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Lire grandeur nature : interroger l’acte neuro-culturel à construire

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Academic year: 2022

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Lire grandeur nature : interroger l’acte neuro-culturel à construire

Ce titre a longuement mûri à l’ombre du mot« aujourd’hui» qui participe au thème de ce

« 15èmeSalon des Apprentissages individuels et personnalisés ».

Pourquoi« Grandeur nature »?

Pour souligner, dès l’abord l’amplitude,l’ampleurde cette action de lire que nous pratiquons à chaque instant, depuis notre naissance, puisque nous lisons un visage, nous lisons une expression, nous lisons la voix qui nous parle, nous lisons un paysage, nous nous lisons nous-même (parfois difficilement).

Lire,ce petit mot de 4 lettres nous est venu du grec. Pour les Grecs, il signifiait« dire »,

« désigner » et « signifier ».Les Latins nous l’ont aussi transmis avec la nuance

« recueillir par les oreilles et par les yeux ».

Une rapide excursion en écriture chinoise fait découvrir que la langue chinoise exprime l’idée de lire par deux caractères différents :

- « lire des yeux, voir » (kàn : protéger ses yeux des rayons du soleil)

- « lire à haute voix, penser, étudier » (nian : évoquer le passé dans le présent en lisant, en récitant et psalmodiant, d’où penser à, étudier)

Ceci est d’autant plus intéressant que ces deux réalités différentes correspondent

effectivement à deux activités différentes du cerveau, comme le montrent les images obtenues par IRM ou scanner.

En japonais, le caractère signifiant « lire » (yomu) est complexe lui aussi ; il évoque une parole dite avec la voix …

L’impact de nos cultures sur nos écritures (et inversement) est indéniable. Un acte aussi courant que celui de lire n’occupe pas la même place dans chaque culture. Pourtant, quelle que soit notre culture, notre situation de départ est la même : nous avons à établir des relations entrenotre « pensée », nos langages, et le « réel», celui-ci pouvant être défini comme « ce qui résiste »[1]. J’ajouterai : ce qui résiste « à plusieurs niveaux ». Les relations entre la pensée, nos langages et le réel sont à re-construire, en permanence. Dans aucune langue elles ne sont données d’emblée. Ce qui nous échappe souvent, c‘est que ces relations opèrent dans les deux sens : la pensée agit sur le langage et le langage agit sur la pensée. Nous sommes en interactivité, interdépendance et auto-reflexivité : pensée et langage se construisent

mutuellement et s’auto-construisent en même temps.

Ce qui est « donné », ce qui est à la base de la relationpenséelangage, c’est le fonctionnement de tout organisme vivant, comme l’a défini le neuro-biologiste Francisco Varela: la bouclereliant, en permanence, perception et action et permettant, non seulement, l’échange, mais aussi la plasticité, le changement, l’innovation, la médiation…

Cette boucle, qui représente donc notre fonctionnement de base (on ne le rappellera jamais assez), est au cœur du présent projet d’ouvrir « le chantier du lire »en amontdes constats que nous faisons aujourd’hui. Elle nous permettra de nous interroger sur les racines de nos comportements de lecteur et de scripteur.

Il va sans dire que ce lienperceptionactionfonctionne pour chacun de nous, quelle que soit notre culture, notre âge, notre appartenance Il va sans dire aussi qu’elle est présente dans

l’évolution(probablement la révolution) qui est en train de se faire dans notre relation au langage, à cause ou, grâce aux avancées récentes de la technologie.

Nous constatons tous que l’informatique, Internet (dont paraît-il 60% sont consacrés au courriel), et les téléphones portables entre autres, influencent fortement nos échanges verbaux qui se multiplient et se modifient, de plus en plus fréquents, de plus en plus courts, de plus en

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plus concentrés, intimes…Les symboles et les pictogrammes se multiplient, et, depuis à peine 5 ans, en devenant un petit écran de lecture, le téléphone lui-même abandonne du terrain à la lecture visuelle.

Tous ces signes sont àinterroger :saurons-nous reconnaître ce à quoi nous contribuons et ce à quoi nous renonçons dans cette (r) évolution de nos relations à la langue écrite ?

Notre rôle auprès des apprentis-lecteurs, jeunes ou adultes, est donc aussi en train de changer.

Plus que jamais, nous avons besoind’avancer ensemble,comme dans le vol des oiseaux migrateurs, dont la formation en V reste constante grâce au relais assuré par les oiseaux eux- mêmes. Lire est, encore au 21èmesiècle, l’affaire de tous parce que l’écriture n’a jamais été - et ne peut pas être - l’affaire d’un seul scripteur et d’un seul lecteur. Aujourd’hui, plus que jamais, l’apprentissage de la lecture, de la trace écrite, ne doit pas s’isoler des autres savoir - faire langagiers, sous peine de devenir « hors sol » et de perdre le lien avec le vivant.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, faisons encoredeux constats:

- le premier constat, nous l’avons sans doute déjà pensé ou exprimé, est un texte qui devrait figurer dans chaque salle de réunion et chaque salle de classe …

« entre ce que je pense, ce que je veux dire, ce que je crois dire, ce que je dis, ce que vous voulez entendre, ce que vous entendez, ce que vous voulez comprendre, et… ce que vous comprenez…il y a au moins sept possibilités de se relier à autre chose que ce que je pense…»

- le deuxième constat est le fait que beaucoup d’entre nous se représentent encore le langage de façon linéaire et restreinte : une ligne droite allant de l’émetteur au récepteur (et retour dans le meilleur des cas).

Mais nous avonsaujourd’hui, grâce aux technologies d’imagerie par tomographie, la possibilité de faire évoluer cette conception linéaire du langage et de la rapprocher de notre réalité cognitive. L’imagerie médicale révèle une activation cérébrale différente pour desmots entendus, vus, émis, et pensés.Elle montre aussi la différence d’activation entre un cerveauqui lit silencieusementet le même cerveau quilit à voix haute:

pratiquement lesmêmes zonessont stimulées, avec une forte activation de la zone de la parole pour la lecture à haute voix.

Les recherches en neurosciences nous indiquent que prononcer un mot entendu et

prononcer un mot qui est lu sontdeux processus différents. Cela permet de comprendre qu’un sourd est privé de parole non pas à cause d’une déficience de ses capacités de parole, mais à cause d’unerelationinexistante ou interrompue entre la zone auditive et la zone de la parole. Découvrir cette relation anatomique et physiologique entre lesaires visuelle, auditive et phonatoire m’a permis de révolutionner mapédagogie de

l’apprentissaged’une langue étrangère, en m’incitant à prolonger la période d’écoute, à la rendre active, et à en faire une étape préparatoire à la mise en parole de la langue

étrangère.

Quant au face à face de l’apprenti-lecteur avec notre système d’écriture occidental : alphabétique et phonologique, il doit être posé en tenant compte desfacteurs intervenant dans l’acte de lire : le champ visuel, l’orientation de l’écriture de gauche à droite et le

« travail cérébral » correspondant dans les deux hémisphères.

Rappelons quec’est le cerveau qui voit. La construction de l’image visuelle dans la région occipitale de notre cerveau est un processus très complexe, car l’image qui se construit est le résultat d’un double renversement des stimulations en provenance de l’œil (double inversion

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droite/gauche et haut/bas) et, surtout, l’image est le résultat de la contribution des couches profondes du cerveau.

Mais quelles sont doncles caractéristiques de l’ écrituredont nous avons hérité ? L’écriture d’héritage gréco-latin est linéaire, non-réversible, alphabétique, vocalique, horizontale ; elle se déroule de gauche à droite…Pour la langue française, 26 lettres représentent 36

phonèmes…C’est le résultat d’une longue évolution, de nombreuses influences et de

transformations progressives. Notre écriture a une histoire. C’est ce que nous ne devrions pas oublier de raconter aux apprentis-lecteurs. Les Grecs sont responsables du changement d’orientation de gauche à droite, et de l’introduction des voyelles dans la structure consonantique dont ils avaient eux-mêmes hérité. En vocalisant l’écriture les Grecs ont accentué la soumission de la langue orale à des paramètres visuels et spatiaux.

Cette évolution a eu trois conséquences qui constituenttrois obstacles majeurspour l’apprenti-lecteur de cette écriture :

- la désensorialisationde l’écriture. Il n’existe plus de lien entre le signe (la lettre) et le sens

- la décontextualisationde ce qui est écrit. Devenue l’unité ultime (comme l’était l’atome, l’insécable pour les Grecs), la lettre doit être associée et combinée pour constituer le mot qui, lui-même doit être combiné pour constituer une phrase…

- untrès haut niveau d’abstraction. Il y a discontinuité, même rupture avec le contexte, entre le scripteur et le lecteur. Le message est différé. La pensée est

intériorisée ; elle devient même autonome, comme l’auteur, comme le lecteur. Ce qui a sans doute permis, à partir de la Renaissance, de faire du langage un objet

d’enseignement.

La conséquence… de ces trois conséquences est que le lecteur occidental doit gérer de front trois types de relations :

- une relationsémantiquequi établit la relation au sens, commune à tous les systèmes d’écriture

- une relationgrapho-phonologiquequi établit la relation du signe et du son puisque

« tout s’écrit »

- une relationsyntaxiquequi établit une hiérarchie (donc un dogmatisme) entre les éléments de la langue, dans la phrase

Rappelons que le monde oral, celui de l’enfant ou de l’adulte dont la culture est encore orale, est unmonde spontané, simultané, éphémère, porté par la voix grâce à laquelle l’affectivité, le rythme, la durée, la gestuelle président au message. Le monde oral a besoin de la présence de l’Autre.

Souvenons-nous aussi quele mot,pour le jeune enfant,a un statut de phrase. Le psychologue russe Vygotsky l’explique très clairement. Ce que les adultes appellent

« mot » a reçu son statut au sein de l’évolution de l’écriture. Les Grecs ont donné au mot son statut autonome en ménageant des ruptures dans le continuum et, en introduisant les voyelles, ils ont permis l’apparition des désinences et des altérations qui deviendront des repères de la fonction du mot dans la phrase.

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Quelles sont nos capacités cognitives de base, quels sont nos points d’appui pour établir solidement les relations du « triangle » :

pensée

langages réel

Devant l’immensité de nos ressources (nous sommes riches d’un potentiel infini que nous ignorons trop souvent), j’ai choisi de privilégier quatre ressources que j’énumèrerai sans pouvoir les détailler ici

- 1erpoint d’appui : une bonne nouvelle !

Lescapacités et les stratégies cognitivesdont nous avons besoin pour lire, sont les mêmes que celles dont nous nous servons quotidiennement, depuis notre naissance.

Ce sont : Relier, discriminer, reconnaître, identifier,

associer, combiner, comparer, catégoriser, se souvenir, anticiper exprimer, interpréter, chercher à comprendre, réorganiser …

(plus leurs combinatoires, nuances…) - 2ème point d’appui :

Notresystème visuel tout entier(pas seulement nos yeux) construit ce que nous voyons.

La rétine ne participe que pour 20% à l’élaboration de l’image produite par notre cortex visuel. C’est donc notre mémoire, nos expériences, nos émotions, nos croyances.. ; qui participent en grande partie (80%) à nos différentes lectures (textes, visages, paysages…) [2].

- 3èmepoint d’appui:

Tout notre cerveau (donc tout notre corps) est impliqué dans notre vie cognitive .

L’histoire de nos « 3 cerveaux »[3], nous aide à comprendre que nous sommes – même si nous l’ignorons – dans unetriple logique, celle du vivant, celle de notre espèce humaine, qui, pour survivre, doit se relier à l’environnement, aux autres et à soi-même (affaire à suivre)

- 4èmepoint d’appui :

Ce point d’appui est le deuxième mot-clé de tout apprentissage : « ré-organiser »(le premier dont nous avons déjà parlé est « relier»).Contrairement à ce que nous croyons, lorsque nous apprenons quelque chose, nous n’ajoutons pas un élément à

d’autres éléments précédemment « acquis ». En fait, apprendrec’est accueillir l’élément nouveau, et pour l’accueillir, il nous faut réorganiserce que nous avons déjà appris - c’est-à-dire organisé- auparavant.

Résumons…

Pour construire, nous avons besoin de matériaux et de démarches cohérentes avec notre fonctionnement de base et avec ce qui caractérise l’humain : la quête de sens .

Parmi de très nombreuses solutions possibles, voici quelques suggestions :

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- construire nos activités d’apprentissage sur les deux mots-clés du vivant : relier et ré- organiser

- privilégier les démarches destinées à éveiller sans relâche, maintenir en bon état, rendre créatif le triangle de la relation « penséelangagesréel »

- donner le sens de la langue en

 racontant l’histoire des écritures et celle du cerveau

 ancrant l’activité dans l’histoire individuelle et collective

recherchant l’échange « en vrai » hors les murs

développant les images mentales (visuelles, auditives, kinesthésiques) des lettres, des mots, des phrases à apprendre

- positionner les activités d’apprentissages dans l’espace-temps (avant, pendant, après) et dans la durée (court terme, moyen terme, long terme)

- construire des « trains de savoir-faire », c’est-à-dire

rattacher le direau lireà l’écrireà l’ entendreau dire etc…

- ouvrir systématiquement le questionnement : je me demande si…

- faire régulièrement des états des lieux : j’ai appris…, ce qui m’a aidé, ce qui m’a freiné…

- construire un dialogue permanent avec les enfants (cf les 5 questions de leur document)

Impossible de conclure ce qui est en mouvement…La meilleure façon d’interrompre (momentanément) cette réflexion est de confier aux enfants le soin de mettre en perspective ce qui a été dit, grâce à ces paroles que nous avons eu le bonheur de recueillir et que vous trouverez dans le document qui vous a été distribué. Ce document est un bel exemple d’un dialogue essentiel pour notre métier d’apprendre et d’enseigner :

« apprendre, c’est comme une première fois »

« lire, c’est comme rencontrer quelqu’un »

« apprendre à lire, c’est comme un oiseau qui s’envole »

Ces trois phrases évoquent pour moi l’image du vol des oiseaux , unis dans leur parcours, dans leur migration vers d’autres lieux, vers d’autres partages.

Pour en savoir plus :

Calvet, L.J., Histoire de l’écriture, Plon, 1996

Druet R. et Grégoire H., La civilisation de l’écriture, Fayard, 1976 Ferreiro E.,L’écriture avant la lettre, Hachette, 2000

Février,J.G. ,Histoire de l’écriture, Payot, 1984

Illich I.et Sanders B.,ABC, l’alphabétisation de l’esprit populaire,La Découverte, 1990 Kerkhove D. de,La civilisation vidéo-chrétienne,Retz, 1990

Kristeva J. ,Le langage cet inconnu,Seuil, 1981

Ouzoulias A. ,Favoriser la réussite en lecture : les MACLE,Retz, 2004 Varela, F. ,Autonomie et connaissance, Seuil, 1989

L.S.Vygotsky Vygotsky aujourd’hui,textes de base en psychologie, Delachaux et Niestlé, 1985 Un site passionnant : celui de l’Université McGill (Montréal, Ca) :www.lecerveau.mcgill.ca.

[1]définition d’un physicien quantique

[2] cf les travaux de Francisco Varela, et en particulier l’entretien accordé dans la série de filmsNé pour apprendre,SFRS, Vanves, France. info@cerimes.fr

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[3] en réalité nous en avons 4 comme le neurologue russe A. Luria l’a montré, cf H. Trocmé-Fabre,J’apprends, donc je suis, p 48-50

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