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La carrière romaine de L’Estel près du Pont du Gard

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To cite this version:

Jean-Claude Bessac, Mireille Vacca-Goutoulli. La carrière romaine de L’Estel près du Pont du Gard.

Gallia - Archéologie de la France antique, CNRS Éditions, 2002, Dossier : Carrières antiques de la Gaule, 59, pp.11-28. �10.3406/galia.2002.3093�. �hal-01912229�

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La carrière romaine de L'Estel près du Pont du Gard

Jean-Claude Bessac et Mireille Vacca-Goutoulli

Mots-clés. Carrière, aqueduc, calcaire, extraction, transport fluvial, levage, nécropole.

Key-words. Quarry, aqueduct, limestone, extraction, river transport, lifting, necropolis.

Résumé. La carrière de L'Estel a fourni l'essentiel de la pierre du Pont du Gard, ouvrage qui permet à l'aqueduc de Nîmes de franchir la rivière du Gardon. Sa superficie est évaluée à 2 ha et sa production à 120 000 m3. Sa pierre est un calcaire coquillier roussâtre grossier et tendre. Le site est actuellement en cours de fouille et on ne peut présenter ici qu'un bilan provisoire. La carrière a fonctionné à deux reprises : au milieu du Ier s. de notre ère et à l'époque moderne. La stratégie d 'exploitation est influencée par la présence de Veau.

L'exploitation a commencé au bord de la rivière et semble avoir profité de cette situation pour assurer un transport direct des blocs vers le monument qui n 'est qu 'à 700 m de là, en amont. La nature et la disposition du comblement de la carrière attestent la présence intermittente de Veau dans les points bas du chantier d'extraction. La technique d'extraction consiste à isoler verticalement les blocs par des tranchées étroites et à les détacher à leur base avec des coins defer. La manutention et le levage des pierres se font à l'aide d'engins placés au sommet des fronts. Les blocs de grand appareil du monument sont extraits par groupes d'un même module correspondant à des éléments particuliers de l'ouvrage : voussoirs, écoinçons, etc. Après quelques reprises très limitées, la carrière a été abandonnée et envahie par le limon, puis partiellement occupée par une nécropole à incinération.

Abstract. The Estel quarry provided most of the stone of the Pont du Gard, a monument which carried the water of the aqueduct of Nîmes over the river Gardon. Its surface is estimated to 2 ha and its production to 120 000 m3. Its stone is a coarse-grained, soft reddish shell-- stone. The area is currently being excavated so we can only bring up a preliminary report at the present time. The quarry has been twice in operation, in the mid 1st century AD and in modern times. The availability of water had an effect upon the strategy of the exploitation which started on the river bank and used its location to ensure a direct transportation of the stoneblocks to the monument, located only 700 m upstream. The nature and layout of the filling of the quarry show that water was intermittent in the lower sections of the extraction area. The methods of obtaining blocks involve first isolating them by cutting narrow trenches then splitting them free from the bed, using iron wedges. Moving and lifting of the blocks are done by devices placed on top of the quarry faces. The massive blocks belonging to the monument have been extracted by groups of standard sizes corresponding to particular elements : voussoirs, spandrels, etc.

After a short revival on several occasions, the quarry was abandoned and filled up with clay, then occupied by a cremation cemetery.

LE SITE ET LES RECHERCHES SUR LES TECHNIQUES

LE SITE DE LA CARRIÈRE DE L'ESTEL

II est assez rare en Gaule que l'on puisse étudier à la fois le monument et sa carrière : le site d'extraction de L'Estel offre cette opportunité. Il a fourni l'essentiel de la pierre de taille du Pont du Gard qui permet à

l'aqueduc romain de Nîmes, édifié vers le milieu du Ier s.

de notre ère (Fabre et al. dir., 1991, p. 275), de franchir la rivière du Gardon. La carrière de L'Estel est située dans la commune de Vers-Pont-du-Gard (Gard), sur la rive gauche de ce cours d'eau cévenol aux crues aussi soudaines que dévastatrices, à environ 600 m en aval de l'ouvrage (fig. 2). Elle est ouverte au bord de l'eau, au sud de l'ancien chemin royal (CD 981) qui emprunte le pont routier moderne accolé au monument, et a été

Gallia, 59, 2002, p. 1-204 © CNRS ÉDITIONS, Paris, 2002

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Fig. 2 - Position géographique et géologique des carrières de L'Estel et des autres exploitations de calcaire coquillier des environs du Pont du Gard : A, Pont du Gard ; B, pont Rou (arches de l'aqueduc) ; C, vestige de pile de pont supposé romain ; D, blocs romains découverts dans le lit du Gardon ; 1, carrière de L'Estel sud ; 2, carrière de L'Estel nord ; 3, carrière de Font-Grasse ; 4, carrière de Castillon ; 5, carrière de Bracoule (DAOJ.-C. Bessac, CNRS).

exploitée sur une surface d'environ 2 ha. De l'autre côté de cette route, une autre exploitation, la carrière de La Bégude de Vers (dite aussi Estel nord), n'a fonctionné qu'à la fin de l'époque moderne semble-t-il. Au sud-est, la carrière antique de L'Estel est matérialisée par un quai façonné par l'extraction de la roche, mais qui est très érodé par les crues. Côté sud, elle est bordée par une dépression allongée communément considérée comme un bras mort de la rivière (fig. 3). L'altitude actuelle de ce creux est d'environ 21 m, ce qui correspond presque au niveau d'étiage du Gardon.

Le front principal occupe la bordure occidentale de la carrière et dessine une ligne brisée. Il n'est pas totalement romain : au milieu du XVIIIe s., la construction d'un pont routier moderne contre le Pont du Gard a

entraîné une extension de l'extraction vers le nord sur environ 1/2 ha. À notre arrivée sur le site, en 1988, le terrain était transformé en verger et le front de carrière*

n'apparaissait que sur une hauteur de 5 m environ (fig. 4) . Sa découpe en plan forme une série de dix-sept redans qui sont presque tous disposés en angle droit. Le développement total du front visible alors atteignait environ 240 m ; ses pans sont longs de 1 ,5 à 9 m au nord et de 9 à 28 m au sud. À l'extrémité nord, une enclave du front dessine un rectangle ouvert de 13 m x 17 m. Avant les premières recherches archéologiques, il était

impossible de délimiter les parties romaines du front de carrière de celles d'époque moderne. On peut estimer la production totale de la carrière entre 110 000 et 120 000 m3 de blocs utilisables.

LES RECHERCHES ARCHEOLOGIQUES

En 1984 était engagé le projet archéologique

« Aqueduc de Nîmes » 2. Cette première opération fut essentiellement consacrée à la connaissance

archéologique de cet ouvrage et de son environnement (Fabre et al. dir., 1991 ; Fabre et al, 1992). Les problèmes d'extraction de la pierre tendre de la région ne furent alors qu'effleurés à l'occasion de l'étude du chantier antique de creusement des galeries des Escaunes à Sernhac (Bessac, 1991a). Depuis le début du XVIIIe s., presque tous les historiens de Nîmes avaient signalé les carrières de L'Estel comme le site probable d'extraction des pierres du Pont du Gard3. En 1877, le géologue É. Dumas fut le premier à proposer l'hypothèse d'un transport des blocs par voie fluviale (1877, p. 392). Mais les données et hypothèses anciennes restaient assez vagues et se révélaient difficiles à interpréter sur un terrain souvent remodelé par les crues, l'activité extractive moderne et l'exploitation agricole. À partir de 1987, nous avons donc commencé des prospections

archéologiques afin de repérer avec précision les divers vestiges de carrières anciennes dans les environs du monument.

2. Il s'agissait d'une Action thématique programmée (ATP), Archéologie métropolitaine coordonnée par G. Fabre et de J.-L. Fiches, et financée conjointement par le CNRS et les ministères de l'Éducation nationale et de la Culture.

3. L'ensemble de la documentation existante est présenté en détail et commenté dans la dernière publication consacrée à la carrière de L'Estel (Bessac, 1992, p. 403-407).

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-f- Y = 186100.

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50 m -\- Y=1 85900- Fig. 3 - Plan général du site de la carrière de L'Estel avec les espaces dégagés en 1998 et 2000. Le secteur fouillé en 1998 constitue la moitié nord de l'espace en creux limité par le front de carrière (ligne brisée

soulignée en gris) et par le talus de la fouille (ligne hachurée), de son côté ouest apparaît la trame très serrée des blocs extraits à l'époque moderne. Le secteur fouillé en 2000 se trouve au sud et se distingue par sa trame claire matérialisant les grands blocs extraits par les Romains. La fouille de 2001 s'est essentiellement développée à l'est, dans la zone occupée par les petits cercles qui symbolisent le verger.

Le secteur gris clair entre les deux zones et l'espace le séparant du verger devraient être fouillés en 2002 (fond de plan : cabinets Houssard et Vincens, Nîmes-30 et cabinet Le Brun, Aramon-30 ;

topo et DAO : V. Vachon, O. Sennoune, A. Recolin, INRAP).

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Fig. 4 - Vue générale du site du sud vers le nord avant les sondages de 1991 ; la partie romaine de la carrière de L'Estel se trouve au premier plan dans la moitié droite de la photographie (photo J.-C. Bessac, CNRS).

En 1992, à la suite des résultats de ces prospections, nous avons entrepris sur le site de L'Estel une série de dix sondages archéologiques4. L'objectif majeur de cette opération consistait à évaluer le potentiel archéologique de cette carrière et de ses remblais. En second lieu, il fallait faciliter l'adaptation aux réalités monumentales et archéologiques du projet d'aménagement du site du Pont du Gard alors encore en gestation. Il était essentiel d'évaluer le volume et la forme des vestiges des fronts* et des sols de carrière* et de dater le fonctionnement des divers chantiers d'extraction*, y compris les plus récents.

Les mêmes questions se posaient au sujet des témoins de cette activité, qui pouvaient subsister dans les déchets d'exploitation. Même à ce stade préliminaire de la recherche, il était important de confronter les hypothèses anciennes aux vestiges et éventuellement d'en proposer de nouvelles, notamment au sujet de

l'acheminement des blocs vers le monument et peut-être vers d'autres édifices antiques.

Malgré la surface très limitée de ces sondages, on a pu alors identifier un secteur de front de carrière romain conservé sur toute sa hauteur et repérer des sols de carrière antiques et du XVIIIe s. en plusieurs points. La typologie des techniques d'extraction, dont la mise au point avait été amorcée peu de temps auparavant dans les

carrières du Bois des Lens, à l'ouest de Nîmes (Bessac, 1996, p. 194-247), a permis de proposer une première datation de ces structures : le Ier s. de notre ère. La céramique découverte dans les déchets d'extraction nous a autorisés à resserrer cette datation aux environs du milieu de ce même siècle (Bessac, 1992, p. 420). D'autres données de ces sondages ont renforcé et précisé

l'hypothèse d'Emile Espérandieu d'un transport des blocs romains vers le Pont du Gard par voie fluviale. Mais, il semblerait que les embarcations empruntaient vers l'amont un chenal latéral, spécialement aménagé dans le prolongement de la dépression, qui est visible au sud de la carrière, plutôt que de transiter par la rivière. La découverte de sols de carrière situés quasiment au niveau de la rivière et bordés d'une cloison rupestre de

protection a alors permis de supposer l'existence d'un dispositif hydraulique. Celui-ci aurait été destiné, selon les besoins, à empêcher l'eau d'envahir le chantier ou, au contraire, à l'inonder volontairement pour amener des

embarcations au pied des fronts. Le quai rupestre identifié au sud-est de l'exploitation porte des traces d'extraction et des trous d'implantation de poteaux. Il a été

probablement aménagé pour l'embarquement et le transport des blocs vers les ouvrages de l'aqueduc de la rive gauche, en aval de la rivière, et peut-être pour d'autres réalisations contemporaines des environs (Bessac, Pey, 1982 ; Bessac, 1992, p. 416-420).

À partir de 1998, le Service régional de l'archéologie du Languedoc-Roussillon et le gestionnaire du site, la Chambre de commerce et d'industrie du Gard,

décidèrent d'entreprendre une première campagne de fouille d'assez grande envergure 5 (fig. 5). Outre les objectifs archéologiques, déjà définis précédemment, cette fouille visait un large dégagement des structures rupestres de la carrière, de manière à pouvoir évaluer les possibilités de présentation monumentale de ces vestiges. Mais

l'archéologie devait aussi profiter de la mise au jour à grande échelle de témoins techniques - jusqu'ici seulement entrevus - pour élargir la problématique du site. C'était aussi l'occasion d'attribuer une valeur statistique à la collecte de données sur le terrain et de dater précisément les structures. Les résultats de ce premier grand chantier archéologique furent très positifs et les partenaires décidèrent d'engager une fouille programmée trisannuelle à 4. Réalisés par M. Chauvet et C. Morel de l'INRAP sous la direction de

J.-C. Bessac (1992). 5. Les travaux furent confiés à une équipe de l'INRAP coordonnée et dirigée par les auteurs de la présente contribution.

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Carrières antiques de la Gaule 15

partir de l'été 2000. Cette nouvelle opération n'étant pas achevée, ce sont donc surtout les résultats des campagnes de 1992, 1998, 2000 et, en moindre mesure, de 2001 qui seront résumés et commentés ci-après et les apports inédits seront mis en valeur. Les études conduites jusqu'à présent sur ce site ont également concerné l'activité et les structures d'époque moderne ; cet aspect de la recherche ne sera que sommairement évoqué ici.

LA ROCHE DE L'ESTEL

Les carrières de L'Estel sont ouvertes à l'extrémité sud-est du plateau de Vers (fig. 2). Cet affleurement est presque totalement constitué de molasse calcaro- gréseuse, beige roussâtre, du Burdigalien supérieur 6.

Au contact du Gardon, ce petit plateau mesure près de 200 m de large, plus de la moitié de sa longueur est enfouie sous une couche de limon. Vers le nord, il s'élargit sensiblement et dépasse alors 2 km ; du nord au sud, sa longueur totale approche 3 km. Son altitude passe d'environ 100 m, à son extrémité nord, à 25 m au sud, au bord du Gardon. Mais l'extraction romaine sur cette rive a probablement fait disparaître la roche sur une hauteur de 2 à 4 m, selon les endroits. Du côté du plateau, on sait maintenant, qu'avant le comblement de l'exploitation, la hauteur moyenne des fronts de carrière était d'environ 8 m. Leur sommet se situe donc entre les cotes altimétriques 29 et 33 m et leur base visible entre 20 et 23 m.

Quatre exploitations de pierre de taille* sont actuellement en activité sur le plateau qui est entièrement traversé du nord au sud par l'aqueduc romain (Fabre et al. dir., 1991, p. 50-60). Mis à part la carrière de L'Estel, on comptait, en 1970, six carrières, mais seulement deux étaient alors en activité (Noël, 1970, p. 122). Les exploitations en contact avec l'aqueduc ont dû fonctionner assez tôt, vraisemblablement dès sa construction, mais le site d'extraction antique le plus proche du Pont du Gard est celui de L'Estel. Le plateau de mollasse est dominé au nord et au sud par les collines de calcaire froid

— autrement dit très dur — du Barrémien supérieur- Bédoulien à faciès urgonien, qui culminent aux environs

Fig. 5 - Vue d'ensemble du site du sud vers le nord après les fouilles de 1998 ; la partie romaine se trouve au premier plan

(photo J.-C. Bessac, CNRS).

de 160 m d'altitude. Il n'existe pas localement de carrière de pierre de taille dans ces formations, mais un emploi de cette roche par les Romains pour d'autres usages (chaux, et tout-venant en particulier) est fort probable.

La roche de L'Estel est semblable à la pierre exploitée près du village de Vers : c'est un calcaire coquillier gréseux qui appartient à la catégorie tendre* ou demi- ferme7. Sa teneur en silice, qui peut être relativement forte selon les sous-faciès, la rend abrasive et elle use très rapidement les outils. Dans la carrière de L'Estel, on peut définir deux variétés distinctes de calcaire coquillier : une grossière et une très grossière. Une variété moyenne (dite fine localement) existe sur la commune voisine de Castillon-du-Gard, mais elle n'apparaît pas ici. Même la qualité la moins grossière ne permet pas la taille de très fines moulures et encore moins de décors délicats profondément fouillés.

Il est important de situer ce matériau par rapport aux exigences de résistance des ouvrages dans lesquels il a été employé 8. Sa densité apparente varie de 1 775 à 1 932 kg/ m3 et sa porosité va de 28,7 à 34,7 % de vide ; il n'est donc pas trop lourd comparé à d'autres calcaires de

6. Depuis les dernières mises au point de G. Fabre (2000a), on ne peut plus situer la carrière dans le Langhien supérieur comme nous l'avons fait antérieurement (Bessac, 1992, p. 398).

7. Elle correspond aux indices 3 ou 4 du coefficient de taille employé traditionnellement dans le monde de la pierre (Noël, 1968, p. 136 ; Mausolée, 1976, p. 16) ; dans cette classification, qui commence à 1 avec les pierres les plus tendres et qui finit à 14 avec les plus résistantes à l'outil, la pierre de L'Estel se situe dans le tiers inférieur.

8. Les données techniques sont issues des ouvrages suivants : Noël, 1970, p. 122-123 ; Mausolée, 1976, p. 82.

Galha, 59, 2002, p. 1-204 1937 © CNRS ÉDITIONS, Paris, 2002

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Fig. 6 - Quai aménagé dans le calcaire coquillier, au bord du Gardon, à l'extrémité orientale du site, là où a commencé l'exploitation romaine dont il porte encore les traces (photo J.-C. Bessac, CNRS).

la région. Il offre une bonne résistance au gel et sa dilatation thermique est pratiquement nulle. Sa résistance à l'écrasement n'est en contrepartie que de 36 à 91 kg/cm2. L'usage du grand appareil compense sensiblement cette faiblesse relative, surtout dans les parties basses les plus soumises aux contraintes de charge. Il en est de même pour la résistance aux forces de cisaillement et de flexion qui, outre la forte épaisseur des blocs, est généralement garantie par le respect de la position naturelle de leurs lits de carrière* lors de la construction du monument.

Les caractères lithostratigraphiques* de cette roche n'ont pas fait l'objet d'une étude spécifique, cependant l'observation de ses fronts permet de proposer quelques repères (fig. 5). La roche apparaît sous une forme massive au-dessous d'une très faible découverte* épaisse de quelques décimètres. De la surface au toit *sain en place du Burdigalien, elle présente une couche d'humus centimétrique, un sol brun calcaire comprenant quelques éléments siliceux et enfin des débris de calcaire en plaquettes et palets au contact de la zone d'altération.

Le calcaire tendre* et compact sous-jacent, où se trouvent les fronts de taille*, est épais de 15 à 20 m au plus. Les pendages sont peu nets, inférieurs à 5° et orientés nord- est/sud-ouest. Les joints de stratification*, plus ou moins ouverts, n'apparaissent que tous les 3 à 5 m et il n'existe pratiquement pas de lithoclases 9. Il est donc possible 9. Les précisions à caractère géologique sont dues à l'amabilité de G. Fabre de l'UMR 154 du CNRS.

d'extraire des blocs de n'importe quelles dimensions.

Aux abords des joints de stratification, dans les premiers mètres, on note cependant d'importantes poches karstiques* remplies ou non de terre. Les mêmes défauts apparaissent aussi dispersés dans la masse mais sous une forme beaucoup plus réduite (quelques centimètres cubes à 3 ou 4 dm3). Parfois, ils peuvent se révéler seulement au cours d'une phase avancée de la taille et contraindre les constructeurs à rejeter le bloc ou à le transformer en pierres de petit appareil. Dans les éléments du Pont du Gard, de tels défauts n'ont été identifiés que sur des faces cachées, mises au jour lors de travaux de restauration (Bessac, 2001, p. 60-63).

D'une manière générale, la roche de la carrière de L'Estel convient assez bien à l'édification d'ouvrages de génie civil, à condition qu'ils soient dépourvus

d'ornements, comme l'aqueduc de Nîmes. Tant pour des questions de résistance que pour éviter les pertes de pierre après l'extraction, deux conditions doivent être cependant remplies :

• disposer du matériau pratiquement sur place afin d'éviter les contraintes, les coûts et les aléas des longs transports ;

• pouvoir jouer sur au moins deux types d'appareil de volume très différent afin de réduire les pertes dues aux défauts de conformité dimensionnelle.

Le Pont du Gard et les ouvrages secondaires de ce secteur de l'aqueduc répondent bien à ces critères.

LA STRATEGIE GENERALE D'EXPLOITATION La progression générale de l'exploitation romaine s'est faite de la rive du Gardon (fig. 6) en direction du massif calcaire jusqu'aux fronts de carrière*, de manière à pouvoir toujours conserver un très large accès à la rivière et pour faciliter l'évacuation de la production vers les points bas et l'eau (fig. 7). Les Romains se sont organisés de façon à profiter au maximum des avantages fluviaux plutôt que de laisser une barrière rupestre entre eux et l'eau. Ils ont donc évité une sortie des blocs par voie terrestre, contrairement à leurs successeurs

modernes. Les stratégies générales d'exploitation s'expliquent par l'organisation de l'extraction, elle-même largement déterminée par la nature de la commande et par la position des chantiers de taille et de

construction face aux possibilités d'utilisation de voies fluviales

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Carrières antiques de la Gaule 17

M

Fig. 7 - Plan partiel simplifié de la carrière montrant les

canevas d'extraction antiques et modernes ainsi que le sens de la progression générale, d'est en ouest, de l'exploitation romaine (flèches en gras) dans

les secteurs nm l> 4, 5 et 13 ; les autres directions, à caractère secondaire (petites flèches), sont imposées par des contraintes géologiques et surtout par la laisse de carrière (proposition def.-C. Bessac à partir des relevés de C. Pradiès ; relevés topographiques

O. Sennoune et V. Vachon, INRAP ; fond de plan,

cabinet Houssard, Nîmes et V. Vachon, INRAP;

mise au net V. Vachon et A. Recollin, INRAP).

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PONT DU GARD vers rive droite

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Fig. 8 - Coupe nord-sud montrant les niveaux des sols de carrière et des terrains (relevés topographiques O. Sennoune et V. Vachon, INRAP).

et de réalisation de voies terrestres à proximité du monument.

Pour les Romains, le Pont du Gard représentait un très grand chantier, isolé dans le temps et dans l'espace, qui nécessitait surtout des pierres de grand appareil de 1 à 6 t environ. Il fallait donc qu'ils choisissent le point de production des blocs le plus proche et la solution de leur diffusion la plus facile vers le monument, mais aussi vers les autres ouvrages de la rive droite. Du côté de la rivière, les blocs devaient donc être seulement descendus de leur position d'extraction - soit entre 0 et 9 m au-dessus du niveau d'étiage - et acheminés par un chenal latéral sur des embarcations jusqu'au pied de l'ouvrage (fig. 8 et 9).

Là, ils étaient taillés et ajustés à sec avant d'être hissés et définitivement mis en œuvre* (Bessac, 2001, p. 63-64).

Les constructeurs antiques savaient qu'une fois le grand chantier de l'aqueduc terminé la carrière n'aurait plus de raison d'être et que sa position en zone inondable la condamnerait rapidement du fait de son comblement par les alluvions. Après la fin du chantier, les besoins de la microrégion en mollasse coquillière de même nature pouvaient être assurés par voie terrestre, rive gauche par les carrières des environs immédiats du village de Vers (Bessac, 1992, p. 398-407) et rive droite par les carrières des Escaunes à Sernhac (Bessac, 1991a, p. 293-294).

Quant au chantier du pont moderne, il s'inscrivait dans le cadre de l'aménagement routier de l'ancienne voie royale qui passait à moins de 50 m au nord des fronts. Il y avait donc intérêt à réorganiser les accès de l'ancienne exploitation romaine vers cette voie, tout en laissant des protections rupestres du côté de la rivière. Notons aussi que le format moyen des blocs se réduit alors environ au tiers de leur volume antique, ils sont donc moins lourds et plus facilement maniables. La destruction progressive des laisses de carrière* modernes, assimilables ici à des

digues rupestres pour protéger les carriers, est due à des extractions isolées conduites par des petits artisans locaux après la fin du grand chantier du pont routier du XVIIIe s.

Les données des campagnes 1998 et 2000 semblent confirmer l'hypothèse d'une progression de la carrière romaine par tranches verticales, qui avait été émise lors de la publication des sondages (Bessac, 1992, p. 424-425).

Mais la surface de ces petits chantiers d'extraction* avait été alors sous-estimée : en réalité, elle varie de 120 à 150 m2 et leur largeur peut atteindre une douzaine de mètres. La position des appareils de levage* ne peut donc plus être limitée au seul côté nord du front de carrière*, comme le laissaient croire les vestiges visibles alors (Bessac, 1992, p. 420-423, fig. 8 et 9). L'exploitation simultanée de différents niveaux de sol de carrière*, échelonnés dans les divers chantiers, a pu aussi faciliter la continuité du travail des équipes de carriers lorsque la partie basse de la carrière se trouvait inondée.

Des vestiges de fronts secondaires de carrière, en partie tronqués par la fin de l'extraction romaine, sont apparus en 1998 au-dessous du sol de comblement au sud-ouest de la fouille (fig. 5, en bas à droite). Cette topographie de la carrière, nouvellement révélée, met en évidence une progression romaine de l'extraction entre une grande laisse de carrière* d'au moins 150 m2 d'emprise au sol, au sud-ouest, et un retour du front septentrional, à l'est (fig. 7 et 10). Ces structures rocheuses dominaient initialement les sols de carrière de 8 à 9 m, c'est-à-dire autant que le front septentrional.

L'étude des empreintes de blocs et des traces d'outils de préhension (fig. 10 et 11) montre que des appareils de levage ont agi depuis ces points hauts (fig. 12). Pour pouvoir accéder directement à ces plates-formes de levage*, les carriers avaient pris soin d'extraire les blocs en laissant des décrochements en degré le long de

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Carrières antiques de la Gaule 19

c.d. 19

.*.*' galets en tas '.'.*.

200 m Fig. 9 - Carte simplifiée illustrant l'hypothèse d'un chenal en eau calme aménagé parallèlement au Gardon entre la carrière de L'Estel sud et le Pont du Gard (dessin]. -G. Bessac, CNRS).

certains de ces fronts. Il n'en subsiste plus qu'un témoignage sur le redan de l'extrémité nord-ouest de la partie dégagée du front de carrière* (fig. 5, à gauche).

Au sein de ces chantiers, le sens de progression de l'extraction des blocs est autonome et découle de divers facteurs techniques et géologiques plutôt que de la position des accès à la rivière. À proximité des fronts de carrière, l'extraction ne peut être pratiquée que latérale-

Fig. 10 — Laisse de carrière au sud-est de l'exploitation romaine ; sur ses fronts de taille apparaît un léger ressaut qui correspond à la hauteur du bloc extrait (photo J.-C. Bessac, CNRS).

Fig. 11 - Exemple d'encoches de levage sur le sol de carrière romain à l'extrémité d'une série de traces d'emboîtures dans lesquelles étaient disposés les coins defer (photo J.-C. Bessac, CNRS).

ment ou perpendiculairement en direction de l'obstacle, pour des raisons de réduction de l'espace de travail (fig. 7). L'extraction est horizontale, sauf quand les carriers sont obligés de s'adapter aux joints de

stratification* qui présentent un léger pendage. Les changements de niveau de sol de carrière impliquent le sacrifice d'un bloc plutôt que son extraction, comme cela a déjà été constaté dans d'autres exploitations romaines de la région (Bessac, 1996, p. 271-280). L'emplacement de cette destruction est choisi de préférence là où

apparaissent des défauts géologiques de la roche. C'est à partir de ces points que se répartissent ensuite les sens de

progression de l'extraction selon deux, trois ou quatre directions

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orthogonales. Dans la carrière romaine de L'Estel, on remarque quelques changements de direction de la trame générale de certains chantiers, notamment dans la grande laisse de carrière et dans le quart nord de la zone fouillée (fig. 7). Aucun défaut géologique qui aurait pu justifier ces changements n'a été identifié en ces endroits.

Mais il s'agit toujours de zones de reprise de l'extraction, probablement quelque temps après le grand chantier pour finir la commande, voire pour produire des pierres destinées à surélever un peu l'aqueduc à la suite des premiers essais de mise en eau 10. Il est donc possible que la roche ait été largement enfouie sous les déchets d'extraction précédents et les dépôts de limon, dont on sait qu'ils sont susceptibles d'atteindre une forte épaisseur en une seule crue. Cette situation aurait obligé les carriers à reprendre l'extraction à l'aveuglette, sur des sols et des fronts de carrière qu'ils redécouvraient peu à peu.

Une autre modification de la stratégie romaine d'extraction a été identifiée dans la partie nord-est de l'exploitation de L'Estel, au cours de la campagne de 2001. Dans ce secteur, les fronts de taille ont dû être arrêtés en degrés sur la bordure d'un vaste défaut karstique occupé par un lit secondaire du ruisseau de Font Grasse, qui ne coule plus qu'à l'occasion de fortes pluies. L'exploitation antique est donc séparée en deux grandes parties dont on connaît actuellement surtout le

côté occidental.

Au sujet de la gestion des déchets d'extraction, toujours très délicate dans toutes les exploitations et en particulier dans celle-ci, nous avions supposé que les

morceaux de pierre les plus volumineux étaient directement recyclés sur place par transformation en blocs de petit appareil (Bessac, 1992, p. 419). Durant la dernière campagne de fouille, de tels éléments sont apparus à proximité du grand défaut karstique, très générateur de déchets, confirmant ainsi ce qui n'était auparavant qu'une hypothèse.

L'EXTRACTION, LE LEVAGE ET LE TRANSPORT DES BLOCS

Fig. 12 - Schémas illustrant l'hypothèse des encoches de levage : a, position des blocs lors du levage préliminaire ; b, forme et position supposées des crochets dans l'encoche ; c, passage des brayers autour

du bloc (dessin J.-C. Bessac, CNRS).

Les traces observées sur les fronts et les sols de carrière démontrent que l'extraction s'effectuait selon

10. Cette hypothèse est proposée par J.-L. Fiches à la suite des observations réalisées sur l'aqueduc et en particulier sur le Pont du Gard.

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Carrières antiques de la Gaule 21

les mêmes principes techniques en usage dans la région durant le Haut-Empire (Bessac, 1996, p. 205-226). Il s'agissait alors d'isoler verticalement les blocs par des tranchées d'environ 1 dm de large, creusées à l'aide d'une escoude*. Le bloc était ensuite séparé

horizontalement du substrat en créant une rupture à sa base à l'aide de coins de fer forcés avec une masse dans des trous étroits creusés au préalable : les emboîtures*.

Deux nouveautés dans les pratiques d'extraction ont été récemment observées dans la carrière de L'Estel. La première concerne l'étroitesse plus prononcée des havages* (6 à 8 cm au sommet) (fig. 13). La seconde est constituée par la présence d'une tranchée d'extraction*

sans débouché sur le front de taille*, qui n'est pourtant situé qu'à quelques centimètres de la fin du creusement ; elle se trouve dans l'angle sud-ouest de la zone actuellement fouillée, sur un sol de carrière proche du niveau d'étiage de la rivière (fig. 13 et 14). Ces particularités impliquent deux remarques : même s'il est prouvé que l'escoude utilisée est forgée à ses extrémités comme les modèles romains déjà connus, sa largeur maximale devait être assez réduite (3 à 4 cm), à l'image des exemplaires d'époque moderne ; d'un autre côté, l'absence d'ouverture de la tranchée sur le front et l'étroitesse de cette dernière ont contraint le carrier à toujours travailler sur le niveau supérieur du sol d'extraction.

Cette extraction par-dessus impose beaucoup plus de fatigue au carrier que lorsqu'il peut se mettre au niveau du sol inférieur. Le nettoyage des creux de havage*

devient en outre plus difficile parce qu'il est

indispensable de retirer constamment vers le haut les déchets d'extraction de cette étroite et profonde tranchée, alors que, dans les exemplaires ouverts latéralement sur les fronts de taille*, cette évacuation est plus aisée parce que horizontale.

Il faut donc qu'il y ait eu d'importantes contraintes pour qu'un tel procédé ait été adopté ici, alors qu'il n'existe pas dans les autres carrières romaines de la région. Pourquoi creuser de telles tranchées par-dessus, sans les ouvrir latéralement, si ce n'est pour éviter de travailler dans l'eau et de la laisser entrer à l'intérieur (fig. 14), Mais, pour fracturer le bloc à sa base, il faut pouvoir creuser des emboîtures et ensuite percuter les coins à l'aide d'une masse : dans l'eau c'est impossible.

Cela veut dire que le dispositif hydraulique romain permettait de faire varier assez rapidement le niveau de l'eau dans le bas de la carrière, en fonction des besoins

Fig. 13 - Tranchées d'extraction romaines dans la carrière de L'Estel ; elles mesurent 7,5 cm de largeur moyenne et l'une d'elles n 'a pas été ouverte sur le front de taille (photo J.-C. Bessac, CNRS).

précis du moment. Il s'agit donc là d'un fort indice complémentaire, qui s'ajoute aux cloisons rupestres observées précédemment, en faveur de l'hypothèse d'un chargement des blocs sur des embarcations au pied des fronts de taille.

Si l'on utilise ce procédé à ce niveau inférieur de l'exploitation, il n'est même pas nécessaire de soulever complètement le bloc pour le hisser sur une embarcation.

Il suffit de le tirer obliquement avec un engin de levage depuis le sommet d'un front de carrière, de manière à le faire pivoter d'un quart de tour (fig. 12, n° 1). Il se trouve alors en bordure du sol de carrière supérieur. Une manœuvre inverse suffit pour le mettre en place dans une embarcation qu'il faut disposer préalablement contre le front de taille, au-dessous du bloc. L'emploi d'un radeau, plutôt que d'une barge, simplifie encore le processus de chargement. Le bloc ne doit être pivoté sur son arête qu'un peu au-delà de 45°, juste assez pour qu'il puisse tenir en équilibre sur un calage postérieur. Il suffit alors d'engager au-dessous de lui l'extrémité d'un radeau et de le basculer en interposant des rouleaux. Il est facile ainsi de le pousser vers le centre du radeau qui doit être composé de bois d'un volume et d'une surface portante proportionnés au poids de la pierre n. Les Romains ont 11. Si l'on prend comme exemple une pierre d'un poids maximal de 6 t, elle exige d'être supportée par environ 8 m3 de bois léger (D = 0,2 t/m3) ; si l'on donne 0,30 m d'épaisseur à ces bois, on peut les répartir sur une surface d'environ 26,6 m2, soit un radeau de 7,6 m x 3,5 m.

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Fig. 14 - Sol de carrière du chantier romain sous l'eau ; en bas, au milieu, se trouve un grand bloc calé en position de chargement pour être embarqué probablement sur un radeau, il a été abandonné à la suite d 'une cassure ; au centre, on aperçoit la grande laisse de carrière sud-ouest ; au-dessus, à l'arrière-plan, le front de carrière présente une avancée propice à l'installation d'un engin de levage

(photo J.-C. Bessac, CNRS).

abandonné un très grand bloc, calé dans une position peu commune, près de l'angle sud-ouest du sol de carrière actuellement mis au jour, ce qui pourrait s'expliquer par une situation d'attente de chargement sur un radeau

(fig. H).

Les possibilités de chargement selon l'une ou l'autre de ces deux techniques se limitent cependant aux trois ou quatre niveaux d'extraction inférieurs, qui sont faciles à mettre en eau. Partout au-dessus, il a fallu utiliser d'autres procédés pour descendre les pierres jusqu'à un niveau compatible avec un embarquement. Un levage traditionnel, tel que nous l'avons proposé antérieurement, peut être envisagé. Peu de blocs antiques avaient pu être observés lors des sondages de 1991, et une louve avait été proposée comme moyen de préhension pour leur levage (Bessac, 1992, p. 424, fig. 10).

Aujourd'hui les nombreuses pierres brutes d'extraction qui ont été découvertes dans la carrière de L'Estel et dans d'autres exploitations romaines permettent

d'éliminer l'éventualité de l'usage de cet outil dans cette catégorie de chantiers. En contrepartie, l'emploi d'un moyen de préhension inédit a été identifié par l'intermédiaire de ses traces sur les sols de carrière et sur les blocs (fig. 11). Il pourrait s'agir d'une sorte de crochet, coudé à angle droit, et fixé par paire à

mité des cordes des engins de levage 12. Ces crochets auraient été disposés dans des encoches creusées à la base des blocs, aux deux extrémités des séries d'emboî- tures pour les coins. Ils auraient surtout servi à tirer et à basculer les blocs au-dessus de leur emplacement d'extraction (fig. 12).

On peut supposer l'utilisation d'élingues* ou de brayers* en corde pour les levages* ordinaires. Le levage était probablement assuré par de solides chèvres, qui étaient installées au sommet des fronts. Elles devaient être munies de moufles, de cabestans et probablement de grandes roues motrices actionnées par des hommes placés à l'intérieur, mais pour l'instant nous ne disposons d'aucun indice matériel au sujet de tous ces dispositifs.

Les empreintes des blocs extraits et les traces des crochets de levage permettent toutefois d'affirmer que la disposition et les dimensions de ces engins devaient être calculées de manière à pouvoir desservir à la fois le chantier d'extraction* et une embarcation (barge ou radeau) amenée au pied des fronts, les parties inférieures de la carrière étant inondées. Le bardage* des blocs au sol semble réduit au minimum du fait de l'emploi des machines de levage et du transport probable par eau au sein même de la carrière. Mais les dernières extractions et les petites reprises, peu avant l'abandon définitif de la carrière romaine, ne semblent pas avoir pu bénéficier des avantages d'un transport par eau au départ des fronts de taille, parce que les déblais devaient déjà gêner une telle manœuvre. Il est donc possible que le bardage des blocs au sol ait prédominé durant cette ultime phase antique.

LES PERSPECTIVES DE RECHERCHES

SUR LES CARRIERS ET LEURS TECHNIQUES D'EXPLOITATION DANS LE SITE DE L'ESTEL

Malgré les avancées significatives des recherches archéologiques dans la carrière de L'Estel ces dernières années, il subsiste toujours des questions techniques sans réponse et plusieurs hypothèses importantes restent à confirmer. Parmi ces dernières, les aménagements hydrauliques et les types de transport qu'ils impliquent 12. Des traces d'un instrument comparable ont été identifiées au Proche-Orient dans les carrières de Baalbek et sur les pierres du temple de Zeus àjérash en Jordanie (Bessac, à paraître).

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Carrières antiques de la Gaule 23

restent une priorité. Mais, s'il existe encore des indices de cette nature, ce n'est guère que dans la partie la plus basse et la plus proche de l'eau qu'ils apparaîtront. La longue dépression méridionale, identifiée entre la carrière et la rivière (fig. 3 et 9), et qui nous paraît correspondre à un chenal latéral aménagé pour le transport des blocs en eau calme (Bessac, 1992, p. 416-417), serait certainement le lieu idéal pour conduire des fouilles sur ce thème. Mais c'est aussi l'emplacement de la ripisylve et la moindre destruction de végétaux dans ce secteur serait malvenue actuellement. Nous avions également supposé qu'une partie des galets amoncelés à l'extrémité orientale du site pouvait provenir de l'aménagement ou de l'entretien de ce chenal. Un premier sondage, réalisé durant la campagne 2000, a démontré une occupation

protohistorique en marge de ces galets, mais n'a pas totalement résolu la question de la nature exacte de leur dépôt. Un nouveau sondage dans cette zone s'impose donc.

Les campagnes précédentes ont démontré la présence de tombes romaines à incinération au-dessus des premiers limons d'abandon de la carrière.

L'approfondissement de la fouille de son côté oriental, durant la prochaine campagne, permettra peut-être d'obtenir un complément d'information dans ce domaine. Ce sont cependant les zones d'occupation humaine durant l'activité antique de la carrière (habitat, abri, forge) qui seraient les plus intéressantes à étudier. La campagne de fouilles 2001 a mis au jour des structures d'habitat et un dépotoir qui ont été installés à l'emplacement du grand défaut karstique oriental à un emplacement

inexploitable comme pierre de taille*. Le matériel archéologique issu de cet habitat donne une date d'installation et un faciès typologique similaires à ceux des vestiges d'occupation relatifs au chantier de l'aqueduc 13. Mais, pour l'instant, la nature même de ce matériel n'a pas fourni d'indices sûrs en faveur d'un habitat de carriers : par exemple, on n'y touve pas le moindre déchet de forge, contrairement à ce que l'on constate ailleurs dans les carrières antiques. En marge de la fouille des structures d'extraction, il serait donc souhaitable de poursuivre les investigations archéologiques dans ce secteur, en particulier, côté nord. Au-dessus de la dernière avancée méridionale des redans du front de carrière*

(fig. 7, en bas et fig. 14, au fond), là où se trouvent des 13. Aimable communication de J.-L. Fiches et S. Barberan qui ont effectué une étude préliminaire de ce matériel.

degrés d'accès réservés dans la roche, les nombreux tessons romains retrouvés dans les déchets accumulés au pied de la roche permettent de supposer une telle installation au sommet. La plate-forme supérieure de ce redan constitue aussi une station idéale pour un engin de levage. Ce lieu pourrait donc aussi constituer un point privilégié d'étude du site antique.

En dehors de son apport propre à la connaissance de l'histoire générale d'un monument, la fouille d'une carrière de pierre de taille débouche naturellement sur des aspects techniques et économiques qui touchent à la fois le chantier de construction et celui d'extraction, les deux étant en étroite relation. L'organisation du chantier d'extraction, qui a été déjà largement abordée ici, doit être approfondie prochainement et surtout mise en relation avec les informations recueillies sur le chantier de construction du Pont du Gard. L'exploitation des données métrologiques relevées sur les empreintes des blocs qui ont été extraits dans la carrière sera l'un des éléments clés de cette partie essentielle de l'étude» Les rapprochements dimensionnels avec les blocs du monument permettront de proposer des hypothèses sur l'ordre de construction de ses diverses parties. Enfin, par ce moyen, une base de calcul pourra être proposée pour évaluer les volumes et les temps de production.

J.-C. B.

LE COMBLEMENT DE LA CARRIERE DE L'ESTEL

L'étude archéologique d'une carrière s'intéresse en premier lieu aux traces d'outils portées sur la pierre et peu à son comblement, qu'il s'agisse du résultat de l'activité de la carrière, les déchets d'extraction, ou d'un sédiment naturel associé ou non au premier type de dépôt. Cependant, si le type de comblement n'appartient pas forcément à l'activité de la carrière et se révèle souvent stérile du point de vue du mobilier

archéologique, il illustre par sa structure la vie marginale du site pendant la période d'activité et son occupation après son abandon. Les déchets de taille par leur emplacement et par le pendage qu'ils épousent renseignent sur la gestion de l'espace ouvert et sur le sens d'avancement de l'extraction. Les déchets d'extraction déversés par les carriers dans une partie délaissée de la carrière

permettent une lecture de leurs projets et intentions. De la

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déchet

. . déchets de carrière modernes . . •.'.''.■ ■ "' ' q .'•"'•'•••'■ ' •' '• ..-"'.. I trace du front /x

10m

Sépultures Z\ inhumation W incinérations

Fig. 15 - Plan de la carrière de L'Estel montrant à la fois

les différents apports formant le comblement et les

emplacements des sépultures mises au jour en 1998 et 2000 (relevés topographiques

O. Sennoune et V. Vachon, INRAP ; infographie

V. Vachon).

tnême façon, des traces de reprise d'une végétation au milieu des niveaux de ces déchets signalent un arrêt dans leur apport qu'il est possible de mettre en relation avec des indices techniques d'un arrêt de l'exploitation de la pierre. Une lecture de la granulométrie des déchets d'extraction est également riche d'informations sur le moment de l'exploitation. Ils correspondent ainsi soit à l'enlèvement de la découverte*, et la pierre présentera

alors des altérations caractéristiques, soit à " l'activité extractive proprement dite. D'une autre manière, la fréquence de grands blocs modulaires* rejetés pour les défauts qu'ils présentent permet d'évoquer la proximité d'un quai d'embarquement de la pierre.

Les travaux d'étude archéologique entrepris sur le site de L'Estel dès 1992 ont permis de différencier les zones d'exploitation de la pierre se rapportant aux deux temps

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Carrières antiques de la Gaule 25

forts de l'extraction, la période antique et la période moderne, liées chacune à une phase de construction du Pont du Gard, aqueduc romain puis pont routier au XVIIIe s. Le remplissage de la carrière se compose de déchets d'extraction et de dépôts alluviaux dus au régime torrentiel du Gardon tout proche. L'un de ces niveaux alluviaux est marqué par la présence de vestiges de plusieurs tombes antiques à incinération primaire (fig. 15). Les données recueillies par l'étude de ces niveaux renseignent sur la vie du chantier antique d'extraction* de la pierre de taille*, mais aussi sur ce qu'il advint du site au moment de son abandon à la fin du chantier de construction de l'aqueduc, lorsqu'il changea de fonction et accueillit un espace funéraire. Les données apportées par cette étude forment un autre des volets de l'analyse du comblement. Une problématique trandis- ciplinaire s'est ajoutée aux recherches 14. La proximité de la carrière avec la rivière, sa protection pendant les quelques années de son activité antique dont on évalue la durée de 4 à 5 ans, son comblement graduel et son érosion en font un document d'étude important de la dynamique fluviale du Gardon pour l'histoire

environnementale. L'étude géomorphologique bénéficie en outre d'éléments de datation présents dans les sépultures sous la forme d'un mobilier archéologique composé d'ossements humains, de céramiques, d'objets organiques15, de charbons de bois... La recherche historique et

archéologique sur la technique de l'exploitation de la pierre à L'Estel utilise ces données pour mettre en évidence la relation qui existe entre la carrière et le cours du Gardon, dont les crues rapides et la dangerosité sont bien connues.

LES APPORTS DIFFERENTIELS

L'étude de la composition différentielle du

comblement du site de la carrière antique de L'Estel montre une structure hétérogène, marquée par des zones

d'accumulation de déchets et des sables fins et grossiers qui, déposés au fil du temps par les crues du Gardon,

occupèrent les espaces laissés libres. Ces sables sont présents à

>■.

14. L'étude environnementale est menée conjointement par P. Chevillot (INRAP) et M. Provansal (professeur à l'université de Provence) . M. Provansal dirige, sur le thème de l'évolution du bassin du Gardon pendant l'époque préhistorique jusqu'à nos jours, un DEA qui sera présenté par E. Ribes (université de Provence) .

15. Déposés dans le bûcher, ces objets ont été carbonisés et conservés.

Fig. 16 - Vue de la coupe de l'amas de déchets d'extraction nord-est (photo P. Coujou, INRAP).

différents niveaux, à la fois au contact des sols de carrière*

et des fronts de taille*, autour des amoncellements de déchets d'extraction, mais aussi sous forme de lits interstitiels dans certains des amas de déchets de pierres, ou mêlés à eux et constituant dans ce cas une matrice.

Lors de notre arrivée sur le site, l'espace paraissait plan, occupé par un verger. Le sol semblait

uniformément formé par des niveaux d'alluvions, contenus entre la ripisylve à l'est et les grands fronts de carrière* à l'ouest. Au nord-est, la terrasse de galets, datant de l'époque quaternaire et s' étendant sur une grande partie du territoire de Remoulins, débute par une pente, créée sans doute par la présence de fronts de taille* formant la carrière antique, ou par l'existence d'un méandre ancien du Gardon attestée par des creusements en forme de marmites sur le toit de l'affleurement. L'aspect plan du site de L'Estel n'existe que depuis le milieu du XXe s. où fut envisagée la mise en culture de ces terres ;

auparavant, des documents photographiques montraient des pointements d'amoncellements de déchets d'extraction dépassant de la masse limoneuse apportée par le Gardon, mais leur délimitation n'est apparue objectivement que lors des campagnes de fouilles de 1998 et 2000 (fig. 16).

LES DECHETS D'EXTRACTION DE LA PIERRE DE TAILLE

Les amoncellements de déchets d'extraction sont rapidement mis au jour sous les limons rapportés lors des

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travaux de nivellement du milieu du XXe s. Dans le cadre des fouilles entreprises à ce jour, l'ensemble de ces formations représente une sorte de barrage fermant l'accès de la carrière depuis la rive du Gardon. L'analyse de ces amas permet cependant d'individualiser différents apports correspondant à divers moments de l'activité de la carrière. On remarque en outre que, parfois, l'apport de ces amas est postérieur à l'arrivée de l'eau sur certains sols de carrière*, les plus bas. L'avancement reconnu pour l'extraction antique est à la fois est-ouest et nord- sud. Parallèlement, les amas de déchets d'extraction montrent que leur dépôt obéit à une direction similaire.

Actuellement, les dépôts les plus anciens reconnus sur le site sont ceux versés dans la partie nord-est du chantier de fouille, les dépôts postérieurs se sont, ensuite, appuyés sur eux.

OBSERVATIONS SUR L'EVOLUTION DE CES DÉPÔTS

Les dépôts les plus anciens

Les dépôts les plus anciens de déchets d'extraction découverts à ce jour sont situés au nord-est du site. Ils recouvrent les sols de carrière* les plus bas mais ne sont pas posés directement à leur contact. Un lit de pierres larges et plates, posées à plat, forme un niveau homogène, sorte de pavement qui n'est pas sans rappeler les

aménagements observés dans la partie moderne de la carrière de L'Estel, et destinés à permettre une circulation hors d'eau des hommes, dans une zone où les sols sont inondés au gré des battements de la nappe phréatique. Les dernières exploitations de la pierre ont pu supprimer les protections formées par des laisses de carrière* contre la montée des eaux, et les sols pouvaient être inondés. La structure de cet amas montre un étagement des déchets de matériaux triés en couches convexes régulières. Les déchets de taille, les limons, les sables et des terres rougeâ- tres forment cet ensemble et sont disposés concentrique- ment. Des galets, dont l'origine reste à définir, sont disséminés dans la masse du dépôt. Ils sont de granulométrie variable : centimétriques ou pluricentimétriques. On note également la présence étonnante de rares galets décimé- triques dans des niveaux sableux.

Ces lits convexes et leur composition évoquent un dépôt dans un milieu aquatique. Lors d'une saison

humide, l'extraction de la pierre a pu se poursuivre sur des sols de carrière à une altitude les mettant à l'abri de l'eau. Dans cette partie de la carrière, l'étude du

comblement fait apparaître l'existence d'un front de taille exploité ensuite, contre lequel s'appuyait initialement cette structure. De plus, la composition de cette formation donne à penser qu'elle s'est constituée lors de

la mise en exploitation d'un nouveau front avec

enlèvement de découverte*, ce qui expliquerait la présence de terres rougeâtres formant la matrice.

Les dépôts les plus récents

Les dépôts de déchets d'extraction situés au sud de cette formation s'appuient sur elle et ne semblent plus déposés, non plus dans l'eau mais sur des sols exondés, à un moment où le niveau de la nappe phréatique était plus bas. Ensuite, les remontées de la nappe n'ont pas affecté la composition de cette formation, l'eau ne s'infil- trant pas uniformément à l'intérieur de la structure. Ces amoncellements s'étendent jusqu'à la laisse de carrière*

sud et se composent de brasier* et de déchets

d'extraction, dans lesquels sont pris de nombreux blocs quadran- gulaires de grandes dimensions, rejetés pour des défauts majeurs empêchant de les mettre en œuvre* dans une construction de grand appareil.

Plus au sud encore, à l'est et au nord de la laisse de carrière, on retrouve des niveaux de déchets d'extraction découlant de l'érosion d'un amas situé vers la rivière, au sud-est. C'est dans cette formation que l'on observe la présence de lits interstitiels de sables indiquant l'existence de séquences de crues du Gardon annuelles ou plus fréquentes encore 16.

Reprise de l'activité de la carrière

La reprise de l'activité dans la carrière est marquée par l'ouverture d'un passage au travers de ces derniers amas de déchets d'extraction, qui évite la formation la plus ancienne dont on a dit que l'accumulation des matériaux s'était faite dans l'eau. Cet accès à une nouvelle zone d'exploitation de la pierre prend la forme d'un chemin creux dont les berges sont sommairement 16. Des carottages ont été faits en 1998 et 2000 dans les niveaux de crues du Gardon. Les données recueillies sont traitées par E. Ribes au laboratoire CEREGE à Aix-en-Provence.

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Carrières antiques de la Gaule 27

consolidées. La berge nord, plus haute et retenant les matériaux correspondant à la formation la plus ancienne, est plus soigneusement aménagée que la berge sud. Le sol, qui a subi un cheminement intense, est fortement damé mais ne présente pas de traces d'ornières. Ce chemin donne accès à la partie de la carrière exploitée en dernier dans cette zone par les carriers romains. Les déchets d'extraction de la pierre de taille*, produits par cette dernière exploitation, sont sans doute rejetés de part et d'autre du chemin, les berges prenant à cette occasion la fonction de murs de contention.

Les dépôts des crues

L'arrivée de dépôts de crues considérables, observée dans l'espace dégagé en 1998 et 2000, marque

brutalement le site après cette dernière exploitation. Les niveaux de limons et de sables se trouvent directement au contact des sols de carrière*, simplement recouverts de brasier*, sans déchets de grande dimension. Tous les sols de carrière situés au niveau le plus bas présentent une altitude proche de celle du niveau du Gardon actuel en période sèche. Ce sont eux qui sont recouverts par les limons.

L'étude de la structure de ces dépôts montre une succession de séquences d'inondations avec parfois pédogenèse et établissement d'une végétation.

L'envahissement du site par ces dépôts moule les espaces laissés libres après la dernière exploitation de la pierre. La trace de cet envahissement est figurée par les nombreux chenaux laissés libres autour des amoncellements de déchets d'extraction et comblés par les limons. C'est dans ces niveaux limoneux que se trouvent les tombes à incinération primaire ; une quinzaine d'entre elles ont été mises au jour actuellement.

Aujourd'hui, il est encore trop tôt pour parler des résultats de l'étude environnementale. Dans notre problématique liée à l'histoire des techniques

d'extraction dans ce contexte environnemental fortement tributaire du régime torrentiel du Gardon, la gestion de rapides montées des eaux oblige à envisager, si ce n'est une contention des crues, tout au moins une attitude devant ces menaces. L'eau est présente à proximité du chantier d'extraction*, expliquant des anomalies aussi bien dans les techniques d'exploitation de la pierre que dans la formation des dépôts de déchets d'extraction.

Les réponses à cette contrainte peuvent être l'abandon périodique de l'extraction dans certaines parties de la carrière, des aménagements particuliers comme les laisses de carrière*, ou encore l'exploitation, lors des crues les plus fortes, de nouveaux fronts de taille* et de sols de carrière* hors d'atteinte des eaux.

Les tombes à incinération primaire

Dans ces niveaux de dépôts de crues sont apparues une série de tombes à incinération primaire appartenant à une zone funéraire 17 dont l'extension se poursuit sans doute sous les remblais où sont plantés encore

aujourd'hui des arbres fruitiers. Les emplacements de ces tombes suivent les écoulements des dépôts de crues et semblent ainsi épouser un alignement hérité de la structure sous-jacente des vestiges. Le matériau est bien sûr facile à creuser, mais éminemment exposé à de nouvelles crues. Ces caractéristiques n'ont pas empêché d'utiliser l'espace de la carrière comme un espace funéraire. Aussi, certaines des tombes ont subi une forte érosion due à des crues violentes ultérieures et ne comportent plus que des limons rougis lors de l'incinération. À d'autres endroits, ont été mis au jour des tessons isolés, fragments d'amphores pour la plupart, sans que soit conservée la tombe d'origine à laquelle ils appartenaient.

Les tombes sont individuelles. Elles se présentent comme des creusements sommaires dans lesquels les corps sont posés, pour la plupart sur une civière ou un lit de branchages. Des offrandes, lampes, pâtisseries, objets de toilette ou de parure, assiettes, coupes,

accompagnaient les défunts. Des amphores dépourvues de fond et destinées aux libations étaient placées dans deux des tombes. Des charbons de bois sont mêlés aux ossements, vestiges des bûchers dressés au-dessus des corps. Une fois le feu consumé, d'autres dépôts ont été effectués dans quelques-unes des tombes fouillées, mais les premiers résultats ne semblent pas montrer de prélèvement, même partiel, de cendres. Dans l'espace mis au jour actuellement, il semble qu'il n'y ait qu'un seul niveau de tombes, même si parfois les altitudes varient quelque peu. La datation de ces vestiges n'est toujours pas précisée, mais à l'examen du mobilier céramique livré par cette étude, on peut d'ores et déjà situer l'installation 17. Ces tombes et leur mobilier sont étudiés par V. Bel (INRAP).

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de cet espace funéraire dans le premier quart du IIe s.

Ainsi, en moins d'un siècle après la fin du chantier d'extraction* de la pierre chargé d'approvisionner le chantier de construction de l'aqueduc de Nîmes, le site est envahi par les alluvions du Gardon et réinvesti par une population qui n'a plus de rapport avec les carriers.

Ensuite, les limons ensevelissent profondément tous ces vestiges et c'est finalement près de 6 m de cette formation que nous devons ôter pour étudier les traces de l'activité de la carrière.

L'ÉTUDE DU COMBLEMENT AU COURS DES PROCHAINES CAMPAGNES DE FOUILLES

Au cours des prochaines campagnes de fouilles prévues en 2001 et 2002 l'étude du comblement sera plus

attentive à tous les signes contenus dans la masse du remplissage différentiel. L'extension de l'ouverture de la zone à étudier se fera vers le nord et vers le Gardon. Les sols de carrière* dégagés depuis le quai probablement situé au nord-est du site favorisent l'envahissement des eaux. C'est là que nous pouvons espérer voir apparaître des éléments de la lutte des carriers contre les montées des eaux, brutales ou non, ou encore les signes d'une stratégie prenant tout simplement en compte ces contraintes. Pendant les dernières campagnes, nous avons mis en place un système d'étude de ces dispositifs, et des éléments nouveaux, que ce soit des laisses de carrière* ou des tas de déchets mis en protection, apporteront des réponses aux questions que nous nous posons actuellement.

M. V.-G.

Galba, 59, 2002, p. 1-204 © CNRS EDITIONS, Paris, 2002

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