   à   l'amnésie   généralisée   des modernes,   il   cherche   à   construire   un   appareil   théorique   et   pratique   qui   redonne   une possibilité de réalité effective au récit et à l'acte émancipateur. Ainsi entre catastrophe et utopie la question centrale devient celle de comprendre comment dans ses conditions il est encore possible de construire un quelconque récit historique. Ce qui nous place au centre d'un double problème, à savoir, comment, d'un côté, au sein d'une perspective matérialiste il est   encore   possible   que   les   peuples   puissent   construire   eux­mêmes   leur   propre   récit historique, si d'un autre côté l'être individuel et générique qui rendrait possible une telle entreprise émancipatrice apparaît comme ayant perdu ses facultés premières, l'expérience et la mémoire.  Ce qui nous amène à ce qui pourrait être présenté comme l'hypothèse que l'on a tenté de suivre tout le long de ce travail, et selon laquelle l'image dialectique est ce qui permet une issue à une telle impossibilité pratique et théorique. À travers la notion d'image dialectique il est question de trouver un fondement logique au concept d'histoire. Ce fondement doit pouvoir faire place aux deux conditions de possibilités qui permettent de faire tenir debout la question d'un concept d'histoire : d'un côté le concept d'histoire matérialiste doit répondre à une finalité émancipatrice, et d'un autre côté il doit permettre de créer les conditions pour une expérience humaine possible et féconde, qui de surcroît soit féconde pour l'histoire, une expérience qui féconde l'histoire. Cette double perspective est partagée entre les différentes valeurs   et   les   modes   d'évaluation   des   produits   culturels   qui   deviennent   les   questions centrales du problème historique. Définir un concept d'histoire matérialiste signifie trouver ce   qui   fait   valeur   d'autorité,   c'est­à­dire   trouver   ce   qui   permet   d'évaluer   les  faits  et   de retranscrire le produit de cette évaluation de manière durable et féconde au sein d'un récit, d'une mémoire collective, et donc de fonder une tradition. 

Dans cette perspective le matérialisme historique, en vue de son avancée utopique, doit pouvoir fournir un concept d'histoire qui permette d'affirmer et de définir clairement ce qu'est  la   lutte   des  classes,  sa  destinée,   ses  origines  et   pour  finir  la   valeur   du  butin  de l'histoire. L'affirmation de la tradition de opprimés devient un positionnement qui sonde toutes   les   valeurs   mythologiques   sur   lesquelles   repose   la   civilisation   productrice   de marchandises.   La   question   centrale   devient   celle   de   la   valeur   de   ce   qui   constitue   tout

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patrimoine culturel, et plus précisément ce qui permet d'analyser la manière et les raisons par laquelle une société ou une civilisation produit et reproduit son héritage culturel. Au centre de cette recherche s'ouvre la valeur des origines de ce qui fonde tout patrimoine, ce qui fait apparaître les éléments fondateurs des traditions. La question du matérialisme historique se retraduit alors en une question sur la réception des produits culturels, et plus largement sur celle de leur survie et de leur oubli. * Le fil conducteur de notre recherche s'affine autour de la construction d'une théorie de l'interprétation appliquée à l'histoire, et dont la méthode figurative devient un montage d'images qui fonctionne comme « l'art de citer sans guillemets »3. Cet art se rapproche de celui du montage cinématographique, comme un agencement de séquences, c'est­à­dire une composition faite d'images mises en lien entre elles permettant de faire jaillir du mouvement, du sens, et pour finir un récit. Les images dialectiques apparaissent alors comme un point d'interrogation au centre d'un univers morcelé. L'armature théorique du concept d'histoire, présente en images et fragments, ainsi que dans les Passages comme le « commentaire d’une réalité »4, une réalité catastrophique. Le montage d’éléments permet ce que J.M. Palmier

définit comme le « respect de la matérialité des phénomènes »5, ce qui  correspond à la

volonté de sauver ce que les phénomènes ont de particulier et d'élever leur réalité unique au rang de faits historiques. 

Nous nous demandons alors pour commencer comment s'effectue, par le biais de ce montage d'éléments, une présentation de la particularité des phénomènes en vue de faire émerger à partir d'eux leur caractère historique ? Dans les Passages le phénomène étudié, par Benjamin,   étant   l’histoire   de   la   modernité,   il   l'examine   à   partir   de   ses   manifestations culturelles. Rolf  Tiedemann, dans son introduction  au  Livre des Passages,  observe que Benjamin explore la naissance de la modernité à partir de la production massive de déchets qu’elle   engendre :   production   entendue   quasiment   comme   un   phénomène   propre   à   la modernité capitaliste du XIXème siècle6. Enseignes publicitaires, panneaux de signalisation,

affiches, et décors de boutiques, se présentent comme signes historiques qui font ressortir ce qui s'affirme comme des ruines de l'objet qui citent l'histoire, l'histoire de la modernité.  Ces   morceaux   se   détachent   comme   des   reflets   qui   permettent   d'exprimer   via   leur interprétation, l’image de l’être social, et à travers sa la forme d'appréhender l'image de l'histoire, l'image de son histoire.  La méthode du montage est tout autant définie comme « commentaire » que comme « structure » de l’histoire. Est­ce à dire que le récit historique ­ au même titre que le montage cinématographique ­ se construit à partir d’un assemblage d’éléments, ou encore d’une réorganisation d’éléments dans une temporalité particulière, qui recherche à faire émerger une unité ou une pluralité de sens ? Benjamin semble avoir à cet effet réinterprété la dialectique hégélienne et marxiste, qu'il utilise pour analyser les « faits culturels »   dans   leur   « structure   économique »7.   Le   chemin   d’interprétation   de   l’histoire

3  BENJAMIN   Walter,  Paris,   capitale   du   XIXème   siècle,   Le   Livre   des   Passages,  N   [Réflexions   théoriques   sur   la

connaissance, théorie du progrès], [N 1, 10], p. 474. 4 BENJAMIN Walter, Paris, capitale du XIXème siècle, Le Livre des Passages, Premières notes, [O°, 9], p. 854. 5 PALMIER Jean­Michel, Walter Benjamin Le chiffonnier, l’ange et le petit bossu, Paris, Klincksieck,  2006, p. 451. 6  « Benjamin voyait dans le vieillissement accéléré des nouveautés et des inventions issues des forces productives du capitalisme triomphant la marque même de la modernité à ses débuts. C’est elle – la modernité – dont il voulait saisir la physiognomonie intentione recta en partant des phénomènes les plus humbles, en exhibant les haillons et les guenilles, dans un montage de déchets (O°, 36). », TIEDEMANN Rolf, introduction, in BENJAMIN Walter, Paris, capitale du XIXème siècle, Le Livre des Passages, p. 14. 7  « Loin d'être une concession à Brecht et Adorno, la reprise de la dialectique hégélienne et marxiste apparaissait à Benjamin comme un moyen privilégié d’articuler le matériau et son élucidation[...]. Ceci n’implique nullement qu’il en fera

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semble   aller,   de   la   facticité   brute,   c'est­à­dire   du   phénomène   tel   qu’il   se   donne,   à   son élucidation dans le sens d’une « objectivation »8. Cependant, et ceci dans un autre registre,

pour   Benjamin   la   construction   de   l’objet   historique   s’effectue   en   termes   de « constellations »9 ou encore en termes d’« images arrachées au continuum » de l’histoire. 

La fonction de l'image fait resurgir l'intérêt de la pensée du fragment développée dans l'Origine   du   drame   baroque   allemand,  comme   pouvant   peut­être   s'adapter   à   une méthodologie historique, et éclairer la notion d'image dialectique. Il est pour nous question de déchiffrer le concept d'histoire benjaminien, dans ce qui   pour Benjamin fut un  lire l'histoire   en   même   temps   que  montrer  celle­ci10.   Selon   Rolf   Tiedemann,   la   pensée   de

Benjamin cherche à caractériser l’image d’une époque dans ce que la sémiotique n’est pas capable   de   faire   surgir11 :   rétablissant   par   là   l'intérêt   d'une   théorie   de   l’interprétation12.

L’histoire n’ayant pas encore trouvé les signes qui la font exister en termes d’altération et d’effort, on se demande avec J.M. Palmier si les signes qui permettent d'énoncer l'histoire restent encore à être inventés, et si l'écriture de l'histoire, et le décèlement des signes qui correspondent   à   chaque   époque,   correspondent   à   une   tâche   infinie   inhérente   à   chaque époque.

Nous voudrions répondre ou au moins élucider un certain nombre des problématiques en essayant de saisir ce que signifient et ce que l'on peut distinguer, chez Benjamin, comme les   signes   propres   à   une   époque.   Il   s'agit   de   comprendre   avec   quoi   s'accordent   les manifestations historiques, mosaïques partielles du phénomène total et mouvant de l'histoire. Morceaux immobiles et détachés à travers lesquels on découvre une image dialectique qui nous fait pénétrer dans un univers particulier fait de signes, et à travers lesquels on est amené à se demander comment dans les détours des manifestations partielles d’une époque, dans ce qui reste de ces fragments, quelque chose peut prendre corps et sens, pour se former, se condenser, en une image de l'histoire? Ou en d'autres termes,  à quoi correspondent les de même usage que l’auteur de la  Dialectique négative  et que ses intuitions soient conciliables avec le schéma hégélo­ marxiste. Ce qu’il en attend, c’est d’abord un instrument d’élucidation dans la mise en rapports des faits culturels avec une structure économique. », PALMIER Jean­Michel, Walter Benjamin Le chiffonnier, l’ange et le petit bossu, p. 449­450. 8 « L’esprit doit donc parvenir au savoir de ce qu’il est vraiment et objectiver ce savoir, le transformer en un monde réel et se produire lui­même objectivement. C’est là le but de l’histoire universelle. L’essentiel est ici que ce but soit un résultat. L’Esprit n’est pas un être naturel, comme l’animal qui est ce qu’il est immédiatement. L’Esprit se produit lui­même, il se fait lui­même ce qu’il est. Son être n’est pas existence en repos, mais activité pure : son être est d’avoir été produit par lui­ même, d'être devenu pour lui­même, de s’être fait par soi­même. Pour exister vraiment, il faut qu’il ait été produit par lui­ même : son être est le processus absolu. Ce processus, médiation de lui­même avec lui­même et par lui­même (et non par un autre) implique que l’Esprit ce différencie en Moments (Momente) distincts, se livre au mouvement et au changement et se laisse déterminer de diverses façons. »,  HEGEL G.W.F.,  La raison dans l’Histoire,  Introduction à la philosophie de

l'histoire, Paris, Plon, « Bibliothèques 10/18 », 1965, p. 96­97. 9 « L’immobilisation des pensée fait, autant que leur mouvement, partie de la pensée. Lorsque la pensée s’immobilise dans une constellation saturée de tensions, apparaît l’image dialectique. C’est la césure dans le mouvement de la pensée. Sa place n’est naturellement pas arbitraire. Il faut, en un mot, la chercher là où la tension entre les contraires dialectiques est la plus grande. L’objet même construit dans la présentation matérialiste de l’histoire est donc l’image dialectique. Celle­ci est identique à l’objet historique ; elle justifie qu’il ait été arraché par une explosion au continuum de cours de l’histoire. », BENJAMIN   Walter,  Paris,   capitale   du   XIXème   siècle,   Le   Livre   des   Passages,  N   [Réflexions   théoriques   sur   la

connaissance, théorie du progrès], [N 19, 3], p. 494. 10  « L’expression de « livre de la nature » indique qu’on peut lire le réel comme un texte. C’est ainsi qu’on veut ici procéder avec la réalité du XIXe siècle. Nous ouvrons le livre de ce qui a eu lieu. », BENJAMIN, Walter, P.C., p. 481. [N 4, 2] 11 « Aux concepts se substituaient les images, les devinettes et les rébus du rêve dans lesquels se dissimule ce qui échappe aux mailles trop lâches de la sémiotique et qui récompense seul les efforts de la connaissance ; la langue des images du XIXe  siècle représente la couche la plus profondément assoupie de cette époque et celle qui devait s’éveiller avec  Les

Passages. », TIEDEMANN Rolf, Introduction, Paris, Capitale du XIXe siècle, p. 16.

12 « Avoir sans cesse à l’esprit que le commentaire d’une réalité (car il s’agit ici de commentaire, d’interprétation dans les détails) réclame une méthode toute différente de celle appelée par le commentaire d’un texte. Dans un cas, c’est la théologie qui est la science fondamentale, et, dans l’autre, c’est la philologie. »,  BENJAMIN Walter,  Paris, capitale du XIXème

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manifestations d’une époque dans la circularité du chemin qui va du phénomène à la vérité de celui­ci, c'est­à­dire de la manifestation phénoménale d’une époque à l’image dialectisée à laquelle correspond sa tradition ?

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Le travail de développement du concept d'histoire de Benjamin n'a pas profité des bénéfices   du   temps   nécessaire   à   son   achèvement,   laissant   derrière   lui   une   théorie   du matérialisme   historique   sans   réponses   sur   maints   problèmes.   La   théorie   matérialiste   et théologique de Benjamin demeure donc une recherche que nous considérons comme un développement en cours et à l'arrêt. Ainsi que témoigne le titre même du seul opuscule uniquement dédié à la recherche du concept d'histoire, les Thèses sur le concept d'Histoire, le texte est à l'état d'un éternel commencement, à l'état d'affirmation première à l'attente d'un épanouissement.  La   réalité   en   suspens   de   cette   œuvre   rend   son   élucidation   laborieuse, d'autant plus qu'il s'agit de thèses, de fragments et d'ébauches raturés qui représentent autant de déclarations affirmatives, définitionnelles et interrogatives d'une théorie de l'image liée à celle d'un concept d'histoire. Nous tentons de respecter les limites de l'œuvre, de l'image et du concept, qui restent en grande partie à l'état d'ébauches et comme parsemés d'hypothèses. Dans cette perspective, le concept d'histoire, chez Benjamin, ne peut être autre chose qu'une question   posée,   et   non   pas   l'affirmation   d'une   théorie   explicite   et   achevée.  Nous   nous sommes confrontés à une lecture archéologique au cours de laquelle nos petites fouilles font apparaître parfois de vastes profondeurs insoupçonnables, et qui, d'autre fois, se retrouvent sur des zones d'ombre avec des paysages décousus et en pointillés. 

Pour certains commentateurs, Benjamin cherche, par ce que l'on peut nommer une méthode   des   fragments,   à   montrer   l’infiniment   petit   et   à   l’interpréter13.   Que   peut   être

interpréter l’histoire, sinon de la montrer dans l’infiniment petit ? Est­ce dire que Benjamin cherche dans une exposition directe de ce­qui­est, un éloignement délibéré de la présence de la théorie, en affirmant que l’essence des choses se trouve dans les choses mêmes14? La présence crue de la matière à analyser dans certains de ces derniers travaux fait appel au fait qu'il cherche une présence du concret par dessus le théorique15. C'est alors que tout l'intérêt qu'il porte au suranné et aux rêves se révèle comme support d'une proposition théorique et critique autour du concept d'histoire. Ce qu'il désigne par suranné se montre comme un élément   central   dans   la   théorie   figurative   de   l’histoire   permettant,   en   tant   qu'élément principal de la description d'une époque, de faire ressortir son ignorance et de la confronter à une dimension historique et théorique d'elle­même. L’intérêt de la théorie du rêve surréaliste participe, dans l'élaboration de la théorie de l’histoire, à construire ce que Benjamin appelle la figure du Réveil. Cette figure s'avère d'une grande importance pour la constitution de la notion d'image dialectique, et repose sur un acte interprétatif qui permet d'éclaircir ce que Benjamin désigne comme « un savoir non encore conscient du passé »16. 13 « Lorsque le lecteur se sera familiarisé avec l'architecture de l'ensemble, il pourra sans grandes difficultés se plonger dans la lecture des citations et déterminer pour presque chacune d'elles ce qui a pu, en elles, fasciner Benjamin, la fonction qui lui aurait été attribuée dans la construction où se cristallise l'événement total. Il faudra certes que lecteur exerce cette faculté   d'« interpoler   dans   l'infiniment   petit »,   pour   répondre   l'expression   qui,   dans  Sens   unique,  définit l'imagination. »,TIEDEMANN Rolf, Introduction, in BENJAMIN Walter, Paris, capitale du XIXème siècle, Le Livre des Passages, 3e éd, Paris, Les Éditions du Cerf, 2009, p. 12­13. 14  « Benjamin voulait réunir les matériaux et la théorie, les citations et l’interprétation dans une constellation inédite, comparée à toutes les formes de présentations ordinaires : les matériaux et les citations devaient jouer un rôle prépondérant tandis que la théorie et l’interprétation devaient rester ascétiquement à l’arrière plan. », Ibid., p. 12. 15 Ibid., p. 14.

16  BENJAMIN   Walter,  Paris,   capitale   du   XIXème   siècle,   Le   Livre   des   Passages,  N   [Réflexions   théoriques   sur   la

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Le problème central est le statut du matériau des images. À savoir comment les images devenues dialectiques tendent à se poser comme un désir de rédemption, une volonté de salut et de sauvetage historique , et posent à leur tour la question de saisir comment les images se lient au concept, et de quelle manière les images dialectiques sont présentées comme   le   soubassement   théologique   du   concept   d'histoire   matérialiste.   De   surcroît   ces questions nous mènent au problème de savoir de quelle manière sont construites les images dialectiques dans le but et d’accomplir une forme de rédemption humaine et de retrouver une mémoire qui se donne comme le salut retrouvé d'une humanité affranchie. Comment les images dialectiques permettent­elles de construire une théorie de l'histoire matérialiste dans le but de la réalisation d'une tradition qui cherche à s'extraire du phénomène totalisant de la domination et de l'aliénation ?

Nous   commençons   le   présent   développement   en   établissant   l'analyse   du   concept d'histoire, au sein des Passages, via le phénomène du fétichisme. Benjamin tente de saisir à travers une interprétation politique les transformations de l'expérience ainsi que les origines de celles­ci toujours en référence à leur expression économique concrète. Des constellations de rêve aux fantasmagories, le fétichisme apparaît comme ce que les images dialectiques tentent   de   démasquer   et   dépasser.   Nous   nous   demandons   pour  commencer   ce   que  doit devenir le concept d'histoire pour s'appliquer à présenter, évaluer et se détourner d'un tel phénomène destructif ? Ce qui fait apparaître ce qui pourrait être établi comme les origines des   représentations   d'un   siècle   qui   se   donnent   peu   à   peu   comme   le   reflet   d'univers sémantiques et symboliques. Benjamin tente de les caractériser et de les analyser, ainsi que de les présenter à travers des images. En un deuxième moment l'on creuse la question de la mémoire, en vue d'éclaircir celle du statut de l'expérience. À l'aide des conceptions du rêve surréaliste, dont Benjamin tente de démasquer le caractère mythologisant, et auxquel il fait se joindre une double théorie de la remémoration proustienne et baudelairienne, on entame un parcours autour de la proposition d'une forme particulière de mémoire, la mémoire involontaire. À travers elle, il est question d'un méditatif moderne, qui se trouve face aux débris du monde des marchandises et à une catastrophe infernale. Le méditatif évalue les ruines d'objet sous la forme allégorique, forme ambiguë   proche   de   celle   qu'est   devenue   l'objet   changé   en   marchandise.   Comment   se construit la théorie des images dialectiques via la conception d'une remémoration qui, tout en évaluant le phénomène des ruines de la modernité, les fait se joindre à un récit de l'héritage culturel d'une tradition en termes de mémoire et de souvenir ? À cette dimension s'ajoute pour finir une nouvelle dimension, qui s'offre comme ce qui dans le dernier chapitre du présent travail est distingué comme une dimension théologique et politique du concept d'histoire. La dimension théologique du concept apparaîtra reliée à une temporalité et à une mémoire historique. Elles influencent ensemble l'établissement de la théorie du concept d'histoire liée au matérialisme historique, ainsi que les conditions de son applicabilité. L'expérience, et son lien au cultuel, est présentée comme participant d'une forme   séculière   du   théologique,   dans   laquelle   le   souhait   s'affirme   comme   proximité   et réalisation.

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