LA PRÉVENTION DE L’HYPOCALCÉMIE VITULAIRE
RÉSULTATS D’UNE
ENQUÊTE
EFFECTUÉE SOUS I,!S AUSPICES DU« JERSEY WORLD CATTLE BUREAU » M. BROCHART
Laboratoire de Nutrition minérale, École nationale vétérinaire, Alfort
SOMMAIRE
Une
enquête
a été effectuée sous lesauspices
du ec WorldJersey
Cattle bureaun auprès
d’éle-veurs de la race bovine
Jersiaise
en Australie ; elle succédait à uneenquête analogue
effectuée enFrance antérieurement ; ces deux enquêtes ont eu pour but la recherche des facteurs
susceptibles d’expliquer
lesgrandes
variations defréquence (de
i à 5o p.100 )
del’hypocalcémie
vitulaire selon lesexploitations.
Dans les deux
enquêtes,
le facteurjouant
debeaucoup
le rôle leplus important
a été la richesseen
Légumineuses
des foinsproduits
par lesexploitations.
Les données recueillies, en France et en Australie, ont étérespectivement
les suivantes :i) nombre
d’exploitations
étudiées : 21 et 24 32
) nombre de
vêlages :
S3Iet q. oç6 ; 3)
fréquence globale
des casd’hypocalcémie
vitulaire : 18 et 12 p. ioo ;4
) fréquence
des cas selon les divers types de foins :a) majorité
de Graminées : TLI,4 et ro,g p. ioo;b) graminées
etLégumineuses
enproportions approximativement égales :
8,9et 6,8 p. 100;c) majorité
deLégumineuses :
30,4 et 24,6 p. 100. Ces résultats sont discutés.INTRODUCTION
De nombreux éleveurs considèrent
l’hypocalcémie
vitulaire comme unefatalité,
contre
laquelle
il n’existequ’un
seul moyen delutte,
le traitement parinjection
intraveineuse d’un sel
calcique.
S’il est exact que le traitement est encore actuelle- ment le meilleur moyen de lutte contre cettemaladie,
il ne semblepas j
uste de renoncerà trouver une méthode
préventive.
En effet cette « fatalité » de la « fièvre » vitulairese
manifeste,
selon lesexploitations,
avec unefréquence
variant de i à 5o p. 100decas par an. Une telle variation dans l’intensité de la manifestation de la maladie
ne
peut
être due seulement auhasard,
et l’on doitpouvoir
trouver les facteurs de cettevariation,
cequi
devraitpermettre,
s’ils sontcontrôlables,
de ramener dansles étables fortement atteintes la
fréquence
de l’affection dans des limites « raison- nables ».I,’influence de deux groupes de facteurs
peut expliquer
cette variation de l’inten- sité de la « fièvre » vitulaire selon lesexploitations :
facteursgénétiques
d’unepart,
facteursd’élevage
d’autrepart.
Si ce sont des facteurs héréditairesqui
sontprépon- dérants,
on doitpouvoir,
par lasélection,
réduire lafréquence
de la maladie. Si ce sont des facteursd’élevage (alimentation, traite, etc.) qui
sontresponsables,
ondevrait
pouvoir agir
sur eux.L’expérimentation
surl’hypocalcémie
vitulaire a faitl’objet
de nombreux travaux ; on nepeut
considérer encore actuellement leproblème
del’étiologie
decette maladie comme définitivement
résolu ;
une autre voied’approche
duproblème
est celle de
l’enquête
« sur le terrain »,qui peut permettre
dedégager
certains facteursétiologiques
quel’expérimentation n’envisage
pas apriori.
Dans cetesprit,
une pre- mièreenquête
a été effectuée en France enig6i (B ROC naHT, ig6i).
Une secondeenquête,
initialementprévue
sur leplan mondial,
a été effectuée avec l’aide du«
Jersey
W’orld Cattle bureau » en19 6 2 .
Seules lesréponses
fournies par les adhérents de l’AustralianJersey
HerdSociety
ont pu être obtenues en nombre suffisant pourqu’une analyse
valable soitpossible.
MATÉRIEL
ETTECHNIQUES
Ce sont les informations fournies par zç
élevages
de@li!rsiaises
australiennes, portant sur 404
6
vêlages,
et 480 cas de fièvre vitulairequi
se sontproduits
au cours des années 1959, 1960et r9f»
qui
sont discutées ici. Ces informations ont été recueillies au moyen d’unquestionnaire rempli
par les éleveurs ; cequestionnaire comportait
dix-huitquestions.
Seules lesréponses
chiffrées,ou par « oui u ou par « non n, ont été retenues pour
l’exploitation statistique.
RÉSULTATS
I)
Caractères des cas defièvre
vitulaire observésUne des
questions posées
avait pour but de différencier les casd’hypocalcémie vitulaire,
c’est-à-dire seproduisant
dans lesjours
suivant levêlage
etrépondant
bien à la
thérapeutique calcique,
des cas deparésie vitulaire,
se manifestantplus tardivement,
et difficilementguéris
par le calcium.Dans 22
élevages
sur 24, la « fièvre » vitulairerépond
à la définition del’hypo-
calcémie
vitulaire ;
dans 12 de ces 22élevages,
on observeégalement
des casplus
ou moins
tardifs,
mais tousrépondant
favorablement àl’injection
intraveineuse de calcium. Ils’agit
doncbien,
dans lagrande majorité
des cas,d’hypocalcémie
vitulaire.
Sur ig
exploitations,
la Iremanifestation de la maladie a lieu dans 2troupeaux
au 2e
vêlage,
dans mtroupeaux
au 3evêlage, dans
au4 e vêlage
et dans 2 au5
e vêlage.
Aucune relation n’a été observée entre
l’importance
dutroupeau
et lafréquence
de la maladie. Il n’a pas été
possible
depréciser
la relation entre lafréquence
de lamaladie et le niveau de la
production
laitière. Il est toutefois très vraisemblable que lapopulation
étudiéen’échappe
pas à la relationpositive
trèsgènérale qui
lie cesdeux variables
(r
= -! 0,73, I,nRVOR etal., 10 6 1 ).
Il n’a pas été
possible
nonplus
depréciser
la relation éventuelle entre lafréquence
de la maladie et la date de la mise à l’herbe.
II) Influence
desf acteurs
héréditaires sur laf y équence
de
l’hy!ocalcémie
vitulaireA la
question :
« Avez-vous observé des familles de vachesplus
sensibles que d’autres à la fièvre vitulaire ? », lesréponses
suivantes ont été obtenues :Ces résultats ne
permettent
évidemment pas d’affirmer que l’hérédité nejoue
aucun rôle. En
effet,
laréponse
à laquestion posée
a un caractèresubjectif,
et seuleune étude
quantitative portant
surplusieurs générations
de vachespourrait
fournirune
réponse
sûre. Pourcela,
il seraitindispensable
que les livresgénéalogiques
tiennent
compte
des cas de fièvre vitulaire dans lesperformances
individuelles.Par
ailleurs,
laréponse
à laquestion posée peut dépendre
du taux de renouvellement ducheptel, qui
est variable selon lestroupeaux.
III) Influence
durapport graminéesjlégumineuses
dans lespâtures
La
fréquence
de la fièvre vitulaireaugmente lorsque
la richesse despâtures
en
Légumineuses
croît(tableau 2 ).
L’effet est toutefois peuimportant
parrapport
àce
qui
est observé pour les foins(tableau 3 ).
IV) Influence
durapport graminées/légumineuses
dans lefoin
On observe un
pourcentage
moyen très élevé de fièvre vitulaire dans lesexploi-
tations où le foin est riche en
Légumineuses (tableau 3 ).
Un résultat
analogue
avait étéobtenu,
dans des conditions trèsdifférentes,
dansl’enquête française (tableau q.) (B ROCHAR T M., ig6i).
V) Influence
del’apport
de concentrés dans la ration d’hiverOn observe que les rations d’hiver contenant des concentrés sont associées à
une
fréquence supérieure
de fièvre vitulaire(tableau 5 ).
VI) Influence
de la nature calcaire du sol despâtures
et duchaulage
des
pâtures
La nature du sol des
pâtures
est sansinfluence ;
l’absence dechaulage paraît
associée à une faible
augmentation
de lafréquence
de la fièvre vitulaire(tableau 6).
DISCUSSION
Parmi les facteurs de variation mis en
évidence,
lacomposition botanique
desfoins
paraît jouer
le rôle leplus important.
De nombreusescaractéristiques
diffé-rencient les foins de Graminées des foins de
Légumineuses.
Laplus grande
richesseen matière sèche et surtout en azote des
Légumineuses peut
favoriser laproduction laitière,
et de cefait,
accroître ledéséquilibre existant,
en début delactation,
entreles
exportations calciques
par le lait et lescapacités
réduites d’assimilation du cal- cium(M OODIE , ig6o).
Il est d’ailleurs à noter que la distribution de concentrés est associéeégalement
à une élevation defréquence
del’hypocalcémie
vitulaire.Le rôle
hypocalcémiant
desoestrogènes,
abondant surtout dans certainstrèfles,
ne
peut
être considéré comme établi defaçon
certaine.On sait que la vitamine D favorise l’assimilation intestinale du
calcium ;
l’admi- nistration de vitamine D estpréconisée
dans laprévention
del’hypocalcémie
vitu-laire
(HiBBs
etP OUND E N ) ;
il estpossible
que les foins deLégumineuses,
récoltésgénéralement
à un stadeprécoce,
soientplus
pauvres en vitamine D que les foins deGraminées,
fauchéesplus tardivement ; toutefois,
les données sur la concentrationen vitamine D des foins sont encore
trop
peu nombreuses pourqu’on puisse
attribuerun rôle certain à ce facteur. Par contre, en ce
qui
concerne lecalcium,
de 2 à 4 foisplus
abondant dans lesLégumineuses
que dans lesGraminées,
il a été bien établi par BODAet Co!,E d’unepart,
ENDERet al. d’autrepart,
que, à niveauénergétique
etprotéique
constant, lesrégimes hypercalciques
distribués avantvêlage
ont un rôlefavorisant indiscutable sur le déclenchement de la fièvre vitulaire chez des vaches
prédisposées
à cette affection.La
prédisposition
àl’hypocalcémie
vitulaire est indiscutable chez larace jer- siaise, qui présente
uneproduction
laitière considérable parrapport
à sonformat ;
de ce fait elle doit subir au maximum le
déséquilibre
entre uneproduction
laitièreélevée et une
possibilité
d’assimilationcalcique réduite, déséquilibre susceptible
sansdoute d’être encore
aggravé
lors desurcharge
alimentairecalcique
entraînant unblocage
du mécanismeparathyroïdien
de mobilisation des réserves osseusescalciques.
Les variations individuelles de sensibilité à l’affection tiennent sans doute pour une
part
au niveau deproduction laitière,
et pour une autrepart
àl’aptitude
réactionnelle desparathyroïdes.
Il neparaît
paspossible
actuellement de conclurequant
à la nature héréditaire ou non de cette sensibilité à la maladie.CONCLUSIONS
Au
point
de vuepratique,
la substitution un mois avant levêlage
des foins deLégumineuses
par des foins deGraminées,
et la réduction ou lasuppression
des con-centrés,
mesuresqui
concourent à la réduction desapports azotés, énergétiques
etcalciques,
etpeut-être
àl’augmentation
desapports
en vitamine D,paraissent susceptibles
de réduire lafréquence
del’hypocalcémie
vitulaire dans lesexploita-
tions où cette affection sévit de
façon importante.
Une tellepratique
s’est avéréetrès efficace dans
quelques élevages
deJersiaises françaises gravement
atteints parl’hypocalcémie
vitulaire.Reçu ponr
!ublication
en octobre 1963.REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier le «
Jersey
World Cattle bureau » et leSyndicat jersiais
de Francequi
nous ontpermis
de réaliser ces enquêtes.SUMMARY
TIIE PREVENTION OF MILK FEVER.
RESULTS OF AN INVESTIGATION CARRIED OUT UNDER THE AUSPICES OF THE « JERSEY WORLD CATTLE BUREAU »
Two
investigation
programmes were carried out for Jersey Cattle breeders, one in France and the other in !lustralia, to determine whether the great variations in thefrecluency
(from i to 50 p. ioo) of milk fever were related to differences in fodder systems.In the two
investigations,
the factorplaying by
far the mostimportant
role was the pro-portion
of leguminousplants
in thehay.
The values noted in France and Australiarespectively
wereas follows :
I
) number of herds studied : 21and z4 ; 1
2
) number of
calvings :
531 and 4,046 ; 3) global
frequency
of cases of milk fever : 18 and rz p. 100;4
)
frequency
related to the different types of hay : a)mostly
grasses : m ,4and 10,0 p. 100b) grasses and
legumes
inapproximatively equal proportions :
8,9and 6,8 p. 100,c)
mostly legumes :
30,5 and 24,6 p. Ioo.These results can be
explained by
thegenerally accepted hypothesis
that, at the end of gesta- tion, a diet rich in calcium, as in feeds based on leguminoushay,
promotes milk fever This would suggest a means ofreducing
the occurence of the disease.RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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