• Aucun résultat trouvé

Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en Suisse et en France: Une approche des opportunités politiques

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en Suisse et en France: Une approche des opportunités politiques"

Copied!
15
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en Suisse et en France: Une approche des opportunités politiques

GIUGNI, Marco, PASSY, Florence

GIUGNI, Marco, PASSY, Florence. Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en Suisse et en France: Une approche des opportunités politiques. In: Hans-Rudolf Wicker, Rosita Fibbi et Werner Haug. Les migrations et la Suisse: Résultats du Programme national

"Migrations et relations interculturelles . Zurich : Seismo, 2003. p. 104-130

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:112903

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

Modèles de citoyenneté et mobilisation

des immigrés en Suisse et en France. lJne approche des opportunités politiques

Marco Giugni et Florence Passy

Les travaux récents sur I'action collective ont mis en exergue le rôle prépon- dérant des opportunités politiques pour la mobilisation, mais aussi l'impact

des mouvements sociaux. Des facteurs d'ordre institutionnel tels que I'accès au système politique, le niveau de répression mis en æuvre par les autorités, la configuration du pouvoir et la capacité de I'Etat à produire des décisions rapides et à les mettre en ceuvre de manière efficace, figurent parmi les aspects

de Ia structure des opportunités politiquar

qui

influencent l'émergence des phénomènes de contestation politique et qui ont été mis en avant par diffé- rents auteurs, autant par le biais d'études de cas que par celui d'analyses comparées (Brockett, 1991; della Porta, 1995; Kitschelt, 1986; Kriesi et al.,

1 99 5 ; McAd am, 19 82, 1 996 ; Rucht, I99 4;Tarrow, 1 9 8 9, 1 99 8

;Tilly,

197 8,

t986,

t995).

Dans le cadre de cet article, nous suivons cette tradition théorique, connue sous le nom de I'approche des processus politiques (McAdam, 1982; Tâirow, 1998;

Tilly,

1978,1986,1995), afin d'expliquer les diffërences dans les pro-

cessus de mobilisation des immigrés dans deux contextes nationaux distincts : la Suisse et la France. Dans ces deux pays réside une large population de

minorités ethniques d'origine migrante (qu

i[

s'agisse d'étrangers ou de ci- toyens immigrés).1 Cette population intervient de façon distincte dans ['es- pace public de son pays d'accueil et articule des revendications politiques spécifiques d'un espace public à I'autre. Porter son attention sur les seules

institutions politiques pour cerner ces différences de mobilisation, comme I'ont fait les auteurs de I'approche des processus politiques, n'est cependant pas suffisant. Pour comprendre comment les opportunités politiques façon- nent la mobilisation des immigrés, nous devons porter notre attention sur des aspects du contexte institutionnel plus spécifiquement liés au domaine de

l'immigration et des relations ethniques, tels que la situation légale des im- migrés, leurs droits politiques, sociaux et culturels, les lois concernant I'ob- tention de la citoyenneté, etc. (Ireland, 1994). De façon plus générale, nous devons tenir compte des modèles de citoyenneté en tant que structure des

I

Nous entendons par minorités ethniques les minorités issues de l'immigration et nous excluons de cette terminologie les minorités culturelles nationdles (voir Kymlicka, 1995).

r04

Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en Suisse et en France

opportunités politiques ayanr un impact sur les mobilisations collectives dans le.domaine.spécifique de la régulatiàn de l'immigration et de la gestion des relations ethniques. ce faisant, nous procédons

Àsi

à une spécif,cation des

opportunités propres à ce domaine politique.

comme nous allons I'expliquer plus bas, par modèles de citoyenneré, nous entendons les modes d'incorporatiôn des populations migr"nt.s d"ns les pays

d'accueil. ces modes d'incdrporation dZcoulent des

di'fftr.nt.,

traditions nationales de constitution des Etats au cours des siècles passés, ainsi que des

définitions collectives de la citoyenneté. ces traditions

j.rrir.rrt

clairement

une frontière entre le citoyen et i'immigré et définissen,

t.,

pr".iq,r., d,incor-

ryl"lirl

des- populations migrantes au sein de I'espace ,r"riorr"i (Brubaker, 1,192; soysal, 1994).2

A

l'aide de données empiriques collectées au cours d'une recherche internationale sur les débats

iubli.,

dans le domaine de

I'immigration, de la citoyenneté et des relations ethniques, nous montrerons commenr ces différents modèles de citoyenneté influencent les revendica- tions politiques et les mobilisations collectives des immigrés en suisse er en France.

Nous porterons ici une attenrion particulière à la nature des revendica- tions politiques et à leur contenu. Nous nous démarquons ainsi de la plupart

des études.sur la protestation_politique qui se sont focalisé., ,,r,

l'".r"iyr. d.,

formes de la protestation en dèlaissant le conrenu politique d,es demandes de ces acteurs. Nous estimons qu

il

est essentiel d'examiner cet aspect d.e la politique contesrataire pour au moins trois raisons. Tout d'abord, une telle perspective nous permet d'affiner notre connaissance des mouvemenrs so- ciaux et d'introduire une dimension nouvelle dans le concepr des processus politiques qui, jusqu à présenr, n'a été conçu qu'en des

..r-.r'..r.ntiellement

politico-institutionnels dans la littérature sur la politique contestataire. Deuxiè- mement, s'arracher au contenu des revendic"tio.rr p,rbliques nous permer de combler une lacune dans la littérature spécialisée dans I'gàde des migrations, notamment en termes de respect des différences culturelles et de àroits de citoyenneté, dans la mesure où

il

existe à I'heure actuelle très peu d'analyses empiriques systématiques porranr sur les demandes et l'action des immigrés et des minorités ethniques.3 Finalement, mieux connaltre le contenu des revendications politiques des immigrés est important par rapporr à l'analyse des politiques publiques et à l'action de l'Etat àanr

l. do-"i"ê

de I'immigra- (iP94) parle n teteffet de u régimes d'incorporation o des immigrés dans les

communeutés nationâles.

3 Les travaux de Fibbi et Bolzman ( 1 99 I ) constituent une exception dans le cas de la suisse, ainsi que ceux de Ireland (1994). Pour la France, les études âe lreland ( I 994), de Lapey- ronnie (1993), de siméant (1998), et de \?'ithol de wenden (19g8) ont éclairé certains aspects de la mobilisation des immigrés.

105

(3)

Marco Giugni et Florence Passy

tion et des relations ethniques dans la mesute où I'on peut supposer que ces

revendications dépendent de ce qui est demandé.

Nous allons d'abord nous arrêter sur les aspec$ théoriques de notre appro- che, notamment sur la spécification du concept de structure des opportunités politiques par le biais des modèles de citoyenneté. Nous avancerons ensuite quelques hypothèses concernant I'impact de ces modèles sur la mobilisation et les revendications politiques des immigrés dans [e cas des deux pays que nous étudions

ici.

Puis, après avoir

fourni

quelques informadons d'ordre méthodologique concernant la constitution de notre base de données, nous discuterons les résultats de nos analyses, en distinguant entre l'accès des immigrés à I'espace public national en général d'un côté, et leur participation dans le champ de I'immigration et des relations ethniques de I'autre. La conclusion nous permettra de résumer nos propos et de les mettre en perspec- tive à la fois avec la littérature sur la protestation politique et celle sur les migrations.

1 Modèles de citoyenneté et modes d'incorporation

des

immigrés

Plusieurs travaux comparatifs récents

ont

souligné I'existence de modèles nationaux d'incorporation des populations migrantes, ainsi que I'importance

des droits de citoyenneté dans ce contexte (Brubaker, 1992; Castles, 1995;

Favell, 1998a; Freeman, 1995; Joppke, 1999; Koopmans et Statham, 1999, 2000; Safran ,1997;Smith et Blanc,I996;Soysal, 1994).IJouvrage de Rogers Brubaker (1992) sur la citoyenneté et la nationalité en France et enAllemagne constitue à cet égard une pierre angulaire pour les auteurs qui estiment que I'Etat national tient toujours une place d'honneur dans les processus

politi-

ques, même dans des périodes d'importants échanges transnationaux, et qui, par conséquent, mettent en lumière les variations dans la définition des po- litiques migratoires d'un contexte national à un autre.

Selon Brubaker, la citoyenneté reste un bastion de la souveraineté natio- nale. Dans sa perspective, la citoyenneté reflète les differentes traditions his- toriques d'inclusion des individus au sein de la communauté nationale. Dès lors, les variations dans la définition formelle (légale) de la citoyenneté que nous observons aujourd'hui sont dues aux diffërentes conceptions collectives de la nationalité. La comparaison que I'auteur dresse entre la France et

l'Al-

lemagne est exemplaire à cet égard. Le modèle français découle d'une concep- tion républicaine, contractuelle et politique (civique) de I'Etat qui privilégie le droit du sol Çus solis) comme critère formel pour accorder la citoyenneté aux immigrés. Le modèle allemand, en revanche, se base sur une conception

106

Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en Suisse et en France de la communauté nationale en termes ethno-culturels qui met l,accent sur I'histoire et l'identité communes du peuple allemand. Ën conséquence, le droit du sang Çus sangainis) estle critère essentier pour I'octroi de là citoyen- neté dans cet Etar.

En dépit de cerraines critiques adressées aux renants de cette approche, qui conçoit d'une façon par rrop caricaturale les modèles d..itoy.nÀâré, noram- ment dans sa

distinctiol-.T..

une conceprion civique er une conception ethnique (Brubaker, r999; Favell, 199gb)1 plusieurs aureurs se sonr néan- moins inspirés de l'ouvrage de Brubaker pou,

i.rrt.,

d'.*pliquer les politiques d'incorporation des immigrés à partir dËs différent, -oàclË, de ciàyenneté.

ces modèles se sonr souvenr complexifiés pour pouvoir sortir d.e la vision manichéenne portée àla dimensionformelle de la citoyenneté qu'avait mis en évidence Brubaker. Favell (1 998 a), par exemple ,

" emprunté cËtte démarche pour cerner de façon plus,nuancée les philosophies dintégration des immi- grés en France et en Angleterre.

D'aurr.,

",ri.,rrr,

principalement dans le

courânt de la théorie normative, ont mis en évidence d'"utr.s aspects d.e la citoyenneté, norammenr la gestion de la difftrence culturelle (G!àzer, r9g7;

Kymlicka, 199 5 ; Taylor, 199 4; Young, 1990 ;\Valzer, 1997). Les modèles de citoyenneté. ne peuvenr se limiter à leur dimension régale et formelle, mais doivent également prendre en considération une

dimàsion

plus informelle etculturelle de la citoyenneté , à savoir les obligations imposéËs par l,Etat aux migrants

^pour qu'ils puissent appartenir de

iait

à l'espace ,r"tiorr"l (Koop, mans er statham, 2000). En suivant la théorie norriative, nous pouvons distinguer entre deux rypes d'obligation imposés par I'Etat national : I'assi- milation (monisme culturel) et le iespect

d. l"

diffur.trce (pluralisme cultu- rel). liapproche assimilationiste exigè que les citoyens

poiènti.l,

s,adaptent au nouveau contexte social, aux normes et valeurs de la société hôte, a la culture dominante du pays d'accueil. Lapproche pruraliste, en revanche, ne pose pas ces conditions etprévoit la reconnaiss"n.è d. la difference ethnique qui est.encouragée et parfois même activement promue.

En intégrant la dimension légale et formelle de la citoyenneté à sa dimen- sion informelle et culturelle, nous pouvons dessiner une rypologie des modè- Ies d'incorporation des populations migrantes qui nous

p.i*.à.

distinguer quatre modèles théoriques de la citoyenneté que nous- présentorrs

d"À l"

figure

i

(Koopmans et statham,

rg99,2000i.

La dimËnsion légale de Ia citoyenneté oppose une conceprion ethno-curturelle (innée) à unË.orr"ep- tion civico-territoriale (acquise) pour I'octroi de la citoyenneté. cette dimen- sion de la typologie découle des deux traditions de la nationalité mises en

4 Brubaker (1999) a lui-même remis en cause son opposition entre définitions ethnique et civique de Ia citoyenneté.

t07

(4)

Marco Giugni et Florence Passy

exergue par Brubaker. Quant à la deuxième dimension, nous opposons une gesdon moniste des relations ethniques à une gestion pluraliste. Les types idéaux qui découlent du croisement de ces deux dimensions forment un cadre contraignant pour la mobilisation des acteurs politiques qui articulent des revendications liées à la politique d'immigration et à la gestion des relations ethniques. Bien évidemment, nous discutons ici de deux distinctions analy- tiques, les cas empiriques se situant le long de ces deux continuums de la citoyenneté. Il s'agit, en d'autres termes, d'un espace conceptuel et théorique à I'intérieur duquel nous pouvons situer des Etats, ou même des acteurs collectifs.

Figure 1

:

Typologie des modèles de citoyenneté Obligations culturelles

liées à la citoyenneté

Critères formels pour la citoyenneté

Ethno-culturel Civique territorial Monisme culturel

Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en suisse et en France

générations et qui, pour une large proportion d.'entre e[es, ont déraissé ra langu€,er les pratiques culturelles de Ieur gro'pe ethnique restent des étran- gers dépourvus de droits. poritiques et .*Ë1,r,

à. l" .oË-unauré

nationare, alors que-les immigres d'ôrigine'germanique qui vivent depuis des généra- tions en Russie et en polognà principalemznt (Aussiedred ,J

uoi.r*

conferer dès leur entrée sur Ie territàire alr.mând le statut d.

"itoyÉ,. I

p"ri

.rr.iar..

r"

France représente le cas rypiqu e du modère ciuico-assimiratioiiste,qui a sou- ventété appelé dans la littérature spécialisée et dans

t'..p"..

f,.rbiic o modèle républicain ,,:.9.

pT

sa pratique du droit de sol pour

f,iUr*ii""làgale

de la

citoyenneté, l'Etat français

tÀd

à incorporer pi,r,

"ire_.rri

q,r.

,or uoiri'

allemand les populations immigrée, *'.,

,.in d. ,"

"ommurr",riJrr"tiorr"l.

.,

à reconnaître leurs droits sociaux et poritiques. En revanche, en France, la reconnaissance des différences cultureires et Ëthniqu., .r, ."..rri.,r.ment rimi_

tée. Les. immigrés citoyens ou non citoyens doivent s'assimirer

ii" ..rlr,rr.

nationale er aux idéaux.de la République, ce qui raisse

"";;;;;

restreinre

pour I'expression de la différencË. Les valeurs republicaine, prÀrrL,l,égalité

:t:oyrrr,

chaque individu a re même sratut er ra même relation avec

r Erar. l,ans une teile conception du rapport de l'individu à r'Etat, l'expres_

sion de la difftrence

.,. p..tiêt..

.o.rç,r.

.,

imaginée. Les drames engendrés par la fameuse affaire du foulard d".r, r"

Fr"rr.Jd.,

"""é;q";;;.lvingt-dix

est à cet égard caractéristique de la gestion de la

difftren..

.,i1,*.11. dans ce Pays.

Le troisième modèle de ciroyenneré, que nous appelons ici le z odèle ciuico_

pluraliste, a souvenr été étiqueié comme'modere multi.urtor.r.

iergr.r.rr.,

mais peut-être encore davantage res pays-Bas, sont

deux.*.*pr.r.,rropéens

{: :.*:

conception citoyennJet d.e ra'gestion

d., ,.l"tiorrr-.irr"iq".r. r"",

d'abord, d'un point de vue former, le drJit du sol prévaur.

cor*.à"ns

re cas français,. cette disposition facirite |acquisition

à. t" .iroy.ir.ie,

et par

rl

même, l'obtention des droits sociaux et politiques. En

reânch.,

Ét

.ontr"i-

remenr au modèle français, dans ces

d.u*

Et"tr, de même q,r.

d"r,

1.,

".r,r.,

pays qui reposenr sur ce modère de citoyenneté, peu d'obriiation,

",rlr,rr.ll.,

sontrequises pour I'obtention de la citoyenneté.-ces p*y, ,Ë.orrr"issent d.ans une large mesure les identités particufiÉres des difféient,

gr""p"î".hniques

vivant sur leur territoire,. Ils vont mêm9 prus roin,

." pr";;;;;;iao

poti- tiques actives en faveurde I'expression dela

différen...'tl

".rrJ,

i" iirrgr"r*r.

::i ::ï::îl

_d:'

.o.-Olj'

rypiq,r.r des modes d'

incorpor"ti* Jo-i-*igre,

crans de rels conrexres- En Angreterre, par exempre,

r-i

sikhs peuvenr porter leurs attributs culturels (turba=n et épée) d"r,r

l.J.orp, d.P;Ë;;r"nriq.r.

(Kymlicka, 1995) ; alors qu'aux pays-Bas,

encore jusqu'àirès récemment,

il

Modèle ethno- assimilationiste

Modèle civico- assimilationiste

Pluralisme culturel Modèle ethno-pluraliste Modèle

civico-pluraliite

LAllemagne est probablement le meilleur exemple du modèle ethno-assimila- tioniste. Dans ce pays, des critères formels fondés sur les liens de sang sont couplés avec des obligations culturelles exigeant I'assimilation à la culture (nationale) dominante. Récemment, ce pays a introduit une certaine ouver- ture en matière d'incorporation de ses populations migrantes en réformant les procédures de naturalisation et en facilitant aux immigrés de la deuxième génération I'accès à la citoyenneté. En dépit de ce changement

qui

reste,

proportionnellement à l'ensemble des mesures d'incorporation des immi-

grés, relativement restreint, I'Allemagne et l'ensemble des Etats qui se sont pourvus d'un tel modèle de citoyenneté sont sans conteste les pays oùr la situation des immigrés est la plus difficile. Non seulement I'obtention de la citoyenneté est très difficile et I'appartenance à la communauté nationale excessivement limitée, mais

il

est de surcroît demandé aux migrants de s'as- similer aux normes etvaleurs de la société d'accueil. La situation des immigrés turcs de la troisième génération est souvent mendonnée dans les travaux spécialisés pour illustrer les difficultés que pose ce modèle aux populations migrantes. En effet, ces personnes qui vivent en Allemagne depuis plusieurs

108 109

(5)

Marco Giugni et Florence Passy

n était pas demandé aux immigrés qui obtenaient la citoyenneté du pays de parler la langue nationale (Mahnig, 1999).5

Finalement, une conception ethnique de la citoyenneté combinée à une attitude pluraliste en matière de gestion des relations ethniques nous offre un quatrième modèle : Ie modèle ethno-pluraliste. Ce modèle est à I'heure actuelle nettement moins répandu que les trois autres. Il n'existe actuellement pas, sur le continent européen, de pays

qui

endosse un tel modèle de citoyenneté pouvant déboucher sur des politiques difftrendalistes ou même ségrégation- nistes, comme ce fut le cas, par exemple, de I'Afrique du Sud sous le régime de I'apartheid ou du système

Millet

sous I'Empir€ ottoman.

Où pouvons-nous placer la Suisse dans cette typologie ? Le modèle de citoyenneté suisse présente de nombreuses similitudes avec celui de l'Allema-

gne. La citoyenneté est octroyée en suivant les règles du droit du sang. La base

forme[e d'inclusion dans la communauté nationale repose donc sur un cri-

tère ethno-culturel. Toutefois, au regard de la dimension informelle et cultu- relle de la citoyenneté, le cas de la Suisse semble à première vue se distancer de celui de I'Allemagne. LlEtat suisse s'est constitué originairement comme une union de communeutés montagnardes qui se sont organisées politique- ment afin de repousser la menace extérieure que représentait à l'époque I'Em- pire des Habsbourg. Progressivement, d'autres cantons se sont ralliés à la Confédération et ont ainsi contribué à la formation de la Suisse moderne. La structure ftdérale du pays, instaurée par I'Acte de médiation de 1 803 et ancrée dans la Constitution de 1848, a été créée avec la volonté de résoudre les

conflits internes et dans I'esprit de respecter l'autonomie des minorités reli-

gieuses et linguistiques. Cette construction nationale particulière a généré (ou plutôt respecté) une forte hétérogénéité culturelle. Le processus de for- mation de I'Etat suisse n'a pas, à I'instar de son voisin français, contribué à

l'élaboration d'une culture nationale dominante.

Lidentité

nationale est davantage une identité négative, forgée par la perception d'un destin com- mun sous la menace extérieure (Kriesi, 1995), qu'une identité positive et volontariste qui unirait le peuple suisse. Une des caractéristiques de I'Etat

suisse repose ainsi sur la pluralité des cultures et le respect de cette diversité.

De par I'absence d'une véritable culture nationale et la tradition de reconnais- sance des minorités qui ont contribué à la formation de I'Etat helvétique, on pourrait penser que Ia Suisse suit une approche pluraliste quant à I'incorpo- ration des minorités ethniques issues de la migration. Il n'en est rien. Comme en Allemagne, la citoyenneté formelle s'acquiert au niveau local, où chaque Cette disposition a été récemment supprimée afin d'éviter toute discrimination sur le marché du travail. Les Pays-Bas ce sont rendus compte que cette disposition ne favorisait pas l'acquisition néerlandais et que cela constituait pour les immigrés un handicap im- portant pour trouver un emploi .

Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en suisse er en France

canton demande une assimilation des populations immigrées aux us er cou- :ur.nes de chaque entité locale (centrivrËs et SchnappeJrggr).

ni"si,

si ra suisse est certainement très pluraliste à r'égard

a.r ."t.,rr..

tr"aiiiorrrr.tt.- menr reconnues dans le cadre du fédérafisÀe er des procédures informelles d'intégration des minorités narionales, ele |est nettemenr moins envers les minorités ethniques issues de I'immigration. Aurant dans sa dimension légale que dans sa dimension culturelle,

h

Suisse est proche du moda,le riino_assimi_

lationiste. comme en Allemagne,

il y

est excessivement difficire pour les

immigrésd'appartenir à la communauté des citoyens et de fairevaioir pubri- quemenr leur diversité culturelle.

2 Le lien entre modèles de citoyenneté, opportunités politiques et mobilisation d.i i--igreJ'

Dans noûe p€rspecrive, les modèles de citoyenneté constituent le contexte institutionnel pour la mobilisation des

".r.,r*

politiques d"rrs

l. .h"mp d.

I'immigration et des relations ethniques. Nous àstimons en effet que la ma- nière dont sont incorporés les immigrés dans les sociétés d'accueil'varie for- tement d'un contexte national à un autre, er que cette variation a des impli- cations importantes quant à la nature

.t

",r.orrt.rru

de leurs revendicatiàns politiques.- cependant, il convient de s_ouligner que les modèles d.e citoyen- neté sont davantage que de simples cadres Ègislaiifs et des institutions con- crètes. ce sont avanr tour des conceptiorr,

.I

des définitions collectives des modes d'inclusion et d'exclusion

d.l"

communauré nationale. ce sont d.es

compréhensions partagées, historiquement et cultureilement ancrées, des

droits et des devoirs des immigré,

.i,

irr',r.rr.*enr, des nationaux envers les

migrants' Err tant que rels, ces modères influencent les pratiques plus qu ils ne les constituent. Il s'agit donc d'institutions au sens

l"rg.

do

t.r;e,

au sens de,, durable or regular-patterns of social life [that]

reflecia..pi/.-u"aa.a,

at times sacralized, cultural componenrs u (clemens, r99g,

i iz). oefirri.,

ainsi, les institutions tirent leur efficacité non seulemerr. d. i'irrt..r,alisation des normes et pratiques ou du pouvoir d.e sanction sociale, mais aussi des

définitions collectives et des discours publics qui les font appartenir à une identité partagée. Les modèles de citoËnneté captur.nt ,rrr.'p"r, essentielle de cette identité.partagée. Par^conséquenr,

.., *odèI.,

orrr,r'rr. i*porrance cruciale dans la définition des frontièies et du rerrain, socialement contestés, de

limmigration

et des relations ethniques.

Nous pouvons dès lors avancer un cèrtain nombre d'hypothèses par rap- poq à l'impact des modèles de citoyenneté en tant que srrucrure des oppor- tunités politiques pour la mobilisation des immigrés. En particulier, nous 111 110

(6)

Marco Giugni et Florence Passy

aimerions evancer trois prédictions quant à la nature et au contenu des reven- dications politiques des migrants en Suisse et en France. En premier lieu, et au niveau le plus général,les modèles de citoyenneté déterminent les oppor- tunités d'expression politique des immigrés au sein des espaces publics nario- naux. Les difftrentes conceptions de la citoyenneté et de la nationalité in- fluencent le statut des migrants dans

un

espace national donné et, par conséquent, façonnent le degré de légitimité qui leur est accordé

-

et que les

immigrés s'accordent eux-mêmes

-

pour prendre part aux débats publics et

à lavie politique du pays d'accueil. La définition symbolique de la citoyenneté et, de manière plus générale, les critères d'inclusion et d'exclusion vis-à-vis de

la communauté nationale, façonnent le sentiment d'appartenance à cette communauté par les immigrés qui se sentent légitimés ou non à intervenir pour défendre leurs intérêts collectifs dans I'espace public national. La déno- mination des populations migrantes dans les deux pay-s de notre étude est à cet égard révélatrice quant à la définition collective de la conception de la citoyenneté de chacun de ces Etats, mais aussi du sentiment d'appartenance de ces populations à [a communauté nationale. En Suisse, les migrants sont définis en tant qu'< étrangers ,, des individus qui se situent à I'extérieur de la communauté des citoyens,6 alors qu'en France ce sont des < immigrés n, inclus dans la communeuté nationale (Kastoryano, 1996).7 Cette dénomination distincte du migrant est également perceptible dans le langage des autorités ;

alors qu'en Suisse on parle d'n Office fédéraI des étrangers ) et de < Loi sur le séjour et l'établissement des étrangers >, en France, on parle de u Secrétaire d'Etat aux immigrés ) et de la < Loi sur I'immigration ).

Il

convient de noter que les migrants eux-mêmes partagent cette perception de leur statut dans la société hôte et que ceci affecte de façon déterminante leurs revendications politiques. Dès lors, nous pouvons conjecturer que, dans un pays oir domine un modèle ethno-culturel (et donc exclusif) de la citoyenneté, les étrangers adressent leurs revendications politiques avant tout àleur pays d'origine. Leur exclusion leur conère peu de légitimité pour entrer de plain-pied dans I'es- pace public netional. Inversement, un pays oir prévaut un modèle civico- territorial (et donc inclusif) offre davantage d'opportunités pour une mobi- lisation au sein de l'espace public national et les immigrés peuvent ainsi interpeller plus aisément les autorités de leur pays d'accueil concernant leur séjour et leur intégration sur le territoire de liEtat hôte. Par conséquent, en France, les demandes politiques des immigrés devraient principalemenr êrre Le terme allemand de AusLinder est encore plus parlant quant à I'exclusion (auù des migrants de la communauté nationale.

Dans le même ordre d'idée, le modèle civico-pluraliste suggère une définition en rermes de n minorités ethniques ), comme c'est le cas par exemple aux Pays-Bas et en Grande Bretagne. Dans ce dernier pays, on utilise aussi souvent le terme de < minorités raciales n.

Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en Suisse et en France adressées aux autorités françaises, alors qu'en Suisse, les revendications des

populations étrangères devraient concerner essentiellement la politique de leurs pays d'origine et interpeller en premier lieu les autorités

d. l.rr*

p"ys respectifs.

Deuxièmemenr, le modèle de citoyenneté de [a suisse, à dominance eth- nique, tend à précariser le statut des immigrés vivanr dans I'espace national.

une des conséquences noroires de cette caractéristique du modéle de citoyen- neté suisse a trait à l'élaboration de différents modes de séjour et d'établisse- ment des étrangers ainsi qu'à la création et au maintien (jusqu à récemment)

d'un

des sraruts les plus précaires que peuvenr connaître-les populations migrantes : le srarut de saisonnier. Cette caractéristique institutionnelle et culturelle de la Suisse procure des ressources essentielles aux immigrés pour pouvoir intervenir, quànd ils le font, sur la précarité de leur séjoui dans ce pays. comme leur présence sur le territoire national peut être plus facilement remise en cause que dans des pays qui reposent sur une dimension civique de la citoyenneté et que leur appartenance à la communauté nationale esi niée, nous pensons que les populations immigrées vivanr en Suisse articulent da- ventage des revendications politiques liées à leur entrée et à leur sortie de I'espace national. La peur de I'expulsion du territoire suisse devrait être un des moteurs de leur mobilisation dans I'espace public du pays. En revanche, en France la dimension civique de la citoyenneré conftre une cerraine sécurité quant au séjour des populations migrantes, ainsi qu'un sentiment d'apparte- nance à la communauté nationale. Une fois entrés sur le territoire national et ayant acquis un rirre de séjour, les immigrés ne devraient plus enrrer dans l'espace public français pour adresser des demandes politiques concernanr leur statut. Etant incorporés dans la communauté nationale, les immigrés devraient davantage interpeller les autorités sur le thème de leur intégration

dans I'espace national. Si, en Suisse, nous nous artendons à une prise de parole des immigrés sur les conditions d'entrée et de résidence dans le pays (politique d'immigration et d'asile), en France, leurs revendications politiques àevraiènt a'iioir trait principalement aux conditions de leur incorporation dans la socié- té française (politique d'intégration).

Thoisièmemenr> nous avançons, et de façon plus spéculative, que, dans le contexte français, les immigrés auraient tendance à revendiquer dàvanrage de droits culturels que ne le leur octroie I'Etat républicain. Le modèle àe citoyenneté français, qui repose sur des valeurs républicaines d'égalité entre tous les individus vivant dans l'espace national, offre d'imporranres ressour- ces aux immigrés pour lutter conrre toute forme de discrimination (sociale,

politique, économique et culturelle). Le traitement inégal, discriminant et

difftrencié entre les membres de la communauré narionale constirue une brèche essentielle à la conception française de la relation établie entre I'indi-

tr3

6

7

rt2

(7)

Marco Giugni et Florence Passy

vidu et I'Etat. Une telle conception égalitariste de la citoyenneté a pour con- séquence de nier les différences culturelles dont esr porteur tout individu en faveur d'une conformité aux normes et valeurs républicaines (Birnbaum, 1998; Brubaker,1992;Leca,1992; Schnapper, 1991). Ainsi, le modèle de citoyenneté civico-assimilationiste de la France procurerait davantage de res- sources culturelles aux immigrés pour qu'ils se mobilisent aurour de ce para- digme égalitariste prôné par les valeurs républicaines. Toutefois, étant donné le caractère inclusif du modèle de citoyenneté français, noramment dans sa

dimension formelle, et I'accent mis sur la nécessité impérieuse de s'assimiler à la culture républicaine, ce modèle de citoyenneté crée une forte tension entre, d'un côté, les contraintes culturelles que I'Etat impose aux immigrés afin qu'ils s'assimilent aux normes et valeurs de la République et, de I'autre, lavolonté de ces derniers de pouvoir efiFectivement s'assimiler et se conformer

à cet ensemble culturel. La difficulté de s'assimiler au cadre républicain avait déjà été mise en avant par les rédacteurs de la première loi sur I'immigration

en France, qui avaient fait ressortir le concept de distance culturelle. Pour ces

euteurs, les populations migrantes culturellement les plus éloignées de la culture judéo-chrétienne auraient davantage de difficulté à intégrer les con- cepts républicains que celles qui proviendraient de ce berceau culturel ('Weil,

1995).8 Sans reprendre à bon compte cette argumentation qui visait à écarter certains rypes d'immigrés, le modèle assimilationiste à la française, qui vise une égalité de fait entre les individus, pose effectivement des difficultés aux populations migrantes. Ceci est d'autant plus vrai que de nombreux immigrés proviennent de cultures très différentes de la culture de la majorité nationale et ont des difficultés à n exprimer leur diversité culturelle que dans leur sphère privée. Le port du foulard islamique dans les lieux publics esr à cet égard parlant. En conséquence, en France, nous devrions observer (par rapport à la Suisse) une proportion importante de revendications visant à demander une certaine reconnaissance, voire même la promotion de la diversité culturelle de la part de groupes minoritaires, notamment de la part des musulmans, dont I'identité collective est mise en danger par la forte pression à I'assimilation culturelle.e

8

L'extrême droite française a souvent repris à son compte ce type de réflexion pou.r sou- ligner les difficultés d'assimilation des populations provenant d'autres berceaux cultu- rels.

e

Comme l'a mis en évidence Gianni (1999), certaines identités sont négociables et d'autres ne le sont pas. Les identités religieuses font partie des identités difficilement négociables.

tt4

Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en Suisse er en France

3 Données et méthodes

Nous allons confronter nos arguments théoriques avec des données empiri- ques qui proviennent d'une recherche internationare portant sur cinq pays européens.10 Les données ont été collectées par le biais d'une analyse

,yrli*â-

tique du conrenu d'un quotidien nationalà"ns

"ha"un

d.

".,

p'"yr. bans le cas de la suisse et de la France,

il

s'agit respecrivement de la

Nio,

Zr:irrh*

lityng

et-du jo-urnal Le Mondz.

Noui

avons échantillonné notre corpus en récoltant des informations codées selon un schéma standardisé en consukanr tous les. deux jours une édition de chacun de ces quoridiens. Notre étude couvre la décade des années quatre-vingt-dix (1990_199g).

No.tre base empirique consisre donc en un échantilron systématique d.es

revendicationl politiqyes dans I'espace public Qtablic clafuns) portant sur l,im- migration (et I'asile), l'incorporation des immigrés dans la société d'accueil (intégration), er sur les relatiôns entre majorirés

!t

minorités ethniques d,ori- gine migrante (racisme, xénophobie er anriracisme). Les intervertiâ.rr

r.rr..,

thématiques définissent le champ de l'immigration et des relations ethniques.

Par ailleurs, nous avons récolté toutes les ievendications articulées par les immigrés et les minorités ethniques d'origine migrante. Ainsi, les inrerven- tions publiques des immigrés porranr s,rr lè.tr p"ys d'origine ont été rerenues dans notre banque de donnéei. Enfin,

ro.r,

"rrorr, égaleirent codé toutes les actions faites par des acteurs d'extrême droite, qure-lles touchent ou non le champ de I'immigration et des relations ethniques.

Par revendication politique, nous entendons toure intervention

-

verbale

ou non verbale

-

dans.l'espace public faite au nom d'une collectivité et qui

est e-n rapport avec les intérêts ou les droits d'aurres collectivités. Ceci inciut

à la fois les actions de protestation et les mobilisations collectives au sens srrict (manifestations, pétitions, acrions confrontatives et violentes, etc.), les actes de parole (déclarations publiques, rappofts écrits, actions ad.ressées aux mé- {i_":

:"

général, etc') et les décisions politiques (lois, actes administratifs, décisions judiciaires, etc.).

Pour chaque événement (revendication) sélectionné dans notre échan- tillon, nous avons enregisrré un cerrain nombre d'informations, informations qui forment les variables de base pour norre analyse. Les plus imporrantes

l

I

l 1 {

I

I

I

1

t0

Il s'agit du projet,MERCl (Mobilization on Ethnic Rektions, Citizensbip and lrnrnigra- t-!n) coryu.r?na2t les pays suivants : la France et la suisse (étude menée pai Marco Giu"gni, université de Genève, et Florence passy, université de Lausann.), txte*"grr" Rirra

Koopmans, 'wissenschaftszentrum Berfin ftir Sozialforschung), l'Ârrgl"t.r."'1prul sta- tham, université de Leeds) et les pays-Bas (Thom Duyveng dî.orit, ûrri rer.ité d'Ams- terdam). La partie du projet concernant la France et la suisse a été financéep", l. Forrd, nationd suisse dans le cadre du programme national de recherche 39 (proje't no.4039- 044908).

tr5

(8)

Marco Giugni et Florence Passy

sont les suivantes : la localisation de l'événement dans l'espace et dans le temps, I'acteur qui I'a produit, sa forme et son but ou contenu. En ce qui concerne ce dernier aspect, nous evons collecté les revendications politiques qui impliquent des demandes, des critiques ou des propositions sur les thèmes mentionnés plus haut. Le codage a été fait à partir de listes de codes semi- ouvertes permettant d'obtenir le plus de détails possibles par raPport aux événements tout en fournissant un schéma structuré pour une analyse quan- titative de l'information. En particulier, la liste des codes concernant le con- tenu des revendications a été ouverte et les codeurs ont rajouté de nouveaux codes à chaque fois qu'un nouveau type de revendication apparaissait.

Lin-

formation contenue dans ces variables de base a ensuite été recodée dans des variables plus générales pouvant être utilisées de façon quantifiée et dans une perspective comparative. Les analyses présentées dans cet article sont basées sur ces variables plus générales.

4 Légitimité et

accès des

immigrés

à

l'espace public national

Nos données confirment largement notre première hypothèse concernant I'impact des modèles de citoyenneté sur la présence des immigrés dans I'es- pace public national. Comme le montre le tableau 1 (les deux premières colonnes), en Suisse, la participation des migrants dans le champ de I'immi- gration et des relations ethniques est réduite. En effet, seules 5.9olo des inter- ventions publiques portant sur ces thèmes ont été articulées pour toute la période des années quatre-vingt-dix par les populations immigrées. En Fran- ce, la participation de ces populations dans les débats publics est plus élevée, avec L2.6o/o du total des revendications dans le domaine politique en ques- tion. Certes, les interventions des immigrés dans l'espace public français sont deux fois plus nombreuses que celles des immigrés vivant sur le territoire helvétique, confirmant ainsi notre première hypothèse

;

toutefois, même dans le cas de la France, la participation publique de cette population est relativement restreinte. Si nous confrontons nos résultats avec des données comparables pour I'Angleterre, un pays où, comme nous l'avons dit, prévaut un modèle de citoyenneté civico-pluraliste, nôus voyons clairement que la France, avec une dimension formelle du modèle de citoyenneté qui favorise I'appartenance des immigrés à la communauté nationale et une dimension culturelle relativement défavorable pour ces populations, représente un cas

intermédiaire dans notre typologie. Si la Suisse, à la fois exclusive et assimi- latrice, offre peu d'opportunités de mobilisation pour les immigrés vivant sur son territoire, la France, avec une dimension inclusive et I'autre assimilatrice, 116

Modèles de citoyenneté et mobilisation des immigrés en Suisse er en France

ot:.""

ensemble d'opportunités contradictoires pour l'entrée d.ans I'espace

publique des migrants.

En

revanche, I Angleterie, inclusive et pluraliste, Çonstitue le cas le plus favorable en termes d;opportunités politiques, ce qui

se répercute directement sur I'activité publiquà des migrants

d"r,

".

p"yr.

Leur intervention dans I'espace public britant iqne s'élèrie à environ 20o/o du total des revendications collectives dans ce dom"ine politique (Koopmans et Statham, 1999). Ces fortes variations que nous po,.rrror* iele.,rer

qlant

à la présence des immigrés dans les débats publics nationaux s'expliquent, du moins dans une large mesure, par les conceptions de citoyenneig

i.

.h".,.rrt

de ces pays. Le modèle ethno-assimilationiite suisse offre aux migrants peu de légitimité, peu de ressources symboliques et de faibres opporr,rii,é, poti- tiques pour intervenir dans I'espace public national.

L.

*oàË1. civico-piura- liste britannique, en revanche, les encourage davantage à participer aux dé- bats nationaux, de surcroîr sur la base d. le.rr identiTé .Àttiq,rà. Enfin, le modèle civico-assimilationiste français, qui ne distingue

p".

,rett.rrr.nt 1", citoyens des immigrés puisque ils appartiennent à

la.À.,,Lrr",r,é

nationale,

se situe entre le cas de la suisse et celui de l'Angleterre, puisque les immigrés

ont.la

légitimité, en ranr que membres de lLspac. ,r"aiorr"l, d.'intervenir publiquement dans la société française, mais sans mobiliser leurs identités culturelles particulières. De ce fait, La présence immigrée dans les débats publics est plus retreinre qu en Angleteire.

Thbleau

I

: Prêsence des immigrés dans I'espace public en suisse et en France

(r990-199s)

Acteur

Participation d'immigrés Participation d'autres acteurs Total o/o (N)

Revendications dans le champ de I'immigration et des relations ethniques

Suisse

France

5,9 12,6

87,4 94,1

100 (t702)

100 (3320)

Toutes les revendications

Suisse France

12,6 97,4

100 (2095)

t0,7

89,3

100 (4385) Note : Sont inclues les revendications verbales et non verbales.

Bien qu'environ un cinquième de sa population soit composée d'étrangers, la suisse.ne légitime pas ces derniers comme des act.urs politiques à part entière et ne leur offre que de faibles opportunités de

particip.,

à

l'.ri"..

public

rt7

Références

Documents relatifs

Pour que, dans les situations d’interac- tion entre élèves, le plus faible ait un rôle à jouer qui ne soit pas de simple figuration, il importe tout d’abord de choisir des

Une telle logique pose des questions qui vont au-delà de I'enjeu particulier du cas des acteurs musulmans et de leurs possibilités d'intégration ; elle porte

Les participants souhaitant recevoir la lettre d’information de l’ENPJJ seront intégrés à la liste de diffusion (nom, prénom, adresse mail) de la cellule communication

3 Quant aux populations issues de l'immigration des années 1960, dont certains membres d'origine non-européenne sont parfois citoyens de leur pays de résidence,

Etats-providence, opportunités politiques et mobilisation des chômeurs: Une approche néo-institutionnaliste.. BERCLAZ, Michel, FUGLISTER, Katharina,

l’évolution des politiques sanitaires dans ce secteur ainsi que dans celui des maladies cardiovasculaires avec pour objectif de montrer la transformation des modes d’action

ethniques mais contribuent à une socialisation réciproque des individus et des groupes, redéfinissant, pour les uns et les autres, leur statut majoritaire ou

En particulier, dans la mesure où la revendication de désobéissance vise le processus de prise de décision publique, la construction de la loi et du droit, nous observerons