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L'avocat de la première heure dans le CPP : une innovation déjà dépassée?

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L'avocat de la première heure dans le CPP : une innovation déjà dépassée?

JEANNERET, Yvan

JEANNERET, Yvan. L'avocat de la première heure dans le CPP : une innovation déjà dépassée? forumpoenale , 2011, vol. 4, no. 1, p. 44-49

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:75656

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table des matières

I. Introduction

II. Le mécanisme mis en place dans le CPP

III. L’arrêt Salduz contre Turquie du 27 novembre 2008 IV. Le CPP à l’épreuve de l’art. 6 ch. 1 CEDH

V. Une réflexion de droit transitoire VI. Conclusion

I.   Introduction

Souvent présentée comme l’une des grandes innovations consacrées par le Code de procédure pénale du 5.10.2007 (ci-après CPP1), l’institution de l’avocat de la première heure constitue une mesure mise en place par le législateur afin de renforcer les droits de la défense, contribuant ainsi à com- penser la position dominante du ministère public dans toute la phase précédant le renvoi en jugement.

Au moment d’adopter le CPP le 5.10.2007, le législateur ignorait qu’un an plus tard, presque jour pour jour, soit le 27.11.2008, la Cour européenne des droits de l’homme al- lait inaugurer une nouvelle approche jurisprudentielle de la question dans un arrêt Salduz contre Turquie2 qui érige dé- sormais le droit à l’avocat de la première heure en principe fondamental du procès équitable découlant de l’art. 6 ch. 1 CEDH. Or, un examen de «conventionnalité» du CPP à la lumière de cette nouvelle jurisprudence laisse apparaître une zone d’ombre que la présente contribution tente de mettre en lumière.

II.   Le mécanisme mis en place dans le CPP

Le droit du prévenu d’être défendu par un avocat est rappelé notamment à l’art. 127 CPP: en sa qualité de partie, le pré- venu a le droit de se faire assister d’un conseil juridique dont l’art.127 al. 5 CPP nous dit qu’il doit être un avocat au sens de la LLCA, sous réserve de dispositions cantonales qui peu- vent accorder à d’autres personnes le droit d’assister des pré-

1  RO 2010, 1881 ss.

2  ACEDH du 27.11.2008, Salduz c. Turkey (requête 35391/02).

venus lorsque la procédure ne porte que sur des contraven- tions. Sachant que le statut de prévenu défini à l’art. 111 CPP s’acquiert dès les premiers balbutiements de l’enquête, il ne fait aucun doute que ce droit à la défense existe dès le premier interrogatoire de police, que le prévenu soit libre ou détenu,3 ce que consacre d’ailleurs expressément l’art.159 al. 1 CPP. Même lorsqu’il y a quelque incertitude quant à l’existence de soupçons dirigés contre la personne interrogée (art. 178 lit. d CPP), l’art. 180 al. 1 CPP permet de garantir également le droit à l’assistance d’un conseil juridique, par analogie avec le statut du prévenu.

L’avocat de la première heure consacré à l’art. 159 al. 1 CPP s’inscrit dans la perspective du droit à la défense (art.

129 al. 1 CPP; art. 14 ch. 3 lit. d Pacte ONU II; art. 6 ch. 3 CEDH), à l’exclusion de la défense obligatoire. En effet, dans la mesure où la défense obligatoire ne peut être mise en œuvre, au plus tôt, qu’après la première audition menée par le ministère public (art. 131 al. 2 CPP), il ne peut être ques- tion de défense obligatoire en amont, soit au moment de la première audition menée par la police dans la phase de l’in- vestigation policière.4 Ainsi, à ce stade, le prévenu n’a qu’un droit à disposer de l’assistance d’un avocat, s’il le demande.

La présence possible de cet avocat de la première heure a amené certains cantons5 à se poser la question de savoir s’il fallait organiser un système de permanence, afin d’assu- rer la possibilité pour le prévenu qui le souhaite, de disposer rapidement et effectivement des conseils d’un avocat. On pense ici notamment aux hypothèses dans lesquelles une per- sonne est appréhendée en dehors des horaires de bureau, la

3  Schmid, StPO Praxiskommentar, Zurich/St. Gall 2009, Art. 159 N 1.

4  Message CPP, 1174 et 1175; Donatsch/Cavegn, Der Anspruch auf ei- nen Anwalt zu Beginn der Strafuntersuchung, FP 2009, 104, 107; Erni, Die Verteidigungsrechte in der Eidg. Straprozessordnung, insbesondere zum «Anwalt der ersten Stunde», RPS 2007, 229, 240 ss.; Jeanneret/

Ferreira, Unification de la procédure pénale à Neuchâtel: quid novis?, RJN 2009, 13, 31 ss.; Lieber, Parteien und andere Verfahrensbeteiligte nach der neuen schweizerischen Strafprozessordnung, RPS 2008, 174, 187; Schmid (n. 3), Art.159 N 1.

5  Cf. par exemple, le canton de Vaud (art. 23 LVCPP/VD) et de Genève (art. 8A LPAv/GE; RS/GE E 6 10 modifié par la Loi L10355 du 27.8.2009); Neuchâtel y a toutefois renoncé. A ce sujet, cf. Cornu, L’enquête selon la procédure pénale unifiée: Quelques nouveautés pour les praticiens, RJN 2008, 76; Jeanneret/Ferreira (n. 4), 33; sur ce thème cf. également: Erni (n. 4), 237.

Yvan Jeanneret, Professeur à l’Université de Neuchâtel, avocat

L’avocat de la première heure dans le CPP: 

une innovation déjà dépassée?

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tuer de permanence ne viole pas le droit fédéral, puisque, comme mentionné plus haut, l’autorité pénale n’a pas l’obli- gation de mettre un avocat à la disposition du prévenu à ce stade de la procédure. Toutefois, il faut souligner le fait que la mise sur pied d’une telle permanence représente le meilleur, voire le seul moyen de ne pas rendre illusoire l’exercice du droit à la défense de la première heure, tant il est vrai que, lors d’une arrestation provisoire survenant en dehors des horaires de bureau, la probabilité de pouvoir rapidement contacter un avocat apparaît dérisoire, pour ne pas dire inexistante.

L’art. 159 al. 3 CPP précise que l’exercice, par le prévenu, de son droit d’être assisté d’un conseil juridique ne lui donne pas le droit d’exiger l’ajournement de l’audience. Cette règle est de première importance en cas d’arrestation provisoire, puisque la police dispose de 24 heures exactement depuis l’appréhension pour mener les premières investigations et présenter le prévenu au ministère public (art. 219 al. 4 CPP).

Ainsi, les besoins de l’enquête et la nécessité d’agir avec cé- lérité pourraient permettre à la police de commencer un in- terrogatoire, alors même que l’avocat tarde à arriver. Paral- lèlement, le principe de la bonne foi, rappelé à l’art. 3 al. 2 lit. a CPP, impose à la police de ne pas rendre illusoire l’exer- cice de cette garantie, par exemple en refusant de contacter un avocat ou en refusant d’attendre plus de quelques minutes l’arrivée de l’avocat qui a pu être averti.6

Ainsi, en résumé, l’avocat de la première heure, tel que conçu dans le CPP, est un droit conféré au prévenu et non une obligation à charge de l’Etat. L’autorité pénale doit, de bonne foi, concourir à ce qu’il puisse être mis en œuvre, mais elle est légitimée à passer outre en procédant à un interro- gatoire, y compris en l’absence de l’avocat dont la présence a concrètement été requise.

III.  L’arrêt Salduz contre Turquie du  27 novembre 2008

Alors que le CPP était déjà adopté, la Cour européenne des droits de l’homme a apporté une nouvelle pierre à l’édifice du droit à la présence de l’avocat aux côtés du prévenu. Dans cet arrêt Salduz contre Turquie7 sans cesse confirmé par la suite,8 les juges de Strasbourg ont consacré un droit à l’as- sistance de l’avocat dès la garde à vue policière comme fai- sant partie des éléments fondamentaux du procès équitable.

6  Ruckstuhl, Die Praxis der Verteidigung der ersten Stunde, RPS 2010, 132, 138 (qui évoque un devoir d’attendre jusqu’à une demi-journée);

Schmid (n. 3), Art. 159 N 1.

7  ACEDH, Salduz c. Turkey (n 2).

8  ACEDH du 21.4.2009, Soykan c. Turkey (requête 47368/99); ACEDH du 13.10.2009, Dayanan c. Turkey (requête 7377/03); ACEDH du 24.9.2009, Pishchalnikov c. Russia (requête 7025/04) = FP 2010, 90 ss.;

ACEDH du 2.3.2010, Adamkiewicz c. Poland (requête 54729/99).

irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclara- tions incriminantes, faites lors d’un interrogatoire de police subi sans assistance possible d’un avocat, sont utilisées pour fonder une condamnation.9 Rendu dans un arrêt consacré au sort d’un prévenu mineur, l’arrêt Salduz contre Turquie n’en consacre pas moins un principe général de procédure, repris d’ailleurs ultérieurement sans nuance dans le contexte de procédures relatives à des accusés majeurs.10

Ainsi, le simple fait que la législation en vigueur interdise la présence de l’avocat au stade de la garde à vue consacre une violation de l’art. 6 ch. 1 CEDH, même si le prévenu a, dans le cas d’espèce, exercé son droit au silence et, partant, refusé de faire toute déclaration incriminante.11 De telles dé- clarations incriminantes faites sans l’assistance d’un avocat doivent alors être écartées de la procédure.12

Les juges de Strasbourg réservent la possibilité de limiter exceptionnellement ce droit d’accès à l’avocat, lorsque des motifs impérieux («compelling reasons») liés aux circons- tances particulières du cas d’espèce l’imposent et pour autant que ce droit ne soit pas entravé de manière disproportion- née.13 La Cour ne donne pas d’exemple de telles circons- tances exceptionnelles. Toutefois, au vu du caractère parti- culièrement restrictif de la formulation de cette réserve, l’entrave portée au droit à l’avocat ne pourra assurément pas être la règle. Ainsi, notamment, le seul fait que la loi (in casu l’art. 219 al. 4 CPP) prévoie une garde à vue de 24 heures au maximum, imposant une certaine urgence pour la police, ne constituera jamais, en tant que tel, un motif impérieux au sens de la jurisprudence européenne.

Les juges de Strasbourg insistent encore, s’agissant du ca- ractère effectif du droit à la défense, sur le fait que, déjà à ce stade de l’enquête pénale, l’accusé doit pouvoir «[…] obte- nir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au conseil. A cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse et le contrôle des conditions de détention sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit li- brement exercer».14

Enfin, on peut retenir que le prévenu peut toutefois re- noncer au droit à l’assistance de l’avocat, puisqu’il est admis que l’on peut valablement renoncer à certaines garanties dé- duites de l’art. 6 CEDH, pour autant que l’accusé donne un

9  ACEDH, Salduz c. Turkey (n. 2), § 55.

10  Cf. par exemple ACEDH, Dayanan c. Turkey (n. 8) précité.

11  ACEDH, Salduz c. Turkey (n. 2), § 27 ss.; ACEDH, Dayanan c. Turkey (n. 8), § 33.

12  ACEDH, Salduz c. Turkey (n. 2), § 55, 58 et 62; Donatsch/Cavegn (n. 4) 109; Hauser/Schweri/Hartmann, Schweizerisches Strafprozess- recht, 6ème éd, Bâle 2005, § 68 N 3a; Mazou, Avocat de la première heure avant l’heure?, JdT 2009 III, 131, 160.

13  ACEDH, Salduz c. Turkey (n. 2), § 55.

14  ACEDH, Dayanan c. Turkey (n. 8), § 32.

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consentement univoque, libre et éclairé.15 Ainsi, dûment in- formé de son droit à l’assistance d’un avocat et en l’absence de toute pression de l’autorité à cet égard – ce qui doit être apprécié avec d’autant plus de rigueur que l’accusé est privé de sa liberté – le prévenu peut renoncer à son droit d’être assisté d’un avocat,16 sous réserve d’un cas de défense obli- gatoire qui n’est toutefois pas susceptible de se manifester, en principe, au stade de l’enquête de police.17 Cependant, compte tenu du caractère durable du droit à la défense, à l’instar du droit au silence, cette renonciation ne peut jamais revêtir un caractère irrévocable, de sorte que, même en cours d’interrogatoire, le prévenu peut librement changer d’avis et solliciter le concours d’un défenseur.

Les conséquences de cette nouvelle jurisprudence ont été envisagées à quelques reprises par des juridictions suisses.

Ainsi, le Tribunal fédéral18 a refusé de remettre en liberté provisoire une personne qui n’avait pas bénéficié de l’assis- tance d’un avocat durant sa garde à vue, considérant notam- ment qu’elle avait réitéré ses déclarations ultérieurement de- vant le juge d’instruction avec l’assistance de son avocat. Il a également refusé de voir dans l’arrêt Salduz une inflexion de la jurisprudence selon laquelle il n’existe, en principe, pas de cas de défense obligatoire directement déduit de l’art. 6 ch. 3 lit. c CEDH, au stade de l’enquête préliminaire.19 La Cour correctionnelle du Canton de Genève20 a, en revanche, refusé de retenir comme élément à charge les déclarations incriminantes faites par le prévenu à la police, sans l’assis- tance d’un avocat, et rétractées par la suite.

Ainsi, en résumé, les principes du procès équitable consa- crés à l’art. 6 CEDH garantissent que:

• L’accusé privé de sa liberté doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le premier interrogatoire de police;

• L’assistance de l’avocat à la police doit permettre l’exercice effectif des droits de la défense;

15  Donatsch, Der Strafbefehl sowie ähnliche Verfahrenserledigungen mit Einsprachemöglichkeit, insbesondere aus dem Gesichtswinkel von Art.

6 EMRK, RPS 1994, 317, 326 ss.; Dubs, Strafbefehl, in: Donatsch/

Schmid (éd.), Strafrecht und Öffentlichkeit, Festschrift für Jörg Rehberg zum 65. Geburtstag, Zurich 1996, 145 ss. Zimmerlin, Der Verzicht des Beschuldigten auf Verfahrensrechte im Strafprozess, Zurich 2008, N 484 ss. et N 684 s.; cf. aussi ACEDH, Pishchalnikov c. Russia (n. 8), § 77 et les références citées.

16  ACEDH du 23.2.2010, Yoldas c. Turkey, § 51 ss., où il est admis que l’accusé dûment informé de son droit à l’assistance d’un avocat y a re- noncé librement et s’est donc valablement exprimé devant la police.

17  ATF 131 I 350, 355 ss., s’agissant des principes généraux déduits de l’art. 6 CEDH. Cf. également les art.130 et 131 CPP.

18  TF, arrêt du 19.4.2010, 1B_77/2010 (à noter qu’au consid. 4.2, le Tri- bunal fédéral refuse également d’écarter de la procédure les procès-ver- baux des auditions effectuées sans la présence d’un avocat au motif – critiquable au vu de la jurisprudence européenne ici évoquée – que cette question relèverait de l’appréciation des preuves par le juge du fond);

TF, arrêt du 19.4.2010, 1B_ 85/2010.

19  TF, arrêt du 11.5.2010, 1B_326/2009, consid. 3.2; cf. également ATF 131 I 350, 352 ss.

20  BJP 2010 N 731.

• Si l’accusé fait valoir ce droit, une audition menée en l’absence de l’avocat représente une violation grave des droits de la défense qui rend inutilisable les déclarations auto-incriminantes faites à cette occasion.

• L’accusé peut renoncer à son droit à l’assistance d’un avocat de la première heure, s’il est dûment informé de ses droits et si sa renonciation est univoque, claire et librement consentie.

IV.  Le CPP à l’épreuve de l’art. 6 ch. 1 CeDH 

Le système mis en place par l’art. 159 CPP est-il conforme à la garantie du droit à une défense de la première heure, telle que la Cour européenne des droits de l’homme l’a dé- duite de l’art.6 ch. 1 CEDH? La question mérite d’autant plus d’être examinée que la loi suisse est antérieure à l’arrêt Salduz précité. Or, au moment de l’adoption du CPP, la pré- sence de l’avocat lors de l’enquête de police n’était pas consa- crée de manière générale par le droit supérieur. Un tel droit ne pouvait être déduit directement de la CEDH que dans des situations exceptionnelles.21 Autant dire qu’en dehors de ces quelques situations particulières, le droit à l’avocat de la pre- mière heure aménagé dans le CPP apparaissait, au moment de son adoption, comme une garantie allant au-delà des im- pératifs imposés par la CEDH. Tel n’est toutefois plus le cas aujourd’hui.

Indiscutablement, le principe de l’accès de l’avocat au premier interrogatoire de police est désormais consacré aux art. 129 al. 1 et 159 al. 1 CPP. Il existe donc un cadre légis- latif qui permet la mise en œuvre du droit à l’assistance de l’avocat.

Par ailleurs, lu à la lumière de l’opinion des juges de la Cour européenne des droits de l’homme sur le caractère ef- fectif du droit à la défense, l’art. 159 al. 1 et 2 CPP permet l’exercice effectif des droits de la défense; l’avocat doit no- tamment pouvoir préparer la défense en disposant d’un laps de temps suffisant de conversation en privé avec son client22 et poser des questions durant l’interrogatoire auquel il par- ticipe effectivement.23 La question de l’espace de dialogue strictement confidentiel entre l’avocat et son client imposera notamment aux autorités policières d’aménager des espaces permettant à l’avocat de conférer librement et sans sur- veillance avec son mandant, durant un laps de temps raison- nable en considération de l’ampleur des accusations portées contre le prévenu.

21  ACEDH du 8.2.1996, Murray c. United-Kingdom, § 63; cf. également la jurisprudence du Tribunal fédéral: ATF 104 Ia 17, 18; TF, arrêt du 25.1.2007, 1P.556/2006, consid. 3.3; commentaire de l’ACEDH Salduz c. Turkey (n. 2) par Wohlers/Schlegel, FP 2009, 71, 75; pour un ex- posé détaillé de la jurisprudence européenne, cf. Mazou (n. 12), 136 ss.

22  Donatsch/Cavegn (n. 4), 109; Erni (n. 4), 235.

23  Mazou (n. 12), 157.

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l’arrêt Salduz, la présence de l’avocat n’est plus une faveur concédée au prévenu, mais un droit quasi-absolu dont la violation entraîne une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, y compris lorsque le prévenu a exercé son droit au silence. Dans un arrêt ultérieur Pishchalnikov contre Russie, la Cour a même été amenée à préciser que l’accusé qui a re- quis l’assistance d’un avocat ne peut plus être soumis à un interrogatoire, tant et aussi longtemps qu’un conseil ne lui a pas été mis à disposition, et sous réserve du cas dans lequel l’accusé lui-même prend l’initiative de poursuivre des échanges avec l’autorité.28 Dès lors, l’autorisation que donne l’art. 159 al. 3 CPP de mener l’interrogatoire en l’absence d’un défenseur dont la présence a été requise par le prévenu est manifestement contraire à la CEDH.29

Ainsi, la seule hypothèse dans laquelle il sera possible d’interroger un prévenu sans défenseur sera celle qui voit le prévenu renoncer valablement à l’assistance d’un avocat, ce qui présupposera, notamment, qu’il ait été dûment informé de son droit à la défense, conformément à l’art. 158 al. 1 lit.

c CPP.

Face à ce constat, deux hypothèses sont envisageables:

soit la police renonce à tout interrogatoire lorsqu’il n’est pas possible de mettre en œuvre un avocat, soit il y a lieu de mettre en place un système d’avocat de permanence qui four- nit un réservoir de défenseurs disponibles à tout moment.

La première hypothèse s’imposera lorsque le prévenu n’est pas privé de sa liberté. Dans ce cas, en effet, rien ne s’oppose à ce que l’audition soit reportée. En revanche, cette hypo- thèse doit être exclue lorsque le prévenu est provisoirement arrêté, dans la mesure où il serait difficilement acceptable, notamment au vu de l’impératif de célérité de la procédure, que l’exercice valable d’un droit fondamental de la défense puisse légitimer une paralysie de l’enquête et un maintien en détention inutile durant 24 heures, alors que l’Etat serait en mesure de mettre sur pied un système d’avocats de perma- nence.

Ce constat nous amène à affirmer que la seule solution raisonnable consiste en l’organisation d’une permanence d’avocats de la première heure qui doivent pouvoir être mis en œuvre aussitôt que le prévenu fait valoir son droit à la défense et quelle que soit l’infraction qui lui est reprochée.

Certains auteurs30 voient même dans la jurisprudence euro-

27  Schmid (n. 3), Art. 159 N 1 et 8 ss.

28  ACEDH, Pishchalnikov c. Russia (n. 8), § 79: «[…] Moreover, the Court is of the opinion that an accused such as the applicant in the present case, who had expressed his desire to participate in investigative steps only through counsel, should not be subject to further interrogation by the authorities until counsel has been made available to him, unless the accused himself initiates further communication, exchanges, or conver- sations with the police or prosecution».

29  Dans le même sens: Ruckstuhl (n. 6), 135.

30  Ruckstuhl (n. 6), 135. Cette position est conforme à la jurisprudence européenne (ACEDH, Dayanan c. Turkey (n. 8), § 31) qui affirme que l’accusé a un droit à être assister d’un avocat, au besoin nommé d’office.

fectivité des droits de la défense présentera une difficulté logistique, lorsque le prévenu parle une langue que l’avocat ne maîtrise pas, rendant nécessaire le recours à un interprète.

En effet, au stade de l’enquête policière et notamment lorsqu’il s’agit d’une langue peu courante, la tentation pour- rait être grande du côté des autorités de recourir aux services du même interprète pour traduire à la fois la teneur des au- ditions (art. 68 al. 1 CPP) et les échanges entre le prévenu et son avocat. Or, une telle pratique n’est pas acceptable. En effet, l’interprète d’audience apparaît comme un auxiliaire de l’autorité qui mène l’enquête, accomplissant une tâche officielle; il est d’ailleurs assimilé à un expert et tenu par le secret de fonction (art. 68 al. 5 qui renvoie à l’art.73 al. 1 CPP). Il n’est dès lors pas envisageable que la même personne puisse s’immiscer dans la relation strictement confidentielle entre l’avocat et son mandant et exercer ainsi simultanément le rôle d’auxiliaire du défenseur, astreint à ce titre au secret professionnel conformément à l’art. 321 CP.25 C’est, en quelque sorte, comme si le policier ou le procureur assistait à l’entretien entre l’avocat et le prévenu. Dès lors, afin de garantir le droit du prévenu de conférer librement avec son conseil, il sera nécessaire de prévoir le concours d’un inter- prète «privé» qui ne soit pas le même que celui qui fonc- tionne comme interprète d’audience.

Lorsque le prévenu en garde à vue invoque son droit à être assisté d’un conseil, se pose tout d’abord la question de savoir jusqu’à quel point l’Etat doit intervenir pour assurer la mise en œuvre de l’avocat. La jurisprudence de Strasbourg rappelée plus haut expose à cet effet que le droit à l’avocat existe dès le premier interrogatoire et que celui-ci doit pou- voir être mis en œuvre, au besoin d’office.26

Pour que le droit à la défense ne soit pas illusoire, il faut donc que le prévenu qui sollicite le concours d’un avocat puisse effectivement bénéficier de cette prérogative, quelle que soit l’infraction reprochée au prévenu et quelle que soit l’heure à laquelle l’interrogatoire a lieu. Cette question doit être résolue à l’aune de la conformité de l’art. 159 al. 3 CPP au regard du droit à la défense de la première heure consa- cré par la Cour européenne des droits de l’homme. L’art. 159 al. 3 CPP permet en effet d’interroger le prévenu en dépit de l’absence du défenseur dont le concours a été sollicité. Ainsi, fondé sur cette disposition, la police serait légitimée à inter- roger un prévenu hors la présence de son avocat, alors même

24  Art. 14 ch. 3 lit. b Pacte ONU II; Donatsch/Cavegn (n. 4), 108.

25  Oberholzer, in: Niggli/Wiprächtiger (éd.), BSK StGB II, 2ème éd, Bâle 2007, Art. 321 N 6; Trechsel dans: Trechsel et al., Schweizeri- sches Strafgesetzbuch, Praxiskommentar, Zurich/St. Gall 2008, Art. 321 N 13: ces auteurs ne visent pas spécifiquement le traducteur, mais ce dernier s’intègre manifestement dans cette catégorie qui inclut toutes les personnes qui collaborent avec l’avocat, de sorte qu’il est amené à re- cueillir ou accéder aux confidences du mandant.

26  ACEDH, Dayanan c. Turkey (n. 8), § 31.

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les interrogatoires menés à l’heure actuelle sont susceptibles de «polluer» les procédures pénales en cours d’instruction, y compris lorsqu’elles seront jugées sous l’empire du CPP.

VI.  Conclusion

Avant même son entrée en vigueur, le CPP présente déjà des failles qu’il faudra rapidement colmater. En effet, le système de l’avocat de la première heure mis en place par l’art. 159 CPP et présenté comme une révolution destinée à renforcer les droits de la défense doit être précisé à la lumière du droit supérieur auquel il n’est pas pleinement conforme.

En substance, on retiendra les points saillants suivants:

• Tout prévenu dispose d’un droit inconditionnel à l’assistance d’un avocat, dès le premier interrogatoire de police;

• L’autorité doit faire en sorte qu’un avocat puisse être mis à disposition du prévenu qui en fait la demande, au besoin en organisant un service de permanence;

• Sauf renonciation univoque, libre et éclairée du pré- venu, aucune audition du prévenu ne peut avoir lieu tant que l’avocat n’est pas présent, contrairement à la lettre de l’art.159 al. 3 CPP.

Il serait hautement souhaitable que les autorités pénales prennent rapidement les devants pour s’assurer que, dès le 1.1.2011, des avocats de la première heure pourront être mis à la disposition des prévenus. A défaut, une application lit- térale de l’art. 159 al. 3 CPP, faisant abstraction de la juris- prudence européenne, constituerait une véritable «bombe à retardement» judiciaire. En effet, toutes les déclarations faites par un prévenu devant la police, hors la présence d’un avocat dont il a sollicité l’assistance, sont potentiellement inutilisables comme preuve à charge et consacrent une vio- lation irrémédiable des droits de la défense, comme l’a af- firmé la Cour européenne des droits de l’homme à maintes reprises. C’est dire que de nombreux acquittements seraient à prévoir dans les premiers mois de l’année 2011, si les au- torités pénales ne veillent pas à garantir le droit à l’avocat de la première heure en conformité avec la CEDH.

stichwörter: Anwalt der ersten Stunde, Recht auf Verteidi- gung, Einvernahme durch die Polizei

Mots-clefs: Avocat de la première heure, droit à la défense, interrogatoire de police

péenne, sans doute à juste titre, une obligation positive des autorités pénales de mettre un défenseur à disposition du prévenu qui en fait la demande. Une telle interprétation ren- drait alors obligatoire l’instauration d’une permanence ou d’un service de piquet. Ainsi, les cantons qui ont renoncé à toute permanence, comme le Canton de Neuchâtel,31 s’ex- posent à des situations très délicates puisque l’absence d’une telle institution engendre l’impossibilité de mener des inter- rogatoires de police en dehors des horaires d’ouverture des études d’avocat. Il en va de même, dans une moindre mesure, du Canton de Genève qui n’a prévu d’avocat de permanence que pour les «infractions graves» (art. 8A al. 1 LPav/GE), notion au demeurant aux contours non définis, alors même que tous les cas justifient, a priori, l’assistance d’un conseil.

Dès lors, d’une faveur faite au prévenu, l’avocat de la pre- mière heure devient un droit fondamental de ce dernier. Ce droit fait obstacle à toute audition en l’absence de l’avocat dont la présence est requise, avec, pour corollaire, l’obliga- tion de l’Etat de veiller à ce que le prévenu puisse effective- ment disposer d’un avocat.

V.  une réflexion de droit transitoire

Il ressort de l’art. 448 al. 2 CPP que les preuves recueillies sous l’ancien droit conserveront toute leur validité, lorsque des procédures pendantes à l’entrée en vigueur du nouveau droit seront jugées en application du CPP. Ainsi, un moyen de preuve recueilli avant le 1.1.2011, en violation du CPP mais en conformité avec le droit de procédure alors appli- cable, conservera toute sa valeur, sous réserve toutefois du respect des garanties fondamentales.32

Or, compte tenu des principes qui se dégagent de la juris- prudence Salduz, il apparaît que le droit à l’avocat de la pre- mière heure existe dès à présent, directement déduit de l’art.

6 CEDH, y compris lorsque les codes de procédure canto- naux, comme celui du Canton de Vaud, de Genève ou de Neuchâtel,33 excluent la présence de l’avocat lors de l’inter- rogatoire à la police.

Ainsi, un interrogatoire de police mené avant le 1.1.2011, sans l’assistance d’un avocat dont la présence est requise ou alors que la loi lui interdit l’accès à la salle d’audition, ne peut pas être «blanchi» par l’art. 448 al. 2 CPP, puisqu’il est, dès à présent, contraire aux garanties fondamentales du pro- cès équitable. C’est dire que la problématique de l’avocat de la première heure devrait être prise en considération immé- diatement, sans attendre l’entrée en vigueur du CPP, puisque

Contra Donatsch/Cavegn (n. 4), 108, qui affirment que la police n’a pas d’obligation de faire activement en sorte que l’avocat requis soit présent.

31  Jeanneret/Ferreira (n. 4), 33.

32  Schmid (n. 3), Art. 448 N 3 ss.

33  Jeanneret/Ferreira (n. 4), 31 ss.; Mazou (n. 12), 131 ss.; dans ce sens à Genève, BJP 2010 N 731.

(7)

est une innovation de la nouvelle procédure pénale uni- fiée. Toutefois, après l’adoption du CPP, la Cour euro- péenne des droits de l’homme a précisé sa jurisprudence en faisant de l’avocat de la première heure un droit fon- damental de l’accusé dès et y compris le premier interro- gatoire de police. Cette contribution tend à faire le point sur la conformité de l’avocat de la première heure insti- tué à l’art. 159 CPP au regard des exigences désormais déduites de l’art. 6 CEDH.

ersten Stunde ist eine Innovation des neuen, vereinheit- lichten Strafverfahrens. Seit dem Erlass der StPO hat der EGMR seine Rechtsprechung jedoch weiterentwickelt, indem er den Anwalt der ersten Stunde zu einem, ab und schon bei der ersten Einvernahme durch die Polizei gel- tenden Grundrecht des Beschuldigten erhoben hat. Der vorliegende Beitrag unternimmt eine Standortbestim- mung betreffend die Übereinstimmung des Anwalts der ersten Stunde gemäss Art. 159 StPO mit den fortan aus Art. 6 EMRK fliessenden Anforderungen.

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