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La vigne, son fruit et le travail des hommes : vigne et vin au XIVe siècle à Ayent, Grimisuat et Savièse

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La vigne,

son fruit et le travail des hommes

Vigne et vin au XIV

e

siècle à Ayent,

Grimisuat et Savièse

Amélie CHAPUIS-FARDEL

A mon papa

Cette publication reprend en grande partie le texte de mon mémoire de licence, préparé à l’Université de Genève et soutenu en mars 2005. Il représentait, à cette date, une des premières études historiques sur la vigne au Moyen Age en Valais. En effet, le 9 mai 2003 se réunissait le premier colloque organisé par le Musée valaisan de la Vigne et du Vin, dans le but de fixer quelques «jalons pour un ouvrage de référence» à venir; une série de mémoires et autres recherches sur l’histoire de la vigne et du vin valaisans furent donc lancés dès cette date, dans le cadre de ce projet. A ce jour, après d’autres colloques et plusieurs articles, l’ou-vrage tant attendu a paru: le Valais a désormais son Histoire de la vigne et du vin1.

Ainsi, la présente recherche fut un travail pionnier, qui souleva les premières questions au sujet de la vitiviniculture valaisanne au Moyen Age. Les études sui-vantes se sont donc souvent basées sur elle, tout en amenant de nouvelles décou-vertes. Pourtant, le mémoire de 2005 n’a pas été retouché pour tenir compte des recherches ultérieures. La présente publication le reproduit presque tel quel, comme le banc d’essai qu’il a été.

Abréviations utilisées:ACS = Archives du Chapitre de Sion; AEV = Archives de l’Etat du Valais;

GREMAUD, Documents, n° = Jean GREMAUD, Documents relatifs à l’histoire du Vallais, 8 volumes,

Lausanne, 1875-1898; je renvoie aux numéros des actes.

Signes graphiques utilisés dans les textes cités:<…> passage illisible ou de lecture incertaine; […] adjonction de l’auteur; [Ms] signale qu’une correction a été faite, et donne la version originale du manuscrit; [GR.] signale la transcription faite par Jean Gremaud; (…) lieu d’un passage non

retranscrit.

1 Anne-Dominique ZUFFEREY-PÉRISSET(dir.), Histoire de la vigne et du vin en Valais, des origines à

nos jours, Sierre-Salquenen, Gollion, 2009. Voir aussi Vignes et viticulteurs de montagne: histoire, pratiques, savoirs et paysages. Valais, Alpes occidentales, Pyrénées, Mont-Liban, travaux réunis par P. Dubuis et D. Reynard, Sion, 2010 (Cahiers de Vallesia, 22).

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Introduction

Quiconque se promène dans la région de Sion posera à un moment ou à un autre son regard sur le vignoble qui l’entoure, et le laissera grimper sur les pentes que les murs et les échalas ont remodelées2. Ce paysage viticole, qui constitue

indéniablement un des charmes de la région et qui est d’ailleurs mis en avant dans de nombreuses publicités, occupe principalement la rive droite du Rhône, exposée au sud, et s’étend de la plaine aux premiers villages des coteaux, jusqu’à 800 mètres d’altitude environ3.

Jamais au cours de son histoire la vigne n’a occupé en Valais autant de place qu’au cours de ce dernier demi-siècle. En effet, l’extension du vignoble a doublé durant le XXe siècle, pour occuper la surface record de 5400 hectares dans les années 19804. La surface viticole actuelle du canton (5259 hectares) «est partagée

en 119 500 parcelles appartenant à près de 23 000 propriétaires»5, dont la grande

majorité (92%) exercent leur activité de viticulteur à temps partiel. Cette écrasante majorité de non-spécialistes dispose de près de la moitié des surfaces cultivées en vigne (44%). Environ 70% des propriétaires cultivent eux-mêmes leurs parcelles. Il ressort de cette situation que divers modes d’exploitation économique de la vigne coexistent en Valais. Des villageois continuent de se rendre, après leur jour-née de travail, dans les vignes qu’ils ont reçues en héritage. Certains en tirent eux-mêmes le vin qu’ils boiront en famille, d’autres vendent leur vendange à de grandes caves ou à de petits encaveurs professionnels. Ces derniers vinifient et commercialisent leur récolte en misant souvent sur des spécialités (vieux cépages valaisans, assemblages ou vins surmaturés), alors que les grands négociants béné-ficient généralement des terrains les plus facilement accessibles, qu’ils ont su regrouper en vignobles plus ou moins étendus. Ainsi, bien que les Valaisans conti-nuent d’emplir et de vider leurs verres de vin familial, une grande partie des récoltes est destinée à la vente hors canton: «le canton du Valais fournit à lui seul 40% de la production de vin suisse»6.

2 Cette recherche n’aurait pu être menée à bien sans les personnes suivantes, que je tiens à

remer-cier. Tout d’abord, rien n’aurait pu être fait sans mon directeur de mémoire, monsieur Pierre Dubuis, qui m’a guidée et aidée, dépensant énormément de temps et de patience, et qui a bien voulu accepter de rédiger l’index de cette version publiée de ma recherche. Mes remerciements vont aussi à madame Chantal Ammann-Doubliez, dont la compagnie, le savoir et les conseils ont illuminé mes journées aux Archives du Chapitre. Merci à monsieur le chanoine Paul Werlen (†), pour m’avoir permis d’accéder à ces archives. A monsieur Antoine Lugon, qui a revu avec moi les textes les plus ardus et m’a fourni de précieuses informations sur le Valais au Moyen Age et sur les techniques viticoles. A toutes les personnes qui ont parcouru villages et vignes pour retrouver et me montrer les toponymes viticoles de Savièse, Grimisuat et Ayent. Un grand merci aussi aux amis qui ont relu ce travail, ainsi qu’à ceux qui m’ont aidée à me sortir de problèmes informa-tiques. Merci aux Archives de l’Etat du Valais, pour l’honneur qui m’est fait d’être publiée dans la revue Vallesia. Toute ma reconnaissance va bien sûr à ma famille et à mes amis, qui ont su prêter une oreille attentive tant à mes bavardages enthousiastes qu’à mes plaintes durant les moments dif-ficiles. Enfin, un merci particulier à mon mari, Richard Chapuis, grâce à qui mes connaissances du Moyen Age peuvent s’exprimer avec les dernières technologies, et parce qu’il a toujours su me ramener à l’époque la plus importante: le présent.

3 Michel LOGOZ, Les vignobles qui escaladent le ciel. Valais du vin, Sion, 1998, p. 1. 4 Micheline COSINSCHI, Le Valais. Cartoscopie d’un espace régional, Lausanne, 1994, p. 216. 5 Jean VALLAT, «L’évolution socio-économique de la viticulture valaisanne, le rôle de la pluriactivité

et son évolution au XXesiècle, son avenir», dans Vigne et Vin en Valais, jalons pour un ouvrage de

référence(2), Actes du colloque du 15 novembre 2003, Sion, 2003, p. 12. C’est aussi de cet article

que je tire les chiffres qui suivent.

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L’importance de la viticulture dans les communes du Valais central qui sont l’objet de mon étude (Ayent, Savièse et Grimisuat) est indéniable. Les sites inter-net qui présentent ces trois communes contiguës7, situées sur le coteau droit de la

vallée du Rhône, en témoignent8.

Ils mentionnent l’étendue de leur vignoble. Ainsi apprend-on que la vigne occupe 180 hectares à Ayent, pour une surface agricole utile de 1116 hectares, que «Savièse est une des grandes régions viticoles du canton avec ses 274 ha de vignes sur le territoire communal et presque autant sur les communes avoisinantes», et que jusqu’à 800 mètres, «l’essentiel du territoire» de Grimisuat «est occupé par la vigne», qui couvre 179 des 445 hectares sur lesquels s’étend cette commune. Les sites d’Ayent et de Savièse consacrent quelques lignes à la description de ce vignoble, desquelles transparaît le fort attachement des villageois à leurs vignes. Ayent met ainsi en avant le climat et la bonne situation des parcelles, tandis que le rédacteur saviésan donne libre cours à son lyrisme, ce qui arrive fréquemment lorsqu’un Valaisan parle de la vigne et du vin: «le Saviésan ne travaille pas sa vigne, il la bichonne. Du printemps à l’automne, il est prêt à tous les sacrifices pour que la récolte soit belle et qu’il puisse en tirer les nectars qui nourriront sa fierté et enchanteront les connaisseurs. Fendant, Dôle, Muscat et un grand nombre de spécialités sauront flatter les palais les plus exigeants». Et quand il en vient à décrire les habitants de Savièse, il le fait d’une manière qui montre l’importance qu’a le vin dans la définition de l’identité valaisanne: «le Saviésan écrit le plus beau poème de la vie lorsque, le visage buriné et l’âme bien accrochée à ses racines, il descend à la vigne ou vous invite dans sa cave avec un brin de malice au coin de l’œil».

Géographiquement, le poids des vignes se fait clairement sentir. Cette culture s’est installée partout où elle a pu9, et si le nombre d’hectares qui lui sont

consa-crés paraissent négligeables en regard de la superficie totale de Savièse et d’Ayent (qui comptent respectivement 7109 et 5502 hectares), il ne faut pas oublier que la raison en est l’extrême diversité d’altitudes que présentent ces communes: à titre d’exemple, le territoire d’Ayent s’étire entre 508 et 3247 mètres d’altitude. Les vignes se concentrent sur le bas du coteau. Ainsi, les premiers hameaux et villages sont tous entourés de vignes, alors que les villages principaux des communes se trouvent généralement au-dessus de la zone viticole; de cette situation découle l’expression «descendre à la vigne». A Savièse, les hameaux de Vuisse, La Muraz et La Sionne, et les villages d’Ormône et de Roumaz sont encerclés par les vignes, alors que celles-ci s’arrêtent au pied des villages de Chandolin, Granois, Saint-Germain et Drône. Les hameaux des Granges et de Plan-Signèse, ainsi que le vil-lage de Signèse, se trouvent à l’intérieur même du vignoble ayentôt. Quant à Gri-misuat, seul le village principal, qui donne son nom à la commune, est situé à la limite supérieure des vignes. Le village de Champlan, les hameaux de Comèra, les Places, les Fermes et les Combes se trouvent dans la zone viticole.

7 La situation de ces communes est précisée infra, p. 14-19; voir la carte p. 14.

8 Il s’agit des sites officiels des communes (http://www.ayent.ch et http://www.saviese.ch), sauf

pour Grimisuat: le site officiel http://www.grimisuat.ch ne s’attarde pas sur la description du vignoble. Les informations à ce sujet proviennent donc d’un autre site présentant cette commune: http://www.chez.com/Grimisuat/. Sauf indication contraire, toutes les informations contenues dans notre introduction au sujet de ces trois communes proviennent de ces sites, du moins tels qu’ils étaient de décembre 2004 à septembre 2007.

9 Un coup d’œil aux deux extraits de la Carte nationale, infra, p. 35 et 42, suffira pour s’en rendre

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Cependant, le vignoble que nous avons sous les yeux est fort différent de celui que contemplaient nos grands-parents ou arrière-grands-parents. En effet, la viti-culture valaisanne a connu des changements de grande envergure durant les deux derniers siècles. L’implantation en Valais du chasselas (qui y porte le nom de «fen-dant»), du pinot et du gamay ne date en effet que du milieu du XIXe siècle. Ces cépages, plus productifs que les cépages traditionnels du pays (rèze, humagne blanc, arvine, amigne, cornalin, himbertscha, lafnetscha…)10, détrônèrent

rapide-ment ces derniers au morapide-ment où le développerapide-ment du chemin de fer ouvrait au canton de nouvelles possibilités commerciales11. Cette modification de

l’encépa-gement s’accompagna d’un autre chanl’encépa-gement, tout aussi important, mais visuel plus que gustatif cette fois. D’abord, les efforts d’assainissement de la plaine du Rhône12ont permis d’étendre la vigne jusqu’au bas des coteaux et dans la plaine

même. Puis, au début du XXe siècle, l’arrivée du phylloxéra13 bouleversa le

paysage viticole de nos régions. Les vignes, jusque-là cultivées en versannes, durent être progressivement arrachées, puis replantées sur des porte-greffes améri-cains, en taille «gobelet» généralement, et en lignes bien droites.

Si ces changements somme toute assez récents sont spectaculaires, le paysage viticole a dû être en perpétuelle évolution, accompagnant les besoins des hommes au fil du temps, s’insérant dans leur économie agro-pastorale en y prenant plus ou moins de place, selon la situation économique et démographique de chaque période. Ainsi, le vignoble valaisan actuel n’est que l’aboutissement provisoire d’une longue histoire, dont j’ai tenté de dévoiler un pan.

S’il semble que la vigne était déjà cultivée en Valais à l’époque romaine, et peut-être même avant14, les premières mentions écrites apparaissent dans des

documents de la fin du premier millénaire et du début du suivant. Les premiers rôles des possessions et revenus du Chapitre de l’église cathédrale de Sion offrent à cet égard des renseignements précieux. Ces listes énumèrent, région par région, les possessions du Chapitre de Sion, ainsi que les redevances auxquelles il a droit. Le premier de ces inventaires qui nous soit parvenu date du XIesiècle15. Jean

Gremaud le suppose antérieur à 1052. Pour la paroisse de Savièse, ce document fait état de vingt-six vignes et d’un champ, tous situés «dans la vallée de Dor-bens». En outre, les chanoines perçoivent trois setiers de vin dans cette zone,

pro-10 A propos des cépages, voir Claude-Henri CARRUZZO, Cépages du Valais, Chapelle-sur-Moudon,

1991, et José VOUILLAMOZ, «Origine génétique des cépages valaisans: les surprises de l’ADN»,

dans Vigne et Vin en Valais, jalons pour un ouvrage de référence (1), Actes du colloque du 9 mai 2003, Sion, 2003.

11 Le train arrive à Sion en 1860 (Jean-Luc ROUILLER, «Le Valais par les dates. Une chronologie des

origines à nos jours», dans Annales valaisannes, 1999, p. 185).

12 Les travaux d’assainissement de la plaine du Rhône, de Brigue jusqu’au lac Léman, furent

princi-palement exécutés entre 1873 et 1884 (CharlesDETORRENTÉ, La correction du Rhône en amont du lac Léman, Berne, 1964, p. 117).

13 Selon la chronologie réalisée par Jean-Luc Rouiller, «le phylloxéra s’attaque à des vignes de

Châ-troz (Sion)» en 1906; «on le retrouvera à Fully en 1916; la situation s’aggrave en 1922», année où cette maladie sévit à Port-Valais, Vouvry, Chamoson et Leytron (ROUILLER, «Le Valais par les dates», p. 195).

14 Pour la question des origines, voir Olivier MERMOD, «Les origines de la vigne en Valais. La vigne

en Valais à l’époque romaine», dans Vigne et Vin en Valais (1), p. 2-4, CARRUZZO, Cépages du

Valais, p. 9-16, Maurice MESSIEZ, Les vignobles des pays du Mont-Blanc: Savoie, Valais, Val

d’Aoste. Etude historique, économique, humaine, Grenoble, 1998, p. 17-48.

15 Cet inventaire est publié dans Jean GREMAUD, «Chartes sédunoises», dans Mémoires et

docu-ments publiés par la Société d’histoire de la Suisse romande, 1resérie, t. XVIII, Lausanne, 1863,

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bablement sur des vignes tenues par des tiers16. Au lieu-dit Verconia, le Chapitre

affirme avoir droit «au dixième du vin de l’évêque»17. Il possède aussi «quatre

champs et un pré avec une seule vigne» à Oblanges, quatre vignes à Drône et deux aux Novelles18. Sur le territoire de Grimisuat, les chanoines possèdent trois

champs et quatre vignes à Comèra, et ils y perçoivent «le dixième du pain et du vin»19, tandis que seules sept vignes situées dans le val de Baulis apparaissent

dans le territoire d’Ayent20.

A la fin du XIIesiècle, un rôle recense, avec plus de précision que le

précé-dent, «les terres et les revenus du Chapitre de Sion»21. Le nom du tenancier des

parcelles, ou de celui qui les cultive pour le Chapitre, y est signalé. On apprend, dans la rubrique dédiée à Savièse, que deux vignes, l’une située à Dorbeins et l’autre à Ualgirbol, furent données au Chapitre par un certain Etienne de Rou-maz22. A Chandolin, au lieu-dit la Cresta, le Chapitre reçut d’Adam de Palude une

vigne, que cultivaient alors, chacun pour moitié, un certain Gillabers et un pré-nommé Benoît23. Une rubrique est consacrée à Nanz, zone située au fond du

val-lon de la Sionne, au pied est de la colline de Lentine et en amont de l’actuelle Brasserie valaisanne. Au Moyen Age, de nombreux moulins et autres «artifices» y étaient installés, au bord de la Sionne24. Ce lieu se trouvait à la frontière entre les

paroisses de Savièse et de Sion, et il est bien malaisé de savoir sur laquelle se situaient les possessions énumérées. Cinq vignes y sont mentionnées. Pierre de Saint-Germain et Pierre Magnins tiennent chacun une vigne; le second doit remettre au Chapitre la moitié du vin produit25. Constantin de la Cuua tient, lui,

une vigne plantée «à côté de la vigne de l’hôpital»26. Une autre parcelle du

Cha-pitre est située «sur le chemin de Saint-Germain» et est «appelée Pelier». Son tenancier est un certain Pierre Filluz, qui tient aussi de cette institution une autre

16 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 8, p. 351: Et in valle Dorbens, xx et vj vineas et ex censu iij

sextarios vini, et in ipsa valle campum unum.Gremaud précise en note que Dorbens est la combe

située «entre le mont de la Soye et celui de Chandolin».

17 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 8, p. 351: Et in Verconia, decimum vini episcopi. Il me

semble que ce lieu, que Gremaud a déchiffré Verconia, devrait être lu Vercoma. Un lieu-dit, qui se trouve au sud du château de la Soie, est en effet connu aujourd’hui sous le nom Ercoma. Voir Christophe FAVRE, Zacharie BALET, Lexique du parler de Savièse, Berne, 1960 (Romanica

Helve-tica, 71), p. 480. Au sud de ce lieu se trouve l’endroit nommé aujourd’hui Tournelette, probable-ment à cause de la petite tour qui s’y élève, marquant le domaine des vignes de l’évêque. Il est tentant de voir dans le «dixième du vin de l’évêque» signalé ici une attestation de cette propriété épiscopale au XIesiècle déjà.

18 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 8, p. 351: Et in Oblanges, iiijorcampos et j pratum cum sola

vinea. Et in Draona, iiijorvineas. Et in Novelles, ij vineas.

19 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 8, p. 352: Et in Comera, iij campos et iiij vineas et decimum

panis et vini.

20 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 8, p. 352: Et in valle Baulis, vij vineas. En ce qui concerne le

val de Baulis et les autres toponymes viticoles, voir infra, p. 30-42.

21 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 384-394.

22 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 390: Stephanus de Ruma dedit ij uineas, j apud

Dor-beins, alteram apud Ualgirbol, quas tenet Petrus de Ues in pignore pro xvj s.

23 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 390: Apud Heschandulins, in loco qui dicitur en la

Cresta, dedit Adam de Palude j uineam, quam colunt ad medietatem Gillabers et Benedictus.

24 Antoine LUGON, «La Sionne du Moyen Age et de l’Ancien Régime. Un souci permanent des

édiles», dans Annales valaisannes, 1993, p. 145.

25 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 391: Campus j, quem tenet Petrus de StoGermano

(…). Ibidem j uinea, quam tenet idem Petrus. Ibidem uinea quedam, quam tenet Petrus Magnins, unde debet medietatem uini.

26 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 391: Juxta uineam hospitalis, uinea j, quam tenet

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vigne cédée aux chanoines par son frère Benoît27. Sous cette même rubrique

appa-raît un lieu appelé Uualt Girbout, où Hemmeradus de Liddes possédait une vigne, qu’il a cédée au Chapitre. On mentionne aussi deux autres vignes, l’une dite d’Araest et l’autre de Bousun, qui ont été assignées en garantie pour le versement de redevances dues au Chapitre28. Une autre rubrique est consacrée à Drône, où

apparaissent trois vignes. L’une d’elles, offerte au Chapitre par Pierre de Roumaz, se trouve dans un lieu nommé les Follateres, alors qu’une autre, qui se situe à Uuoures, fut léguée par Maurice de Champillun pour le salut de son âme et de celles de ses parents29.

Il semble que le Chapitre détenait beaucoup moins de biens à Grimisuat et à Ayent. Dans la première paroisse, une seule vigne est recensée, à Comèra30, et

dans la seconde, on ne voit que deux vignes, dans le territoire de Boulis31.

Le rapide survol de ces premières attestations écrites révèle que la vigne était bien implantée dans cette région du Valais central au début du deuxième millé-naire. Pourtant, il est difficile d’en dire davantage pour les premiers siècles suivant l’an Mil. Les sources écrites dont nous disposons sont en effet rares jusqu’au milieu du XIIIesiècle, puis leur nombre augmente sensiblement dans la seconde

moitié de celui-ci. Si, dans le Valais épiscopal, les actes publics restent peu nom-breux, faute d’une administration centralisée et utilisant systématiquement l’écrit, comme c’est le cas dans les territoires savoyards, cette région est riche en actes privés. Les archives du Chapitre de Sion possèdent en effet «la plus belle collec-tion de registres notariaux de la région alpine»32. Ainsi, un registre de chancellerie

de la première moitié du XIVesiècle contient un nombre considérable d’actes

pas-sés par des particuliers devant un notaire, dans les paroisses d’Ayent, de Grimisuat et de Savièse. Il offre une quantité remarquable d’informations diverses sur cette région, pour le demi-siècle qui voit se terminer la longue phase de croissance démographique du Moyen Age central, et qui s’achève dans l’horreur de la pre-mière épidémie de peste noire.

C’est sur une partie de ce document que se sont basées mes recherches, et c’est à la découverte de ce dernier et des renseignements qu’il fournit que j’invite le lecteur. Dans un premier temps, je présenterai cette source documentaire, en expliquant comment elle s’est formée, quelle est sa portée et de quelle nature sont les informations qu’on peut y trouver; j’évoquerai aussi le contexte géographique

27 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 391: In uia sancti Germani, vinea j que connominatur

Pelier, hanc tenet Petrus Filluz.(…) Idem Petrus tenet uineam j, quam dedit Benedictus frater

ejus.

28 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 391: Item apud Uualt Girbout, dedit Hemmeradus de

Litdes j uineam, quam colit W. Camerarius ad medietatem. Idem W. dedit ius suum eiusdem uinee in obitu suo et ij s. assignatos in uigilia anniuersarii eius super uineam d’Araest, quos debet Sal-terus. Idem dedit j lampadem super uineam de Bousun, que nisi redderentur, uineam cederent capitulo.

29 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 391: DRONA. Dedit Petrus de Ruma uineam j, que iacet

apud les Follateres. Ibidem dedit Mauricius de Champillun quamdam vineam, que iacet apud Uuoures, pro sua anima et patris et matris sue, quam colit Petrus filius Henguichun ad medieta-tem.(…) Ibidem Willermus connominatus Barriz, j uineam.

30 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 392: COMERA. Dedit(…) Golleonus de Drona, en la

Comba, j vineam.

31 GREMAUD, «Chartes sédunoises», n° 30, p. 392: BOULIS. Colit j uineam Johannes li Guerzent de

Boteres. Ibidem Petrus Albus d’Alba, j.

32 Pierre DUBUIS, «Lombards et paysans dans le vidomnat d’Ardon-Chamoson et dans la paroisse

de Leytron de 1331 à 1340», dans Vallesia, 32 (1977), p. 276. Voir l’inventaire dressé par Robert-Henri BAUTIER, Janine SORNAY, Les sources de l’histoire économique et sociale du Moyen Age, vol. 2, Paris, 1971, p. 1358-1369.

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et historique dans lequel elle fut produite. Le chapitre 2 sera un essai de reconsti-tution du paysage viticole. On se demandera comment se présentaient les parcelles de vigne, où elles se situaient et quels terrains on leur réservait. Le cha-pitre 3 sera consacré aux travaux de la vigne et du vin, des modes de culture à la vinification. Enfin, on tentera, dans le chapitre 4, d’évaluer la place tenue par le vin dans les économies domestiques et dans la société. L’étude des constitutions de rentes ou des legs de rentes en vin, notamment, permettra de comprendre dans quelles occasions le vin était indispensable, et de voir dans quelle mesure les cita-dins tentaient d’avoir accès au fruit de la vigne.

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1. Une source documentaire et ses contextes

Le registre Min. A 4

Ma recherche se base sur le contenu de ce registre de chancellerie, conservé aux Archives du Chapitre de Sion, et coté Min. A 4.

Ce registre est constitué de dix cahiers de parchemin de grand format (approximativement 38 sur 27 centimètres), qui ont été reliés à l’époque moderne, comme l’atteste la couverture en carton bleu. Il comporte 408 pages, qui ont été récemment numérotées, en chiffres arabes et au crayon à papier, peut-être lorsque ce manuscrit a été microfilmé33. Une page de garde, qui faisait peut-être office de

couverture avant la reliure moderne, précède la première page numérotée et suit la dernière. Au recto de la page de garde qui ouvre le registre apparaît une sorte de titre, rédigé d’une écriture plus récente que celle des actes, selon lequel ce docu-ment contient les «instrudocu-ments reçus par les notaires jurés de la chancellerie»34

sous les épiscopats successifs d’Aymon de la Tour (1323-1338), de Philippe de Chamberlhac, appelé ici Philippe de Gascogne (1338-1342) et de Guichard Tavel (1342-1375). Le verso de cette page est vierge. Le registre contient 2369 actes35;

33 Je remercie Chantal Ammann-Doubliez à qui je dois les informations concernant la description

du registre. Pour tout ce qui concerne ce sujet, le lecteur peut désormais se référer à Chantal

AMMANN-DOUBLIEZ, Chancelleries et notariat dans le diocèse de Sion à l’époque de maître

Mar-tin de Sion († 1306), Sion, 2008 (Cahiers de Vallesia, 19).

34 ACS, Min. A 4: Registrum secundum instrumentorum receptorum a Notariis Juratis

Cancella-rie(…). Episcopantibus Aymone de Turre, Philippo de Gasconia et Guichardo Tavelli.

35 Selon AMMANN-DOUBLIEZ, Chancelleries et notariat dans le diocèse de Sion, p. 98.

Fig. 1 – Le registre A 4 des Archives du Chapitre de Sion, dans sa reliure en carton bleu du XIXesiècle (photographie Amélie Chapuis-Fardel).

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en moyenne, une page en compte donc six. Ces actes sont en général très courts: quelques lignes suffisent à l’enregistrement d’une vente; par contre, les testaments peuvent remplir une page, voire davantage. Tous ces actes sont des actes privés36,

par lesquels des individus passent, devant un juré de la chancellerie, des contrats de vente ou de location, des donations, des testaments…

La langue de rédaction de ces documents est le latin, et le formulaire est bien fixé. Les formules sont fortement abrégées, ce qui rend l’approche difficile au débutant. Chacun de ces actes de chancellerie, qu’on désigne par le nom de «charte sédunoise», commence par les mots Notum sit omnibus Christi fidelibus quod… («Qu’il soit connu de tous les fidèles du Christ que…»), souvent abrégés en Notum etc. Lorsqu’il s’agit de testaments, cette formule est précédée par cette adresse: In nomine Domini, amen («Au nom du Seigneur, amen»), pour marquer la solennité d’un tel acte, essentiel à la préparation de la vie dans l’au-delà. La for-mule d’introduction est suivie par le nom des acteurs de la transaction, que le notaire fait parler à la première personne, et par le contenu de celle-ci. Les prix sont indiqués en sous mauriçois, la monnaie valaisanne frappée, un temps au

36 Selon Olivier GUYOTJEANNIN, Jacques PYCKE, Benoît-Michel TOCK, Diplomatique médiévale,

Turnhout, 1993 (L’atelier du médiéviste, 2), p. 104, «on entendra par “acte privé” tout acte éma-nant d’une personne privée, ou d’une personne publique agissant pour le compte d’une personne privée».

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moins, à Saint-Maurice37. L’acte se termine par la désignation des témoins, du juré

de chancellerie qui l’a reçu, et des éléments de datation38.

Le registre A 4 est très bien conservé, et l’écriture régulière des scribes rend sa lecture aisée. Le texte est rédigé «en minuscules courantes et les informations se suivent de manière continue (…), sans alinéas, ni interligne»39. A part la lettre

ini-tiale, soit le N de Notum dans la plupart des cas40, écrite en grand format pour

mar-quer le début de l’acte, les pages du registre sont dénuées de tout ornement. Lors-qu’un acte devait, pour une raison ou une autre, être annulé, on le biffait de plusieurs traits de plume: l’acte est alors «cancellé».41

Quelques exemples d’actes

Le douzième jour avant les calendes de novembre 1336 (soit le 21 octobre 1336)42, en présence des témoins Martin Costantini, chanoine du Mont-Joux,

Guillaume Lora et Jean Arenço, André, clerc d’Ayent, prend note d’une vente de vigne, qui constitue le deuxième acte de la page 212 du registre:

Qu’il soit connu etc. que moi, Béatrice, fille de feu Pierre Marynes d’Arbaz, autorisée par mon mari Jean Barsel, j’ai vendu perpétuellement, pour douze sous mauriçois qui m’ont été remis, à Pierre de la Tour de Collombey, donzel, et à ses héritiers et à qui etc., une parcelle de vigne située dans le territoire de Drône, à côté de la vigne de l’acheteur d’une part, et de la vigne de Guillaume Bornet Arenço de l’autre, et à côté du cours de la Sionne. Je promets de garantir cette vente etc. comme ci-dessus.43

37 Pour cette question, voir Franco MORENZONI, «Quelques précisions à propos de l’atelier

moné-taire de Saint-Maurice d’Agaune vers le milieu du XIVesiècle», dans Vallesia, 51 (1996), p.

239-242.

38 La réception d’un acte est appelée «levée» (levatio) de l’acte, et la personne qui le reçoit en est le

levator. Pour plus de précisions sur le fonctionnement de la chancellerie, voir infra, p. 13.

39 Selon les mots qu’utilisait Claire Crettaz pour décrire un autre registre de chancellerie, celui

concernant Anniviers (Claire CRETTAZ, Aspects du cadre de vie paysan du Val d’Anniviers et de Vercorin vers 1300, Mémoire de licence, Université de Genève, 1999, p. 16).

40 Ou le I de In nomine Domini pour les testaments.

41 Pour ces questions, voir GUYOTJEANNIN, PYCKE, TOCK, Diplomatique médiévale, p. 234

notam-ment.

42 ACS, Min. A 4, 212/2: .xii° kalendas novembris, anno Domini m°ccc°xxx°vi°.

43 ACS, Min. A 4, 212/2: Notum etc. quod ego Beatrix, filia quondam Petri Marynes d’Arba,

lau[datione] Jo[hannis] Barsel mariti mei, ven[didi] et fi[navi] perpetue, pro xii. s[olidis] maur[iciensium] mihi solutis, Petro de Turre de Columberio domicello, et s[uis] h[eredibus] et cui

etc., unam peciam vinee sitam in territorio deDronna, juxta vineam dicti emp[toris] ex iaparte, et

vineam W[iller]mi Bornet Arenço ex al[tera], et juxta cursum aque de Seduna. Quam ven[ditionem], ego etc., ut supra garentire.

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A côté des ventes de vigne, on trouve souvent des actes de constitution de rentes en vin. En voici un exemple.

Le 24 septembre 1345, à Saint-Romain, Aymon Heros, curé de la paroisse d’Ayent et juré de la chancellerie, rédige l’acte suivant, en présence de Martin Lupi, d’Etienne Heros et de Jean Jornal:

Qu’il soit connu etc. que moi, Jean, fils de feu Romain Bruneti d’Ayent, mes enfants étant mineurs, autorisé par ma femme Jeannette, j’ai vendu perpétuellement, pour vingt-huit sous mauriçois qui m’ont été remis, à Martin Jornal de Botyre et à ses héri-tiers etc., deux sehéri-tiers de bon moût (malta) à la mesure dou cop, à remettre chaque année aux vendanges, à la tine, à l’acheteur et à ses héritiers, du vin croissant dans les vignes mentionnées ci-dessous. Ces deux setiers de vin, je les pose et les assigne, à lui et à ses héritiers, de sorte qu’il puisse les avoir et les récupérer sur trois fossorées de vigne situées à Essers, à côté de la vigne de Guillaume Mistralis à l’ouest, et du ter-rain d’Antoine Manzon à l’est. De même sur la moitié d’une fossorée de vigne située à

Champons, à côté du terrain de Jaquerius Agnetis à l’est, et du terrain de Jean Pouget à l’ouest. Sur ces biens, que l’acheteur et ses héritiers aient plein recours chaque année, à partir de la date d’échéance et au-delà, en cas de manquement dans le paye-ment de la rente, les tenant, les cultivant et les cueillant comme sa propriété, jusqu’à obtenir satisfaction de la rente impayée. Cette vente, j’ai promis, avec mes héritiers, par mon serment, de la garantir perpétuellement à l’acheteur et à ses héritiers, avec cette assignation, s’il la tient dans le cas prévu plus haut; ces vignes ne sont pas enga-gées ailleurs.44

Dans un autre type de transaction, on vend non pas la vigne elle-même, mais sa culture. Le vendeur fait cultiver sa vigne par un tiers, qu’il paye en lui laissant une partie de la récolte. C’est ce qu’on peut voir dans le neuvième acte de la page 67, levé à Sion le troisième jour avant les ides de février 1331 (11 février 1331)45:

Jaqueta de l’Escheleir, citoyenne de Sion, déclare qu’elle abandonne et concède perpétuellement, pour six sous mauriçois qui lui ont été remis à titre d’in-troge46, à Perrod Ormoneys d’Ormône et à sa femme Bénédicte, et à leurs

héri-tiers,

44 ACS, Min. A 4, 320/5: Notum etc. quod ego Joh[ann]es, filius quondam Romani Bruneti de

Ayent, pueri mei erant impuberes, laudatione Joh[ann]ete uxoris mee, vendidi et finavi perpetue,

pro xxviii solidis mauriciensium mihi solutis, MartinoJornal de Boteres et suis heredibus etc.,

duo sextaria bone malte, mensuredou cop, an[nuati]m in vindemiis a la tina, dicto emptori et suis

heredibus persolvenda, de vino crescente in vineis infrascriptis. Que duo sextaria vini pono et assigno sibi et suis heredibus habenda et recuperanda super tres fossoratas vinee sitas apud Essers, juxta vineam Will[er]mi Mistralis a parte occidentali, et terram Anthonii Manzon ab

oriente. Item super dimidiam fossoratam vinee sitam apudChampons, juxta terram Jaquerii

Agnetis ab oriente, et terram Jo[hannis] Pouget ab occidente. Super quibus, dictus emptor et sui heredes habeant plenum recursum anno quolibet, a dicto termino in antea, in defectum solutionis

dicti redditus, tenendo eam[sic!: on devrait avoir ici un masculin pluriel], colendo et recolligendo

tanquam suam rem propriam, donec de dicto redditu non soluto sibi fuerit satisfactum. Quam venditionem, ego et heredes mei te[neor] et promisi, per juramentum meum etc., dicto emptori et suis heredibus et cui etc., unacum dicta assignatione, si eam tenuerit in dicto casu, contra omnes

perpetue garentire; et dictas vineas alibi non esse obligatas.(…) loco, die et anno quibus supra

[320/3: apud Sanctum Romanum, viii°. kalendas octobris, anno Domini m°.ccc°x°lv°]. Pour la traduction du terme terra, voir infra, p. 47.

45 ACS, Min. A 4, 67/9: .iii°. idus februarii, anno quo supra [67/8: anno Domini .m°.ccc°.xxx°i°.] 46 ACS, Min. A 4, 67/9: nomine intragii mihi solutis. Théodore Kuonen définit l’introge ainsi:

«somme forfaitaire versée (...) lors de l’entrée en possession d’un bien concédé en “alber-gement”: ensuite, le tenancier versait une rente généralement annuelle» (Théodore KUONEN,

Histoire des forêts de la région de Sion, du Moyen Age à nos jours, Sion, 1993 (Cahiers de Valle-sia, 3), p. 672).

(12)

la faisande (feysenda)47d’une parcelle de vigne située eys Buynodes, à côté de la vigne de Guillaume Forner de Saint-Germain d’une part, et de la vigne de Rolerius <Dapniat> de l’autre. Cette faisande et cette vigne, moi et mes héritiers, nous sommes tenus et nous promettons par nos serments etc. de les garantir perpétuellement à Per-rod et Bénédicte, et à leurs héritiers, pour la moitié (pro la myey) en moût (malta) et l’autre en jus de presse (trollis), à verser chaque année aux vendanges à moi [scil.

Jaqueta] et à mes héritiers, et pour les autres usages de cette vigne qui doivent être versés à moi et à mes héritiers (...). Perrod, Bénédicte et leurs héritiers, sont tenus de cultiver cette vigne bien et convenablement, comme de bons cultivateurs, et pour sa culture ils doivent recevoir l’autre moitié du vin croissant sur cette vigne.48

Cet acte a été passé par le notaire Martin d’Ormône, en présence de Jean Evril d’Ayent, Boson Montaneyr de Riddes et Martin Bertatz, témoins.

On trouve également dans ce registre des testaments. Voici celui de Béatrice, fille de feu Benoît Lupi de Blignou, recueilli dans ce village le 27 décembre 133849par le clerc André d’Ayent, en présence de dom Matthieu de Garda, moine

d’Ayent, de Jean Pouget, Jean Arenzos, Jean Brunet, Pierre Mistralis, Aymon Willenci, Guillaume, fils de Pierre Donne Aluis, et Perret a la Johanneta, témoins. Béatrice choisit sa sépulture dans le cimetière de Saint-Romain d’Ayent, et donne quelques deniers à l’église du lieu, à son curé et à son clerc. Elle demande que, le jour de son enterrement, quatre prêtres intercèdent en faveur de son âme par la célébration de quatre messes. Pour cela, elle lègue six deniers à chaque prêtre. Suivent ainsi d’autres dispositions pour le salut de son âme. Elle lègue ensuite ses biens, et c’est alors qu’apparaît la vigne: «je donne et je lègue comme don particulier (filiolagium) à mon filleul Jean, fils de Guillaume Bossy, une vigne située en Boulis, vers le pressoir a la Grossa, à côté de la terre de Jean de Comba et de la terre deys Richiers»50.

47 Ce terme sera expliqué infra, p. 64-72. Pour les termes trollis et malta, voir infra, p. 88-89. 48 ACS, Min. A 4, 67/9: la feysenda unius pecie vinee site eys Buynodes, juxta vineam W[iller]mi

Forner de Sancto Germano ex .ia. parte, et vineam Rolerii<Dapniat> ex al[tera]. Quam feysen-dam et dictam vineam, e[go] et h[eredes] m[ei] te[nemur] et promi[simus] per juramentum etc. dictis Perrodo et Benedicte, et h[eredibus] eorum, pro la myey in malta et in trollis, mihi et h[eredibus] m[eis] an[nuati]m fac[ienda] in vindemiis, et pro aliis usagiis dicte vinee mihi et h[eredibus] m[eis] fac[iendis], (…) perpetue gar[entire]. Et dicti Perrodus et Benedicta, et h[eredes] eorum, tenentur dictam vineam bene collere et decenter, tamquam boni cultores, et pro sua cultura debent accipere aliam medietatem vini crescentis super vinea supradicta.

49 ACS, Min. A 4, 13/2: apud Blivignoth, vi kalendas januarii anno Domini m°.ccc°xxx° nono. Jean

Gremaud signale que la chancellerie de Sion utilise, dès le milieu du XIIIesiècle, le style natal

(GREMAUD, Documents, p. XVII-XVIII). Autrement dit, on faisait commencer l’année à Noël. Il

faudrait alors, pour rétablir la chronologie telle que nous l’entendons aujourd’hui, soustraire une année aux actes datés des derniers jours de décembre. C’est ce que j’ai fait ici.

50 ACS, Min. A 4, 13/2: Item do et lego Johanni, filio W[iller]mi Bossy, filiolo meo, nomine

filiola-gii, quandam vineam sitamen Boulis, versus torcular a la Grossa, juxta terram Jo[hannis] de

Comba et terramdeys Richiers.

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Elle lègue ensuite à son mari Jean, fils de Guillaume de Pratofrizon, le tiers de tous ses biens, meubles et immeubles, «ou, s’il préfère, une vigne que ma sœur et moi avons acquise et qui est située dans le territoire de Signèse, à côté de la vigne de Martin Neynda, de la vigne de Nicolas a la Guia et du chemin public»51.

Le fonctionnement de la chancellerie

Si un tel corpus d’actes existe, c’est grâce au travail du personnel de la chan-cellerie capitulaire de Sion. Le droit de chanchan-cellerie faisait partie, avec les droits de justice et les droits fiscaux, des droits régaliens de l’évêque de Sion. A la fin du XIIesiècle, l’évêque avait inféodé le droit de chancellerie au Chapitre cathédral de

Sion52. Celui-ci détenait donc le monopole pour l’authentification des actes; il

percevait, pour chaque document enregistré, un émolument proportionnel aux montants en jeu.

Le Chapitre nommait des jurés de la chancellerie (jurati cancellarie sedunen-sis), qui se chargeaient de prendre note des contrats dans le territoire qui leur était assigné. Ces jurés étaient en général des ecclésiastiques (notamment des curés de paroisse) ou des laïcs instruits qui exerçaient cette fonction en plus de leur activité principale. Dans les actes, ils sont qualifiés de «clercs». Ces jurés vivaient fré-quemment dans la paroisse où ils officiaient, et prenaient note des contrats ou tes-taments, qu’ils transféraient ensuite à la chancellerie capitulaire de Sion. Là, des scribes recopiaient ces actes dans de grands cahiers de parchemin; un cahier regroupait les actes provenant d’une même région. C’est cette inscription dans les registres de parchemin qui donnait sa validité au contrat; ni sceau ni signature n’étaient nécessaires. Puisque les scribes recopiaient ces actes à mesure qu’ils les recevaient des levatores, le registre ne suit pas un ordre chronologique. Les registres ainsi constitués étaient conservés à Valère, dans des coffres ou des armoires.

Seuls trois de ces registres de chancellerie sont parvenus jusqu’à nous dans leur intégralité: le registre A 4 étudié ici, un registre se rapportant au Haut-Valais, qui se trouve aussi aux Archives du Chapitre de Sion53, et un registre concernant le

Val d’Anniviers, conservé aux Archives de l’Etat du Valais54. Des autres, nous ne

disposons plus que de fragments.

Portée géographique et chronologique du registre A 4

Les levationes reçues par les scribes de la chancellerie de Sion étaient regrou-pées en cahiers et en registres selon un critère géographique. Celles que comprend le registre A 4 viennent des paroisses55d’Ayent, de Grimisuat et de Savièse. Ce

51 ACS, Min. A 4, 13/2: vel si malueret, quandam vineam meam quam inter me et sororem meam

acquisivimus, que vinea sita est in territorio de Sinyesi, juxta vineam MartiniNeynda, et vineam

Nicholaia la Guia, et viam publicam.

52 ROUILLER, «Le Valais par les dates», p. 113. Pour tout ce qui concerne le fonctionnement de la

chancellerie de Sion et la composition de ces registres, se référer à AMMANN-DOUBLIEZ, Chancel-leries et notariat dans le diocèse de Sion.

53 ACS, Min. A 5. 54 AEV, AV L 162.

55 «Pour désigner ce territoire que l’on appelle aujourd’hui la “commune”», il convient d’utiliser

pour le Moyen Age «le mot “paroisse”, en le vidant bien sûr de toute sa signification religieuse et pastorale» (Pierre DUBUIS, «La démographie alpine au bas Moyen Age, problèmes de sources

et de méthodes: l’exemple de la paroisse d’Orsières», dans Annales valaisannes, 1984, p. 87, note 2). En effet, le territoire est à cette époque découpé par paroisses.

(14)

qui déterminait ce classement, en théorie du moins, était le domicile du bénéfi-ciaire de l’acte. Autrement dit, l’achat d’un bien immobilier ou d’une rente par un habitant d’Ayent, de Savièse ou de Grimisuat, dans un lieu quelconque du Valais épiscopal, devait être inscrit dans ce registre. Cette règle explique pourquoi on voit apparaître dans ce document des lieux extérieurs à ces trois paroisses, tandis que ne sont généralement pas mentionnées les transactions dont le bénéficiaire vit en dehors de ce territoire.

La paroisse médiévale d’Ayent recouvrait le territoire des communes actuelles d’Ayent et d’Arbaz. Quant au territoire des deux autres paroisses, il n’a pas changé depuis la fin du XIIesiècle: il correspond aux «limites de l’actuelle

com-mune»56. Ainsi, le registre A 4 éclaire trois paroisses contiguës du Valais central,

sur le coteau droit de la vallée du Rhône et au nord de Sion, la capitale du canton actuel et du diocèse, celle aussi de la principauté épiscopale médiévale.

Selon le titre inscrit sur la page de garde originale du registre A 4, les actes qu’il contient ont été levés sous les épiscopats successifs d’Aymon de la Tour, de Philippe de Chamberlhac et de Guichard Tavel. Le premier est élu évêque de Sion à la fin de l’année 1323, et le dernier trouve la mort, précipité du haut du château de la Soie, le 8 août 1375; le temps du registre A 4 devrait donc être compris entre ces deux dates.

56 François-Olivier DUBUIS, Antoine LUGON, De la mission au réseau paroissial. Le diocèse de Sion

jusqu’au XIIIesiècle, Sion, 2002 (Cahiers de Vallesia, 7), p. 184 et 273.

Fig. 5 – Situation géographique de la région Ayent-Savièse. Carte des communes du Valais, remaniée à partir de celle qui figurait sur le site http://www.swisscastles.ch à la fin de l’année 2004.

(15)

Or les actes relevés pour mon étude apparaissent nombreux dès les premières années de l’épiscopat d’Aymon de la Tour, tandis que les derniers datent du milieu du siècle. Parmi les 316 actes étudiés, une quarantaine se situe entre 1320 et 1331. Tous les autres documents datent d’entre 1332 et 1349. Ils se répartissent de manière plus ou moins constante, avec un pic en 1335 (vingt actes), puis une grande abondance dans les années 1340-1344, qui regroupent 144 actes, soit plus de 45% du total. Le nombre d’actes diminue ensuite sensiblement, et je ne trouve qu’un document datant d’après 134957. Mon étude sera donc centrée sur vingt-six

années, soit sur le deuxième quart du XIVe siècle. Dans ces conditions, il ne

pourra être question d’évolutions dans le long terme.

Contextes

Contexte géographique

Savièse occupe, «au-dessus du vignoble du chef-lieu [Sion], un large plateau strié de vallons longitudinaux, parallèles à la vallée du Rhône»58, et situés au pied

de la montagne du Prabé. «Savièse» est un nom collectif, qui désigne l’ensemble des villages et hameaux se trouvant entre les frontières naturelles formées par la Morge à l’ouest et par la Sionne à l’est. Savièse a donc pour voisins Conthey à

57 Il s’agit d’un acte ajouté plus tard au bas d’une page qui termine un cahier de parchemin; il date

de 1358.

58 Charles KNAPP, Maurice BOREL, Victor ATTINGER(dir.), Dictionnaire géographique de la Suisse,

vol. 4, Neuchâtel, 1906, p. 444-445.

Fig. 6 – Les actes étudiés classés selon l’année de leur levatio. Ce graphique prend en compte 314 des 316 actes étudiés. Les deux actes extrêmes (1320 et 1358) n’y figurent pas. Les dates ont été mises au style actuel.

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l’ouest, Grimisuat et Arbaz à l’est59. Au nord, le voisin est la commune de Gsteig,

dans l’Oberland bernois. La plupart des grands alpages communautaires se trou-vent dans la région du col du Sanetsch60, qui permet le passage sur Berne.

Actuel-lement, la commune compte six villages et autant de hameaux. Il s’agit des vil-lages de Saint-Germain, chef-lieu de la commune et centre de la paroisse depuis le Moyen Age, Granois, Chandolin, Ormône, Roumaz et Drône, ainsi que des hameaux de La Muraz, La Sionne, Monteiller, La Crêta, Prinsières et Vuisse.

Au Moyen Age, La Muraz faisait partie du territoire de Sion61; La Sionne et

Vuisse ne semblent pas avoir été des lieux habités62; La Crêta est alors nommée La

Crista de Cheynyez63.En outre, Savièse comptait alors trois villages aujourd’hui

disparus: Zuchuat (ou Choussua, selon la graphie courante dans le registre), Malernaet Neynda.

Si le premier apparaît encore en 1450 dans le ratement pour le nouveau bisse64, tel n’est pas le cas des deux autres, qui semblent donc s’être déjà éteints.

Les actes du registre A 4 semblent pourtant indiquer qu’un siècle plus tôt, Malernacomptait encore quelques foyers. En effet, des biens immeubles (prés, terre et grange) sont situés par rapport à Malerna, derrière ou au-dessus65. De

plus, un acte est passé dans ce lieu le 7 juillet 1331, et l’un des acteurs est présenté comme Guillaume de Malerna66. Je rencontre d’ailleurs souvent des personnes

dont le patronyme est de Malerna, et deux individus, Pierre Pelliparii et Jean dou <Crevix>, sont dits de Malerna67. Tout cela tend à indiquer que ce lieu est encore

vivant dans la première moitié du XIVesiècle, même si aucune mention de

mai-sons ne permet de dissiper tout à fait les doutes.

Le toponyme Neynda apparaît dans des mentions assez fréquentes de per-sonnes appelées de Neynda, ou de Neynda de Savyesi68; je trouve également un

Perret dou Pra de Neynda69, un Jaquemetus Bochu de Neynda70et un Thomas de

la Loy de Neynda71; dans ces cas, on ne peut être sûr qu’il s’agisse du lieu-dit de

Savièse, et non pas de la commune de Nendaz, sur le coteau gauche de la vallée du

59 Voir les deux extraits de la Carte nationale à l’échelle 1:25 000, infra, p. 35 et 42, pour situer plus

concrètement ces territoires. C’est la graphie de cette carte que je suis pour les noms de lieux, si tant est qu’ils y apparaissent.

60 Rose-Marie ROTENDUMOULIN, Savièse. Une commune rurale dans le Valais du XIXesiècle, Brigue, 1990, p. 13.

61 Antoine Lugon, information orale.

62 Ils n’apparaissent en tout cas jamais en tant que lieux d’habitation dans les actes que j’ai étudiés,

ni dans les documents du XVesiècle étudiés par Denis Reynard, soit les statuts saviésans de 1447

(Denis REYNARD, «La vie d’une communauté rurale au XVesiècle. Les statuts de Savièse de

1447», dans Annales valaisannes, 2003, p. 85-112), et le ratement de 1450 pour la construction d’un bisse (Denis REYNARD, Histoires d’eau. Bisses et irrigation en Valais au XVesiècle, Lau-sanne, 2002 (Cahiers lausannois d’histoire médiévale, 30), p. 206-211).

63 REYNARD, «La vie d’une communauté rurale», p. 87.

64 REYNARD, Histoires d’eau, p. 206-211.

65 Il s’agit des actes ACS, Min. A 4, 55/2 (Rolerius de Vex possède un pré dans la condémine

der-rière Malerna en octobre 1332), 55/6 (Martin de Neynda possède un pré derder-rière Malerna en jan-vier 1333), 57/3 (Guillaume lo Durant possède une terre au-dessus de Malerna en octobre 1334), 63/3 (Rolerius de Vex de Chandolin achète une grange située derrière Malerna et un pré qui se trouve derrière cette grange, en novembre 1335), 74/1 (Guillaume, fils de feu Etienne Forner de Chandolin, autorisé par sa femme Béatrice, vend un demi-seyteur de pré situé au-dessus de Malerna, en mai 1324).

66 ACS, Min. A 4, 67/7: apud Malerna, nonis julii anno Domini, .m°.ccc°.xxx°i°.

67 ACS, Min. A 4, 92/2 notamment, pour le premier, et ACS, Min. A 4, 96/4 pour le second. 68 ACS, Min. A 4, 76/5 par exemple.

69 ACS, Min. A 4, 18/3. 70 ACS, Min. A 4, 96/1. 71 ACS, Min. A 4, 150/1.

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Rhône. On ne trouve pas, dans le corpus, de mention de maisons à Neynda. Un pré est limité par «le chemin carrossable (carreria) public allant du village de Zuchuat vers Neynda»72, et une terre, présente dans trois actes successifs, «se trouve en

Neyndaà Savièse, au-dessus et au-dessous du chemin public, et touche la terre de Guillaume Tocchet»73. En somme, les documents du corpus ne permettent pas de

décider si Neynda est encore un endroit habité au début du XIVesiècle, ou s’il

n’est qu’un lieu-dit parmi d’autres.

Les villages principaux de Savièse, eux, sont restés les mêmes jusqu’à aujour-d’hui. Grégoire Ghika, en étudiant les statuts communaux de 144774, suppose que

la paroisse comptait environ 600 habitants, et que les villages les plus peuplés étaient, par ordre décroissant, Chandolin, Drône, Saint-Germain et Granois. Reste à mentionner le château de la Soie, propriété des évêques de Sion, qui y résidaient parfois. Dans le bourg qui flanque le château à l’est vivait le portier, et peut-être quelques officiers de l’évêque; certains habitants des villages voisins y possé-daient des maisons qui leur servaient de refuge, ou peut-être même de domicile permanent75.

Grimisuat et Arbaz sont deux petites communes situées entre leurs grandes voisines, Savièse et Ayent. La première compte 445 hectares, étagés entre 602 et 1022 mètres d’altitude; elle occupe deux plateaux que traverse la route du Rawyl, permettant de rejoindre le territoire de Berne en passant par Ayent. Le village de Champlan est situé sur le plateau inférieur, alors que le village principal, qui donne son nom à la commune, se trouve sur le second. Entre les deux se situe la zone aujourd’hui construite de Comèra. Les limites de Grimisuat «ont été, en grande partie, tracées artificiellement»76, sauf celle qui suit le tracé de la Sionne.

Si le registre mentionne des parcelles au lieu-dit Comèra, rien ne permet de suppo-ser que d’autres lieux que le village de Grimisuat proprement dit étaient alors habités. Quant à l’actuelle commune d’Arbaz, ses 1929 hectares se situent au nord de Grimisuat et s’étendent jusqu’au Wildhorn77. La surface utile de la commune

ne comprend aucune vigne, en raison de l’altitude trop élevée pour cette culture. Au Moyen Age, Arbaz, Luc et Botyre constituaient les trois «Tiers» d’Ayent; Arbaz était donc partie intégrante de cette dernière paroisse. Dans ce travail, la paroisse médiévale d’Ayent correspond aux territoires des communes actuelles d’Arbaz et d’Ayent.

Au Moyen Age, depuis 1249 au moins78, le territoire d’Ayent est parfois décrit

par l’expression contrata de Ayent. Pour le père Sulpice Crettaz, ces mots se réfé-raient à l’ensemble des terres comprises entre la Sionne et la Liène (autrefois appelée la Rière), ce qu’illustre un acte du registre A 4: deux frères cèdent leur part d’héritage in tota contrata de Ayent, inter aquam de Ryei et aquam de 72 ACS, Min. A 4, 36/1: carreriam publicam tendentem a villa de Choussua versus Neynda. 73 ACS, Min. A 4, 59/3-5: Alia jacet en Neynda en Savyesy, supra viam publicam et subtus viam

publicam, et tangit terram dicti W[iller]mi Tocchet.

74 Grégoire GHIKA, «Deux listes d’hommes de Savièse à la fin du moyen âge et au début des temps

modernes (1447 et 1462)», dans Vallesia, 33 (1978), p. 272. Ces statuts sont publiés dans REY -NARD, «La vie d’une communauté rurale».

75 A propos du château de la Soie, voir Louis BLONDEL, «Le château et le bourg de la Soie», dans

Vallesia, 1 (1946), p. 69-77.

76 Les informations concernant Grimisuat ont été puisées dans le chapitre écrit par Dominique

Roux, «Le cadre naturel», dans Grimisuat. Monographie de la commune de Grimisuat du

XIIIesiècle à nos jours, Grimisuat, 1984, p. 11-17 (citation p. 11).

77 En ce qui concerne Arbaz, je me base sur l’article consacré à cette commune dans KNAPP, BOREL,

ATTINGER(dir.), Dictionnaire géographique de la Suisse, vol. 1, p. 79, et sur Myriam EVÉQUOZ

-DAYEN(dir.), L’église à Arbaz. Des pierres… des hommes, Arbaz, 1988, p. 7.

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Seduna79. Cette définition montre qu’on percevait l’unité géographique de la

région comprise entre ces deux rivières, et qu’Ayent est, comme Savièse, un terme collectif qui désigne l’ensemble d’un territoire.

Avec une plus grande précision, la paroisse médiévale d’Ayent touchait donc à l’ouest Savièse et la Sionne, et plus bas Grimisuat. Aujourd’hui comme à l’époque, elle est bordée de Sion et de Saint-Léonard au sud, et d’Icogne à l’est, de l’autre côté de la Liène, tandis qu’au nord, elle atteint le territoire de Berne. La paroisse se composait, comme aujourd’hui, des villages de Blignou, Botyre, Luc, Saint-Romain, Fortunau, Saxonne et La Place, et du hameau de La Villa. S’y ajou-tait le village d’Arbaz. Le hameau d’Argnou et le village de Signèse ne semblent pas habités80. Si on mentionne à plusieurs reprises des parcelles dans ces lieux,

jamais je n’y vois de maisons, aucune charte n’y est levée, et personne n’est dit «de Signèse» ou «d’Argnou». Par contre, on peut se demander si le lieu dénommé aujourd’hui Tsampon, qui apparaît dans mes documents sous les graphies Cham-pons ou Champonz, n’était pas alors un hameau. François-Olivier Dubuis et Antoine Lugon se posaient déjà cette question dans leur article sur la chapelle Sainte-Marie-Madeleine d’Argnou81, en faisant allusion à un certain Jean Hero de

Champonz. Je retrouve à plusieurs reprises cet homme ou ses enfants dans le registre82. Le 12 avril 1342, Agnès, femme de Jean, fils de Jean Hero de

Cham-ponz, vend une vigne située au lieu-dit Vauz; l’acte étant levé à Champonz83, on

peut se demander si les parties ne s’étaient pas retrouvées dans la maison de ces personnes. Un chemin traversait cette zone pour rejoindre Sion84, et des vignes se

trouvaient apud les Masieres de Champons85. Selon Henri Jaccard, ce terme

dérive du latin maceria, qui commença par désigner une muraille, puis une mai-son86. Peut-être désigne-t-il ici un petit groupe de maisons d’habitation…

D’ailleurs, les gens d’Ayent se souviennent qu’une ou deux familles vivaient à Tsamponau début du XXesiècle; on les appelait les Tsamponi ou «ceux de

Tsam-pon»87. Il est aussi possible que cet endroit, sans être un lieu d’habitation

perma-nent, servait chaque année durant quelques semaines, pour les travaux de la vigne et la pâture des animaux.

Le castrum de Ayent se dressait au sommet de la colline surplombant, au nord, le village de La Place. Le terme castrum désigne, au Moyen Age, non seulement le château, mais aussi le bourg qui se trouvait également à l’intérieur des remparts, où des habitations pouvaient servir de refuge à la population. Pour cette raison, castrumest utilisé au singulier malgré le fait qu’à Ayent, les deux familles qui se partageaient alors la seigneurie88avaient pourvu ce lieu de deux tours ou donjons

79 ACS, Min. A 4, 146/3.

80 Cette affirmation se base uniquement sur ce que livrent les actes du corpus, c’est-à-dire les actes

du registre A 4 concernant la vigne.

81 François-Olivier DUBUIS, Antoine LUGON, «La chapelle Sainte-Marie-Madeleine d’Argnou

(paroisse d’Ayent)», dans Annales valaisannes, 1985, p. 96. Cependant, les auteurs prennent le «n» de ce mot pour un «u», et écrivent Champouz.

82 ACS, Min. A 4, 26/4, 152/3, 162/3, 172/1, 190/4, 201/4, 202/3.

83 ACS, Min. A 4, 162/3: apud Champonz, .ii°. idus aprilis, anno Domini m°ccc°xlii°.

84 ACS, Min. A 4, 14/4: oul torrent de Champons, juxta vineam heredum W[iller]mi Bossy, et subtus

viam publicam tendentem versus Sedunum.

85 ACS, Min. A 4, 216/1 (apud les Masieres de Champons) et 198/2 (en Champons, eys Massieres). 86 Henri JACCARD, Essai de toponymie. Origine des noms de lieux habités et des lieux dits de la

Suisse romande, Genève, 1985, p. 18.

87 Information orale de Cécile et Pierre-André Fardel. 88 Pour plus de précisions, voir infra, p. 20-21.

(19)

distincts; Louis Blondel intitule d’ailleurs son article «Les châteaux d’Ayent»89.

Deux actes du corpus ont été levés au château d’Ayent. L’un, daté du 3 octobre 1335, est l’arbitrage d’un conflit opposant dame Anfélise, veuve de Nantelme d’Ayent, donzel, et ses enfants François et Marguerite, à Antoine de Chapala d’Ayent90. L’autre a été passé le 19 septembre 1343 apud castrum de Ayent. On y

voit dame Marguerite d’Ayent qui, avec son métral, autorise une vente91. Ces

informations nous montrent un château encore en activité, où semblent bien rési-der, comme le notait déjà Louis Blondel92, des représentants de la famille d’Ayent.

Etalés à des niveaux d’altitude très différents, les vastes territoires d’Ayent et de Savièse présentent plusieurs étages de végétation, qui permettent la coexistence de différents modes de mise en valeur du territoire. On rencontrait des vignes dans les zones les plus basses, des jardins, des vergers, des champs et des prés plus haut et, dans les limites supérieures, des forêts et des alpages. Pour profiter de cette grande diversité géographique, les Valaisans du Moyen Age pratiquaient, à la suite de leurs ancêtres dès la Préhistoire, un système économique complexe, qui repo-sait sur «une solide base agro-pastorale, que vient compléter l’exploitation minu-tieuse des ressources les plus ténues du territoire»93. Au XIVesiècle, la base de ce

système est constituée par la culture de céréales, essentiellement de seigle, que vient compléter, en tout cas pour les moins mal lotis, un petit élevage familial. La culture de la vigne, de quelques arbres fruitiers et de jardins, ainsi que la cueillette de ce qu’offre spontanément la nature, s’ajoutent à cette base et l’enrichissent. Dans ce système complexe, il faudra voir quelle place pouvait être laissée à la culture de la vigne.

Contexte historique

Les années 1320-1350, pendant lesquelles sont levés les actes de mon corpus, sont des années charnières. «Du XIeau XIIIesiècle, le Valais a connu, comme une

bonne partie de l’Europe, une croissance démographique lente mais soutenue»94,

dont l’allure reste positive dans notre région jusque dans les années 1320-1330, qui représentent le terme de cette évolution. Comme d’autres régions d’Europe, le Valais est alors devenu «un monde plein», où le rapport entre le nombre d’hommes et les ressources disponibles est arrivé à sa limite. Pierre Dubuis a remarqué, à travers les sources du Valais savoyard, «que la région supportait alors une population grossièrement équivalente à celle du tout début du XIXesiècle»95.

Si la tendance commence à s’inverser dès les années 1330, c’est l’arrivée de la peste qui va faire chuter la courbe démographique de manière spectaculaire. Débarqué sur les rives de la Méditerranée en 1347, le bacille remonte la vallée du Rhône, pour faire son apparition en Valais durant l’hiver 1348-1349. L’épidémie touche Saint-Maurice dès février 1349, Sion dès avril ou mai, où elle «se déchaîne

89 Je me réfère à cet article pour tout ce qui concerne le château d’Ayent (Louis BLONDEL, «Les

châ-teaux d’Ayent», dans Vallesia, 2 (1947), p. 9-18).

90 ACS, Min. A 4, 82/1. 91 ACS, Min. A 4, 224/3.

92 BLONDEL, «Les châteaux d’Ayent», p. 12.

93 Pierre DUBUIS, Une économie alpine à la fin du Moyen Age. Orsières, l’Entremont et les régions

voisines, 1250-1500, 2 vol., Sion, 1990 (Cahiers de Vallesia, 1), vol. 1, p. 181.

94 Pierre DUBUIS, «Fin du Moyen Age. XIVe-XVesiècles», dans Histoire du Valais, 4 volumes, Sion,

2002 (Annales valaisannes, années 2000 et 2001), vol. 2, p. 235-335, ici p. 237. Sauf indication contraire, c’est dans cet ouvrage que sont puisées les informations sur le Valais médiéval conte-nues dans ce passage.

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en juin et juillet, tue encore en septembre»96. Les villages de montagne ne sont pas

épargnés. On estime à plus d’un quart la perte des effectifs à Sion, et à un tiers ou plus en Entremont et à Saint-Maurice. Deux des testaments que j’ai utilisés datent de juillet 1349: celui de Pierre de Prinsières et de celui d’Aymon Heros, curé d’Ayent97. Si ces testateurs ne soufflent mot de l’épidémie, on peut penser qu’ils

dictèrent leurs dernières volontés à ce moment-là au vu des dégâts causés par la maladie ou, peut-être, parce qu’ils en souffraient eux-mêmes: ils disent en tout cas être malades (infirmus corpore).

La forte densité de population atteinte au début du XIVesiècle va donc

dimi-nuer de façon brutale, et en raison d’autres attaques de l’épidémie dans les décen-nies suivantes, la tendance ne s’inversera qu’au milieu du XVesiècle. Par la suite,

trois siècles et demi seront encore nécessaires pour retrouver des effectifs compa-rables à ceux de 1330. Cela entraîna bien sûr des changements dans l’économie et la société. L’épidémie a certes décimé et désorganisé les familles, mais elle a aussi libéré de nombreuses terres jusqu’ici vouées à la culture céréalière, et désormais utilisables autrement. Dans l’idée de développer l’élevage des bovins, on en a consacré une partie à créer des prés de fauche. Cette extension de l’herbe a d’ailleurs entraîné un besoin d’eau plus important, satisfait grâce à un nouveau développement, à partir du XVesiècle, du réseau des «bisses»98.

Du point de vue politique, la partie occidentale du Valais a été, dès le XIIIesiècle, intégrée au comté de Savoie, tandis que la partie orientale est sujette

de l’évêque de Sion; les deux seigneurs sont vassaux du Saint Empire romain ger-manique. Si la Morge ne devient officiellement la frontière entre les deux terri-toires qu’en 1384, elle constitue déjà auparavant, «symboliquement, (…) une bar-rière aux prétentions savoyardes. Aussi, de part et d’autre de la rivière, les bourgs vont-ils se fortifier. Les châteaux épiscopaux de Montorge et de la Soie jouent un rôle de dissuasion»99. Savièse vit donc sur une frontière séparant deux pouvoirs

aux intérêts opposés, entre lesquels trêves et guerres se succèdent; les incidents avec ses voisins contheysans sont des phénomènes récurrents. Comme la Morge, on l’a dit, n’est pas une frontière officielle, on assiste à une imbrication complexe des territoires et des influences. Ainsi, le comte de Savoie possède quelques terres à l’est de la Morge, ou y dispose de vassaux. Drône, par exemple, est une majorie savoyarde, enclavée en terre épiscopale. Pourtant, ses habitants font partie de la communauté saviésanne au même titre, semble-t-il, que les autres villages100. Le

cas d’Ayent témoigne aussi des imbrications existantes. La seigneurie d’Ayent était en fait une coseigneurie exercée, à la fin du XIIesiècle, par la famille

sei-gneuriale d’Ayent et par celle de Bex; ces deux familles sont étroitement apparen-tées et leurs possessions sont enchevêtrées101. Dès le siècle suivant, la majeure

partie de l’héritage de la famille de Bex passe aux de la Tour-Châtillon. Pour faire face à cette puissante famille, les d’Ayent se placèrent sous la suzeraineté de l’évêque. «Pendant tout le XIIIesiècle et une partie du siècle suivant, la mense

épiscopale possédait donc la moitié du castrum et de la seigneurie avec un métral,

196 DUBUIS, «Fin du Moyen Age», p. 242.

197 ACS, Min. A 4, 353/1 et 373.

198 Pour les changements survenus dans l’économie rurale valaisanne entre le XIVeet le XVesiècle

et les problèmes d’irrigation, voir REYNARD, Histoires d’eau.

199 ROTENDUMOULIN, Savièse, p. 45.

100 ROTENDUMOULIN, Savièse, p. 18.

Figure

Fig. 1 – Le registre A 4 des Archives du Chapitre de Sion, dans sa reliure en carton bleu du XIX e siècle (photographie Amélie Chapuis-Fardel).
Fig. 2 – Les pages 74-75 du registre A 4 (photographie Amélie Chapuis-Fardel).
Fig. 5 – Situation géographique de la région Ayent-Savièse. Carte des communes du Valais, remaniée à partir de celle qui figurait sur le site http://www.swisscastles.ch à la fin de l’année 2004.
Fig. 6 – Les actes étudiés classés selon l’année de leur levatio. Ce graphique prend en compte 314 des 316 actes étudiés
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