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Multipoint turbulence structure and modelling: The legacy of Antoine Craya
Claude Cambon
To cite this version:
Claude Cambon. Multipoint turbulence structure and modelling: The legacy of Antoine Craya.
Comptes Rendus Mécanique, Elsevier, 2017, 345 (9), pp.627-641. �10.1016/j.crme.2017.05.004�. �hal-
01724824�
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Comptes Rendus Mecanique
www.sciencedirect.com
A century of fluid mechanics: 1870–1970 / Un siècle de mécanique des fluides : 1870–1970
L’héritage de Craya, pour une approche statistique à points multiples de la turbulence homogène anisotrope
Multipoint turbulence structure and modelling: The legacy of Antoine Craya
Claude Cambon
LMFA,UMRCNRS5509,ÉcolecentraledeLyon,UniversitédeLyon,France
i n f o a r t i c l e r é s um é
Historiquedel’article : Reçule17décembre2016 Acceptéle10avril2017
DisponiblesurInternetle23juin2017
Mots-clés : Turbulence Anisotropie
Statistiqueàpointsmultiples
Keywords:
Turbulence Anisotropy Multipointstructure
CetarticlecommenceparquelquesélémentsbibliographiquesconcernantAntoineCraya...
oùilrestebeaucoupdezones d’ombre !SoninfluenceàGrenobleaété trèsimportante, en particulier surl’orientation des travaux scientifiques de JeanMathieu, de Geneviève Comte-Bellot,deRenéMoreau,pourneciterquequelquesnomsdansl’aireLyon–Grenoble.
Jevaisensuitemeconcentrersurl’apportscientifiquedesathèsededoctoratèssciences, soutenueen1957. Cemémoireestleseuldocument détailléquinousreste ;ilprésente l’approchegénérale,dynamiqueetstatistiquedelaturbulence(statistiquement)homogène, maisarbitrairementanisotrope.Parrapportauconceptde« turbulencehomogèneisotrope », le champ turbulent est soumis à l’action d’un champ moyen à gradients uniformes qui structure son anisotropie etpeut luifournir de l’énergie. L’effort s’est portésur la dynamique descorrélations doublesen deux points, etcelledes corrélations triplesen troispoints,dansl’espacephysiquepuisdansl’espacedeFourier.Leformalisme,toujours utileetreconnu,grâceàJacksHerring(1974),estlerepèreéponyme,dit« Craya-Herring », quipermetde décomposerfluctuationetcorrélations devitessesurdesmodesde type poloïdal/toroïdal/divergent.Maislacontributiond’AntoineCrayaneselimitepasàcette contribution.Cetterevueestaussil’occasion derevenir surlatrèslonguehistoirede la théorielinéaireditede« distorsionrapide »,etdesoulignerl’importancedela« matricede Cauchy » (voir aussi la revue d’Uriel Frisch sur la formulation lagrangienne de Cauchy) dans cette histoire. Je vais aussi illustrer comment l’héritage de Craya a pu fructifier, depuis au moins trois décennies jusqu’à aujourd’hui, dans des domaines tels que la turbulencestratifiéeoulamagnéto-hydrodynamique,thèmesquin’avaientpasétéabordés parCraya.NousdiscuteronsaussicommentdesétudesdeKeithMoffatt(théorielinéaire ditede« distorsionrapide »)etStevenOrszag(approchenonlinéairediteEDQNM)—plus marginalement de Robert Kraichnan — ontconstitué des étapesultérieures essentielles pouruneapprochegénéraleintégréedelaturbulenceanisotrope,quibénéficiedel’héritage deCraya.Le« problèmedefermeture » leplusgénéralenturbulenceestaussicommentéà cetteoccasion.
©2017Académiedessciences.PubliéparElsevierMassonSAS.Cetarticleestpubliéen OpenAccesssouslicenceCCBY-NC-ND (http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/).
a b s t r a c t
Some elements aregivenonthe verymultiformcareerofAntoine Craya.Inaddition to astrong involvementin appliedhydraulics inGrenoble, he was veryinfluential onthe
Adressee-mail :claude.cambon@ec-lyon.fr.
http://dx.doi.org/10.1016/j.crme.2017.05.004
1631-0721/©2017Académiedessciences.PubliéparElsevierMassonSAS.CetarticleestpubliéenOpenAccesssouslicenceCCBY-NC-ND (http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/).
researchofhiscolleagues: togive onlyafewexamples ofwell-knownscientists inthe Lyon–Grenoble area, he inspired the doctoral work on wall-jets by Jean Mathieu, the doctoralwork onchannel flow by Geneviève Comte-Bellot, and the dominant research areaofRenéMoreauonmagnetohydrodynamic(MHD)turbulence.Themainpartofthis articleisdevotedtothelegacyofAntoineCraya,fromhisowndoctoraldissertation(1957).
Inspiredby G.I. Taylorprobably more thanby G. Batchelor,he contributed to establish theconceptofHAT(HomogeneousAnisotropicTurbulence),asausefulintermediatestep betweenHIT (Homogeneous Isotropic Turbulence)and fully statistically inhomogeneous turbulentflows.Forthispurpose,ameanflowwithspace-uniformvelocitygradient can injectenergyandanisotropytoafluctuatingflow,andstatisticalhomogeneityisrestricted to fluctuations. Complete equations for two-point second-order and three-point third- ordervelocitycorrelationswerewritten, bothinphysicalspaceand inFourierspace,in ordertoexactlysolvemixedpressure–velocitycorrelationsthankstotheincompressibility constraint.AntoineCrayaiswellknownfortheuseoftheeponymousframeofreference, thanksto JacksHerring (1974). Later recognized as aspectral counterpart ofageneral decomposition in terms of toroidal/poloidal/dilatational modes, this frame leads to expressingthespectraltensorsofcorrelationwithaminimalnumberofscalar(orpseudo- scalar)descriptors,withoutlossofinformationandforarbitraryanisotropy.Crayaprovided us with a special angle of attack of the so-called RDT (Rapid Distortion Theory) and triadic closures, even if he did not work directly on them. Accordingly, this paper is also an opportunity to come back on the long history of RDT, including the Spectral LinearTheoryas abetternomenclature,especiallyforrecentstudies.As faras possible, historicalmilestonesarerecalledthroughoutthisarticle,andonerecoverstheLagrangian formalismofCauchy,emphasizedbyUrielFrischaswell,withtheuseofa‘Cauchymatrix’
inconnectionwithlineartheory.Finally,itisshownhowthelegacyofCrayaispresentin new(notaddressedbyhim)domains,suchasstratifiedturbulenceandMHDturbulence.
Wediscusshowfurther(past1957)approaches,byKeithMoffatt(spectrallineartheory, 1967),andStevenOrszag(triadicclosureforHIT,asEDQNM,EddyDampedQuasi-Normal Approximation,1970)canbeintegratedinageneralapproachtoanisotropic turbulence, whichstillbenefitsfromCraya’slegacy.Asynopticschemeforthedescriptionofmultipoint statisticsisre-discussed onthisoccasion. Moreincidentally, connectionswithKraichnan theoriesandwiththeformalismofKármán–Howarth–Moninequation(s)aretouchedupon.
©2017Académiedessciences.PubliéparElsevierMassonSAS.Cetarticleestpubliéen OpenAccesssouslicenceCCBY-NC-ND (http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/).
1. Préambulesurlavieetlacarrièred’AntoineCraya
Fig. 1.Antoine Craya.
Iln’existepas,àmaconnaissance,decurriculumvitaedétailléd’AntoineCraya,etlarecherchebibliographiqueleconcer- nant devra êtreapprofondie. Noussavons qu’ilest néenAlbanie, etil n’ya pasbeaucoup de natifsde cette nation qui
soient connus du grand public en France, hormis mère Teresa et peut-être l’écrivain Ismail Kadaré ! Sur ces études en France,retenonsqueCrayaestpolytechnicien(X),doncqu’ilaacquisunprestigieuxdiplôme.
Nous retrouvonsensuite son séjour àl’université de Columbia, où il a remplacéBoris A.Bakhmeteff durant plusieurs années,avantderejoindrel’INPG(institutdemécaniquedeGrenoble),oùilfutrecrutéparsondirecteur,JulienKravtchenko.
Grenobleétaitdéjààcetteépoqueunpôletrèsattractifpourlarecherchescientifique,sousl’influencenotammentdeLouis Néel,futurprixNobel,etdeFélixEsclangeon.
Crayaad’abordfaitcarrièredansl’hydrauliqueappliquée,enparticipantàdescontratsaveclessociétésSogreah(Société grenobloisede rechercheetd’applicationshydrauliques)etNeyrpic(d’aprèsles nomsdespremiersdirecteurs).Nouspou- vonsretrouverunerevuedecertainesdeces activitésdansl’articlede HunterRouse,« Hydraulic’sLatestGoldenAge » [1].
Deséchangesparticuliérementfructueuxonteu lieuàl’INPG,en1954,avec H.RouseetMcNownde l’« IowaInstitute of Hydraulics »,notamment.
Son influence scientifique a été cruciale à cette époque, autour de 1960, pour lancer de nouveaux thèmes enméca- nique desfluides.Il a proposé lesujetde thèsede doctorat èssciencesde Jean Mathieu sur lejet pariétal, qui adonné lieuultérieurementà unepublication[2];Jean Mathieuaensuitefondé leLMFA(laboratoire demécanique desfluideset d’acoustique, à Lyon puis à Écully) dontil a été le directeur de 1968 à 1985. Le sujet de thèse de doctorat èssciences de Geneviève Comte-Bellotsur le canalplan [3]aété aussi inspiré etsuivipar Craya ;Geneviève Comte-Bellota ensuite effectué un stagepostdoctoral avecStanley Corrsin,avant d’animerla partieacoustique duLMFA à Écully. Notonsencore l’influencedécisived’AntoineCrayasurl’étudedesinstabilitésdecouchelimite,parGeorgeLespinard.Crayaaencouragéet suiviRenéMoreaudanssesactivitésexpérimentalesetthéoriquessurlaturbulencemagnéto-hydrodynamique,quiontété novatricesetsuggèrenticiunediscussionparticulière(danslasection6.2).Pourfinir, sontravailavecRoger Curtetsurles jetsetdiffuseursaeudesprolongementsjusqu’àunedaterécente :ontrouvedesréférencesaujetsdeCraya–Curtet,pour desjetscoaxiaux,ainsiqu’aunombresansdimensiondumêmenom(voir,parexemple,[4]).
Le souvenird’Antoine Craya est resté trèsvivace à Grenoble, comme entémoigne le nomde l’« amphithéatre Craya », danslequelsedéroulentconférences,séminairesetsoutenancesdethèse,notammentauLEGI(laboratoiredesécoulements géophysiquesetindustriels.)
Dans lacarrièred’Antoine Craya, etle contexte évoquéci-dessus,laseule longuepublication qui nousreste,son mé- moiredethèsededoctoratèssciencesde1957[5],apparaîtcommeuneétudepresquedéconnectée,etdoncunesortede singularité.Toutlerestedecetarticleseramaintenantconsacréàl’héritagedecetteétude,avecl’organisationsuivante :le conceptdeturbulencehomogèneanisotrope(HATpourHomogeneousAnisotropicTurbulence)estprésentédanslasection2, tel qu’ila ététraité danslathèse. Lessolutions, établiesultérieurement, des« équationsde Craya » sontdonnées dansla section 3.La section 4 estconsacrée àla trèslongue histoirede lathéorie linéaire dite de « distorsionrapide », avecses nombreuses variantes.Lesétapesqui nous semblentimportantes pourprolonger letravailde lathèsede Craya vers une modélisationstatistique nonlinéaire figurentdansla section5.Lesdéveloppements nouveauxetlesprogrèsrécents sont présentésdanslasection6,danslesdomainesdelaturbulencestratifiéeetdelaturbulencemagnéto-hydrodynamique,avec unecomparaisonavecd’autresapprochespourladescriptionstatistiqueetleproblèmedefermetureassocié.Lasection 7, ladernière,amènequelquesconclusions.
Toutaulongdecetarticle,nousallonstenterderenouerlesfilsd’unthèmeassezrestreint,gravitantautourdelathèse de Craya, avec la revue historique,qui est la motivationdu colloque de Toulouse. Enparticulier, larevue des approches de type « distorsionrapide » (RDTpour RapidDistortionTheory) est enrichiepar l’utilisationdu formalismelagrangien, qui afaitaussi l’objetd’uneprésentationd’UrielFrischdanscemêmecolloque.Pourlabibliographie,nousmentionnons,sans références précises, les scientifiques illustres des deux dernierssiècles, d’Alfvèn à Weber (dans l’ordre alphabétique), et renvoyonslelecteuràlamonographie[6]pourlesréférencesplusrécentessurladynamiquedelaturbulencehomogène.
2. Leconceptdeturbulencehomogèneanisotropeetl’apportcrucialdelathèsedeCraya
Le mémoire de thèsede doctoratès sciencesd’Antoine Craya n’est disponible qu’en français,par exemple sur le site https://hal.archives-ouvertes.fr/tel-00684659/.
Celaexpliquepartiellementlemanquedereconnaissancedontsouffresontravaildethèsedanslacommunautéscienti- fiqueinternationale,àlaseuleexceptiondurepèredecoordonnées,localdansl’espacedeFourier,souventappelé« repère deCraya–Herring » grâceàJacksHerring[7].
Mais l’héritagede Craya,dans sathèse, contient beaucoupplus. Son ambitionétaitde passer du casde laturbulence homogène isotropeà celui de la turbulencehomogène anisotrope, sousl’influence de G.I. Taylor (et pasde G. Batchelor, probablement).Àceteffet,unchampdevitessemoyenàgradientuniformedansl’espacepeutstructurerlechampturbulent etluifournirdel’énergie. L’homogénéitéstatistique(invariancepartranslation)estrestreinteauchampfluctuant,etiln’y apasderétroactionduchampfluctuantsurlechampmoyen.
Souventles spécialistesde laturbulence passentdu modèle de turbulencehomogène isotrope (HIT)aux écoulements inhomogènes,encourt-circuitantl’étapeintermédiaireHAT(HomogeneousAnisotropicTurbulence),desortequelapertinence deHATmériteunediscussionpréliminaire,commesuit.
Mêmesi HAT n’est pasconsidéré commeun domaine d’étudeensoi,il offre un cadre utilede description simplifiée, qui seretrouveimplicitementdansdessecteurs d’applicationtelsquelagéophysiqueetl’astrophysique,ou desdomaines allantdelamécaniquedesfluidesàlamagnéto-hydrodynamiqueetauxplasmas.Cetaspectaétéillustréparlesthèmesdu
colloque« Fundamentalproblemsofturbulence :50yearsaftertheturbulencecolloquiumMarseille61 »,surlequelonpeut retrouvertoutel’information(lesdeuxcolloquesde 1961etde2011)sur lesitehttp://turbulence.ens.fr.(On mentionnera plusparticulièrementlapremièreconférenceducolloque(2011)portantsurlaturbulencehomogène,parKeithMoffatt[8].) Le conceptHATrestepertinentquand leseffetsvolumiquesdesgradientsmoyens,vitesseet/ouflottaison,etlesforces massiques(Coriolis,flottaison,Laplace–ouLorentz)induisentdesmécanismeslinéaires(distorsion,ondesinternes)spéci- fiquesetmodifientlacascade,sanseffetsignificatifdesfrontièresexplicitesdudomainefluide.Ilestaussipossibled’ignorer les effetsinhomogènes explicites,par exemplepourlaturbulenceuniformément cisaillée,enimposantapriori lecisaille- mentmoyeneten« oubliant » qu’ilestleplussouventcrééparlaparoi.Unautreexempleestl’instabilitéelliptique,quipeut êtresimplifiéeenconsidérantaprioriunseultourbillonàsectionelliptiquenonbornée,bienquel’ovalisationdutourbillon puisserésulterdel’influencemutuellededeuxtourbillonsadjacents,commedanslessillagesd’avion.
Ilfautaussitenircomptedel’inflationgalopanted’étudesàbasedesimulationnumériqueenboîtetri-périodique,allant de la turbulence en rotation, avec et sans stratification (Mininni, Pouquet et collaborateurs, Lindborg et collaborateurs, Biferaleetcollaborateurs),àlaturbulencecisaillée(Pumir,Jimenezetcollaborateurs).Lesrésultatssontsouventtrèsloindu cadre idéalHAT,enraisond’effetstrès significatifsdetaillede boîtefinie, oude rapportd’aspect(boîte aplatie).D’autres études, en particulierpour l’instabilité barocline etla stratification instable, utilisentun contrôle précis du confinement artificiel dans les simulations numériques directes et comparent les résultats à des études théoriques, avec anisotropie détaillée, danslecadrestrictdu HAT.Dans tousles cas,ilnes’agitpasdedécernerdesbonsetdesmauvaispoints dans l’utilisation de ces simulations numériques directes, mais nousrecommandons de discuter avec précision les limites du conceptHAT,sansignorerlesapprochesthéoriquesqu’ilaengendrées.
LetravaildethèsedeCrayaadonnéunangled’attaqueparticulieràlathéorielinéairespectrale, diteRDTàCambridge, mais aussi aux « fermeturestriadiques ». La priseen comptede larelation nonlocale entre vitesseetpression, etde son expressionalgébriquedansl’espacedeFourier,estaucœurduformalismepourlaturbulenceincompressible.Larésolution destermes liésà lapression fluctuante,etson éliminationfinaledansleséquationsde momentsconduitàconsidérerles corrélations doubles de vitesse endeux points dans l’espace physique, et le tenseurspectral correspondant,obtenu par transforméedeFourieràtroisdimensions(3D) :
Ri j
(
r,
t) =
ui(
x,
t)
uj(
x+
r) ⇔ ˆ
Ri j(
k,
t)
(1)oùkestlevecteurd’onde3Dassociéauvecteurrséparantlesdeuxpoints.L’équationdynamiquepourRi j(r,t),enprésence de gradients uniformesde vitessemoyenne Ai j= ∂∂Uxji,etaprèséliminationexactedestermes mixtesde vitesse–pression, conduit àuneéquation beaucoup plussimplepour Rˆi j(k,t),dite premièreéquation de Craya.Parrapport àl’équationde Lin(HIT),cetteéquationdeCrayadonnelestermeslinéairesexactsinduitspar Ai j=∂∂Uxji pourunécoulementmoyen
Ui
(
x,
t) =
U0i+
Ai j(
t)
xj (2)Deplus,lacontributiondescorrélationstriplesendeuxpoints,induiteparlanon-linéaritéquadratique,généraliseleterme detransfertspectralsouslaformed’untenseurTi j(k,t).
Laprocédureestétendueauxcorrélationstriplesentroispoints,avec :
Ri jm
(
r,
r,
t) =
ui(
x,
t)
uj(
x+
r)
um(
x+
r) ⇔ ˆ
Ri jm(
k,
p,
t)
(3) Une secondeétape conduit à réduire lenombre de composantes destenseurs spectraux, sansperte d’information, en utilisantlerepèrelocaldelaFig. 2.Ilestplussimpledeconsidérerlaprojectionduvecteurdevitessefluctuante,comme l’afaitHerring[7],plutôtquecelledutenseurspectral(équation(1))parCraya.Notrepointdedépartestdoncladécompositiond’Helmholtzpourn’importequelchampdevecteurw(x,t),quirevient dansl’espacedeFourierà
ˆ
w
= ˆ
w(sol)+ ˆ
w(dil)oùle« chapeau » dénoteunetransforméedeFourier3D,ausensdesdistributionsengénéral :lacomposante« dilatationnel- le » correspond à la projection algébrique sur la direction du vecteur d’onde, tandis que la projection « solénoïdale » se retrouvedansleplannormalauvecteurd’onde,desorteque
ˆ
w(idil)
= α
iα
jwˆ
j,
wˆ
(isol)=
δ
i j− α
iα
jw
ˆ
j, α
i=
ki|
k|
Rappelonsquelacomposantesolénoïdale,àdivergencenulle,peutêtreengendréeparunpotentielvecteur w(sol)=∇×ψ dans l’espace physique, tandis que sapartie « dilatationnelle » l’est par un potentielscalaire w(dil)=∇
ϕ
.(Dans la revue historique, la décomposition d’Helmholtzpeut êtrereliée au double potentiel de Monge–Ampère.) Finalement,le repère localestchoisipourcaractériserleplannormalàk,commesurlaFig. 2,desortequeˆ
w(sol)
(
k,
t) =
w(1)(
k,
t)
e(1)( α ) +
w(2)(
k,
t)
e(2)( α )
avecladécompositionorthonormaleentroiscontributions
Fig. 2.Le repère dit de Craya–Herring.
ˆ
w
(
k,
t) =
w(1)(
k,
t)
e(1)( α ) +
w(2)(
k,
t)
e(2)( α ) +
w(3)(
k,
t) α
(4) ete(1)
= α ×
n| α ×
n| ,
e(2)= α ×
e(1), α (=
e(3)) =
k|
k|
(5)Parailleurs,lerepèredeCraya–Herringn’estriend’autrequelerepèrelocalattachéàunsystèmedecoordonnéessphériques pourk,avece(1)lelongdesparallèles(zonaldirection),e(2) lelongdesméridiens,et
α
dansladirectionradiale. Deplus, lescomposantesselone(1) ete(2)correspondentpresqueexactementauxmodestoroïdaletpoloïdaldansl’espacephysique, commel’aaussisuggéréultérieurementladécompositiondite« ondes–vortex » deRiley etal.(1981) (voirlesdétailsdans [6])L’utilisationd’un axeprivilégién danslesystème decoordonnées sphériques(Fourier), commedansladécomposition toroïdale-poloïdale de l’espace physique, nerestreint pasla généralité : enparticulier,l’anisotropie n’est pasrestreinte à lasymétrie de révolution,mêmesi cettedernière conduità dessimplifications supplémentaires.Notre meilleur exemple est le cas du cisaillement pur plan,où le choix de l’axe n dans ladirectionverticale (cross-gradient) permet d’identifier les variablesde ladécompositiontoroïdale-poloïdale àcellesd’Orr–Sommerfeld–Squires : laplaciende vitesseverticale et vorticitéverticale.
Nousretiendronsladécompositionexpliciteduchampdevitessesolénoïdalàl’aidededeuxcomposantes,etlarésolution implicite de l’équation de Poisson pour la pression fluctuante, à partir des équations de Navier–Stokes1 en écoulement incompressible.Ceproblème,initialementàquatrecomposantes(u1,u2,u3,p),seréduitfinalementàdeux(u(1),u(2)).
Sinous considéronsmaintenant lesmoments statistiques, laréduction du nombre de composantes,sans perte de gé- néralité, estde plusenplus importanteà mesurequel’ordre augmente.Àl’ordre 2,letenseurspectral estengendrépar seulementquatredescripteursstatistiques,spectres etco-spectres.Cettestructurereflète celledelamatricedecovariance ˆu∗⊗ ˆu,avecdeuxcomposantespouruˆ etlaconditiondedivergencenulleuˆ·k=0,desorteque
R
ˆ =
⎛
⎜ ⎜
⎜ ⎜
⎜ ⎝
E−
ZE(tor)
Z
−
iH 0Z
+
iH E+
Z E(pol)0
0 0 0
⎞
⎟ ⎟
⎟ ⎟
⎟ ⎠ =
⎛
⎝
E−
H Z 0 Z∗ E+
H 00 0 0
⎞
⎠
(6)Lapremière matricecorrespondàlaprojection de uˆ danslerepèrede Craya,etlasecondeàsaprojectionsur lesmodes hélicoïdaux(CambonetJacquin1989,Waleffe1992,in[6]) :
N
( α ) =
e(2)−
ie(1),
N∗( α ) =
N( − α ) =
e(2)+
ie(1), α =
k|
k|
(7)Danslapremièrematrice,ladéfinitiondesquatre« scalairesdebasedeCraya » apuêtreunpeumodifiéeetréinterprétée, aveclesénergies poloïdaleettoroïdale pourlestermesdiagonaux,tandisqueletermenondiagonalpurementimaginaire
1 SelonOlivierDarrigol,UrielFrischandJacquesMagnaudet,cetteéquationauraitpus’appelerNavier–Cauchy–Greendès1823,avantsaredécouvertepar Stokesin1847.
estreliéauspectred’hélicitékH.Finalement,lepseudo-scalaireàvaleurcomplexe Z décritl’anisotropiedepolarisation,i.e.
lefaitquelesdirectionsdansleplannormalàknesontpasstatistiquementéquivalentes,àkfixé.
Untraitementsimilaire estpossible pourles corrélationstriples entroispoints, via letenseurspectral Rˆi jm(k,p).Par soucidebrièveté,nousmentionneronsuniquementqueCrayan’apasutiliséleproduitdetroisrepèreslocauxindépendants associés aux troisvecteurs de latriade formée par k, p et q= −k−p, mais trois repèresliés entre eux etau plan de latriade,avecson vecteurnormalcommenouvelaxepolaire.Cetteprocédureresteutilepourtraiterde façonoptimalela non-linéarité,maisneluiapaspermisdegénéraliserlessolutionslinéairesdescorrélationsdoublesàcellesdescorrélations triples.
3. Solutionsdes« équationsdeCraya »
Leproblèmedegénérationdessolutionslinéairesaétérésoluultérieurement,etàunordrequelquonque(Cambon1982, in[6]),enrevenantàl’équationdelafluctuationdevitessedansl’espacedeFourier
˙ˆ
ui
(
k,
t) + ν
k2uˆ
i(
k,
t) +
Mi j( α )
uˆ
j(
k,
t) =
iPimn(
k) (
umun)(
k,
t)
si(k,t)
(8)
danslaquellelamatrice
Mi j
( α ) = (δ
im−
2α
iα
m)
Amj avecα
i=
ki/
kprendencomptel’effetdirect(linéaire)desgradientsdevitessemoyenneA,ycomprislacontributiondelapression fluc- tuantevialeterme−2
α
iα
m.Quandàlanon-linéaritéhéritéedeNavier–Stokes,ellemetenjeuunproduitdeconvolution uiuj(
k,
t) =
R3
ˆ
ui
(
p,
t)
uˆ
j(
k−
pq
,
t)
d3p (9)qui donne l’origine des interactions triadiques (k=p+q). Ce terme est affecté par l’opérateur de projection Pimn= (1/2)(km(δin−
α
iα
n)+kn(δin−α
iα
n)), parfois attribué à Kraichnan, qui préserve à nouveau la propriété de divergence nulle assurée par la pression fluctuante dans l’espace physique. Le point superposé correspond à l’advection par l’écou- lement moyen, qui conduit aussi à considérer un vecteur d’onde dépendant du temps (voirsection 4). La solution de la partielinéairedecetteéquations’écritˆ
ui
(
k(
t),
t) =
G(i j0)(
k,
t,
t0)
uˆ
j(
k(
t0),
t0)
(10) à l’aided’un tenseurde Green,algébriqueetlocal dansl’espace deFourier.Ce tenseurest utilisépourabsorber lapartie nonlinéaire sidel’équationcomplète,oun’importequeltermedeforçageassocié,detellesortequeˆ
ui
(
k(
t),
t) =
G(i j0)(
k,
t,
t0)
uˆ
j(
k(
t0),
t0) +
t t0G(i j0)
(
k,
t,
t)
sj(
k(
t),
t)
dt (11)Lessolutionslinéairespourlesmomentsstatistiquess’endéduisentsimplement,avec
R
ˆ
i j(
k(
t),
t) =
G(im0)(
k,
t,
t0)
G(jn0)(
k,
t,
t0)
Rˆ
mn(
k(
t0),
t0)
(12) etR
ˆ
i jm(
k(
t),
p(
t),
t) =
G(iu0)(
q,
t,
t0)
G(jv0)(
k,
t,
t0)
G(mw0)(
p,
t,
t0)
Rˆ
uv w(
k(
t0),
p(
t0),
t0)
(13) pour les corrélationsdoubles ettriples. Ce dernierrésultat tire parti de l’expressionfactorisée destenseursspectrauxde corrélationàpartirduspectredelafluctuationdevitesseˆ
u∗i(
k)
uˆ
j(
p) = ˆ
Ri j(
k)δ
3(
k−
p), ˆ
ui(
q)
uˆ
j(
k)
uˆ
m(
p) = ˆ
Ri jm(
k,
p)δ
3(
k+
p+
q)
(14) et estdonc facilité par l’usagedesdistributions, ignorées par Craya, etdéjà employées implicitementpour écrirel’équa- tion(8).4. Au-delàdusujetprincipal :lalonguehistoiredelathéorieditede« distorsionrapide »
Cetarticleoffremaintenantl’occasionderappelerquelquesétapesmarquantes,enliaisonavecl’histoiredelamécanique desfluides.
Avant de séparerapriorimoyenne etfluctuation,on trouvedesintégrales lagrangiennesdeséquationsd’Eulerincom- pressiblestellesque
ω
i(
x,
t) =
Fi j(
X,
t,
t0) ω
j(
X,
t0)
(15) pourlavorticité(ω
=∇×u),enaccordaveclethéorèmedeKelvin,etui
(
x,
t) =
F−ji1(
X,
t,
t0)
uj(
X,
t0) + ∂ ϕ
∂
xj (16)pourlavitesseelle-même,selon Weber(in [6]).Cesformules mettentenjeu la« matricede Cauchy »F réintroduite dans lasuite(voiraussiUrielFrischdanslemêmecolloque2)Pourunchampdevitesselisse,lestrajectoirescorrespondentàun
« mapping » desvariableslagrangiennes,dénotées X,àleurcontrepartieeulériennex.LamatricedeCauchyest Fi j
(
X,
t,
t0) = ∂
xi∂
Xj(17)
endifférentiantl’équationdelatrajectoire xi
= χ
i(
X,
t,
t0)
soit
dxi
=
uidt+
Fi j(
X,
t,
t0)
dXjLesvariableslagrangiennesdonnentlespositionsinitialesàt=t0 et« étiquettent » lestrajectoires.Pourévitertouteconfu- sionentrevariableslagrangienneseteulériennes,ladérivéetemporelleseradénotéeparunpointsuperposédanslepremier systèmedevariables.
Leséquationsci-dessus,par Kelvin etWeber,nesont pasde « vraies » solutions,carF contientaussi l’information sur lechampdevitesse,oudevorticité,engénéral.Ilestpossibletoutefoisd’obtenirdessolutionslinéaires,oulinéarisées, en restreignantFàunécoulementmoyen,etenconsidérantu et
ω
commedesfluctuationsparrapportàcettemoyenne.Une telleapplicationde laRDTpar Hunt(1992,in[6])reposesur l’équationdeWeber linéarisée,mais n’estvalablequepour unécoulementmoyenirrotationnel.Pourquoiunetelleéquationperd-ellesagénéralitéaprèslinéarisation ?Laréponseest donnéeparlalinéarisationdutermed’étirementtourbillonnairedel’équationdevorticité :∂
ui∂
xjω
j→ ∂
Ui∂
xjω
j+ ∂
ui∂
xjWjLesecondtermeaprèslinéarisation,ouétirementdelavorticitémoyenneparlavitessefluctuante,nepeutpasêtrerésolu simplement.Seulement,sicettevorticitémoyenneestnulle,lepremierterme,ouétirementdelavorticitéfluctuanteparla vitessemoyenne,relèvedutraitementdeséquations(15)et(16).
4.1. ThéoriespectralelinéaireavecdesmodesdeFourieradvectés
Nouspouvonsrevenirmaintenantàlaclassed’écoulementsmoyensutilisésdanslathèsedeCraya,avecunematricede gradientsAuniformedansl’espace,maiscombinantdéformationetvorticité.Lesmodesdelafluctuationdevitesse(etde pression)peuventêtrechoisissouslaforme
u
(
x,
t) ∼
ai(
t)
eik(t)·x (18)déjàsuggéréeparlordKelvin(1887)pourunécoulementdeCouettenonborné.Ladépendanceentempsduvecteurd’onde estliéeàlaconservationdesmodesdeFourierlelongdestrajectoiresdel’écoulementmoyen,enaccordavec
xi
=
Fi j(
t,
t0)
Xj,
ki=
F−ji1(
t,
t0)
Kj (19)où K=k(t0)estlacontrepartiedelacoordonnéelagrangienne X del’écoulementmoyen.
Aprèslescontributionséminentesd’Orr(1909)etdePrandtl,laRDTfutintroduiteàCambridgeparBatchelor&Proud- man (1954,in[6])pour desapplicationsstatistiques. Cette approchea étélongtempsrestreinte auxécoulements moyens irrotationels,desortequel’espacede Fouriern’aétéqu’une commoditépourpasseralgébriquementdelavorticitéàlavi- tesse(àpartirdel’équation(15)linéarisée),plutôtqued’utiliserlaformulationnonlocaledeBiot–Savart.Letermepotentiel del’équationdeWeberlinéariséepeutêtrerésoludemanièresimilaire.Rappelonsqueleseulmécanismephysiqueretenu, etlargementsurestimé,estl’étirementlinéairedelafluctuationdevorticitéparladéformationmoyenne.
Dans ce contexte RDT,Keith Moffatt [9]a donnéla formemoderne de lathéorie linéaire spectrale, enidentifiant un tenseurdeGreenpourlaréponselinéairedelaturbulenceavecunécoulementmoyenrotationnel,lecisaillementpurplan.
L’importancede lapartierotationnelledu cisaillementmoyenpour organiserlaturbulenceaétéfinalementreconnue par Townsend(1976,in[6])danssarevuedelaRDT.
2 Lameilleureterminologiepourraitêtre« matricejacobiennedeCauchy–Lagrange ».
L’extensionàunécoulementmoyendematriceAaétéétudiéeparCambon(1982)etCambon&Teissèdre(1985,in[6]), avecnotammentunepremièrecaractérisationdel’instabilitéelliptique,danslecontexteRDT.Cetteinstabilitéaensuitefait l’objet d’un très grand nombre d’études après sa redécouverte dans le cadre strict de la stabilité hydrodynamique, par A. C. C. Craik (Craik &Criminale, 1986, in[6]) etBayly(1986,in [6]). Il est ànoter que Craik etCriminale ont présenté leurs solutionscommedes« solutions exactes » deséquationsd’Eulernonlinéaires : celaestjustifiédanslamesureoùla perturbation consiste enun mode unique, du type (18), car un seul mode n’interagit pasavec lui-mêmedans la limite incompressible. En revanche,la linéarisationdoit êtrejustifiée quand lafluctuation consiste en unecollectionde modes, parexempleavecunspectreinitialdense ;celaconstituelaspécificitédelaRDTparrapportàlastabilitéhydrodynamique unimodale.L’impactfortdel’étudede Bayly(1986)vientaussi desapublicationsur l’instabilitéelliptique,paruelamême année que celle de Pierrehumbert (1986,in[6]), qui a utiliséune méthodeclassique de modesnormaux,beaucoup plus opaque.
Ilfautaussinoterquelesinstabilités« hyperboliques » et« elliptiques » sontàcroissanceexponentielle.Unautreavantage de lathéorielinéairespectrale(ouRDTausenslarge)estlapossibilitédetraiter lacroissancealgébriquetransitoire.Dans lastabilitéhydrodynamiqueclassique,lesperturbationssontdelaforme
u
(
x,
t) =
eσta(
x)
où
σ
estuntauxdecroissanceàvaleurcomplexe.Lacroissanceexponentielleestdoncspécifiéeparcetteforme,contraire- mentàl’équation(18)avec(19).Nousnediscutonspasicil’utilisationduspectrecontinupourσ
,quipeutréconciliertous ceseffets,carelleestbeaucouppluscompliquéeàmettreenœuvre.Lesapplicationsd’uneapprochede stabiliténonmodale,avecuncisaillementuniforme,sontillustrées parChagelishvili etsescollaborateurs(1983), avecbeaucoupd’étudesdanscettecontinuité. Enastrophysique,l’approximationdelacouche cisaillée (ShearingSheetAppoximation, SSA, Balbus etHawley, 1998) permet de retrouver lecisaillement tournant comme un modèlepour lastabilitéde l’écoulementde Taylor–Couette,lui-mêmeutilisépour analyserdesdisquesd’accrétion.La transitionà laturbulence,via lacroissancetransitoire, peutêtreétudiée danslesdisquesd’accrétion képlériens,qui sont exponentiellement stables.Sur cedernier point, lecritèrede Rayleighest cohérentavec celuide Bradshaw(1969, in[6]) pourlecisaillementtournant.
Il semble que laRDTsoit maintenantpresque oubliéedanslacommunauté de l’ingénierie,par exemplepour calibrer des constantes dans les modèles de tenseurs de pression–déformation. En revanche,elle a trouvé un nouvel essor,avec une terminologie très différente, en géophysique et en astrophysique, avec de nouveau défis : croissance transitoire, sa contribution auxcyclesde regénération desstructures, puistransitionà laturbulence(voir lanouvelleédition de [6],en préparation).
4.2. LaformulationlocaledeLifschitzetHameiri
CetteapprochetrèsgénéraledeLifschitzetHameiri(1991,1993,in[6])nousserviraàconclurecetterevuedelaRDT,au senslepluslarge.L’idéeestderendrelocalel’analysedesperturbationsengénéralisantlaforme(18)pourdesécoulements moyens (ou écoulements de base) plus réalistesque ceux à gradients uniformes A dans l’espace.Les perturbations sont maintenantdelaforme
u
(
x,
t) ∼
a(
x,
t)
expi
(
x,
t)
(20)
où estunparamètrearbitrairementpetit.
Lesperturbationssontdoncdespaquetsd’onde(pasnécessairementdevraiesondespropagatives)avecphases« rapides » qui suivent n’importe quelle trajectoire lisse de l’écoulement moyen (de base).Aux premiers ordres pertinents de
, on retrouveleséquationsdeKelvin–Moffatt
˙
ai
+
Mi jaj=
0,
k˙
i= −
Ai jkjavecunvecteurd’onde« zonal » définilocalementdansl’espacephysiquepar k
=
1ε ∇
Toutes cesquantités dépendentde X,contrairementau cas« homogène ».Aupremier ordrepertinent,laphase rapideest uniquementtransportéeparl’écoulementdebase,ou˙ =0,desortequelevecteurd’ondeestdonnépar
ki
(
X,
t) =
F−i j1(
X,
t,
t0)
kj(
X,
t0)
(21)comme pour le gradient d’un scalaire passif, ce qui généralise l’équation (19). Bien sûr, il faut garder en tête que les notations inspirées de Cauchy et Lagrange, telle que X, le point superposé et F→F, ne concernent que l’écoulement debase.L’applicationàdesécoulementsréalistesapermisd’identifierlocalementlesdifférentesinstabilités,hyperboliques, elliptiques et centrifuges, dans Godeferd etcoll. (2001, in [6]). On trouvera aussi dans Guimbard et Leblanc (2005) une applicationtrèsoriginaleàdesécoulementsépicycliques.
5. QuelquesétapesaprèslathèsedeCraya,de1958à1970
5.1. Inversion/résolutiondesopérateurslinéaires,pourdesmomentsd’ordrequelquonque
Iln’yaaucunedifficulté deprincipeà prendreencomptelacontributiondesmomentsd’ordren+1 ennpointsdans leséquationsdesmomentsd’ordren ennpoints, vialestenseursspectrauxetà l’aidedu tenseurde Greendebase(11).
Lessolutionslinéaires(12),(13)peuventalorsabsorberlescontributionsdesnon-linéarités,avec
R
ˆ
i j(
k(
t),
t) =
G(im0)(
k,
t)
G(jn0)(
k,
t)
Rˆ
mn(
k,
t,
t0) +
t t0G(im0)
(
k,
t,
t)
G(jn0)(
k,
t,
t)
Tmn(
k(
t),
t)
dt (22)àl’ordre2,oùTmnregroupelacontributiondescorrélationstriplesendeuxpoints,et R
ˆ
i jm(
k(
t),
p(
t),
t) =
G(iu0)(
q,
t,
t0)
G(jv0)(
p,
t,
t0)
G(mw0)(
p,
t)
Rˆ
uv w(
k(
t0),
p(
t0),
t0) +
+
t t0G(iu0)
(
k,
t,
t)
G(jv0)(
k,
t,
t)
G(mw0)(
p,
t,
t)
Tuv w(
k(
t)
p(
t),
t)
dt (23)àl’ordre3,oùTuv w(k,p,t)donnelacontributiondescorrélationsquadruplesentroispoints.
5.2. Verslesfermeturestriadiques
Uneétapecrucialepourlafermeture,quipeutêtreréaliséeauniveaudel’équation(23),estl’applicationd’unetechnique à base d’approximationQNM (quasi-normale markovienne), qui s’est révélée efficace pour la turbulence« faible » comme pour la « forte ». L’ingrédient QNM reçoit un support mathématique dans la« théorie de turbulence d’onde », par Newell [10]notamment. L’approximationquasi-normale,introduitepar Millionshchikov[11]fournitlafermetureintrinsèquede la contribution descorrélations quadruplesdans l’équationdes corrélations triples ;le triple produitde tenseursde Green, quel’on retrouvedans(23),conduitàunamortissementtrèsimportantdelanon-linéaritépar dispersivitédesondes,via leurmélangede phase,saufauvoisinagedesinteractionsrésonantesde cesondes ; finalement,la« markovianisation » est cohérenteavecladynamiquelentedesamplitudes,qui sontlesenveloppesdesphasesrapides,etoùnesurviventqueles interactionsrésonantes.
LafermetureQNM,quipeutêtreconsidéréecommeexactequandlaturbulenceestdominéepardesinteractionsd’ondes dispersives,n’estpassatisfaisanteaudépartpourlaturbulence« forte ».UnprogrèsdécisifaétéréaliséparOrszag [12]en turbulenceisotrope(sans ondes) :ila montréque lacontributiondescumulantsd’ordre4,considéréecomme nulledans l’approximationQN,estessentielle ;ellepeutêtremodéliséeparuntermederelaxationtourbillionnaire(EddyDamping,ED) dansl’équationdescorrélationstriples ;cedernieringrédient,quin’estengénéralninécessairenisuffisantpourassurerla réalisabilité,permetdejustifieraposteriorila« markovianisation »,desortequelamémoiredescorrélationstriplesdevient évanescente vis-à-vis de l’histoire des corrélations doubles. L’ensemble EDQNM donne finalement un modèle réalisable, solideetprédictifduspectred’énergieenHIT.
Finalement,tousces aspectsont pu êtreréconciliés,au moinsdansle casde HATenutilisantl’équationsuivante,qui prolonge(23):
R
ˆ
i jm(
k(
t),
p(
t),
t) =
G(iu0)(
q,
t,
t0)
G(jv0)(
k,
t,
t0)
Gmw(0)(
p,
t)
Rˆ
uv w(
k(
t0),
p(
t0),
t0) + +
t t0G(iuNL)
(
q,
t,
t)
G(jvNL)(
k,
t,
t)
Gmw(NL)(
p,
t,
t)
Tuv w(QN)(
k(
t)
p(
t),
t)
dt (24)Tuv w(QN)estrigoureusementdérivédeTuv w dans(23)parl’approximationQN(symboliquementuuuu=
uuuu.)L’écart parrapportàuneloigaussienne(iciprobabilitéjointeàquatrepoints)estpriseencompteparleréajustementnonlinéaire dutenseurdeGreen.End’autrestermes,ladifférenceentrelaversion« nue » et« habillée » dutenseurdeGreen,ouG(NL)− G(0),estreliéeàladifférenceentreles« vraies » corrélationsquadruplesetleurformeQN,quis’exprimecommedessommes deproduitsdecorrélationsdoubles.Danslaversioninitialed’Orszag,G(NL)estunfacteurexponentiel,quiajouteauterme visqueux le terme d’amortissement tourbillonnaire, d’origine non linéaire via les cumulants d’ordre 4. Dans l’autre cas extrème de turbulence d’onde, letenseur de Green est un propagateur d’ondes, qu’iln’est pas nécessaire engénéral de renormaliser,carladispersionparmélangedephaseamortitlescorrélationstriplesetcoupeleurmémoirepropre.Ilexiste beaucoupdecasintermédiairesetnousrenvoyonslelecteurà[6]pourunediscussionélargie.
5.3. RetoursurlesthéoriesdeKraichnan
L’analyse précédente suggère une stratégie générale de fermeture à base d’EDQNM anisotrope généralisé. Il est,par exemple, possiblede couvriruntrès largedomaine delaturbulenceenrotation,qui estpresquedécritpar l’EDQNMiso- tropeàgrandnombredeRossbyetrelèvedelaturbulenced’ondesinertiellesauxpluspetitsnombresdeRossby.Pourcette stratégie, l’angle d’attaque initial de Craya, avec lesavancées ultérieures de Keith Moffatt,Alan Newell etSteven Orszag, a jouéunplusgrandrôlequelesthéoriesdeKraichnan.
Nous sommesconscientsdu caractèreprovocateur decette dernièreopinion !Unpremierargumentest quel’essentiel desthéoriesdeKraichnan,delaDIA(DirectInteractionApproximation)[13]auxversionslagrangiennesousemi-lagrangiennes pluscompliquées,résulted’undéveloppementformeldefaibleperturbationautourd’unétatderéférenceisotropeetgaus- sien. Enconséquence,la« fonctionréponse » à l’ordrezeroestpurement isotropeetnepeutpascoïncideravecletenseur réponse associéàlaRDTvisqueuse,commeildevraitlefairepourdesécoulementssoumis àdesgradientsmoyenset/ou desforcesmassiques.
Plusgénéralement,letenseurréponseinfinitésimalestdéfinipar
δ
uˆ
i(
kt) =
t t0G
(
k,
t,
t)δ
fj(
k,
t)
dt (25) (avanttoutemoyenned’ensemble),maisildevraitêtreδ
uˆ
i(
k,
t) = ⎛ ⎝
t t0G
(
k,
k,
t,
t)δ
fj(
k,
t)
dt⎞
⎠
d3kavecdeuxvecteursd’ondeindépendants,carlaperturbationesteffectuéeautourd’uneréalisationpleinementnonlinéaire, avecletermenonlocalu⊗δuissudeséquationsdeNavier–Stokesdansl’espacedeFourier.(Rappelonsquecettestructure nonlocaleseretrouveraitavecuneformulationdansl’espacephysique,d’abordpourladissipation,etàcausedelarelation nonlocaleentrepressionetvitesse.)
Pourlesgrandeursstatistiques,letenseurréponseinfinitésimalmoyennéestcorrect,souslaforme Gi j
(
k,
k,
t,
t) =
Gi j(
k,
t,
t)δ
3(
k−
k)
enturbulencehomogèneisotrope(HIT),maisnonpourHAT« àlaCraya », oùildevraitêtre Gi j
(
k,
k,
t,
t) =
Gi j(
k,
t,
t)δ
3(
k− ˜
F(
t,
t)
k)
Kraichnan est passé directement du domaine HIT [13] aux écoulements inhomogènes, cisaillés et/ou dominés par la flottaison(1976), encourt-circuitantlacaseHAT :onnepeutpasleluireprocher,maisilestprobablequel’applicationà HATauraitrévéléunefaiblesse,ouapproximationtropforte,tellequeladiagonalitéde l’expression(25)supposéeapriori.
À notreconnaissance,Kraichnann’ajamaistravaillésurlaRDT,etsursonextensionnaturelleverslafaiblenon-linéaritéen turbulenced’onde.
Pour concluresurunenotehumoristique,jenerésistepasàrapporter cecommentaired’AntoineCraya,àproposd’une des premièresversionsde laDIA : « LaDIA estcomme laJoconde(Mona Lisa), dontellea labeauté étrange, maisaussi l’ambiguité. » Incidemment, ilya touteunetraditionorale, dontj’aieu connaissancepar Jean Mathieu,MarcelLesieuret BertrandAupoix(voiraussisathèsede doctoratèssciences),sur lesboutades,aphorismesetcommentairesde Craya :un florilègeàrassembler ?
6. Progrèsrécents
Tout d’abord, ladescriptionde l’anisotropiepeut êtrecomplètementdétaillée,directementdansl’espace deFourier,en utilisantlenombreminimaldedescripteursstatistiques,commedans(6).LaFig. 3endonneuneillustration,principalement pour laturbulenceà symétrie de révolution,dans desdomainesque n’avaitpas abordéCraya. Il estpossiblede déméler leseffetsdedirectivité,quiaffectentsurtoutlaréductiondedimensionalitédansl’espacephysique,etceuxdepolarisation.
Leurs manifestations, combinées et multiformes, se retrouvent dans toutes les corrélations statistiques, en deux points, puis enun point. L’anisotropiepeut êtreinduite par deseffets linéairesdirects,à partir de conditionsinitiales isotropes, mais résulte aussi destransfertsnon linéaires(par exempledansl’équation(22)), qui reflètentles transfertsd’énergie et d’anisotropieentreéchellesdetailleetd’orientationdifférente.
6.1. Écoulementsstratifiésavecflottaison
Dans ce cas,non traitépar Craya,la flottaisondueà un champde densité, detempératureou de concentration,peut inclure, commela vitesse,moyenne etfluctuation.Le gradientuniforme de flottaisonmoyennemet enjeulecarré de la
Fig. 3.Relationentrestructureanisotropeetdirectivitédesspectres.Enconfigurationaxisymétrique,laconcentrationdel’énergiedansdesdirections particulièresreflèteuneréductiondedimensionnalité,1Ddanslazone« polaire » dessphèresdansl’espacedeFourier,2Ddansleur« ceintureéquatoriale ».
Enplusdeladirectivité,l’anisotropiedepolarisationdétectelescomposantesdominantes(2C,3C).Lesdeuxdémèlentdimensionalityetcomponentiality (selonlanomenclaturedeKassinosetcoll.(2001,in[6]),intraduisible.)D’aprèsAlexDelache,avecmesremerciements.
fréquence de stratification N, dite fréquence de Brümt–Wäisäla. En accord avec l’approximation de Boussinesq, pour de faiblesécartsde densitéetà trèsfaiblenombredeMach,lechampdevitesseresteàdivergencenulle,maisladensité,et donclescalairedeflottaison,dénotéb (pour buoyancy),peutfluctuerautourde savaleurconstantede référence.Lestrois composantesdurepèredeCraya peuventêtreutiliséespourdécrirelechampcompletdefluctuation,avec lacontribution delafluctuationdeflottaisontraitéecommeunmodepseudo-dilatationnel,ouu(3)∼ ˆb/N.Enconséquence,(1/2)u(1)∗u(1), (1/2)u(2)∗u(2) et (1/2)u(3)∗u(3) correspondent respectivement à l’énergie toroïdale, l’énergie poloïdale et l’énergie poten- tielle.Lesystèmeinitialdevariablesfluctuantesàcinqcomposantes(troispourlavitesse,unepourlapression,unepourla flottaison)etcinqrelations(troispourNavier–Stokes,unepourletransportdeb,etconditiondedivergencenullepour u) seréduitàtrois(voirGodeferd&Cambon(1994,in[6])etGodeferd&Staquet(2003,in[6]).
Lamatricedecovariance,dontlastructureestdonnéeparu(i)∗u(j),devient
R
ˆ =
⎛
⎜ ⎜
⎜ ⎜
⎜ ⎝
E
−
ZE(tor)
Z
−
iH F(tor)Z
+
iH E+
Z E(pol)F(pol)∗ F(tor)∗ F(pol) E(pot)
⎞
⎟ ⎟
⎟ ⎟
⎟ ⎠
(26)
Lesnouveaux descripteurs statistiquesmis en jeu par lecouplage avec la flottaison sont lespectre d’énergie potentielle E(pot)etlesco-spectresdefluxdeflottaison,toroïdal F(tor)etpoloïdal F(pol).
Leflux toroïdalestaussi reliéà lacorrélationcroiséeentrevorticité axiale(le longdel’axe verticalportantlagravité) etflottaison.Comme lespectred’hélicitékH,ildisparaîtparsymétrie miroir.DeséquationsdeLinpartiellementcouplées sontobtenuespourtouslesdescripteursdans(26),avecdestermeslinéairesexacts etdestermesde transfertgénéralisés.
Pourles écoulementsstratifiéssanscisaillementmoyen,lestransfertsd’énergieetcascadesassociéessontschématiséssur laFig. 4.Pourlesgrandeursintégréessphériquement,leschémaenhautàgaucheillustreunecascadedirecte,desgrandes vers les petites échelles, donc vers les sphères de plus grand rayon k dans l’espace de Fourier. La cascade inverse (ou effet plus restreint de backscatter) apparaît enhaut à droite.En bas, on décrit la cascadevis-à-vis de k⊥ (de cylindreà cylindreenFourier)directeàgauche,inverseaucentre.Finalement,leschémaenbasàdroiteillustreletransfertangulaire d’énergie, dansle cas de lastratification stable. La concentration de l’énergie versle pôlede la sphère correspond à un