M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
J. P ÉLISSIER
Y. L IGNON
Réflexions sur une certaine perception des mathématiques
Mathématiques et sciences humaines, tome 39 (1972), p. 53-58
<http://www.numdam.org/item?id=MSH_1972__39__53_0>
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RÉFLEXIONS SUR UNE CERTAINE PERCEPTION DES MATHÉMATIQUES
par
J.
PÉLISSIER
ET Y. LIGNON 1Certains organes de presse
réputés
pour leursérieux,
ont, ces derniers temps,appris
à unpuhlic,
soucieuxde la chose
universitaire,
un fait bien connu des lecteurs de laprésente publication:
lapluridisciplinarité
,
est
antérieure,
du moins dans les ex-Facultés desLettres,
à mai 1968. Legrand public,
s’il saitparfois
que la réforme Fouchet a introduit dès octobre 1966 des
enseignements obligatoires
demathématiques
et de
statistiques
pour certains étudiants en scienceshumaines, ignore généralement
que la collaborationmathématicien-psychologue-sociologue
avait commencéplus
tôt 2.Enseigner
desmathématiques
à desnon-scientifiques
est une tâchequi présente
d’évidentesdifficultés,
difficultés dues notamment au fait que le rôle del’enseignant
demathématiques
en scienceshumaines est encore mal défini. Ceci nous a conduit à penser
qu’il
étaitnécessaire,
d’unpoint
de vuepédagogique (c’est-à-dire
pour établir surtout le rapport avec lesétudiants),
de tenter de définirl’image
des
mathématiques
dansl’esprit
de ces derniers.En
conséquence
nous avonsrédigé
unquestionnaire
que nous avons soumis àplusieurs catégories
d’étudiants. L’une de ces
catégories
était constituée par lesjeunes
gens reçus au baccalauréat enjuin
1971et venant
prendre, quelques jours plus tard,
leurpremière inscription
à l’Université Toulouse-Le Mirail.Au cours de la
passation
del’enquête
par ces futursétudiants,
nous avons été amenés àrecueillir,
presque
involontairement,
une certaine information corollaire. C’est cette information que nous allons exposer ici.La
passation
duquestionnaire
se faisait à la fin de la chaîned’inscription,
une table étantdisposée
à cet effet dans un couloir. De nombreux adultes accompagnent les étudiants et, n’étant pas admis à la chaîne
d’inscription, stagnent
dans le couloir.Après
avoir lu ou pas tous les tracts et brochuresdistribués,
ces personnes
finissent,
pour passer un moment, par s’intéresser àl’enquête.
Dans cettesituation,
notreprésence incognito
nous apermis
departiciper
à certaines conversations et de recueillir certaines observations.Un
premier point,
trivial d’ailleurs : les adultesprésents appartiennent
à des classesaisées, quel- quefois
à des classes moyennes, rarement à d’autres classes. Lesprofessions
dominantes sont libérales.1. UER « Sciences du comportement et de l’éducation», Université de Toulouse-Le Mirail.
2. Cette collaboration s’étend : de nombreuses ex-Facultés de Lettres disposent à l’instar de Toulouse-Le Mirail, d’un
département de Mathématiques. Les auteurs, quant à eux, sont des mathématiciens nommés sur des postes d’enseignants de psycho- logie depuis la mise en place de la réforme Fouchet.
Il
s’agit
leplus
souvent de membres de la famille de l’étudiant : la mère dans lamajorité
des cas 1.Enfin,
notonsqu’un pourcentage
nonnégligeable (entre 30%
et40%)
feraréférence,
durant les conver-sations,
auxjournaux
Le Monde et leFigaro
ou à unepublication
contenant defaçon régulière,
unechronique
universitaire.Le
premier point qui
sedégage
estl’ignorance
de la trèsgrande majorité
des personnes rencon- trées : un toutpetit
nombre seulement sait que l’onenseigne depuis plusieurs
années lesmathématiques
dans les ex-Facultés des Lettres.
Ajoutons
que cetteignorance
estquelquefois
excessive : « Ma fille adécidé
depuis janvier,
de faire des études depsychologie.
Elle s’est doncprocuré
un certain nombrede
publications
concernant cettediscipline.
Nous avons lu ensemble cespublications.
J’ai donc été trèssurprise
en arrivantici,
de constaterqu’elle
aurait à étudier et à utiliser desmathématiques
2. Je conce-vais très bien cela pour les sciences
physiques,
mais pas pour lapsychologie
Cette méconnaissance reste
quelquefois
neutre : « Maisje
ne savais pasqu’on
faisait des mathé-matiques
enlettres»,
mais elle peut aussis’accompagner d’agressivité:
on se trouve alors devant le second traitdominant,
à savoir lerejet
absolu de la situation: « Je necomprends
vraiment pas àquoi
peut servir cette
enquête [...]
Enfinpuisque
mon fils vient engéographie,
c’estqu’il
ne veutplus
fairede
mathématiques
etqu’il
n’en feraplus. »
Lepère
d’un futur étudiant enlinguistique,
aprécisé :
« Vousne me ferez pas croire que les
mathématiques
seront utiles à mon fils ».Par ordre
d’importance,
la troisième observation concerne une certaine volonté d’indifférence :« Les
mathématiques
ne luiont jamais plu
et il va en lettresmodernes,
indifférence camoufléequelque-
fois sous une attitude
pontifiante :
« Lesmathématiques
aux mathématiciens ! t La mode consistant à les introduire partout est excessive. Comme tout cequi
estexcessif,
cela ne me concerne pas.Ces
opinions
bien arrêtées vontquelquefois
depair
avec uneargumentation
savoureuse:«
D’ailleurs,
on voit bien ce que donne l’excès demathématiques :
les enfants de ma fille étudiaient desmathématiques modernes,
savez-vous que leurpère
apassé
ses soirées à leurapprendre
lesquatre
opérations ? »
Nous avons constaté par
ailleurs,
et au-delà de cequ’on pourrait appeler
un manque d’enthou-siasme,
que personne n’aexprimé
le désir de s’informer. On peut donc dire que les parents acceptent la situation sans volonté del’appréhender;
bienentendu,
nous n’avons reçu aucun encouragement.Est-il
possible
de tirer un bilan de cequi précède,
sachant bien sûr, que les parents que nousavons rencontré constituent un très mauvais échantillon ? Doit-on considérer
cependant qu’il
y a chezces personnes, un refus de voir la
réalité,
refuspeut-être
associé àl’image
de l’enfant : «Intelligent
maispas doué en
mathématiques
?» Cecin’implique-t-il
pas que l’on considère lesmathématiques
commene faisant pas
partie
de la culture au sens traditionnel du terme ?Que
l’onn’englobe
pas les mathéma-tiques
dans ce que doit savoir l’ « honnête homme» du 20e siècle ?Que
l’onpréfère
croire que certainesdisciplines
restentfigées ?
Aucun parent
n’ayant
pourtant déclaréqu’il
avait conseillé à son enfant dechanger
d’orientation pour éviter de faire desmathématiques,
peut-on en déduirequ’il
y aacceptation
d’unrisque
couru par l’étudiant ?Les
réponses
à cesquestions
peuvent apporter des éléments pour la construction d’une certainepédagogie.
C’est direqu’il
nousparaîtrait dommage
que l’on se désintéresse desproblèmes posés
ici.1. Nous excluons pour cet exposé, les accompagnateurs déjà étudiants et d’une manière générale, les accompagnateurs appartenant d’une façon quelconque à l’université.
2. La personne citée nous a montré certaines des publications en question. Le moins que nous puissions dire est que ces
journaux manquaient totalement de sérieux. Cette citation, comme celles qui vont suivre, est extraite d’un enregistrement sur bande magnétique,
LE PREMIER CYCLE MSH
(MATHÉMATIQUES
ET SCIENCESHUMAINES)
DE L’ENSEIGNEMENTSUPÉRIEUR
Le
premier cycle
MSH(Mathématiques
et SciencesHumaines)
récemment créé(arrêté
du 26juillet 1971,
paru au B.O. du 2
septembre 1971)
est unpremier cycle pluridisciplinaire
del’Enseignement Supérieur.
I.
FINALITÉS
Ce
premier cycle
MSH(Mathématiques
et SciencesHumaines)
est conçu commel’homologue
dupremier cycle
traditionnel MP(Mathématiques
etPhysique 1)
danslequel
lapartie «
P o(Physique)
du programmeest
remplacée
par les « SH»(Sciences Humaines).
Son
objet
est depréparer
la formation:- De mathématiciens
(ou d’informaticiens) répondant
au besoin croissant despécialistes
decette
discipline
mieux aptes à collaborer comme chercheurs ouingénieurs
avec desspécialistes
desdisciplines
de sciences humaines.-
D’enseignants
demathématiques (notamment
ceux des étudiantsqui, après
cepremier cycle MSH,
aurontpoussé
leurs études demathématiques jusqu’à
lamaîtrise,
auCAPES,
àl’agrégation
et aux doctorats de
mathématiques)
des établissements du seconddegré,
del’Enseignement Supérieur,
en
particulier
pour les sections de Lettres et Sciences humaines de ces établissements.- De
personnels spécialistes
d’unediscipline
de sciences humaines ayant une bonne formationen
mathématiques (cas
des étudiantsqui, après
cepremier cycle MSH,
auront continué leurs études universitaires en2e,
3ecycles
de scienceshumaines).
- De
spécialistes
dedisciplines
comme ladémographie,
lalinguistique mathématique,
la psy-chométrie,
certains aspects des sciencessociales,
utilisant à partségales
lestechniques mathématiques
et celles des sciences humaines.
II.
DIPLÔME
Ce
premier cycle,
dont la durée des études est de 2 ans, est sanctionné par unDiplôme
national: le DUEL mention «Mathématiques
et Sciences humaines».1, Lequel est, jusqu’à la création du premier cycle MSH, pratiquement la seule filière de formation dç futurs mathématiciens.
III. CONDITIONS D’ADMISSION
Sont admis de
plein
droit à s’inscrire enpremière
année dupremier cycle MSH,
les candidatsjustifiant
de l’une des séries
C,
D ou E du baccalauréat del’enseignement
du seconddegré,
ou d’un titre admis endispense
du Baccalauréat en vue des étudesscientifiques.
Les candidats
justifiant
de la série A ou de la série B du baccalauréat ainsi que les candidatsjustifiant
d’un titre admis enéquivalence
dubaccalauréat,
peuvent être admis à s’inscrire par décision duprésident
de l’universitéaprès
consultation du dossier scolaire.IV. PROGRAMMES
a)
Le programme demathématiques
dupremier cycle
MSH est le même que le programme de mathéma-tiques
depremier cycle
MP(dont
certainschapitres,
étroitement liés à laphysique,
sontremplacés
par des matières utiles aux sciences humaines:
statistique, informatique, logique mathématique).
Le nombre d’heures
d’enseignement
demathématiques
est de .~1 heures(pour
lapremière
annéecomme pour la seconde
année), réparties
comme suit:En
première
année :-
Algèbre
etalgèbre
linéaire: 3 h.-
Analyse :
4 h 30.-
Informatique:
1 h 30.- Probabilités et
statistique:
2 h.En seconde année :
-
Algèbre
etalgèbre
linéaire: 3 h 30.-
Analyse
etgéométrie analytique:
4 h 30.-
Logique mathématique:
1 h 30.- Une matière
optionnelle (celle
destatistique
estrecommandée) :
1 h 30.b) L’enseignement
des sciences humaines comporte 9 heures hebdomadaires(en première
année comme enseconde
année), réparties
en 6 UV(unités
devaleurs)
de 1 h 30 chacune(dont
une UV delangue
vivanteobligatoire
enpremière année).
La
première
année, à part l’UV delangue
vivanteobligatoire,
l’étudiant peut choisir 3 UV dansune des
disciplines
de sciences humaines(la dominante)
et 2 UV dans une autrediscipline
de sciences humaines(la sous-dominante).
La seconde année, il peut choisir 6 UV dans sa
discipline
dominante s’il désirepouvoir
accéderà une licence ou une maîtrise de sciences humaines dans la même
discipline
que sa dominante.Mais l’étudiant peut aussi ne pas utiliser cette
possibilité (bivalence
du DUEL deMSH)
et nesera alors pas astreint à la
règle
de choixindiquée
ci-dessus pour les 12 UV de sciences humaines.V.
ÉTUDES
POSSIBLESAPRÈS
CE PREMIER CYCLE MSHLes étudiants
justifiant
du DUEL mention «Mathématiques
et Sciences humaineso peuvent s’inscrire:- En 2e
cycle d’enseignement supérieur,
en vue depréparer
une licence ou une maîtrise de mathé-matiques,
demathématiques
etapplications fondamentales,
oud’informatique.
- En 2e
cycle d’enseignement supérieur,
en vue depréparer
une licence ou maîtrise d’unediscipline
de sciences
humaines,
à la condition d’avoiracquis
9 UV dans cettediscipline (sur
les 12 UV de scienceshumaines
exigées
au cours des 2 années d’études dupremier cycle MSH) ;
ces 9 UV comportent toutes cellesqui
sontobligatoires
pour le DUEL dans ladiscipline
des sciences humaines choisie par l’étudiant.Les étudiants
qui,
à l’issue de lapremière
année dupremier cycle MSH,
ne désirentplus
continueren 2e année
MSH,
auront lapossibilité
de s’inscrire en 2e année d’unpremier cycle
littéraire dans ladiscipline qu’ils
ont choisie comme dominante ou sous-dominante de Sciences Humaines au cours de leurpremière
année de MSH. Ils pourront aussi se réorienter vers lepremier cycle MP,
à la conditionde suivre des
enseignements
de rattrapage enPhysique.
D’autre part, les étudiants
qui,
à l’issue des deux années deMSH,
ne désireront paspoursuivre
un 2e
cycle d’enseignement supérieur, pourraient
recevoir en un an, uncomplément
de formationprofessionnelle, grâce
à des filières de formation courtes(années spéciales
de certainsIUT,
celui del’avenue de
Versailles,
parexemple).
VI. ORGANISATION
Dans la
région parisienne, depuis
octobre1970, l’enseignement
dupremier cycle
MSH estassuré,
ence
qui
concerne lesMathématiques
en commun par l’UER demathématiques, logique
formelle et infor-matique
de l’Université René-Descartes 1 deParis,
et l’UER demathématiques
de l’Université Paris VII 2.Quant
àl’enseignement
des Scienceshumaines,
il est actuellement assuré :1. 48, rue Saint-Jacques, Paris (5e).
2. Place Jussieu, Paris (5e).
1)
A l’Université René Descartes(Paris V)
deParis,
par les UER de:Psychologie
Sciences sociales
Linguistique
Sciences de l’éducation Histoire
Géographie
Lettres
classiques
Lettres modernes
Langues
vivantespar accord entre l’Université René Descartes et l’Université de Paris-Sorbonne.
2)
A l’Université Paris VII par les UER Institutd’Anglais
Charles VSciences humaines