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Sa devise souhaitait «une mort très rapide de l ennemi», et c est là une devise que s est fréquemment

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(1)

Par Richard Mayne, CD, Ph. D.

S a devise souhaitait « une mort très rapide de l’ennemi », et c’est là une devise que s’est fréquemment répétée le 1

er

 Escadron de l’Aviation royale du Canada (ARC) durant la bataille d’Angleterre. Un total de 27 pilotes de l’ARC ont pris les commandes des appareils de cet escadron durant les 53 jours où il a été opérationnel dans le ciel du sud de l’Angleterre, en 1940

1

. Au cours de cette période, les pilotes du 1

er

 Escadron ont déposé des rapports signalant 30 aéronefs ennemis détruits, 8 probablement détruits et 35 endommagés, alors qu’ils combattaient pour endiguer la vague de bombardiers et de chasseurs de la Luftwaffe cherchant à forcer le Royaume-Uni à se soumettre entre le 10 juillet et le 31 octobre 1940

2

. En répudiant la supériorité aérienne de la Luftwaffe et en empêchant ainsi l’invasion de la Grande-Bretagne (opération SEALION), les forces alliées participant à la bataille ont remporté de haute lutte une position défensive qui a finalement permis de contrecarrer l’assaut des Allemands qui avait déferlé sur l’Europe de l’Ouest. Mais pour la jeune force aérienne du Canada, qui a vu le jour seulement 16 ans plus tôt en tant qu’organisation professionnelle, le sang versé durant la bataille d’Angleterre a eu son importance, car il a marqué les premiers véritables pas vers la maturité de l’ARC

3

. Il a eu son importance pour d’autres raisons aussi. Le présent article soulignera non seulement la contribution du 1

er

 Escadron faite il y a 75 ans, mais il expliquera également pourquoi la commémoration de ses actions est importante pour le Canada ainsi que pour l’ARC d’aujourd’hui.

MDN

« Mort très rapide de l’ennemi » :

Le 1 er Escadron de

chasse de l’ARC et la

bataille d’Angleterre

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Dans les années qui ont immédiatement précédé la Seconde Guerre mondiale, le 1er Escadron a participé à des entraînements types en temps de paix4. Cet entraînement prenait la forme de séances de pilotage général et de simulations de combat aérien, ainsi que de séances d’instruction portant notamment sur la radiotélégraphie et les communications air-sol, sol-air et air-air, et d’exercices d’attaques terrestres. Tout cet entraînement a permis de commencer à préparer l’escadron en vue d’une guerre en Europe, guerre que de nombreuses personnes soupçonnaient d’être à l’horizon en 19385. À l’instar de nombreux pays procédant alors à un réarmement, le Canada a vu ses dépenses en matière de défense augmenter, à un point où l’ARC a été en mesure de moderniser l’escadron. Après être déménagé à Calgary, en Alberta, en 1938, tandis qu’il était sous le commandement du commandant d’aviation E. G. Fullerton, le 1er Escadron a ensuite été transféré au Commandement aérien de l’Ouest où, au début de l’année suivante, il a enfin échangé ses biplans Siskin désuets pour des chasseurs Hurricane modernes6.

En août 1939, il était manifeste que la guerre était inévitable, et l’escadron a donc déménagé vers l’est, à Saint-Hubert, au Québec, le mois suivant. Après l’attaque de la Pologne par l’Allemagne au début de septembre, alors que l’Europe faisait face à un conflit à grande échelle, l’escadron a été immédiatement placé sur un pied de guerre. Comme aucun ennemi ne menaçait directement le territoire canadien, le 1er Escadron a passé le reste du mois de septembre et le mois d’octobre à poursuivre son entraînement, en procédant notamment à des exercices de tir réel à Trenton, en Ontario. À la fin d’octobre, le 1er Escadron s’est rapproché doucement d’un théâtre d’opérations, alors que les préparatifs étaient en cours en vue du déménagement à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

La plupart des aéronefs de l’escadron sont arrivés durant la première semaine de novembre. En plus de poursuivre l’entraînement, l’escadron a commencé à mener des convois et à faire des patrouilles de reconnaissance maritime, pour répondre aux premières inquiétudes voulant que des sous- marins allemands et des unités de surface de la Kriegsmarine puissent à n’importe quel moment faire leur apparition au large des côtes de l’Amérique du Nord7.

Peu de temps avant de déménager à Halifax, l’escadron a vécu un changement qui allait avoir d’importantes répercussions sur la bataille à venir dans le sud de l’Angleterre. Le 1er novembre 1939, le commandant d’aviation Ernest A. McNab a pris le commandement. Ce fut un bon choix. Né à Rosthern, en Saskatchewan, McNab était le fils d’un ancien lieutenant-gouverneur de la province.

Après avoir obtenu un baccalauréat ès sciences (en génie civil) de l’Université de la Saskatchewan, McNab s’est enrôlé dans l’ARC en 1926. Il a reçu son brevet de pilote et une commission d’officier deux ans plus tard, ayant suivi l’entraînement au vol de la Réserve pendant ses études. Avant le début de la guerre, il avait donc déjà acquis beaucoup d’expérience en tant qu’instructeur, pilote spécialisé en levé aérien photographique et même membre de la très qualifiée équipe de voltige aérienne des Siskin. Deux années dans un programme d’échange à la fin des années 1930 lui ont également permis de se familiariser considérablement avec l’armée de l’air britannique, la Royal Air Force (RAF)8. Comme l’a observé un célèbre historien de l’aviation : « On pourrait voir la presque totalité de la carrière d’avant-guerre d’Ernie McNab comme une préparation à diriger le premier escadron de l’ARC sur un terrain de bataille9. » [Traduction] Il s’agit en effet d’un portrait exact, puisque le leadership de McNab a été essentiel pour aider l’escadron à surmonter ses difficultés de croissance et à passer son baptême du feu.

Ce baptême est arrivé plus tôt que quiconque l’avait prévu. Au départ, le gouvernement avait prévu envoyer en France la 1re Division de l’Armée canadienne, qui se trouvait alors au Royaume-Uni, en même temps que le 110e Escadron de l’ARC, arrivé en Angleterre en février 1940. Une autre unité de coopération d’armée (le 112e Escadron) ainsi que des chasseurs suivraient à une date ultérieure10. Toutefois, la guerre-éclair des Allemands a surpris les alliés. La France s’est rapidement retrouvée au bord de la défaite après que les pays des basses terres d’Europe se furent effondrés sous le poids de l’avancée de

E. A. McNab

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la Wehrmacht. Avant même cette éventualité, le haut-commissaire du Canada à Londres avait informé les Britanniques que son gouvernement était impatient d’apporter son aide, sous quelque forme que ce soit. Leur réponse fut simple : la Grande-Bretagne espérait « la possibilité de mettre à sa disposition un escadron de l’Aviation royale du Canada avec ses avions et son personnel, et une dotation, si possible, de seize appareils [aéronefs] au départ11. » Un seul escadron pouvait faire l’affaire, et Ottawa a répondu le 21 mai 1940 qu’il enverrait, le plus tôt possible, le premier escadron de chasse de l’ARC, avec tous les chasseurs Hurricanes disponibles, soit 14 au total. Il était entendu que le Royaume-Uni devrait fournir des renforts au besoin, puisqu’il n’existait pas d’installations d’entraînement opérationnel au Canada12.

Le souhait du gouvernement d’envoyer immédiatement vers l’Europe le 1er Escadron était compréhensible, surtout parce que la France avait capitulé peu de temps après l’échange de ces messages. Les pertes du Fighter Command de la Grande-Bretagne pendant la bataille de France ont été importantes, se chiffrant à quelque 453 chasseurs de la RAF et 362 pilotes de combat13. Comme on s’attendait à ce que les Allemands tournent dorénavant leur attention vers la Grande-Bretagne, le 1er Escadron a été rapidement déployé outre-mer pour aider une aviation royale britannique passablement malmenée à défendre sa patrie. Il s’agissait d’un geste noble, mais qui comportait des risques, puisque certains se demandaient si le 1er Escadron possédait des ressources suffisantes et était suffisamment préparé pour un combat réel.

Ces craintes étaient bien fondées. Des années de compressions entre deux guerres ne pouvaient être effacées en une seule nuit. En toute justice pour le gouvernement, les dépenses militaires n’avaient pas la cote entre les deux guerres mondiales, et l’augmentation constante du budget de la force aérienne, qui s’élevait à 11,5 millions de dollars (ou le tiers des crédits de défense pour 1937-1938) pour l’aviation militaire, était trop peu trop tard. Rien n’illustre mieux cette période sombre que le concept voulant que le manque de matériel et de ressources fasse paraître l’ARC comme rien de plus qu’un regroupement de « pilotes de brousse en uniforme14. » [Traduction] Naturellement, l’augmentation soudaine de l’aide financière et du soutien offerts par le gouvernement fut une bonne nouvelle, mais le vice-maréchal de l’Air G. M. Croil, tout premier chef d’état-major de la force aérienne, a remis ces largesses en perspective quand il a candidement admis « qu’il était impossible de tirer le meilleur parti de l’augmentation soudaine et relativement importante des revenus additionnels15. » La raison, selon Croil, c’était que des augmentations de cette nature devaient se faire graduellement. Les problèmes liés aux infrastructures, à l’entraînement et aux normes s’appliquant aux pilotes, au personnel navigant et à l’équipe au sol, ne pouvaient être corrigés en une seule nuit ou en lançant de l’argent à l’aveuglette. Bâtir, ou plus précisément rebâtir, une force aérienne après les grandes compressions de 1932, alors que les dépenses militaires avaient été considérablement réduites, demandait du temps16. Toutefois, c’était là un luxe que personne ne pouvait se permettre devant la menace posée par un État nazi expansionniste.

D’autres facteurs jouaient aussi contre le 1er Escadron. Bien entendu, le manque de matériel moderne posait un problème. Bien que l’acquisition des chasseurs Hurricanes fût une nette amélioration par rapport aux avions Siskin, le fait que l’ARC ne puisse à l’origine équiper de mitrailleuses que cinq de ses aéronefs était le signe d’une force aérienne désespérément mal préparée pour la guerre17. En outre, au moins un pilote a confié qu’il était mal à l’aise avec l’idée de se battre contre l’ennemi avec « un escadron mal équipé et mal entraîné18. » Le fait que le 1er Escadron ne disposait pas au départ de suffisamment de personnel pour appuyer des opérations en temps de guerre n’a pas aidé non plus. Alors que ses effectifs se composaient en septembre 1939 de 5 officiers et de 72 aviateurs, le 1er Escadron a pris une expansion rapide en « absorbant », dans les derniers jours de mai 1940, le 115e Escadron, une unité de réserve auxiliaire basée à Montréal, ajoutant ainsi 8 officiers et 86 militaires du rang à son tableau de service19. Si ces ajouts ont été bien accueillis, cette fusion soudaine a également apporté son lot de problèmes, puisque cette unité auxiliaire était dotée d’avions d’entraînement et de bombardiers légers, ce qui signifiait que ces membres n’avaient pas d’expérience de combat. Autrement dit, l’escadron était bien loin de posséder le niveau de compétence requis pour la suite des événements20. Pire encore, la fusion des deux escadrons ne fournissait toujours pas suffisamment de personnel pour combler les besoins. Par conséquent, il a fallu aller chercher d’autres aviateurs parmi les escadrons de bombardiers de reconnaissance basés dans les Maritimes (8e Escadron, 10e Escadron et 11e Escadron), en plus de 83 personnes d’un dépôt des effectifs de Toronto21. L’ARC avait réuni suffisamment d’officiers et d’aviateurs pour former un escadron de chasse opérationnel. Ils sont tous montés à bord du navire Duchess of Atholl pour le voyage transatlantique vers le Royaume-Uni.

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L’ajout de personnel en provenance d’autres unités a aidé à donner à l’escadron une composition pancanadienne, mais l’absorption du 115e Escadron a certes augmenté la contribution du Québec. En effet, 42,8 p. 100 des 27 pilotes qui ont pris les commandes d’appareils du 1er Escadron venaient du Québec, comparativement à 28,5 p. 100 de l’Ontario, 17,7 p. 100 de l’Ouest, et 7 p. 100 des Maritimes22. Ces statistiques peuvent varier légèrement si l’on examine l’escadron dans son ensemble. À partir d’un effectif déclaré de plus de 300 officiers et aviateurs en juin 1940, les Québécois formaient toujours la plus grande composante provinciale avec 35,2 p. 100 de l’effectif se réclamant de la belle Province, alors que 31,2 p. 100 des membres de l’effectif affirmaient que leur résidence principale se trouvait en Ontario, 3 p. 100 au Manitoba, 9,5 p. 100 en Saskatchewan, 5.2 p. 100 en Alberta, 3,95 p. 100 en Colombie- Britannique, 6,5 p. 100 en Nouvelle-Écosse, 4,6 p. 100 au Nouveau-Brunswick et un peu moins de 1 p. 100 à l’Île-du-Prince-Édouard23.

La donnée statistique sans doute la plus intéressante concernant l’escadron était son âge moyen, qui était de 25,4 ans. La situation témoignait de la variété des expériences au sein de l’escadron, avec d’une part des recrues, comme l’aviateur Max William Blakney, âgé de 18 ans, et d’autre part des personnes possédant une expérience d’avant-guerre considérable, comme l’adjudant Sydney Collins, âgé de 48 ans24. L’âge des pilotes également variait. McNab, par exemple, était âgé de 34 ans au début de la bataille, mais il n’était pas le plus vieux. Cette distinction appartenait au lieutenant d’aviation de 38 ans Gordon MacGregor, qui, comme un observateur l’a si justement fait remarquer, « œuvrait dans un métier où 25 ans était considéré comme un âge avancé pour le stress physique des vols de combat. Gordon MacGregor a montré à quel point les théoriciens se trompaient »25 [traduction]. Bon nombre des autres pilotes dépassaient également l’âge moyen de l’escadron. Paul Pitcher, membre du 115e Escadron en septembre 1939, a expliqué que la plupart d’entre eux étaient des professionnels ou des hommes d’affaires à la fin de la vingtaine ou au début de la trentaine, certains mariés, et tout à fait conscients de la validité de la philosophie d’alors voulant que « l’âge idéal pour un pilote de chasse durant la bataille d’Angleterre soit de 19 ans; passé cet âge, on devenait plus sensé26. » [Traduction]

Bien que la composition raciale de l’escadron n’ait jamais été entièrement analysée, selon les politiques de recrutement de l’époque, la grande majorité, voire la totalité, de l’unité aurait été formée de blancs. De même, d’autres études seraient nécessaires pour comprendre les antécédents religieux de ceux qui ont servi au sein de l’escadron pendant la bataille; toutefois, un rapide examen des dossiers personnels des pilotes laisse entendre qu’ils étaient pour la plupart des protestants. En ce qui concerne sa composition sociale, il semble qu’un large éventail de Canadiens, de diverses situations économiques, sont entrés au service de

42.8%

Québec

35.2%

Québec

31.2%

Ontario Alberta5.2%

Manitoba3%

Pilotes Effectif des unités

Saskatchewan9.5%

3.95%

Colombie-BritanniqueNouvelle-ÉcosseNouveau-Brunswick6.5% 4.6%

>1%

l’Île-du-Prince-Édouard

28.5%

Ontario 17.7%

Provinces de l’Ouest

Maritimes7%

« L’ÂGE IDÉAL POUR UN PILOTE DE CHASSE DURANT LA BATAILLE D’ANGLETERRE ÉTAIT DE 19 ANS;

PASSÉ CET ÂGE, ON DEVENAIT PLUS SENSÉ. »

« L’ÂGE IDÉAL POUR UN PILOTE DE CHASSE DURANT LA BATAILLE D’ANGLETERRE ÉTAIT DE 19 ANS;

PASSÉ CET ÂGE, ON DEVENAIT

PLUS SENSÉ. »

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l’escadron. Cependant, en grande partie en raison de l’afflux de militaires provenant du 115e Escadron, les pilotes venaient surtout de familles influentes de Montréal, fait qui explique probablement pourquoi le 1er Escadron a été nommé d’après un secteur prospère de la ville, quand il est devenu l’escadron « Ville de Westmont »27.

Alors qu’un bon nombre des pilotes provenaient de familles canadiennes prestigieuses, d’autres étaient issus de familles types aux moyens plus modestes. Toutefois, peu importe leurs origines, ces hommes sont devenus solidaires au moment de se préparer à se battre pour leur pays. En effet, on a rapporté qu’ils semblaient de bonne humeur, alors qu’un officier a même déclaré qu’ils chantaient leurs propres adaptations de chansons populaires au moment de débarquer sur un navire annexe après que le navire Duchess of Atholl eut fait escale à Liverpool. Voici un exemple de ce qu’ils chantaient :

From the shores of Canada we have come (depuis les côtes du Canada nous sommes venus) To put old Hitler on his bum (pour mettre ce vieux Hitler sur le derrière)

We’ll take the thug, and flatten his mug (nous prendrons le truand et lui casserons la figure) We’re Canada’s fighter squadron (nous sommes l’escadron de chasse du Canada).

REFRAIN

Away, away with plane and gun (de très loin avec avions et fusils) Here we come, Number One (nous voilà, le 1er Escadron)

Seeking the Hun [Germans] to put on the run (cherchant les Allemands pour les mettre en fuite) We’re Canada’s fighter squadron (nous sommes l’escadron de chasse du Canada)28.

Même si elles sont humoristiques, ces paroles montrent clairement le désir de l’escadron de prendre part au combat.

Il restait encore à déterminer si le 1er Escadron était prêt ou non à livrer combat quand il est arrivé à son premier aérodrome, Middle Wallop, où il a rejoint le 10e Groupe du Fighter Command de la RAF. Il s’agissait d’un secteur relativement sûr s’étendant à l’ouest du secteur où le 11e Groupe entrerait dans la bataille, une bonne zone pour tenter de donner forme à l’escadron novice. Cet effort a rapidement reçu

MDN

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l’assistance du maréchal en chef de l’Air, Sir Hugh Dowding, commandant de l’aviation du Fighter Command, venu pour accueillir le 1er Escadron au Royaume-Uni le 25 juin 1940. Dowding a été impressionné par les Canadiens. Après avoir rencontré ses pilotes, il a dit à MacNab qu’ils étaient « très bien »29. Il les a ensuite informés des nouvelles tactiques et pratiques de vol nées de quelques dures leçons apprises au combat.

Ces pratiques, a-t-il expliqué plus tard, différaient de celles auxquelles ils étaient habitués au Canada30. En demandant quel était le niveau de compétence atteint par l’escadron, Dowding a été surpris d’apprendre que les pilotes du 1er Escadron pilotaient des chasseurs Hurricanes non modifiés, lesquels, même s’ils avaient survécu au torpillage du navire qui les avait amenés, ne disposaient pas des plus récentes mises à niveau dont bénéficiaient les avions de la RAF. Cela faisait d’eux des avions désuets pour le combat que Dowding dirigeait31. Homme au caractère incroyable et faisant preuve d’un grand leadership, Dowding a informé l’escadron qu’il avait pris des dispositions pour leur obtenir au moins quelques nouveaux chasseurs Hurricanes. Il a tenu parole. Avec ses chasseurs Hurricanes d’origine faisant l’objet de travaux de réassemblage et d’autres déjà en état de voler, l’escadron a été ravi de voir arriver une poignée de nouveaux aéronefs peu après la promesse faite par Dowding32.

La toute première tâche à l’ordre du jour de l’escadron consistait à s’organiser et à s’habituer à un théâtre de guerre opérationnel. Les membres de l’escadron ont eu droit à un « congé de débarquement », mais seulement 30 p. 100 des membres de l’unité à la fois étaient autorisés à sortir de la station. Ceux qui sont demeurés sur place se sont occupés notamment à déballer et à assembler le matériel, à régler des questions d’administration, et à monter les tentes et les baraquements où ils logeraient. D’autres nécessités ont également été mises en place, comme le transport motorisé, les services médicaux et dentaires, de même que les infrastructures administratives et de soutien qui seraient essentielles pour répondre aux besoins de l’escadron en Grande-Bretagne. Les pilotes s’affairaient également à effectuer de nombreux vols de reconnaissance et d’essai pour se familiariser avec les environs. Peut-être plus important encore, les membres du 115e Escadron ont eu l’occasion de faire leur premier vol à bord d’un chasseur Hurricane.

Comparativement au North American Harvard et au Fairey Battle qu’ils avaient pilotés au Canada,

MNFAC

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le chasseur Hurricane leur a offert une expérience entièrement différente et plus sophistiquée33. D’autres nouveaux pilotes comme Dal Russel, qui est entré au service de l’escadron le 28 mai 1940, étaient prêts à abréger leur congé pour connaître aussi cette expérience34. C’est également durant les premières étapes de son déploiement que le 1er Escadron a pu avoir un avant-goût de ce que signifiait être présent dans une zone de guerre, quand une sirène de raid aérien s’est fait entendre dans la nuit du 27 juin, suivie « d’un chapelet de bombes lâchées à proximité de la station35. » [Traduction] Il devait sans doute sembler irréel d’entendre les bruits de la guerre pour la première fois; cette chose allait devenir plus habituelle à mesure que l’escadron se rapprocherait de l’action. Le 4 juillet, le 1er Escadron a été réaffecté à Croydon, tout juste au sud de Londres, puis transféré au 11e Groupe.

Il restait encore beaucoup d’entraînement à faire avant que le 1er Escadron devienne opérationnel.

Toutefois, un peu comme à Middle Wallop, la priorité de l’escadron était de s’ajuster à une nouvelle station, tandis que les pilotes effectuaient des vols de reconnaissance au-dessus du secteur afin de se familiariser avec la zone entourant Croydon36. Toutefois, deux autres événements troublants sont survenus le 11 juillet, événements qui une fois de plus ont confirmé le fait que l’escadron n’était pas encore prêt pour le combat.

Le premier événement a été le plus troublant des deux. Le tout a débuté quand un chasseur Hurricane du 1er Escadron a été approché par un chasseur de la RAF dont le pilote, après avoir volé de façon agressive autour de l’avion canadien, a fait un signe de la main indiquant à ce dernier de se poser immédiatement.

Le problème, c’est que le dessous de l’aéronef du 1er Escadron était toujours peint selon l’ancien schéma des couleurs, soit une moitié en blanc et l’autre en noir, mais que cette façon de faire avait été abandonnée par crainte que les Allemands utilisent des avions capturés durant la bataille de France pour créer de la confusion. Selon les ordres, l’aviateur de la RAF aurait été en droit d’abattre le chasseur Hurricane canadien;

heureusement, il a fait preuve de prudence. À la suite de cette rencontre, l’escadron a été cloué au sol jusqu’à ce que ses aéronefs aient été repeints et aient reçu les nouveaux signes distinctifs de l’unité. Ce processus a demandé cinq jours (du 12 au 17 juillet), après quoi le 1er Escadron a reçu un nouveau schéma de couleurs et le préfixe « YO », suivi des lettres A à Z pour identifier chacun des avions37.

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Le deuxième incident est survenu le 11 juillet lors d’une visite à Croydon par le colonel d’aviation G. C. Walsh, qui était l’officier supérieur de l’ARC au Royaume-Uni. Lors de cette visite, McNab a avisé ce dernier que le commandant d’aviation du 11e Groupe, le maréchal de l’Air Keith Park, était apparemment disposé à employer le 1er Escadron dont l’entraînement n’était pas suffisant dans le cadre d’opérations en situation d’urgence. Walsh était troublé par ce qu’il entendait. Le 1er Escadron progressait de façon satisfaisante, mais son entraînement était nettement insuffisant pour qu’il mène des opérations de combat. Walsh jugeait que seulement 9 des 21 pilotes s’approchaient du niveau de compétence requis pour survivre à la Luftwaffe38. Plus tard, Park apaisera les craintes de Walsh en lui expliquant que quelqu’un avait dû mal renseigner McNab, puisqu’il n’était pas question d’utiliser le 1er Escadron avant qu’il soit prêt au combat.

Park était sans aucun doute sincère. La bataille d’Angleterre commençait tout juste ce que de nombreux historiens allaient plus tard décrire comme étant la première phase (10 juillet au 11 août), lors de laquelle la Luftwaffe tentait d’attirer la RAF dans un combat au-dessus de la Manche en lançant une série d’attaques d’exploration contre les ports et les convois locaux39. Pendant que la RAF menait la Kanalkampf, ou bataille de la Manche, l’entraînement du 1er Escadron s’intensifiait et devenait de plus en plus opérationnel. Il fallait en apprendre beaucoup en peu de temps; les membres de l’escadron ont été déployés par groupe pour suivre des cours de radiotélégraphie et d’attaque à la station Uxbridge de la RAF et, tandis qu’ils étaient dans les airs, ils s’entraînaient au tir, à la reconnaissance, au vol en formation, aux tactiques, aux pratiques d’attaque et aux interceptions. Bien évidemment, l’équipe au sol devait suivre son propre entraînement, dont une partie consistait en des cours donnés par les entreprises Hawker et Rolls Royce.

Cet entraînement était donné de façon à ce que les militaires se familiarisent avec les exigences en matière de maintenance des chasseurs opérationnels Hurricane40.

Alors que le début des opérations auxquelles allait participer l’escadron approchait, McNab fit deux choses qui ont prouvé sa valeur en tant que dirigeant. Premièrement, dans le but de mieux préparer ses pilotes, il se rendit à la station de la RAF à Northolt le 5 août 1940 afin de prendre personnellement des dispositions pour que ses pilotes soient entraînés par l’Air Fighting Development Unit [Unité de perfectionnement dans les combats aériens]. Deuxièmement, puisqu’aucun membre de l’escadron n’avait vécu une situation de combat réel, McNab fut affecté au 111e Escadron de la RAF afin qu’il puisse effectuer des sorties de vol opérationnelles. Ces sorties allaient lui permettre d’acquérir de l’expérience de combat avant de conduire ses propres hommes au combat.

Selon un récit historique :

Lorsqu’il s’est rendu compte que le leadership dans les airs ne s’acquiert qu’à la dure école de l’expérience, le commandant du 1er Escadron [McNab] a judicieusement décidé de suivre un apprentissage avant de devenir chef de formation. Dès le premier « spectacle », il s’est montré digne de ce poste, et son affectation à titre de commandant au combat des ardents Canadiens a ainsi été justifiée41. [Traduction]

En effet, McNab s’est bien acquitté de ses fonctions, puisqu’il a été le premier à abattre un ennemi au nom du 1er Escadron, soit un Dornier Do 215, le 15 août 1940, au-dessus du Kent42. Le compte rendu de combat rédigé par McNab décrit cet affrontement de façon saisissante :

J’étais Blue 2 et j’ai décollé à 15 h 30. J’avais pour ordre de patrouiller Beechy Head. Deux bombardiers ennemis DO 215 ont été repérés en formation serrée, et j’ai mené une attaque par l’arrière en tirant une courte rafale sans effet apparent avant de rompre l’engagement. Lors de l’attaque que j’ai menée après la première rafale, l’artilleur arrière a cessé le feu, et l’aéronef ennemi a commencé à perdre de l’altitude. Je l’ai suivi en tirant. Ses moteurs ont commencé à produire de la fumée, puis il s’est écrasé sur un sol marécageux, à l’ouest de Westgate-on-Sea. Comme je n’avais plus de munitions, je suis retourné à ma base et j’ai ravitaillé mon aéronef en carburant43. [Traduction ]

E. A. McNab

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Le récit de McNab est intéressant du fait qu’il rend compte du peu de munitions dont les chasseurs disposaient à cette époque, car il n’en avait suffisamment que pour réaliser deux passages. Dans cette situation, il les a utilisées judicieusement. Après deux sorties supplémentaires avec le 111e Escadron le jour suivant, il est revenu dans son propre escadron afin de le conduire au combat44.

Chaque jour, le 1er Escadron s’approchait du moment où il allait devoir combattre. En effet, pendant que les pilotes recevaient leurs instructions à Northolt, l’aérodrome de Croydon se faisait bombarder par une formation de Messerschmitt Me 110. À leur retour, ils ont constaté que les quartiers de la section de l’armement et la salle des rapports avaient été détruits et que deux membres de l’équipe au sol avaient subi des blessures légères45. On a signalé que l’attaque même était une erreur, puisque les Me 110 ont pris Croydon pour Kenley, aérodrome situé à quatre miles [6,4 km] au sud. Néanmoins, cette attaque était le résultat d’un changement apporté aux tactiques allemandes. Lancée trois jours plus tôt, l’opération Adlertag (jour de l’aigle) mettait fin aux attaques au-dessus de la Manche pour mettre l’accent sur la destruction des sites radars de la RAF dans le but d’aveugler cette dernière. Peu après, une tentative a été réalisée pour immobiliser au sol le Fighter Command en détruisant ses aérodromes46.

Alors que la bataille s’intensifiait, il était finalement temps pour le 1er Escadron de devenir opérationnel.

Le 16 août, le contrôle de l’escadron est officiellement passé des mains de l’autorité administrative canadienne au Royaume-Uni (Walsh) à celles de la RAF. Le jour suivant, l’escadron a quitté Croydon pour Northolt, où il s’est engagé dans la bataille à titre d’unité de combat47. Ses premières incursions opérationnelles étaient relativement calmes, ayant été appelé à procéder à des décollages immédiats un certain nombre de fois sans engager le combat avec l’ennemi. Malheureusement, la première fois que l’escadron a fait feu et qu’il ne s’agissait pas d’un entraînement, un incident de tir ami s’est produit.

Cet événement a débuté le 24 août au moment où l’escadron a décollé sur alerte en raison d’une vague de bombardiers allemands en approche que l’on croyait en direction de la station du secteur Tangmere.

En réalité, la formation se dirigeait vers Portsmouth. À 10 000 pieds [3 048 mètres] d’altitude, l’escadron empressé de l’ARC a repéré trois aéronefs qui volaient à environ 2 000 à 4 000 pieds [610 à 1 220 mètres]

plus bas. Les aviateurs de l’ARC croyaient avoir affaire à des Junkers Ju 88, alors qu’il s’agissait en fait de Bristol Blenheim britanniques48. L’erreur en soi n’était pas déraisonnable, car le bimoteur Blenheim a en commun certaines caractéristiques avec le Ju 88. Cependant, quelques instants après le début de l’attaque, McNab a remarqué l’une des différences clés de l’aéronef, soit la tourelle centre-supérieure, absente du bombardier allemand. Il a ainsi immédiatement reconnu des forces amies et a ordonné aux aéronefs de rompre l’engagement. Il était déjà trop tard. Dans le cadre d’une évaluation après incident, on a déterminé que les pilotes de l’une des sections n’avaient pas entendu les ordres de McNab et avaient cru à tort que les fusées éclairantes des Blenheim, lesquelles avaient été utilisées pour signaler qu’ils étaient des aéronefs amis, étaient des balles traçantes ennemies. Ainsi, un des Blenheim a été abattu, tandis qu’un autre s’est écrasé.

Bristol Blenheim (gauche) et un Ju 88

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La confusion est fréquente dans une situation de guerre. En effet, la RAF avait subi un accident semblable au cours des premiers jours de la guerre lorsque deux chasseurs Hurricane avaient été abattus par des Spitfire, ce qui avait causé le décès de la première victime de guerre de l’aviation britannique49. Bien entendu, cette situation était une mince consolation pour les pilotes de l’ARC touchés par l’incident mettant en cause les Blenheim. L’expérience, selon un rapport ultérieur de McNab, a bouleversé ces pilotes :

Le stress mental vécu par les pilotes des deux sections a été une punition bien plus sévère que toute punition physique, puisqu’il est difficile de savoir que l’on est responsable de la mort de deux camarades. Il a fallu beaucoup de temps à ces officiers pour s’en remettre50. [Traduction]

L’incident a également touché McNab puisqu’il a écrit qu’il s’agissait « du moment le plus négatif de ma vie »51 [traduction], et, même si cet événement a sans aucun doute été difficile à supporter, l’escadron a néanmoins fini par se ressaisir et poursuivre ses opérations.

C’était certainement nécessaire, puisque deux jours après l’incident de tir ami, le 1er Escadron a remplacé temporairement une unité épuisée de la RAF à North Weald52. Décollé sur alerte peu de temps après avoir atterri ce matin-là, le 1er Escadron a effectué une autre sortie dans l’après-midi. Le premier véritable affrontement avec la Luftwaffe a eu lieu lors de cette dernière sortie et, mis à part le succès remporté par McNab avec le 111e Escadron neuf jours auparavant, c’est alors que le 1er Escadron a remporté ses premières victoires en tant qu’unité. Ces victoires n’ont toutefois pas été remportées sans contrepartie.

En effet, après avoir été guidé vers une formation de 25 à 30 Do 215, l’escadron s’est jeté sur l’ennemi et a détruit trois de ses aéronefs et en a endommagé trois autres. Les tirs croisés intenses des Allemands ont causé l’atterrissage forcé de deux chasseurs Hurricane du 1er Escadron (ceux pilotés par McNab et le lieutenant d’aviation J. P. J. Desloges), lesquels ont plus tard été radiés. Un troisième aéronef a été complètement détruit, entraînant la mort du lieutenant d’aviation R. L. Edwards53.

La mort d’Edwards fut un événement important. En effet, c’était la première fois que l’escadron avait à composer avec la perte d’un camarade aux mains de l’ennemi et il s’agissait du premier décès d’un membre de l’ARC en service au sein d’une unité de vol canadienne survenu au combat. Originaire de Cobourg, en Ontario, Edwards a dû lutter avec acharnement pour entrer au service de l’ARC à titre de pilote. Au départ, sa candidature avait été refusée parce qu’il détenait un diplôme de l’Université de Toronto ès arts plutôt qu’un diplôme en génie, une exigence obligatoire à l’époque. Edwards a présenté une nouvelle candidature dès qu’il a appris que l’ARC avait adouci cette exigence précise. Cependant, même si son diplôme ès arts était dorénavant accepté, trop de temps s’était écoulé et il a présenté une nouvelle candidature quelques semaines après avoir dépassé l’âge d’entrée maximale pour les pilotes qui était de 25 ans. Décrit comme une personne confiante et sympathique, Edwards ne s’est pas déclaré vaincu. Il a écrit au commandant d’aviation en chef de l’ARC, le commodore de l’Air Croil, pour lui expliquer ceci :

« Je ne vous demande pas un emploi. Je vous demande de m’accorder la chance de poursuivre l’unique carrière que je désire par-dessus tout54. » [Traduction] Ça a fonctionné. À l’été 1938, on lui a finalement permis d’entrer au service de l’ARC à titre de pilote.

Edwards a bien réussi au sein de la force aérienne, fait sur lequel on a insisté dans la lettre de condoléances adressée à sa jeune épouse par le ministre de la Défense nationale pour l’air, Charles Power.

Malheureusement, à la fin de la guerre, Power aura écrit des milliers de lettres semblables, mais, pour ce premier cas, il a non seulement reconnu le « vaillant courage et les grandes compétences » [traduction]

d’Edwards, mais il a également exprimé le regret qu’une « carrière si prometteuse se termine dans de telles circonstances55. » [Traduction] Selon la presse de l’époque, les Canadiens étaient tout aussi fiers d’Edwards56. En effet, alors qu’il pilotait son aéronef à côté de McNab, qui dirigeait son escadron et venait tout juste d’abattre un des Do 215, Edwards a ouvert le feu sur sa propre cible. Il se trouvait à courte distance de la cible, et après que son tir a déchiré la queue de l’aéronef de sa victime, il a lui-même été touché pour ensuite suivre le Do 215 dans sa descente vers le sol57. Ce fut une mort héroïque, et la presse était ravie de souligner ce fait en particulier, puisqu’il n’est pas mort en vain. Lors de ce raid, la formation allemande a été si ravagée (d’autant plus après que d’autres escadrons ont terminé ce que le 1er Escadron avait commencé) qu’elle a dû rebrousser chemin avant de pouvoir attaquer sa cible58.

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Le 1er Escadron est rentré à Northolt, mais il a connu peu d’action au cours des quatre jours suivants.

Cela ne veut pas dire que l’escadron s’ennuyait pendant cette période, puisqu’il était souvent en état de disponibilité opérationnelle, et même si souvent que l’enterrement d’Edwards, qui a eu lieu le 30 août, a malheureusement coïncidé avec quatre décollages sur alerte. L’accalmie relative dans les combats fut de courte durée. En effet, le 31 août, un groupe de Me 109 a mené une attaque dos au soleil et s’est jeté sur le 1er Escadron alors que ce dernier effectuait une patrouille au-dessus de Dover. Cette rencontre malencontreuse fut repérée par les contrôleurs du 11e Groupe, qui ont tenté de rappeler les Canadiens. Il était trop tard, et l’escadron ne s’en est pas bien tiré. Seulement deux aéronefs ont réussi à mettre l’ennemi dans leur viseur, et s’en sont suivies de rapides rafales qui n’ont donné aucun résultat. Les Allemands, quant à eux, ont réussi à abattre trois chasseurs Hurricane, et les lieutenants d’aviation V. B. Corbett et G. G. Hyde ont subi des brûlures au visage, aux mains et aux jambes, tandis que le lieutenant d’aviation W. P. Sprenger s’en est tiré sans blessure grave59.

Heureusement, le 1er Escadron s’est vu offrir l’occasion de prendre sa revanche plus tard dans la journée.

Ayant décollé sur alerte à 17 h 30, un second groupe formé d’une cinquantaine de bombardiers escortés a été intercepté au-dessus de Gravesend. Même s’il était compliqué de naviguer au milieu d’intenses tirs antiaériens « amis », l’escadron a tout de même accompli une interception réussie. En effet, les lieutenants d’aviation B. E. Christmas (souvent appelé « lieutenant d’aviation Xmas ») et T. B. Little ont abattu deux Me 109 et le lieutenant d’aviation R. Smither en a endommagé un troisième. Le succès ne s’est pas arrêté là. Deux bombardiers ont également été abattus. Le lieutenant

d’aviation J. W. Kerwin s’est attribué le mérite d’avoir détruit un Do 125, et un aéronef endommagé a été attribué au lieutenant d’aviation B. D. Russel.

Cependant, cet affrontement ne s’est pas fait sans sacrifice. Le lieutenant d’aviation Desloges, ancien officier de la Gendarmerie royale du Canada qui était entré au service de l’ARC en octobre 1937, a dû sauter en parachute parce qu’il avait subi de graves brûlures60.

Le rythme opérationnel s’intensifiait manifestement, présage de ce qui allait se produire. Toutefois, un semblant de routine s’installait rapidement. Par exemple, au cours de la première semaine de septembre, l’escadron a décollé sur alerte trois fois en 24 heures, et ce, à quatre reprises, « aux heures habituelles de 9 h, 12 h et 17 h » [traduction], selon le journal des opérations61. Les autres jours de la semaine, il a décollé sur alerte au moins une fois, et tous ces décollages

immédiats ont abouti à l’engagement de deux escadrons, à l’abattage de trois aéronefs ennemis, à l’abattage probable de deux autres aéronefs ainsi qu’à l’endommagement de 11 autres aéronefs. La semaine avait été bonne. Ces réussites furent toutefois ponctuées de revers; en effet, l’escadron a perdu l’un de ses aéronefs (dont le pilote, le lieutenant d’aviation Kerwin, a survécu, mais au prix de graves brûlures), tandis qu’un autre chasseur Hurricane a été gravement endommagé et qu’un troisième a été radié.

La peur d’être brûlé était constante chez la plupart des pilotes, voire la totalité d’entre eux. Ils en étaient plus terrifiés que la mort même. En effet, la douleur intense et la défiguration qui en résultent laissaient souvent des cicatrices physiques horribles et permanentes, ainsi que d’extrêmes traumatismes psychologiques. Les médecins ont constaté que Kerwin, qui avait subi des brûlures au deuxième degré aux mains, aux cuisses et à l’avant-bras droit, manifestait une anxiété considérable lorsqu’il entendait des bombes ou des tirs près de l’hôpital où il était en convalescence. Pire encore, il souffrait de cauchemars dans lesquels il revivait constamment « l’expérience d’être abattu et d’être incapable de sortir de l’aéronef62. » [Traduction] Il vivait également la frustration, ressentie par nombre de pilotes, de ne plus pouvoir combattre et d’être relégué à des tâches secondaires ou à une maison de convalescence. Il était encore plus difficile pour ces pilotes qui revenaient au Canada d’avoir parfois à faire face à la réaction de citoyens qui n’étaient pas prêts à voir les cicatrices horribles laissées par la guerre. Pour les premières victimes de graves brûlures du 1er Escadron (quatre au total), leur périple a commencé quand elles ont été déclarées « indisponibles », après quoi elles ont été affectées au 112e Escadron de coopération d’armée de l’ARC. Toutefois, cela ne signifiait pas toujours la fin de leur carrière de combattant. Kerwin, par exemple, a recommencé à effectuer des vols opérationnels. Malheureusement, il n’a pu tromper la mort une seconde fois quand son aéronef a percuté une montagne alors qu’il servait dans le cadre de la campagne des îles Aléoutiennes.

J. P. J. Desloges

MDN

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Un autre changement aux tactiques de la Luftwaffe est survenu au cours de la deuxième semaine de septembre, même si on ne s’en est pas rendu compte immédiatement. Tout a commencé avec un bombardement mal dirigé survenu plus tôt dans une zone fortement peuplée de Londres, qui, à son tour, a donné lieu à un raid de riposte sur Berlin par le Bomber Command de la RAF. D’un point de vue tactique, le raid de la RAF, relativement modeste, a donné peu de résultats. Cependant, sa valeur stratégique était incommensurable.

Les attaques allemandes contre le Fighter Command se faisaient durement sentir. Hitler, indigné du raid sur Berlin, voulait une revanche. La nouvelle offensive visait essentiellement Londres, et le 1er Escadron a remarqué un changement quand on leur a ordonné de protéger Northolt le 7 septembre. L’escadron était quelque peu étonné lorsqu’il a repéré un important raid réunissant quelque 200 aéronefs ennemis au-dessus de Londres. Ils voulaient aider, mais les défenses du secteur, qui ne s’étaient pas rendu compte que quelque chose de nouveau se tramait, ont refusé de les libérer de la défense de la station, puisqu’ils croyaient que leur propre aérodrome pouvait toujours faire l’objet d’une attaque63.

Deux jours plus tard, le 1er Escadron a finalement eu l’occasion de participer à la défense de Londres. L’espace de bataille avait toutefois changé puisque les Allemands adoptaient de nouvelles tactiques pour s’adapter au changement de cibles. Les bombardiers allemands étant maintenant des actifs stratégiques, les chasseurs devaient s’en tenir près pour les protéger. Cela empêchait ainsi la Luftwaffe de jouir de l’avantage tactique dont ses chasseurs bénéficiaient lors des raids antérieurs sur les aérodromes et les stations radars quand ils pouvaient manœuvrer de façon plus indépendante. Avec une formation d’escorte dorénavant attachée aux bombardiers et une autre à proximité, les Me 109 perdaient l’une de leurs plus grandes forces. Ne pouvant exploiter leur capacité à plonger rapidement au milieu des formations britanniques et à remonter pour s’échapper à une altitude relativement sécuritaire, les Me 109 se trouvaient subitement en situation de vulnérabilité64.

Cette vulnérabilité était évidente au cours de la deuxième semaine du mois. Le 9 septembre, l’escadron a reçu l’ordre d’intercepter un groupe de bombardiers approchant de Londres et, en essayant de tirer avantage de l’altitude, il s’est heurté à l’écran de protection formé par les chasseurs allemands. Le résultat fut positif : le 1er Escadron a réussi à détruire un Me 109 et à en endommager trois autres, contre un seul chasseur Hurricane perdu (le pilote de cet appareil a réussi à s’échapper, mais il a subi une blessure à la jambe et des brûlures). Le reste de la semaine était ponctuée d’une combinaison de journées relativement calmes et de combats actifs et éreintants. Entre le 10 et le 14 septembre, l’escadron a détruit un Heinkel He 111 et en a endommagé un second, et le lieutenant d’aviation A. Yuile a remporté une victoire réellement unique en abattant un Ju 52. Cette victoire, à laquelle avait aussi participé un escadron de la RAF, fut étrange, car le Ju 52, étant un aéronef de transport à trois moteurs, n’avait pas sa place au sud de l’Angleterre.

Pourtant, le récit de Yuile est difficile à réfuter, puisque la description précise présentée dans son rapport ne correspond à aucun autre type d’aéronef allemand65. En revanche, au cours de cette période, l’un des Hurricane du 1er Escadron a été abattu (le pilote a souffert d’une blessure à la jambe) et un autre aéronef s’est écrasé.

Cependant, la journée suivante fut plus chargée que d’habitude, et c’est pourquoi elle est devenue la date clé associée à la commémoration de la bataille d’Angleterre. Le 15 septembre, la Luftwaffe a lancé un raid massif sur Londres avec pour objectif de faire plier pour de bon le cœur de l’empire66. Lors d’une

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journée bien chargée pendant laquelle l’escadron est demeuré en état de disponibilité opérationnelle constante, le 1er Escadron s’est trouvé au milieu de cette lutte cruciale pour la survie. L’escadron, combattant au-dessus de la zone de Biggin Hill, a décollé sur alerte deux fois cette journée-là. Le second affrontement s’est mieux déroulé que le premier. Après avoir été pris au dépourvu dans la matinée, alors qu’un pilote a dû sauter en parachute parce qu’il était blessé et qu’un autre, le lieutenant d’aviation Ross Smither, est devenu la deuxième perte de l’escadron quand il a été tué par un Me 109 qui a attaqué dos au soleil, le 1er Escadron a connu un bien meilleur après-midi.

De fait, selon les commentaires faits plus tôt dans le journal de guerre non officiel de l’unité, peu ont été surpris lorsque le lieutenant d’aviation P. W. Lochnan, après être venu à bout d’un He 111 avec des Hurricanes du 223e Escadron, a fait atterrir son appareil endommagé sur le ventre à côté des débris de son adversaire. Le scénario de ce qui s’est passé ensuite aurait pu être écrit par Hollywood : Lochnan, un homme un peu excentrique, a sorti son arme individuelle et fait prisonnier l’équipage67. Oublions un peu l’aspect dramatique. Ce qui comptait vraiment ce jour-là, c’est que l’escadron a détruit trois aéronefs ennemis et la moitié d’un autre, en plus d’en avoir probablement détruit deux autres et d’en avoir endommagé deux. En comparaison, l’escadron a perdu deux Hurricanes. Il s’agissait d’une petite mais importante contribution au travail de la RAF et de ses alliés, qui ont abattu 185 aéronefs allemands et subi la perte de 25 de leurs aéronefs seulement. Bien entendu, les analyses réalisées après la guerre donnent une image plus précise qui tend à démontrer que les chiffres réels sont de 61 victoires pour 31 pertes, mais cela ne change rien au fait que le 15 septembre a été une victoire éclatante pour la RAF qui, même si on ne le savait pas à cette époque, venait de ruiner les espoirs allemands d’invasion de la Grande-Bretagne68.

La perte de Smither est venue rappeler à l’escadron que les grandes victoires ont souvent un coût élevé. À 28 ans, Smither servait au sein de l’ARC depuis plus longtemps que la plupart des membres de l’escadron. Après deux ans dans la milice, Smither s’était enrôlé dans la force aérienne le 10 septembre 1930 comme militaire du rang et appareilleur. Après s’être qualifié comme mitrailleur de bord, Smither a fait une demande pour devenir pilote. Il a obtenu de bons résultats, ses évaluateurs indiquant qu’il était un pilote supérieur à la moyenne, « avec un bon sens de l’air, mais un peu lourd sur les commandes69. » [Traduction]

C’était aussi un officier populaire, et sa mort a été durement ressentie par de nombreuses personnes, et surtout par sa famille. Exemple extrême du type de pertes auquel ont dû faire face les Canadiens pendant le conflit, le père de Smither, qui avait perdu son épouse à la fin des années 1920, a dû faire face à un autre décès dans la famille deux ans plus tard. Sydney Smither, un autre de ses fils, avait suivi les traces de son frère aîné et s’était enrôlé dans l’ARC trois mois après le décès de Ross. Lui aussi est devenu pilote de chasse et avait été affecté au même escadron, à ce moment renommé 401e Escadron, avant d’être tué aux commandes d’un Spitfire le 5 juin 1942. Pour une deuxième fois, leur père a appris qu’il avait perdu un fils70. C’était un coup terrible pour la famille, mais la vie, comme la guerre, se poursuivait.

Entre le 16 et le 26 septembre, l’escadron était en disponibilité opérationnelle constante et a effectué des décollages sur alerte jusqu’à quatre fois par jour. Le 1er Escadron a connu peu d’action pendant cette période, bien qu’il y ait eu un incident particulièrement terrifiant lorsque les trois escadrons de Northolt ont dû effectuer simultanément un décollage sur alerte. Décollant de trois coins distincts de l’aérodrome, ils ont convergé à peu près au même moment, ce qui a semble-t-il contribué à faire vieillir prématurément le commandant de la base. « Par miracle », se souvient un ancien pilote du 1er Escadron, « la seule perte enregistrée fut celle du commandant de la base, qui avait été si ébranlé par le spectacle dont il avait été témoin qu’il avait dû être conduit à sa voiture puis au mess des officiers afin de prendre un verre pour pouvoir reprendre ses esprits71. » [Traduction] Il n’était pas le seul, le stress incessant lié aux combats pesant sur tout l’escadron.

Le stress était aggravé par le fait que l’escadron ne disposait pas d’un bassin de pilotes de remplacement pour les pilotes tués ou blessés. C’était un problème dont les autorités militaires canadiennes au Royaume-Uni étaient conscientes bien avant l’entrée en action du 1er Escadron. En sa qualité d’officier d’aviation commandant de l’ARC outre-mer, le commandant d’escadre Walsh avait écrit à l’état-major de la force aérienne à Ottawa, afin de demander l’autorisation de solliciter le 110e Escadron de coopération d’armée et le 112e Escadron de coopération d’armée pour créer un bassin potentiel de pilotes de remplacement pour le 1er Escadron. Ottawa a refusé, préférant que ces pilotes restent affectés à leurs Westland Lysander au cas où on aurait eu besoin de leurs services dans leur rôle de coopération d’armée. Au lieu de cela,

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dans une dépêche du 25 juillet, on promit à Walsh dix pilotes du Canada72. N’étant pas convaincu de les voir arriver, Walsh se tourna vers l’officier d’aviation commandant du 11e Groupe. Un fervent nationaliste, Walsh s’inquiétait de devoir demander l’aide de la RAF, puisque l’ajout de pilotes britanniques diluerait l’identité canadienne de l’escadron.

Au bout du compte, la question ne se posa pas, puisque Park répondit que la RAF était utilisée à son maximum et qu’elle ne pouvait se passer d’aucun de ses pilotes73.

Walsh se fit forcer la main peu de temps après que le 1er Escadron fut devenu opérationnel. Enfreignant l’ordre d’Ottawa de ne pas utiliser comme réserves les pilotes du 110e Escadron de coopération d’armée et du 112e Escadron de coopération d’armée, Walsh demanda aux deux escadrons de solliciter des volontaires. Ces unités de coopération d’armée étant incapables de voler fréquemment pour garder le ciel dégagé pour les chasseurs, leur moral était au plus bas, de sorte que la réponse fut exceptionnelle74. Six hommes ont été choisis presque immédiatement comme remplaçants potentiels pour le 1er Escadron et envoyés pour suivre une instruction opérationnelle accélérée sur chasseur. Cela ne suffisait pas. Au début de septembre, Walsh envoya un appel encore plus pressant à Ottawa, soulignant que la question du renforcement devenait critique. Le 1er Escadron subissait maintenant des pertes et bien que les dix pilotes promis par Ottawa le mois précédent soient enfin arrivés, Walsh a expliqué que les pilotes ne pourraient satisfaire au besoin immédiat : « De leurs propres aveux, ils manquent d’heures de vol. Il faut comprendre que certains n’ont pratiquement effectué aucun vol depuis deux ou trois mois75. » [Traduction] Les lancer en action aurait été désastreux. Par conséquent, l’entrée dans le journal de guerre du lendemain du quartier général de l’ARC en Grande-Bretagne indiquait qu’une décision avait été prise de réorganiser le 112e Escadron afin qu’il devienne de façon temporaire une sorte d’escadron mixte de remplacement pour le 1er Escadron76. Il s’agissait d’une décision qui allait clairement à l’encontre des vœux d’Ottawa, mais Walsh souligna de façon créative qu’il s’agissait simplement d’une situation dans laquelle il avait reçu ses ordres après avoir agi.

Après avoir commencé la bataille avec environ 24 pilotes pour 12 aéronefs, l’escadron était réduit à un peu plus de la moitié de son effectif original au milieu et à la fin du mois de septembre. Le fait que l’escadron a connu sa meilleure journée de toute la bataille malgré ces écueils montre bien sa résistance et sa détermination. Le 27 septembre allait devenir une expérience intensive et épuisante pour l’escadron, sur le qui-vive de l’aube au crépuscule. Après le premier décollage sur alerte le matin, le 1er Escadron ne disposait plus que de huit aéronefs opérationnels pour l’engagement du midi et de six pour son dernier engagement, à la fin de la journée. Au total, il avait survécu à des engagements avec 70 aéronefs ennemis lors de 26 sorties durant trois décollages sur alerte, de sorte qu’il ne restait plus au sein de l’escadron qu’un « groupe de guerriers très fatigués et mal rasés77. » [Traduction] Ils ont pris une terrible revanche sur l’ennemi, enregistrant, souvent en collaboration avec le 303e Escadron polonais et le 229e Escadron de la RAF, un score remarquable d’un Ju 88 détruit, d’un Ju 88 probablement détruit, de quatre Me 110 détruits, d’un Me 109 détruit et d’un Me 110 endommagé78.

Malheureusement, cet affrontement a donné lieu à un autre décès au sein de l’ARC, qui sera le dernier pour l’escadron au cours de la bataille. Le lieutenant d’aviation Otto John Peterson, qui s’était marié à Halifax deux mois et demi seulement avant de partir outre-mer, était né à Lloydminister, en Saskatchewan, le 14 mars 1916. Ayant joint les rangs de l’ARC le 7 novembre 1938, Peterson avait fait bonne figure et était en fait l’un des meilleurs chasseurs de l’escadron, avec trois victoires confirmées79. La chance finit cependant par lui manquer lorsque son appareil fut pris sous le feu ennemi et s’écrasa près de Greenlands Farm dans le Kent. Dans un étrange caprice du sort, sa veuve a reçu le « télégramme redouté » du ministère de la Défense nationale annonçant la mort de son époux immédiatement après avoir ouvert une lettre de lui. La lettre racontait sa victoire sur un Me 109 le 9 septembre et, comme le relate un journal de Halifax :

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Mme Peterson a reçu hier la lettre racontant l’aventure, quelques instants à peine après avoir ouvert le télégramme lui annonçant la mort de son mari. La lettre indique que deux Messerchmitt 109 s’étaient placés très près de la queue de l’appareil piloté par le commandant d’aviation McNab. Le lieutenant d’aviation Reyno en avait alors pris un en chasse pendant que Peterson avait foncé sur l’autre. Il l’avait abattu d’une rafale de mitrailleuses, de telle sorte que l’appareil ennemi avait semblé se désintégrer. Le télégramme reçu par Mme Peterson hier indique simplement qu’il a été tué au combat80. [Traduction]

Dans une lettre à la veuve de Peterson, le commodore de l’Air Walsh donne plus de précisions sur la façon dont l’escadron venait de perdre l’un de ses meilleurs pilotes :

Comme vous le savez, votre mari a été en service actif pendant plusieurs semaines et il a participé à de nombreuses batailles aériennes au cours desquelles il a

fait preuve d’initiative, de courage et de compétence. Son décès est une grande perte pour le 1er Escadron de chasse canadien et pour l’Aviation royale du Canada dans son ensemble.

Les autres officiers ainsi que tous les autres membres de son escadron éprouvaient beaucoup d’admiration et de respect pour lui en raison de son audace à titre de pilote de chasse. Votre mari a accumulé un excellent dossier de service. Je le connaissais personnellement et j’avais beaucoup d’affection pour lui. Je suis fier de pouvoir vous dire que le 9 septembre, il a abattu lui-même un Me 109 et que le 25 septembre, il a abattu un bombardier Dornier 21581. [Traduction]

La perte de Peterson était un autre coup dur. Néanmoins, il était satisfaisant de savoir que le 1er Escadron avait participé aux batailles aériennes du 27 septembre, car cette date marque la dernière apparition en force de la Luftwaffe pendant le jour dans l’espace aérien du sud de l’Angleterre.

Les efforts du 1er Escadron n’allaient pas tarder à être reconnus. Durant la première semaine d’octobre, on apprenait que le commandant de l’escadron allait recevoir la première médaille de bravoure de l’ARC, la Croix du service distingué dans l’Aviation, pour avoir dirigé l’escadron avec beaucoup de succès.

Quatre jours plus tard, on apprenait une autre bonne nouvelle lorsqu’il a été annoncé que deux autres militaires, les lieutenants d’aviation MacGregor et Russel, recevraient la même distinction. Bien que ces réalisations aient certainement amélioré le moral, il n’en demeure pas moins que les membres de l’escadron étaient complètement épuisés. Ils l’étaient à un point tel qu’un médecin militaire, qui ne les avait pas vus depuis trois semaines, fut tellement choqué par ce qu’il constata à son retour qu’il écrivit ceci dans un rapport daté du 7 octobre :

J’ai constaté un changement marqué dans les réactions générales des pilotes, comparativement à trois semaines passées. Il y a certainement une tension constante dans l’air et ils sont incapables de se détendre, car ils sont sur appel en permanence. Les pilotes vont au combat avec un enthousiasme forcé et semblent souffrir de tension et de lassitude généralisée. Ils travaillent de longues heures difficiles, n’ayant congé que 24 heures sur une période de deux ou trois semaines dans de nombreux cas. Ce rythme est soutenu en raison du peu de personnel de remplacement ou de l’inexistence de personnel de remplacement. Aucun des pilotes n’a eu de permission depuis leur arrivée en Angleterre et leur plus longue période continue de congé a été de 24 heures.

Cette tension constante et la surcharge de travail ont des effets perceptibles chez la plupart des pilotes, et de façon marquée chez certains. Ils se fatiguent très rapidement et la récupération est plus lente. Cela a donc un effet sur la rapidité de réaction dans les airs. Il y a maintenant une tendance générale à prendre les repas à des heures irrégulières ou à se contenter d’un sandwich au lieu d’un repas chaud. Les pilotes s’affaiblissent, et des infections qui auraient des conséquences mineures en d’autres circonstances s’aggravent. De façon générale, la situation se dégrade82. [Traduction]

O. J. Peterson

NAFMC

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Voilà un rapport significatif qui saisissait clairement l’état d’un escadron ébranlé par plusieurs semaines de combats incessants.

La vie au sein d’un escadron était effectivement difficile. Les pilotes en service devaient généralement se réveiller très tôt le matin, souvent entre 4 et 5 heures. Après avoir ramassé leurs effets de vol, ils allaient attendre au lieu de stationnement des avions pour la première mission de la journée. Ils mangeaient et se reposaient quand ils le pouvaient, mais comme le racontait plus tard un pilote, « chaque fois que le téléphone sonnait pour un possible décollage sur alerte, leur estomac se nouait. À la première sonnerie, de nombreux pilotes allaient et venaient en gardant un air nonchalant. L’attente de l’ordre de décollage immédiat constituait la période la plus stressante de toutes83. » [Traduction] Inévitablement, l’ordre était donné et les pilotes s’élançaient alors vers les avions que les équipes au sol avaient préparés en vue du décollage. Le combat lui-même était épuisant et intense, mais par-dessus tout, il y avait la peur, et il n’était pas rare pour les pilotes de se plaindre d’avoir la bouche sèche et les mains moites durant le combat, réactions naturelles du corps à l’anxiété et au stress intenses. Le sommeil, lorsqu’il était possible, était souvent interrompu, habituellement par le son des raids aériens à proximité. Le problème était tel que le journal de l’unité indique le 1er octobre qu’il était « toujours question de disperser l’escadron en un autre lieu pour la nuit afin de permettre au personnel de bénéficier d’une bonne nuit de sommeil, mais ça n’a toujours pas été fait84. » [Traduction] Pour rendre la situation encore plus difficile, l’escadron a été touché par une épidémie de rhume qui a rendu le vol de combat encore plus pénible. Cependant, le repos bien mérité et tellement désiré par l’escadron approchait enfin. Le 9 octobre 1940, le 615e Escadron de la RAF s’est posé sur le terrain d’aviation, permettant ainsi au 1er Escadron de rejoindre le 13e Groupe et une nouvelle affectation dans le ciel relativement serein de Prestwick, en Écosse.

La bataille d’Angleterre était enfin terminée pour le 1er Escadron. En près de 2 mois de combats incessants, 3 pilotes de l’unité avaient perdu la vie, 11 avaient été blessés, 16 avions avaient été détruits ou endommagés à un point tel qu’ils n’étaient plus utilisables85. Pourtant, personne ne pouvait nier qu’ils avaient bien accompli leur tâche. Salués dans la presse comme « les nouveaux héros canadiens86, » les membres de l’escadron ont permis au pays de prendre les armes contre un ennemi lointain. C’est l’une des principales raisons qui font l’importance de la bataille d’Angleterre pour l’ARC d’aujourd’hui et pour le Canada dans son ensemble.

Jamais auparavant le Canada n’avait envoyé ses propres ressources aériennes nationales identifiables dans une opération expéditionnaire au sein d’une coalition. Mais cette contribution à la bataille d’Angleterre allait créer un modèle toujours vivant après 75 ans, dans le cadre duquel le gouvernement du Canada démontre son appui à l’égard des engagements pris dans le cadre des alliances ainsi que de la restauration de la stabilité internationale et de l’ordre public en envoyant des escadrons de l’ARC outre-mer et en les exposant au danger.

En outre, le pays peut être fier du fait que sa force aérienne a parti- cipé directement à l’une des premières batailles épiques de la Seconde Guerre mondiale, qui a non seulement contribué à sauver un pays, mais qui a aussi arrêté la machine de guerre allemande, dont plusieurs à l’époque craignaient qu’elle ne fût invincible. Cette tradition d’aider les alliés existe toujours aujourd’hui; la parti- cipation de l’ARC en 2011 dans le ciel de la Libye et le conflit actuel

MNF

AC

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contre l’organisation État islamique en Irak en constituent des exemples. Le 1er Escadron a également réalisé un certain nombre d’autres « premières » pour l’ARC, y compris ses premiers honneurs de guerre, la première victoire d’une unité sur un aéronef ennemi, et les premières décorations personnelles pour un acte de bravoure. Cependant, l’aspect de la participation du 1er Escadron à la bataille d’Angleterre qui revêt peut-être la plus grande importance est le fait que, pour la première fois, des membres d’une unité de l’ARC sont morts en défendant les valeurs qui définissent les Canadiens en tant que peuple et le Canada en tant que nation. Et c’est pour cette raison, plus que toutes les autres, que la commémoration de leur sacrifice le premier dimanche suivant le 15 septembre constitue un aspect important de l’identité nationale.

Richard Oliver Mayne, CD, Ph. D., a fait partie de la Réserve navale du Canada pendant 17 ans. Il a été historien à la Direction – Histoire et patrimoine et chef de section adjoint dans l’Équipe d’analyse de la sécurité dans l’avenir relevant du Chef – Développement des forces. Il a obtenu son doctorat de l’Université Queen’s au printemps de 2008 et il a signé de nombreuses publications sur les affaires militaires canadiennes. Il occupe maintenant le poste de Directeur – Histoire et patrimoine de la Force aérienne.

Abréviations

ARC Aviation royale du Canada BAC Bibliothèque et Archives Canada BIOG Biographie

CEMFA Chef d’état-major de la Force aérienne DHP Direction – Histoire et patrimoine

Do Dornier

Ju Junkers

Me Messerschmitt

PRO Public Records Office RAF Royal Air Force Notes

1. Le nombre de pilotes qui ont servi dans l’escadron varie selon les sources. Cet article reprend le nombre cité dans Brereton Greenhous et Hugh Halliday, L’aviation militaire canadienne, 1914-1999, Montréal, Art Global, 1999, p. 60, qui suggère que 27 pilotes ont pris les commandes des appareils de l’escadron pendant la bataille d’Angleterre, plus précisément les 21 pilotes d’origine et 6 pilotes venus en renfort du 110e Escadron et du 112e Escadron.

2. Le bilan concernant l’escadron à l’issue de la bataille d’Angleterre varie selon les diverses sources.

Par exemple, une lettre du 1er Escadron au commandant en chef de l’ARC, datée de février 1941, faisait état de 26 appareils et demi détruits, 8 probablement détruits et 30 endommagés. 1er Escadron de l’ARC au commandant en chef de l’ARC, 1er février 1941, Direction – Histoire et patrimoine (DHP) 181.003 D 3038. D’autres sources, comme Fred Hitchins, historien d’après-guerre de l’ARC, ont indiqué qu’après des recherches plus poussées, on peut penser que l’escadron comptait 30 appareils détruits, 8 probablement détruits et 35 endommagés. Toutefois, selon un autre récit d’après-guerre, également conservé par la DHP, le bilan le plus juste serait de 28 appareils et demi détruits, 7 probablement détruits et 32 endommagés.

Récit du 401e Escadron, DHP, RS 7 401.

3. Richard Mayne, « Questions de royauté : symbolisme, histoire et importance du changement de nom de l’ARC, 1909-2011 », La Revue de l’Aviation royale canadienne, vol. 1, no 4, automne 2012, http://

www.rcaf-arc.forces.gc.ca/fr/centre-guerre-aerospatiale-fc/bibliotheque-electronique/la-revue/archives.

page (consulté le 22 mai 2015).

4. Pour un historique complet du 1er Escadron, voir Canada, MDN, A-AD-267-000/AF-004, Les insignes et lignées des Forces canadiennes, tome 4: Escadrons aériens opérationnels, Ottawa, MDN, 2000; Récit du 401e Escadron, DHP, RS 7 401; Registre des opérations du 1er Escadron, 1938-1939, Bibliothèque et Archives Canada (BAC), Records Group (RG) 24, vol. 22637.

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