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Article pp.217-240 du Vol.32 n°160 (2006)

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Texte intégral

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Les dynamiques

de la création

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Peut-on aider à comprendre la logique de la régulation sur les marchés et dans les entreprises sans recours au modèle contrac- tualiste aujourd’hui dominant ? La théorie des conventions, fon- dée en particulier sur une conception originale de l’économie de l’information, propose, soutient Pierre-Yves Gomez, une véritable alternative pour analyser les organisations et leurs modes de fonctionnement et s’interroger sur les déterminants du comportement de leurs acteurs. Elle ambitionne par là même, en renouvelant la description du cadre dans lequel s’inscrivent les pratiques de gestion, de fournir aux gestionnaires les repères qui donnent du sens à leurs actions.

Comment se régulent les activités humaines en société ? Cette question est au cœur des sciences sociales, de l’économie, et les disciplines de gestion la reprennent spécifiquement à leur compte, examinant comment les intérêts individuels et les inté- rêts collectifs se combinent et se régulent dans les entreprises et sur les marchés, de manière à assurer l’efficacité de la production et des échanges. Question de régula-

Information et conventions

Le cadre du modèle général*

* Article publié dans la Revue française de gestion(n° 112, 1997).

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tion signifie question de règles. En d’autres termes, on peut reformuler l’interroga- tion de la manière suivante : d’où viennent les règles qui conduisent les acteurs éco- nomiques à agir ensemble ? Sont-elles édictées ou naissent-elles spontanément ? Sont-elles intentionnelles ou rationalisées après leur apparition ? Sont-elles consen- ties ou imposées ? De ces questions résulte une distinction qui est à la base des tra- vaux des disciplines de gestion : celle entre gouvernement et gestion. Le premier vocable désigne le système de règles et de mesures qui ordonne les acteurs sociaux au double sens du terme : il met de l’ordre dans leurs actions et il leur donne des ordres1. Une organisation, donc une entreprise, est de ce fait un système de gouver- nement, composé non seulement d’une hiérarchie, mais aussi de contraintes techno- logiques et humaines qui localisent l’action de chacun de ses membres (utilisation d’une machine, disposition des bureaux, heures d’ouverture au public, etc.). Par ges- tion il faut entendre alors une action délibérée et reconnue comme légitime sur les règles et les mesures. Cette action suppose ses acteurs particuliers, les gestionnaires, et un objectif explicite, l’accroissement de l’efficacité des comportements des indivi- dus soumis au système de règles : tel est le cas, par exemple, des actions de la COB sur le marché financier, ou d’une direction marketing dans une entreprise2.

Cette distinction devient essentielle lorsque l’on veut repérer dans les pratiques comme dans les modèles, d’une part, les systèmes organisés que sont les entreprises et les marchés et, d’autre part, le système de pilotage auquel contribuent les disci- plines de gestion. Ce qui permet de ne pas faire jouer à ces dernières un rôle démiur- gique ou totalitaire qu’elles ne sauraient tenir. Pour penser cette distinction, encore faut-il posséder des modèles de représentation. L’objet de cet article est de montrer en quoi la théorie des conventions renouvelle le propos sur le sujet, en renversant cer- taines perspectives imposées par le modèle contractualiste dominant3, et en lui appor- tant, davantage qu’une critique, une alternative pour comprendre la logique de la régulation sur les marchés et dans les entreprises. Nous montrerons dans cette courte présentation comment elle interprète de manière originale la notion d’information dans les organisations et fonde le concept central de conventions et, de ce fait, com- ment elle peut renouveler les conceptions standards concernant le marché et l’entre- prise pour mieux appréhender l’existence et la modification des systèmes de règles entre les acteurs.

1. Gouvernement, du grec kubernan, a donné aussi bien gouvernail que cybernétique.

2. Pour imager selon l’étymologie des termes, on peut dire que le gouvernement est un bateau, qui com- prend un gouvernail, tandis que la gestion est la façon d’agir, entre autres sur ce gouvernail, pour piloter le bateau.

3. Cf. l’introduction au dossier Revue française de gestion, n° 112, 1997, p. 60-63.

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I. – Conventions et systèmes de gouvernement : un nouveau paradigme sur l’information

L’information est devenue l’outil commun et banalisé de toutes les analyses en économie comme en gestion. Sa « transparence », son acquisition, son transfert, etc., alimentent d’innombrables travaux mais assez peu de débats de fond. Car, pris dans le flot d’analyses et d’interprétations sur sa gestion, sa manipulation ou sa rétention, on en oublie de se poser la question principale : de quoi parle-t-on lorsque nous disons information ? Sans développer ici cette question pour elle-même, il nous faut prendre le temps de la poser parce qu’elle est capitale. Elle soulève en effet le problème du lien entre les acteurs socio-économiques, qui est déterminant pour comprendre les modalités tant du gouvernement que de la gestion des individus.

1. L’information comme flux

On peut considérer, comme le fait le modèle standard, que l’information est un flux entre des individus autonomes, indépendants les uns des autres et centrés sur leurs intérêts. Ils transmettent des messages, des signaux, des données qui forment ce qu’il est convenu d’appeler de l’information. Le schéma est donc d’une grande sim- plicité : des pôles autonomes, les individus, communiquent entre eux par des flux d’information. Les marchés, comme les entreprises, peuvent alors se décrire comme des réseaux de transfert de cette information, que des techniques de contrôle sur les marchés (par exemple la COB, le réseau informatique, etc., pour le marché financier) ou dans l’entreprise (comme le contrôle de gestion, lereporting) doivent rendre trans- parente. La transparence signifiant une mise à disposition du flux auprès de tous les acteurs qui peuvent être concernés par lui. Rappelons que ce modèle standard fait l’hypothèse que :

– les individus sont rationnels et intelligents, ils peuvent et savent interpréter les signaux qu’ils reçoivent ;

– ils sont autonomes, ils définissent leur propre utilité privée, et notamment celle qui les conduit à être concernés par telle ou telle information ;

– tout échange entre eux se repère par des informations réciproques.

Le « client-roi », cher au marketing de la grande consommation, ou l’opérateur boursier, archétype en finance, sont des applications courantes de ces hypothèses dans différentes disciplines de la gestion.

Une si grande simplicité ne peut échapper à quelques interrogations décisives pour les praticiens.

D’abord celui de l’encodage et du décodage de l’information échangée. Il faut supposer qu’il n’y a aucune interprétation de l’information, que celle-ci est indépen- dante des acteurs qui la portent et la transmettent. L’information est un flux « pur », standardisé au sens où son contenu et son système de transmission sont sans influence

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réciproque. Hypothèse aisée sur un tableau noir, mais plus difficile à admettre lorsque les pratiques montrent la modification de l’information par l’interprétation qu’en font les agents, leur intérêt et l’influence, en d’autres termes, de la rationalité sur l’infor- mation. Ainsi peut-on sérieusement admettre qu’entre une agence de publicité et les clients finals d’un produit ne circule qu’une pure information (la publicité), sans observer combien celle-ci cherche à modifier les représentations des clients, leurs goûts, leurs besoins bien davantage que leur connaissance et, inversement, combien elle amplifie les courant de modes, les tendances et les engouements en les médiati- sant ? Les acteurs économiques ne sont pas des postes de transmission passifs, ce sont des producteurs autant que des récepteurs d’informations. Première difficulté donc, qui introduit l’interprétation dans le jeu de l’information.

Seconde difficulté : comment comprendre l’incertitude ? Des individus informés, c’est-à-dire possédant un certain nombre de connaissances à l’égard de leur envi- ronnement, ne peuvent pas nécessairement déduire de l’information acquise une décision à prendre. Il faut, en effet, qu’ils considèrent les règles du jeu dans les- quelles ils évoluent comme stables, de façon à être sûrs que la décision qu’ils pren- nent aujourd’hui aura le même sens dans l’avenir. En d’autres termes, ils doivent recevoir en même temps une information concernant la décision à prendre (par exemple, le prix d’une action) et une information sur les règles du jeu futur (consi- dérer, par exemple, que le marché boursier continuera d’exister, que l’information sur telle entreprise sera comparable, « fiable »). C’est ce que Keynes appelait la confiance dans l’état futur des affaires. L’exemple boursier que nous donnions semble « aller de soi » parce que l’on considère comme acquis que les règles du mar- ché financier seront toujours appliquées dans un horizon acceptable. Mais qu’en est- il si les règles du jeu futur sont largement indéterminées, comme on le constate sur le marché des objets de mode, celui de l’informatique, des télécommunications, ou de l’automobile électrique ? Qu’en est-il si des acteurs économiques situent leurs stratégies au niveau du changement de ces règles du jeu (par exemple, lorsque Apple

« invente » la micro-informatique de bureau contre l’informatique de système dans les années 80) voire sur l’information sur les règles du jeu futur ? (Par exemple, la bataille sur les nouvelles technologies de la communication se gagne aujourd’hui en prévoyant des perspectives de développement qui rendront irréversibles les investis- sements des clients.) Il est donc des situations où le « traitement » de l’information présente n’est pas suffisant car, d’une part, le futur ne peut être déduit du passé et, d’autre part, il dépend des comportements simultanés des autres acteurs écono- miques. Ce sont ces situations que l’on qualifie d’incertitude radicale (Knight 1921, Orléan 1989) et qui supposent que le transfert d’information n’est pas suffisant pour assurer la coordination entre les acteurs4.

4. Situation que l’on trouve bien décrites dans les travaux de la sociologie de l’innovation. Voir, par exemple, Latour (1992).

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Troisième difficulté enfin : la distinction entre des individus d’une part, des infor- mations d’autre part, est assez problématique. Les individus sont eux-mêmes construits par l’information qu’ils manipulent. On peut difficilement supposer qu’ils possèdent des savoirs caractéristiques qui ne se traduisent pas par des transferts cal- culés d’informations, de manière à maintenir la spécificité de leur savoir. Si l’on en reste au pur jeu des calculs privés, tout acteur économique a intérêt à être spécialiste et tout spécialiste a intérêt à maîtriser l’information qu’il communique et qui le repère comme spécialiste. Ainsi, la transparence de l’information est un leurre, un idéal que les hypothèses du modèle rendent elles-mêmes improbables. Plus généralement, l’in- dividu et l’information qu’il traite et transmet sont substantiellement imbriqués : ils se coconstruisent, s’inventent mutuellement. Par exemple, le conseiller financier n’est repéré comme tel que parce qu’il ne transmet pas à tous l’information qu’il possède, interprète ou construit, et vend finalement à son client. Sa spécificité se traduit par une manipulation de connaissances, au sens premier, artisanal du terme, et c’est elle qui le valorise. Autre exemple : le chef de produit qui œuvre dans le champ de la grande consommation ne se contente pas d’enregistrer des signaux l’informant sur les besoins des consommateurs. Sa valeur vient de sa capacité à construire des segments de marché, à bâtir des concepts et des procédures pour repérer une information qu’il juge pertinente et à l’évaluer par des tests de produits, de marché, d’emballage, etc.

2. L’information comme écran

Les problèmes ainsi posés conduisent à prendre au sérieux l’interprétation que l’on fait de l’information. C’est en ce sens que la théorie des conventions a proposé un renversement de perspective. Elle a postulé en effet qu’il existe une logique de la structuration de l’information, et que celle-ci est capitale pour comprendre les com- portements économiques sur les marchés comme dans les entreprises. Il n’y a pas alors d’interprétation universelle de l’information : c’est le « bain social » dans lequel se trouvent les acteurs qui procure le système de règles permettant l’interprétation de l’information qu’ils manipulent et donc finalement de leurs comportements. On déplace donc considérablement le problème : de l’échange d’information on passe à l’observation de l’écran que constituent les règles afin de procurer un système d’in- terprétation de l’information. Si l’apport de la théorie des conventions s’arrêtait là, on la féliciterait de retrouver des évidences de la sociologie, de l’histoire et de la gestion, ce qui ne serait pas si mal dans une culture dominée par le modèle mécaniste de l’éco- nomie standard, mais ce qui ne mériterait pas l’attention dont elle fait l’objet.

Or son originalité consiste essentiellement à ne pas opposer le contexte social et les individus mais à les modéliser simultanément. En effet, s’il est clair que les sciences humaines savent repérer le poids du social sur les comportements, elles le font en plaquant des concepts ad hoc: la culture, l’honneur, l’appartenance, la soli- darité, etc. Il en résulte une dichotomie entre d’un côté les calculs et les intérêts dits

« économiques » (les individus) et de l’autre le groupe et la communauté (le social).

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Dans le cadre de la théorie des conventions, il est impossible de séparer aussi bien conceptuellement que pratiquement l’individu et le système de règles dans lequel il évolue. En ce sens, il s’agit d’un nouveau paradigme et non pas d’un apport supplé- mentaire à la théorie des contrats. En effet, fût-il doué de raison et d’intelligence, l’in- dividu ne peut décider seul, lorsqu’il se trouve en situation d’incertitude. Un choix, une décision et a fortiori une information, n’ont de sens que parce qu’ils sont mesu- rés ; c’est-à-dire confrontés à un système de mesure, une règle. Par exemple, la qua- lité d’un produit ne peut se déduire d’une analyse strictement objective, mais de ce qu’il est normal d’attendre en pareil cas, et par rapport auquel on pourra évaluer si la qualité observée est acceptable ou pas. Cette qualité attendue n’est qu’une consé- quence de ce qui est accepté comme normal par les autres. Ainsi l’individu a besoin des autres pour pouvoir décider… seul. II est contraint de tenir compte du système normal de règles dans lequel il se trouve, et qui donnent du sens à son choix. Or, ce système de règles dépend lui-même de son adoption par les autres acteurs. Ainsi, cha- cun est lié à chacun, non par de l’information, mais par la nécessité de devoir sous- crire aux mêmes règles communes, pour que les calculs particuliers prennent du sens.

L’indépendance de chacun est préservée, mais elle s’inscrit dans une dépendance col- lective. Ainsi on peut choisir, y compris de se comporter en dehors des règles, mais on le fait toujours par rapport à elles. Par exemple, tirer au flanc dans une entreprise ne peut s’interpréter que par rapport à l’intensité de travail considérée comme nor- male d’accomplir : sans observation de l’environnement d’un individu, qui lui procure ses repères, le contenu de son effort ne peut pas s’étalonner.

On appelle convention le système de règles dans lequel se situent les acteurs lors- qu’ils ont à effectuer un choix5. Elle permet de rendre raisonnable, c’est-à-dire de donner une raison, un sens, aux choix individuels. Ce sens est commun : c’est parce que tout le monde est supposé rationaliser d’une certaine façon que chacun agit de la sorte, ce qui confirme que tout le monde agit de la sorte. On peut simplement résu- mer cette démarche intellectuelle en montrant que l’on passe d’une gestion de l’inter- subjectivité (contrats interpersonnels multiples), à une gestion de la régulation (repé- rage et action sur les règles de référence communes).

Les conventions et les individus existent en même temps. Les individus ne peu- vent décider que parce qu’il existe des conventions et les conventions n’existent que parce que des individus les adoptent. Il n’y a pas de terme antécédent, il faut penser

5. La convention répond à une définition théorique très précise (Orléan, 1989 ; Gomez, 1994, 1995, 1996) : il n’est pas possible d’utiliser le concept sans vérifier que des conditions parfaitement repérées sont rem- plies. S’il n’est pas dans le propos du présent article de présenter l’axiomatique de la théorie, rappelons qu’il n’y a convention que si l’on peut mettre en évidence 1. une situation d’indécidabilité objective si elle n’existait pas ; 2. une solution stable, considérée comme raisonnable, normale, évidente ; 3. cinq condi- tions, dites « de Lewis », concernant la conviction de chaque individu sur le comportement d’autrui. La méconnaissance de cette axiomatique conduit parfois à utiliser le terme à tort et à travers, et finalement, de manière préjudiciable à la théorie.

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les deux choses simultanément. La convention n’existe pas en dehors de son adoption par les individus. Inversement, si les individus n’adoptent plus la convention, celle-ci disparaît, ou, si la convention se modifie, les comportements raisonnables qui y font référence se modifient avec elle. Il n’y a pas opposition entre le social (la « culture ») et individu mais une coconstruction. On voit alors que la théorie des conventions sim- plifie fortement l’économie de l’information, comme le montre le schéma précédent.

Au lieu de penser d’innombrables relations d’information entre les individus avec autant de système de signes et de codes, il est possible de réduire l’observation aux liens entre ceux-ci et la convention à laquelle ils font référence. II suffit que chaque individu obtienne des signaux qui lui donnent la conviction que les autres se com- porteront en référence aux règles conventionnelles pour qu’il se comporte lui-même en référence à elles et donc conforte leur existence par un phénomène d’autorenfor- cement. Un exemple élémentaire est donné par l’observation d’un feu de circulation.

Il suffit à un piéton de constater que le feu est rouge pour les voitures, pour qu’il lui paraisse raisonnable de traverser la route, sans tenir compte de la survenue d’un poids lourd ou d’une bicyclette. Dès lors qu’il a la conviction que le système conventionnel est partagé, son choix rationnel est extrêmement simplifié (s’arrêter au rouge, passer au vert). Imaginons sa réaction s’il lui vient un doute quant à l’observation par les autres des règles de circulation : chaque déplacement nécessitera une accumulation et une évaluation particulière d’informations innombrables sur le comportement des autres.

Au total, la théorie des conventions apporte un éclairage socio-économique nou- veau sur les relations entre l’individu et le « bain » social dans lequel il est plongé :

– elle substitue à l’hypothèse de rationalité des individus une hypothèse de ratio- nalisation. On en déduit que l’enjeu des travaux de la gestion ne consiste pas à ana- lyser l’espace socio-économique selon le principe d’une rationalité des acteurs, mais à comprendre comment ils rationalisent, justifient et légitiment leurs pratiques. Pre- mier renversement, qui conduit à s’intéresser davantage aux convictions des acteurs sur les « bonnes pratiques » de gestion (c’est-à-dire les pratiques pour lesquelles ils sont convaincus de l’efficacité) plutôt que sur d’improbables pratiques efficaces en elles-mêmes ;

– elle substitue à l’hypothèse d’autonomie des individus une hypothèse de mimé- tisme rationnel. Dans le cadre conventionnaliste, s’imiter, ou imiter ce que l’on croit être le comportement normal, est la solution raisonnable à l’incertitude. Cela permet d’obtenir un référentiel de comportements par rapport auquel on converge ou diverge.

Second renversement, l’étude des mimétismes rationnels devient un moment essen- tiel des disciplines de gestion, en permettant de comprendre comment se créent ou se dissipent des formes communes de normalisation des comportements ;

– enfin, elle substitue à l’hypothèse d’information entre les individus, une hypo- thèse d’écran d’information. Au lieu de chercher à comprendre l’information comme constituée par des flux innombrables entre les individus, qui cherchent à les cacher ou

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à les rendre « transparents », le modèle conventionnaliste propose de s’intéresser davantage à l’information qui fait écran, qui empêche de douter du comportement des autres en signalant que la norme est respectée. Troisième renversement, il s’agit de prendre en compte ce qui fait que les individus connaissent le comportement prévi- sible des autres. Les signaux et les codes, les contrats indiquent à chacun, non ce que font les autres, comme dans la théorie contractualiste, mais ce qu’ils sont supposés faire normalement (voir Latour et Strum, 1987). Gérer, c’est alors moins organiser l’information entre les individus, comme le veut le modèle contractualiste, que

« l’écran d’information » qui permet aux individus de se trouver dans une position de repérage stable par rapport à leur environnement6.

Le couple convention-individu forme un système de gouvernement. Cela signifie que l’ajustement permanent entre règles conventionnelles et individus constitue une régulation par-delà toutes les politiques de gestion visant explicitement à la consti- tuer. La conviction sur les règles normales fait office de ciment social : voilà pourquoi il est important de s’intéresser à la manière dont se constitue cette conviction.

3. La morphologie d’un système de gouvernement

Revenons à la question de l’information. Nous avons montré que la théorie des conventions permet de simplifier fortement l’économie de l’information en rempla- çant une multitude de relations intersubjectives par un écran de règles convention- nelles. La convention devient donc un objet d’analyse en soi, en dehors de celle du comportement des individus. On cherchera à comprendre comment les systèmes de règles conventionnelles se constituent et se modifient, à quelles lois d’évolution ils obéissent ; Deux séries d’outils ont été forgées pour permettre de décrire et d’analy- ser les conventions comme des systèmes d’information. Les premiers concernent leur morphologie, les seconds leur complexité.

S’agissant de morphologie, on cherche à connaître ce qui structure les conven- tions. Dire qu’il s’agit d’un système d’information qui indique à chacun comment 1es autres sont supposés se comporter n’est pas suffisant. Il faut ouvrir cette boîte noire, montrer qu’il est possible de modéliser de manière générique le contenu d’une convention. En utilisant d’une part les travaux de Bolstanki et Thévenot (1987) et d’autre part la théorie du « système général » (Le Moigne, 1984, 1990), on a pu pro- poser un cadre général permettant de décrire la morphologie de toute convention (Gomez, 1994, 1996) afin de l’appliquer à différents champs7.

Une convention ne peut être considérée comme une construction ex nihilo. Elle est le résultat des comportements des individus qui l’acceptent parce qu’ils sont

6. Voir l’article de G. Marion (1997, p. 78-91).

7. Voir les articles de G. Marion pour le marketing (1997, p. 78-91) et M. Barbier, pour la gestion de l’en- vironnement (1997, p. 100-107).

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convaincus que les autres l’acceptent. La convention transmet donc cette convic- tion sur sa propre généralisation. Elle peut le faire soit par un énoncé, et c’est alors le contenu de l’information que l’on étudie. Elle le fait aussi par un dispositif matériel, et ce sont alors les techniques de transfert de l’information sur les règles en vigueur que l’on observe. Ainsi, la convention peut être décrite selon sa morphologie composée de deux sous-systèmes, chacun décomposable en trois parties :

– Pour l’énoncé :

- le principe supérieur donne l’objet de la convention, ce qui est considéré comme « bien », « positif » « dans les règles conventionnelles »,

- la distinction donne la typologie des différents adopteurs de la convention, les relations hiérarchiques entre eux, leur place relative,

- la sanction donne les motifs d’inclusion ou d’exclusion d’un individu de la convention, la limite entre le normal et le « hors-la-loi » ;

– Pour le dispositif matériel :

- les contacts indiquent comment les acteurs adoptant une même convention sont en relation entre eux, s’ils se rencontrent souvent, dans quelles, conditions, régulières ou spécifiques,

- la technologie indique si le lien entre individus et convention se fait par un média technique, et si cette technique se substitue à l’homme, donc à la capacité d’interpréter les règles,

- la négociation examine le degré de tolérance qui permet l’interprétation des règles sans remettre en cause la convention.

Si l’analyse peut paraître formaliste (ce qui est le propre d’un modèle d’analyse), soulignons que le choix des différents items qui décrivent les conventions est la conséquence d’une analyse rigoureuse qui se déduit des hypothèses de la théorie.

Nous ne pouvons que renvoyer le lecteur aux travaux cités en bibliographie. De plus, une fois ces principes admis, la théorie des conventions prend une dimension nouvelle puisque, si elle permet de décrire un système de gouvernement, elle donne les moyens de l’analyser de manière systématique. La convention n’est pas un mot-valise, ni un concept vague.

Elle synthétise un ensemble de discours (énoncé) et de techniques (dispositif matériel) qui se relient et tressent un référentiel convaincant pour rendre raisonnable le choix des individus. Analyser une convention, ce n’est donc pas analyser un concept : c’est étudier très précisément comment se construit, se repère et se modifie concrètement ce système d’information entre les individus.

Insistons, encore une fois, sur le caractère très général de ce résultat. Tout système de gouvernement associant une convention à des « adopteurs » peut se décrire de la même façon et se comparer, selon les mêmes principes d’analyse, à d’autres systèmes

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de gouvernement, ce qui permet de comparer des entreprises ou des marchés, comme nous le montrerons par la suite.

C’est pour mieux assurer ce type de comparaison qu’une seconde batterie d’outils a été développée. Elle repose sur le principe très simple suivant : puisqu’une conven- tion peut être décrite comme un système d’information, il est possible de lui appli- quer les principes de la théorie générale du système (Le Moigne, 1984). Notamment, il est possible de la caractériser par un certain degré de complexité8. On dira qu’une convention est d’autant plus complexe qu’elle procure beaucoup de signaux différents sur le comportement des agents qui l’adoptent : en d’autres termes, il y a de nom- breuses règles de comportements correspondant aux différentes situations auxquelles les agents peuvent être confrontées. Ainsi, la convention de politesse est l’archétype de la convention complexe, comme peut en témoigner la simple lecture d’un manuel de savoir vivre, mais aussi les nuances « exquises » de la courtoisie. Inversement, une convention peu complexe émet peu de règles mais les répète souvent. Les acteurs sont encore dans un système de gouvernement, mais il leur est laissé, par convention, une grande liberté pour interpréter les règles peu nombreuses en fonction des situations auxquelles ils sont confrontés. La loi du marché est l’archétype de la convention peu complexe, fondée sur des règles simples et systématiquement répétées pour réguler toute situation (laisser faire, laisser passer, ajuster l’offre à la demande, ne pas inter- venir).

La théorie des conventions possède ainsi un système de repérage et de comparai- son des conventions entre elles et qui peut être schématisé entre deux cas extrêmes.

Comme l’ensemble du modèle, cette échelle est, bien entendu, purement heuristique.

Elle permet de repérer des évolutions de conventions, de comparer des systèmes de gouvernement, et non de mesurer un degré absolu. Elle est particulièrement pratique lorsqu’il s’agit de décrire la dynamique des conventions.

Il reste alors à faire le lien entre la morphologie d’une convention et sa com- plexité. On pourra ainsi analyser à la fois la forme que prend la convention et le type plus ou moins complexe de système de gouvernement auquel elle contribue. Un prin- cipe très simple et très utile pour étudier les pratiques est alors introduit : celui de cohérence. On dit que deux éléments de la morphologie d’une convention sont cohé- rents entre eux s’ils agissent dans le même sens sur la complexité (soit ils l’augmen- tent, soit ils la diminuent tout deux) : par exemple, deux éléments qui répètent des règles existantes sont cohérents, ils diminuent tous deux la complexité ; deux élé- ments qui rajoutent chacun des règles sont aussi cohérents, ils augmentent la com- plexité. Mais deux éléments dont l’un répète une règle existant et l’autre en rajoute une nouvelle sont dissonants : ils jouent en sens inverse sur la complexité. Ce principe

8. Au sens strict de la théorie générale de l’information, la complexité est l’inverse de la redondance du système. En termes intuitifs, on dira que moins un système d’information répète la même chose, plus il est complexe.

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simple permet de fonder une analyse de la dynamique des conventions dont l’exposé échappe au présent article, mais dont le lecteur peut se faire une idée intuitive : la plus ou moins grande cohérence d’une convention joue sur sa capacité à être convaincante en tant qu’information sur les comportements supposés d’autrui. Elle sera alors d’au- tant plus facilement adoptée. Par exemple si, dans une entreprise, des signaux tendent à augmenter l’autonomie des individus, donc une interprétation locale des règles, la complexité du système de gouvernement qu’est l’entreprise diminue. Supposons alors que d’autres signaux procurent des règles strictes d’interprétations de l’infor- mation et de comportements à observer : la complexité de la convention constituant l’effort normal dans l’entreprise augmente. L’opposition des deux termes constitue une dissonance qui rend moins claire, donc moins convaincante, la logique des com- portements supposés normaux dans l’entreprise. On verra ainsi le système de gou- vernement que constitue le couple convention-individu se modifier, se conforter ou disparaître. On voit les perspectives qui s’ouvrent pour positionner les disciplines comme des intentions d’amélioration explicites de la cohérence conventionnelle.

Résumons cet exposé des principes élémentaires de la théorie des conventions, en restituant quelques idées forces :

– il s’agit d’un modèle simple des relations entre individu et environnement social. Quels que soient les raffinements de la théorie, la finesse de ses formalisa- tions, les éléments de base que nous avons présentés suffisent à la caractériser pour l’essentiel : une coconstruction auto-organisée des règles et des individus qui y sous- crivent ;

– il s’agit d’un modèle général. Comme le modèle du marché, il permet d’obser- ver avec peu de moyens des situations multiples de régulation sociale. Il permet des explications sans référence à des concepts ad hoccomme la culture, l’habitude, la routine, etc. Il n’est pas besoin d’opposer l’économie au social, le calcul à la culture.

Le couple convention-individu définit un système de gouvernement qui peut s’appli- quer à des champs d’analyse différents ;

– une analyse superficielle peut laisser penser que son propos consiste à introduire en économie et en gestion des considérations que la sociologie, l’anthropologie et l’histoire ont déjà bien formalisées. Sans doute l’utilisation très relâchée du terme convention contribue-t-elle à cette impression vague, et les utilisateurs sinon les pro- moteurs de la théorie ne facilitent-ils pas la clarification du propos en ne prenant pas toujours la peine de manipuler les concepts avec précision. Nous avons essayé de montrer qu’il s’agit d’un modèle au formalisme précis, qui permet d’échapper à l’omnipotence de l’explication par le marché ou d’hypothétiques contrats à condition de prendre au sérieux la rigueur que nécessite son utilisation. Au gestionnaire, il don- nera alors un cadre d’analyse robuste, dans lequel celui-ci pourra situer ses observa- tions pratiques.

Le système de gouvernement composé de conventions et d’individus agit sur les hommes et est agi par eux, Il est en mouvement, se modifie, se renforce ou dis-

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paraît : l’application d’une telle théorie ne peut laisser indifférentes, de ce point de vue aussi, les disciplines du management. Cela d’autant moins qu’elle clarifie la distinction entre gouvernement et gestion, ce que nous allons davantage expliciter.

II. – Conventions et disciplines de gestion : l’échange et l’organisation revisités L’introduction de l’outil « convention » dans le champ de la gestion a un certain nombre d’impacts sur la modélisation des dispositifs de régulation managériale9, comme le montrent les articles de Karsenti et Barbier dans ce numéro. De manière assez radicale, il permet en effet de prendre en compte la modification des règles du jeu comme un moment essentiel des pratiques du management. On échappe alors au formalisme du « tout est marché », dans lequel les règles du jeu sont données une fois pour toutes : maximisation du profit, coûts de production comparables entre entre- prises, etc. On s’intéresse à ce qui permet aux entreprises de créer, dans leur espace socio-économique, une conviction suffisante sur les règles du jeu économique « nor- males », telle que les acteurs les adoptent.

L’avantage du modèle tient dans sa capacité d’application assez générale. Dès lors que nous nous trouvons en situation où des acteurs ne peuvent calculer de manière autonome, parce que leur choix dépendent de ceux des autres, nous pouvons appli- quer les résultats du modèle conventionnaliste. C’est ainsi que le problème central de la gestion, celui de l’alternative entre marché et entreprise, se trouve totalement refor- mulé. La grille d’analyse conventionnaliste s’applique aussi bien à l’échange en défi- nissant une « convention de qualification » qu’à l’entreprise en définissant une

« convention d’effort ».

1. L’échange : des conventions de qualification

Sous l’influence plus ou moins consentie de la théorie des contrats, les gestion- naires ont pris l’habitude de nommer marché tous les espaces d’échange entre les individus. « Aller sur le marché », « conquérir un marché », « faire confiance au mar- ché » constituent des modalités de régulation par excellence, sans que l’on prenne toujours la peine de bien définir de quoi on parle lorsque l’on écrit « marché ».

En effet, si on utilise le terme de manière rigoureuse, le marché est constitué d’un grand nombre d’entreprises et de clients, incapables de changer ses règles de fonc- tionnement et dont les fonctions de production sont comparables. Le marché, si l’on en donne une définition précise, n’est donc pas un lieu d’échange quelconque, mais un espace soumis à des règles d’action très précises, dont la plus importante est la

9. Comme le montrent les articles de C. Karsenti (1997, p. 92-99) et de M. Barbier (1997, p. 100-107).

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persistance d’une pression compétitive par les prix – et dont les acteurs sont inca- pables de modifier les règles. Bien entendu, la théorie économique a amendé, depuis au moins Marschall (1906), l’acception la plus étroite du concept (le « marché pur »), et a introduit des notions comme la concurrence imparfaite ou monopolis- tique pour tenir compte de la diversité des pratiques d’échange. Pourtant, de manière fondamentale, la notion d’une régulation automatique par le jeu de la compétition sur les prix demeure la référence, par rapport à laquelle on définit les situations divergentes donc « imparfaites ». Pour le gestionnaire, la situation n’est pas des plus confortables. En utilisant de manière systématique la notion de marché, il manipule un modèle générique pour tous les échanges (équilibre entre prix et quantité), alors que le propre de son champ consiste justement à repérer et analyser les spécificités dans les logiques de l’échange : le marché du travail n’est pas comparable au marché des actifs financiers ou aux marchés agroalimentaires. La façon dont les acteurs construisent les règles du jeu de l’échange est un point essentiel de l’apport des dis- ciplines de gestion aux connaissances en sciences sociales. Le paradoxe, et l’incon- fort, consistent à faire reposer les analyses de la diversité des règles sur le concept de marché qui, précisément, suppose leur universalité. Il en résulte un phénomène particulièrement frappant : la multiplication des sous-analyses définies comme

« exceptionnelles » par rapport à la logique marchande « pure ». Par exemple, pour ce qui concerne le marketing : le marketing industriel, des services, des organisations à but non lucratif, du luxe, de la mode, etc. Mais on pourrait en dire autant de la finance de marché, d’entreprises, de PME, des associations, etc., champs d’études qui délimitent des spécificités par rapport à une unité disciplinaire (la finance) qui devient alors problématique.

Tous les « marchés » ne sont pas le marché standard

La théorie des conventions peut permettre de résoudre ces paradoxes en rem- plaçant la notion générique de « marché » par celle de « convention régissant les échanges ». Lorsque des individus sont en situations d’échange, ils s’interrogent autant sur le comportement calculé qu’ils doivent avoir pour maximiser leur utilité que sur les règles du jeu qui définissent l’échange : qu’est-ce qui est admis ou interdit, qu’est-ce qui conduit à l’exclusion de l’échange, comment savoir si les autres obéissent aux mêmes règles, etc. ? Dans une seule journée, un individu quel- conque passe ainsi, de référentiels d’échange en référentiels d’échange dont il sait repérer les règles parce qu’il les a appris, par mimétisme : il adaptera son compor- tement à chacune d’elles. Ainsi, nous le voyons prendre un taxi, discuter avec son médecin, négocier un prêt bancaire, chercher un emploi, etc. Peu de contrats pas- sés mais des comportements, des évaluations de la prestation obtenue, des déco- dages, des signaux, etc., qui n’ont de réalité que parce qu’ils sont référencés aux règles conventionnelles de l’échange. Car à chaque fois il y a bien échange éco- nomique, mais les règles qui régissent chacun d’eux sont spécifiques et donnent le

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référentiel des choix à effectuer (accepter les termes de l’échange, trouver chère la prestation, participer ou non à sa réalisation, etc.). L’espace économique est ainsi tissé de conventions qui portent sur la qualité du fournisseur et du client : qui fait quoi dans le jeu de la division sociale du travail ? L’apprentissage social conduit à reconnaître cette division, c’est-à-dire les qualifications réciproques qui régissent, par convention, les différents espaces d’échange, et les règles du jeu qu’il faut jouer en chaque cas.

Dès lors, les comportements « normaux » du client et du fournisseur sont connus et supposés partagés, et c’est par rapport à eux que chacun se repère. Chaque espace d’échange est repérable comme un système de gouvernement, associant des individus (clients, fournisseurs) et des conventions de qualification (système de repérage par- tagé par un nombre suffisant d’adopteurs).

On voit que l’on peut facilement substituer la notion de « marché », qualifiant tout échange selon des règles strictes, par celle de convention de qualification, décrivant, pour chaque échange, les règles du jeu particulières qui s’y appliquent. La convention de qualification précise les rôles respectifs des acteurs de l’échange et convainc, par une série de signaux et de codes cohérents, que ces règles sont généralement obser- vées, donc normales.

Observer les marchés comme des conventions de qualification conduit à ouvrir aux disciplines de gestion des perspectives nouvelles. Il est possible, en effet, de fon- der des analyses renouvelées sur la génération, l’évolution, ou la modification des règles du jeu qui prévalent lors de l’échange (pour un exemple, voir Boyer et Orléan, 1991). Sur le plan méthodologique, la théorie des conventions donne à ces recherches une ossature conceptuelle et des outils formels (énoncé, dispositif, com- plexité, cohérence, etc.). Au centre de ces analyses, il y a la conviction sur la géné- ralisation des règles du jeu. On peut repérer, de ce point de vue, comment les énon- cés et les dispositifs matériels évoluent et avec eux, les règles et les comportements.

Le contenu des conventions de qualification, leur histoire deviennent des objets d’étude en soi. Les espaces d’échanges ne sont pas figés. Ils n’évoluent pas de manières abruptes et séquentielles par des chocs toujours exogènes, comme le veut l’approche par les « marchés » : changement subit des « besoins » des clients, inter- nationalisation, nouveau compétiteur, innovation technologique – dont on ne sait jamais d’où ils viennent, pourquoi ils sont acceptés, etc. Dans le cadre convention- naliste, les modifications sont endogènes, elles émanent de la modification de la conviction des adopteurs sur ce qu’il est « normal » de faire. En utilisant les outils du modèle, il est possible de repérer comment de petites évolutions, des modifica- tions à la marge, peuvent entraîner des variations fortes de la convention de qualifi- cation. Le champ de la dynamique des espaces de l’échange est donc ouvert, et reste, aujourd’hui, largement à défricher.

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Le marché standard, une convention particulière

Est-ce à dire qu’une approche conventionnaliste de l’échange évacue la notion de marché ? Nous avons dit que la convention de qualification décrit un système de gou- vernement associant des individus à une convention qui régule l’échange : règles et comportements s’imbriquent, se reflètent, se construisent mutuellement. On peut ainsi décrire un grand nombre de systèmes de gouvernement des échanges, selon les objets échangés, les lieux de l’échange, etc. Or un système de gouvernement pos- sible, parmi d’autres, est celui du marché « standard » : ajustement entre l’offre et la demande par une « main invisible », compétition par les prix. Il est possible de mon- trer (Gomez, 1994) qu’il s’agit d’une convention de qualification particulière, à faible complexité (répétitions de règles identiques comme le fameux « laisser faire », le prix comme signal universel, maintien réel ou artificiel de la pression compé- titive). La compétition entre les acteurs est la norme de régulation, qui interdit toute transformation des règles du jeu par la pression qu’elle exerce. On peut l’opposer au cas extrême opposé, celui d’une convention de qualification très complexe, dans laquelle le système de règles stipule une forte individualisation de l’échange, des relations personnalisées entre le fournisseur et son client qui lui délègue son pouvoir de décision, donc de multiples règles et signaux, le prix ayant un rôle secondaire : tel est le cas, par exemple, de la relation entre un patient et son médecin (pour un exemple, voir Karpik, 1989). Si l’on reprend le schéma général, on peut ainsi posi- tionner ces cas extrêmes (figure 1).

De manière heuristique, on peut alors mettre en évidence :

– que l’existence de marché « pur » n’est pas incompatible avec le modèle conven- tionnaliste. Au contraire, celui-ci l’intègre comme un cas particulier intéressant, bien qu’extrême. Par exemple, la grande distribution et un bon cas classique de convention de qualification fondée sur la compétition qui la rapproche des règles du « marché pur » ;

Figure 1

LES DEUX CAS EXTRÊMES DE CONVENTION

Échelle de repérage heuristique Convention peu complexe.

Les échanges sont fondés sur la compétition

Convention très complexe.

Les échanges sont fondés sur la « délégation »

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– que, a contrario, il existe un spectre large définissant l’espace des échanges.

L’utilisation des outils conventionnalistes, dans la mesure où ils sont systématiques, permet de comparer entre elles des conventions de qualification, de repérer leurs mutations comme des déplacements dans le spectre précédent. De montrer par exemple de quelles manières, selon quelles modalités et par quelles étapes, le secteur bancaire a évolué durant la décennie 80 pour se rapprocher du modèle « compétition » tout en maintenant la conviction des clients sur sa « qualification », c’est-à-dire le rôle économique et social qu’il est supposé tenir.

2. L’organisation : une convention d’effort

Si la théorie des conventions renouvelle l’approche de l’échange, elle le fait de manière plus radicale peut-être pour ce qui concerne l’entreprise. Nous ne faisons que donner les éléments essentiels pour comprendre ce renversement10.

Convention d’effort versus contrats d’agence

À la suite des travaux pionniers de Leibenstein (1976, 1978a, 1978b, 1987), il est possible de concevoir la firme comme une « convention d’effort ». Les parties pre- nantes (stakeholders) associées à l’entreprise (salariés, dirigeants, clients, proprié- taires, etc.) sont intéressées, d’une manière ou d’une autre, à la poursuite de son acti- vité. Or ils se trouvent dans une situation d’incertitude radicale quant à son avenir, parce que la rationalité du comportement de l’un dépend du comportement des autres.

Ainsi, le salarié peut s’impliquer dans son travail dans la mesure où il suppose que l’actionnaire poursuivra son investissement, que le gestionnaire décidera de la meilleure stratégie… L’actionnaire ne peut calculer son intérêt futur que s’il suppose les salariés suffisamment impliqués pour atteindre les objectifs, et le gestionnaire suf- fisamment compétent pour les définir avec justesse, etc. On sait que la théorie de l’agence tente de résoudre ces problèmes en supposant des contrats d’agence entre toutes les parties et une maximisation de l’intérêt individuel par minimisation des coûts d’agence. Mais, d’une part, elle le fait de manière extrêmement partielle, puis- qu’elle s’intéresse presque exclusivement aux relations entre gestionnaires et action- naires, ce qui n’est qu’une partie faiblement émergée de l’iceberg. D’autre part, elle conduit à des modèles très sophistiqués, multipliant les relations intersubjectives croi- sées, les calculs et les coûts, et s’éloignant de ce fait d’une modélisation globale et utilisable du phénomène entreprise.

Ici encore, la théorie des conventions renverse la perspective. Au lieu de s’inté- resser aux transferts d’information privés entre les stakeholders, elle cherche à décrire leur référentiel commun. En d’autres termes, elle cherche à modéliser ce qui

10. Nous renvoyons à la bibliographie finale et à l’article de J.-L. Le Moigne (1997, p. 108-113).

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fait écran, le système d’information entre les parties prenantes qui leur permet de se convaincre que les règles du jeu dans lesquelles elles évoluent sont partagées. Chaque effort individuel ne prend sens que par rapport à ce qui est supposé être l’effort col- lectif, ou, plus exactement, l’effort que chacun est supposé effectuer. Un exemple intuitif est donné, nous l’avons déjà indiqué, par la définition du « tire au flanc » : il n’y a pas d’acception universelle du terme. Dans chaque entreprise, en fonction des règles considérées comme normales, le tire au flanc est désigné par antithèse du sala- rié « normal »11. Ce sont donc les règles de travail « normales » qui donnent la mesure de l’excès, du dépassement. Ces règles ne sont pas édictées par un règlement : elles sont construites par l’expérience, la coutume, la routine, l’histoire des groupes d’acteurs tout autant que par des décisions de gestion et le contrôle de celles-ci, etc.

Encore une fois, nous retrouvons la logique d’un système de gouvernement. Il permet de définir l’entreprise comme un couple individu-convention d’effort. Le comporte- ment des premiers confirme les règles conventionnelles qui donnent du sens aux com- portements dans un système auto-organisé.

On retrouve une conception de l’entreprise comme organisation qui est celle de Simon et March. L’entreprise n’est pas un marché interne, les règles qui la construi- sent n’ont rien de comparables avec celles qui prévalent pour définir les échanges.

L’entreprise est une « organisation contre le marché » (Favereau, 1989b) qu’il faut observer en tant que telle. Elle normalise différemment les relations entre les indivi- dus, dans une logique qui n’est pas celle de l’échange mais celle de la contribution à un objectif commun. À la régulation par la répartition des qualifications, elle oppose la régulation par la répartition des efforts. Nous sommes donc placés devant deux sys- tèmes de gouvernement différents : convention de qualification, qui définit les échanges ; convention d’effort, qui définit le travail en commun. Faire de la firme un marché, c’est la nier dans sa spécificité de convention gouvernant les efforts12.

Un modèle de synthèse de la firme

L’avantage du recours au modèle conventionnaliste est de pouvoir repérer l’entre- prise selon des critères systématiques. Si chaque entreprise est une convention d’ef- fort particulière, la manière de l’analyser relève d’une logique méthodologique déjà

11. Le lecteur familier de la théorie des coûts de transaction aura noté que l’approche est diamétralement opposée de celle de Williamson : chez cet auteur, l’opportunisme donc le « tire au flanc » est rationnel donc

« normal », et le contrat le circonscrit au minimum pour que l’entreprise puisse exister. Le contrat s’éta- blit par rapport à l’opportunisme. Dans la théorie des conventions, au contraire la norme est construite par la convention, c’est-à-dire l’adoption de règles qui font référence et c’est par rapport à elles que l’on peut éventuellement diverger, et donc tirer au flanc. L’opportunisme se définit par rapport à la convention qui est centrale pour l’analyste.

12. Ce que les praticiens, les moins dupes de l’idéologie ambiante, ont constaté : la logique marchande appliquée à la firme d’une part exacerbe l’individualisme (surenchère sur les salaires des meilleurs, chan- tage au départ), d’autre part est contre-productive en multipliant les négociations marchandes dans la firme.

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décrite : énoncé et dispositif matériel. Comme convention d’effort, l’entreprise génère de la conviction sur les règles de l’effort « normal », souscrites et attendues par les différentes parties prenantes. On devra donc mettre en lumière la manière dont cette conviction est partagée, les discours qui la portent, les canaux qui la véhiculent, la façon dont les règles sont articulées, répétées, soumises à cohérence. Dans cette pers- pective, les travaux sur la « culture » d’entreprise peuvent trouver un fondement conceptuel et analytique qui leur font souvent défaut ou qui ne les opposent pas radi- calement aux dimensions économiques de l’entreprise. La fidélité, le goût du travail, bien fait ou la « logique de l’honneur » sont à présent justifiés théoriquement (et a fortioridans les pratiques) au même titre que l’opportunisme ou l’intérêt privé : le système de règles est un système de régulation qui permet de rendre « rationnelles » (i.e. de pouvoir rationaliser) ces différentes pratiques. Il n’y a plus d’étrangeté, ni de caractéristiques nationales, mais une logique repérable de règles cohérentes, convain- cantes qui construisent le cadre de référence dans lequel se repère le travail.

Enfin, comme pour les espaces d’échange, et de manière plus générale comme pour toute convention, la convention d’effort qui caractérise chaque entreprise est évolutive. Les éléments qui la composent se modifient, intentionnellement ou non. La cohérence globale est amoindrie ou renforcée, les convictions quant aux règles « nor- males » s’amenuisent ou se confortent. La firme est un système dynamique qui modi- fie ses règles, se fortifie ou disparaît. On retrouve une conception évolutionniste que les travaux de Nelson et Winter, ou ceux de Argyris sur l’apprentissage organisation- nel, ont rendue familière et qui, ici, sont unifiés dans un même modèle analytique.

Conclusion : une théorie des règles du jeu économique

La théorie des conventions se propose d’être une théorie des règles du jeu, plutôt qu’une théorie des jeux. En cela, elle a beaucoup à attendre de son appropriation par les spécialistes des disciplines de gestion. Qu’est-ce en effet que la gestion sinon le jeu dans les règles mais, davantage, le jeu contre les règles : différenciation des pro- duits, modification d’organisation, innovation, entrepreneuriat, etc. Ce sont les mani- festations communes de cette constante mise en cause des normes, des routines qui conduisent à contourner les situations acquises, les discours dominants, les habitudes organisationnelles pour créer de nouvelles positions de dominations économiques. La logique du « changement » est consubstantielle à notre mode de croissance : elle exprime la tension qui s’exerce sur les règles économiques dont les modifications sont l’enjeu des stratégies gagnantes sur les marchés comme des renversements des positions de pouvoir dans les entreprises. Le modèle conventionnaliste permet de comprendre cette logique, mais plus encore, il permet d’en formaliser l’évolution. Il place au centre de ses interprétations l’ajustement permanent entre comportements et règles par le biais de la conviction sur le partage de celles-ci. Son appareillage formel est relativement simple, et d’usage général. Les conventions s’emboîtent les unes

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dans les autres, construisent la trame sociale, mais sont repérées et décrites selon une grille commune.

De nombreuses pistes de recherche s’ouvrent alors pour comprendre comment les conventions « s’emboîtent verticalement », c’est-à-dire se consolident à différents niveaux de coordination. Par exemple, le niveau de l’entreprise, puis d’un atelier en son sein, puis d’une équipe dans l’atelier, chaque niveau renvoyant à une même convention d’effort.

D’autres pistes s’ouvrent, en second lieu, pour comprendre comment les conven- tions « s’emboîtent horizontalement ». Les individus sont gouvernés par différents systèmes conventionnels, dont les articulations sont particulièrement importantes pour comprendre les différentes pratiques de gestion. D’où le problème de l’influence réciproque de conventions de qualification différentes : peut-on repérer en quoi, par exemple, la modification d’une profession agit sur celle d’une autre profession13?

Enfin, l’analyse des relations entre conventions de nature différente (qualification et effort par exemple) ouvre une troisième catégorie de pistes de recherche. L’intérêt du modèle consiste en effet à différencier fortement l’entreprise et le marché. Dans l’alternative entre firme et marché, il distingue l’organisation, qui possède un objec- tif commun, et l’espace d’échange (dont une forme particulière est le marché « pur ») qui, lui, repose sur des qualifications distinctives et repérées des clients et des pro- ducteurs. L’intérêt est qu’il les traite l’un et l’autre avec le même paradigme d’ana- lyse. Ainsi est-il légitime de se demander en quoi les conventions de qualification (conviction sur le rôle social de l’entreprise) agissent sur les conventions d’effort (conviction sur le rôle de l’individu dans l’entreprise) et vice versa: cela permet, par exemple, de redéfinir des problématiques comme celle de la qualité repensée comme un ajustement dynamique entre les deux conventions (Eymard Duvernay, 1989, 1993 ; Gomez, 1994).

Si les analyses stratégiques peuvent trouver dans la dynamique des conventions un support théorique, celles qui concernent les « politiques générales d’entreprise » devraient particulièrement s’intéresser aux ajustements permanents entre la conven- tion d’effort sur laquelle reposent l’organisation et la convention de qualification, qui donnent du sens au rôle et à la place de l’entreprise dans l’espace des échanges. Il y a une unification des représentations, qui ne signifie pas pour autant une unification des pratiques. En effet, la différence radicale entre le modèle conventionnaliste et le modèle contractualiste du « tout est marché », que nous décrivions en introduction à cet article, est d’ordre épistémologique. Le marché est, en effet, à la fois un modèle d’analyse et un modèle de gouvernement, au sens où nous l’entendons ici. Il institue une certaine forme d’échanges et postule que ce type d’échange est la « norme ». Il

13. Voir l’article de M. Barbier (1997, p. 100-107) et les remarques de M. Marchesnay (1997, p. 114-123).

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se veut donc simultanément positif et normatif. De là vient l’inconfort quant à son uti- lisation : on ne sait jamais s’il permet de dire ce qui est ou ce qui devrait être, ce qui relève du modèle d’analyse et ce qui relève des pratiques observées ou imposées.

La théorie des conventions ne doit pas conduire à cette impasse : elle se pose clai- rement comme un modèle heuristique d’analyse de la manière dont les échanges et les organisations se gouvernent. La grille de lecture est à ambition universaliste, dans la mesure où elle peut s’appliquer à de nombreuses situations socio-économiques.

Pourtant, il n’en résulte pas de système de gouvernement à privilégier : il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises conventions, il n’y a que des logiques de gestion contribuant ou non à les rendre cohérentes. En séparant modèles et pratiques, l’approche conven- tionnaliste donne des outils d’analyse mais ne fait aucun choix à la place du réel.

Nous avons introduit, dans cet article, la notion fondamentale de système de gou- vernement comme association d’individus libres et de règles conventionnelles qu’ils instituent en les adoptant. Qui alors gouverne le gouvernement ? Telle est la question qu’il faut se poser pour replacer les disciplines de gestion dans cette perspective, comme nous incitions à le faire au début de cet article. La réponse à cette question est sans ambiguïté : « ça se gouverne », en dehors de toute intervention spécifique, parce que comportements et conventions se réfléchissent et se régulent mutuellement. Il n’y a aucune autorité supérieure qui organiserait le système. Il s’auto-organise et s’auto- régule, au terme de la conviction partagée par les acteurs. Il suffit d’observer une entreprise pour comprendre le phénomène : en dehors de toute « loi » explicite, les acteurs construisent des règles, élaborent des normes, des routines, des habitudes qui tissent la convention d’effort, caractéristique de la firme. De même en est-il sur les marchés, que les États n’instituent pas ex nihilo, ni ne contrôlent par définition. Cela ne signifie pas que les lois et les règles sont inefficaces mais, plus modestement, qu’elles participent, parmi d’autres règles et souvent pour les signaler plus claire- ment, aux systèmes qui nous gouvernent sans les déterminer. La coutume est la pre- mière des lois. Aussi, il serait assez naïf d’imaginer qu’un dieu omnipotent (le ges- tionnaire, le législateur) crée ou modifie toutes les règles de l’organisation ou du marché. Aucune force ne peut imposer une règle explicite si la conviction manque quant à sa légitimité, sa cohérence ou son intérêt14. Ainsi « ça se gouverne », comme, par ailleurs, « ça parle », sans qu’on imagine qu’un cerveau omniscient a inventé toutes les règles de cette convention particulière qu’est le langage.

Conséquence essentielle : une partie importante de la régulation des organisations et des échanges se fait donc sans volonté directrice définie. Quelle est donc la place de la gestion dans cet ordre spontané des choses ? Le gouvernement n’est pas la ges- tion. Le premier relève de l’auto-organisation associant hommes et règles : c’est un

14. On comparera ainsi, pour parler à l’intuition du lecteur, l’efficacité des lois antitabac en France et celle de la pression sociale exercée de multiples façons (dont celle de la loi) contre la tabagie aux États-Unis !

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système, et on cherchera à comprendre selon quelle logique il est cohérent, donc convaincant et finalement effectif15. La gestion suppose, quant à elle, une action volontaire et calculée ayant pour objectif de conforter ou de modifier le système de gouvernement, en jouant sur les règles, selon un principe d’efficacité explicite : c’est une pratique visant à agir sur le système. Il y a donc un substrat composé de règles et de comportements : le système de gouvernement ; on peut dire ainsi qu’en dehors de toute action spécifique en ce sens, les hommes sont gouvernés, soumis à la discipline des règles auxquelles ils souscrivent par mimétisme. C’est sur ce substrat qu’agit la gestion, comme tentative pour le manipuler. Bien sûr, l’exercice de ce pouvoir est conventionnellement admis : ainsi le gestionnaire, comme le législateur, doivent être légitimes, c’est-à-dire inscrits dans le système de gouvernement.

De ce point de vue, les disciplines de gestion cherchent à éclairer comment on agit sur les règles du gouvernement, par des interventions sur l’énoncé et/ou sur le dispo- sitif matériel des conventions. Elles permettent de comprendre comment se modifie, par conséquent, la cohérence interne des conventions, augmentant ou diminuant par là leurs forces de conviction. La gestion exerce un rôle bien plus modeste que celui qu’on voudrait lui faire jouer, puisqu’elle s’inscrit dans un système de régulation qui l’englobe. Rôle bien plus difficile aussi. Car savoir que les pratiques de gestion s’ins- crivent dans des systèmes de gouvernement, ne peuvent y échapper mais y participent aussi, malgré elles, c’est rendre plus délicate encore la recherche de la « bonne » déci- sion. Mais ce même savoir donne le moyen de repérer les cohérences et les disso- nances d’un système et donc de procurer à l’action du gestionnaire, le repère qui lui donne du sens. C’est en quoi l’apport des disciplines de gestion au modèle conven- tionnaliste sera déterminant et pourrait permettre, en générant un courant de travaux multidisciplinaires, son appropriation par les sciences de gestion.

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15. À la différence du modèle utilisé par la sociologie des organisations de Crozier et Friedberg, l’acteur n’est jamais autonome par rapport au système que forme la convention, il ne peut agir sur lui, mais que par rapport à lui. Voir sur cette question Defalvard (1992) et Gomez (1996).

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