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LES POLITIQUES DE SÉCURITÉ, ENTRE IMAGINAIRES SOCIAUX ET REVENDICATIONS IDENTITAIRES

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Submitted on 26 Dec 2019

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LES POLITIQUES DE SÉCURITÉ, ENTRE

IMAGINAIRES SOCIAUX ET REVENDICATIONS IDENTITAIRES

Michel Casteigts

To cite this version:

Michel Casteigts. LES POLITIQUES DE SÉCURITÉ, ENTRE IMAGINAIRES SOCIAUX ET REVENDICATIONS IDENTITAIRES. Droits de l’homme et gouvernance de la sécurité, Sedjari A.

(dir.), Paris-Rabat, L’Harmattan GRET., pp.45-72, 2007. �halshs-02423991�

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Les politiques de sécurité entre

imaginaires sociaux et revendications identitaires

Michel Casteigts

Inspecteur général de l'administration

Professeur des université associé à l’Université de Pau et des pays de l’Adour

Publié dans « Sedjari A. (dir.), Droits de l’homme et gouvernance de la sécurité, Paris-Rabat, L’Harmattan GRET, p. 45-72, 2007. »

Politiques publiques de sécurité et demande sociale

Comme toutes les politiques publiques, les politiques de sécurité constituent un ensemble relativement stable et homogène d’actions collectives, coordonnées par une ou plusieurs collectivités publiques, pour répondre à des demandes sociales en arbitrant entre intérêts contradictoires et également légitimes. Elles sont en prise directe avec de très fortes attentes de l’opinion publique et mettent généralement en œuvre des systèmes d’action publique complexes. Ainsi, une politique de sécurité en matière de santé publique implique à la fois des dispositifs proprement policiers et judiciaires, mais aussi l’appareil de recherche, l’hôpital, le système libéral de santé, les industries pharmaceutiques et agro-alimentaires, le monde agricole et les contrôles vétérinaires, les politiques européennes et mondiales de concurrence et de libre circulation des marchandises etc. Autour d’un sujet aussi simple à désigner que la sécurité sanitaire, ce sont pratiquement tous les dispositifs d’action publique qui sont mis en jeu.

Cette complexité implique que soit précisée la référence à la demande sociale, dont on voit bien que, si elle est constamment présente en toile de fond des différentes étapes de la conception et de la mise en œuvre d’un politique publique, elle n’a pas à chaque stade le même statut ni la même lisibilité. Cette demande sociale ne doit pas être ramenée à la manifestation directe de besoins plus ou moins objectifs. Dans la production de la demande sociale, les besoins bruts sont traduits dans des systèmes de représentations qui permettent leur intégration à des imaginaires collectifs. C’est dans le cadre de ces imaginaires, en fonction de leurs propres logiques et de leurs règles de cohérence, que sont exprimées les demandes sociales. C’est dire que, pour être efficaces, les arbitrages politiques ne doivent pas seulement prendre en compte l’état matériel de la société et les situations objectives des acteurs en présence, mais aussi produire des médiations entre imaginaires sociaux.

Il s’agira ici de montrer que, dans le domaine des politiques de sécurité, les modalités de

construction de l’opinion publique et notamment le rôle qu’y joue le complexe politico-

médiatique conditionnent directement la montée en puissance des sentiments d’insécurité. A

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cela répond la mise en place systématique de dispositifs de surveillance et de contrôle social qui marque l’aboutissement du processus de constitution d’une société disciplinaire, au sens où l’entendait Michel Foucault. Dans ce contexte, le renforcement des revendications identitaires suscite et traduit à la fois de profonds remaniements dans les imaginaires collectifs et radicalise les contradictions de la demande sociale. Ce processus bouleverse les termes des médiations politiques et des transactions sociales susceptibles d’être opérées au sein de la société. Les menaces qui en résultent pour la cohésion sociale ne peuvent être conjurées que par de nouveaux modes de régulation, dans le cadre de démarches de management territorial stratégique.

La production du sentiment d’insécurité

Une montée inexorable

Depuis une trentaine d’années, on assiste, notamment dans les démocraties occidentales, à une lente et inexorable montée du sentiment d’insécurité, sur des registres très divers :

- insécurité économique consécutive à l’explosion du chômage liée au choc pétrolier des années 1970 et entretenue par les grandes vagues de restructuration industrielle et de délocalisation qui ont suivi ;

- insécurité sociale avec la remise en cause de l’Etat providence et la récurrence de crises urbaines révélatrices de l’échec des dispositifs d’intégration ;

- insécurité sanitaire avec le SIDA, la vache folle, le SRASS, la grippe aviaire etc.

- insécurité juridique avec la mise en cause systématique des responsabilités personnelles dans tous les aléas de la vie individuelle ou collective et la multiplication des contentieux ;

- insécurité environnementale, de réchauffement climatique en tsunamis, en passant par le trou de la couche d’ozone, les ouragans et les nuages radioactifs ;

- insécurité publique enfin, avec la banalisation de la délinquance et la montée de menaces terroristes dont le 11septembre 2001 a attesté l’impensable réalité.

Cette évolution n’est pas propre à la France, ni même à l’Europe ou aux pays occidentaux. Elle est mondialisée, probablement parce que le processus de mondialisation en est une composante essentielle.

Réalités objectives et amplifications fantasmatiques

Si ce sentiment d’insécurité repose sur des réalités objectives incontestables, il fait

l’objet d’amplifications fantasmatiques parfois considérables. L’exemple le plus frappant est

celui des psychoses sanitaires qui saisissent périodiquement les opinions publiques

occidentales. Jamais la santé n’a occupé une telle place dans les inquiétudes collectives alors

que jamais les indicateurs objectifs de santé n’ont été aussi bons, à commencer par l’évolution

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de la mortalité. Dans l’explication de cette distorsion, de multiples considérations entrent en jeu, qui touchent aussi bien à l’irrationalité de certains processus psychosociologiques qu’à des manipulations délibérées d’informations, en passant par l’influence de lobbys économiques ou par les méandres de stratégies politiques ou territoriales.

Une des questions essentielles qui se posent dans de tels contextes, c’est de savoir faire la part de la réalité et des effets amplificateurs d’une chambre d’écho médiatique exploitée par des intérêts multiples, publics ou privés, comme ce fut le cas pour la gestion de la crise de la vache folle en France. Cet exemple illustre de façon particulièrement claire les jeux et les enjeux de ce jeu là. Sous prétexte de garantir aux consommateurs une bonne traçabilité des produits, la crise de la vache folle a permis de segmenter un marché de la viande qui était en voie d’intégration, en jouant sur les inquiétudes de l’opinion pour renforcer la préférence pour des productions locales en provenance de marchés de proximité. Cela a permis de vendre des viandes locales nettement plus cher qu’on vendait auparavant les viandes d’importation. On a en outre profité du durcissement des exigences sanitaires pour restructurer toute la filière de l’abattage, en fermant les petites unités qui n’étaient plus rentables mais qui avaient été jusque là efficacement défendues.

Dans toute cette affaire, des rapports de forces économiques majeurs sont venus se greffer sur une crise sanitaire réelle mais limitée, médiatiquement amplifiée et politiquement exploitée. Ainsi, la segmentation du marché s’est appuyée sur des stratégies de labellisation des productions locales fortement accompagnées par les politiques des départements et des régions qui ont largement financé la promotion de ces marques collectives. Pour mieux mesurer le phénomène d’amplification médiatique de la crise de la vache folle et la disproportion entre la portée réelle de l’insécurité sanitaire et les effets sociétaux qu’elle a induits, il est bon de rappeler quelques chiffres : sur un cheptel de vingt millions de bovins, on a recensé en France, entre 1991 et 2007, en tout et pour tout 978 cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB); dans le même temps, 22 cas de variante de la maladie de Creutzfeld-Jacob résultant de la transmission à l’homme du prion responsable de l’ESB ont été dénombrés, soit environ mille fois moins que le chiffre annuel des victimes d’accidents domestiques. Or dans la même période le bruit médiatique des accidents domestiques a été infiniment plus faible que celui de la vache folle.

Il y a donc un décalage permanent entre l’évolution des réalités objectives et la façon dont ces réalités sont interprétées et réinterprétées sans cesse par les systèmes de représentation collective et intégrées dans les imaginaires sociaux. Ce constat vaut dans tous les pays et pour toutes les facteurs d’insécurité. Ainsi Bastien Quirion, professeur au département de criminologie de l’université d’Ottawa, notait en 2002 dans un article consacré à La peur de la criminalité:

L’équation selon laquelle la montée de l’insécurité serait le symptôme d’une société davantage marquée par la violence ne résiste pas en effet à l’examen empirique des chiffres de la criminalité. Il faut donc chercher ailleurs les causes de l’insécurité.

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1

Revue Relations, sept. 2002, p.17 et 18

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Qu’on me comprenne bien : il ne s’agit pas ici de prétendre qu’il n’existe pas dans certains domaines des bases réelles à l’accroissement du sentiment d’insécurité, ce qui serait absurde ; mais tout simplement de constater qu’un processus systématique d’amplification des menaces est à l’œuvre dans la production des représentations collectives, très largement à l’initiative de ce qu’il faut bien appeler le complexe politico-médiatique, comme J.K.

Galbraith parlait de complexe militaro-industriel il y a quelques décennies

2

.

Une construction médiatique

Une analyse rigoureuse de l’émergence et de l’installation de certaine thématiques dans l’opinion publique conduit en effet à parler, sans abus de langage, de construction médiatique d’un sentiment d’insécurité, suscité, entretenu ou exploité par des responsables politiques d’autant plus ardents à s’en saisir que cela permet de détourner l’attention d’autres préoccupations.

Les analyses de Pierre Bourdieu sur la logique de fonctionnement du champ médiatique trouvent là une vérification empirique particulièrement démonstrative. En 1996, il écrivait dans un court opuscule Sur la télévision :

Le principe de sélection, c’est la recherche du sensationnel, du spectaculaire. La télévision appelle à la dramatisation, au double sens : elle met en scène, en images, un événement et elle en exagère l’importance, la gravité, et le caractère dramatique, tragique. Pour les banlieues, ce qui intéressera ce sont les émeutes. C’est déjà un grand mot... Avec des mots ordinaires, on n’ « épate pas le bourgeois », ni le « peuple ». Il faut des mots extraordinaires. En fait, paradoxalement, le monde de l’image est dominé par les mots. La photo n’est rien sans la légende qui dit ce qu’il faut lire – legendum -, c'est-à-dire, bien souvent, des légendes, qui font voir n’importe quoi. Nommer, on le sait, c’est faire voir, c’est créer, porter à l’existence. Et les mots peuvent faire des ravages : islam, islamique, islamiste – le foulard est-il islamique ou islamiste ? Et s’il s’agissait simplement d’un fichu, sans plus ? Il m’arrive d’avoir envie de reprendre chaque mot des présentateurs qui parlent souvent à la légère, sans avoir la moindre idée de la difficulté et de la gravité de ce qu’ils évoquent et des responsabilités qu’ils encourent en les évoquant, devant des milliers de téléspectateurs, sans les comprendre et sans comprendre qu’ils ne les comprennent pas. Parce que ces mots font des choses, créent des fantasmes, des peurs, des phobies ou, simplement, des représentations fausses.

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En France, les auditions de la commission parlementaire d’enquête sur l’affaire d’Outreau ont parfaitement mis en évidence les processus de dérive judiciaire auxquels peuvent donner lieu certains emballements médiatiques sur des sujets propres à alimenter les fantasmes collectifs comme les réseaux pédophiles, dont l’affaire Dutroux avait montré la puissance de mobilisation populaire. Le contraste est saisissant avec le silence qui entoure généralement les affaires concernant les actes individuels d’inceste, infiniment plus nombreux

2

Théorisé par Charles Wright Mills en 1956 dans The Power Elite, reprise par le président Eisenhower dans son allocution de départ de la Maison Blanche le 17 janvier 1961, l’expression a été popularisée par J.K. Galbraith dans The New Industrial State en 1967.

3

Pierre Bourdieu, Sur la télévision, p. 18-19

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mais entourés d’un silence pudique. Il en va de même des violences conjugales, dont on estime qu’elles tuent en France plus d’une femme par jour, mais dont la presse est infiniment moins friande que du « tueur de la gare du Nord » ou de « l’assassin au manteau beige ». Tout se passe comme si la proximité entre les criminels et leurs victimes étaient une circonstance atténuante, au moins dans les procès médiatiques qui précèdent et accompagnent les procès judiciaires.

Aussi choquant qu’il paraisse, ce phénomène répond à une logique de nette différenciation de la portée sociale des deux types d’événements. Le crime intime est une transgression des règles morales et des valeurs familiales, mais il ne met pas en danger exemplairement l’ordre social. Le coupable d’inceste ou l’auteur d’un crime passionnel n’est une menace pour personne d’autre que ses proches et certainement pas pour les lecteurs des journaux et les téléspectateurs. Disqualifié par avance dans la course à l’Audimat, il ne peut en aucune façon servir d’exutoire ou d’abcès de fixation aux inquiétudes diffuses qu’une bonne partie de la population éprouve quant à l’évolution de la société. En d’autres termes, il est d’autant moins en mesure d’offrir une diversion efficace qu’originaire d’ici il ne peut mobiliser les peurs et menaces suscitées par les autres et l’ailleurs. Or cette fonction de diversion est un élément essentiel du dispositif politico- médiatique. Ici encore il y a lieu de laisser la parole à Pierre Bourdieu :

Les faits divers, je l’ai dit, ont pour effet de faire le vide politique, de dépolitiser et de réduire la vie du monde à l’anecdote et au ragot...en fixant et en retenant l’attention sur des événements sans conséquences politiques, que l’on dramatise pour en « tirer des leçons » ou pour les transformer en « problèmes de société » : c’est là, bien souvent, que les philosophes de télévision sont appelés à la rescousse, pour redonner sens à l’insignifiant, à l’anecdotique et à l’accidentel, que l’on a artificiellement porté sur le devant de la scène et constitué en événement, port d’un fichu à l’école, agression d’un professeur ou tout autre « fait de société »...

Et la même recherche du sensationnel, donc de la réussite commerciale, peut aussi conduire à sélectionner des faits divers qui, abandonnés aux constructions sauvages de la démagogie (spontanée ou calculée), peuvent susciter un immense intérêt en flattant les pulsions et les passions les plus élémentaires (avec des affaires comme les rapts d’enfants et les scandales propres à susciter l’indignation populaire)...

4

Le commerce de l’angoisse

Le complexe politico-médiatique comme fait social

Le conditionnement de l’opinion publique américaine, légitimement traumatisée par les événements du 11 septembre, pour la préparer à la guerre en Irak constitue un prototype du genre. L’invention de liens invraisemblables entre Al Qaïda et le régime laïc de Saddam Hussein et la fabrication de toutes pièces de preuves de production d’armes de destruction massive en Irak ont alimenté la création de la psychose d’un Hiroshima terroriste

4

ibidem, p. 59

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puissamment relayée et amplifiée par des médias totalement dévoués à la cause.

Il s’agit là d’un exemple difficilement surpassable de mise en condition d’une opinion publique par multiples mensonges et intoxications dans lesquels médias et pouvoir politique ont eu incontestablement partie liée. La connivence a été manifeste entre le gouvernement américain et une bonne partie des médias pour susciter une psychose collective qui s’enracinait dans la réalité des événements du 11 Septembre et pour faire naître un « désir de guerre ». Le développement des fantasmagories les plus inquiétantes, auxquelles l’industrie cinématographique hollywoodienne a largement apporté sa contribution, faisait apparaître la guerre comme un soulagement : enfin nous allons pouvoir nous battre contre un adversaire réel et bien identifié et non contre un ennemi abstrait mais omniprésent, passer d’une menace potentielle proche et immédiate à la réalité d’un affrontement lointain.

De ce point de vue, les dispositifs qui ont été mis en jeu, les mécanismes actionnés avec cynisme et préméditation ne permettent pas de penser une seule seconde que des hommes avertis comme les grands journalistes américains ou les responsables de l’entourage de Bush s’y soient livrés en toute naïveté et en toute innocence. Il y a eu à tout instant une parfaite conscience collective de l’intérêt commun qu’ils avaient à agir comme cela

5

.

Sur un registre proche, la mise en scène du thème de l'insécurité pour peser sur des décisions électorales a été particulièrement flagrante à l'occasion des élections présidentielles françaises d'avril et mai 2002. La question reste ouverte de savoir si cette sur-médiatisation de la violence a pesé sur les résultats du premier tour, qui a vu le candidat d'extrême-droite devancer le candidat socialiste et se qualifier pour le second tour. Il est en revanche incontestable qu'il y a eu là une mise en condition très efficace de l'opinion publique, processus dans lequel les surenchères caractéristiques de la compétition électorale se sont combinées aux dynamiques propres au monde médiatique, avec leur panachage subtil d'amitiés mondaines, de connivences idéologiques et de course à l'audience

6

. Le traitement de l'information sur les questions de sécurité a d'ailleurs changé du tout au tout après l'élection présidentielle. Non seulement la place faite à l'insécurité dans les journaux télévisés a été fortement réduite, mais la tonalité des informations était beaucoup moins alarmante. Ainsi l'émission « Arrêt sur images » du 19 mai 2002 notait qu'avant le 1er tour, sur vingt sujets qui traitaient de l'insécurité sur TF1, un seul comportait des éléments positifs (rôle de la police, efficacité de la prévention etc.) contre quatre sur dix dans les semaines qui ont suivi le 21 avril 2002.

Il faut cependant se garder de voir dans ces connivences la manifestation d’un complot orchestré par des réseaux occultes et omnipuissants. Cette mise en cohérence des positions

5

Cf. Kristina Borjesson, Feet to the Fire, 2005, livre d’entretiens consacré aux rapports de la presse américaine et de l'administration Bush, où huit journalistes appartenant à l’élite médiatique des États-Unis, dénoncent les menaces pour le pluralisme dans les médias américains et démontent la réalité du complexe politico-médiatique qui par mensonges, manipulations, fuites organisées et connivences de tous ordres a propagé une idéologie guerrière en réponse aux événements du 11 septembre

6

Se reporter notamment aux analyses de Cyril Lemieux sur « la responsabilité des journalistes dans l'élection du

21 juin 2002 », in Duclert V. et all. Il s'est passé quelque chose le 21 avril 2002, Denoël, 2003

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médiatiques et politiques découle directement du mode de fonctionnement de chaque champ et de la convergence des intérêts objectifs des acteurs concernés, convergence facilitée par la symbiose des deux univers et la perméabilité de leur frontière. Sans qu’il soit toujours facile de démêler ce qui relève de stratégies politiques délibérées ou de comportements individuels opportunistes, on assiste en France à une intensification des croisements de trajectoires personnelles d’un champ à l’autre. Cela conduit à considérer que la notion de complexe politico-médiatique ne recouvre pas seulement des convergences fonctionnelles ou stratégiques mais renvoie à la constitution de réseaux de relations et d’intérêts stables et structurellement intégrés à l’organisation sociale du pouvoir : au-delà de la pertinence du concept analytique, nous sommes ici confrontés à la réalité d’un fait social

7

.

Le contexte de la globalisation

Cette construction médiatique et cette exploitation politique du sentiment d'insécurité trouvent un contexte particulièrement favorable dans un processus de globalisation qui, tel qu’il est perçu, mutualise les menaces et réduit l'efficacité des protections traditionnelles.

La globalisation mutualise les menaces, car l’instantanéité et la surabondance de l’information rend proche et potentiellement inquiétante toute catastrophe advenue en quelque point de la planète. La détresse des pêcheurs sri-lankais face au tsunami, l’interminable agonie d’une fillette ensevelie dans la boue ou l’indicible douleur d’une mère dont l’enfant vient d’être déchiqueté par une bombe provoquent au même moment, chez les téléspectateurs du monde entier, une énorme émotion compassionnelle. Ce sentiment les culpabilise d’autant plus qu’ils sont à la fois épargnés et impuissants : partager, fût-ce symboliquement, ces malheurs et cette vulnérabilité est la seule façon pour eux d’échapper à ce sentiment de culpabilité. Ainsi incorporent-ils, à leur insu, « tous les malheurs du monde », qui viennent alimenter une angoisse diffuse mais obsédante.

Dans le même temps, la globalisation réduit l’efficacité des protections traditionnelles car, dans la très grande majorité des cas, les menaces viennent du dehors et semblent échapper aux processus d’autorégulation de la société. Le dealer du coin de la rue est le dernier maillon d’un réseau international de trafic de drogue, l’exécuteur des basses œuvres d’un complot mondial destiné à anéantir la civilisation...démonstration éclatante de la nocivité de l’ouverture des frontières, au même titre que le clandestin sénégalais ou le plombier polonais sont, en dernière instance, les véritables responsables du chômage dans une économie livrée à l’étranger.

Par ailleurs, l'ouverture des frontières et la mondialisation s'accompagnent d'une accélé- ration du brassage social et de la multiplication de situations interculturelles dans la vie quoti-

7

Au lendemain des élections présidentielles de 2007 en France, le directeur adjoint de la campagne de Nicolas

Sarkozy a rejoint le groupe Bouygues pour être nommé directeur général adjoint de TF1, première chaîne

télévisée. Parallèlement, la directrice du service politique du Point rejoignait le cabinet du président

nouvellement élu, pendant que la journaliste qui suivait pour Le Figaro la campagne de Ségolène Royal,

candidate socialiste, était nommée conseillère en communication du Premier Ministre.

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dienne. Or de nombreux secteurs de la société française restent marqués par l'héritage culturel de la ruralité, largement présent dans les esprits et fortement idéalisé

8

. La vivacité de ces réfé- rences paysannes rend d'autant plus inquiétante la cohabitation avec des usages, des systèmes de valeurs et de représentations venus d'ailleurs. D'autant que le modèle français d'intégration républicaine ne prédispose pas à la reconnaissance spontanée du droit à la différence, comme nous le verrons plus loin. Tous les ingrédients d'un durcissement des revendications identi- taires et d'une radicalisation des conflits entre groupes ethniques et culturels sont réunis, alors même que la France ne s'est pas dotée des instruments de gouvernance d'une société multicul- turelle

9

.

Le marché médiatique du terrorisme

Par rapport aux raisonnements précédents, la spécificité du terrorisme tient à l’omniprésence des enjeux internationaux. Le champ politique de référence en matière de terrorisme, ce sont les relations internationales à l’échelle mondiale. Bien sûr, il existe encore des poches de terrorisme extrêmement localisées, liées à des revendications identitaires spécifiques, comme au Pays basque ou naguère en Irlande du Nord, mais c’est un phénomène géographiquement très circonscrit. L’essentiel du terrorisme international est aujourd’hui lié à l’intégrisme islamique et se manifeste à l’échelle mondiale.

Le terrorisme, c’est ce que l’on appelle la réponse du faible au fort : un mode d’irruption violente et très lourdement chargée de symboles dans le débat public pour des groupes ou des individus qui se considèrent en situation d’extrême minorité dans les dispositifs de pouvoir économique, politique ou militaire et qui ne trouvent d’autres voies pour rendre public leur message, avec le concours plus ou moins délibéré des médias. Ce que recherchent en général les auteurs d’attentat, c’est une dramaturgie la plus ostentatoire possible, dont le prototype absolu est l’image des avions percutant les tours du World Trade Center. Ce sont des actes qui ont une résonance d’autant plus grande qu’ils surviennent là où on ne les attend pas et qu’ils constituent donc pour chacun une menace permanente.

De ce point de vue, il y a une dialectique extrêmement forte entre ce que l’on peut appeler l’offre terroriste et la demande médiatique d’événements terroristes. Le terroriste ne vit et ne meurt que pour que son acte bénéficie de l’écho le plus large possible. L’efficacité médiatique est donc le véritable objectif de l’acte terroriste et l’écho qu’il trouve dans les médias est le moteur principal de la puissance du terrorisme. Dans un contexte d’instantanéité de la circulation mondiale de l’information, d’impact dramatique immédiat de la scénographie audiovisuelle des images les plus atroces, la résonnance médiatique devient un facteur essentiel d’efficacité de la menace et de globalisation du sentiment d’insécurité. Entre le

8

En témoigne l'immense succès populaire du film d'Etienne Chatiliez Le bonheur est dans le pré (1995), dont le titre est devenu le symbole même du mouvement de néo-ruralité que la France connait depuis quelques

décennies. Pour un panorama des analyses sur ces problématiques se reporter notamment aux «Recherches sociologiques françaises sur le rural » de Luc Bossuet, in Agrarwirtschaft und Agrarsoziologie, 2004.

9

Sur la problématique des sociétés multiculturelles, se reporter à Henri Giordan, Les sociétés pluriculturelles et

pluriethniques, 1994

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système médiatique et les terroristes, il y a donc un jeu d’offre et de demande parfaitement conforme à la rationalité économique néo-classique. Ce type de processus a une tendance spontanée à s’auto-accélérer car sur le marché de la menace l’augmentation de la demande médiatique d’informations à sensation suscite inéluctablement une augmentation de l’offre d’événements susceptibles de l'alimenter, puisque le terrorisme cherchera toujours à maximiser l'écho médiatique des causes qu'il défend.

Cette surenchère favorise un conditionnement de l'opinion publique en faveur des solutions les plus sécuritaires, fût-ce au détriment des garanties traditionnelles des libertés individuelles (protection de la vie privée, confidentialité des données personnelles etc.) ou collectives (liberté religieuse, liberté d'association, droit d'accès aux médias et capacité effective d'expression des opinions etc.). Il y a une convergence objective d'intérêts entre les courants les plus répressifs de la classe politique, une large fraction du monde médiatique et les mouvements radicaux pour donner un retentissement aussi fort que possible aux actes terroristes et nourrir ainsi une psychose qui sert, à titres divers, leurs desseins.

Pour une refondation démocratique des politiques de sécurité

La société de surveillance, accomplissement du projet disciplinaire

Ces dérives sécuritaires ne doivent rien au hasard. Elles sont l’aboutissement d’un mouvement séculaire de « disciplinarisation » du contrôle social que Michel Foucault a décrit et analysé dans « Surveiller et punir », avec une lucidité prophétique qui nous met en demeure de réévaluer radicalement les risques que les évolutions actuelles font courir aux libertés collectives et aux droits des individus

10

. Trois des mécanismes que Michel Foucault avait identifiés comme étant au cœur du processus d’instauration d’une « société de discipline » sont aujourd’hui à l’œuvre avec une vigueur sans précédent : la mise en place de dispositifs

« panoptiques », la stigmatisation des « individus dangereux » et l’enracinement biologique du contrôle social, à travers « biopouvoir » et « biopolitique ». Cette contribution des travaux de Michel Foucault à la compréhension des métamorphoses du contrôle social dans les sociétés contemporaines est aujourd'hui universellement reconnue. En témoigne notamment la place importante qu'il occupe dans la littérature anglo-saxonne, hispanique ou latino- américaine consacrée à cette problématique

11

.

Les dispositifs panoptiques

La généralisation des dispositifs de vidéosurveillance, qui s'était largement engagée avant les événements du 11 septembre 2001, s'est considérablement accélérée depuis cette

10

Ces risques sont d'autant moins virtuels que le développement des dispositifs de surveillance constitue un enjeu industriel et technologique considérable. Cf. Stanley J., 2004

11

Quelques exemples parmi de nombreux autres: Barry, Osborne and Rose, 1996; Mc-Cahill, 1997; Lianos,

2003; Rosenbom, 2004 ; Gil Rodriguez, 2005.

(11)

date

12

. Les attentats de Londres en 2005 ont été l'occasion d'ériger en modèle le maillage serré d'équipements dont la capitale britannique s'était dotée, au point que la multiplication des dispositifs de vidéosurveillance est devenue en France, à l'été 2007, une des priorités des politiques de sécurité publique. La filiation avec le rêve panoptique de Bentham

13

, tel que Foucault le décrit, est évidente:

Le panoptisme, c'est le principe général d'une nouvelle « anatomie politique » dont l'objet et la fin ne sont pas le rapport de souveraineté mais les relations de discipline.

Dans la fameuse cage transparente et circulaire, avec sa haute tour, puissante et savante, il est peut-être question pour Bentham de projeter une institution disciplinaire parfaite; mais il s'agit aussi de montrer comment on peut « désenfermer » les disciplines et les faire fonctionner de façon diffuse, multiple, polyvalente dans le corps social tout entier. Ces disciplines...Bentham rêve d'en faire un réseau de dispositifs qui seraient partout et toujours en éveil, parcourant la société sans lacune ni interruption. L'agencement panoptique donne la formule de cette généralisation. Il programme, au niveau d'un mécanisme élémentaire facilement transférable, le fonctionnement de base d'une société toute traversée et pénétrée de mécanismes disciplinaires. »

14

De nos jours, les dispositifs panoptiques ne se limitent pas à la vidéosurveillance. Le positionnement spatial des individus et leurs déplacements sont parfaitement repérables s'ils utilisent cartes de crédit et téléphones cellulaires. La surveillance satellitaire, en passe d'être complétée par des images panoramiques au sol, a quitté le domaine militaire pour être accessible à tout usager de Google Earth. Les centres d'intérêt de chacun ou ses pulsions intimes sont susceptibles de s'inscrire dans les données stockées par les fournisseurs d'accès à Internet et les moteurs de recherche. Le détail de ses transactions internationales est directement transmis aux agences de renseignement américaines via le système SWIFT. Qu'il soit effectivement fait usage de ces informations ou non ne change rien à l'impact du dispositif:

De là l'effet majeur du Panoptique: induire... un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses effets, même si elle est discontinue dans son action; que la perfection du pouvoir tende à rendre inutile l'actualité de son exercice; que cet appareil architectural soit une machine à créer et à soutenir un rapport de pouvoir indépendant de celui qui l'exerce...

15

Lorsqu'il analyse l'émergence de la « société disciplinaire », en lieu et place de la

« société de souveraineté », Michel Foucault parachève sa rupture avec l'idéal platonicien de séparation du pouvoir et du savoir:

12

Cf.notamment Surveillance after September 11de David Lyon, 2003

13

Philosophe, politologue et pénaliste britannique, Jeremy Bentham (1748-1832)est l'inventeur des principes architecturaux d'un établissement parfaitement surveillé, susceptible de servir de prison, d'asile, d'hôpital, de pensionnat ou d'usine, le Panopticon (1791). Un bâtiment en anneau entoure une cour au centre de laquelle se trouve une tour. Le bâtiment périphérique est divisée en cellules qui traversent toute l'épaisseur du bâtiment et qui comportent de chaque côté des fenêtres permettant à la lumière de les éclairer constamment. Le personnel de surveillance se tient dans la tour et peut à tout moment voir ce qui se passe dans chaque cellule sans être vu.

14

M. Foucault, Surveiller et punir, p. 242-243, collection Tel

15

ibidem, p. 234-235

(12)

Avec Platon commence un grand mythe occidental: qu'il y a antinomie entre savoir et pouvoir.

S'il y a savoir, il faut qu'il renonce au pouvoir. Là où savoir et pouvoir se trouvent dans leur vérité pure, il ne peut plus y avoir pouvoir politique.

Ce grand mythe doit être liquidé. C'est ce mythe que Nietzsche a commencé à démolir, en montrant...que, derrière tout savoir, derrière toute connaissance, ce qui est en jeu, c'est une lutte pour le pouvoir. Le pouvoir politique n'est pas absent du savoir, il est tramé avec le savoir.

16

Les individus dangereux

Cette superposition des rapports de pouvoir et des rapports de savoir, présente dans tous les dispositifs de discipline, du Panopticon à la biopolitique, trouve dans la notion d' « individu dangereux » son expression la plus aboutie. Alors qu'un principe fondamental des droits pénaux modernes est que « seul un acte, défini comme une infraction par la loi, peut donner lieu a une sanction..., en mettant de plus en plus en avant non seulement le criminel comme sujet de l'acte, mais aussi l'individu dangereux comme virtualité d'actes, est- ce qu'on ne donne pas à la société des droits sur l'individu à partir de ce qu'il est?...C'est insidieusement, lentement et comme par en bas et par fragments que s'organisa une pénalité sur ce qu'on est: il a fallu près de cent ans pour que cette notion d' « individu dangereux », qui était virtuellement présente dans la monomanie des premiers aliénistes, soit acceptée dans la pensée juridique, et au bout de cent ans...le droit et les codes semblent hésiter à lui faire place. »

17

Depuis la fin des années 1970, où Michel Foucault écrivait ces lignes, le droit, les codes et surtout les pratiques sociales, notamment policières et judiciaires, mais pas exclusivement, ont eu beaucoup moins d'hésitations. En France, le régime traditionnel de protection des libertés individuelles avait limité au « Casier judiciaire » le recensement systématique des condamnations effectives présentant un certain degré de gravité et tout autre dispositif de fichage fondé sur les antécédents judiciaires et la dangerosité supposée des personnes était proscrit. La Commission nationale sur l'informatique et les libertés peine aujourd'hui à dénombrer les dispositifs plus ou moins licites de fichage des individus potentiellement dangereux.

Le système de traitement des infractions constatées (STIC) conserve en mémoire toute personne qui a été considérée comme suspecte par la police, même dans le cadre d'une procédure classée sans suite. Casier judiciaire bis, sans aucune des garanties offertes par les règles de procédure pénales, il a été créé en 1985, généralisé en 1994 sous Charles Pasqua et légalisé en 2001. Un dispositif équivalent pour la gendarmerie, le système judiciaire de documentation et d'exploitation (Judex) a été créé en 1986 et légalisé fin 2006. Leur fusion, autorisée par une modification de la loi sur l'informatique et les libertés en 2004, devrait être opérationnelle début 2008, dans le cadre de l' application de rapprochements, d'identification et d'analyse pour les enquêteurs (Ariane). Outre leur utilisation de police judiciaire, ces

16

Dits et écrits I, p. 1437-1438

17

Dits et écrits II, p. 463-464

(13)

fichiers sont utilisés pour diverses enquêtes administratives, notamment dans les procédures de naturalisation ou pour l'embauche et l'habilitation des professionnels de la sécurité travaillant dans les aéroports ou services officiels. Contrairement au casier judiciaire, ces fichiers conservent la trace de procédures dans lesquelles les personnes fichées ont été expressément innocentées ou n'ont pas été poursuivies. Leur usage est donc susceptible de pénaliser des individus, en les excluant de l'emploi ou de la nationalité, pour une dangerosité virtuelle extrêmement contestable et hors toute décision judiciaire. Ils transgressent bien la règle rappelée par Michel Foucault comme étant une des caractéristiques des Etats de droit, celle qui veut que « seul un acte, défini comme une infraction par la loi, peut donner lieu a une sanction ».

La dérive est d'autant plus grave que la fiabilité de ces fichiers se dégrade: en 2001, 25

% des 162 fichiers policiers contrôlés par la CNIL avaient été modifiés ou effacés parce que

« erronés, manifestement non justifiés ou dont le délai de conservation était expiré »; en 2006, la CNIL a du rectifier 54 % des 532 fichiers qu'elle a contrôlés dans le STIC ou Judex.

Dans son avis sur la légalisation du système JUDEX, la CNIL précise :

La commission a pu constater à maintes reprises, lors des contrôles qu’elle assure au titre du droit d’accès indirect, que les atteintes aux droits des personnes sont réelles, des refus d’embauche ou des licenciements étant décidés sur la seule consultation de ces fichiers et sur la base de signalements injustifiés, erronés ou périmés.

18

Un rapport sur les fichiers de police et de gendarmerie, commandé par Nicolas Sarkozy alors ministre de l'Intérieur à Alain Bauer et publié en novembre 2006, permet de prendre une juste mesure des enjeux: en 2005, le STIC a été interrogé près de 33 000 fois par jour; en 2006, il recensait près de 29 millions de procédures, et 4,7 millions de personnes « mises en cause ».

A ces fichiers officiels, s'ajoutent une multitude d'autres de statuts divers et de transparence variable. A l'occasion des dernières élections présidentielles, un incident concernant un proche conseiller de Ségolène Royal, ancien dirigeant de l'organisation Greenpeace, a mis en lumière les fichiers tenus par les services de renseignement, en l'occurrence les Renseignements Généraux. Le fichier national des permis de conduire est aujourd'hui, avec la réglementation du permis à point, un véritable fichier des conducteurs dangereux. A côté des fichiers policiers ou réglementaires, bien d'autres recensent les individus présentant des risques divers, notamment dans le domaine économique: fichiers des incidents bancaires, des incidents de paiement de loyer etc. Les compagnies aériennes sont tenues de constituer pour tout voyageur souhaitant se rendre aux Etats-Unis des fichiers particuliers, dont les données doivent être transférées aux autorités américaines, laissant ainsi penser que tout passager est un individu potentiellement dangereux.

Mais c'est avec la généralisation du fichage des empreintes génétiques que le processus a changé de nature en changeant d'échelle. Créé en 1998 et destiné à l'origine au seul recensement des délinquants sexuels, le Fichier national des empreintes génétiques (FNAEG) a été progressivement étendu à une multitude d'autres cas, des faucheurs d'OGM aux enfants

18

CNIL – Délibération n°2005-188 du 8 septembre 2005

(14)

de douze ans chapardant un jouet dans un supermarché. Le flux de nouvelles empreintes

19

est tel que « dans un souci d'efficacité et d'économie » la procédure de fichage a été sensiblement allégée, avec une réduction des contrôles exercés par les autorités judiciaires et une banalisation administrative de la gestion des prélèvements et du fichier

20

. Or, contrairement au casier judiciaire qui ne recensait que des condamnations effectives, l'empreinte génétique est prélevée sur toute personne mise en cause et elle est conservée pendant 25 ans, même si l'intéressé est ultérieurement mis hors de cause

21

. Il existe bien une procédure permettant aux intéressés de demander leur radiation du fichier, mais elle est complexe et peu connue. Par ailleurs, le refus de laisser prélever son ADN pour permettre l'établissement d'une empreinte est sanctionné et cette sanction persiste en l'absence de toute poursuite quant à l'affaire initiale.

Biopouvoir et biopolitique

Ainsi, avec le fichage des empreintes génétiques, la jonction s'établit entre deux rouages essentiels de la société disciplinaire telle que Foucault l'analysait : la détection des individus dangereux et le « biopouvoir », c'est à dire l'utilisation du corps comme vecteur de contrôle social. Mais ce processus ne concerne pas seulement les individus dangereux, comme en attestent la généralisation des titres d'identité biométriques et de façon plus générale l'utilisation systématique de la biométrie comme outil de contrôle des mouvements de personnes, aboutissement d'un perfectionnement séculaire de la police scientifique et de l'identité judiciaire amorcé avec le recueil systématique des empreintes digitales et des photographies anthropométriques à la fin du XIXe siècle.

Michel Foucault distingue les techniques spécifiques de pouvoir s'exerçant sur les corps individuels, le « biopouvoir », de la « biopolitique », pratiques gouvernementales relatives à

« un ensemble d'être vivants constitués en population: santé, hygiène, natalité, longévité, races... »

22

:

C'est sur la vie maintenant et tout au long de son déroulement que le pouvoir établit ses prises...

Concrètement, ce pouvoir sur la vie s'est développé depuis le XVIIe siècle sous deux formes principales; elles ne sont pas antithétiques; elles constituent plutôt deux pôles de développement reliés par tout un faisceau intermédiaire de relations... Les disciplines du corps et les régulations de la population constituent les deux pôles autour desquels s'est déployée l'organisation du pouvoir sur la vie. La mise en place au cours de l'âge classique de cette grande technologie à double face - anatomique et biologique, individualisante et spécifiante, tournée vers les performances du corps et regardant vers les processus de la vie – caractérise un pouvoir dont la plus haute fonction désormais n'est peut-être plus de tuer mais d'investir la vie de part en part.

23

Les performances des technologies informatiques et médicales permettent aujourd'hui une convergence des dispositifs de biopouvoir et de biopolitique. Cette évolution est d'autant

19

Le FNAEG comporte environ 400000 références début 2007 contre 2100 en 2002

20

Décret du 3 mai 2007 et circulaire du 21 mai 2007 de la ministre de la Justice

21

Le délai est de 40 ans en cas de condamnation.

22

Résumé des cours au Collège de France, p.109

23

La volonté de savoir, p. 182 et 183

(15)

plus pernicieuse qu'elle est largement perçue comme le résultat « naturel » du progrès et la condition de sa poursuite par une opinion que les responsables politiques et médicaux généreusement relayés par la presse conditionnent quotidiennement. Sous couvert d'amélioration de la situation sanitaire de la population et de maîtrise des dépenses de santé, les dispositifs de contrôle se multiplient. En France, il est indiqué aux assurés sociaux qu' « un dossier médical personnel unique, géré par les Caisses d'assurance maladie, comportera tous les éléments diagnostics et thérapeutiques reportés par les professionnels de santé en ville et à l'hôpital... Vous serez le seul à avoir un accès automatique à votre dossier médical personnel et à pouvoir déterminer qui, en dehors de vous-même, pourra y accéder... La nouvelle carte Vitale, comportant votre photo, sera la clé qui permettra d'autoriser l'accès par votre praticien à votre dossier médical personnel... Vous pourrez refuser de donner votre carte Vital au médecin, lui interdisant ainsi l'accès à votre dossier. Néanmoins, le niveau de remboursement des actes et prestations de soin sera subordonné à l'autorisation d'accès du professionnel de santé à votre dossier médical personne. »

24

Merveilleux système où le respect de la vie privé est d'autant mieux assuré qu'on a les moyens de ne pas se faire rembourser les prestations médicales...

Ce dispositif crée toutes les conditions d'un contrôle social efficace sur les corps individuels, dans le cadre de la mise en œuvre d'une politique de santé publique qui s'appuie en outre sur la multiplication des normes de comportement alimentaire, sexuel ou sportif qui n'ont aujourd'hui qu'un caractère facultatif, mais que rien n'empêchera un jour de rendre obligatoire. Une pénalisation financière des fumeurs et des alcooliques a d'ailleurs déjà été envisagée. Le dossier médical unique est l'aboutissement du projet panoptique, dans la mesure où il permet à la société de jeter une lumière crue sur l'intimité de chacun; il constitue un outil efficace de recensement d'individus particulièrement dangereux, drogués, malades mentaux, porteurs de VIH etc.; il fusionne biopouvoir, « anatomo-politique du corps humain » et

« contrôles régulateurs, biopolitique de la population ». Il constitue bien un accomplissement de la société disciplinaire telle que Michel Foucault en identifiait les prémisses « à l'âge classique ».

Cette société disciplinaire accomplie et moderne, mobilisant tous les progrès de la technique et les armes de la communication, prend aujourd'hui la forme de ce que le rapport introductif à 28

ème

Conférence mondiale des commissaires à la protection des données appelle la société de surveillance:

Nous vivons au sein d’une société de la surveillance. Inutile de parler de société de la surveillance au futur. Dans tous les pays riches du monde, le quotidien est envahi par la surveillance, pas simplement de l’aube au crépuscule, mais bien 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Le problème ne réside pas simplement dans le fait que nous soyons filmés plusieurs centaines de fois par jour par des caméras de télévision à circuit fermé (CCTV) en réseaux de surveillance, ou que l’on nous demande notre carte de fidélité en passant à la caisse du supermarché. Il vient du fait que ces dispositifs représentent une infrastructure fondamentale et complexe qui part du principe que la collecte et le traitement des données personnelles sont

24

Source: http://www.sante.gouv.fr/assurance_maladie/actu/dmp.htm, consulté en avril 2007

(16)

désormais des activités essentielles à la vie contemporaine.

25

Ce terme a été repris en France par la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), qui ouvre son rapport d’activité pour 2006 par une « Alerte à la société de surveillance ».

De la société disciplinaire à la société sécuritaire, les chemins de la servitude volontaire

Pour mieux mesurer la portée réelle de ces bouleversements, il est nécessaire de prendre en compte les effets de l'articulation des deux processus identifiés précédemment: le conditionnement politico-médiatique sur les angoisses sécuritaires; la mise en place d'une société de surveillance. En effet, un changement radical est constitué par l’instauration de la forme aujourd'hui la plus élaborée de contrôle social, celle de la société sécuritaire, entendue comme société dont les dispositifs disciplinaires sont voulus, et non subis, par ceux qui y sont soumis. Pour comprendre cet avènement, il est nécessaire d'identifier les mécanismes socio- psychologiques qui permettent à chacun de s'approprier comme correspondant à ses vœux les règles qui lui sont imposées . A cet effet, comme le disait fort justement Pierre Legendre dans L’amour du censeur :

Il s'agit d'observer comment se propage la soumission, devenue désir de la soumission, quand le grand œuvre du pouvoir consiste à se faire aimer... Le pouvoir touche au nœud du désir; par ce prodige, l'opposant peut être défini comme un coupable et l'erreur comme une faute.

26

Et plus loin :

Ici précisément prend corps la science du sourire pour manœuvrer les grands ensembles... La sécularisation de la science du pouvoir pour dire et porter la censure s'achève progressivement...

L'administration de la santé publique, stimulée par la rationalisation des choix budgétaires..., commence à parler noblement du pauvre suicidé, sujet tabou, jusqu'alors surtout réservé à la médecine légale et au Droit canon; les hebdomadaires féminins prêchent le mariage voluptueux pour accomplir la personnalité, tandis que le haut commerce de la publicité fait lui-même avec emphase le procès de la persuasion clandestine.

27

Si les dispositifs disciplinaires ont pu être constitués socialement et incorporés individuellement comme objets de désir, c'est précisément parce que la construction et l'exploitation du sentiment d'insécurité ont permis que les instruments de contrôle social soient perçus comme solution et non plus comme problème. C'est le même conditionnement médiatique qui avait permis à l'opinion publique américaine de considérer la guerre d'Irak comme une délivrance et non comme une tragédie. Il y a là de façon caractéristique un processus de violence symbolique, au sens où le définissaient P. Bourdieu et J.C. Passeron comme « tout pouvoir qui parvient à imposer des significations et à les imposer comme

25

A report on surveillance society, p.2, par Kirstie Ball and allii. Ce rapport a été rédigé à la demande de l'Information Commissionners' Office (ICO) britannique dans le cadre de l'organisation de la 28

th

International Conference of Data Protection and Privacy, Londres, 2 et 3 novembre 2006. Les auteurs appartiennent tous au Surveillance Studies Network.

26

L'amour du censeur, p.5

27

Ibidem, p.244

(17)

légitimes en dissimulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force... »

28

Exaspération politico-médiatique des angoisses sécuritaires, mise en place institutionnelle et technique des dispositifs disciplinaires, présentation systématique de ceux- ci comme réponses pertinentes à celles-là: c'est ainsi que s'opère sous nos yeux et dans l'indifférence générale la transition d'une société diciplinaire à laquelle nous nous étions accoutumés à une société sécuritaire dont nous ne voulons pas voir les dangers. Ce n'est pas faute d'avoir été prévenus, et depuis longtemps, notamment par Etienne de la Boétie dans son Discours de la servitude volontaire écrit en 1549 :

Je voudrais seulement comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois un tyran seul qui n'a de puissance que celle qu'ils lui donnent, qui n'a pouvoir de leur nuire qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal s'ils n'aimaient mieux tout souffrir de lui que de le contredire.

Chose vraiment étonnante - et pourtant si commune qu'il faut plutôt en gémir que s'en ébahir - de voir un million d'hommes misérablement asservis, la tête sous le joug, non qu'ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu'ils sont fascinés et pour ainsi dire ensorcelés par le seul nom d'un, qu'ils ne devraient pas redouter - puisqu'il est seul - ni aimer - puisqu'il est envers eux tous inhumain et cruel...

Ce maître n'a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n'a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu'il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D'où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n'est de vous ?...

A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s'il n'était d'intelligence avec vous ?

29

Revendications identitaires et atomisation de la société

Que la montée des revendications identitaires soit concomitante à l'instauration d'une société sécuritaire ne doit rien au hasard. La place de l'ouverture des frontières et de la globalisation dans la façon dont les médias expliquent les multiples insécurités qui nous menacent suscite immanquablement un réflexe de crispation identitaire: dès lors que la menace vient d'ailleurs et de l'autre, la sécurité ne peut venir que d'ici et du même. Cette clé de lecture est générale et s'applique aussi bien aux insécurités économiques ou sanitaires qu'aux menaces aux biens et aux personnes.

Il s'agit d'un processus systémique qui s'autoalimente. Ses effets en France sont d'autant plus destructeurs pour le modèle républicain qu'il suscite à la fois repli communautaire et tensions intercommunautaires. Il ne faut pas oublier que, dans l'imaginaire collectif des français, lorsqu’on parle de modèle républicain, on parle de droits de l’homme, tant la naissance de la république est identifiée à la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Si, à moment donné, apparaît une contradiction entre nécessités de sécurité et exigences de liberté, la cohérence des valeurs est profondément affectée et c’est tout le système de références collectives qui en est déstabilisé.

28

La reproduction, p.18

29

Manuscrit en ligne sur Gallica <https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b52508804x/f7.image>.

(18)

Par ailleurs, le pacte républicain ne distingue pas différentes catégories de citoyens. La culture politique qui en procède se trouve fort démunie face à l'explosion de revendications identitaires qui traduisent de profonds remaniements dans les imaginaires collectifs, et notamment un morcellement des territoires au sein desquels chacun considère qu’il peut légitimement trouver sa place. Cette atomisation des représentations de l’espace sociétal, qui conduit à une radicalisation de l’expression des contradictions de la demande sociale, bien au- delà des divergences « objectives » d’intérêts, s'oppose frontalement à la logique intégratrice de l'idéal républicain. Cela conduit à de profonds bouleversements dans les termes des médiations politiques et des transactions sociales susceptibles d’être opérées au sein de la société.

Face à la montée des logiques sécuritaires et à la puissance des messages médiatiques, les individus se sentent d’autant plus seuls pour affronter un avenir indéchiffrable, que les grandes solidarités collectives, religieuses, politiques ou syndicales ont disparu. Seul prévaut donc un communautarisme de proximité, barricadé dans des ghettos de riches ou de pauvres, villages en déshérence ou banlieues sans avenir, menacés par le temps qui passe, l’espace qui se dilate et tout qui « fout le camp ». Comment renouer la trame des solidarités perdues ? En quels termes formuler les compromis collectifs qui permettront à chacun de retrouver le gout du vivre ensemble, pour échapper ensemble à la malédiction de la servitude volontaire ? Autour de quelles nouvelles médiations et de quelles nouvelles transactions réinventer un contrat social dont l’œil opaque des cameras et les circuits invisibles des processeurs ne seraient pas le seul vecteur? Tels sont les principaux enjeux pour une refondation démocratique des politiques de sécurité.

Pour une refondation démocratique des politiques de sécurité

Cette grave crise que connaissent les démocraties occidentales, dans leur incapacité à faire face à des menaces réelles qu’elles aggravent faute d’y trouver des réponses adéquates, traduit la faillite d'un modèle de régulation de l'action publique fondé sur l'usage unilatéral et procédural du droit dans un cadre purement institutionnel. La prévalence de la règle formelle sur les valeurs ou les normes de comportement crée un déséquilibre irrémédiable en faveur de celui qui, exerçant une autorité largement relayée par les médias, détient à la fois la maîtrise des règles, la production des représentations légitimes, le contrôle des dispositifs techniques et le monopole des sanctions (et donc aussi le pouvoir d’indulgence). L’immense cohorte de ceux qui se sentent exclus du pouvoir, et à ce titre exposés à toutes les menaces, n’a d’autre recours que de se placer sous la protection des puissants, transformant le contrat social républicain en nouveau pacte féodal. Qu’importe alors que le Prince observe ses sujets, puisque son regard est protecteur et bienveillant ?

Ainsi, les menaces que les dérives sécuritaires de la société de surveillance font peser

sur les libertés individuelles et collectives sapent les fondements de la cohésion sociale mais

elles en préservent les apparences, en offrant à chacun le droit de partager la commune

(19)

allégeance. A ceux qui considère que cette évolution est inacceptable s’impose la nécessité de faire prévaloir pour les politiques de sécurité, comme pour beaucoup d'autres, un mode de régulation partenarial, à base stratégique et managériale dans un cadre territorialisé, aux lieu et place d’une régulation unilatérale, à base juridique et procédurale dans un cadre institutionnel.

Puisque l’enjeu fondamental est celui d’une réappropriation citoyenne des questions de sécurité, il faut replacer les problèmes à la portée des citoyens, c'est-à-dire dans un espace de proximité à l’intérieur duquel se situe également l’essentiel des actes de délinquance. C’est à ce constat qu’entendait répondre la création en France, en 1999, de la police de proximité, largement remise en cause après 2002. Inspirée du concept américain de « community policing »

30

, la notion de police de proximité a été introduite en Belgique au début des années 1990 sous l'appellation de « police communautaire ». Malgré de réels acquis, le bilan de l'expérience belge reste ambigu, notamment quant au risque de formatage idéologique de la démarche:

Les difficultés et résistances constatées pervertissent sensiblement un processus de changement initié essentiellement par le haut, hiérarchie pour la gendarmerie et ministère de l’Intérieur pour la police communale. Au point qu’on peut considérer que les nouveaux dispositifs inspirés du community policing traduisent en fin de compte moins la mise en place d’une police de proximité que l’accroissement de la proximité de la police et le renforcement d’une proximité du contrôle policier...

Mais, plus fondamentalement, se trouve confortée la réduction politique des sources de l’insécurité à la délinquance, urbaine en particulier, et partant, l’orientation prise par les politiques non seulement criminelles, mais aussi sociales... Quand la délinquance est placée au centre des politiques, comme cible prioritaire, il devient de plus en plus difficile d’accréditer la pertinence d’une intervention qui ne considère l’absence de comportements délinquants que comme bénéfice secondaire, a fortiori lorsque la pérennité de cette intervention dépend de subventions étatiques. Autrement dit, se produit un formatage idéologique de l’action sociale autour de la délinquance qui couvre l’absence d’effets tangibles des politiques existantes ou l’abandon de politiques dans d’autres domaines.

31

La question centrale est donc d'intégrer l'instrument particulier que constitue une police de proximité dans une régulation territoriale globale et pluraliste des enjeux de sécurité. Un processus de management territorial stratégique offre un cadre de régulation particulièrement pertinent au regard des enjeux. En effet, le terme générique de management territorial stratégique désigne une configuration partenariale d’action collective qui combine :

 le territoire comme cadre de régulation ;

 la mise en commun des connaissances comme support cognitif;

 la gouvernance comme processus décisionnel ;

30

Le pionnier de la « community oriented policing » fut Robert C. Trojanowicz, directeur de l'Ecole de Justice Criminelle de l'Université d'Etat du Michigan. Il y créa en 1983 et dirigea jusqu'à sa mort en 1994 le centre national pour la police de communauté (National Center for Community Policing).

31

Cartuyvels Y. et Mary Ph., 2002

(20)

 le projet stratégique comme instrument de cohérence

32

.

Bien que dans une telle configuration aucun deus ex machina ne vienne s’inscrire dans la figure canonique du manager, la référence au management est pourtant adéquate dans le contexte épistémologique actuel des sciences de gestion:

Les sciences de gestion aboutissent à ce qu’elles ne pouvaient clairement imaginer à leurs débuts : une science dont l’objet ne serait ni un type d’organisation, ni un type de phénomènes, ni un ensemble de faits, mais plutôt une classe de problématiques constitutives de toute action collective : la décision, la rationalisation, la représentation, la légitimité, la coopération, la prescription…

33

.

Un management territorial stratégique des enjeux de sécurité permet de se doter d'un cadre territorial pertinent pour circonscrire l'essentiel des risques, mettre en réseau les acteurs, mutualiser les connaissances, concevoir des réponses globales, mettre en œuvre des stratégies partagées de prévention et de répression, les évaluer d'un commun accord pour les ajuster ou les remettre en question. Il constitue une approche systémique plus large que les simples démarches de police de proximité, dans la mesure où il instaure une gouvernance partenariale et se fonde sur un projet stratégique commun.

C'est à cette condition que pourront être renoués, dans une réappropriation collective et partenariale des enjeux de sécurité, les fils du dialogue et de la négociation ; que se

reconstitueront des représentations partagées et des imaginaires communs ; que pourront se conclure entre tous les acteurs, au-delà et à partir de la diversité de leurs demandes

particulières, les transactions d'un type nouveau hors desquelles il ne saurait y avoir aucune refondation du contrat social, faute d’expression d’une réelle volonté collective.

32

Cf Casteigts M., 2003

33

Cf. David A., Hatchuel A. et Laufer R., 2002, p.2

(21)

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Références

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