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Philosophie des mathématiques : textes choisis

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Academic year: 2022

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Philosophie des mathématiques : textes choisis

1. Henri Poincaré (1854-1912) 2. David Hilbert (1862-1943) 3. Alain (1868-1951)

4. Paul Valéry (1871-1945) 5. Nicolas Bourbaki (1934) 6. Henri Cartan (1904-2008) 7. Jean Dieudonné (1906-1992) 8. André Weil (1906-1998) 9. Gustave Choquet (1915-2006) 10. Laurent Schwartz (1915-2002) 11. Roger Godement (1921-2016)

12. Alexandre Grothendieck (1928-2014)

______________

1. Henri Poincaré (1854-1912).

Voici le texte de la célèbre conférence de Henri Poincaré publiée dans le Bulletin de l'Institut Général Psychologique, 8ème année, n° 3, mai-juin 1908, p. 175-187. Cette conférence a servi de point de départ à l'étude de Jacques Hadamard, Essai sur la psychologie de l'invention dans le domaine mathématique (1959) actuellement publiée chez Jacques Gabay. On trouvera dans l'auto- biographie de Laurent Schwartz, Un mathématicien aux prises avec le siècle (1997), le récit de sa découverte des distributions, une nuit de 1944, après des années de réflexion souterraine, qui illustre bien les analyses de Poincaré et Hadamard.

L’Invention mathématique

La genèse de l’Invention mathématique est un problème qui doit inspirer le plus vif intérêt au psychologue. C’est l’acte dans lequel l’esprit humain semble le moins emprunter au monde extérieur, où il n’agit ou ne paraît agir que par lui-même et sur lui-même, de sorte qu’en étudiant le processus de la pensée géométrique, c’est ce qu’il y a de plus essentiel dans l’esprit humain que nous pouvons espérer atteindre.

On l’a compris depuis longtemps, et il y a quelques mois une revue intitulée L'Enseignement Mathématique et dirigée par MM. Laisant et Fehr, a entrepris une enquête sur les habitudes d’esprit et les méthodes de travail des différents mathématiciens. J’avais arrêté les principaux traits de ma conférence quand les résultats de cette enquête ont été publiés ; je n’ai donc guère pu les utiliser, je me bornerai à dire que la majorité des témoignages confirment mes conclusions, je ne dis pas l’unanimité, car quand on consulte le suffrage universel, on ne peut se flatter de réunir l’unanimité.

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Un premier fait doit nous étonner, ou plutôt devrait nous étonner, si nous n’y étions si habitués. Comment se fait-il qu’il y ait des gens qui ne comprennent pas les mathématiques

? Si les mathématiques n’invoquent que les règles de la logique, celles qui sont acceptées par tous les esprits bien faits ; si leur évidence est fondée sur des principes qui sont communs à tous les hommes et que nul ne saurait nier sans être fou, comment se fait-il qu’il y ait tant de personnes qui y soient totalement réfractaires ?

Que tout le monde ne soit pas capable d’invention, cela n’a rien de mystérieux. Que tout le monde ne puisse retenir une démonstration qu’il a apprise autrefois, passe encore.

Mais que tout le monde ne puisse pas comprendre un raisonnement mathématique au moment où on le lui expose, voilà qui paraît bien surprenant quand on y réfléchit. Et pourtant ceux qui ne peuvent suivre ce raisonnement qu’avec peine sont en majorité : cela est incontestable et l’expérience des maîtres de l’enseignement secondaire ne me contredira certes pas.

Et il y a plus : comment l’erreur est-elle possible en mathématiques ? Une intelligence saine ne doit pas commettre de faute de logique, et cependant il y a des esprits très fins, qui ne broncheront pas dans un raisonnement court tel que ceux que l’on a à faire dans les actes ordinaires de la vie, et qui sont incapables de suivre ou de répéter sans erreur les démonstrations des mathématiques qui sont plus longues, mais qui ne sont après tout qu’une accumulation de petits raisonnements tout à fait analogues à ceux qu’ils font si facilement. Est-il nécessaire d’ajouter que les bons mathématiciens eux-mêmes ne sont pas infaillibles ?

La réponse me semble s’imposer. Imaginons une longue série de syllogismes, et que les conclusions des premiers servent de prémisses aux suivants : nous serons capables de saisir chacun de ces syllogismes, et ce n’est pas dans le passage des prémisses à la conclusion que nous risquons de nous tromper. Mais entre le moment où nous rencontrons pour la première fois une proposition, comme conclusion d’un syllogisme, et celui où nous la retrouvons comme prémisse d’un autre syllogisme, il se sera écoulé parfois beaucoup de temps, on aura déroulé de nombreux anneaux de la chaîne ; il peut donc arriver qu’on l’ait oubliée ; ou, ce qui est plus grave, qu’on en ait oublié le sens. Il peut donc se faire qu’on la remplace par une proposition un peu différente, ou que, tout en conservant le même énoncé, on lui attribue un sens un peu différent, et c’est ainsi qu’on est exposé à l’erreur.

Souvent le mathématicien doit se servir d’une règle : naturellement il a commencé par démon-trer cette règle ; et au moment où cette démonstration était toute fraîche dans son souvenir il en comprenait parfaitement le sens et la portée, et il ne risquait pas de l’altérer.

Mais ensuite il l’a confiée à sa mémoire et il ne l’applique plus que d’une façon mécanique

; et alors si la mémoire lui fait défaut, il peut l’appliquer tout de travers. C’est ainsi, pour prendre un exemple simple et presque vulgaire, que nous faisons quelquefois des fautes de calcul parce que nous avons oublié notre table de multiplication.

À ce compte, l’aptitude spéciale aux mathématiques ne serait due qu’à une mémoire très sûre, ou bien à une force d’attention prodigieuse. Ce serait une qualité analogue à celle du joueur de whist, qui retient les cartes tombées ; ou bien, pour nous élever d’un degré, à celle du joueur d’échecs qui peut envisager un nombre très grand de combinaisons et les garder dans sa mémoire. Tout bon mathématicien devrait être en même temps bon joueur d’échecs et inversement ; il devrait être également un bon calculateur numérique. Certes, cela arrive quelquefois, ainsi Gauss était à la fois un géomètre de génie et un calculateur très précoce et très sûr.

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Mais il y a des exceptions, ou plutôt je me trompe, je ne puis pas appeler cela des exceptions, sans quoi les exceptions seraient plus nombreuses que les cas conformes à la règle. C’est Gauss, au contraire, qui était une exception. Quant à moi, je suis obligé de l’avouer, je suis absolument incapable de faire une addition sans faute. Je serais également un fort mauvais joueur d’échecs ; je calculerais bien qu’en jouant de telle façon je m’expose à tel danger ; je passerais en revue beaucoup d’autres coups que je rejetterais pour d’autres raisons, et je finirais par jouer le coup d’abord examiné, ayant oublié dans l’intervalle le danger que j’avais prévu.

En un mot ma mémoire n’est pas mauvaise, mais elle serait insuffisante pour faire de moi un bon joueur d’échecs. Pourquoi donc ne me fait-elle pas défaut dans un raisonnement mathématique difficile où la plupart des joueurs d’échecs se perdraient ? C’est évidemment parce qu’elle est guidée par la marche générale du raisonnement. Une démonstration mathématique n’est pas une simple juxta-position de syllogismes, ce sont des syllogismes placés dans un certain ordre, et l’ordre dans lequel ces éléments sont placés est beaucoup plus important que ne le sont ces éléments eux-mêmes. Si j’ai le sentiment, l’intuition pour ainsi dire de cet ordre, de façon à apercevoir d’un coup d’œil l’ensemble du raisonnement, je ne dois plus craindre d’oublier l’un des éléments, chacun d’eux viendra se placer de lui-même dans le cadre qui lui est préparé, et sans que j’aie à faire aucun effort de mémoire.

Il me semble alors, en répétant un raisonnement appris, que j’aurais pu l’inventer ; ce n’est souvent qu’une illusion ; mais, même alors, même si je ne suis pas assez fort pour créer par moi-même, je le réinvente moi-même, à mesure que je le répète.

On conçoit que ce sentiment, cette intuition de l'ordre mathématique, qui nous fait deviner des harmonies et des relations cachées, ne puisse appartenir à tout le monde. Les uns ne posséderont ni ce sentiment délicat, et difficile à définir, ni une force de mémoire et d’attention au-dessus de l’ordinaire, et alors ils seront absolument incapables de com- prendre les mathématiques un peu élevées ; c’est le plus grand nombre. D’autres n’auront ce sentiment qu’à un faible degré, mais ils seront doués d’une mémoire peu commune et d’une grande capacité d’attention. Ils apprendront par cœur les détails les uns après les autres, ils pourront comprendre les mathématiques et quelquefois les appliquer, mais ils seront hors d’état de créer. Les autres enfin posséderont à un plus ou moins haut degré l’intuition spéciale dont je viens de parler et alors non seulement ils pourront comprendre les mathématiques, quand même leur mémoire n’aurait rien d’extraordinaire, mais ils pourront devenir créateurs et chercher à inventer avec plus ou moins de succès, suivant que cette intuition est chez eux plus ou moins développée.

Qu’est-ce, en effet, que l’invention mathématique ? Elle ne consiste pas à faire de nouvelles combinaisons avec des êtres mathématiques déjà connus. Cela, n’importe qui pourrait le faire, mais les combinaisons que l’on pourrait former ainsi seraient en nombre infini, et le plus grand nombre serait absolument dépourvu d’intérêt. Inventer, cela consiste précisément à ne pas construire les combinaisons inutiles et à construire celles qui sont utiles et qui ne sont qu’une infime minorité. Inventer, c’est discerner, c’est choisir.

Comment doit se faire ce choix, je l’ai expliqué ailleurs ; les faits mathématiques dignes d’être étudiés, ce sont ceux qui, par leur analogie avec d’autres faits, sont susceptibles de nous conduire à la connaissance d’une loi mathématique de la même façon que les faits expérimentaux nous conduisent à la connaissance d’une loi physique. Ce sont ceux qui nous révèlent des parentés insoupçonnées entre d’autres faits, connus depuis longtemps, mais qu’on croyait à tort étrangers les uns aux autres.

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Parmi les combinaisons que l’on choisira, les plus fécondes seront souvent celles qui sont formées d’éléments empruntés à des domaines très éloignés ; et je ne veux pas dire qu’il suffise pour inventer de rapprocher des objets aussi disparates que possible ; la plupart des combinaisons qu’on formerait ainsi seraient entièrement stériles ; mais quelques-unes d’entre elles, bien rares, sont les plus fécondes de toutes.

Inventer, je l’ai dit, c’est choisir ; mais le mot n’est peut-être pas tout à fait juste, il fait penser à un acheteur à qui on présente un grand nombre d’échantillons et qui les examine l’un après l’autre de façon à faire son choix. Ici les échantillons seraient tellement nombreux qu’une vie entière ne suffirait pas pour les examiner. Ce n’est pas ainsi que les choses se passent. Les combinaisons stériles ne se présenteront même pas à l’esprit de l’inventeur. Dans le champ de sa conscience n’apparaîtront jamais que les combinaisons réellement utiles, et quelques autres qu’il rejettera, mais qui participent un peu des caractères des combinaisons utiles. Tout se passe comme si l’inventeur était un examinateur du deuxième degré qui n’aurait plus à interroger que les candidats déclarés admissibles après une première épreuve.

Mais ce que j’ai dit jusqu’ici, c’est ce qu’on peut observer ou inférer, en lisant les écrits des géomètres, à la condition de faire cette lecture avec quelque réflexion.

Il est temps de pénétrer plus avant et de voir ce qui se passe dans l’âme même du mathématicien. Pour cela, je crois que ce que j’ai de mieux à faire, c’est de rappeler des souvenirs personnels. Seu-lement, je vais me circonscrire et vous raconter comment j’ai écrit mon premier mémoire sur les fonctions fuchsiennes. Je vous demande pardon, je vais employer quelques expressions techniques, mais elles ne doivent pas vous effrayer, vous n’avez aucun besoin de les comprendre. Je dirai, par exemple, j’ai trouvé la démonstration de tel théorème dans telles circonstances, ce théorème aura un nom barbare, que beaucoup d’entre vous ne connaîtront pas, mais cela n’a aucune importance ; ce qui est intéressant pour le psychologue, ce n’est pas le théorème, ce sont les circonstances.

Depuis quinze jours, je m’efforçais de démontrer qu’il ne pouvait exister aucune fonction analogue à ce que j’ai appelé depuis les fonctions fuchsiennes ; j’étais alors fort ignorant ; tous les jours, je m’asseyais à ma table de travail, j’y passais une heure ou deux, j’essayais un grand nombre de combinaisons et je n’arrivais à aucun résultat. Un soir, je pris du café noir, contrairement à mon ha-bitude, je ne pus m’endormir : les idées surgissaient en foule ; je les sentais comme se heurter, jusqu’à ce que deux d’entre elles s’accrochassent, pour ainsi dire, pour former une combinaison stable. Le matin, j’avais établi l’existence d’une classe de fonctions fuchsiennes, celles qui dérivent de la série hypergéométrique ; je n’eus plus qu’à rédiger les résultats, ce qui ne me prit que quelques heures.

Je voulus ensuite représenter ces fonctions par le quotient de deux séries ; cette idée fut parfaitement consciente et réfléchie ; l’analogie avec les fonctions elliptiques me guidait. Je me demandai quelles devaient être les propriétés de ces séries, si elles existaient, et j’arrivai sans difficulté à former les séries que j’ai appelées thétafuchsiennes.

A ce moment, je quittai Caen, où j’habitais alors, pour prendre part à une course géologique entreprise par l’Ecole des Mines. Les péripéties du voyage me firent oublier mes travaux mathé-matiques ; arrivés à Coutances, nous montâmes dans un omnibus pour je ne sais quelle promenade ; au moment où je mettais le pied sur le marchepied, l’idée me vint, sans que rien dans mes pensées antérieures parût m’y avoir préparé, que les trans- formations dont j’avais fait usage pour définir les fonctions fuchsiennes étaient identiques à celles de la géométrie non-euclidienne. Je ne fis pas la vérification ; je n’en aurais pas eu le

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temps, puisque, à peine assis dans l’omnibus, je repris la conversation commencée, mais j’eus tout de suite une entière certitude. De retour à Caen, je vérifiai le résultat à tête reposée pour l’acquit de ma conscience.

Je me mis alors à étudier des questions d’arithmétique sans grand résultat apparent et sans soupçonner que cela pût avoir le moindre rapport avec mes recherches antérieures.

Dégoûté de mon insuccès, j’allai passer quelques jours au bord de la mer, et je pensai à tout autre chose. Un jour, en me promenant sur la falaise, l’idée me vint, toujours avec les mêmes caractères de brièveté, de soudaineté et de certitude immédiate, que les trans- formations arithmétiques de formes quadratiques ternaires indéfinies étaient identiques à celles de la géométrie non-euclidienne.

Étant revenu à Caen, je réfléchis sur ce résultat, et j’en tirai les conséquences ; l’exemple des formes quadratiques me montrait qu’il y avait des groupes fuchsiens autres que ceux qui correspondent à la série hypergéométrique ; je vis que je pouvais leur appliquer la théorie des séries thétafuchsiennes et que, par conséquent, il existait des fonctions fuchsiennes autres que celles qui dérivent de la série hypergéométrqiue, les seules que je connusse jusqu’alors. Je me proposai naturellement de former toutes ces fonctions ; j’en fis un siège systématique et j’enlevai l’un après l’autre tous les ouvrages avancés ; il y en avait un cependant qui tenait encore et dont la chute devait entraîner celle du corps de place. Mais tous mes efforts ne servirent d’abord qu’à me mieux faire connaître la difficulté, ce qui était déjà quelque chose. Tout ce travail fut parfaitement conscient.

Là-dessus, je partis pour le Mont-Valérien, où je devais faire mon service militaire ; j’eus donc des préoccupations très différentes. Un jour, en traversant le boulevard, la solution de la difficulté qui m’avait arrêté m’apparut tout à coup. Je ne cherchai pas à l’approfondir immédiatement, et ce fut seulement après mon service que je repris la question. J’avais tous les éléments, je n’avais qu’à les rassembler et à les ordonner. Je rédigeai donc mon mémoire définitif d’un trait et sans aucune peine.

Je me bornerai à cet exemple unique, il est inutile de les multiplier ; en ce qui concerne mes autres recherches, j’aurais à vous faire des récits tout à fait analogues ; et les observations rapportées par d’autres mathématiciens dans l’enquête de L'Enseignement Mathématique ne pourraient que les confirmer.

Ce qui vous frappera tout d’abord, ce sont ces apparences d’illumination subite, signes manifestes d’un long travail inconscient antérieur ; le rôle de ce travail inconscient dans l’invention mathématique me paraît incontestable, et on en trouverait des traces dans d’autres cas où il est moins évident. Souvent, quand on travaille une question difficile, on ne fait rien de bon la première fois qu’on se met à la besogne ; ensuite on prend un repos plus ou moins long, et on s’assoit de nouveau devant sa table. Pendant la première demi- heure, on continue à ne rien trouver et puis tout à coup l’idée décisive se présente à l’esprit.

On pourrait dire que le travail conscient a été plus fructueux, parce qu’il a été interrompu et que le repos a rendu à l’esprit sa force et sa fraîcheur. Mais il est plus probable que ce repos a été rempli par un travail inconscient, et que le résultat de ce travail s'est révélé ensuite au géomètre, tout à fait comme dans les cas que j’ai cités ; seulement la révélation, au lieu de se faire jour pendant une promenade ou un voyage, s’est produite pendant une période de travail conscient, mais indépendamment de ce travail qui joue tout au plus un rôle de déclanchement, comme s’il était l’aiguillon qui aurait excité les résultats déjà acquis pendant le repos, mais restés inconscients, à revêtir la forme consciente.

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Il y a une autre remarque à faire au sujet des conditions de ce travail inconscient : c’est qu’il n’est pas possible et en tout cas qu'il n'est fécond que s'il est d'une part précédé, et d’autre part suivi d’une période de travail conscient. Jamais (et les exemples que j’ai cités le prouvent déjà suffisamment) ces inspirations subites ne se produisent qu'après quelques jours d’efforts volontaires, qui ont paru absolument infructueux et où l’on a cru ne rien faire de bon, où il semble qu’on a fait totalement fausse route. Ces efforts n’ont donc pas été aussi stériles qu’on le pense, ils ont mis en branle la machine inconsciente, et, sans eux, elle n’aurait pas marché et n’aurait rien produit.

La nécessité de la seconde période de travail conscient, après l’inspiration, se comprend mieux encore. Il faut mettre en œuvre les résultats de cette inspiration, en déduire les conséquences immé-diates, les ordonner, rédiger les démonstrations, mais surtout il faut les vérifier. Je vous ai parlé du sentiment de certitude absolue qui accompagne l’inspiration ; dans les cas cités, ce sentiment n’était pas trompeur, et le plus souvent, il en est ainsi ; mais il faut se garder de croire que ce soit une règle sans exception ; souvent ce sentiment nous trompe sans pour cela être moins vif, et on ne s’en aperçoit que quand on cherche à mettre la démonstration sur pied. J’ai observé surtout le fait pour les idées qui me sont venues le matin ou le soir dans mon lit, à l’état semi- hypnagogique.

Tels sonts les faits, et voici maintenant les réflexions qu’ils nous imposent. Le moi inconscient ou, comme on dit, le moi subliminal, joue un rôle capital dans l’invention mathématique, cela résulte de tout ce qui précède. Mais on considère d’ordinaire le moi subliminal comme purement automatique. Or, nous avons vu que le travail mathématique n’est pas un simple travail mécanique, qu’on ne saurait le confier à une machine, quelque perfectionnée qu’on la suppose. Il ne s’agit pas seulement d’appliquer des règles, de fabriquer le plus de combinaisons possibles d’après certaines lois fixes. Les combinaisons ainsi obtenues seraient extrêmement nombreuses, inutiles et encombrantes. Le véritable travail de l’inventeur consiste à choisir entre ces combinaisons, de façon à éliminer celles qui sont inutiles ou plutôt à ne pas se donner la peine de les faire. Et les règles qui doivent guider ce choix sont extrêmement fines et délicates, il est à peu près impossible de les énoncer dans un langage précis ; elles se sentent plutôt qu’elles ne se formulent ; comment, dans ces conditions, imaginer un crible capable de les appliquer mécaniquement ?

Et alors une première hypothèse se présente à nous : le moi subliminal n’est nullement inférieur au moi conscient ; il n’est pas purement automatique, il est capable de discernement, il a du tact, de la délicatesse ; il sait choisir, il sait deviner. Que dis-je, il sait mieux deviner que le moi conscient, puis- qu’il réussit là où celui-ci avait échouer. En un mot, le moi subliminal n’est-il pas supérieur au moi conscient ? Vous comprenez toute l'importance de cette question. Monsieur Boutroux dans une conférence faite ici même il y a deux mois, vous a montré comment elle s’était posée à des occasions toutes différentes et quelles conséquences entraînerait une réponse affirmative.

Cette réponse affirmative nous est-elle imposée par les faits que je viens de vous exposer ? J’avoue que, pour ma part, je ne l’accepterais pas sans répugnance. Revoyons donc les faits et cherchons s’ils ne comporteraient pas une autre explication.

Il est certain que les combinaisons qui se présentent à l’esprit dans une sorte d’illumination subite par un travail inconscient un peu prolongé, sont généralement des combinaisons utiles et fécondes, qui semblent le résultat d'un premier triage. S’ensuit-il que le moi subliminal, ayant deviné par une intuition délicate que ces combinaisons pouvaient

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être utiles, n’a formé que celles-là, ou bien en a-t-il formé beaucoup d'autres qui étaient dépourvues d’intérêt et qui sont demeurées inconscientes.

Dans cette seconde manière de voir, toutes les combinaisons se formeraient par suite de l’automatisme du moi subliminal, mais seules, celles qui seraient intéressantes pénètreraient dans le champ de la conscience. Et cela est encore très mystérieux. Quelle est la cause qui fait que, parmi les mille produits de notre activité inconsciente, il y en a qui sont appelées à franchir le seuil, tandis que d’autres restent en-deçà ? Est-ce un simple hasard qui leur confère ce privilège ? Evidemment non ; parmi toutes les excitations de nos sens, par exemple, les plus intenses seules retiendront notre attention, à moins que cette attention n’ait été attirée sur elles par d’autres causes. Plus généralement, les phénomènes inconscients privilégiés, ceux qui sont susceptibles de devenir conscients, ce sont ceux qui, directement ou indirectement, affectent le plus profondément notre sensibilité.

On peut s’étonner de voir invoquer la sensibilité à propos de démonstrations mathématiques qui, semble-t-il, ne peuvent intéresser que l’intelligence. Ce serait oublier le sentiment de la beauté mathématique, de l’harmonie des nombres et des formes, de l’élégance géométrique. C’est un vrai sentiment esthétique que tous les vrais mathéma- ticiens connaissent. Et c’est bien là de la sensibilité.

Or, quels sont les êtres mathématiques auxquels nous attribuons ce caractère de beauté et d’élégance, et qui sont susceptibles de développer en nous une sorte d’émotion esthétique ? Ce sont ceux dont les éléments sont harmonieusement disposés, de façon que l’esprit puisse sans effort en embrasser l'ensemble tout en en pénétrant les détails. Cette harmonie est à la fois une satisfaction pour nos besoins esthétiques et une aide pour l’esprit qu’elle soutient et qu’elle guide. Et en même temps, en mettant sous nos yeux un tout bien ordonné, elle nous fait pressentir une loi mathématique. Or, nous l’avons dit plus haut, les seuls faits mathématiques dignes de retenir notre attention et susceptibles d’être utiles sont ceux qui peuvent nous faire connaître une loi mathématique. De sorte que nous arrivons à la conclusion suivante : des combinaisons utiles, ce sont précisément les plus belles, je veux dire celles qui peuvent le mieux charmer cette sensibilité spéciale que tous les mathématiciens connaissent, mais que les profanes ignorent au point qu’ils sont souvent tentés d’en sourire.

Qu’arrive-t-il alors ? Parmi les combinaisons en très grand nombre que le moi subliminal a aveuglément formées, presque toutes sont sans intérêt et sans utilité ; mais, par celà même, elles sont sans action sur la sensibilité esthétique ; la conscience ne les connaîtra jamais ; quelques unes seulement sont harmonieuses, et, par la suite, à la fois utiles et belles, elles seront capables d’émouvoir cette sensibilité spéciale du géomètre dont je viens de vous parler, et qui, une fois excitée, appellera sur elles notre attention, et leur donnera ainsi l’occasion de devenir consciente.

Ce n’est là qu’une hypothèse, et cependant voici une observation qui pourrait la confirmer : quand une illumination subite envahit l’esprit du mathématicien, il arrive le plus souvent qu’elle ne le trompe pas ; mais il arrive aussi quelquefois, je l’ai dit, qu’elle ne supporte pas l’épreuve d’une vérification ; eh bien ! on remarque presque toujours que cette idée fausse, si elle avait été juste, aurait flatté notre instinct naturel de l’élégance mathématique.

Ainsi c’est cette sensibilité esthétique spéciale, qui joue le rôle du crible délicat dont je parlais plus haut, et cela fait comprendre assez pourquoi celui qui en est dépourvu ne sera jamais un véritable inventeur.

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Toutes les difficultés n’ont pas disparu cependant ; le moi conscient est étroitement borné ; quant au moi subliminal, nous n’en connaissons pas les limites et c’est pourquoi nous ne répugnons pas trop à supposer qu’il a pu former en peu de temps plus de combinaisons diverses que la vie d’un être conscient ne pourrait en embrasser. Ces limites existent cependant ; est-il vraisemblable qu’il puisse former toutes les combinaisons possibles dont le nombre effrayerait l’imagination ? cela semblerait nécessaire néanmoins, car s’il ne produit qu’une petite partie de ces combinaisons, et s’il le fait au hasard, il y aura bien peu de chances pour que la bonne, celle qu’on doit choisir, se trouve parmi elles.

Peut-être faut-il chercher l’explication dans cette période de travail conscient prémiminaire qui précède toujours tout travail inconscient fructueux. Qu’on me permette une comparaison grossière. Représentons-nous les éléments futurs de nos combinaisons comme quelque chose de semblable aux atomes crochus d’Epicure. Pendant le repos complet de l’esprit, ces atomes sont immobiles, ils sont, pour ainsi dire, accrochés au mur ; ce repos complet peut donc se prolonger indéfiniment sans que ces atomes se rencontrent, et, par conséquent, sans qu’aucune combinaison puisse se produire entre eux.

Au contraire, pendant une période de repos apparent et de travail inconscient, quelques-uns d’entre eux sont détachés du mur et mis en mouvement. Ils sillonnent dans tous les sens l’espace, j’allais dire la pièce où ils sont enfermés, comme pourrait le faire, par exemple, une nuée de moucherons ou, si vous préférez une comparaison plus savante, comme le font les molécules gazeuses dans la théorie cinétique des gaz. Leurs chocs mutuels peuvent alors produire des combinaisons nouvelles.

Quel va être le rôle du travail conscient préliminaire ? C’est évidemment de mobiliser quelques-uns de ces atomes, de les décrocher du mur et de les mettre en branle. On croit qu’on n’a rien fait de bon, parce qu’on a remué ces éléments de mille façons diverses pour chercher à les assembler et qu’on n’a pu trouver d’assemblage satisfaisant. Mais, après cette agitation qui leur a été imposée par notre volonté, ces atomes ne rentrent pas dans leur repos primitif. Ils continuent librement leur danse.

Or, notre volonté ne les a pas choisis au hasard, elle poursuivait un but parfaitement déterminé ; les atomes mobilisés ne sont donc pas des atomes quelconques : ce sont ceux dont on peut raisonnablement attendre la solution cherchée. Les atomes mobilisés vont alors subir des chocs, qui les feront entrer en combinaison, soit entre eux, soit avec d’autres atomes restés immobiles et qu’ils seront venus heurter dans leur course. Je vous demande pardon encore une fois, ma comparaison est bien grossière ; mais je ne sais trop comment je pourrais faire comprendre autrement ma pensée.

Quoi qu’il en soit, les seules combinaisons qui ont chance de se former, ce sont celles où l’un des élements au moins est l’un de ces atomes librement choisis par notre volonté.

Or, c’est évidemment parmi elles que se trouve ce que j’appelais tout à l’heure la bonne combinaison. Peut-être y a-t-il là un moyen d’atténuer ce qu’il y avait de paradoxal dans l’hypothèse primitive.

Autre observation. Il n’arrive jamais que le travail inconscient nous fournisse tout fait le résultat d’un calcul un peu long, où l’on n’a qu’à appliquer des règles fixes. On pourrait croire que le moi subliminal, tout automatique, est particulièrement apte à ce genre de travail qui est en quelque sorte exclusivement mécanique. Il semble qu’en pensant le soir aux facteurs d’une multiplication, on pourrait espérer trouver le produit tout fait à son réveil, ou bien encore qu’un calcul algébrique, une vérification, par exemple, pourrait se faire inconsciemment. Il n’en est rien, l’observation le prouve. Tout ce qu’on peut espérer de ces inspirations, qui sont les fruits du travail inconscient, ce sont des points de départ

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pour de semblables calculs ; quant aux calculs eux-mêmes, il faut les faire dans la seconde période de travail conscient, celle qui suit l'inspiration ; celle où l’on vérifie les résultats de cette inspiration et où l’on en tire les conséquences. Les règles de ces calculs sont strictes et compliquées ; elles exigent la discipline, l’attention, la volonté, et, par suite, la conscience.

Dans le moi subliminal règne, au contraire, ce que j’appellerais la liberté, si l’on pouvait donner ce nom à la simple absence de discipline et au désordre né du hasard. Seulement, ce désordre même permet des accouplements inattendus.

Je ferai une dernière remarque : quand je vous ai exposé plus haut quelques observations personnelles, j’ai parlé d’une nuit d’excitation, où je travaillais comme malgré moi ; les cas où il en est ainsi sont fréquents, et il n’est pas nécessaire que l’activité cérébrale anormale soit causée par un excitant physique comme dans celui que j’ai cité. Eh bien ! il semble que, dans ces cas, on assiste soi-même à son propre travail inconscient, qui est devenu partiellement perceptible à la conscience surexcitée et qui n’a pas pour cela changé de nature. On se rend alors vaguement compte de ce qui distingue les deux mécanismes ou, si vous voulez, les méthodes de travail des deux moi. Et les observations psychologiques que j’ai pu faire ainsi me semblent confirmer dans leurs traits généraux les vues que je viens d’émettre.

Certes, elles en ont bien besoin, car elles sont et restent malgré tout bien hypo- thétiques : l’intérêt de la question est si grand que je ne me repens pas de vous les avoir soumises.

2. David Hilbert (1862-1943).

David Hilbert et Henri Poincaré ont dominé les mathématiques de leur temps. Au cours de sa longue carrière, le maître de Göttingen a abordé tous les domaines des mathématiques, adopté en matière épistémologique des positions progressistes, et laissé le souvenir d'un homme libre, et indépendant. Le premier texte cité ici est l'introduction écrite par Hilbert aux fameux 23 problèmes qui lui paraissaient devoir dominer la recherche mathématique au cours du XXème siècle, et qui ont effectivement balisé cette recherche. J'ai reproduit cette introduction dans son intégralité, tant chaque idée avancée me paraît importante, y compris le rejet final de l'«ignorabimus» : comme on sait, dans les années 1930, le logicien Kurt Gödel montra les limites de l'optimisme hilbertien.

Sur les problèmes futurs des mathématiques (1900)

Qui ne soulèverait volontiers le voile qui nous cache l’avenir afin de jeter un coup d’œil sur les progrès de notre Science et les secrets de son développement ultérieur durant les siècles futurs ? Dans ce champ si fécond et si vaste de la Science mathématique, quels seront les buts particuliers que tenteront d’atteindre les guides de la pensée mathématique des générations futures ? Quelles seront, dans ce champ, les nouvelles vérités et les nouvelles méthodes découvertes par le siècle qui commence?

L’histoire enseigne la continuité du développement de la Science. Nous savons que chaque époque a ses problèmes que l'époque suivante résout, ou laisse de côté comme stériles, en les remplaçant par d’autres. Si nous désirons nous figurer le développement présumable de la Science mathématique dans un avenir prochain, nous devons repasser dans notre esprit les questions pendantes et porter notre attention sur les problèmes posés actuellement et dont nous attendons de l’avenir la résolution. Le moment présent, au seuil du vingtième siècle, me semble bien choisi pour passer en revue ces problèmes ; en effet,

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les grandes divisions du temps non seulement permettent de jeter un regard sur le passé, mais encore attirent notre pensée sur l'avenir inconnu.

Le grand rôle joué par des problèmes déterminés dans le progrès général de la Science mathématique est non moins incontestable que l’influence qu’ont ces problèmes sur le travail particulier du chercheur. Tant qu’une branche de la Science jouit d’une abondance de problèmes, elle est pleine de vie ; le manque de problèmes dénote la mort, ou la cessation du développement propre de cette branche. Et de même que dans toute entreprise humaine il faut poursuivre un but, de même dans la recherche mathématique il faut des problèmes. La puissance du chercheur se retrempe dans leur résolution, il y trouve de nouvelles méthodes et de nouveaux points de vue, d’où il découvre un horizon plus vaste et plus libre.

Il est difficile et souvent impossible de préjuger exactement de la valeur d’un problème ; c’est, en effet, exclusivement le profit que tire la Science de la solution du problème qui permet de porter un jugement sur la valeur de ce dernier. On peut néanmoins se demander s’il n’existe pas des attributs généraux caractérisant un bon problème mathématique.

Un mathématicien français des temps passés a dit : « Une théorie mathématique ne doit être regardée comme parfaite que si elle a été rendue tellement claire qu’on puisse la faire comprendre au premier individu rencontré dans la rue. » Cette clarté, cette limpidité si énergiquement exigée ici d’une théorie mathématique, je l’exigerais encore davantage d’un problème mathématique parfait ; ce qui est clair et limpide nous attire en effet, ce qui est embrouillé nous rebute.

Pour avoir de l’attrait, un problème mathématique doit être difficile, mais non pas inabordable, sinon il se rit de nos efforts ; il doit au contraire être un véritable fil conducteur à travers les dédales du labyrinthe vers les vérités cachées, et nous récompenser de nos efforts par la joie que nous procure la découverte de la solution.

Les mathématiciens des siècles précédents s’occupaient avec ardeur de la recherche des solutions de quelques problèmes très difficiles. Ils en appréciaient la valeur à son juste prix. Je me contenterai de citer le Problème de la brachistochrone de Jean Bernoulli.

L’expérience démontre, c’est ainsi que s’exprime Bernoulli, en proposant ce problème au public, que les nobles esprits ne sont jamais davantage incités au travail pour faire progresser la Science que lorsqu’on leur propose des problèmes difficles autant qu’utiles ; il espère mériter la recon-naissance du monde mathématique, si, à l’exemple de savants comme Mersenne, Pascal, Fermat, Viviani et autres, qui l’ont fait avant lui, il pose un problème aux analystes les plus distingués de son temps, afin qu’ils puissent, comme avec la pierre de touche, essayer l’excellence de leurs méthodes et en même temps mesurer leurs forces contre elles. C’est de ce problème de Bernoulli et de problèmes analogues que le calcul des variations tire son origine.

On sait que Fermat annonça que l’équation de Diophante xn + yn = zn

(sauf en certains cas qui sautent aux yeux) est impossible à résoudre en nombres entiers, x, y, z. Le Problème de la démonstration de cette impossibilité nous offre un exemple frappant de l’influence que peut avoir sur la Science une question très spéciale et en apparence peu importante. C’est, en effet, le problème de Fermat qui conduisit Kummer à l’introduction des nombres idéaux et à la démonstration du théorème de la décomposition univoque des nombres d’un corps cyclotomique en facteurs premiers idéaux, théorème qui, par l’extension qu’en ont faite Dedekind et Kronecker aux domaines algébriques quelconques, est devenu le point central de la théorie moderne des nombres et qui a une

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importance s’étendant bien au delà des limites de cette théorie, jusque dans les régions de l’Algèbre et de la Théorie des fonctions.

Passant à un tout autre champ d’études, je citerai le Problème des trois corps.

M. Poincaré, en entreprenant de traiter à nouveau ce difficile problème et d’en avancer la solution, a découvert des méthodes fécondes et d’une grande portée en Mécanique céleste, qui sont aujourd’hui admises et appliquées même par l’astronome pratique.

Ces deux problèmes, celui de Fermat et celui des trois corps, nous semblent occuper comme les pôles opposés dans l’ensemble des problèmes ; le premier, libre création de la raison pure, le second, posé par les astronomes et indispensable pour la connaissance des phénomènes fondamentaux les plus simples de la nature.

Il arrive souvent aussi qu’un certain problème particulier se rattache aux branches les plus diverses de la Science mathématique. C’est ainsi que le Problème des lignes géodésiques joue un rôle des plus importants au point de vue de l’histoire ainsi que des principes, dans les fondements de la Géométrie, dans la théorie des courbes et des surfaces, dans la Mécanique, et enfin dans le Calcul des variations. Dans son livre sur l’Icosaèdre, M. F. Klein a, de même, très bien fait ressortir l’influence du rôle que joue le Problème des polyèdres réguliers dans la Géométrie élémentaire, dans la théorie des groupes et des équations, et dans la théorie des équations différentielles linéaires.

Pour mettre encore en pleine lumière l’importance de certains problèmes, je rappellerai que Weierstrass regardait comme une bienveillante disposition de la Providence d’avoir, au début de sa carrière, rencontré un problème fondamental auquel il pût s’attaquer, tel que le Problème d'inversion de Jacobi.

Ayant exposé l’importance générale des problèmes en Mathématiques, je passe à la question de savoir quelles sont les sources où le mathématicien les puise. Les premiers et les plus anciens problèmes de chaque branche de la Science mathématique tirent certainement leur origine de l’expérience, et c’est le monde de la connaissance extérieure qui les inspire. Les règles des opérations sur les nombres entiers ont été certainement découvertes lors d’un état inférieur de culture de l’humanité, absolument comme, aujourd’hui encore, l’enfant apprend à appliquer ces règles par la méthode empirique. Il en est de même des premiers problèmes de la Géométrie: problèmes posés dans l’antiquité, la duplication du cube, la quadrature du cercle, et ces problèmes qui se sont présentés les premiers dans les théories de la résolution des équations numériques, des courbes, du Calcul différentiel et intégral, du Calcul des variations, de la série de Fourier et du potentiel ; sans parler de cette abondance et de cette richesse de problèmes proprement dits de la Mécanique, de l’Astronomie et de la Physique.

Mais, dans le développement progressif d'une discipline mathématique, l’esprit humain, encouragé par la découverte des solutions, a conscience de son indépendance ; il crée lui-même des problèmes nouveaux et féconds de la façon la plus heureuse, sans impulsion extérieure apparente et uniquement par combinaison logique, par généralisation et particularisation, par séparation et réunion des idées. C’est alors lui qui, placé au premier plan, pose essentiellement les questions.

C’est ainsi qu'ont pris naissance le Problème des nombres premiers et les autres problèmes de l’Arithmétique, la théorie de Galois, des équations, la théorie des invariants algébriques, celle des fonctions abéliennes et automorphes ; c’est enfin là, d'une manière générale, l’origine de presque toutes les questions les plus délicates des théories modernes des nombres et des fonctions.

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D’ailleurs, tandis que travaille le pouvoir créateur de la raison pure, le monde extérieur fait de nouveau sentir son influence ; il nous conduit, par les faits extérieurs, à de nouvelles questions, il nous ouvre de nouvelles régions de la Science mathématique ; alors, en nous efforçant de faire rentrer ces nouveaux domaines de la Science dans le royaume de la raison pure, nous rencontrons souvent la réponse à d’anciens problèmes non résolus et nous faisons avancer les anciennes théories de la manière la plus avantageuse. Ce sont, ce me semble, sur ces échanges répétés entre la raison et l’expérience que reposent tant d’étonnantes analogies, ainsi que cette harmonie, en apparence préétablie, si souvent remarquée par le mathématicien dans les questions, les méthodes et les conceptions des divers domaines de sa Science.

Examinons encore rapidement les exigences et les conditions générales auxquelles doit répondre la solution d’un problème mathématique. Avant tout, je placerai l’exactitude de la solution qui doit être obtenue au moyen d’un nombre fini de conclusions et qui doit reposer sur un nombre fini d’hypothèses fournies par le problème même et formulées dans chaque cas avec précision. Or, cette condition de la déduction logique au moyen d’un nombre fini de conclusions n’est pas autre chose que celle de la rigueur dans les démonstrations. En effet, la rigueur dans la démonstration, condition aujourd’hui en Mathématiques d’une importance proverbiale, correspond à un besoin philosophique général de notre entendement ; d’autre part, c’est seulement en satisfaisant à cette exigence que les problèmes manisfestent complètement leur fécondité et leur portée. Un nouveau problème, lorsqu'il tire son origine du monde extérieur, est comme un sauvageon qui ne se développe et ne porte des fruits que lorsqu’il a été greffé avec tous les soinsde l’art du jardinier sur la souche mère, c’est-à-dire sur les connaissances mathématiques que nous possédons complètement.

Ce serait, du reste, une erreur de croire que la rigueur dans la démonstration est ennemie de la simplicité. De nombreux exemples, au contraire, montrent que la méthode la plus rigoureuse est aussi la plus simple et la plus facile à saisir. La recherche de la rigueur nous conduit toujours à découvrir des raisonnements plus simples, elle nous ouvre aussi la voie à des méthodes plus fécondes que les anciennes qui étaient moins rigoureuses. Ainsi la Théorie des courbes algébriques a éprouvé des simplifications incontestables et a beaucoup gagné en unité depuis l’emploi des méthodes rigoureuses de la théorie des fonctions et depuis l’introduction des considérations transcendantes auxiliaires. De même la démonstration que les séries de puissances admettent l’application des quatre opérations élémentaires de l’Arithmétique et peuvent être différentiées ou intégrées terme à terme, a simplifié l’Analyse toute entière. Il en est ainsi tout particulièrement des théories de l’élimination et des équations différentielles, ainsi que des démonstrations d’existence exigées dans la dernière de ces théories. Mais, à mon avis, l’exemple le plus frappant dans cet ordre d’idées est celui du Calcul des variations. Le traitement de la variation première et de la variation seconde des intégrales définies exigeait certains calculs extrêmement compliqués et les développements des anciens mathématiciens manquaient sur ce sujet de la rigueur nécessaire. C’est Weierstrass qui, le premier, nous a montré un chemin conduisant à une nouvelle fondation bien assurée du Calcul des variations. À la fin de la Conférence actuelle, j’indiquerai rapidement, en prenant comme exemple l’intégrale simple et l’intégrale double, comment, en suivant la voie ouverte par Weierstrass, on simplifie d'une manière étonnante le Calcul des variations ; je ferai voir que, dans la démonstration des critères nécessaires et suffisants pour l’existence d’un maximum ou minimum, le calcul de la variation seconde et une partie des fatigants raisonnements relatifs à la variation première sont absolument superflus, sans parler du progrès considérable apporté par la

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disparition de la restriction à des variations telles que les dérivées des fonctions ne varient que de peu.

Mais si je place avant tout la rigueur dans le raisonnement comme condition nécessaire à la solution complète d’un problème, je n’en élèverai pas moins la voix contre cette opinion que ce ne sont que les questions de l’Analyse ou même de l’Arithmétique qui soient seules susceptibles d’un traitement parfaitement rigoureux. Cette opinion émise de temps à autre par des autorités scientifiques, je la regarde comme absolument erronée.

Une notion si étroite de la condition de rigueur conduirait rapidement à ignorer toutes les conceptions tirées de la Géométrie, de la Mécanique et de la Physique ; elle barrerait le cours de tout ce qui découle du monde extérieur et, comme dernière conséquence, elle mènerait enfin au rejet des concepts du continu et du nombre irrationnel. Aussi quelle source de vie verrions-nous alors extirpée des Mathématiques par la suppression de la Géométrie et de la Physique mathématique ! Tout au contraire, je pense que partout où se présentent des idées mathématiques, soit en Philosophie (théorie de l’entendement), soit en Géométrie, soit en Physique, le problème se pose de la discussion des principes fondamentaux, bases de ces idées, et de l’établissement d’un système simple et complet d'axiomes ; et cela doit se faire de telle façon que la rigueur des nouvelles définitions et leur applicabilité ne le cèdent en rien aux anciennes définitions arithmétiques.

À de nouvelles idées correspondent nécessairement de nouveaux symboles ; nous devons choisir ces derniers de manière qu’ils nous rappellent les phénomènes qui ont été l’origine des nouvelles idées. Ainsi les figures de la Géométrie sont des symboles qui nous rappellent l’intuition de l’espace, et c’est ainsi que tout mathématicien les emploie. En même temps que de la double inégalité a > b > c, entre trois quantités a, b, c, qui ne se sert du dessin de trois poins situés l’un à la suite de l’autre sur une droite comme symbole géométrique traduisant le mot entre ? Lorsqu’il s’agit de démontrer rigoureusement un théorème difficile sur la continuité des fonctions ou sur l'existence de points de condensation, qui de nous ne fait usage du dessin des segments de droites et de rectangles compris les uns dans les autres ? Comment se passerait-on de la figure du triangle, du cercle avec son centre, ou de la figure formée par trois axes rectangulaires ? Et qui donc renoncerait à la représentation des vecteurs, aux dessins de familles de courbes et de surfaces avec leurs enveloppes, images qui jouent un rôle d’une si grande importance dans la Géométrie infinitésimale, dans la fondation du calcul des variations, ainsi que dans d’autres branches des Mathématiques pures ?

Les signes et symboles de l’Arithmétique sont des figures écrites, et les formules géométriques sont des formules dessinées ; aucun mathématicien ne pourrait se passer de ces formules dessinées, pas plus qu’il ne pourrait, dans les calculs, se passer de parenthèses ou crochets ou autres signes analytiques.

L’application des symboles géométriques comme méthode rigoureuse de démonstration présuppose la connaissance exacte des axiomes qui sont la base de ces figures, et la possession complète de ces axiomes ; pour que ces figures géométriques puissent être incorporées dans le trésor général des symboles mathématiques, une discussion axiomatique rigoureuse de leur contenu intuitif est de toute nécessité. De même que dans l’addition de deux nombres on ne doit pas poser les chiffres les uns sous les autres d’une façon inexacte, mais au contraire appliquer les règles de calcul, c’est-à-dire les axiomes de l’Arithmétique, de même les opérations sur les symboles géométriques doivent être déterminées au moyen des axiomes de la Géométrie et de leur association.

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La coïncidence entre la pensée géométrique et la pensée arithmétique se révèle encore en ceci : dans les recherches arithmétiques, de même que dans les considérations géomé- triques, nous ne remontons pas à chaque instant la chaîne des déductions jusqu'aux axiomes ; au contraire, lorsque pour la première fois nous attaquons un problème en Arithmétique, exactement comme en Géométrie, nous employons d'abord une combinaison de raisonnements, rapide, inconsciente, non encore définitive, avec une confiance absolue en un certain sentiment arithmétique et en l’efficacité des symboles arithmétiques ; sans cette confiance nous ne pourrions pas plus progresser en Arithmétique que nous ne le pourrions en Géométrie sans la faculté de voir dans l’espace. Comme modèle d’une théorie arithmétique, opérant d’une manière rigoureuse avec les concepts et les symboles de la Géométrie, je citerai l’ouvrage de M. Minkowski : Geometrie der Zahlen.

Ici se placent tout naturellement quelques remarques sur les difficultés que peuvent présenter les problèmes mathématiques et sur la manière de les surmonter.

Si nous ne pouvons parvenir à résoudre un problème mathématique, la raison en est souvent que nous n’avons pas encore atteint le point de vue général d’où ce problème ne semble plus qu’un anneau d’une chaîne de problèmes de même nature. Mais une fois que nous avons atteint ce point de vue, non seulement le problème devient plus abordable, mais encore nous sommes mis en possession d’une méthode applicable aux problèmes de même espèce. Je citerai comme exemple, dans la théorie des intégrales définies, l’introduction par Cauchy des chemins complexes d’intégration et, dans la théorie des nombres, l’introduction par Kummer de la notion des nombres idéaux. Cette façon d’arriver aux méthodes les plus générales est sans aucun doute la plus accessible et la plus sûre. En effet, celui qui chercherait des méthodes sans avoir devant les yeux un problème déterminé, chercherait le plus souvent en vain.

D’autre part, à mon avis du moins, la particularisation joue, dans les problèmes mathématiques, un rôle plus important que la généralisation. Quand nous cherchons en vain la réponse à une question, l’insuccès, la plupart du temps, tient peut-être à ce que nous n’avons pas encore résolu ou à ce que nous avons résolu seulement d’une manière incomplète des problèmes plus simples que celui en question. Tout revient alors à dégager ces problèmes plus faciles et à les résoudre avec des arguments aussi parfaits que possible, et à l’aide de concepts susceptibles de généralisation. Cette manière de procéder est un des plus puissants leviers pour vaincre les difficultés mathématiques, et il me semble qu’on l’utilise presque toujours, bien que peut-être inconsciemment.

Il se peut aussi que l’on s’efforce d’obtenir une solution en se basant sur des hypothèses insuffisantes ou mal comprises et que, par suite, on ne puisse atteindre le but. Il s’agit alors de démontrer l’impossibilité de résoudre le problème en se servant d’hypothèses telles qu’elles ont été données ou interprétées. Les anciens nous ont donné les premiers exemples de pareilles démonstrations d’impossiblité ; ils ont démontré ainsi que dans un triangle rectangle isocèle l’hypoténuse et le côté de l’angle droit sont dans un rapport irrationnel. Dans la Mathématique moderne, la question de l’impossibilité de certaines solutions joue un rôle prépondérant ; c’est à ce point de vue de la démonstration de l’impossiblité que d’anciens et difficiles problèmes, tels que ceux de la démonstration de l’axiome des parallèles, de la quadrature du cercle et de la résolution par radicaux de l’équation du cinquième degré, ont reçu une solution parfaitement satisfaisante et rigoureuse, bien qu’en un sens tout différent de celui qu’on cherchait primitivement.

Le fait remarquable dont nous venons de parler et certains raisonnements philosophiques ont fait naître en nous la conviction que partagera certainement tout

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mathématicien, mais que jusqu’ici personne n’a étayée d’aucune preuve, la conviction, dis- je, que tout problème mathématique déterminé doit être forcément susceptible d’une solution rigoureuse, que ce soit par une réponse directe à la question posée, ou bien par la démonstration de l’impossibilité de la résolution, c’est-à-dire la nécessité de l’insuccès de toute tentative de résolution. Proposons-nous un problème déterminé non encore résolu:

par exemple, posons-nous la question de l’irrationnalité de la constante C d’Euler ou de Mascheroni 1, ou encore la question de savoir s’il existe une infinité de nombres premiers de la forme 2n + 1. Quelque inabordables que semblent ces problèmes, et quelque désarmés que nous soyons encore vis-à-vis d’eux aujourd’hui, nous n’en avons pas moins la conviction intime que l’on doit pouvoir les résoudre au moyen d’un nombre fini de déductions logiques.

Cet axiome de la possibilité de résoudre tout problème, est-ce une propriété caractéristique et distincive de la pensée mathématique, ou serait-ce peut-être une loi générale du mode d’existence de notre entendement, à savoir que toutes les questions que se pose notre entendement soient susceptibles d’être résolues par lui ? On rencontre d’ailleurs aussi dans d’autres sciences d’antiques problèmes qui ont été, de la manière la plus satisfaisante, finalement résolus par la démonstration de leur impossibilité et qui n’en ont pas moins été de la plus haute utilité pour le développement de la Science. Je rappellerai le problème du mouvement perpétuel. Après tant d’essais infructueux pour construire un mécanisme réalisant le mouvement perpétuel, on en vint à chercher les relations qui doivent avoir lieu entre les forces de la nature pour qu’un mouvement perpétuel soit impossible ; ce problème inverse conduisit à la découverte du principe de conservation de l’énergie, principe qui, de son côté, explique l’impossibilité du mouvement perpétuel au sens primitivement requis.

Cette conviction de la possibilité de résoudre tout problème mathématique est pour nous un précieux encouragement pendant le travail. Nous entendons toujours résonner en nous cet appel : Voilà le problème, cherches-en la solution. Tu peux la trouver par le pur raisonnement. Jamais, en effet, mathématicien ne sera réduit à dire : « Ignorabimus ».

Inépuisable est la multitude des problèmes de la Mathématique ; dès qu’une question est résolue, à sa place s’en présente une foule d’autres.

Dans ce qui suit je vais tenter, et cela comme preuve à l’appui de mes dires précédents, de proposer quelques problèmes déterminés pris dans diverses branches des Mathématiques, et dont l’étude pourrait concourir à l’avancement de la Science.

Jetons un regard sur les principes de l’Analyse et de la Géométrie. Les événements les plus suggestifs et les plus importants qui ont eu lieu dans ces domaines durant le dix- neuvième siècle sont, ce me semble, la conception arithmétique de la notion du continu que l'on trouve dans les travaux de Cauchy, Bolzano et Cantor, ainsi que la découverte de la Géométrie non euclidienne par Gauss, Bolyai, Lobatchefskij.

J’attirerai donc en premier lieu votre attention sur quelques problèmes appartenant à ces domaines.2

I. Problème de M. Cantor relatif à la puissance du continu.

1 C est la limite de la suite 1+1/2+1/3+...+1/n – ln(n) lorsque n tend vers l'infini. C'est avec π et e l'une des principales constantes mathématiques. On ne sait toujours pas si C est irrationnel (PJH).

2Je reproduis ici l’intitulé des 23 problèmes de Hilbert, mais non les commentaires accompagnant chacun d’eux. Sur les travaux suscités par chacun de ces problèmes au XXème siècle on pourra consulter l'article qui leur est consacré par J.-M. Kantor dans l'Encyclopedia Universalis.

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II. De la non-contradiction des axiomes de l’Arithmétique.

III. De l’égalité en volume de deux tétraèdres de bases et de hauteurs égales.

IV. Problème de la ligne droite, plus court chemin d’un point à un autre.

V. De la notion des groupes continus de transformations de Lie, en faisant abstraction de l'hypothèse que les fonctions définissant les groupes sont susceptibles de différentiation.

VI. Le traitement mathématique des axiomes de la Physique.

VII. Irrationnalité et transcendance de certains nombres.

VIII. Problèmes sur les nombres premiers.

IX. Démonstration de la loi de réciprocité la plus générale dans un corps de nombres quelconque.

X. De la possiblité de résoudre une équation de Diophante.

XI. Des formes quadratiques à coefficients algébriques quelconques.

XII. Extension du théorème de Kronecker sur les corps abéliens à un domaine de rationalité algébrique quelconque.

XIII. Impossibilité de la résolution de l’équation générale du septième degré au moyen de fonctions de deux arguments seulement.

XIV. Démontrer que certains systèmes de fonctions sont finis.

XV. Etablissement rigoureux de la Géométrie énumérative de Schubert.

XVI. Problèmes de topologie des courbes et des surfaces algébriques.

XVII. Représentation des formes définies par des sommes de carrés.

XVIII. Partition de l’espace en polyèdres congruents.

XIX. Les solutions des problèmes réguliers du calcul des variations sont-elles nécessai-rement analytiques ?

XX. Problème de Dirichlet dans le cas général.

XXI. Démonstration de l’existence d’équations différentielles linéaires ayant un groupe de monodromie assigné.

XXII. Relations analytiques exprimées d’une manière uniforme au moyen de fonctions automorphes.

XXIII. Extension des méthodes du Calcul des variations.

____________

Jusqu’ici nous avons exclusivement examiné les principes fondamentaux des diverses branches de la Science mathématique. Il est certain que l’étude et la discussion des principes d’une science possèdent un charme particulier et l’examen de ces principes sera toujours un des plus importants sujets de recherches. « Le but final », a dit Weierstrass, « que l’on doit avoir devant les yeux est la recherche d’un jugement exact sur les principes fondamentaux de la science... Pour pénétrer dans le domaine de la Science il est, sans doute, indispensable aussi de s’occuper de problèmes particuliers.» En effet, pour pouvoir examiner avec fruit les principes d’une science, il faut être familiarisé avec ses théories particulières ; seul l’architecte qui connaît à fond, dans tous leurs détails, les diverses destinations d’un bâtiment, sera capable d’en poser sûrement les fondations.

Discours au Congrès International des Mathématiciens, Paris, 1900.

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Aphorismes

Une branche de la science est pleine de vie tant qu’elle offre des problèmes en abondance; le manque de problèmes est signe de mort.

On peut mesurer l’importance d’un travail scientifique au nombre de publications antérieures qu’il rend superflues.

Un jour, quelqu'un demanda à Hilbert : « Si vous deviez revivre, comme Barberousse, après 500 ans, que feriez-vous ?  Je demanderais : Quelqu’un a-t-il démontré l’hypothèse de Riemann ? »

Entendant parler d'un de ses anciens élèves, devenu poète :

« C’est donc celui-là ? Mais bien sûr que je m’en souviens, il était mon élève dans le temps. Après, il est devenu poète : évidemment, il n’avait pas assez de fantaisie pour s’occuper des mathématiques. »

Hilbert, Galilée, Einstein

Galilée n’était pas un idiot. Seul un idiot pouvait croire que la science méritait le martyre  c’est peut-être nécessaire en religion, mais un résultat scientifique s’imposera de lui-même à son heure.

Chaque garçon dans les rues de Göttingen comprend mieux la géométrie en dimension quatre qu’Einstein. Cependant, en dépit de cela, c’est Einstein qui a fait le travail, et non les mathématiciens.

Savez-vous pourquoi Einstein a dit les choses les plus originales et les plus profondes sur l’espace et le temps dans notre génération ? Parce qu’il n’avait rien appris sur la philosophie et les mathématiques du temps et de l’espace !

La physique est beaucoup trop difficile pour les physiciens.

Hilbert, l'infini et Cantor

La clarification définitive de la nature de l’infini est devenue nécessaire, non seulement pour les intérêts spécifiques des sciences particulières, mais plutôt pour l’honneur de l’entendement humain lui-même.

L’infini a de tout temps remué le cœur des hommes (das Gemüt des Menschen) plus profondément que n’importe quelle question ; l’infini a stimulé et fécondé la raison comme peu d’autres idées ; mais l’infini plus que tout autre concept demande à être éclairé.

Par ses recherches, Cantor a produit « certaines des plus admirables et des plus belles créations de l’imagination mathématique et réalisa globalement un des plus grands accomplissements purement intellectuels de l’esprit humain. »

Über das Unendliche, 1926 Du paradis que Cantor a créé pour nous, nul ne doit pouvoir nous chasser.

Grundlagen der Geometrie, 1930, p.274

Hilbert et la méthode axiomatique

On doit toujours pouvoir remplacer les mots «points, lignes, plans», par les mots

«tables, chaises, chopes de bière», a déclaré un jour Hilbert à la gare de Berlin.

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Tout ce qui peut être, en général, objet de la pensée scientifique, aboutit, dès maturité, dans la création d’une théorie, à la méthode axiomatique.

Introduction de Axiomatisches Denken (La Pensée axiomatique, 1918)

Hilbert, les mathématiciens et le mariage...

David Hilbert était fort opposé au mariage pour les jeunes scientifiques. Il pensait que cela les empêchait de remplir leurs obligations envers la science. Lorsque Wilhelm Ackermann, avec lequel il avait travaillé et collaboré à un livre, se maria, Hilbert fut très en colère. Il refusa de faire quoi que ce soit pour aider la carrière d'Ackermann ; de ce fait, n'obtenant pas de poste universitaire, le jeune et talentueux logicien dut accepter un poste d'enseignant dans une école supérieure. Lorsqu'un peu plus tard, Hilbert apprit que les Ackermann attendaient un enfant, il jubila :

« Oh ! comme c’est magnifique, c’est une magnifique nouvelle pour moi ! Parce que si cet homme est assez fou pour se marier et même avoir un enfant, cela me dispense complètement d’avoir à faire quoi que ce soit pour un homme aussi fou! » (C. Reid, p.173) On aurait tort de ne faire de cette anecdote qu'une lecture superficielle : Hilbert n'était pas un esprit rétrograde. Rappelons qu'à Oxford et Cambridge les étudiants qui restaient sur le campus comme enseignants et chercheurs (Fellows) étaient tenus au célibat, ce qui favorisa le développement d'affections particulières. Et il y aurait beaucoup à dire sur les rapports entre sexualité et création scientifique (ou artistique). Celle-ci présuppose des sublimations et des transferts de libido qui ont fort bien été analysées par Freud, notamment dans son étude sur Léonard de Vinci... N'empêche! Hilbert n'a pas été gentil avec Ackermann !...

Hilbert pendant la guerre de 14-18

Les mathématiques ne connaissent ni races ni frontières géographiques ; pour les mathématiques, le monde culturel forme un seul pays.

Au début de la guerre de 14, Hilbert refusa de signer le manifeste des 93, manifeste signé par 93 intellectuels allemands pour contrebattre l'effet désastreux auprès de l'opinion mondiale du bombardement de la cathédrale de Reims : « Périssent tous les chefs d’œuvre, plutôt qu’un soldat allemand ! », disait ce manifeste. À cela ajoutons cet épisode extrait de la biographie de Hilbert par Constance Reid (p.145): « [En 1917] parvint à Göttingen la nouvelle de la mort de Gaston Darboux. Hilbert admirait Darboux, non seulement pour son œuvre mathématique, mais aussi pour l’influence qu’il avait eue sur les mathématiques françaises comme homme et comme professeur. Il prépara immédiatement un mémorial pour publication dans le Nachtrichten. Quand il fut publié, une manifestation d’étudiants indignés se réunit devant la maison de Hilbert et demanda que le mémorial au

« mathématicien ennemi » fut immédiatement désavoué par son auteur et que tous les exemplaires soient détruits. Hilbert refusa. Au lieu de cela, il alla voir le Recteur de l’Université et menaça de démissionner s’il ne recevait pas des excuses officielles pour le comportement des étudiants. Les excuses furent immédiatement présentées : le mémorial à Darboux  l’un des quatre que Hilbert rédigea au cours de sa carrière  resta imprimé.

(Les autres concernaient Weierstrass, Minkowski, et Hurwitz) ».

Die Fakultät ist keine Badeanstalt

Pendant la Première Guerre mondiale, Hilbert avait essayé d'obtenir l'habilitation de la grande mathématicienne Emmy Noether, mais en vain; il s'était principalement heurté à l'hostilité des philologues et des historiens. C'est une anecdote que l'on racontait souvent à Göttingen que,

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