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La Grippe. «Mon Dieu, Monsieur a encore l air bien fatigué! Monsieur le préfet vous demande au téléphone.»

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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La Grippe

La nuit était tombée. Le vieux docteur Louis laissa le domestique rentrer l’automobile au garage. Il ouvrit la porte et entra dans le vestibule. La bonne vint à sa rencontre.

« Mon Dieu, Monsieur a encore l’air bien fatigué ! Monsieur le préfet vous demande au téléphone. »

« Le préfet. Bien. »

Il lui donna son chapeau et son pardessus, et se dirigea vers le téléphone.

« Docteur Louis ? Je vous passe le préfet tout de suite. »

« Allô docteur ? Alors, quoi de neuf ? »

« Deux morts de plus, monsieur le préfet. »

« Deux morts de plus ? Ça fait beaucoup. Beaucoup trop de morts. Surtout pour un aussi petit village. Comment s’appelle-t-il déjà ? »

« Lafrimbolle, monsieur le préfet, Lafrimbolle. »

« Lafrimbolle, écoutez-moi ça, c’est un nom pour la fête, pas pour les enterrements. Rien ne va plus ! »

« Rien ne va plus, monsieur le préfet. »

« Et, vous en savez plus sur cette maladie ? »

« Rien de plus. C’est une infection des voies respiratoires, qui peut se compliquer en pneumonie, et parfois en méningite. La fièvre peut monter très vite, et la mort venir en quelques jours. »

« C’est tout ? Comment explique-t-on ça ? »

« Je ne me l’explique pas. Je vous renouvelle ma demande, ma prière, d’envoyer ici des spécialistes plus compétents que moi pour qu’ensemble nous puissions comprendre cette maladie, et peut-être l’endiguer avant qu’elle fasse de nouveau morts. »

« Oui, bien sûr. J’y pense, croyez-moi. Et surtout pas un mot aux journalistes. Bonne soirée docteur. »

Le docteur Louis raccrocha le combiné.

« Monsieur, le repas est servi. »

« Merci, Claire. Vous pouvez aller vous coucher, je me débrouillerai bien. Dites à Lucien qu’il peut disposer, lui aussi. »

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Le docteur Louis entra dans la salle à manger. Il se versa un grand verre de vin. Il s’assit, commença à manger. La pensée de l’épidémie de Lafrimbolle ne le quittait pas.

***

Quelques jours plus tard. La nuit était tombée. Le docteur Louis revenu juste de Lafrimbolle.

« Monsieur le préfet, si l’épidémie sévissait dans tout le pays comme à Lafrimbolle, elle aurait déjà fait autant de morts que la Grande Guerre en quatre ans. »

« Oui, bien sûr, pauvre Lafrimbolle. »

« Et avec la mort d’un conseiller municipal, ses collègues ne resteront pas silencieux devant la presse. »

« Vous en êtes sûr ? »

« Bien sûr ! Ces gens ne vont pas se regarder mourir en silence. »

« Écoutez, Louis, j’appelle le directeur du service départemental d’hygiène. On ne peut pas laisser mourir ces gens-là. Je vous rappelle aussitôt après. »

Comme tous ces soirs, Claire avait servit le repas dans la salle-à-manger. Le docteur Louis attaquait une cuisse de poulet quand le téléphone sonna.

« Allô Louis. Le docteur Boulangie, directeur du service départemental d’hygiène, viendra demain accompagné de deux autres médecins à Lafrimbolle pour examiner la situation. Je vous serai reconnaissant de vous tenir à leur disposition. »

« Cela va sans dire, monsieur le préfet. »

« Je savais pouvoir compter sur vous. Bonne nuit, docteur. Et courage ! »

***

« C’est qu’il est bien faible. »

« Bien fiévreux aussi. »

« Et bien maigre. »

« Cachexie, forte fièvre, une maladie consumante. À quoi pensez-vous, chers collègues ? »

« C’est qu’il a fait si froid le mois passé. Et puis on est v’nus au bout de nos provisions. »

Les quatre hommes se retournèrent. La femme, entre deux âges, était adossée au mur de la pièce.

« On est tous bien fatigués, va, même quand on n’a pas la maladie. »

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« Mais bien sûr. Une maladie, peut-être banale, agissant sur des organismes affaiblis. »

« Fièvre, infection respiratoire, avec complication possible en pneumonie ou en méningite ? »

« La grippe ? »

« Mais voyons, le tableau que nous venons de voir, l’état de ce malade, ce n’est pas la grippe ! »

« Rappelez-vous la grippe espagnole. La grippe peut tuer. »

« Mais la grippe espagnole s’est répandue dans le monde entier. Ici ce n’est que Lafrimbolle. »

« La grippe sévit aussi dans les campagnes alentour. La question n’est pas pourquoi que Lafrimnole, mais pourquoi à Lafrimbolle plus qu’ailleurs. »

« Retenons l’hypothèse. Mais grippe ou pas, que pouvons-nous faire dans l’immédiat en l’absence de diagnostic certain ? »

« Demandons au préfet de faire livrer à chaque famille une caisse d’agrumes, du pain et de la viande. Que reste-t-il comme provisions dans le village ? »

« Oh, les gros ils ont toujours. Nous, les petits, on a des fois un fond de tonneau de choucroute ou de navet râpé, quelques pommes-de-terre, parfois bien abîmées par le gel. On a acheté ce qu’on a pu, tant qu’on avait de l’argent. Et puis le bois, on a tout brûlé, on envoie les gamins ramasser du bois mort en forêt, mais ça suffit à peine à maintenir tiède. »

« Entendu. Je vous enverrai ce soir quelques provisions pour votre famille, et nous verrons avec le préfet ce que nous pouvons faire pour le village. Messieurs, je ne sais pas s’il est nécessaire de rester plus longtemps. Revenons donc chez moi. Vous êtes bien sûr mes invités pour la durée de votre séjour. »

***

« Lucien, vous prendrez dans le garde-manger des saucisses et du lard, et deux miches de pain.

Vous irez les porter à l’adresse que je vais vous indiquer. Vous prendrez la voiture. Je crois que nous avons du bois pour plusieurs années ? »

« Oui, monsieur. Nous avons bien une réserve pour quatre ou cinq ans. »

« Bien. Vous garderez ce qui est nécessaire pour l’hiver prochain. Et vous ferez emmener le reste demain à Lafrimbolle pour le distribuer. Vous demanderai à la femme que vous verrez ce soir de vous indiquer les familles qui en ont le plus besoin. Et maintenant le préfet. »

Il se dirigea vers le téléphone.

« C’est vous, docteur. Quoi de neuf ? »

« Une bonne nouvelle tout d’abord : pas de nouveau décès aujourd’hui. Mais plusieurs malades sont mal en point. Nous n’avons pas encore de certitude quant à l’identité de la maladie. Par contre, nous partageons une conviction : après les froids de février, les villageois ont épuisé leurs provisions tant

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de nourriture que de bois de chauffage, et c’est en raison de la malnutrition et de la difficulté à se chauffer que la maladie revêt une forme aussi grave. Il suffirait de distribuer à chaque famille un cageot d’agrumes, du pain, de la viande, ce qu’on peut trouver de légumes, et du bois de chauffage, pour enrayer l’épidémie. »

« Je… C’est que je ne sais pas... »

« C’est possible dès demain ? Si dès demain les villageois ont accès à une nourriture riche et peuvent se chauffer, je vous réponds que dans trois jours l’épidémie sera enrayée. »

« Vous croyez ? »

« Bien sûr. Personne ne comprendrait que vous refusiez une si petite obole lorsqu’elle peut sauver des vies humaines. Faites-nous prévenir demain matin pour que nous puissions organiser la répartition. »

« Je... »

« Tous mes remerciements, monsieur le préfet. Bonne soirée, monsieur le préfet. Claire ! »

« Oui, monsieur. »

« Ces messieurs seront mes invités le temps de leur séjour... »

« J’avais deviné, monsieur. Leurs chambres sont prêtes. Le temps qu’ils s’installent, le dîner sera servi. »

« Vous êtes une perle, Claire. »

***

Un soleil d’après-midi d’hiver brillait au-dessus de Lafrimbolle. La voiture du préfet, suivie d’un convoi de camions de l’armée, s’arrêta devant la mairie. Le docteur Boulangie, directeur des services d’hygiène départementaux, le docteur Koestel, le docteur Meyer, médecin

d’arrondissement de Sarrebourg, et le docteur Louis, accompagnés du maire de la commune, les accueillirent.

Tandis que s’échangeaient les déclarations protocolaires d’usage, le docteur Louis s’approcha de l’officier commandant le convoi, et lui remis une carte et une liste. Sans attendre, les camions s’éloignèrent. Le docteur Louis rejoignit le groupe qui entourait le préfet.

« … n’ai pas invité la presse finalement. Mais il est encore temps. »

« Ne vous inquiétez pas, monsieur le préfet. Vous pourrez probablement annoncer demain que nous tenons le diagnostic de la maladie, et dans deux ou trois jours que nous l’avons enrayée. Autant ne pas nous étendre sur ce qui pourrait attirer l’attention sur le dénuement qui règne encore dans certaines campagnes françaises. »

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Le maire pria le monde d’entrer dans sa mairie et envoya un gamin chez lui chercher quelques provisions de dessous les fagots. Un quart d’heure plus tard, la femme du maire et son aîné arrivaient les bras chargés d’une miche de pain, d’un pâté de la veille et d’eau-de-vie de prune.

Le docteur Louis s’esquiva discrètement pour faire la tournée de ses malades. Il vit à qui les provisions qui avaient commencé à être distribuées donneraient les forces nécessaires pour

surmonter le mal, et qui était déjà trop affaibli. Il repassa par la maison où il s’était attardé la veille avec ses collègues. L’homme avait la nuque raide, le regard fixe et vague, une forte fièvre.

« Il va s’en tirer, docteur ? »

« Faisons ce qu’il est possible. Faites du jus avec les orange qu’on vous a apportées, ajoutez du sucre, et donnez-lui à boire plusieurs fois par jour. Pour les repas, du bouillon gras, et selon ce qu’il peut avaler de la viande hachée et des légumes en purée. Mettez des pommes-de-terre dans sa purée, ou si vous n’en avez plus du pain mouillé par du bouillon. Il faut lui donner de l’énergie pour que son corps résiste à la maladie, sans alourdir sa digestion. »

Il continua sa tournée.

« Alors, comment vont vos malades, docteur ? »

De retour à la mairie, le préfet l’apostrophait, un peu éméché.

« Avec ce que nous leur avons donné, la plupart vont reprendre des forces et guérir. Je reste inquiet pour deux ou trois qui sont très affaiblis. Nous verrons ces prochains jours. »

***

Deux moururent le lendemain. Les autres se rétablirent peu-à-peu. Les nouvelles personnes atteintes ne présentaient que des symptômes banals.

« Tout cela ne serait donc qu’une simple grippe ? »

Le docteur Boulangie regardait dans le creux de sa main s’agiter le porto qu’il avait fait venir de Metz au cœur d’un verre ventru.

« Probablement, comme ailleurs aux environs. Pourquoi avec une virulence toute particulière à Lafrimbolle ? Nous l’ignorons. »

Les docteurs Kœstel et Meyer opinèrent du chef.

Dans Le Matin du 17 mars 1929 :

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Une commune de la Moselle décimée par une épidémie

METZ, 16 mars. - Une épidémie, dont la cause n’est pas encore exactement définie, sévit dans le petit village de Lafrimbolle, à l’entrée des Vosges lorraines, dans l’arrondissement de Sarrebourg. Sur une population de 350 habitants, on a enregistré, en quelques jours, 14 victimes.

Le préfet de la Moselle a chargé le directeur des services d’hygiène départementaux de se rendre sur place avec plusieurs praticiens, afin de rechercher les causes de cette épidémie. On a constaté un cas de méningite cérébro-spinale. L’école est fermée.

Dans La France de Bordeaux et du Sud-Ouest :

C’EST LA GRIPPE

qui frappe la commune vosgienne de Lafrimbolle

Metz, 18 mars. - Nous avons signalé l’épidémie qui sévissait sur la commune de

Lafrimbolle. Quatorze de ses habitants sur une population de trois cent cinquante quatre habitants en furent victimes.

Le docteur Boulangie, directeur du service départemental d’hygiène, et le docteur Koestel se sont rendus à Lafrimbolle, accompagnés du docteur Meyer, médecin d’arrondissement de

Sarrebourg, pour y procéder à l’enquête prescrite par M. Geny, préfet de la Moselle. D’ores et déjà, ils ont conclu à une épidémie de grippe infectieuse accompagnée de pneumonie telle qu’elle a régné, peut-être avec moins d’intensité, dans d’autres régions du département.

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