• Aucun résultat trouvé

L'oeuvre de William Blake Apocalypse et transfiguration

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "L'oeuvre de William Blake Apocalypse et transfiguration"

Copied!
35
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

L'oeuvre de William Blake Apocalypse et transfiguration

(3)
(4)

Danièle Chauvin

L'œuvre de William Blake Apocalypse et transfiguration

Ouvrage publié avec le concours du Centre national des lettres

ellug .•-*992x

(5)

C ELLUG Université Stendhal BP 25

38040 Grenoble cedex 9 ISBN 2-902709-77-3

(6)

I will not Reason and Compare : my business is to Create...

Jerusalem, I, 10 Le nôtre, c'est Raison et Comparaison...

(7)

Il n'existe, à ce jour, aucune édition française complète des œuvres de Blake. L'entreprise de M. Blondel et P. Leyris ( William Blake, Œuvres, Aubier-Flammarion, 1974-1983) s'est arrêtée avec Vala. C'est pourquoi, dans un souci de cohérence et d'unité, toutes les références seront faites à l'édition anglaise, complète en un volume, de G. Keynes : Poetry and Prose of William Blake, complete in one volume, The Nonesuch Library, London, 1956. Les traductions sont empruntées, lorsqu'elles existent, et avec quel- ques modifications de détail, à l'édition française dirigée par P. Leyris ; pour le reste (Jérusalem, Milton, annotations diverses, lettres, etc.), nous assumons la traduction.

La Bible citée est le plus généralement la « Traduction œcuménique de la Bible ». Mais nous avons quelquefois utilisé la Bible de Jérusalem.

Abréviations des références Ahania Le Livre d'Ahania Le Mariage Le Mariage du Ciel et de l'Enfer Los Le Livre de Los

Une vision Une vision du Jugement dernier Urizen Le Livre d'Un'zen

Ap Apocalypse

Dn Daniel

Ex L'Exode

Ez Ezechiel

Gn La Genèse

Jn L'Evangile de saint Jean Mt L'Evangile de saint Matthieu

Nb Les Nombres

Sg 2R Livre de la Sagesse Deuxième Livre des Rois

(8)

Biographie

— Naissance de William Blake le 28 novembre à Londres, dans un milieu de commerçants et d'artisans aux convictions religieuses et politiques héritées des dissenters. Très jeune, l'enfant voit «au travers», au-delà du réel;

et très jeune, il dessine.

1760 — Avènement de George III.

Dès 1767, Blake se forme dans une école de dessin du Strand, en copiant des estampes et des moulages ; il écrit quelques vers.

En 1772 (jusqu'en 1779), il entre en apprentissage chez le graveur James Basire. Il y restera 7 ans. Il découvre le gothique (à Westminster en particu- lier), dont le style linéaire sera pour lui «forme vivante» et «art spirituel ». Il illustre Le Nouveau Système mythologique de Jacob Bryant. C'est pendant ces années qu'il commence à forger la technique qui sera celle de ses livres enluminés et qu'il pose les premiers éléments de ce qui deviendra sa mytho- logie poétique. Il lit Shakespeare, Spenser, Milton, Ossian...

1775 — Début de la guerre d'Amérique.

1780 — Blake commence à gagner sa vie comme graveur. Il participe aux émeutes de juin 1780 devant Newgate en flammes. Il étudie quelque temps à l'Académie royale dont il déteste l'étroitesse d'esprit comme il refuse l'art de Reynolds, Moser, des coloristes et des tenants du clair-obscur héritiers des peintres flamands et vénitiens : pour lui la ligne, « réceptacle de l'intel- lect» est l'art vivant. Il se lie avec Stothard, Fussli et Flaxman qui lui fait redécouvrir «l'art perdu des Grecs» (pour lequel il perdra bientôt l'enthou- siasme de ses débuts).

1782 — Mariage avec Catherine Boucher.

1783 — Edition privée des Esquisses poétiques.

1784 — Mort du père de Blake. Une île sur la lune (fragment satirique).

1784-1787 — Il travaille avec son frère Robert, qui meurt à 20 ans, ce dont Blake ne se consolera jamais.

1788-1789 — Il n'y a pas de religion naturelle ; Toutes les religions sont une ; Chants d'Innocence ; Le Livre de Thel ; Tiriel. Il applaudit à la prise de la Bastille. Il lit Lavater, Swedenborg, BÕhme, Porphyre, et découvre Platon, Plotin.

1790-179 3 — Blake grave Le Mariage du Ciel et de l'Enfer. Johnson imprime La Révolution franfaise. Après Valmy et la Révolution française, Blake rajoute Un chant de liberté au Mariage.

1793 — L'Angleterre entre en guerre contre la France. Blake s'installe à Lambeth. Durant ce séjour particulièrement fécond (jusqu'en 1800), il écrit

(9)

de nombreux petits «livres prophétiques» dont les figures symboliques sont inspirées des mythologies antiques, de la Bible et de l'histoire la plus con- temporaine : Les Visions des filles d'Albion, .Amérique ; il grave et fait éditer Les Portes du paradis.

1794 — Les Chants d'Expérience, Europe, Le Livre d'Un^en.

1795 — Le Livre de Los, Le Livre d'Ahania, Le Chant de Los.

1795-1799 — Illustrations des Nuits de Young (537 dessins, 53 gravures), des poèmes de Gray, début de la rédaction de Vala (qui deviendra Les Quatre Zoas), véritables récapitulations apocalyptiques où s'affirme de plus en plus la présence du Christ, poète et Messie : après la Terreur, Blake lit l'éternité sous les aléas de l'histoire. En même temps il réalise de nombreux tableaux parmi lesquels Elohim créant Adam, Newton, Nabuchodonosor, Hécate, Satan triomphant d'Eve : mythes antiques, bibliques, et histoire mêlés.

1800 — Il s'installe à Felpham à l'instigation de son «protecteur» Hayley.

« Sommeil de trois ans » dit-il pendant lequel il revoit cependant Les Quatre Zoas, écrit Milton, étudie le grec et l'hébreu; il peint de nombreux «petits tableaux inspirés de la Bible» pour Thomas Butts dont la protection ne lui fera jamais défaut; en tout 137 illustrations de l'Ancien Testament, et 38 du Nouveau (détrempes, aquarelles, dessins). Il commence à travailler à de véritables «sommes» telles que Le Jugement dernier, repris jusqu'à sa mort, où il tente de représenter de façon diagrammatique et visionnaire le point d'aboutissement de ses spéculations sur le cosmos et l'histoire spirituelle de l'humanité.

1803 — Retour à Londres afin de préserver sa «vie spirituelle» et ses dons de vision et de prophétie. Il grave Milton, écrit Jérusalem (qu'il terminera au- tour de 1808 et gravera plus tard, en le modifiant, aux environs de 1818- 1820).

1807 — Il illustre des œuvres de Milton parmi lesquelles Le Paradis perdu.

A partir de 1 808, il traverse des moments difficiles et doit s'astreindre à de nombreux travaux alimentaires. Il mène une existence solitaire et obscure.

18 og — Il expose 16 tableaux et écrit à cette occasion son Catalogue descrip- tij qui constitue, avec Une vision du jugement dernier, l'épitomé de ses réflexions sur l'art et l'imagination. Il continue à illustrer Milton (L'Allegro et Il Pense- roso), à peindre et à retoucher Jérusalem. Il écrit L'Evangile éternel.

A partir de 1818, il est entouré d'un cercle d'amis et de jeunes admirateurs : George Cumberland, John Linnel, Samuel Palmer, John Varley... 1821 — Première série des Illustrations du Livre de Job, un chef-d'œuvre où Blake condense vision prophétique, révélation spirituelle et témoignage per- sonnel.

1824 — Il commence à illustrer La Divine Comédie; il sera interrompu par la mort.

12 août 1827 — Mort de William Blake ; ouverture définitive des «Mondes Eternels ».

(10)

PREFACE

Il est vrai, comme l'affirme Kathleen Raine, que l'oeuvre de Blake « est un écheveau bien emmêlé ». Œuvre unique en son genre puisqu'elle est à la fois celle d'un poète, d'un peintre et graveur, d'un illustrateur, d'un philosophe, d'un mystique...

Aussi faut-il d'abord féliciter Danièle Chauvin d'avoir d'une part hardiment tenté de « démêler » l'écheveau et d'en avoir avec - ô paradoxe ! - « clarté et distinction » dégagé le « fl d'or » qui conduit dans ce labyrinthe, d'autre part de ne pas s'être laissée aller à subordonner telle travée de l'expression blakienne à telle autre, d'avoir conservé de façon « holistique » - si je puis me per- mettre ce vocable à la mode en notre fin de XXe siècle ! - les différents moyens techniques du visionnaire de Soho et de Lam- beth. C'est que chez Blake l'image iconique s'ouvre sur le verbe poétique, le verbe éclate en critiques idéologiques, littéraires, poli- tiques, la critique réécrit Milton ou Swedenborg, le Livre de Job ou ici l'Apocalypse de Jean. Tout « récita — poème, critique, «ta- bleau» peint ou gravé, sentence — est dans cet œuvre, comme le disait Henry Corbin de l'Imaginai des écrivains shi'ites, « récit visionnaire », et réciproquement chaque vision irrigue toute pro- cédure de récit. Et si, paraphrasant Blake, nous pouvons dire que toute « écriture est le code de l'art », a fortiori les Saintes Ecritures en sont bien le décalogue fondamental, et l'ultime livre des Ecri- tures, l'Apocalypse, en est le paradigme. Danièle Chauvin a donc bien visé au cœur de l'œuvre en prenant pour champ d'étude le

(11)

paradigme de l'Apocalypse, le paradigme de la vision révélatrice

« d'un nouveau ciel et d'une nouvelle terre ».

Dans ce choix si précis et bien ciblé se révèle déjà le caractère principal de cette étude qui est la rigueur. Certes l'on aurait pu, tel Malraux commentant Goya à travers Saturne plonger notre peintre et poète visionnaire dans le chaos incandescent des sensibilités, des idées, des esthétiques, des motifs et des thèmes des années charnières entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Comme d'autres l'ont montré - Kathleen Raine ou Michel Le Bris par exemple - l'œuvre de Blake éclaire et est éclairé ici par celle de Th. Taylor, de Flaxman, de Wordsworth, de W.B. Yeats, des élèves Samuel Palmer, John Linnel, et là par celle de P. Otto Runge, de Füssli, puis de Peter Cornélius et des « Nazaréens ». Un tel horizon de recherche est certes fructueux et le comparatisme qui l'inspire montre bien à la fois les différences qui démarquent si fort en cette fin de siècle, en cette fin d'un monde aussi, ce que Georges Gusdorf appelle « l'internationale déiste » dont la France de la Révolution et de l'Empire est le prosélyte, de «l'internationale piétiste » de la coalition anti-française, dont bien entendu, Albion ! Cette voie comparatiste qui constitue une « mythanalyse » a le mé- rite de montrer comment l'esprit d'un siècle émerge — « ruisselle », aimons-nous dire — de la « confluence » d'une multitude de sensi- bilités et d'expressions individuelles. Mais ce que l'on gagne ainsi en ampleur et en théorisations généralisantes, ne le perd-t-on pas en précision et en rigueur ? Les synchronismes du « Musée imagi- naire » risquent toujours les confrontations « inimaginables » !

Ainsi Danièle Chauvin a préféré la rigueur de la « voie sèche », si je puis dire en langage alchimique. Sa méthode a toutes les préci- sions d'une critique strictement interne de « l'image et du verbe » blakiens. Elle est un modèle de « mythocritique » stricte, focalisée

— sans exclusive cependant — sur cette clé de voûte de l'œuvre qu'est l'Apocalypse. Une telle ferme intention éclate dans le plan même de l'ouvrage : après une analyse des images apocalyptiques, l'auteur s'attache à une étude approfondie des structures de l'œuvre, non pas pour appliquer mécaniquement un système, une de ces « machines » que Blake avait en horreur, mais parce qu'il y a dans l'œuvre étudié une cohérence organique, un fil conducteur entre les images et les structures apocalyptiques. Les premières, mal-

(12)

gré le jeu - tant de fois repéré par nous-mêmes et nos amis my- thocritiques - du choix d'un « enfer » (l'enfer, c'est bien toujours

« l'autre », ou du moins l'autrement !) et la coupure entre un mode positif de l'image où figurent Jérusalem, Golgonooza, le Cheval blanc et l'Agneau, et le mode négatif de Babylone, de la Prostituée, du Dragon, du Serpent n'appellent pas exclusivement, en dépit des apparences, le régime diurne des structures. Dès le début de l'étude, ce « découpage » si antithétique — familier à Hugo — est en quelque sorte rédimé par des images ambivalentes, alternativement positives ou négatives, telles les trompettes, annonçant à la fois ca- taclysmes, mort, mais aussi révélation, résurrection, tels les anges et archanges vengeurs mais protecteurs — ô Durer ! — tels pressoirs et vendanges, faux et moissons... Que l'on prenne bien garde à ce que ce ne sont jamais les régimes dans leur pureté archétypique qui sont ambivalents, mais les images d'objets - ou de sujets - con- crets où peuvent se mêler, se superposer plusieurs affects. C'est que, comme le dira en conclusion notre auteur, chez Blake l'af- frontement des images est « dépassé ». Se rangeant dans la même perspective que Jacques d'Hondt, Danièle Chauvin montre bien que les ruptures entre régimes antithétiques sont dépassées au profit d'un simple « renversement », et en cela Blake se sépare du dualisme tranché et tranchant de saint Jean lui-même et se rap- proche - si l'on veut suggérer une courte, très courte perspective

« mythanalytique » — du monisme, ou plutôt de la « dualité » her- métiste dont les oxymores baudelairiens hériteront à travers (comme l'a montré P. Arnold) le vieux Pimandre, à travers les lec- teurs de ce dernier au XVIIIe siècle : Saint-Martin - le traducteur de Jakob Bôhme - et Joseph de Maistre... Les réflexions de Blake sur la Révolution française devenue Terreur sont bien proches de celles du grand Savoisien et dans la visibn de Blake aussi « les cornes de la Bête travaillent au projet divin... » Orc, comme tant de satans romantiques, est à la fois serpent infernal et révolté pro- méthéen... L'œuvre - en tant qu'ouvrage où compte le «faire»

plus que le résultat - devient alors le creuset, sinon l'athanor de la fusion et de l'harmonie des contradictions...

Mais cette alchimie des images et leur indécision éthique, s'enlève sur des structures organiques - ce que nous-mêmes appelions jadis des « schèmes » ou « archétypes verbaux » — où

(13)

l'on commence, comme le dit Danièle Chauvin, à « recenser tous les cercles et fustiger les cycles ». Le peintre-poète prélude pour ce faire par une apologie du dessin, celui d'un Raphaël, d'un Dürer ou d'un Michel-Ange opposé à l'imprécision des coloristes véni- tiens. La sortie du chaos se fait par le fil d'Ariane de la ligne et par le dessin signifiant de structures. «Au commencement était la ligne » écrit Danièle Chauvin à propos de Vala. Les contenus colorés au contraire se referment sur une matérialité qui toujours

— par Locke ou Newton interposés — est apparue comme sus- pecte à Blake. La roue elle-même devient l'emblème de tout engrenage rationnel d'une civilisation au matérialisme invétéré. La forme, que concrétise la ligne, s'oppose aux scories colorées de la mimésis naturelle, elle est structure de la vision dans son élan même. Blake ne s'arrête jamais à l'œil, encore moins au « coup d'œil », c'est la vision qui seule l'intéresse.

Car la clé de tout l'œuvre qui se révèle dans cette étude de structures tant à travers cette esthétique linéaire qu'à travers la science numérologique explicite du peintre-poète, c'est une sorte d'assomption de la circularité. Le cercle est en soi « le triste cercle du même », le symbole de la fermeture dans le temps, dans la logique et dans l'espace. Les dessins de globes, de planètes, de globules renvoient toujours à l'oppression et à la tyrannie. La coque est une prison et le cosmos concentrationnaire de Vala. Le centre de l'Apocalypse, où trône l'Agneau, est bien ce qui dément les limites parménidiennes de la circonférence. Paraphrasant une célèbre maxime en l'inversant, on peut dire que pour la vision le centre est partout et la circonférence nulle part.

La numérologie vient à la rescousse de cette géométrie structu- rale. Danièle Chauvin dégage irréfutablement les maléfices du sep- ténaire, chiffre des « sept âges lugubres » de Milton, chiffre des effets pervers de la Révolution qui s'oppose au chiffre 9, dépasse- ment numéral du 7 ; le 7 bouclait la semaine du 6 de la création ma- térielle ; le 9 ultime dépasse le cycle du 7 et devient le « chiffre » de la révélation. Les considérations numérologique s de notre poète se manifestent même dans la typographie des pages de garde de l'ou- vrage La Révolution française. Fructueuse attention à la typographie dont le modèle a été donné par notre amie Viola Sachs à propos du chef d'œuvre de Melville.

(14)

Mais ce passage du 7 maléfique au 9 coïncide avec une évolu- tion/ révolution des structures des « tristes » circonférences et des globes, à des figures ouvertes qui renversent le sens bouclé de la Genèse en béance illuminative de l'Apocalypse. Il en résulte que

«l'événement est extrait de sa gangue cyclique pour se projeter dans l'éternité ». C'est qu'il y a chez Blake, si attentif, comme le souligne Kathleen Raine, aux événements de son époque, aux actualités littéralement bouleversantes de son temps, une sorte de philosophie de la contre histoire. Blake ne peut se contenter ni d'un éternel retour, ni d'une marche messianique indéfinie à tra- vers l'immanence de l'histoire. Comme pour Swedenborg, pour Bôhme, les temps sont d'ores et déjà accomplis. Le « Nouvel Age » est présent dans les coques rugueuses de l'histoire. L'éter- nité est un constant présent qui surplombe le temps. Encore un schématisme oxymoronique ! Et le dessin qui rend compte de ce dessein métaphysique où l'assomption apocalyptique se dévoile dans la destruction, c'est bien la spirale.

La spirale, Blake l'intensifie en vrilles, en arabesques, il a décou- vert qu'elle était « la forme vivante du gothique » et non un pur or- nement comme elle l'est chez Hogarth. Or « la forme vivante c'est l'existence éternelle ». Il s'ensuit que ce gothique « flamboyant » aussi bien que « découlant » suggère curieusement à notre œil du XXe siècle une sorte de « modern-style » avant la lettre qui marie déroulements et enroulements... Style des «Nouveaux Temps »?

Le tourbillon blakien n'a rien à voir avec les « tourbillons » carté- siens qui, eux, sont doctrine de la fermeture du monde plein, per- mettant la lourde chaîne des déterminismes. Le tourbillon chez Blake est jaillissement centrifuge, non circularité centripète des effets et des causes.

Enfin les « structures progressives » de ces formes spiralées s'ouvrent sur une « forme-figure » : l'arc-en-ciel, « l'arc-en-ciel de Noé » qui est l'emblème du triomphant et éternel jaillissement centrifuge d'une création continuée. Le peintre-poète est pro- phète, sa mission est prophétique, sur le modèle de Jésus qui « ac- complissait » les prophéties de la Bible. La fameuse déclaration de Rimbaud que Danièle Chauvin choisit pour clore son étude : tout poète « travaille à se rendre voyant » est éclairée, explicitée par cette gigantesque création, ce « monde nouveau » qu'est l'univers

(15)

de Blake. Le « voyant » c'est avant tout le prophète, souligne Blake lui-même dans les Annotations à l'Apologie de Watson - celui qui « dit » par le dessin, la gravure ou l'écriture ce qu'un autre immense poète, contemporain de Blake, appelait « Ce qui De- meure ». Les poètes, Milton, Homère, Virgile, Shakespeare, Swe- denborg, Gray, Young, Dante, Los, Orc, Lyca, Enitharmon et Blake lui-même qui les habite tous, disent, donc fondent « Ce qui Demeure » à travers les touches et les affres successives de l'his- toire. Création continue, toujours la même dans son essence divine fondamentale, toujours différemment « dévoilée » - Apoca- lypse — pour chaque poète-prophète. Et Danièle Chauvin de conclure sa précise et précieuse étude sur l'Apocalypse de William Blake en écrivant : « Les images de Blake ne sont pas toutes "de l'Apocalypse", toutes sont apocalyptiques par leur puissance visionnaire, leur force d'interrogation et de révélation... »

Qu'il nous soit permis à notre tour, pour conclure cette rapide présentation de cet exemplaire travail de mythocritique, de remer- cier d'abord l'éditeur d'avoir intelligemment consenti le sacrifice (financier !) de publier les copies des œuvres picturales de Blake, car « l'image et le verbe » sont ici inséparables ; qu'il nous soit ensuite permis de nous réjouir de voir l'impeccable travail de Danièle Chauvin venir si harmonieusement s'inscrire dans les dizaines, voire la centaine de travaux de ce qu'il est convenu d'appeler, de par le monde, « l'Ecole de Grenoble » dont la voca- tion depuis un quart de siècle est de se consacrer à des études mythocritiques et mythanalytiques. En particulier, qu'il nous soit permis, dans le domaine anglais de cette Ecole, de nous réjouir de voir le livre de Danièle Chauvin prendre suite et rang, dans la mouvance inaugurée par notre regretté ami Paul Deschamps (La Formation de la pensée de Coleridge, 1969) qui fonda avec Léon Cellier et moi-même le Centre de recherche sur l'imaginaire en 1966, et continuée par notre ami Jean Perrin dont Les Structures de l'imagi- naire shellryen (PUG, 1973) firent date dans la critique littéraire anglo-saxonne. Après ces belles et substantielles monographies mythocritiques, à quand une mythanalyse grenobloise du roman- tisme anglais ?

Gilbert Durand

(16)

INTRODUCTION

«L'Ancien et le Nouveau Testaments sont le Grand Code de l'Art. »

La formule est extraite du Laocoon [i]', gravure re- haussée — surchargée même — d'aphorismes éclatés, et qui s'im- pose dès l'abord comme un bloc très compact de pierre, de lignes et de mots : un vrai labyrinthe de signes. L'image et le mot s'y conjuguent en effet pour alimenter une réflexion sur la religion et sur l'art, et susciter en même temps quelques interrogations es- sentielles sur les rapports de l'art figuratif et de la poésie : les réflexions de Winckelmann et de Lessing se poursuivent en Angle- terre avec Flaxman et William Blake. Mais avec ce dernier, on change de mythologie, de religion et d'esthétique. Blake entend s'élever en effet contre les prétentions morales et séculières d'une religion naturelle fondée sur le pouvoir, la science et l'argent.

Contre elle, il revendique les pouvoirs et les droits du christianisme véritable : de l'art (Laocoon, p. 582). En s'insurgeant contre le culte grec de la beauté « mathématique » il affirme la supériorité de l'imagination et de l'inspiration sur la nature et sur l'imitation, celle d'un art « vivant » sur les « diagrammes » morts de la Grèce clas- sique.

I. Laocoon, p. 582. Les nombres entre crochets renvoient aux illustrations hors-texte, [o] étant utilisé pour l'illustration en couverture de l'ouvrage.

(17)

On perçoit mieux, dès lors, avec sa charge polémique, le sens de la formule : « l'Ancien et le Nouveau Testaments sont le Grand Code de l'Art. » Non pas un code de la loi morale, sociale ou religieuse : on sait bien ce que Blake pense de tous les déca- logues et de tous les Sinaï ! Non pas des Tables de la loi, mais le code de l'art, le seul, puisque la Grèce et Rome ont détruit l'art vivant. L'expression prend alors une signification positive. Il ne s'agit plus des commandements étriqués qu'Urizen a gravés sur un livre de bronze, mais d'une œuvre complexe, composée de livres très divers, écrits en hébreu, en araméen ou en grec pendant plus de dix siècles. Lue dans son sens spirituel, la Bible ne con- cerne pas les morts et le passé ; elle unifie l'aventure historique, spirituelle et symbolique de l'humanité, de la genèse à l'apocalypse finale. Chaque œuvre alors est un éclair ou un écho de la vision originelle, une lettre du mot, et le mot tout entier. La Bible est donc le guide d'une lecture prophétique — visionnaire et imagina- tive - du monde, de l'histoire et de l'art.

L'Apocalypse, qui achève le Livre sur l'imminence de la fin, a un statut privilégié : c'est l'apogée de la révélation, la reconquête sym- bolique de l'unité perdue. Loin d'être un texte clos, un réservoir immobile d'images ou d'influences, elle sollicite en permanence l'intelligence et l'imagination. Dans l'Apocalypse s'opère l'union de la parole, de l'écrit et de la vision ; du verbe et de l'image ; de Dieu, du prophète et des hommes. Le texte est visionnaire dans la me- sure où il invite à briser le sceau des apparences, à dépasser la lettre et les images afin de voir «ce qui existe, éternellement, réellement et immuablement. » Non pas mémoire mais vision; non pas répéti- tion mais création. Il montre la voie d'une autre conception de l'art. On comprend que ce livre (et quelques autres qui partagent avec lui cette puissance prophétique) ait accompagné William Blake dans sa démarche créatrice. L'itinéraire du poète pourrait être perçu comme une conversion au vrai sens de l'Apocalypse : non pas affrontement définitif des forces du Bien et des forces du Mal, mais révélation continue qui va constituer tout au long de sa vie - 1757-1827 : un septénaire - l'horizon et le point de fuite d'où l'œuvre résonnera différemment. Comme l'Apocalypse est une re- lecture de la Bible, tout l'œuvre de Blake peut se lire à son tour comme une relecture de l'Apocalypse de Jean.

(18)

La période qu'inaugurent la guerre d'Amérique et la Révolution française a vu surgir, un peu partout dans l'art, des images, des scénarios, des pans entiers d'apocalypses : l'histoire s'accélère, et l'angoisse s'intensifie devant le devenir du monde et de l'huma- nité. On cherche alors dans le passé l'explication et le sens du présent ; on regarde aussi l'avenir. Nombreux sont ceux qui découvrent l'Apocalypse en retrouvant dans le siècle où ils vivent les bouleversements, les angoisses et les espoirs de régénération du texte de saint Jean. Blake est de ceux qui réactivent en Angle- terre les tendances millénaristes des anciens puritains. Au lende- main de la Révolution, l'Apocalypse donne à l'émeute, à la guerre, au sang, leur véritable sens.

L'apocalyptisme de Blake se confond d'abord avec la fougue de ses convictions révolutionnaires : avant l'événement français on ne rencontre guère dans son œuvre que quelques références ponctuelles au livre johannique (le poème Amérique, sur la guerre d'Indépendance, ne fut gravé que bien après, en 1793). Mais à partir de 1795, devant l'échec des espoirs et des idéaux de la Révolution, sa compréhension historique de l'Apocalypse s'es- tompe : l'histoire ne fournit que des points de repère. Cependant, Blake ne reniera jamais ses œuvres antérieures. Se développe alors et s'amplifie ce qui n'était encore qu'une ébauche, submergée pour un temps par la violence de l'histoire : une apocalypse de l'imagination. L'œuvre de Jean permet alors d'approfondir une réflexion menée depuis longtemps sur le signe et sur l'art.

On aura sans doute compris que notre propos n'est pas seule- ment d'étudier l'Apocalypse comme une source d'influences, mais de cerner et d'apprécier « à travers » elle toute une conception de l'art. Car Blake lit l'Apocalypse comme une œuvre vivante, tou- jours susceptible d'interprétations nouvelles : ce ne sont pas les traces du passé aboli qui l'arrêtent, mais les marques d'un éternel présent de l'imagination. Peintre, graveur, poète, William Blake fut un artisan d'art : il ne laissa jamais ses œuvres poétiques (à l'exception du premier - et unique - livre de La Révolution fran- çaise) subir l'anonymat de l'impression, préférant les graver vers à vers, les illustrer sur les mêmes plaques de cuivre, reprendre ensuite chaque feuille et la rehausser d'aquarelle, de craie, de

(19)

crayon ou de plume, la modifier d'une copie à l'autre, l'image et le mot associés dans la même technique et dans le même but : déve- lopper la vision. On ne peut lire Blake sans suivre l'entrelacs de branches, de flammes, de serpents et de lettres que dessinent ses titres, sans risquer de se perdre dans les arabesques de lierre ou de vigne qui prolongent parfois ses lettres et ses mots ou s'insinuent jusqu'entre les lignes du texte, sans s'arrêter sur les silhouettes tra- cées en pleine page, qui rythment le poème pour accomplir son sens ou pour le commenter. L'œuvre de Blake est une. Même quand il illustre les poèmes de Young, de Gray ou de Milton, la Bible ou La Divine Comédie, car chaque illustration recrée l'origi- nal ; et même quand Vala reste sur le chantier. Lorsqu'en 1809 Blake publie son Catalogue descriptif pour défendre ses œuvres et affirmer sa conception de l'art, il associe toujours le verbe et l'image : l'imbrication n'est pas uniquement de fait ; elle est aussi, et profondément, de principe. Mais elle peut subir des variations.

Daniel-Rops 2 croit pouvoir interpréter le silence du poète après

Jérusalem comme un aveu d'échec. Henri Lemaître 3 remarque avec raison que Blake, alors, ne se tait pas mais produit ses plus belles images. La parole ne serait, selon lui, qu'un moment de la quête, avant l'accès définitif à la contemplation, marqué par le triomphe de l'expression graphique sur le verbe. Sans s'engager dans un jugement de valeur et sans chercher à retracer la ligne aléatoire d'une évolution continue, Northrop Frye 4 interroge la solidarité, la réciprocité voire l'opposition de ces deux modes d'expression : Blake illustre d'abord ses poèmes puis il commente ses peintures ; il passe de la poésie à la prose et de la création à la critique. Mais ses poèmes, ses peintures et ses illustrations sont eux aussi une façon de commentaire et de critique : Milton réécrit Le Paradis perdu, Le Mariage du Ciel et de l'Enfer corrige les « er- reurs » de Swedenborg... Les illustrations des poèmes de Young, de Gray ou de Milton, de la Bible ou de Dante ont valeur de re- création commentée. Pourtant ce dialogue du verbe et de l'image n'est pas sa propre fin : il entre dans le dessein prophétique et

2. Daniel-Rops, Blake, Le Mariage du Ciel et de l'Enfer, Paris, J.C.H. Petiot, 1946.

3. Henri Lemaître, William Blake, Vision et Poésie, Paris, Corti, 1985.

4. Northrop Frye, Fearful Symmetry, Princeton N.J., PUP, 1947.

(20)

apocalyptique de Blake où la vision suscite la parole, fonde l'écri- ture et le livre ; où la parole et l'écriture achèvent la vision ; où l'art, enfin, interprète et recrée le monde. En faisant de la Bible « le Grand Code de l'Art » Blake invite donc à dépasser ce qui ne serait qu'une étude d'images, de thèmes ou de motifs. Non qu'une telle approche soit dénuée d'intérêt ou d'efficacité ; mais au-delà de ses images et de son « scénario » - et par eux nécessairement - l'Apocalypse interroge le signe, la parole et l'écrit. Notre ambition n'est pas ici de réfléchir autour du thème - ou peut-être du mythe - de l'apocalypse. Elle est d'inter- roger une œuvre qui, pour être héritière d'une tradition séculaire, n'en demeure pas moins « particulière ».

Le dernier livre du Nouveau Testament se présente d'abord comme une avalanche d'images ; bien mieux, il fait de l'image le lieu de la révélation. En étudiant d'emblée les figures ambivalentes, leurs variations et leur fonction dans l'œuvre, l'étude évitera une lecture outrageusement dualiste des chapitres suivants. Les poètes ne s'y sont pas trompés, qui ont trouvé, dans les images des ar- changes, des trompettes ou des moissons, de quoi légitimer l'idée qu'ils se faisaient de leur rôle et de leur message. Tout est bien dans la main de Dieu... et dans la bouche des poètes. Si les sec- tions deux et trois jouent le jeu des confrontations dualistes (le bestiaire, la ville ou la femme, sont étudiés comme en écho sur deux registres différents), c'est pour montrer comment, de 1787 à 1827, Blake s'efforce de marier le ciel avec l'enfer, le fiel avec le miel ; c'est pour souligner les difficultés, et cerner l'enjeu du ma- riage.

La répartition, la fréquence et l'évolution des visions permet- tent d'évaluer la confrontation dynamique et la progression des contraires dans l'œuvre : l'étude des images conduit à une étude de structures, enjeu fondamental de notre réflexion. Le déferle- ment des visions ne submerge pas le texte, ni le monde à travers lui, sans quelque principe d'organisation. L'Apocalypse est un par- cours, historique ou initiatique, en tous cas symbolique et narratif, où Blake lit le travail de l'imagination, ses pouvoirs, plutôt que les mémoires et les prévisions de l'humanité. Un monde meurt pour que surgisse un nouveau monde : non pas ailleurs et dans un autre temps, ni au-delà du temps, mais ici, déjà, et pour toujours. Le

(21)

monde change lorsque se creuse le regard. Il se déchire et s'ouvre sur l'éternité : un lever de rideau. La forme, alors, devient langage du surnaturel. C'est pourquoi nous avons choisi d'organiser la réflexion autour des formes essentielles à la vision de Blake ; les titres — le cercle, la spirale, l'arc-en-ciel - témoignent de la pri- mauté signifiante des figures et des lignes : le globe est un préci- pité, la spirale un déroulement, l'arc-en-ciel un foyer, du Sens.

L'expérience temporelle des clôtures et de la mort ne saurait mieux se dire que dans la conclusion de Il n'y a pas de religion natu- relle, gravée dès 1788 :

N'était l'Esprit Poétique ou Prophétique, l'Esprit Philosophique et Expérimental en arriverait vite à la rationalisation de toutes choses, et resterait immobile, incapable de faire rien d'autre que de décrire tou- jours le même cercle monotone. (Il n'y a pas de religion naturelle, p. 147) Tout en débutant sur la forme conditionnelle et la nomination du poète-prophète, la phrase ouvre le cercle et permet d'avancer. Le poète est l'empêcheur de tourner en rond, le grain de sable vi- sionnaire qui perturbe tous les rouages. Les cycles septénaires s'ouvrent sur la promesse d'un autre âge.

La violence des révoltes de Blake tente d'imposer les tour- billons de l'énergie contre les ressassements circulaires, le progrès contre l'obsession ; son expérience visionnaire le conduit à privi- légier le déroulement harmonieux des spirales contemplatives. Ici et là, la vie contre la mort, l'art contre la nature.

Mais la vision peut surgir et se déployer à chaque tour et chaque point de la spirale : l'arc-en-ciel est la forme de cette sou- daine percée de l'imagination, et de son expansion au cœur même de l'œuvre, l'irruption de la prophétie, un autre souvenir de Jean : à la fin de la Bible, l'Apocalypse se souvient de Noé, non pour répéter la Genèse mais pour ouvrir définitivement le cercle en accomplissant la promesse initiale. L'arc-en-ciel génésiaque brille, dans les versions blakiennes du Jugement dernier, pour affirmer les pouvoirs prophétiques de l'art :

Noé se trouve au milieu d'eux, auréolé d'un arc-en-ciel, Shem est à sa droite et Japhet à sa gauche ; ces trois personnes représentent la Poé- sie, la Peinture et la Musique, les trois possibilités qu'a l'Homme d'entrer en relation avec le Paradis... (Une vision, p. 643)

(22)

L'Apocalypse est l'ultime page du « Grand Code de l'Art », celle par qui advient la fin, c'est-à-dire le sens. Elle est ce point privilégié où les contraires se rencontrent, réalisant l'union des lectures éclatées de Blake. Elle ouvre toutes grandes les portes de Jérusalem, «l'émanation unique» des figures et des significations plurielles de l'œuvre.

(23)
(24)

IMAGES APOCALYPTIQUES

La permanence et le foisonnement des visions surgies du fonds apocalyptique sont tels que le premier regard saisit glo- balement leur influence, leur portée, leur signification dans l'ensemble de l'oeuvre ; plus analytique, il permettra bientôt, selon les œuvres et les époques, d'apprécier leur fréquence, de pour- suivre leurs variations : visions glorieuses d'espérance et de joie, visions tourmentées, qui portent témoignage du mal à l'oeuvre dans le monde. Cette bipolarité permet de mettre en évidence ce qui, en profondeur, rapproche des images opposées : il est, à l'ori- gine, une image archétypale (Femme, Cité, Bestiaire...) qui prend, selon ses attributs, des valeurs divergentes et contraires. Mais la source est unique. Nous ne sommes pas loin de rejoindre par là les réflexions de Jacques d'Hondt ' lorsqu'il souligne que l'appari- tion de la nouveauté, dans l'Apocalypse, relève du renversement plus que de la rupture ; l'image nous révèle ce lien. C'est pourquoi, avant d'étudier les registres opposés et de sonder les composantes d'une appréhension dualiste du monde, il convient de s'interroger sur la présence, au cœur du livre de saint Jean, des instruments, sinon toujours des messagers, de la révélation : les trompettes, les coupes ou les faucilles, et les anges chargés d'en user, participent des deux registres de l'image, selon que l'on considère leurs effets

1. J. d'Hondt, Idéologie de la rupture, Paris, PUF, 1978.

(25)

immédiats dans la sphère terrestre et historique, ou «l'Evéne- ment » qu'ils annoncent et préparent dans le même temps : la fin du monde et de l'histoire. C'est le rôle de l'ange au petit livre et le sens de l'envoi en mission :

Il me dit : Prends et mange-le Il sera amer à tes entrailles,

mais dans ta bouche il aura la douceur du miel. (Ap 10, 9)

1. Les images mêlées Les trompettes

L'image sonore et visuelle des trompettes cristallise, dans l'oeuvre de Blake, les fonctions réparties, dans l'Apocalypse, entre les sceaux, les coupes et les faucilles, mais leurs effets sont bien les mêmes : elles sonnent toujours l'avènement des cataclysmes, de l'inquiétude et des douleurs :

Le son d'une trompette réveilla

Les cieux, et de vastes nuages de sang roulèrent Autour de sombres rocs d'Urizen... (Urizen, II, p. 221)

La sonnerie scande le déferlement des fléaux, mais ces derniers ne sont pas toujours ceux du Jugement dernier : les clairons qui sa- luent la naissance d'Orc ressemblent à s'y méprendre à la trom- pette solitaire qui sonne la séparation d'Urizen, la création du monde et de l'humanité. Leur présence assimile la naissance et la création à une œuvre de mort, et la genèse à l'apocalypse finale :

Les gémissements d'Enitharmon ébranlèrent les cieux et la Terre en travail, Jusqu'à ce que, déchirant son sein, un redoutable enfant surgît Dans le tonnerre, la fumée, les flammes sinistres, les hurlements, la

fureur et le sang.

Dès que ses yeux ardents s'ouvrirent sur l'Abîme,

Retentirent les cruelles fanfares des affreuses trompettes de l'abîme Les Enormes Démons s'éveillèrent et hurlèrent autour du Roi

nouveau-né... (1Sala, Nuit V, p. 294)

(26)

Partout où se répercute leur son, la guerre éclate et s'exacerbe, le sang coule et le monde tremble : c'est l'Apocalypse de Jean. Ici et là, il s'agit de détruire un univers déchu pour que surgisse un nou- veau monde. Les trompettes guerrières de l'enfant de feu réson- nent fort contre le clairon sombre d'Urizen. Elles tentent d'éveiller les nations du sommeil de la mort : la violence et le sang de la Révolution sont des épreuves nécessaires à l'indépendance des colonies, la liberté des opprimés, la régénération du monde.

C'est pourquoi le silence est affreux, et tragiques sont les exhorta- tions répétées du jeune Orc :

Sonnez ! sonnez bien haut mes trompettes guerrières afin d'alerter mes treize Anges !... (Amérique, p. 205)

Contrairement à l'Apocalypse de Jean où tout s'enchaîne nécessai- rement, la trompette blakienne exige une réponse pour que change le monde :

Eveille-toi, toi qui dors sur le Rocher de l'Eternité ! Albion réveille- toi!

La trompette du Jugement a sonné par deux fois : toutes les Nations sont réveillées, Mais toi, tu es encore lourd et engourdi, Réveille-toi Albion, réveille-

toi ! (Milton, I, 25, p. 402)

Elle suscite les pires malheurs, mais elle éveille à la vie éternelle : son ambiguïté est celle de la mort. La planche 19 illustrant le début de la deuxième Nuit de Young en est une évocation saisis- sante dans sa sobriété [36]. Le sonneur, vertical, est saisi en contre-plongée : point de visage, une gorge puissante. L'arc de la jambe droite prolonge la courbe des nuées tandis que l'arête de la jambe gauche s'inscrit dans le prolongement de la trompette ; les bras tendus et les mains jointes soulignent, en l'adoucissant, la verticalité de l'instrument. Tout, dans la silhouette humaine et vive du sonneur, semble conçu pour marier les lignes droites aux lignes sinueuses. Le nuage est plus sombre, qui surplombe le mort, et la rigidité des os, les angles nets des articulations, s'oppo- sent au contour harmonieux du corps du messager. Le suaire emprisonne les formes. Pourtant la verticalité de l'un tente de vaincre l'horizontalité de l'autre : le pavillon de la trompette

(27)

semble aspirer la tête du squelette redressé sur ses avant-bras.

L'œil visionnaire franchit en effet l'obstacle du linceul et nous propose une vision simultanée de l'extérieur et de l'intérieur du tombeau, de la réalité biologique et temporelle, et de la surréalité, de la mort, de l'éternité. Le point le plus éloquent et le plus fort de cette illustration est sans conteste, à la croisée des lignes verti- cale et horizontale des corps, la tête du squelette qui se dresse à l'écoute du son libérateur, ce que Blake traduit ailleurs par les répétitions lancinantes du verbe awake à la fin de ses vers.

Au cœur de l'aventure des insurgés américains résonne la qua- druple exhortation de l'ange à ses trompettes, comme au cœur de l'Apocalypse sonne leur septénaire... Mais le propos à?Amérique reste historique et révolutionnaire, et le son des clairons guerriers s'étouffe peu à peu devant les leçons de l'histoire. En 1809, La Pu- tain de Babylone [10] nous propose la position définitive du poète en la matière. Les anges qui s'élèvent de la « coupe d'abominations » descendent sur la terre pour susciter la guerre et le carnage : la coupe passe aux mains du guerrier cuirassé, vautré dans le qua- drige ; au cœur de la bataille un ange attise le combat en sonnant du clairon. Blake associe les deux septénaires bibliques - coupes et trompettes - pour répondre aux échos du texte johannique. Ce- pendant, dans La Putain de Babylone, les coupes et les trompettes ne sont pas envoyées par Dieu pour avertir l'humanité, mais par Satan pour la détruire : la guerre y apparaît comme l'émanation de la bête et de la prostituée. En 1809, Blake semble refuser tout pouvoir sal- vateur aux manifestations de la violence humaine. L'une des gueules de la bête dévore un corps nu : la violence retourne à sa cause première dans un cercle sans fin que souligne la composition de la page. Le salut n'est pas là. C'est certainement dans Vala que Blake retrouve le plus sûrement l'image apocalyptique : la visée se fait plus eschatologique et le son du clairon qui retentit souvent au début des neuf Nuits annonce la vision divine comme « la voix puissante » de l'Apocalypse de Jean : la trompette devient instru- ment de révélation. Avec Jérusalem le changement de perspective se confirme. La trompette n'est plus guerrière : elle précède la parole des quatre Vivants, elle prépare l'harmonie :

Ils labourèrent dans les larmes, les trompettes sonnaient devant la charrue d'or,

(28)

On entendait la voix des Vivants dans les nuages du ciel... (Jérusalem, III, 5 5, p. 503)

La voix des Vivants pourrait n'être que le « son puissamment arti- culé » des trompettes dernières. Dans certaines versions du Juge- ment dernier trois anges - parfois quatre — descendent en sonnant pour éveiller les morts. Dans la version de 1808 [11] on peut se de- mander s'il ne s'agit pas des Vivants. Ils ne descendent pas, mais se tiennent debout et sonnent aux quatre vents pour annoncer l'im- minence du Jugement. Ils sont au centre de cet axe de symétrie formé par les visions majeures de saint Jean : le trône, les son- neurs, la prostituée et la bête. Liens entre la vision céleste du trône et de la cour et la vision souterraine de la bête et de ses adorareurs, ils associent également la gauche et la droite de l'œuvre, les élus avec les damnés : ils constituent le nœud de la révélation. S'orga- nise autour d'eux toute l'oeuvre, et autour de leur sonnerie le destin de l'humanité. Par eux l'histoire s'ouvre à l'eschatologie et le temps à l'éternité. Cette œuvre pourrait constituer l'épitomé du glisse- ment de perspective qui, d'Amérique à Jérusalem, caractérise l'itiné- raire du poète. Délaissant la violence, les flammes et le sang, la foi révolutionnaire de Blake choisit de s'incarner dans un idéal plus

« chrétien » de charité, d'amour, dans la contemplation, dans l'art.

L'ambivalence tout apocalyptique des trompettes se double donc d'une complexité liée à l'évolution du statut et du sens de l'histoire dans l'œuvre.

Les anges et les archanges

L'espace de l'Apocalypse est surpeuplé d'anges et d'archanges. Le visionnaire ne s'arrête pourtant que rarement à les décrire. Sou- vent réduits à leurs attributs symboliques (la voix puissante et la lumière), ils agissent en groupe dans le cadre toujours précis d'une fonction particulière :

Le premier [ange] fit sonner sa trompette [...]

Le deuxième ange fit sonner sa trompette... (Ap 8, 7-8) Et le premier partit et répandit sa coupe sur la terre...

Le deuxième répandit sa coupe sur la mer... (Ap 16, 2-3)

et ainsi en va-t-il jusqu'aux septièmes, sans qu'aucune modifica- tion ne soit apportée au cérémonial non plus qu'à la formule. En-

(29)

voyés de Dieu, et cependant porteurs de cataclysmes, de maladie, de mort, ils participent bien des deux registres de l'Apocalypse.

Cette dualité s'exprime admirablement dans le chapitre 10, seule description véritable d'un ange dans l'Apocalypse :

Il était vêtu d'une nuée, une gloire nimbait son front, son visage était comme le soleil, et ses pieds comme des colonnes de feu.

Il tenait dans la main un petit livre ouvert.

Il posa le pied droit sur la mer, le pied gauche sur la terre...

(Ap 10, 1-3)

Cet ange qui se dresse devant les yeux de Jean n'est pas sans rap- peler l'apparition du Fils d'homme :

Il était vêtu d'une longue robe, une ceinture d'or lui serrait la poitrine ;

sa tête et ses cheveux étaient blancs comme laine blanche, comme neige, et ses yeux étaient comme une flamme ardente ; ses pieds semblaient d'un bronze précieux, purifié au creuset, et sa voix était comme la voix des océans ;

dans sa main droite, il tenait sept étoiles,

et de sa bouche sortait un glaive acéré, à deux tranchants.

Son visage resplendissait, tel le soleil dans tout son éclat. (Ap l, 13) La description est plus précise, et les attributs symboliques du Fils d'homme n'appartiennent qu'à Dieu. Mais l'ange au petit livre conserve l'essentiel de cette apparition : le soleil pour visage et la puissante voix. Il prend symboliquement possession de l'étendue en unissant la terre et la mer aux espaces divins dans une puis- sante image de domination qu'accentuent le rugissement de lion et la voix forte des tonnerres. Le livre qu'il offre à saint Jean est un nouvel emblème du double aspect de la révélation, fiel et miel, douceur et douleur confondus ; ce livre, c'est l'Apocalypse à venir.

Héritier des évocations d'Ezéchiel, d'Osée, d'Amos, de Daniel et de Zacharie, l'archange johannique façonne à son tour la plupart des évocations poétiques de Blake et tout particulièrement l'illus- tration superbe qu'il en donne en 180 5 : Et l'ange que je vis leva sa

(30)

main vers le ciel [4]. La référence est explicite, et l'aquarelle tente mi- nutieusement de traduire chaque détail du texte, de revenir à la vi- sion première. Des voiles transparents enveloppent le corps sculp- tural de l'ange et s'achèvent en replis nuageux, s'épaississant alors pour composer les masses sombres des nuées : « Il était vêtu d'une nuée »... Les sept cavaliers qui chevauchent au cœur de l'orage figurent symboliquement la voix des sept tonnerres : l'écho du galop des chevaux roule comme la foudre. Mais ils rappellent aussi les quatre cavaliers du sixième chapitre et l'irruption du mal et de la mort : en visualisant ainsi « la voix des sept tonnerres » Blake traduit sans trahir le poème, il suscite des liens, propose une inter- prétation. Comme un soleil percerait les nuées de l'orage, la tête lu- mineuse de l'ange irradie alentour et disperse les volutes pesantes des nues : « une gloire nimbait son front, son visage était comme le soleil ». La plume souligne très discrètement l'opposition des cou- leurs et des formes : les lignes rayonnent symétriquement du vi- sage régulier de l'archange, elles s'enroulent dans l'ouate sombre des nuées... Cette œuvre appelle en contrepoint une aquarelle plus ancienne, reprise et gravée plusieurs fois, La Danse d'Albion [2 l, 22]; on y retrouve la même opposition des nuages obscurs et de l'irradiation, une silhouette analogue, un visage très fraternel. Ce qui diffère, c'est l'extrême abstraction du décor et l'explosion vio- lente des couleurs dans laquelle on peut voir l'arc-en-ciel glorieux de la Bible. Avec La Danse d'Albion, le dessein n'était pas d'illustrer le texte de Jean ; mais on perçoit la parenté des œuvres dans leur composition, la permanence d'éléments fondamentaux (lumière et nuée), et la proximité des silhouettes : ces dernières s'affirment triomphalement comme le centre rayonnant des œuvres. Mais Al- bion danse quand l'ange de l'Apocalypse se dresse, fermement planté sur les colonnes flamboyantes de ses pieds. Les bras tendus d'Albion l'apparentent au Christ crucifié (l'une des versions mono- chromes de l'œuvre porte ces quelques mots : « Albion se dresse au-dessus du Moulin où il peine avec les Esclaves, et, s'offrant en sacrifice aux Nations, il danse la danse de la Mort Eternelle »). Les bras de l'ange johannique ne s'ouvrent pas dans un geste oblatif mais affirment une volonté prophétique. Ils sont un pont jeté entre le haut et le bas, la lumière et l'ombre, entre les hommes et Dieu : la main droite approche du ciel et la gauche détient le livre, sym-

(31)

bole et garant de la vérité révélée. En ajoutant saint Jean à la vision de ce chapitre 10, Blake englobe l'Apocalypse et sa propre aqua- relle dans la chaîne de la révélation ; chaque regard est un relais : celui du lecteur ou du spectateur de cette œuvre, ceux de William Blake et de Jean, celui de l'ange enfin, sous le regard de Dieu. Isolé sur un promontoire battu par des flots noirs, le poète-prophète écoute et voit ; il retranscrit sur le rouleau de parchemin : la figure de Jean se confond avec celle de Blake, et l'ange de l'Apocalypse avec le prophète éternel, Los.

Los est le seul des Zoas à se souvenir de l'unité perdue : il est un lien entre Dieu et les hommes, un véritable médiateur. Dans la septième Nuit de Va/a, il se dresse majestueusement devant le ciel nocturne d'Urizen pour appeler à la révolte. On songe au cha- pitre 19 de l'Apocalypse où l'ange, «debout dans le soleil », ap- pelle les oiseaux au « grand festin de Dieu pour manger la chair des rois, des chefs et des puissants ». Dans le Livre de Los, l'écartè- lement du prophète entre les globes ardents dessine une fois encore la silhouette apocalyptique de l'ange, ou celle d'Albion, celle de l'homme de Vitruve :

... s'écartant largement, Ses pieds frappent les éternelles, les furieuses Rivières de large incandescence [...]

Largement écartelés étaient-ils, repoussés

Par ses mains et ses pieds, qui frappaient l'abîme d'en-bas...

(Los, I, 7 et 8, p. 243)

Blake multiplie ces apparitions fulgurantes et souligne le flamboie- ment : les colonnes de feu de l'ange au petit livre gagnent de pro- che en proche... Orc et Fuzon se profilent ainsi derrière le pro- phète. Blake combine ici l'apparition de l'ange au petit livre (chapitre 10) et la vision de l'ange du carnage (chapitre 19) : il mêle l'homme de parole avec l'homme d'action.

Les anges de la geste blakienne flamboient, rouge de feu, de sang et de colère, sur un fond de ciel sombre, dans les nuages de la nuit ou les ténèbreuses fumées du règne d'Urizen. Mais la révolte d'Orc, de Los ou de Fuzon est un ferment de vie. Le feu - de l'action, du désir - transforme l'homme en demi-dieu et lui assigne une mission surnaturelle. L'histoire - et tout particulière-

(32)

ment la guerre américaine ou la Révolution française - pourrait bien être la fournaise ardente qui bouleverse le destin de Daniel en affirmant aux yeux de tous son élection et sa vocation prophé- tique. La métamorphose de l'homme blakien n'est pas sans rappe- ler la statue du songe de Nabuchodonosor, mais son symbolisme est plus proche de la relecture qu'en propose saint Jean dans sa vision du Fils de l'homme. Le génie des révolutions mêle la vio- lence mortelle des flammes aux forces vives de la prophétie :

Des flammes enveloppent le globe terrestre, mais l'homme n'est pas consumé.

Il marche à travers les feux du désir ; ses pieds deviennent comme l'airain,

Ses genoux et ses cuisses comme l'argent, sa poitrine comme l'or.

(Amérique, p. 204)

La victoire finale du Messie, dans l'Apocalypse de Jean, semble ac- complir les promesses initiales du Fils d'homme : les deux visions se font écho au début et à la fin de la révélation, relayées par l'ap- parition centrale de l'ange au petit livre : même regard, « semblable à une flamme ardente », même bouche d'où sort « le glaive acéré » qui doit frapper les nations. Le Messie se prénomme d'ailleurs « la parole de Dieu » ; il frappe les nations, les mène paître avec une verge de fer, les foule dans la cuve où bouillonne le vin de la colère du Très-Haut : le Verbe est violence. Avant de susciter la victoire finale et le grand Jugement, il laisse libre cours à toute sa fureur : c'est la « Nuit du carnage » dont s'inspire notre poète dans la sep- tième Nuit de Vala, c'est le mystère encore tu des sept tonnerres et c'est le fiel du Livre...

Mais dans Amérique, Orc refuse les codes et disperse les livres au nom de la vie et de la liberté :

Cette loi de pierre, je la foule et l'émiette ; et j'éparpille la religion Aux quatre vents ainsi qu'un livre qu'on déchire, et nul n'en rassem-

blera les feuillets. (Amérique, p. 203)

Rien de commun entre ce livre dispersé et le livre avalé de saint Jean ? peut-être, à première vue... mais tous les livres ont quelque

(33)

chose en commun ; souvenons-nous de la version très inquiétante que le Livre d'Urizen propose du chapitre i o de l'Apocalypse :

La voix se tut : on vit son pâle visage Emerger de l'obscur, sa main Ouvrir sur le roc de l'éternité

Le Livre de bronze... (Urizen, III, i, p. 222)

La lumière et le rougeoiement s'effacent devant la blancheur d'Urizen et tout se pétrifie. C'est le règne des codes et le triomphe des commandements. Tout livre peut, si l'on n'y veille, pervertir la révélation. Le vrai livre est celui qui déconstruit les codes ; le vrai prophète est « un Voyant et non un arbitraire Dictateur » (Annotations à l'Apologie de Watson, p. 76) : Orc plutôt que Moïse. Le chérubin protecteur de Vala, Milton, Jérusalem, pourrait être la manifestation extrême du pouvoir pernicieux des dogmes erronés de l'Eglise chrétienne, l'ultime perversion des révélations de la Bible ; mais plus qu'aux anges, Blake associe le chérubin aux bêtes apocalyptiques et au « Grand Dragon rouge feu », conformément d'ailleurs à l'héritage d'Ezéchiel.

Le Mariage du Ciel et de l'Enfer travaille à rétablir la vision pro- phétique du monde contre les constructions abstraites et ration- nelles de la métaphysique et de la religion. Et pour ce faire, l'éner- gie, dût-elle être violente, est préférable aux voies lentes de la sagesse :

Les tigres de la colère sont plus sages que les chevaux de l'instruction.

(Le Mariage, p. 184)

Dans La Révolution franfaise, seuls les élus du Tiers-Etat sem- blent prêts à semer la beauté sans porter la révolte et la mort :

Car le Tiers-Etat se rassemble dans la Salle de la Nation, tels des esprits de feu dans les splendides

Portiques du Soleil ; pour implanter de la beauté dans l'abîme désert et vorace, ils luisent Sur la cité anxieuse... (La Révolution franfaise, p. 168)

Foi et espoirs républicains, qui seront bientôt relayés par la figure lumineuse du Christ, poète et médiateur : le héros et l'archange de feu disparaissent de Jérusalem. L'art permet d'éviter le duel et la mort ; il est une autre voie pour le salut de l'homme. Cependant,

(34)

L'œuvre de William Blake Apocalypse et transfiguration

Résolument comparatiste dans son approche des poèmes et des œuvres picturales de Blake, cet ouvrage s'attache à montrer comment le poète a trouvé, dans les images, les structures et le message même de l'Apocalypse de Jean, les fondements de sa conception visionnaire de l'Art. Le der- nier livre de la Bible invite à briser le sceau des apparences, à dépasser la lettre et les images, afin de voir ce qui « existe Eternellement, Réellement et Immuablement»: il conduit une réflexion sur le signe. Tout l'itinéraire de Blake pourrait se concevoir comme une conversion au vrai sens de l'Apo- calypse, non pas affrontement définitif des forces du Bien et des forces du Mal, mais révélation continuée, qui va consti- tuer tout au long de sa vie - 1757-1827, un septénaire - l'horizon et le point de fuite d'où l'œuvre résonne, autre- ment : l'art de Blake est un art du sens.

Danièle Chauvin est professeur de littérature générale et compa- rée à l'Université Stendhal de Grenoble.

Illustration de couverture : William Blake, He Cast him into the Bottomless Pit, and Shut him up, vers 1800, 35,9 x 32,5 cm. Fogg Art Museum, Université de Harvard.

ISBN 2-902709-77-3 Prix 175 FF

(35)

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia

‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.

Références

Documents relatifs

L’alcool tertiaire B réagit ensuite avec un excès d’acide iodhydrique à 47 % : le mélange réactionnel, hétérogène, est agité vigoureusement à température

Une politique monétaire expansionniste peut servir à relancer l’activité économique par la croissance et l’emploi. En réduisant son taux directeur, la banque

La mise en place d’une politique monétaire commune était indispensable pour certains économistes afin de favoriser le développement du marché européen en facilitant les

Compléter le tableau des caractéristiques du poids ci-dessous puis représenter ce poids sur le schéma avec. l'échelle 1 cm pour

du projet cartésien d’une « science universelle » – selon le titre annoncé pour le Discours de la méthode – à la Wissenschaft der Logik hégélienne

Sébastien Balibar le démontre avec son ouvrage intitulé La Pomme et l'Atome, douze histoires de physique contemporaine.. Quand certains cours semblent avoir pour

Tandis que la principale intéressée paraît avoir surmonté ce trauma- tisme, Suzanne parle de ce viol avec beau- coup d’émotion, comme si elle en avait été victime elle-même,

Mais si le terme de multimodalité renvoie à la notion d’actions multiples d’un médicament sur des cibles pharmacologiques, il recèle peut-être lui aussi une polysémie.. ➤