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Arrêt "Hakelbracht": droit de la non-discrimination et protection effective contre les mesures de rétorsion émanant de l'employeur

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I Journal de droit européen I 2019

Commentaires

Arrêt « Hakelbracht » : droit de la non-discrimination

et protection effective contre les mesures

de rétorsion émanant de l’employeur

Romain Mertens

(*)

...

La protection contre les mesures de rétorsion émanant de l’employeur s’étend à tous les travailleurs qui interviennent

en faveur d’un autre travailleur, victime de discrimination, de manière formelle ou informelle

Les exigences formelles qui restreignent la protection contre les mesures de rétorsion sont contraires au principe de

...

protection juridictionnelle effective

Introduction

L’arrêt Hakelbracht1, prononcé le 20 juin 2019 par la Cour de jus-tice de l’Union européenne (ci-après la « Cour »), souligne le rôle joué par tous les travailleurs dans la lutte contre les discrimina-tions. Il concerne la protection des travailleurs qui viennent en aide à une victime de discrimination fondée sur le sexe contre des me-sures de rétorsion prises par l’employeur. D’une part, la Cour considère que les exigences formelles posées par la loi belge à cet égard vont à l’encontre de la directive 2006/54/CE2(1). D’autre part, elle rattache sa décision au principe de protection ju-ridictionnelle effective, ce qui n’est pas sans conséquence (2). Ce-pendant, l’arrêt laisse en suspens quelques questions (3).

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La protection contre les mesures

de rétorsion ne peut être

subordonnée à des exigences

formelles

Dans l’affaire examinée, Jamina Hakelbracht passe un entretien d’embauche auprès de Tine Vandenbon, employée et gérante d’un magasin de la société WTG Retail, lors duquel elle signale être enceinte de trois mois. Madame Vandenbon indique avoir trouvé en Madame Hakelbracht une candidate adéquate pour le poste à pourvoir, mais WTG Retail lui répond, par courriel, qu’elle ne souhaite pas engager ladite candidate en raison de sa gros-sesse. Bien que la gérante ait indiqué par courriel à WTG Retail qu’une telle décision serait illégale, ladite société a confirmé son refus, pour le même motif. Ultérieurement, Madame Vandenbon a indiqué à Madame Hakelbracht que sa candidature n’avait pas été retenue en raison de sa grossesse. En réaction, Jamina Ha-kelbracht décide de porter plainte pour discrimination. Quelques mois plus tard, la gérante est licenciée par WTG Retail. Dans le cadre du litige afférent à ce licenciement, elle se prévaut de la protection légale contre les mesures de rétorsion prises par l’em-ployeur, en faisant valoir qu’elle est intervenue en tant que témoin

dans l’instruction de la plainte introduite par Madame Hakel-bracht.

En vertu de l’article 22, § 1er, de la loi dite « genre »3, lorsqu’une plainte est introduite par ou au bénéfice d’une personne en raison d’une violation de ladite loi (notamment en cas de discrimination fondée sur le sexe, dans le domaine des relations de travail), l’em-ployeur ne peut adopter une mesure préjudiciable à l’encontre de cette personne, sauf pour des motifs qui sont étrangers à cette plainte. Selon l’article 22, § 9, de cette même loi, cette protection s’applique également aux personnes qui, dans le cadre de l’ins-truction d’une plainte, font connaître à la personne auprès de qui la plainte a été introduite, dans un document daté et signé, les faits qu’elles ont elles-mêmes vus ou entendus et qui sont en relation avec la situation qui fait l’objet de la plainte, ainsi qu’aux per-sonnes qui interviennent en tant que témoins en justice.

Cependant, la juridiction saisie (le tribunal du travail d’Anvers) émet des doutes quant à l’applicabilité de la protection contre les rétorsions en l’espèce, puisque la gérante n’est en mesure de pro-duire que des courriels à l’appui de ses allégations, et non un té-moignage « daté et signé ». L’une des exigences formelles impo-sées par la loi « genre » n’est donc pas remplie.

Ledit tribunal interroge donc la Cour sur le point de savoir si de telles exigences formelles sont conformes à l’article 24 de la direc-tive 2006/54/CE, qui prévoit que les États membres doivent adop-ter les mesures nécessaires « pour protéger les travailleurs, y compris leurs représentants, contre tout licenciement ou tout autre traitement défavorable par l’employeur en réaction à une plainte formulée au niveau de l’entreprise ou à une action en justice vi-sant à faire respecter le principe de l’égalité de traitement ». La Cour souligne que le libellé de l’article 24 de ladite directive est particulièrement large et qu’il doit englober « tous les travailleurs susceptibles de faire l’objet de mesures de rétorsion prises par l’employeur en réaction à une plainte déposée au titre d’une discri-mination fondée sur le sexe, sans que cette catégorie soit par ail-leurs délimitée ». La Cour précise que ledit article ne limite pas la protection aux seuls travailleurs qui ont déposé plainte ou à leurs représentants, ni à ceux qui respectent certaines exigences for-melles conditionnant la reconnaissance d’un certain statut,

(*)Romain Mertens est assistant à la Faculté de droit de l’Université de Namur (Belgique).(1)Arrêt du 20 juin 2019, Hakelbracht, aff. C-404/18, EU:C:2019:523 (ci-après « l’arrêt commenté »).(2)Directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail.(3)Loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes, M.B., 30 mai 2007.

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comme celui de témoin, telles que celles prévues par la loi « genre »4. La Cour se réfère au considérant 32 de la directive, qui insiste sur le fait qu’un « travailleur défendant une personne proté-gée (...) ou témoignant en sa faveur devrait avoir droit à la même protection ». Le critère établi par la directive est donc de défendre ou de témoigner. Dès lors, l’article 22, § 9, de la loi belge mise en cause viole le droit de l’Union, puisqu’il ne respecte pas l’esprit de la directive, qui définit les travailleurs protégés « non pas à partir de critères formels, mais sur la base du rôle que ces travailleurs ont pu jouer au bénéfice de la personne protégée et qui a pu conduire l’employeur concerné à prendre des mesures défavo-rables à leur encontre »5.

Cette lecture de l’article 24 de la directive 2006/54/CE nous semble très pertinente, car nombre de travailleurs constatent des discriminations sur le lieu de travail, mais les victimes n’en sont pas forcément conscientes. Selon des chiffres datant de 2012, 17 % des travailleurs disaient avoir été victimes de discrimination ou harcèlement, tandis que 34 %, soit le double, affirmaient avoir été témoins de tels actes6. Pour que la lutte contre les discrimina-tions soit effective, il est impératif que les travailleurs puissent in-tervenir en faveur des personnes discriminées tout en étant pro-tégés à l’égard des risques de rétorsion de la part de leur em-ployeur.

Selon nous, la Cour aurait pu s’en tenir au raisonnement présenté ci-dessus et constater simplement que la loi belge était contraire à la directive sur cette base. Tel ne fut cependant pas le cas, comme nous le verrons ci-après.

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Le renfort de la protection

juridictionnelle effective

La Cour poursuit son raisonnement en se référant à l’article 17, paragraphe 1, de la directive 2006/54/CE, selon lequel les États membres veillent à ce que des procédures judiciaires visant à faire respecter les obligations découlant de ladite directive soient ac-cessibles à toutes les personnes qui s’estiment lésées par la non-application à leur égard du principe de l’égalité de traitement. La Cour rappelle que cet article est une application du principe de protection juridictionnelle effective, ancré dans les traditions constitutionnelles des États membres et la Convention euro-péenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés damentales, et réaffirmé à l’article 47 de la Charte des droits fon-damentaux de l’Union européenne7.

À cet égard, la Cour se réfère notamment à l’arrêt Coote8. Dans

cet arrêt déjà ancien, la Cour avait jugé que le principe de protec-tion juridicprotec-tionnelle effective « serait privé de l’essentiel de son ef-ficacité si la protection qu’il confère n’incluait pas les mesures [qu’un] employeur pourrait être amené à prendre en réaction à une action en justice engagée par un salarié »9pour faire respecter l’égalité de traitement. En d’autres termes, la Cour avait rattaché la protection contre les mesures de rétorsion au principe de pro-tection juridictionnelle effective. La Cour applique par analogie ce

raisonnement aux travailleurs ayant « de manière formelle ou in-formelle, pris la défense de la personne protégée ou témoigné en sa faveur »10. En effet, ceux-ci pourraient être dissuadés d’interve-nir en faveur de la personne protégée s’ils n’étaient pas eux-mêmes protégés contre d’éventuelles mesures de rétorsion de la part de l’employeur.

À notre sens, la mobilisation du principe de protection juridiction-nelle effective permet d’étendre la conclusion de la Cour à toutes les directives en matière de lutte contre les discriminations. En ef-fet, seule la directive 2006/54/CE comporte un considérant visant expressément les travailleurs « défendant une personne protégée (...) ou témoignant en sa faveur ». Toutefois, selon nous, le renvoi au principe de protection juridictionnelle effective permet d’étendre cette protection des travailleurs au-delà du champ d’ap-plication de la directive 2006/54/CE (à savoir la discrimination fon-dée sur le sexe en matière d’emploi et de travail) et de couvrir ainsi d’autres formes de discrimination (telles que celles prohibées, no-tamment, par la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, ou par la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique).

Si tel n’était pas le cas, l’on aboutirait à une aberration : il serait il-logique qu’un travailleur prenant la défense d’une victime de dis-crimination soit protégé lorsque la disdis-crimination alléguée est fon-dée sur le sexe et non lorsque celle-ci repose sur l’origine eth-nique, sur la religion ou sur le handicap.

En conséquence, le constat posé par la Cour dans l’arrêt com-menté vaut également pour les deux autres lois belges anti-discri-mination, qui prévoient des conditions formelles analogues à l’article 22, § 9, de la loi « genre »11. Quel que soit le motif de la

discrimination alléguée, les défenseurs des victimes de discrimi-nation ont donc droit à la même protection que ces dernières à l’égard d’éventuelles mesures de rétorsion de la part de leur em-ployeur.

Enfin, la Cour termine en soulignant que l’article 22, § 9, de la loi belge « n’énonce pas de simples règles procédurales ou proba-toires, mais tend, en tout cas également, à cerner la catégorie de travailleurs protégés contre les mesures de rétorsion d’une ma-nière plus restrictive »12que ce qui est prévu par la directive 2006/ 54/CE. En effet, les travailleurs, comme la gérante en cause, qui apportent une aide informelle aux victimes de discrimination sont exclus du bénéfice de la protection en droit belge.

La portée du principe de protection juridictionnelle effective affecte donc non seulement les règles d’ordre procédural (stricto sensu), mais aussi les dispositions de droit matériel adoptées par les États membres en matière d’égalité de traitement et de non-discrimina-tion. Ainsi, cet arrêt démontre les potentialités du principe de pro-tection juridictionnelle effective pour l’application du droit euro-péen de la non-discrimination, comme l’arrêt Pontin l’avait déjà mis en évidence13.

(4)Voy. points 27-28 de l’arrêt commenté.(5)Voy. point 29 de l’arrêt commenté.(6)A. Zorbas et G. Zorbas, « Réalité et ampleur du harcèlement et des risques psychosociaux », in Risques psychosociaux, harcèlement et violences au travail, Bruxelles, Larcier, 2016, p. 55.(7)Voy. point 32 de l’arrêt com-menté.(8)Arrêt du 22 septembre 1998, Coote, aff. C-185/97, EU:C:1998:424.(9)Voy. point 24 de l’arrêt Coote.(10)Voy. point 34 de l’arrêt commenté.

(11)Article 16, § 5, de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination ; article 14, § 5, de la loi du 30 juillet 1981 tendant à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie.(12)Voy. point 36 de l’arrêt.(13)Arrêt du 29 octobre 2009, Pontin, aff. C-63/08,

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Néanmoins, cet arrêt laisse certaines questions en suspens, que la jurisprudence devra clarifier.

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Des interrogations à résoudre

Une première question demeure sans réponse : quels sont les cri-tères utiles pour déterminer qu’un travailleur a défendu une vic-time de discrimination dans une situation donnée ? La Cour sera sans doute amenée à clarifier cette question. À notre sens, l’inter-prétation la plus apte à garantir une protection juridictionnelle ef-fective serait de protéger tout travailleur, dès lors qu’il fait l’objet d’une mesure de rétorsion, quelle que soit la nature de son impli-cation dans la défense de la victime présumée.

Ensuite, une deuxième question découle directement du libellé de l’article 24 de la directive 2006/54/CE, qui protège les travail-leurs contre une mesure de rétorsion prise « en réaction à une plainte formulée au niveau de l’entreprise ou à une action en justice ». Supposons, dans le cas présent, que Mme Hakelbracht

n’ait pas porté plainte, mais que l’entreprise ait malgré tout déci-dé de licencier la gérante en raison de sa prise de position. Ma-dame Vandenbon peut-elle bénéficier de la protection applicable alors que la mesure de rétorsion n’est pas adoptée en réaction à une plainte ?

Conclusion

En définitive, cet arrêt contribue à donner au droit de la non-discri-mination son plein effet, sous l’angle tant du droit matériel que des règles procédurales et probatoires. Tout travailleur qui apporte son soutien à la victime d’une discrimination prohibée, de manière for-melle ou inforfor-melle, est protégé contre les mesures de rétorsion. Dès lors, les États membres, et singulièrement leurs juridictions, ne peuvent refuser à un travailleur le bénéfice de la protection contre les rétorsions, au motif que l’aide qu’il aurait apportée ne répondrait pas à certaines exigences formelles. Pour justifier cette protection, la Cour s’appuie sur le principe de protection juridic-tionnelle effective, qui trouve ici une nouvelle application.

EU:C:2009:666.

Arrêt « Fashion ID » : qui est le « responsable

du traitement » des données sur un site Internet

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Peter Craddock

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...

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(*)L’auteur est avocat au barreau de Bruxelles et peut être contacté à l’adresse suivante : peter.craddock@nautadutilh.com.(1)Arrêt du 29 juillet 2019,

Fashion ID, aff. C-40/17, EU:C:2019:629 (ci-après « l’arrêt commenté »).

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