• Aucun résultat trouvé

décors fictifs chez Ausone : Du Cupido cruciatus aux épigrammes

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "décors fictifs chez Ausone : Du Cupido cruciatus aux épigrammes"

Copied!
11
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: hal-01706170

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01706170

Submitted on 13 Feb 2018

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

décors fictifs chez Ausone : Du Cupido cruciatus aux épigrammes

Florence Garambois-Vasquez

To cite this version:

Florence Garambois-Vasquez. décors fictifs chez Ausone : Du Cupido cruciatus aux épigrammes . PRATIQUES ARTISTIQUES ET LITTERAIRES DES ARCHITECTURES ET DECORS FICTIFS Colloque international jeudi 1er, vendredi 2 & samedi 3 fevrier 2018 - MMSH, Feb 2018, Aix-en- Provence, France. �hal-01706170�

(2)

Florence Garambois-Vasquez, Le décor fictif dans l’œuvre d’Ausone : du Cupido aux épigrammes

Colloque d’Aix

Les architectures fictives chez Ausone

Il y a quelques décennies, H. P Lorange1 avait écrit qu’une des mutations importantes dans l’art de la latinité tardive venait d’une tendance de fond qui a perduré jusqu’au haut M. Age et qui consistait dans le fait d’incorporer dans l’architecture –et dans une moindre mesure dans les décors-, des éléments tirés de monuments disparates, appartenant à des systèmes décoratifs les plus variés, ayant rempli les fonctions les plus différentes. La création artistique a déconstruit les formes traditionnelles et multiplié les croisements sans que cela ne gêne le regard qui désormais ne s’attache plus au détail des éléments assemblés, mais aux masses et aux dimensions. Une manière architecturale de mettre en œuvre la poikilia et le mélange des genres qui dominent la littérature de l’Antiquité tardive, et dont Ausone est un représentant d’excellence.

Á la différence de son quasi-contemporain Claudien qui émaille son œuvre de moments descriptifs consacrés aux décors architecturaux crées de toute pièce et ancrés dans un ailleurs mythique, tels que sont le palais de Lemnos, le palais de Pluton, la grotte de Vénus, le palais du Soleil, Ausone ne recourt pas à cette thématique de la même manière. Les mentions de décor ou d’architecture ne sont pas le lieu d’un morceau de bravoure littéraire du descriptif, presqu’autonome dans le cours du récit. Ausone a une pratique particulière du décor qu’il soit fictif ou non, comme ns allons essayer de le démontrer.

La première question qui se pose est celle-ci : y a-t-il une typologie des décors chez notre poète, c'est-à-dire y_a t-il un traitement différent du décor fictif et du décor réel ?

L’exemple le plus frappant est celui du catalogue des villes célèbres2. Composé après le séjour du poète à Trèves et très vraisemblablement retouché par la suite, au moment où Ausone pensait à une réédition de ses œuvres, sous l’injonction de l’empereur Théodose, ce poème de 168 hexamètres continus, apparaît comme un classement subjectif de villes, fondé sur les

1 «Art, forms and civic life in the Late Roma Empire, Princeton, 1965.

2 L’œuvre est originale par sa nature même, un ensemble de poèmes ayant pour sujet exclusif des villes ; ainsi que le souligne H. SZELEST, « Die Sammlung « Ordo urbium nobilium » des Ausonius und ihre Literarische tradition », Eos, 61, 1973, p. 305-308, on ne trouve que deux pièces littéraires ainsi structurées, l’une d’Apheios de Mytilène (Anth. 9, 101, 104) et l’autre de Mundus Munatius (Anth, 9, 103). Elle fait également preuve d’originalité par sa variété (longueur des poèmes, schémas de composition), par le choix des motifs traités, par son regroupement en recueil. Voir pour une analyse de détail l’introduction de l’édition de L. DI SALVO, Ordo Urbium Nobilium, Naples, Loffredo, 2000.

(3)

hauts faits des cités et leurs titres de gloire ainsi que sur leur portée mythique. Dans cet ensemble qui peint aussi bien la splendeur passée, l’histoire éclatante, les mœurs des habitants, la douceur d’un climat, l’excellence de la situation géographique, le discours d’éloge prend régulièrement pour objet les constructions humaines et particulièrement les remparts, les ports et les ouvrages d’art et autres fontaines. Pour la plus grande partie d’entre eux , leur existence a été attestée par une foule de documents et par les témoins archéologiques et ils sont traités comme tels par le poète, qui ne s’attarde guère sur eux, comme s’il y avait une volonté affirmée de ne pas transcrire cette réalité ou de ne pas rivaliser avec elle. Toutefois, ces éléments architecturaux et ces décors ont une valeur métonymique dans la mesure où ils disent l’identité même de la ville, tel par exemple le monostique lapidaire consacré à Rome3 qui ouvre le recueil (Ordo,7 ):

Prima inter urbes, diuum domus, aurea Roma Première des cités, des dieux le séjour, Rome d’or.

Rome est habituellement caractérisée par sa beauté rayonnante, Ovide la qualifiait d’aurea (Simplicitas rudis ante fuit: nunc aurea Roma est,/ Et domiti magnas possidet orbis opes) ainsi que Martial4 (In Saeptis Mamurra diu multumque uagatus,/ hic ubi Roma suas aurea uexat opes,/ inspexit molles pueros oculisque comedit); la formule aurea Roma renvoie à la fois à l’éclat des monuments et à celui des métaux précieux qui les recouvrent (les dorures attestées sur le toit du temple de Jupiter Capitolin par exemple). Claudien, évoque également des bâtiments qui s’élèvent jusqu’aux astres5, tout comme Ammien6 ou plus tard Rutilius Namatianus7.

Ausone ne mentionne que l’image d’une ville étincelante d’or par ses édifices, dont la grandeur architecturale et matérielle égale la grandeur morale et spirituelle, L’intérêt du distique réside surtout dans sa perfection formelle, dans la concision, proche de la pointe

3 Ce relatif silence sur Rome ainsi que l’attachement tout relatif d’Ausone à Ville Eternelle ont été analysé par G. Mazzoli http://saprat.ephe.sorbonne.fr/media/eb743090dbb819664882a11a47d8d834/camenae- 02-mazzoli-ausone-et-rome.pdf

4 Art d’aimer, 3, 113, Épigrammes, 9, 60. Chez Ovide, aurea Roma est l’occasion d’opposer à l’idéal élégiaque et à la tradition moralisante qui vantaient la simplicitas primitive un éloge du luxe et de l’élégance de son siècle.

5 Éloge de Stilicon, 3, 130-173 : « notre cité la plus grande qui existe sous la voûte céleste ; l’œil ne saurait en mesurer l’étendue, ni l’esprit en concevoir la célébrité (…) ses édifices resplendissants d’or rivalisent avec les astres dont ils approchent, ses sept collines imitent les zones de l’Olympe. »

6 Amm. Marc., 6, 10, 14.

7 Rut., De reditu suo, 1, 50 : Non procul a caelo per tua templa sumus.

(4)

épigrammatique ou de la sentence dédicatoire que vient légèrement modifier la succession des sept syllabes longues et l’assonance qui donnent de la solennité.

Si l’on tient compte de la place politique des villes au IVème siècle et de leur centralité, il nous faut regarder ce que dit Ausone de Milan8, classée à la septième place dans l’Ordo, résidence impériale et capitale de l’empire d’Occident où Gratien, s’était installé 382 :

Á Milan, tout est merveilleux : l’abondance des biens D’innombrables jolies maisons, des gens à l’éloquence Innée et aux mœurs agréables ; une double muraille Qui amplifie l’aspect du site ; pour le plaisir du peuple, Un cirque, un théâtre fermé aux imposants gradins ;

Un quartier très peuplé, qu’honorent les thermes d’Hercule ; Des péristyles tous ornés par des statues de marbre ;

La ceinture des murs qui tout autour forment rempart.

Tout y excelle, y rivalise par l’ampleur des proportions.

Et Rome ne l’accable pas de sa proximité.

Que remarque-t-on ? : une admiration réelle pour les constructions de la ville, mais cela relève également du topos de l’éloge des cités et en dehors de cela, une liste sans grande originalité des monuments d’une cité.

Maigre moisson donc, le décor réel et identifié comme tel dans l’Ordo ne semble n’avoir qu’une fonction topique ou, au mieux, anecdotique.

Plus intéressant pour nous sont les moments textuels où le rapport réalité/fiction appliqué au décor est questionné. Tel est le cas du Cupido cruciatus. Ce poème de 103 hexamètres est inséré dans une lettre qu’Ausone adresse à son fils Gregorius. Le poète affirme qu'il décrit une fresque qu'il a contemplée dans une salle à manger à Trèves dont la réalisation et le sujet (les victimes de l'amour) l'ont à ce point frappé qu'il a décidé de les traduire en vers :

En unquam uidisti nebulam pictam in pariete ? Vidisti utique et meministi. Treueris quippe in triclinio Zoili fucata est pictura haec ; Cupidinem cruci affigiunt mulieres amatrices, non istae de nostro saeculo, quae sponte peccant, sed illae heroicae, quae sibi ignoscunt et plectunt deum. Quarum partem in lugentibus campis Maro noster enumerat. Hanc ego imaginem specie et argumento miratus sum. Deinde mirandi stuporem transtuli ad ineptiam poetandi. Mihi praeter lemma nihil placet. Le lecteur s’attend donc à la description, une ekphrasis au sens traditionnel du terme, c’est-à- dire une description d’œuvre d’art, qui n’est pas dans une dynamique d’explication ou d’exégèse, qui se contente d’être dans une relation de fait de l’image au texte. Or 103 vers pour une nebulam pictam, à l’évidence, il y a déjà de quoi avoir la puce à l’oreille. Ausone présente a priori cette description comme référentielle par la mention du lieu Trèves et du nom

8 Pour une description archéologique de l’architecture milanaise , voir S. Lusuardi Siena, « Milano, la città nei suoi edifici. Alcuni problemi », Atti del 10° convegno internazionale di studi sul’’alto Medioevo, Milano, 1986, p. 209-240, voir également J-L. Charlet, "L'image de Milan dans la poésie latine tardive (Ausone, Ambroise, Claudien et Ennode)", RPL 17,1994, 111-118.

(5)

propre Zoile, par la question également qui ouvre cette préface : en umquam …et qui implique qu’une telle expérience visuelle peut ou a pu être partagée. Pourtant, si on ne peut absolument exclure qu’Ausone n’ait jamais vu une telle fresque, dans la mesure où ce motif du Cupidon aux outrages est un motif attesté dans la peinture9 de cette époque, à rebours de bon nombre de critiques, il me paraît assez peu probable que le poète se soit inspiré de cette peinture murale précisément10. Au fond, là n’est pas l’essentiel, Ausone crée une référentialité fictive avec ce qu’il faut d’habileté pour que le lecteur n’ait pas le sentiment d’artifice et qu’il reconnaisse une réalité certes illusoire mais qui présuppose un objet. Par ailleurs, le décor détaillé dans la description est lui-même sujet d’une « fausse » ekphrasis, parce qu’il y manque les marques formelles du point de vue du narrateur, notamment concernant la qualité d’exécution de l’artiste (au mieux peut-on parler d’une ekphrasis ayant pour objet son propre discours : mihi praeter lemma nihil placet),ensuite, des indices semés dans le corps du poème contredisent cette hypothèse ekphrastique ; au moment d’aborder le sort réservé aux héroïnes crétoises victimes de l’amour, le poète écrit (vers 28-29) :

Tota quoque aeriae Minioa fabula Cretae Picturarum instar tenui sub imagine uibrat.

La mention de l’expression picturarum instar ne peut, en toute logique, renvoyer ici au support de départ, le mur de la salle à manger de Trèves, elle évoque plutôt une expression comparative générique qui exclut que ce soit une ekphrasis. Enfin, en mentionnant que les héroïnes amoureuses errent dans les lugentibus campis, Ausone, au moment où il explique le sujet de la fresque, par l’allusion à Virgile, opère une première modification de genre qui détourne du projet ekphrastique. Un second brouillage intervient par l’accumulation dans cette préface des échos plautiniens, térenciens ou pétroniens11 : la présence des ces allusions crée un effet de mise en scène littéraire et d’illusion non pas d’optique mais textuelle pourrait- on dire. Celle-ci est encore renforcée, lors de l’évocation du drame de Sémélé qui donne lieu à une micro-narration saturée de lumière et de couleur (v. 16-18) :

Fulmineos semel decepta puerpera partus

9 Voir la Porta Marancio à Rome, le recensement des motifs picturaux et architecturaux de P. Steiner, Trierer Zeitschr., 2, 1927, Ii, p. 54 et ss.

10 Au contraire de Green qui considère p. 526 etss, qu’Ausone a décrit ce qu’il a vu en y ajoutant un certain nombre de choses. Au contraire de P. Courcelle, Connais-toi toi-même de Socrate à Saint-Bernard , tome II, Paris, 1975, p. 452, qui considère qu’Ausone décrit, en s’appuyant sur le livre vI de l’Enéide, une fresque qu’il a vue dans un palais à Trèves.

11 Plaute, Mén., 143 : En umquam tu uidisti tabulam pictam in pariete ? Térence, Eun., 584 : Suspectans tabulam quamdam pictam

Cupidinem ...mulieres amtrices voir Pétrone , Satyr., 113 : debuit mulierem affigere cruci

(6)

Deflet et ambustas lacerans per inania cunas Ventilat ignauum simulati fulguris ignem

Le feu qu’agite Sémélé est celui d’un foudre illusoire, le poète procède ici à une mise en abyme de la fiction du décor qui agit sur le lecteur comme un trompe-l’œil. Il en est de même à la toute fin du poème lorsque Cupidon qui a pu échapper aux châtiments s’envole et s’enfuit vv. 99-103 par la porte d’ivoire :

Talia nocturnis olim simulacra figuris exercent trepidam casso terrore quietem.

Quae postquam multa perpessus nocte Cupido effugit, pulsa tandem caligine somni

euolat ad superos portaque euadit eburna.

La scène est tissée des nombreuses réminiscences littéraires, aussi bien virgiliennes, ovidiennes que statiennes12 : Cupidon s’évade comme Iris s’évade du palais du sommeil, dans les Métamorphoses mais la scène étant sous-terraine, Cupidon opère une forme d’anabase qui rappelle celle de Mercure sortant de l’Averne dans la Thébaïde et suit Enée qui passait le sportes d’ivoire pour parvenir aux aeris campi. Le mélange des références a très probablement pour fonction de détourner de toute interprétation philosophique ou idéologique pour ne mettre en lumière que le décor fictif des portes d’ivoire et l’éveil du dormeur. Il n’est nullement question, selon Ausone, de lire dans le Cupido cruciatus une parodie ou un détournement d’éléments de la passion du Christ, par exemple. Le songe de Cupidon s’emboîte dans la rêverie littéraire d’Ausone, l’eburna porta signale le statut définitivement fictif et irréel de la description poétique. Dans le même temps, par la composition en boucle aeris in campis en ouverture à l’eburna porta, ce décor fictif et onirique, émaillé de couleurs en contradiction avec le référent du lieu souterrain, porte, à mon avis, autre chose : il incarne la poésie selon Ausone, faite d’immatérialité, d’illusion, d’évanescence, semblable à un songe. Ausone le rappelle à d’autres moments, toujours stratégiques, de son œuvre : ainsi dans les poèmes courts, presque constitués en épigrammes qui célèbrent la jeune esclave suève Bissula13 (2, 8-10) :

12 Ou. met. 11.640-42 Iris abit; neque enim ulterius tolerare soporis uim poterat, labique ut somnum sensit in artus, effugit et remeat per quos modo uenerat arcus. Stat. Theb. 2.55-57: Hac et tunc fusca uolucer deus obsitus umbra exsilit ad superos, infernaque nubila uultu discutit et uiuis afflatibus ora serenat. Verg. Aen. 6.897-98 His ibi tum natum Anchises unaque Sibyllam prosequitur dictis portaque emittit eburna.

13 La pièce Bissula 2, pose d’importants et complexes problèmes de transmission manuscrite. Elle n’est pas transmise par les manuscrits de la famille Z à l’intérieur du recueil mais insérée dans une épître adressée à Axius Paulus. PASTORINO (1971,p.236et ss), MONDIN (1995, p. 75-79) et ZUCHELLI (« L'epistola 3 Mond. di Ausonio come preludio alla Bissula », Maia, 52, 2000, p. 275-284) ont plaidé contre l'extraction de ce texte hors de la lettre. Il est probable que la lettre à Paulus, qui présente des analogies thématiques et linguistiques claires avec la dédicace en prose de Bissula (voir le relevé de C. R. KNIGHT, « Ausonius to Axius Paulus: Metapoetics and the

(7)

Ieiunis nil scribo; meum post pocula si quis legerit hic sapiet.

Sed magis hic sapiet, si dormiat et putet ista somnia missa sibi.

En représentant dans cette pièce la poésie comme des somnia missa ad lectorem, Ausone s’oppose à la tradition d’abord aristotélicienne puis horatienne de la poésie qui ne doit pas mettre en scène les folies les plus extravagantes. Or notre poète réitère cette démarche dans le poème qui clôt l’Éphémeride, par une forme d’hallucinatio agitée et colorée Pour Ausone, le sommeil, lieu de la succession de visions, est à l'image d'une pratique poétique de la poikilia.

Quadrupedum et uolucrum uel cum terrena marinis monstra admiscentur, donec purgantibus euris difflatae liquidum tenuentur in aera nubes.

Nunc fora, nunc lites, lati modo pompa theatri uisitur et turmas equitum caedesque latronum perpetior ; lacerat nostros fera belua uultus aut in sanguinea gladio grassamur harena.

Per mare nauifragum gradior pedes et freta cursu transilio et subitis uolito super aera pinni.

Mais c’est dans l’épigramme sans doute que l’on perçoit le mieux les enjeux du décor fictif, ce qui ne surprendra pas, il s’agit presque d’une résurgence mémorielle de l’origine épigraphique de l’épigramme. Examinons la série consacrée à Myron. Comme souvent dans ce type de description, on note un décalage entre l’état du décor transmis et le discours littéraire sur le décor.

Que l’existence de la vache sculptée par Myron soit indubitable, cela a été montré14 et l’on sait également que le sculpteur avait reçu cette commande en 421 au moment de la paix avec Sparte et qu’elle avait été portée sur l’Acropole d’Athènes. Il semble que cette statue originale ou copie, ait voyagé puisqu’on la retrouve à Rome dans la Domus aurea puis plus tard à Constantinople en 537 comme en témoigne une épigramme de l’AP IX15 . Cette sculpture a

Bissula ». Rheinisches Museum für Philologie, 149 (3-4), 2006, p. 369-385) accompagnait l'envoi d'une version provisoire et inachevée de la Bissula (cf. epist., 5, 20-21, ea quae tibi iam cursim fuerant recitata transmisi) qui devait contenir ce poème programmatique. On ne peut exclure que la version définitive du recueil ait été envoyée ensuite pour publication. Dans tous les cas, il est difficile d'envisager, comme le fait B. ZUCHELLI, que ces vers ont été supprimés par Ausone lors des successives réélaborations du corpus.

14 Corso, « La vaca di Mirone….

15 738. JULIEN D'ÉGYPTE. - Dans cette génisse la nature et l'art sont aux prises ; mais Myron a donné à l'une et à l'autre une égale satisfaction. Aux yeux, en effet, la nature a été surpassée par l'art ; mais au toucher, la nature est restée la nature.739. LE MÊME. - O taon, toi aussi, Myron t'a trompé, puisque tu dardes ton aiguillon contre les flancs d'airain de cette génisse. Mais il ne faut pas trop en vouloir à ce taon, puisque Myron fait illusion aux yeux mêmes des bergers.

(8)

semble-t-il été très célèbre parce qu’elle incarnait des valeurs de paix et de prospérité, en tout cas, elle a produit beaucoup de textes et la longévité de cet objet sculpté comme sujet d'épigrammes littéraires est particulièrement frappante : on dénombre en effet 35 épigrammes dans l’Anthologie grecque et la dizaine d’épigrammes d’Ausone. La collection statuaire devenue fictive fut donc redoublée par une collection épigrammatique tout à fait réelle et l’évolution de la représentation de la statue a suivi les réécritures. Ici, le décor fictif permet de théoriser d’abord la supériorité de l’art sur la nature, puis plus précisément, la supériorité de la poésie sur les autres arts. Se présentant elle-même comme la créature engendrée par Myron (genitam), la génisse de bronze montre le trouble de la perception qu’elle impose sur le bétail.

Elle est la preuve concrète de ce que l'art, poussé à un certain degré d'habileté et de raffinement, imite à ce point la nature qu'il abuse le vivant. Dans le même temps, Ausone joue des degrés de la fiction : il insiste sur l’émerveillement éprouvé devant un objet prétendant être ce qu’il n’est pas (miraris), souligne l’illusion réaliste de la situation par des termes évoquant la tromperie ( fallo) afin d’en montrer les mécanismes au lecteur. La vache de Myron, en tant que décor fictif artistique, a été si bien réalisée par son auteur qu’elle donne l’illusion du vivant mais, sans la poésie, nous dit Ausone, cette œuvre d’art n’existe pas ou n’existe plus, elle est donc la matière d’une certaine immatérialité.

Examinons un autre exemple : celui de la double épigramme en grec et en latin16 consacrée à Bacchus-Dionysos (epigr. 32-33) dont le poète montre l’universalité, au travers des différents noms qu’il reçoit selon les lieux et les cultures :

mixobarbaron Liberi Patris signo marmoreo in villa nostra omnium deorum argumenta habenti):

Ogygia me Bacchum vocat, Osirin Aegyptos putat;

Mysi Phanacen nominant, Dionyson Indi existimant;

Romana sacra Liberum, Arabica gens Adoneum, Lucaniacus Pantheum.

Αἰγυπτίων μὲν Ὄσιρις ἐγώ, Μυσῶν δὲ Φανάκης, Βάκχος ἐνὶ ζωοῖσιν, ἐνὶ φθιμένοισιν Ἀδωνεύς, πυρογενής, δικέρως, τιτανολέτης, Διόνυσος.

Si on en croit le titre donné à cette épigramme dans l’édition Kay ( et non Green qui ne donne aucun titre), Ausone décrirait ici une statue qui se trouvait dans l’une de ses villas, dans un

16 Sur l’utilisation du bilinguisme par Ausone, voir R. Kôlher, « Ausonius und die macaronische Poesie », RhM », XII, 1857, p. 434-436.

(9)

jardin ou sur une fresque représentant un jardin. On connaît le goût affirmé dès le Ier siècle pour l’art des jardins, aussi bien dans l’agencement physique et concret que dans la peinture de fresques sacro-idylliques17 et parmi les éléments fondamentaux du paysage se trouvent Pan , silènes et autres faunes mais aussi des nymphes, le berger Pâris et souvent Dionysos.

On pourrait s’étonner que l’épigramme écrite en grec, qui appartient au même registre, quoiqu’en hexamètres, ne possède pas de titulus, quand les inscriptions bilingues sous les éléments de décor sont courantes y compris à cette époque18 . Est-ce là un signe de la fiction de l’objet référentiel ? Cela serait confirmé par l’hapax mixobarbaron qui définit certes le parcours du dieu avant d’arriver dans le monde romain mais également le recours au latin et au grec, ou encore, si l’on s’en tient à la définition du Thesaurus 1, 192-229, des vers de composition barbare dans la mesure où ils s’achèvent sur quelque chose qui ressemble à une rime. Ausone emploie un terme similaire dans la lettre 6 à Paulus pour désigner le mélange latin-grec. Ici, le changement de langue crée l’impression d’un dédoublement de la statue dionysiaque ou à tout le moins, la mise en abyme du décor et en même temps en évacue sa référentialité et sa réalité. Pour le lecteur, la statue s’est, en quelque sorte, dématérialisée, au profit d’un jeu littéraire dans lequel une épigramme n’est pas la traduction ni la translittération de l’autre mais plutôt une variation hyperbolique dans laquelle il faut aussi lire, par exemple, la réécriture du poème 524 du livre IX de l’Anthologie, hymne alphabétique à Dionysos composé avec des vers comprenant 4 épithètes commençant par la même lettre. Par ailleurs, décrire une statue par l’accumulation des noms propres qu’elle peut avoir, sans donner le moindre détail de matière, de forme, de taille, ou tout autre détail visuel, en accentue la déréalisation, le nom propre n’ayant pas d’autre spécificité que sa sonorité .

Dans cette construction en miroir entre épigrammes, alors même qu’elles avaient pour sujet un élément de décor, l’élément de décor est oublié pour laisser place à un lusus littéraire d’autant plus habile que la maîtrise du grec, considérée comme langue de culture et de lettres avait considérablement diminué19, au IVème siècle, en Occident du moins, y compris dans les couches aristocratiques et éduquées de la société.

Cette capacité de la poésie ausonienne à rendre une réalité devenue fictive et immatérielle se retrouve dans une autre épigramme, consacrée à Echo qui sera notre dernier exemple :

Vane quid affectas faciem mihi ponere pictor

17 Le mode de composition de ces tableaux peints dans les villas est double : à la fois des éléments naturels, arbre, rocher, eau qui signifient la nature sauvage et des éléments bâtis par l’homme, temples, autels, statues de divinités. Pour plus de détails voir Mythe et Fiction, D. Auger, Ch Delattre (éds), Paris, 2010.

18 Comme en témoignent certaines inscriptions dès le II siècle voir CLE 886 trouvée à Colonna.

19 Voir R.P. H Green, « Greek in Late Roman Gaul : the Evidence of Ausonius », in E.M. Craik (éd), Owls to Athens: Essays on Classical Studies Presented to Sir Kenneth Dover, Oxford, 1990, p. 311-319.

(10)

Ignotamque oculis sollicitare deam ? Aeris et linguae sum filia, mater inanis Indicii, uocem quae sine mente gero.

Extremos pereunte modos a fine reducens Ludificata sequor uerba aliena meis.

Auribus in uestris habito penetrabilis Echo:

Et si uis similem pingere, pinge sonum.

Nous sommes ici face à un cas-limite puisqu’il s’agit d’un décor représenté dont le sujet ne peut physiquement exister. Écho est à la fois représentation du corps d’un être réel et image de la voix et du son, ou plus précisément du son d’un autre. La difficulté à représenter Echo explique sans doute qu’elle soit rarement représentée seule, il lui faut un contexte qui éclaire l’image de cette voix. L’interrogation sur les moyens techniques de cette représentation traverse les âges. Pensons à au tableau de Poussin sur la mort de Narcisse qui s’est interroger sur la figurabilité d’Echo, en ayant conscience que la peinture, par la représentation d’une physionomie saisie dans l’expression d’une parole, ne peut rendre le caractère irreprésentable de l’objet. C’est pourquoi le peintre fera la choix de peindre Écho, sans pieds visible, les mains confondues avec la roche etc etc .

Pour Ausone, nul n’est besoin de la présence réelle d’une statue ou d’un tableau, il suffit qu’il existe une tradition littéraire sur le sujet, à laquelle le lecteur puisse se référer20. Ausone entreprend donc de pallier l’impossiblité visuelle d’Echo par le pouvoir et la plénitude de la parole poétique.

Á l'instar de la série consacrée à la vache de Myron, le sujet et objet de l'épigramme, Écho, interpelle non pas le bouvier ou le sculpteur, mais le peintre (pictor, pingue) pour mettre en lumière les limites de son art : il ne peut représenter ni le souffle d'air, ni le son, ni la matière évanescente, sa tentative de peindre l’imago uocis est un échec. Tout ce qu’il peut représenter ne sera donc qu’une fiction maladroite, invraisemblable, au contraire de la poésie, d’Ausone, en tout cas, capable de donner corps (sonum) à la fugacité de l'air et de rendre même l'inanité du langage d'Écho (linguae inanis). Sous la plume du poète, Écho prend réellement vie, acquiert un véritable statut de personnage au même titre que Didon, Niobé ou Vénus.

Cependant, ce n’est pas tout à fait la même réalité, la vie que donne Ausone à Echo n’est pas est une vie fondée sur une imitation, celle du langage. Comme le souligne le poète en définissant l’écho, Echo est celle qui répète les mots des autres (extremos… ) sans les investir de sens, elle est mère d’un signe vide (mater inanis lingae).La réalité de la nymphe se trouve ainsi réduite à une marque physique (auribus bien moins large que le uiuit d’Ovide) et son

20 En l’occurrence Philostrate, imag., 2, 33,3, Apulée, met., 5,25,3 ; AP, 9, 382, 4 et un centon homérique, 16, 1566, 1.

(11)

intérêt est ailleurs Or c’est aussi sur ce mot auribus que porte la dimension métalittéraire du poème : puisqu’Echo est fictive, immatérielle et invisible, au lecteur de voir l’invisible et d’entendre les échos des allusions à la tradition littéraire ekphrastique, les sons, ou plutôt les mots des autres .

Références

Documents relatifs

Il faut d’abord rétablir une forme complète pour le nom d’Acindynos (le fait qu’il soit tronqué n’est pas sans parallèle : il est maltraité dans M et K au v. 3, et se

Ces pages avaient initialement pour objectif de mettre à jour les informations jamais contrôlées de la bibliographie ausonienne, qui fai- sait de ce manuscrit une production

o écrire, en respectant les critères d’évaluation, un texte court expliquant l’expression « Voir loin, c’est voir dans le passé », texte qui sera à rendre sur feuille pour

In der Tat ist das vierte kanonische Evangelium in den Ietzten 20 Jahren zur ·gro13en beruflichen Passion von Jean Zumstein geworden, einer Passion, die ein

Soient A la somme des trapèzes inscrits, A' celle des trapèzes circonscrits et S Faire exacte du segment... (

La singularité de chaque projet, la spécificité du contexte spatial et temporel dans lequel il se déroule rendent impossible la réalisation d'un rétroplanning type ; c'est pourquoi

On a entendu lors d’une conf´ erence que si des nombres premiers (des z´ eros non triviaux en fait) s’av´ eraient ne pas ˆ etre sur la droite en question, ils iraient par 2

ouvert pourra, toutefois, être employé si le cercueil est livré dans un fourgon funéraire fermé et reste dans ce fourgon. Si l'expéditeur peut établir d^une manière