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Les émotions dans la Bible 5 : Joie et humour

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Academic year: 2022

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Les émotions dans la Bible 5 : Joie et humour

La joie est une émotion qu’on appelle « positive » parce qu’elle est à la source du « bonheur » qui est, lui, un sentiment (1).

Mais en réalité toute émotion est « positive » en ce sens qu’elle remplit une fonction essentielle d’équilibre intérieur et d’adaptation à l’environnement. Si la honte, la peur, la colère, la tristesse, le dégoût (2) nous protègent en signalant des limites à respecter et amènent comme à une fermeture, la joie, au contraire, nous ouvre. La joie est le signe manifesté de besoins comblés. Elle est aussi une émotion qui rend plus disponible aux besoins des autres.

Elle se manifeste par le rire, qui peut être un éclat (comme un cri provoqué par la colère, la peur ou la surprise) et aussi le sourire : les yeux et la bouche s’ouvrent, activés par tous les muscles qui les entourent. L’un d’eux, autour des yeux, ne peut être commandé volontairement, ce qui fait la différence perceptible entre un sourire commandé et un sourire spontané ! Chez les enfants surtout, elle se traduit aussi par des sautillements, des cris. Le bonheur qui en résulte fait chanter ! La joie s’exprime d’autant plus fortement qu’elle succède à une période de peur, d’efforts, de souffrance ou de séparation : elle peut alors produire des larmes lors de réussite, de guérison, de retrouvailles qui marquent la fin d’une tristesse.

Un plus créatif

La joie, comme toute émotion, exté-riorise de l’intimité (ce qui peut pousser à rester distant), mais c’est généralement plus facile à vivre qu’avec les autres émotions qui sont injustement connotées comme des marques de faiblesse.

La joie peut se manifester par de l’excitation et gêner les autres. Rien de plus destructeur que de juger, dévaloriser ces manifestations (ce qui va handicaper de nombreux adultes) alors qu’il est possible d’exprimer notre dérangement : à émotion, émotion et demie !

Les chercheurs ont pu montrer que la joie et le sentiment de bonheur permettent à ceux qui les vivent d’être beaucoup plus créatifs, plus coopératifs, plus aptes à prendre des décisions, plus hardis, plus attentifs aux autres (3). Cela a des conséquences très importantes pour tout ce qui concerne la pédagogie et les conditions de travail. Un climat de sécurité, un environnement agréable et des signes de reconnaissance et d’amour vont favoriser la joie, la sensation de bonheur, un épanouissement des individus et une vie en collectivité plus riche. D’une façon générale, la joie est la manifestation des besoins comblés et rend plus disponible pour répondre aux besoins des autres (4).

L’humour, traduction intériorisée de la joie, permet de rire avec ; l’ironie, par contre, qui est la forme violente de l’humour, revient à rire et faire rire sur les autres, comme la moquerie.

La joie et la venue du Royaume

« Joie »(5) est un terme essentiel dans le livre d’Esaïe (autant que dans les Psaumes !) comme « jubilation ». Employées pour exprimer qu’elles ont disparu à cause de l’infidélité à YHWH (Es 16,10), pour stigmatiser l’insouciance du peuple (22,13), elles vont revenir avec le salut (9,2 ; 14,7 ; 29,19 ; 35,10). Ce thème prendra une très grande ampleur chez le deuxième (Es 51,3) et le troisième Esaïe (55,12 ; Es 60,15). C’est donc cette école qui a le plus développé ce thème de la joie en lien avec le salut. Dans les Psaumes, la joie, la jubilation sont la marque des croyants, des justes (68,4), de ceux qui obéissent à YHWH (119,4), bref de la proximité avec lui (Ps 16,11).

Manifestation de la joie, le rire se retrouve évoqué essentiellement dans l’histoire d’Abraham, Sarah et de leur fils Issac (sans doute parce que les prénoms de deux derniers sont homonymes du verbe « rire »). Esaïe est encore le livre dans lequel on retrouve le plus le mot « louange », expression de la joie reconnaissante, à égalité avec les Psaumes. Nulle part il n’est question de la joie de YHWH (seul Néhémie l’évoque avec un autre terme : « La joie de YHWH, c’est elle qui est votre

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force », 8,10). Par contre, il est question de sa moquerie (Ps 2,4 ; 37,13 et 59,9) !

Luc, Jean et Paul sont les plus grands utilisateurs du mot « joie » et de ses dérivés. Pour Luc, la joie est provoquée par la « bonne nouvelle » (2,10), les miracles (10,17) et la croissance de l’Eglise (Ac 15,3). Joie et Saint-Esprit cohabitent (13,52).

Chez Jean, elle est très liée à la connaissance du Christ ressuscité (15,11) et elle devient un état intérieur de plénitude permanente (16,22 ; 17,13) (6). Chez Matthieu, dans la suite d’Esaïe, elle est très liée à l’avènement du Royaume (Mt 13,44

; 25,21) et l’écoute de la Parole (13,20). Paul pourrait être considéré comme « charismatique » tant il exprime de joie : malgré les persécutions et ses échecs (2 Co 7,4 ; 8,2), joie, espérance et Règne de Dieu sont associés (Rm 14,17 ; 15,13).

C’est chez Luc et Paul que le verbe « se réjouir » est le plus souvent employé comme manifestation de la nouvelle réalité ! Nulle part il n’est question de la joie de Jésus, ni de son rire (7). On peut pourtant trouver des traces de son humour (8).

Que ce soit à propos du chameau (ou de la corde, c’est le même mot en hébreu) qu’il est aisé de passer dans le trou d’une aiguille, des deux milles parcourus si on en demande un seul (les Romains ne pouvaient réquisitionner pour porter des charges que sur un mille, après ils étaient dans l’illégalité !), de la poutre et la paille dans l’œil, de l’impôt dû à César, de l’interpellation de la « femme adultère » (« Femme, personne ne t’a condamnée ? »), de son refus de répondre aux questions de ses adversaires (Mc 11,28)…

***

(1). L’émotion est une réaction spontanée, qui dure très peu de temps : elle est le fait de tous les mammifères. Le sentiment s’inscrit dans la durée et associe des représentations du néocortex, il appartient au seul monde des humains.

Voir Antonio R. Damasio, L’erreur de Descartes. La raison des émotions, éd. Odile Jacob, 1995.

(2). Je compte aussi le dégoût et la surprise comme des émotions.

(3). Daniel Goleman, L’intelligence émotionnelle. Comment transformer ses émotions en intelligence, Robert Laffont, 1997.

(4). J’entends par « besoins » non seulement les besoins physiologiques comme la faim, le repos, la sexualité, le territoire, mais aussi les besoins psychologiques comme l’amour, la reconnaissance, la sécurité, l’autonomie, les repères et la créativité-transcendance. Frustrés, ces besoins engendrent des peurs respectivement d’abandon-perte, de rejet, d’envahissement-agression, de contrôle, de perte de repère/sens et d’aliénation. La satisfaction de ces besoins universels est à l’origine de la motivation. Les envies, par contre, sont des dérivés du désir (mimétique) : j’ai besoin de manger et j’ai envie de frites !

(5). La racine du mot « joie » vient de « briller » et a donné le mot « grâce », « charisme » (don, bienfait) donc charité, et aussi « reconnaissance », qui se dit « eucharistias » qui a donné « eucharistie ».

(6). Voir Lytta Basset, La joie imprenable, Labor et Fides, 1998.

(7). « Jésus, lui qui, renonçant à la joie qui lui revenait, endura la croix au mépris de la honte. » (He 12,2).

(8). André de Peretti, L’humour du Christ dans les évangiles, Cerf, 2004. Voir aussi Eric Edelmann, Jésus parlait araméen, éd. du Relié, 2000.

Une décennie pour vaincre la violence

Une décennie pour vaincre la violence…

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Nous arrivons à la fin de l’année 2010. Nous arrivons à la fin de la décennie « Vaincre la violence », proposée à l’initiative du Conseil Œcuménique des Eglises (COE).

Alors, l’avons-nous vaincue, cette violence ?

En invitant les Eglises à renoncer à toute justification théologique de la violence, en réaffirmant l’utilité d’une non-violence active en écho aux propositions des évangiles, et en créant une nouvelle conception de la sécurité par la coopération plutôt que par la domination, le COE replace toute la problématique dans une perspective de spiritualité.

N’est-ce pas là tout l’enjeu ? Car s’il paraît utopique de vaincre la violence en elle-même, le fait de la convertir (et je pèse mes mots !) dans le regard de la foi est le premier pas pour la désamorcer : dans le « package » de la foi* sont compris la crainte respectueuse de Dieu, l’amour et le respect de l’autre, le vivre ensemble, le pardon, le respect de la Création, etc.

qui sont des éléments perturbateurs de toute violence !

La violence est l’expression d’un ou plusieurs sentiments. Les sentiments ne sont pas négatifs, ils ne sont pas mauvais… Tout dépend de ce qu’on en fait ! Ainsi, passée à la moulinette de la foi, éclairée par la parole de Dieu, l’énergie de la violence peut devenir une énergie constructive et non plus destructrice.

« Vaincre la violence » ne veut sans doute pas dire l’éradiquer, style « Mission impossible », mais en faire une autre utilisation.

Ne pas la laisser naître, vivre et grandir pour elle-même.

Et si, tel le péché, elle se tapit souvent à notre porte, alors, dominons la !

En ce sens, « Vaincre la violence », c’est possible, mais ce n’est pas l’affaire d’une décennie, c’est l’affaire d’une vie, c’est l’affaire de chaque jour !

* Foi des chrétiens certainement, des autres grandes religions monothéistes et des philosophies orientales sans doute aussi…

Crédit : Patrick Baudet

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Voici que des mages venus d’Orient…

Copyright Illustration Jean-Marc Vercruysse

Arras, rue de la Taillerie, XVII sc. Colloque Graphé 2010

Tout commence avec beaucoup de certitudes, chez Matthieu.

Le premier chapitre ne nous présente t’il pas une généalogie inattaquable pour introduire la naissance de Jésus, déjà Christ et conçu du Saint-Esprit ?

Que de foi, que d’affirmations, que de convictions !

Ah, comme tout aurait été plus simple sans le chapitre deux …

Au chapitre deux, d’emblée, toute cette stabilité est fichue par terre par des mages venus d’Orient, des étrangers, des imprévus, avec leur question stupide : « Où est le roi des juifs ? » Z’auraient pas pu chercher en silence, z’auraient pas pu être plus discrets, non !?! …

Nous sommes-nous déjà interrogés pour savoir comment nous lirions les évangiles aujourd’hui sans ce passage délicat et cette allusion unique aux mages venus d’Orient ?

Au centre ‘géographique’ du texte de 12 versets, à la fin du verset 6, se trouvent les mots « Israël, mon peuple », paroles de Dieu dans la bouche du prophète Michée (5 :1). Sans doute l’un des enjeux du texte, en contrepoids avec les origines orientales des mages et le pouvoir donné par Rome à Hérode.

Avant cette allusion centrale à Israël, peuple élu par Dieu, il est question à chaque phrase d’un roi, d’un messie, d’un chef…

Après, c’est le mot « enfant » qui ponctue presque tous les versets. L’humble incarnation, peut-être l’un des enjeux du texte…

Dans les deux cas, que ce soit au roi ou à l’enfant, il s’agit de lui rendre hommage, par trois fois. A l’évidence, un enjeu de plus dans ce texte.

Les mages, venus de l’est, des contrées païennes, nous sont présentés toujours en mouvement. Quand ils se croient presque arrivés, il leur faut encore marcher trois ou quatre heures ; et quand ils sont enfin à destination, il leur faut repartir par un autre chemin ! Par contre, Hérode, tous les grands prêtres et tous les scribes du peuple, tous ceux là qui sont sensés savoir, qui sont sensés y croire… Que font-ils ? Eh bien, ils restent sur place, ils se cantonnent à Jérusalem et surtout ne bougent pas ! Mouvement ou immobilisme, serait-ce là l’un des multiples enjeux du texte ?

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Les connaissances des prêtres génèrent chez eux la peur et la passivité : ils lisent les Ecritures, certes, mais sans faire attention aux signes présents. Alors que la science des mages, attentifs à l’astre conducteur et enrichis des Ecritures, leur fait découvrir un monde nouveau. L’un des enjeux du texte, encore ?

Nul doute qu’armés de crayons de couleurs et de quelques photocopies du texte en grec et dans différentes traductions françaises, nous pourrions jouer des heures avec les mots et les messages contenus dans cet épisode. Vous connaissez peut-être cette technique dite « narrative1» qui découvre les trésors laissés dans les mots par les auteurs bibliques ? Car il s’agit bien, dans certains textes, comme dans ce chapitre deux de Matthieu, d’un trésor: un véritable travail d’orfèvrerie littéraire !

Notre texte, posé en équilibre sur le point central « Israël, mon peuple », nous présente deux attitudes bien différentes : celle du verset trois (trois versets après le début) où Hérode est troublé, et tout Jérusalem avec lui, … et celle du verset dix (trois versets avant la fin ! Hasard, vraiment ?) qui nous décrit la très grande joie des mages à la vue de l’astre…

En ces temps d’Epiphanie2 , l’évangéliste nous interpelle: à qui nous identifierons-nous ?

Serons-nous troublés et cloués au sol par nos certitudes ou emportés vers de nouveaux horizons par la joie de la découverte ?

Et derrière quelle sorte de chef irons-nous paître ? Sommes-nous prêts à suivre l’humble enfant de la crèche ?

Pointkt nous invite à nous joindre à la troupe des mages curieux ! Vite, vite, en route, il est grand temps, car Jésus nous attend…!

1 A découvrir par exemple, dans Les cahiers évangile n°107 : « L’analyse narrative » Editions du Cerf.

2 Épiphanie : apparition, manifestation.

Les émotions de la Bible 3 : La colère

Suite de la nouvelle série de 6 articles écrits par Hervé OTT autour des émotions que la Bible évoque avec constance car elles nous parlent de Dieu et sont au cœur de notre condition humaine. Ils sont publiés ici avec l’autorisation de www.reforme.net

Troisième d’entre elles : la colère

Elle peut conduire au pire, si elle n’est pas accueillie en soi sans la juger. Mais si elle est nommée, la colère peut se révéler porteuse d’énergie. Jésus différenciait la colère « contre » de la colère « pour».

Comme les autres émotions, la colère est universelle. Elle va se manifester différemment selon les cultures : chez nous, il est « normal » qu’un homme se mette en colère, alors que si c’est une femme on dira qu’elle est « hystérique » !

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Je suis énervé, mécontent, irrité, fâché, j’en ai marre, « ça me gonfle », je n’en peux plus (de me retenir !), je suis exaspéré, je suis en fureur, j’ai la haine… sont toutes des façons d’exprimer sa colère sans le dire.

Plus que les autres émotions, la colère est une énergie. C’est l’énergie mobilisée pour défendre un territoire, une identité, des valeurs (justice, liberté, etc.). Elle est la manifestation qu’en nous une limite a été atteinte, du moins qu’elle est menacée. Elle provoque un tonus musculaire, en particulier dans les bras et les poings, pour préparer la défense. La chaleur intérieure (ça bout !) provoquée par une accélération de l’oxygénation du corps (les rythmes respiratoire et cardiaque augmentent) se manifeste clairement sur le visage pour signaler aux autres que ça peut tourner mal. La colère prévient l’entourage que nous sommes prêts au combat. A cause de tout ce qui précède, on la confond facilement avec la violence et fait partie à ce titre des « sept péchés capitaux ».

Jaillissement d’énergie

Ce n’est pas la colère en tant que telle qui est violente, c’est ce qu’on y associe quand on refuse de l’accueillir en soi comme émotion, comme alarme qu’une limite est menacée. Alors on accuse l’autre d’avoir réveillé cette blessure, transgressé cette limite, on l’insulte, on le frappe. Et la soudaineté de ce jaillissement d’énergie est telle qu’elle peut, si nous ne nous sommes pas entraînés, tout emporter sur son passage, et en particulier notre capacité à prendre de la distance. C’est pourquoi elle joue un rôle très important dans tous les mouvements sociaux ou révolutionnaires : non canalisée, elle peut conduire au pire.

C’est souvent par peur de ne pas maîtriser cette énergie que nous la refoulons. Mais c’est cette peur qui la rend monstrueuse. Elle rejaillira froide et encore plus blessante, ou plus chaude, renforcée parce qu’accumulée. Ou elle se perdra dans la mémoire de nos cellules et finira un jour par se manifester sous forme de maladie, de « mal-à-dire » ! La colère qui nous épuise est une colère refoulée, qui retient son énergie. C’est l’effort produit pour la retenir qui nous épuise, par peur de ce qu’elle représente.

Derrière toute condamnation portée contre une personne, il y a une colère (ou une peur) cachée qui déclenche une autre colère et ainsi de suite. Quand je suis de la sorte accusé, autant dire : « Je sens que tu es très en colère et j’aimerais bien connaître ce qui la provoque. » Je peux l’avoir provoquée chez l’autre sans le vouloir, en réveillant une vieille blessure, en transgressant sans le savoir une règle implicite pour l’autre, ou en causant une réelle injustice sans m’en rendre compte.

Sans dialogue, la colère devient destructive.

Verbaliser la colère

La colère doit en effet être nommée comme telle. Si je dis à un enfant : « Je sens que tu n’es pas content » alors qu’il est en colère, je ne l’aide pas. Car une émotion, même un ressenti, est verbalisable positivement et sans négation : le cerveau limbique – le cerveau des émotions – est sourd aux négations ! Nommer le ressenti de l’autre est le meilleur service qu’on puisse lui rendre lorsqu’il en est submergé ou inconscient. On peut au moins dire : « J’ai l’impression que tu ressens de la…

».

Il se peut que sur une colère viennent immédiatement se coller une honte ou une peur, lesquelles refoulent l’énergie de la première et nourrissent le sentiment d’impuissance. Il faudra d’abord évacuer honte ou peur pour pouvoir retrouver l’énergie de la colère.

Lorsqu’on est en colère sans savoir comment l’exprimer, on peut s’en libérer en faisant plusieurs respirations ventrales profondes : l’énergie de la colère va se dissoudre. Pour se servir de cette énergie comme support à notre expression, il importe de bien l’accueillir en soi sans la juger.

Après une colère qui aurait débordé les règles de la politesse, mettre immédiatement des mots dessus, éviter de rester sur un non-dit : soit en s’excusant sans renier le fond du problème, soit en annonçant qu’on a besoin de prendre du recul pour en reparler.

Gandhi disait qu’il vaut mieux être violent que lâche. Au regard de la colère, je dirai qu’il vaut mieux exprimer sa colère que la fuir car, même maladroitement, elle permet de régénérer la relation. Et la sécurité ! Beaucoup d’enfants perturbés n’ont pas été confronté à la « saine » colère de leur parents, comme limite ultime qui témoigne de leur amour.

De la colère à la compassion

La colère est évoquée quatre fois plus souvent pour Dieu que pour les humains dans la Bible. Lorsqu’il se met en colère (on parle alors de son jugement), c’est parce que les humains ont trahi les règles de la relation et qu’il les confronte sans détour. La compassion prend alors immédiatement le pas sur la colère : Osée (11,8-9) est le premier prophète à avoir

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annoncé la fin de la colère de YHWH et développé le thème de sa compassion. C’est sans doute pourquoi elle est absente de la prédication de Jésus (sauf indirectement dans les paraboles). Mais pourquoi Paul et les apôtres en parlent-ils si souvent ? La question reste ouverte.

La première évocation de la colère concerne précisément la relation : Caïn est très irrité en raison du sacrifice refusé par YHWH. Mais, au lieu de lui crier sa colère, il s’en prend à son frère et le tue. En jouant au grand soumis à la volonté de YHWH malgré tout ce qui l’accable, Job tombe malade d’une inflammation (ça bout en lui !) puis dans la dépression. Et après, seulement, il se révolte… au grand dam de ses amis pieux ! Les psaumes, au contraire, sont pleins de colère, d’expressions de haine et d’appels à la vengeance : Dieu saura s’en débrouiller. Le fils aîné de la parabole, très en colère, répond vigoureusement à son père qui a tué le veau gras pour fêter le retour du fils perdu. Il se voit alors mis en face d’une réalité qu’il ignorait : la joie du père. Confronter l’Autre dont on se sent victime provoque ainsi un « recadrage », une sortie de la prison « souffrance » dans laquelle on s’est très vite enfermé.

La colère peut en effet conduire au meurtre si on ne met pas dessus les mots qu’il faut ! Jésus dit qu’il commence déjà avec l’injure, l’insulte (Mt 5,21-22). « Quiconque se mettra en colère contre son frère en répondra du tribunal. » C’est la colère « contre » que dénonce Jésus, celle qui emprisonne le fils et produit des condamnations, celle qui renonce à définir ce qu’elle défend, qui tait son origine, qui étouffe notre être. Jésus affirme en revanche la valeur de la colère « pour » la justice, le respect.

Hervé OTT

consultant et formateur en approche et transformation constructive des conflits.

À lire :

Sainte colère, Jacob, Job, Jésus vLytta Basset Labor et Fides, 2002.

L’intelligence du cœur Isabelle Filliozat J.-C. Lattès, 1997.

Les émotions dans la Bible 4 : La tristesse

Suite de la nouvelle série de 6 articles écrits par Hervé OTT autour des émotions que la Bible évoque avec constance car elles nous parlent de Dieu et sont au cœur de notre condition humaine. Ils sont publiés ici avec l’autorisation de www.reforme.net

Quatrième d’entre elles : la tritesse La tristesse

La tristesse est un sentiment dévalorisé. Elle est pourtant l’étape indispensable pour se reconstruire après une perte. Elle doit être accueillie, sous peine de se transformer en dépression.

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La tristesse est l’émotion de la perte, de la déception, de l’échec, de la séparation, du deuil. C’est une énergie tournée vers l’intérieur (à la différence de la colère, par exemple). Sur le visage, elle se manifeste par les sourcils qui prennent une position oblique, les rides du front qui se plissent en forme de fer à cheval, et un abaissement des commissures des lèvres.

Sans oublier bien sûr les larmes.

La tristesse sert d’abord d’étape de reconstruction dans les situations de perte. Dans le cas d’un deuil, le temps de la reconstruction peut prendre une bonne année. Sinon, elle nous aide à réfléchir sur nos erreurs et nous conduit à prendre du recul. Et à nous protéger des situations qui la provoquent, par anticipation. En outre, elle provoque la sympathie et l’indulgence des autres, leur compassion, et permet la réintégration dans le groupe. Ou bien elle peut servir à signifier le retrait dans un combat, un aveu de faiblesse.

Une émotion mimétique

Comme toutes les émotions, la tristesse doit être accueillie par soi-même, par les autres, lorsqu’elle surgit subitement, sinon elle va s’enfouir et, éventuellement mêlée à d’autres émotions, elle risque de se transformer en dépression. En effet, la tristesse peut être neutralisée par de la colère retournée contre soi-même, de la peur ou du dégoût : la dépression nous protége alors de ces autres émotions.

La tristesse, comme d’autres émotions, peut être vécue « par délégation » : tel enfant pleure « parce qu’il n’a pas connu son grand-père » aussi longtemps que l’un de ses parents, qui n’a pas épuisé la tristesse du deuil du père, n’arrive pas à pleurer. Elle est aussi très mimétique et souvent utilisée pour donner du pathos dans un film ou un roman. Notre culture influence grandement notre perception des émotions : un bébé garçon qui pleure est forcément « en colère », alors qu’un bébé fille est « triste » (1). En tant qu’adulte, la possibilité de pleurer en public sera diversement autorisée : il est quasiment impossible à une femme japonaise de pleurer en public.

C’est peut-être à cause de cette difficulté que, dans le pourtour méditerranéen en tout cas, il y avait des « pleureuses » lors des enterrements. Notre culture occidentale de l’autonomie dévalorise la tristesse, surtout chez les hommes. Elle cherche en outre à masquer les conséquences de la mort en proposant des services funéraires « clefs en mains ». Dans les cultures où la forme communautaire est plus prégnante, il est moins difficile d’exprimer sa tristesse devant les autres. Je me souviens d’adieux, lors de la fin d’une rencontre des jeunes de l’Eglise évangélique en Nouvelle-Calédonie : tous les adolescents, garçons et filles, étaient en larmes !

Une frustration d’amour

Accueillir sa tristesse, laisser couler les larmes, ça régénère, c’est une tension qui se relâche : tout le monde sait que, finalement, ça fait du bien de pleurer. Cela ne doit ni nous empêcher d’agir ni de -rechercher à provoquer des événements qui donnent de la joie. La joie est souvent perçue comme l’inverse de la tristesse (elle peut d’ailleurs aussi provoquer des larmes !). Mais on ne peut pas « opposer » les émotions. Dans le cas des personnes qui se sentent « victimes » et se lamentent sur leur sort, il est indispensable qu’elles aient recours à leur colère pour sortir de ce statut quelquefois confortable, prendre du recul et retrouver ainsi un état plus serein et de la joie.

Pour pouvoir accueillir la tristesse des autres, de ses enfants, de son conjoint, sans la juger, il est indispensable d’apprendre à accueillir la sienne sans condamnation : toute tristesse est légitime et, plus elle est refoulée, plus elle provoquera de la froideur voire de la colère, du dégoût ou de la peur. Bien -exprimée parce que bien accueillie, la tristesse ne risque pas de devenir un puits sans fond. Souvent le mari panique en voyant sa femme pleurer encore plus fort quand il lui manifeste de la tendresse, et finit par lui donner des conseils. Peine perdue. Quand l’énergie de la tristesse sera épuisée, la femme pourra remonter la pente sans peine ni conseil. L’homme, au contraire, se retire (dans sa caverne !) pour digérer, et lorsque qu’il en ressort serein, sa femme est frustrée de s’être sentie abandonnée alors qu’elle voulait lui donner de la tendresse !

L’antidote de la tristesse est, bien entendu, la « consolation » : prendre dans les bras revient à donner de l’affection, de la tendresse, de l’amour. En effet, toute manifestation de tristesse vient d’un vécu d’abandon, de séparation, de deuil qui résultent d’une frustration d’amour.

(1). Le sexe des émotions, A. Braconnier, Odile Jacob, 1996, p. 49ss.

Le Dieu de toute consolation

L’émotion « tristesse » n’est jamais attribuée directement à Dieu et, une seule fois, il est question de YHWH qui pleure (Es 16,9). Seul Jean (11,35) mentionne les pleurs de Jésus à la mort de Lazare. Par contre, seul Matthieu mentionne la tristesse de -Jésus à Gethsémanée (26,37). C’est dire combien cette émotion suppose de la retenue, voire de la pudeur. Dans le premier Testament on mentionne la manifestation de la tristesse comme les larmes (et les cris) lors d’un deuil – Abraham

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pleure la mort de Sarah –, de grandes retrouvailles – Esaü et Jacob, Joseph et ses frères –, d’une grande souffrance liée à une situation individuelle – Job – ou au malheur du peuple (Jr 3,31 ; 31,15 ; Es 15,3-4). Les pleurs font aussi partie de la confession des fautes, avec le jeûne, les lamentations (Jg 21,2 ; Jl 2,12) dont l’excès peut être l’objet de critiques (Ml 2,3).

Ainsi le salut qui est annoncé par les prophètes verra nécessairement la fin des larmes (Es 65,19 : « Désormais on n’entendra plus retentir ni pleurs ni cris. »). Dans le deuxième Testament, par contre, on évoque plus souvent la tristesse en tant que telle, comme émotion qui anticipe la mort (de Jésus, Mt 17,23), la perte de bien (Mt 19,22), la perte de reconnaissance (Jn 21,17) et comme état intérieur en général (souvent chez Paul).

Face à la tristesse, aux larmes, nous avons besoin de consolation, de réconfort, provoqués par la « compassion ». Dans le premier Testament on a le même mot pour exprimer :

1) regretter ou se repentir et compatir, 2) (se)consoler et

3) se venger, preuve qu’on ne sait pas encore bien distinguer ces différents sentiments !

C’est manifestement dans le deuxième et troisième livre d’Esaïe (et dans les Psaume : 23,4) qu’on trouve pour la première fois des messages de la consolation de YHWH : « Il en ira comme d’un homme que sa mère réconforte, c’est moi qui ainsi vous réconforterai. » (Es 66,13). Thème qui sera repris et très amplifié par Paul, au point d’écrire un « hymne à la consolation » (2 Co 1,3ss) : « Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation. » Ici, comme déjà chez Esaïe, paternité, consolation et compassion sont un tout.

Hervé OTT

consultant et formateur en approche et transformation constructive des conflits.

Une décennie pour vaincre la violence…

Nous arrivons à la fin de la décennie « Vaincre la violence », proposée à l’initiative du Conseil Œcuménique des Eglises (COE).

Alors, l’avons-nous vaincue, cette violence ? En invitant les Eglises à renoncer à toute justification théologique de la violence, en réaffirmant l’utilité d’une non-violence active en écho aux propositions des évangiles, et en créant une nouvelle conception de la sécurité par la coopération plutôt que par la domination, le COE replace toute la problématique dans une perspective de spiritualité.

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N’est-ce pas là tout l’enjeu ? Car s’il paraît utopique de vaincre la violence en elle-même, le fait de la convertir (et je pèse mes mots !) dans le regard de la foi est le premier pas pour la désamorcer : dans le « package » de la foi* sont compris la crainte respectueuse de Dieu, l’amour et le respect de l’autre, le vivre ensemble, le pardon, le respect de la Création, etc.

qui sont des éléments perturbateurs de toute violence !

La violence est l’expression d’un ou plusieurs sentiments. Les sentiments ne sont pas négatifs, ils ne sont pas mauvais…

Tout dépend de ce qu’on en fait ! Ainsi, passée à la moulinette de la foi, éclairée par la parole de Dieu, l’énergie de la violence peut devenir une énergie constructive et non plus destructrice.

« Vaincre la violence » ne veut sans doute pas dire l’éradiquer, style « Mission impossible », mais en faire une autre utilisation.

Ne pas la laisser naître, vivre et grandir pour elle-même.

Et si, tel le péché, elle se tapit souvent à notre porte, alors, dominons la !

En ce sens, « Vaincre la violence », c’est possible, mais ce n’est pas l’affaire d’une décennie, c’est l’affaire d’une vie, c’est l’affaire de chaque jour !

* Foi des chrétiens certainement, des autres grandes religions monothéistes et des philosophies orientales sans doute aussi… T

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