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Composer avec le deuil par suicide : la richesse d’un savoir tacite -

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Academic year: 2022

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Intervenir auprès des personnes endeuillées par suicide à partir de deux postulats, soit que chaque deuil est singulier et que la grande majorité des endeuillés prend la voie de la résilience face au deuil, tel est le défi que nous nous sommes donnés au CPSL depuis quelques années. C’est un choix plus challengeant qu’il n’y parait puisque les modèles d’intervention qui se basent sur ces idées sont plutôt rares. L’intervention auprès des endeuillés est presque invariablement inspirée de processus de deuil en étapes, ce qui sous-tend l’idée que tout le monde doit plus ou moins traverser ces étapes. Les modèles d’intervention ont très souvent pour objectif d’éviter les complications liées au deuil, sous-entendant que si un deuil n’est pas fait tel qu’il doit l’être, cela peut causer des pathologies.

Sans entrer en détail dans les données existantes, plusieurs recherches récentes et rigoureuses

démontrent que les étapes de deuil n’existent pas et que les pathologies causées par un deuil qui serait « mal fait » sont peu probables1. Ces nouvelles connaissances ont toutefois de la difficulté à se traduire en pratiques concrètes. Avec l’aide de Brigitte Lavoie, le CPSL s’est donc attaqué à cette difficulté en explorant différents moyens ayant pour objectif de soutenir la résilience des adultes et des enfants endeuillés par suicide.

La résilience : c’est quoi donc?

Je vous épargnerai la revue de littérature, mais il n’y a pas encore de consensus sur la définition du concept de résilience. Au CPSL, nous avons adopté une

définition qui soutient que la résilience est un processus déclenché par une épreuve et qui résultera en une augmentation des ressources de la personne ou de la famille, dans le cas de la résilience familiale. La

résilience ici n’est pas uniquement l’absence de trouble de santé mentale, c’est plutôt une amélioration de l’état

à travers l’adaptation à la nouvelle situation. En situation de deuil, les changements sont inévitables. L’idée ici est donc d’accompagner les endeuillés dans ces

changements afin que ceux-ci aillent dans la direction qu’ils souhaitent.

L’approche orientée vers les solutions (AOS) auprès des endeuillés?

Il allait de soi pour le CPSL d’utiliser l’approche orientée vers les solutions (AOS) pour soutenir la résilience. C’est une approche sur mesure pour travailler à partir des postulats que chaque deuil est singulier et que la résilience est le phénomène le plus probable. Cette approche nous permet d’accompagner sans s’appuyer sur une théorie du problème et sans idée préconçue de ce qui devrait être fait pour aller mieux. Les deux principes de base de l’AOS qui me sont les plus utiles pour soutenir les intervenantes dans leur travail auprès des endeuillés sont 1) le principe de construction de solutions et 2) le principe qui suppose que les comportements de solutions sont déjà dans les ressources de l’endeuillé.

La construction de solutions et la posture d’apprenti

Construire des solutions, ce n’est pas résoudre un problème. Déjà, à la base, le deuil n’est pas un problème puisqu’en soi, il est sans solution. Ce qui cause le deuil est la mort et la mort est inévitable. Le deuil n’est donc qu’un fait de la vie. On pourrait ainsi dire qu’il serait vain d’aller à la source du problème dans l’espoir de le résoudre. Mais dans son quotidien,

l’endeuillé qui consulte fait néanmoins face à une situation qu’il considère souffrante et qu’il aspire à améliorer, sans savoir comment y arriver. C’est ici que la coconstruction avec un intervenant, ou avec d’autres endeuillés en contexte d’entraide, est extrêmement Eveline Laurin est coordonnatrice clinique et formatrice en prévention du suicide au Centre de prévention du suicide de Lanaudière (CPSL) depuis 2001. Elle poursuit sa maîtrise en travail social où son projet de

recherche porte sur le deuil. Le CPSL est un organisme communautaire autonome avec une large mission en prévention du suicide dans Lanaudière. Il offre, entre autres, de l’intervention téléphonique et de

l’accompagnement de groupe auprès des adultes ainsi qu’un groupe pour les enfants et leur famille.

Composer avec le deuil par suicide : la richesse d’un savoir tacite - Eveline Laurin

© Eveline Laurin, CPSL 1

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intéressante. L’endeuillé est face à un événement singulier et complexe : chaque deuil est du jamais-vu et un nombre d’éléments incalculable viennent influencer comment ce sera vécu par la personne ou par la famille.

Utiliser un modèle préconçu pour savoir quoi faire reviendrait inévitablement à sursimplifier et

probablement à passer à côté de ce qui est si singulier dans la situation.

Chaque endeuillé a sa propre théorie sur ce qui lui arrive. Cette théorie est ancrée dans son vécu, dans son histoire, dans son époque, ce qui la rend extrêmement riche. À titre d’exemple, je voudrais parler d’Alex (nom fictif), 11 ans, dont le père est décédé par suicide. Alex avait sa propre théorie sur ce qui était arrivé à son père : il avait attrapé la folie. Aucun adulte ne lui avait dit une telle chose. Alex a conclu ceci de manière autonome. Il aurait été tentant ici de recadrer : la folie ne s’attrape pas. Nous avons plutôt adopté la posture d’apprenti en nous intéressant à sa théorie. Nous avons ainsi appris que la folie ne s’attrape pas comme le rhume, qu’il faut faire toutes sortes de choses bizarres pour l’attraper.

Alex ne voyait personne dans son entourage qui faisait ces choses-là. Alex ne pensait pas qu’attraper la folie pourrait lui arriver non plus.

Cette théorie était apaisante et rassurante sans causer de tort. C’est en posant des questions avec une sincère curiosité que nous avons eu accès à cette connaissance.

Et c’est avec beaucoup d’humilité qu’il a fallu accepter que notre théorie pouvait peut-être nuire à la façon très efficace qu’Alex avait de composer avec le suicide de son père à ce moment-là de sa vie.

Trouver ce qu’on ne sait pas qu’on sait avec les forces signatures

Le deuxième principe qui nous est cher est celui concernant les comportements de solutions qui sont présents chez la personne. Évidemment, ils peuvent être difficiles à trouver : si c’était facile à trouver, l’endeuillé ne viendrait probablement pas chercher du soutien.

Pour aider dans cette recherche, nous avons pris l’habitude d’aborder les forces signatures avec les endeuillés, concept développé par Martin Seligman.

Sans en faire une présentation théorique complexe, les intervenantes expliquent que chaque personne a sa propre façon de vivre son deuil et que chacun a ses forces qui lui sont utiles pour s’adapter à cette nouvelle réalité. Certains endeuillés décident de faire le long test

proposé sur le site Via Institute on Character alors que d’autres sont satisfaits en choisissant les cinq forces qui leur ressemblent le plus dans la liste qui leur est présentée par l’intervenante2. L’intérêt n’est pas d’avoir une vérité objective, si une telle chose existe, dans la liste des forces. Ce qui importe, c’est que les forces aient du sens pour l’endeuillé.

Une fois ces forces mises en lumière, elles deviennent des points de repère sur la façon d’écouter l’histoire de l’endeuillé ou sur la façon de raconter l’histoire. Il arrive fréquemment que nous suggérions aux endeuillés de regarder leur récit sous l’angle de telle ou telle force signature. Lorsqu’ils sont face à une situation qui ne leur convient pas, nous pouvons faire appel aux forces signatures pour imaginer ce que l’endeuillé ferait si telle force ou telle autre était mise de l’avant dans la situation.

Pour le futur, nous les aidons à imaginer ce que pourrait avoir l’air ce futur sans l’être aimé si leurs forces

signatures s’exprimaient à leur plein potentiel. Ainsi, nous mettons clairement en lumière les ressources de l’endeuillé, ce qui soutient la résilience, sans brimer le désir ou le besoin de s’exprimer par rapport à son deuil.

Au contraire, cette façon de faire fait un grand bien aux endeuillés qui en viennent à constater qu’ils sont compétents face à cette nouvelle situation.

Chaque humain a son propre système complexe et singulier pour composer avec le deuil. Et les humains sont majoritairement parfaitement constitués pour s’adapter à la situation, même quand le deuil survient dans des conditions inédites comme actuellement. Ceci ne veut pas dire que ce ne soit pas difficile et qu’il n’y a jamais de complication. Composer avec le deuil fait partie du savoir tacite que toute personne détient. Et la particularité du savoir tacite est que nous ne savons pas que nous savons. C’est là que le soutien devient

précieux : mettre des mots sur le savoir tacite contribue à pouvoir l’utiliser consciemment pour que les

changements inévitables liés au deuil aillent dans une direction qui nous ressemble

1. Bonanno, G. A. (2011). De l’autre côté de la tristesse.

Québec : Dauphin Blanc inc.

2. https://www.viacharacter.org/survey/account/register

© Eveline Laurin, CPSL 2

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