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Contact de langues au Maroc: Naturalisation mor- phologique des mots d emprunt dans l arabe maro- cain Cas du vocabulaire de la mer

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Academic year: 2022

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Contact de langues au Maroc: Naturalisation mor- phologique des mots d’emprunt dans l’arabe maro- cain

Cas du vocabulaire de la mer

Hassan TAKROUR

Résumé :

Cet article s’interroge sur les systèmes de naturalisation morphologique des lexèmes étrangers intégrés à l’arabe marocain, à travers l’examen d’un corpus équivalent à trente et un vocables collectés au port de la ville de Safi. En fait, notre objectif se restreint à cerner et à expliquer les corrélations qui peuvent avoir lieu entre la suffixation de cer- tains éléments vocaliques finaux à la base lexématique des mots d’emprunt et l’expression des modalités du genre, de l’action et de l’agent dans l’arabe marocain.

L’étude est fondée sur un corpus qui recouvre à la fois des lexèmes correspondant aux appellations de poissons, instruments et techniques des métiers de la mer, ainsi que des appellations relatives à l’outillage de navigation. À partir du corpus collecté, nous aborderons deux aspects morphologiques à revêtir par les lexèmes étrangers dans la langue emprunteuse, en fonction des éléments vocaliques suffixés dans la syllabe finale de la structure phonématique de ces lexèmes étrangers. Le premier est dit d’arabisation, tandis que le second relève d’un aspect morphologique d’hispanisation.

Mots-clés :

Contact de langues, Maroc, arabe marocain, emprunts, vocabulaire de la mer, natu- ralisation des mots d’emprunt, hispanisation des mots d’emprunt, arabisation des mots d’emprunts.

Language contact in Morocco : morphological naturalization of borrowing words in moroccan arabic case of the sea vocabulary Abstract :

The aim of the present paper is to analyze the systems of morphological naturaliza-

tion of foreign terms (borrowing words) incorporated into moroccan arabic, through the examination of a data equivalent to thirty-one words collected at the port of the town of Safi. In fact, our goal is limited to encircle and to explain the correlations that may oc- cur between the suffixing of some final vocalic elements at the glossory structure of the borrowings and expression of the genus (kind), action and the agent modalities in mo- roccan arabic.

The study is based on a data which covers both terms corresponding to the names of fish, instruments and techniques of the trades of the sea, as well as designations rela- ting to navigation’s tool. In the data, the analysis will focus on two morphological as-

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pects to be covered by foreign terms in moroccan arabic, according to vocalic elements postfixed in the final syllable of the phonic structure of these foreign terms. The first aspect is said to Arabization, while the second is a morphological aspect of the hispani- cization.

Key-words : Language contact, Morocco, moroccan arabic, borrowings, vocabulary of the sea, naturalization of borrowing words, hispanicization of borrowing words, arabization of borrowing words.

Introduction

La problématique de l’emprunt direct de termes d’une langue par une autre langue est con- nue. Des vocables isolés sont le plus souvent admis avec les objets, pratiques, techniques, no- tions ou nouveautés qu’ils désignent. Dans ce cas, il faut dire que l’apport diachronique revêt une importance cruciale, non seulement pour connaître la voie de passage d’un lexème d’une langue (A) à une langue (B), mais également, pour expliciter son apport lexico-sémantique dans la langue emprunteuse.

S’il s’avère que les conquêtes et les dominations sont le plus souvent les agents qui entraî- nent le contact de langues et de cultures, il faut dire qu’au Maroc, la situation diffère, en ce sens que le commerce a été le support le plus courant d’emprunt de certains vocables, surtout, ceux qui sont d’origine hispanique ou italienne. Le contact de langues n’est pas, dans ce cas, néces- saire, mais si ce contact s’établit durant une période suffisante, un certain bilinguisme occasionne des interférences et emprunts en nombre important.

En réalité, il faut admettre que le contact direct de langues reste l’hypothèse éventuelle la plus appropriée à l’étude des influences lexico-sémantiques réciproques. C’est en fait ce qui se passe au XXème avec le contact de l’arabe marocain (désormais AM) au français (désormais FR) où les nouveaux lexèmes empruntés à celui-ci font même oublier les anciens de l’arabe maro- cain, car la société marocaine a subi le choc d’un nombre impressionnant d’innovations maté- rielles et relationnelles. Par conséquent, l’AM était face à un véritable appauvrissement termino- logique qu’il fallait combler par l’acte d’emprunter au français (voir LEVY, 1989 : 18). De

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même, un ensemble important de lexèmes d’origine arabe, entre autres “hammam’’ et “baraka’’, ont été admis dans le FR pour désigner des entités, des pratiques et des notions qui caractérisent la civilisation arabo-musulmane.

I. Délimitation de l’objet de recherche

En raison de la nécessité pressante de désigner des réalités allogènes relatives aux pra- tiques, techniques, notions et nouveautés, des lexèmes non-héréditaires ont été intégrés à l’AM. Néanmoins, les contraintes morpho-phonologiques de celui-ci, arrangent ces nouveaux lexèmes dans des moules dialectaux d’innovation et de rénovation linguistique ou traitement terminolo- gique au sens de L. MESSAOUDI (voir MESSAOUDI, 2013 : 66) ; ce qui permet d’avoir de nou- velles structurations susceptibles de recouvrir un concept ou un objet nouveau. Par conséquent, le phénomène de l’emprunt ne se limite pas à un simple signifiant d’une langue (A) recouvert par un autre emprunté à une langue (B), mais la question se rapporte plutôt à une langue importée et en contact qui ne se maintient et ne se développe qu’en renonçant à son intégrité et intégralité pour épouser les contours morpho-phonologiques du système linguistique d’accueil (AM).

Dans cette perspective, cette contribution tente de présenter des éléments de réponse aux questions suivantes : y a-t-il de caractéristiques exactes que revêtent les lexèmes d’emprunt ad- mis dans l’arabe marocain? Dans quelle mesure les moyens formels de désinence du genre mor- phologique, de l’expression de modalité de sexe, de l’action et de l’agent en AM sont respon- sables des modifications auxquelles sont soumis les lexèmes d’emprunt intégrés à ce système linguistique? Y a-t-il de corrélations précises entre la suffixation des éléments vocaliques /-a/, /- u/, /-i/ et -a:y dans la syllabe finale des mots d’emprunt et l’expression de modalité de genre, de nombre, de noms de l’action et de l’agent en AM ? Si le suffixe /-a/ postposé aux nominaux fonc- tionne généralement comme la marque du féminin (modalité de sexe) dans les substantifs hérédi- taires en AM, quelle fonction morphologique remplit-il lorsqu’il est accolé à la suite des lexèmes non-héréditaires ou d’emprunt ? Comment les habitudes articulatoires arabophones (entre autres

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la charpente consonantique arabophone) se reflètent dans la prononciation des lexèmes d’emprunt ?

II. Considérations méthodologiques

Le domaine de l’investigation est le port de Safi, l’intérêt pour cette région émane du fait qu’elle présente un lieu prototypique de rencontre de langues et de cultures. En effet, sur le plan historique, les indications disponibles laissent supposer que la ville connaissait une cohabitation entre de nombreuses communautés, Musulmans, Portugais et Juifs (voir LEVY, 1997 : 174).

L’activité commerciale portugaise qui y était active même avant l’occupation avait créé des rap- ports entre les langues portugaise et marocaine dans les zones de contact. Pour ce qui est de l’impact castillan1, il n’est attesté à la ville que vers la fin du XVème siècle avec l’arrivée, en 1492, des réfugiés juifs d’Espagne ; puis en 1610 avec l’installation de Morisques hispanophones dans la ville.

Du point de vue géographique, le port occupe une position stratégique au centre du Maroc, voisinant avec des ports dont le statut historique est important, comme le port d’El Jadida et celui d’Essaouira.

Pour ce qui est de la collecte du corpus, il y a lieu de noter ici que les lexèmes, objets d’analyse, ont été obtenus à partir de collectes directes après plusieurs rencontres et discussions avec les marins du port. Nous ne manquerons pas de rappeler ici, que la collecte est effectuée selon trois critères cruciaux. En premier lieu, les lexèmes collectés possèdent des schèmes dont le radical lexical est allogène. En second lieu, la structure phonématique des lexèmes recueillis ne s’adapte pas aux règles prosodiques de l’AM. En troisième lieu, la forme de la racine des lexèmes, objets d’analyse, est identifiée à des formes canoniques diversifiées telles qu’elles sont exemplifiées dans le tableau ci-dessous :

1 Langue romane originaire de Castille, devenue la langue officielle de l’Espagne et de la plupart des pays de l’Amérique latine, couramment appelée espagnol.

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Lexèmes d’emprunt Formes canoniques Racines

[bi:ra] Bilitère │BR

[ba:rku] Trilitère │BRK

[kurzi:ŧa] Quadrilitère │KRZT

Par la suite, nous avons réparti les lexèmes recueillis selon la classe syntaxique dans la langue prêteuse (FR), noms, adjectifs, verbes et adverbes. Cette répartition permettra au lecteur de repé- rer les différentes modifications que peut subir le lexème d’emprunt lors de son intégration dans la langue emprunteuse (AM).

L’analyse adoptée s’inscrit dans le cadre de la linguistique générale ; elle est essentielle- ment qualitative. Le choix de ce cadre a été dicté d’une part, par la nature du corpus, composé de bases lexématiques empruntées et soumises aux contraintes morpho-phonologiques de la langue d’accueil, et d’autre part, par la manière de “dépistage’’ dont est traité chaque lexème d’emprunt dès son intégration dans l’AM.

III. Corpus

Le corpus que nous avons collecté auprès des marins au port de Safi recouvre à la fois des lexèmes correspondant aux appellations de poissons, instruments et techniques des métiers de la mer, ainsi que des appellations relatives à l’outillage de navigation.

Nous ne manquerons pas de signaler ici que face à l’absence de dictionnaires qui inclu- raient cette partie du vocabulaire de la mer avec tous ses aspects archaïsants ou carrément obso- lètes, nous étions obligés à recourir à l’aide du raïs El Haj Lahcen Tantoni qui nous a aidé à re- voir et à mettre au point les lexèmes recueillis. Cet ancien raïs (qu’il reçoive ici nos remercie- ments sincères pour la bonne volonté qu’il a mise à nous renseigner) nous a signalé certains

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usages terminologiques2 exclusifs au port de Safi et à celui d’Essaouira où l’influence berbère3 reste remarquable.

IV. Transcription

Le système vocalique de l’arabe marocain est fort simple. Il ne connaît, pour ainsi dire, que trois timbres, en plus de quelques diphtongues composées de timbres fondamentaux. Néan- moins, du fait de la pluralité d’allophones4 que ces timbres vocaliques offrent surtout dans le contexte emphatique, le statut des voyelles est éminemment variable dans la mesure où elles dif- fèrent d’un individu à l’autre, ce qui les rend difficiles à noter. Cependant, en dépit de cela nous n’avons pas débarrassé les lexèmes de leurs voyelles comme faisaient certains chercheurs dans les études du lexique. Au contraire, nous avons gardé les consonnes et les voyelles tout en notant les mots d’emprunt tels qu’ils sont réalisés en arabe marocain, d’une part, pour éviter toute con- fusion phonétique, d’autre part pour préciser la prononciation des racines telles qu’elles se pro- noncent en argot marin. Il y a lieu de noter ici que les lexèmes français sont transcrits en A.P.I, quant aux symboles phoniques différents de ceux de l’A.P.I, on les explicite précisément dans les annexes (voir le protocole de transcription dans les annexes).

V. Analyse du corpus

1. Naturalisation morphologique des lexèmes

En arabe marocain, la marque du féminin consiste, en règle générale, à suffixer un /-a/ au radical lexical qui est le masculin singulier des noms-adjectifs, lequel est dépourvu de dési- nence (voir YOUSSI, 1992 : 137), ce qui contribue à naturaliser les lexèmes d’emprunt en leur donnant un profil arabe correspondant, à l’origine, à l’indice de l’arabe littéral -at, mais le /t/

final ne se réalise jamais dans ces emplois en arabe marocain. Dans ce qui suit, nous aborde-

2 En vue de délimiter la spécification des emplois terminologiques de certains mots d’emprunt, nous avons consulté la Monographie lexicologique de Louis BRUNOT (voir BRUNOT, 1920).

3 Certains vocables à préfixe ta- et ʡe- issus de la langue berbère comme [ʡewra:ɤ]- [ʡegunʒa]- [ta:ɤart] qui corre- spondent à la dérivation de substantifs de caractéristique et d’activité permanente en berbère sont disparus définitivement du vocabulaire maritime de Safi, alors qu’ils sont encore en usage au port d’Essaouira et chez les pêcheurs Berbères de Sous (voir LAOUST, 1923). Cependant, Simon LEVY cite quelques vocables d’origine berbère qui sont encore en usage à Safi tels que: [ti:zmekt] “baleine’’ et [ʔeṣiɤa:ɤ] “Congre’’ (voir LEVY, 1994: 55).

4 Voir dans les annexes, le tableau illustratif de l’allophonie des voyelles en arabe marocain.

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rons deux facettes de cette tendance de lexèmes étrangers à revêtir dans la langue emprunteuse un aspect caractéristique différent de celui qu’ils réalisent dans la langue prêteuse, à travers la suffixation d’éléments vocaliques dans la syllabe finale de la structure phonématique de ces lexèmes étrangers. Le premier est arabe, tandis que le second relève d’un aspect morphologique de l’hispanisation.

Cette affinité entre le profil arabisé et celui hispanisant fait partie des tours de syntaxe pré- férentiels et des usages discursifs (MESSAOUDI, 2013 : 66) que revêtent les lexèmes nouvelle- ment admis. D’ailleurs, elle n’est pas sans rapport avec l’intégration de ceux-ci dans le système linguistique de l’arabe marocain. Parfois, les mots d’emprunt subissant ce genre de modification morphologique ne sont pas empruntés à la langue espagnole mais plutôt au français, et n’étant pas dans la langue d’origine de genre féminin, et pourtant les exemples laissent découvrir la suf- fixation de /-a/ ou /-u/ dans les syllabes finales de ces nominaux.

1.1. Double fonction du monème /-a/

A. Le suffixe /-a/ comme marque de mots d’emprunt

Corpus (1) Lexèmes Langue prêteuse

(FR) Langue

emprunteuse Modification morphologique

Proue [pru]

AM

[brawwa] Suffixation de /-a/

cordée [kɔrde] [kur ] Suffixation de /-a/

Sondeur [sõdœr] [ṣun ] Suffixation de /-a/

Poupe [pup] [pu:ppa] Suffixation de /-a/

Patente [patǣt] [paŧa:nŧa] Suffixation de /-a/

Raie [raj] [ra:ya] Suffixation de /-a/

Bande [bãd] [ba:n ] Suffixation de /-a/

Palette [palεt] [pa:liŧa] Suffixation de /-a/

Barcasse [barkas] [bərka:ṣṣa] Suffixation de /-a/

Le tableau ci-dessus affiche des lexèmes empruntés au français et ayant subi une modifica- tion morphologique plus distincte au niveau de la syllabe finale. Il s’agit de la suffixation du mo- nème /-a/ final, de manière à remplacer un élément vocalique ou même consonantique dans cette

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syllabe. D’ailleurs, il faut noter ici que l’hypothèse qui présuppose que l’occurrence du suffixe final /-a/ dans les cas ci-dessus, renvoie pratiquement à la désinence du genre féminin en arabe marocain, est à avancer, car les substantifs sont déjà de genre féminin dans la langue prêteuse (FR), alors il ne fallait que leur désigner le genre féminin par le biais de moyens formels de mo- dalité de sexe dans la langue d’accueil.

En effet, il est certain que dans ce genre d’emplois comme dans bien d’autres, le monème /-a/ postposé aux nominaux, tout en fonctionnant généralement comme la marque du féminin dans les termes héréditaires comme dans les termes empruntés, “dénonce’’ le terme non- héréditaire ou emprunté. Pour ce qui est des exemples du tableau ci-dessus, le suffixe /-a/ final semble bien avoir une double fonction ; il est d’une part, marque de lexèmes d’emprunt, d’autre part moyen de désigner le genre morphologique du féminin en AM.

En relation avec l’intégration des mots d’emprunt dans le système linguistique de l’AM, il est à noter que l’adjonction du suffixe arabe –at à la syllabe finale de ceux-ci (le /t/ final ne se réalise jamais dans ses emplois en AM), constitue un emploi actualisateur de ces termes, qui, à travers la suffixation de /-a/, leur fait revêtir un profil arabisé, au moins, similaire à celui des noms héréditaires de genre féminin.

B. Le suffixe /-a/ comme marque du féminin

Lexèmes

Langue prêteuse (FR)

Langue emprunteuse

(AM)

Modification morphologique

Couvert [kuvεr] [ku:birŧa] Suffixation de /-a/

Certificat [sεrtifika] [sertafika] Suffixation de /-a/

Support [sypɔr] [sibu:ra] Suffixation de /-a/

Phare [far] [fa:ru:ra] Suffixation de /-a/

Conjointement à son emploi comme marque de termes nouveaux, le suffixe /-a/ s’adjoint, comme nous l’avons signalé plus haut, à la syllabe finale des mots d’emprunt comme marque du féminin en AM, par opposition à l’indice zéro qui est la marque du masculin dans les mots

Corpus (2)

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héréditaires (voir LECOMTE, 1993 : 61-62). Mais il arrive, cependant, que le phonème final /-a/

est également un moyen formel de désinence du genre féminin dans la langue espagnole.

D’ailleurs, la comparaison des occurrences de /-a/ final dans les deux systèmes linguistiques en question, ne manque pas de poser une question sur l’appartenance typologique du monème fi- nal /-a/ ; s’agit-il bien de moyen d’expression du genre féminin en arabe ? Ou encore, est-ce un trait de désinence du sexe féminin en langue espagnole ?

Dans toutes les structurations des lexèmes ci-dessus, le monème /-a/ représente un trait formel de désinence du genre féminin dans la langue arabe. En fait, nous avons fondé cette ré- flexion sur le fait que la modification du genre des lexèmes d’emprunt s’accomplit par référence à l’arabe littéral où les signifiés auxquels renvoient les mots d’emprunt sont de genre féminin avec une marque /-a/ correspondant à l’indice de l’arabe littéral –at réduit en /a/ dans ses emplois en arabe marocain. Ainsi, nous retrouvons que le genre féminin que revêt le mot [ku:birŧa] est dû au genre féminin du mot arabe [seqifa]“couvert’’. De même, le changement du genre du lexème [sertefika], semble-t-il, plus ou moins relié à la nature du genre du mot arabe [šaha:da]“certificat’’, tout comme le genre du substantif [sipu:ra] inspiré du genre du mot arabe [daɛa:ma]“support’’, ou encore le genre du lexème [fa:ru:ra] qui remonte au genre du substantif arabe [fana:ra]“phare’’.

Notons que chacun des substantifs figurant ci-dessus est de genre masculin dans la langue d’origine (FR). Cependant, après avoir été admis dans l’AM, ils ont revêtu un profil arabe consis- tant, d’un point de vue phonologique, dans la modification de la syllabe finale par l’adjonction de la voyelle [a], et d’un point de vue morphologique, dans la transformation du genre de la langue prêteuse5 (masculin) en genre féminin dans la langue emprunteuse (AM). La régularité de

5 Le mot “certificat’’ constitue une exception de cette règle d’usage actualisateur des mots d’emprunt, car il con- serve le /-a/ final, mais il ne conserve pas le genre qu’il porte dans la langue d’origine. Très souvent, les mots d’emprunt au français et plus largement aux langues romanes prennent, souvent, un aspect caractéristique espa- gnol, y compris, ceux qui ont conservé le genre féminin de la langue d’origine après avoir été intégrés dans l’arabe marocain (voir NISSABOURI, 1997 : 188 et BRUNOT, 1949 : 375).

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cette dérivation suffixale en /-a/ et son extrême productivité en AM, nous rappellent que nous voici face à une arabisation des termes d’emprunt (voir BRUNOT, 1920 : II).

1.2. Suffixation de /-u/ final comme marque du masculin

Dans ce point, nous abordons un trait assez particulier d’intégration morphologique des mots d’emprunt par désinence du genre en AM. Il s’agit, en fait, de la suffixation de /-u/ dans la syllabe finale des lexèmes comme marque du masculin. Néanmoins, l’arabe marocain ne connaît qu’un genre morphologique, en ce sens que les êtres et les entités sexués qui présentent une forme mâle, indiquent par eux-mêmes le trait de sexe masculin et ne portent aucune marque pour déterminer ce sexe.

Par conséquent, nous pouvons avancer que le suffixe /-u/ accolé à la syllabe finale des mots d’emprunts ci-dessous renvoie à un trait de désinence du genre masculin non en arabe, mais plutôt en espagnol, en ce sens que dans cette langue la désinence du féminin se fait par l’adjonction de /-a/ à la fin des noms-adjectifs, comme dans le substantif “plaza’’ "square".

Quant à l’acte de désigner le masculin, il s’accomplit par la suffixation de /-ɔ/ dans la syllabe finale des nominaux, comme dans le terme “correo’’ "bureau de poste".

Voici une première série d’exemples où les formes empruntées dans l’AM ont pris un profil espagnol, alors que l’examen montre qu’ils sont issus du français.

Lexèmes Langue prêteuse

(FR) Langue

emprunteuse (AM)

Modification morphologique

Bourdon [burdõ] [bur ] Suffixation de /-u/

Bidon [bidõ] [bidu] Suffixation de /-u/

Echantillon [eʃᾶtijõ] [ša:nŧiyyu] Suffixation de /-u/

Milieu [miljœ] [mi:dyu] Suffixation de /-u/

Corpus (3)

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Cette liste montre des mots qui, étant empruntés au français, ont subi une transformation morphologique au moyen d’une dénasalisation de la syllabe ouverte. Cet acte de dénasalisation a abouti à l’apparition de la voyelle brève fermée [u] dont on se sert comme suffixe pour marquer le masculin des substantifs admis en AM. A signaler d’ailleurs, que l’adjonction de la marque du masculin /u/ aux termes étrangers ci-dessus n’est qu’une reprise de la modalité de désinence du féminin, mais, suivant une contrainte morphologique de l’espagnol. Il est clair de surcroît, que les lexèmes ci-dessus gardent le genre masculin de la langue prêteuse6, dont la marque est un /-u/

postposé aux nominaux conformément à la structuration de ce genre en langue espagnole.

L’intégration de cette contrainte morphologique espagnole au système linguistique de l’AM est due essentiellement à l’impact morphologique et phonématique considérable du castil- lan sur l’arabe marocain. Celui-ci s’est fortement teinté de langue romane au début du XXème siècle, notamment, dans les villes de la côte marocaine où de nombreux termes espagnols sont les plus communément employés (voir MERCIER, 1906 : 420).

Cet aspect de modification morphologique des mots d’emprunt au moyen de la postposition du suffixe /-u/ au niveau de la syllabe pénultième ouverte, renvoie à un emploi courant en AM dont la valeur grammaticale est d’exprimer une modalité de genre masculin dans cette langue.

Suite à ce changement morphologique qui sonne à l’oreille comme étranger, les lexèmes chan- gent souvent de genre. Cette transposition de la modalité du genre, semble-t-il, accomplie par référence à la langue arabe littérale où les signifiés auxquels renvoient les signifiants admis sont de genre masculin. Il s’agit en fait, d’un aspect de naturalisation morphologique dit hispanisa- tion7 par l’adjonction de /-u/ final (voir NISSABOURI, 1997 : 191).

Ainsi, on insistera donc sur la présence antérieure de la langue romane sur le territoire ma- rocain (voir CHENIER, 1943 : 200) en vue de démontrer l’usage de cet aspect d’hispanisme dans

6 À noter ici qu’il y a une autre série de formes empruntées avec /-a/ qui ne semblent pas issues de l’espagnol et dont le genre dans la langue prêteuse n’est pas le féminin (voir BRUNOT, 1949 : 381 et COHEN, 1912 : 6).

7 Le moyen formel du désinence du genre masculin par l’adjonction de /-ɔ/ final est attesté en langue romane d’où l’appellation d’hispanisation comme pour soulever l’impact hispanique plus remarquable dans le vocabulaire maritime au Maroc.

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le vocabulaire de la mer. De fait, en se penchant sur la richesse et la diversité lexématiques et phonématiques de mots d’emprunt dans le vocabulaire maritime au Maroc, on peut se faire une idée de grand nombre de lexèmes empruntés aux langues romanes (lesquelles ont beaucoup de racines communes), dont l’origine espagnole ou italienne est vraisemblable sans qu’il y ait con- tact officiel de langues. Dans de telle situation, il faut comprendre que le commerce8 était le sup- port de ce genre d’actes d’emprunt.

1.3. Suffixation de “ -a:y’’ comme marque d’agent ou d’action

Lexèmes Langue prêteuse (FR)

Langue emprun- teuse (AM)

Modification morpho- logique

Part [par] [ppa:y] Suffixation de -a:y

Treuil [trœj] [tra:y] Suffixation de -a:y

Servir [sεrvir] [serba:y] Suffixation de -a:y

Dans le tableau ci-dessus, les exemples montrent une contrainte formelle que l’on connaît aux suffixes relationnels en AM, ainsi que les variantes morphologiques que la suffixation entraîne. De ce point de vue, cette dérivation recourt principalement au relationnel de l’arabe marocain -a:y qui sert à dériver des nominaux d’agent correspondant aux formes verbales, [CC+a]. Ainsi, pour ce qui est des substantifs “part’’ et “ treuil’’, nous y reconnaissons d’un côté, l’élimination des deux consonnes [r] et [t] pour le cas du premier, d’autre côté la supplan- tation de l’élément [œj] par [a] pour le cas du deuxième. La forme obtenue répond au schème [CC+a] à forme canonique bilitère, auquel est accolé le suffixe relationnel -a:y selon les structurations suivantes:

Lexèmes Formes canoniques bilitère

Schèmes Schèmes dérivés

[ppa:y] │BB│ [CC+a]→[ppa] │pp + a + ay│

[tra:y] │TR│ [CC+a]→[tra] │tr + a + ay│

8 La présence du castillan comme langue vivante au Maroc, perdurera jusqu’au XXème siècle alors que même des colonies espagnoles de commerçants et pêcheurs réapparaissent à Casablanca, EL Jadida, Safi, Tanger où les morisques et les juifs jouent un rôle important avec les pays étrangers, commercial ou diplomatique (voir LEVY, 1997 : 176).

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Le schème dérivé [ppa:y] fait partie de la classe des noms d’action, en ce sens qu’il con- note l’action répétée ou habituelle de distribuer les parts des marins après la pêche. Quant à la dérivation du schème [tra:y], elle répond à la contrainte dérivationnelle des noms d’objets ou d’outils en AM9. Pour ce qui est du schème dérivé [serba:y], il est beaucoup plus proche de celui des noms d’agent dans la mesure où il reprend la dérivation plus neutre10 en AM, dont le schème [C+V+CC] est reconstruit sur la base de la racine trilitère │SRV│, et auquel se suffixe l’élément final -a:y suivant la structuration ci-dessous:

Schème verbal : [C+V+CC+a] ⟹ Schème nominal dérivé │s + e + rb + a│+ ay 2. Naturalisation morphologique des verbes

Le vocabulaire maritime de Safi comporte une autre série de mots empruntés avec /-a/, mais qui ne nous semblent pas d’origine espagnole et dont le genre dans la langue prêteuse n’est pas le féminin. Le tableau ci-dessous montre quelques lexèmes qui renvoient à des opérations et techniques menées lors de la navigation.

Corpus (6)

Lexèmes Langue prêteuse Langue Modification

verbaux (FR) emprunteuse morphologique

Larguer [large]

(AM)

[la:rga] Suffixation de /-a/

Tarer [tare] [ŧa:ra] Suffixation de /-a/

Commencer [kɔmãse] [kumanṣa] Suffixation de /-a/

Virer [vire] [bi:ra] Suffixation de /-a/

Corseter11 [kurzəte] [kurzi:ŧa] Suffixation de /-a/

Lâcher [laʃe] [la:ška] Suffixation de /-a/

En fait, il s’agit de verbes empruntés au français dans l’arabe marocain à partir desquels sont extraits des noms abstraits de techniques et d’opérations au moyen de l’affixation de /-a/. C’est

9 On signalera ici que l’AM se sert du suffixe relationnel -a:y pour dériver des noms d’outils. D’ailleurs, les Maro- cains connaissent des structurations telles que: [ṣeffa:y] “filre’’ dériviée de verbe [ṣeffa]“filtrer’’et [seqqa:y]“arrosoir’’ dérivée de verbe [sqa] “arroser’’ au schème [CC+a] à forme canonique bilitère.

10 Il s’agit là d’une dérivation plus neutre pour les noms d’agent et d’activités selon laquelle les schèmes dérivés réagissent à la structuration [C+V+CC+a:y] dérivée du schème verbal à forme canonique bilitère [CC+a] comme dans [kra] [kerra:y] “loueur’’ – [šra] [šerra:y] “acheteur’’ – [qra][qerra:y] “ étudiant brillant’’.

11 On signalera ici, que l’usage de ce lexème n’est pas exclusif au vocabulaire maritime, en ce sens que l’emploi le plus courant de celui-ci est le verbe arabe marocain [krɔz] “serrer’’ qui est obtenu sur la base de ce schème ver- bal, d’où le caractère d’ouverture que revêt la voyelle orale [ɔ] de ce verbe en arabe marocain.

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une des principales variantes morphologiques que la suffixation entraîne en AM. Ainsi, dans ce genre d’usages, le /-a/ postposé aux nominaux se réalise comme suffixe de dérivation qui renvoie au nom d’opération12, c’est-à-dire, une occurrence unique d’une action normalement dérivée d’un nom d’action.

Alors, là nous voici face à quelques rares dérivations suffixales de racines issues de langue étrangère, aux formes canoniques bilitères, trilitères ou encore quadrilitères. En fait, il ne s’agit plus à proprement parler, dans le cas de ces dérivations verbales de modifications exté- rieures, mais de formations lexématiques nouvelles combinées au moyen de la suffixation. Sur le plan grammatical, on note que de par l’adjonction de /-a/ final, les lexèmes d’emprunt verbaux ci-dessus qui remplissent, dans la langue prêteuse, une fonction grammaticale verbale désignant une action, revêtent de nouvelle catégorie grammaticale dans la langue emprunteuse, à savoir celle de noms à valeur d’unité d’action.

3. Naturalisation morphologique des adjectifs

Lexèmes Langue prêteuse

(FR) La langue emprunteuse

(AM)

Modification morphologique

Manuelle [manyjεl] [Manwilla] suffixation de /-a/

Talentueux [talᾶtyØ] [ŧula:nŧi] suffixation de /-i/

Pour les lexèmes d’emprunt ci-dessus, il y a deux trajectoires d’intégration à mentionner.

En ce qui concerne l’adjectif “manuelle’’ emprunté au français, l’examen d’usage montre que ce terme fait partie, dans le vocabulaire maritime, de l’outillage de l’embarcation (nom d’outil)13. En outre, l’occurrence du monème /-a/ accolé directement à la consonne de la syllabe finale fer- mée du radical trilitère étranger “manuel’’ indique que celui-ci a subi un aspect caractéristique

12 Plusieurs mots dérivés se plient, en général, à la règle de structuration que l’on rencontre dans des noms dérivés de verbes comme [dafɛa]“poussée’’ dérivé de verbe [dafaɛa]“pousser’’, [qatla]“meurtre’’ dérivé de verbe [qata- la]“tuer’’.

13 À part la modalité du féminin dont la marque est postposée aux nominaux, la modalité du sexe, ou de simple élément terminal comme dans [ṣerqa] “vol’’, La suffixation de /-a/ final peut avoir une fonction de substantivation (voir CAUBET, 1993: 13) et (YOUSSI, 1992: 409).

Corpus (7)

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de substantivation arabisée menant d’une part, à la détermination du genre morphologique (fé- minin) dans la langue emprunteuse, d’autre part, à la modification de la classe grammaticale que le lexème en question réalise dans la langue d’origine (adjectif).

Pour ce qui est de la règle de l’attribution du genre des lexèmes d’emprunt dans l’arabe marocain, il est important de noter ici qu’elle a été violée dans le cas du lexème d’emprunt

“Manwilla’’, en ce sens que si la détermination de genre du terme en question a été faite par réfé- rence à la langue arabe littérale, il aurait été de genre masculin, car le signifié auquel renvoie le lexème d’emprunt “Manwilla’’ est justement de genre masculin en arabe littéral : [miqwad] “vo- lant de l’embarcation’’.

Quant au mot d’emprunt “talentueux’’, on y reconnaît une élimination de la syllabe fermée pour accoler directement le suffixe relationnel arabe /-i/ à ce qui est ressenti comme radical bili- tère étranger “talent’’. Dans ce genre d’emploi, la suffixation de /-i/ qui dérive des adjectifs qua- litatifs à partir de substantifs, répond à la contrainte d’adjonction de celui-ci dans la langue arabe, en ce sens qu’elle est opérée par simple juxtaposition sans conséquence formelle pour le lexème auquel il se suffixe, en l’occurrence, après consonne y compris semi-voyelle14. Cependant, comme le mot d’emprunt “talentueux’’ présente une riche variété de voyelles, l’oreille arabo- phone qui appréhende les racines étrangères comme une charpente consonantique, vu que la place psychologique qu’occupe l’élément phonique consonne dans les habitudes articulatoires arabophones (voir NISSABOURY, 1994 : 136) dépouille le lexème de ses voyelles en vue de simplifier les variantes de la suffixation de /-i/ en référence uniquement et en fonction de la for- mule finale à savoir, en gros, /-i/.

14 Les emprunts et les substantifs étrangers se plient, en général, aux mêmes règles de structuration, y compris, des procédés phonématiques et morphologiques comme l’adjonction de /ʡ/ - /a/ comme pour [tiknuluӡya]“technologie’’- [dimuqra:ŧiyya]“démocratie’’.

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4. Naturalisation morphologique des adverbes

Lexèmes Langue prêteuse (FR)

Langue emprun- teuse (AM)

Modification morpho- logique

En avant [ᾶnavᾶ] [ʡana:fa] suffixation de /-a/

L’adverbe “en avant’’ a subi une modification morphologique résultant de l’élimination de la voyelle nasale [ᾶ] pour accoler le suffixe /-a/ comme marque du féminin. Cette dériva- tion suffixale entraîne deux conséquences distinctes :

 De prime abord, après avoir été intégré dans l’AM, le terme revêt un aspect caractéris- tique de nom d’action ou d’opération, c’est-à-dire, une occurrence unique d’une action.

Cependant, dans la langue d’origine, le mot fait partie de la classe syntaxique des ad- verbes connue par son caractère d’invariabilité.

 En second abord, le lexème auquel se suffixe le /-a/ est de genre féminin, contrairement au trait d’invariabilité que revêtent les adverbes en français.

Conclusion

Dans cet article, nous avons essayé d’expliquer les systèmes de naturalisation d’ordre morphologique auxquels sont soumis les lexèmes d’emprunt admis dans l’arabe marocain, à travers l’analyse d’un échantillon de termes employés dans le vocabulaire de la mer. En vue d’atteindre cet objectif, on s’est fondé sur une approche qualitative qu’on a appelée “ dépis- tage’’. L’avantage d’une telle approche est qu’elle permet de revenir à la langue d’origine (FR) (c’est pourquoi les lexèmes objets d’analyse sont toujours donnés en la langue d’origine) pour suivre, relever et étudier les variations lexématiques et phonématiques dictées par les con- traintes morphosyntaxiques de l’AM, auxquelles sont soumis les radicaux des mots d’emprunts pour qu’ils puissent s’acclimater à ce système d’accueil.

Corpus (8)

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Suivant cette perspective, nous avons procédé à l’examen des corrélations qui peuvent avoir lieu entre l’adjonction de certains éléments vocaliques finaux à la base lexématique des mots d’emprunts (nominaux, verbes, adjectifs et adverbes) et l’expression des modalités du genre, de l’action et de l’agent dans l’arabe marocain à partir de deux points de vue, à savoir le point de vue morphologique qui se rapporte aux allomorphes /-a/ et/-u/ et aux suffixes relation- nels -a:y et /-i/ et le point de vue phonématique qui aborde les traitements phonologiques résul- tant de processus de naturalisation des lexèmes d’emprunt admis dans l’AM. Pour ce qui est du premier, deux aspects caractéristiques revêtus par les mots d’emprunts ont été dégagés, l’aspect caractéristique arabisé et celui dit d’hispanisation.

L’indice de l’arabe littéral -at réduit en /-a/ dans ses emplois en AM, s’adjoint à la syllabe finale des lexèmes d’emprunts pour remplir une double fonction, d’un côté, il est marque des termes d’emprunts auxquels le locuteur marocain leur attribue le genre féminin par référence au genre des signifiés équivalents en arabe littéral (aspect caractéristique d’arabisation), d’autre côté, le /-a/ constitue un indice qui dénonce les mots non-héréditaires admis dans l’arabe maro- cain, tout comme le suffixe final /-u/ qui remplit la même fonction dans les mots d’emprunts de genre masculin dans ce système linguistique (AM). Cependant, comme celui-ci ne connaît qu’un genre morphologique et comme le masculin y porte en lui-même le trait de sexe, on s’est posé la question sur l’origine du phonème final /-u/ dont se sert l’AM pour exprimer le mascu- lin. Les repères historiques permettent de se faire une idée de l’influence considérable de la langue romane (le castillan) sur l’arabe marocain durant des siècles et des siècles. En effet, ce trait de donner aux mots d’emprunt d’origine française un aspect morphologique de l’hispanisation par /-u/ final, à tel point que leur provenance nous semble espagnole, est dû à l’influence de la langue romane dont la présence est antérieure sur le territoire marocain.

Le point de vue phonématique, quant à lui, présuppose que les modifications que subit la structure phonématique des lexèmes sont dues essentiellement à la charpente consonantique et la place psychologique qu’occupe l’élément phonique "consonne" dans les habitudes articula-

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toires relatives aux moules dialectaux des arabophones Marocains. Ainsi, un glissement phono- logique tel que le passage de la labiodentale /v/ des lexèmes romans à la bilabiale arabe /b/ est un fait normal en AM auquel le phonème /v/ est étranger. De même, dans un lexème d’emprunt qui présente une riche variété de voyelles, le dépouillement des voyelles semble une étape pri- mordiale dans le processus d’accommodation du terme nouveau vu que le système vocalique de l’AM n’a, pour ainsi dire, que trois timbres et quelques diphtongues composées de timbres fon- damentaux.

En définitive, on peut conclure que dans le cas de contact de deux langues, aucune ne prend le relais sur l’autre, il y a plutôt toute une complémentarité confectionnée par diverses contributions mutuelles. Ainsi, si la langue prêteuse (FR) procure à la langue emprunteuse (AM) des matériaux lexicaux, qu’ils soient des lexèmes simples ou composés, pour exprimer des valeurs sémantiques pour lesquelles ce dernier ne disposait pas auparavant de signifiants ou pour lesquelles les signifiants ne recouvraient que de manière imparfaite les nouveaux signifiés, la langue emprunteuse, quant à elle, prescrit ses règles morpho-phonologiques aux lexèmes is- sus de la langue prêteuse, à tel point que celle-ci doit renoncer à son intégrité et intégralité.

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ANNEXES

Symboles phoniques Nature phonologique Phonème AM

/ʡ/ Coup de glotte (glottale) أ

/x/ Spirante vélaire sourde. خ

/q/ Palatale emphatique (coup de glotte). ق

/ɤ/ Spirante vélaire sourde. غ

/ɛ/ Laryngale spirante sourde. ع

/g/ Occlusive palatale sonore. ڭ

/š/ Spirante cacuminale sourde. ش

/ʒ/ Spirante cacuminale sonore. ج

/s/ Spirante dentale sourde. س

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Sifflante emphatique. ص

/z/ Spirante dentale sonore. ز

/t/ Occlusive dentale sourde. ت

/d/ Occlusive dentale sonore د

/đ/ Occlusive dentale sonore emphatique. ض

/ŧ/ Dentale emphatique ط

/b/ Occlusive bilabiale sonore. ب

/m/ Nasale labiale. م

/n/ Nasale dentale. ن

/r/ latérale vibrante sonore. ر

/l/ Vibrante linguale latérale. ل

/w/ Voyelle postérieure arrondie prononcée -wa devant une و consonne normale et /u/ après une consonne normale.

/y/ Voyelle antérieure étirée prononcée -ya devant une ي consonne normale et /-i/ après une consonne normale.

/a/ Voyelle brève arrière-ouverte-orale

/e/ Voyelle brève arrière mi-ouverte (en syllabe brève) /i/ Voyelle brève arrière-fermée-orale

/u/ Voyelle brève arrière-arrondie-orale-fermée

/ə/ Le chewa, voyelle neutre qui s’emploie pour séparer l’usage de trois consonnes successives.

/a:/ Voyelle longue arrière-étirée-orale-ouverte

/i:/ Voyelle longue arrière-étirée-orale fermée /u:/ Voyelle longue avant-arrondie-orale fermée

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