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Les résistances à la République dans le coeur de la Gascogne (Gers, Landes, Lot-et-Garonne) de 1870 à 1914

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Les résistances à la République dans le coeur de la

Gascogne (Gers, Landes, Lot-et-Garonne) de 1870 à 1914

Céline Piot

To cite this version:

Céline Piot. Les résistances à la République dans le coeur de la Gascogne (Gers, Landes, Lot-et-Garonne) de 1870 à 1914. Histoire. Université Michel de Montaigne - Bordeaux III, 2013. Français. �NNT : 2013BOR30043�. �tel-01147619�

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U

NIVERSITÉ

M

ICHEL DE

M

ONTAIGNE

B

ORDEAUX

3

École doctorale Montaigne Humanités (ED 480)

THÈSE DE DOCTORAT

EN HISTOIRE MODERNE ET CONTEMPORAINE

Les résistances à la République

dans le cœur de la Gascogne

(Gers, Landes, Lot-et-Garonne)

de 1870 à 1914

présentée et soutenue publiquement le 11 juillet 2013 par

Céline PIOT

Volume 1 : INTRODUCTION et PARTIE I

Sous la direction de M. le professeur Bernard LACHAISE

JURY

M. Bruno DUMONS,

directeur de recherches CNRS, Lyon (LARHRA).

M. Jérôme GRÉVY,

professeur d’histoire contemporaine, Université de Poitiers.

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Remerciements

Nous tenons en premier lieu à remercier notre directeur de thèse, Bernard Lachaise, qui, après avoir suivi notre DEA au cours de l’année scolaire 2004-2005, a accepté de diriger cette thèse de doctorat, ainsi que les enseignants qui ont bien voulu composer le jury, Guy Latry (Bordeaux 3), Jérôme Grévy (Poitiers) et Bruno Dumons (Lyon).

Nos remerciements s’adressent également à toutes les personnes qui, au cours d’échanges fructueux, nous ont apporté des informations ou des conseils fort judicieux, en dehors de notre directeur de thèse : Christian Amalvi (Montpellier III), Nicolas Champ (Bor-deaux 3), Gérard Cholvy (Montpellier III), Philippe Martel (Montpellier III), Éric Mension-Rigau (Paris IV), Rémy Pech (Toulouse II), Jean Sagnes (Perpignan), et, de nouveau, Bruno Dumons (Lyon).

Que soient également remerciés tous ceux qui nous ont ouvert leurs archives person-nelles : Alain Durey (arrière petit-fils de l’imprimeur et publiciste néracais Marcel Durey), Bernard Lanes et Catherine Théréné (arrières petits-enfants d’Armand Fallières), Madeleine Jogan (pour le fonds Théodore Denis), Olivier de Luppé (archives privées du vicomte Olivier de Luppé) ; ou permis la consultation en Archives départementales des fonds et/ou de la do-cumentation versés en nous ayant accordé une autorisation particulière : Mme de Kéraudren (descendante de Jean-Baptiste Darlan, fonds Bordes), Laurent Maurras (lecture de son TER de maîtrise), Gilbert Sourbadère (lecture de son DEA) et Richard Vassakos (lecture de son TER de maîtrise).

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Abréviations utilisées

AD32 : Archives départementales du Gers (Auch)

AD40 : Archives départementales des Landes (Mont-de-Marsan) AD47 : Archives départementales de Lot-et-Garonne (Agen) AM : Archives municipales

AN : Archives nationales (Paris)

APP : Archives de la Préfecture de Police (Paris) BM : Bibliothèque municipale

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Introduction générale

(7)

Introduction générale

« [La République], elle me tuera ou je la tuerai. » Paul de Cassagnac

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Introduction générale

P

uisque écrire l’Histoire est le résultat d’une mise en scène 1

– le récit historique

constituant « la mise en ordre des documents 2 » –, la sélection du corpus des sources est une

opération essentielle qui risque par conséquent de déterminer les conclusions.

De nombreux travaux – anciens ou même récents –, soit parce qu’ils se sont appuyés uniquement sur des études nationales, soit parce qu’ils ont véhiculé des affirmations généra-listes sans les avoir vérifiées à l’aune des données « locales », soit encore parce que les sources utilisées n’ont pas été assez diversifiées 3, tendent à prouver que les départements situés au cœur de la Gascogne, c’est-à-dire ceux du Gers, des Landes et du Lot-et-Garonne,

1 Paul Veyne ne dit-il pas : « L’Histoire est un roman, mais c’est un roman vrai » ?(in V

EYNE Paul, Comment on écrit l’Histoire. Essai d’épistémologie, Paris, Éditions du Seuil, 1971).

2

MARROU Henri-Irénée, De la connaissance historique, Paris, Éditions du Seuil, 1950, p. 56.

3

Par exemple, l’étude de Joseph Zapata (Les élections législatives en Lot-et-Garonne sous la IIIe République. Éléments d’analyse sociologique, thèse de 3e cycle, Université de Bordeaux I (Droit et Sciences Economiques),

1973) ou celle de Stéphane Baumont, Simone Caillaouze et PierrePolivka, (Armand Fallières (1841-1931). De Mézin à l’Élysée, Service Éducatif des Archives Départementales du Lot-et-Garonne, Recueil de documents, n°6, Agen, 1986) s’appuient essentiellement sur les résultats électoraux. Bertrand Joly n’annonce, pour le Lot-et-Garonne, qu’un seul comité boulangiste (JOLY Bertrand, Dictionnaire biographique et géographique du nationa-lisme français (1880-1900), Paris, Honoré Champion, 2005, p. 582), celui de Tonneins, alors que quatre, voire cinq comités – au moins – ont vu le jour dans ce département (à Marmande, Tonneins, Sainte-Bazeille, Nérac et Agen). Pour le Sud-Ouest, l’historien consacre, à juste titre, une place plus grande au boulangisme en Gironde, car ce courant politique a connu un grand succès à Bordeaux (JOLY Bertrand, Dictionnaire biographique et géo-graphique du nationalisme français (1880-1900), Paris, Honoré Champion [coll. « Champion Classiques »], 2005, p. 555-556). Mais force est de reconnaître qu’il a été également bien étudié et ce depuis les années soixante. Aussi, les différents comités boulangistes peuvent être facilement cités dans les ouvrages récents (alors que, pourtant, le nombre d’adhérents du comité républicain national fondé à Bordeaux a souvent fluctué en n’ayant même, à ses débuts, qu’une trentaine de membres et, qu’en tout, la ville n’a compté, apparemment, que trois comités qui, de surcroît, ont périclité aux lendemains des élections de l’été et l’automne 1889...). En Lot-et-Garonne, la concentration des comités boulangistes dans la partie occidentale de la vallée de la Garonne (trois) sur une distance d’à peine une vingtaine de kilomètres mérite tout de même d’être relevée et aurait pu mériter d’être considérée comme autant significative (ce qu’il nous faudra, bien évidemment, affiner dans la suite de ce travail) que la présence de trois comités dans une très grande ville. Mais les sources (nationales) que Bertrand Joly utilise ne les mentionnent pas…, d’où l’intérêt de multiplier les types de sources et de les confronter.

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Introduction générale

n’ont pas eu à subir de fortes résistances contre la République entre 1870 et 1914 ou que, quand crises il a pu y avoir, elles n’ont pas eu de répercussions aussi importantes que dans d’autres régions, dans tous les cas pas au point de faire basculer la République. Des conclu-sions d’historiens semblent l’attester : par exemple pour Bertrand Joly, « le département de

Lot-et-Garonne n’est ni boulangiste ni nationaliste 4 » ; pour Jean-Paul Jourdan « les extré-mismes n’ont qu’exceptionnellement fait fortune en Aquitaine entre 1871 et 1940. 5

»

Un rapide examen du tableau politique de ces trois départements montre en effet que les électeurs adhèrent progressivement et durablement aux idées républicaines, bien que le rythme soit différent d’une zone à l’autre. Mais doit-on se satisfaire de généralités ? Les Fran-çais, y compris ceux des départements concernés par notre étude, deviennent massivement républicains, notamment quand ils prennent conscience –essentiellement les paysans dont l’évolution du vote est décisive – que la République, en évitant à la fois le retour de l’Ancien Régime et la révolution collectiviste, peut protéger la propriété privée 6. Toutefois, ne doit-on s’appuyer que sur les seuls résultats électoraux pour permettre de définir la « couleur » poli-tique d’un territoire et la profondeur des contestations antirépublicaines ? Dans son article consacré aux « rouges » et aux « blancs » à l’échelle nationale, Jean-Louis Ormières met bien le Lot-et-Garonne au même rang que le Gard à propos de la réalité du conflit entre ces deux courants qui recouvre largement les divisions confessionnelles 7. Une étude plus spécifique, confrontant les sources nationales aux sources régionales et utilisant des documents de di-verses natures, confirmera-t-elle ou, au contraire, nuancera-t-elle, voire infirmera-t-elle, ce schéma d’une Gascogne précocement républicaine et peu encline aux résistances venues tant des conservateurs que de l’extrême gauche ?

De là découle l’intérêt renouvelé des historiens pour « l’histoire locale » amorcé depuis les années cinquante et surtout depuis le milieu des années soixante-dix. Bien que Jacques Rougerie ait souligné le risque de « départementalisation de l’histoire de France 8 », les

4 J

OLY, Dictionnaire biographique et géographique du nationalisme français…, op. cit., p. 582.

5 J

OURDAN Jean-Paul, « L’Aquitaine politique », in Équipe de Recherche en Histoire Politique Contemporaine, Députés et sénateurs de l’Aquitaine sous la IIIe République, 1870-1940 : portrait de groupe, Bordeaux, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 1995, p. 18-31, précisément p. 24.

6 Comme le rappelle le slogan régulièrement utilisé par les républicains : « ni réaction, ni révolution », épigraphe

du journal Le Républicain landais.

7 O

RMIÈRES Jean-Louis, « Les Rouges et les Blancs », in Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoires, Paris, Quarto Gallimard, 1997 [1984], t. 2 : La Nation – La France, p. 2395-2432, principalement p. 2399.

8 R

OUGERIE Jacques, « Faut-il départementaliser l’histoire de France ? », in Annales ESC, janvier/février 1966, p. 178-193.

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Introduction générale

grands travaux d’histoire locale « ne se sont pas contentés de vérifier localement les

hypo-thèses parisiennes, voire l’écho en province des grands événements de l’histoire de France. 9 » Au contraire, ils peuvent révéler la spécificité des perceptions politiques

régio-nales et suggérer les limites de l’histoire nationale telle que l’a définie Ernest Lavisse. L’histoire locale a aujourd’hui perdu son caractère suranné pour apparaître comme le lieu d’un renouvellement possible du questionnement historiographique ; quand bien même l’historien s’acharnerait à fouiller un territoire, non seulement « il n’en épuiserait pas la

signi-fication, tant l’échelle d’analyse dépend des questions que l’on se pose 10

», mais il pourrait

encore n’aboutir qu’à un tableau simplement didactique. Les résultats de l’enquête locale ou régionale doivent par conséquent être confrontés à ceux de la situation nationale et/ou de celle d’autres régions afin d’être mis en perspective pour pouvoir repérer si la région étudiée con-naît ou non des particularités, des spécificités propres.

Notre étude portesur trois départements de Gascogne, trois régions fortement rurales 11. Les limites géographiques voire linguistiques et sociologiques semblent ainsi d’emblée po-sées.

La situation est néanmoins plus complexe, car l’entité « Gascogne » est plus large que ces seuls trois départements (elle regroupe la zone allant des Pyrénées à la Garonne 12), et si le sud du Lot-et-Garonne est gascon, sa partie nord appartient, elle, à la Guyenne. Les dialectes usités y sont donc différents (gascon ou languedocien, chacun d’entre eux possédant de nom-breux sous-groupes), mais ils font tous partie de la langue occitane 13, appartenance qui est

9

VADELORGE Loïc, « Les affres de l’histoire locale, 1970-2000 », in Maryline Crivello, Patrick Garcia et Nico-las Offenstadt (dir.), Usages politiques du passé dans la France contemporaine. Concurrence des passés, Aix-en-Provence, PUP, 2006, p. 37-47, principalement p. 39.

10 Ibid., p. 47.

11 En 1851, même si l’ensemble de la France est également très rural, la part de la population rurale des trois

départements concernés par notre étude dépasse la moyenne nationale (qui est de 74,5%). Pour celui des Landes, elle est supérieure à 90% ; pour celle du Gers et du Lot-et-Garonne, elle est comprise entre 80 et 90%.

12 Quand, au

IVe siècle, Paulin de Bordeaux a parlé de Vasconia saltus, il n’a pensé qu’aux montagnes et aux forêts des Pyrénées occidentales où se sont cantonnés les Vascons. Cela a été seulement à la fin du VIe siècle, dans l’œuvre de Grégoire de Tours, que le nom de Vasconia, altéré en Gasconia, s’est appliqué pour la première fois à toute la partie de la Gaule comprise entre les Pyrénées, la Garonne et l’Océan. Au début du VIIe siècle, dans la chronique du pseudo-Frédégaire, Wasconia a donné Gasconha.

13 Le terme occitan et la notion d’Occitanie sont toutefois des créations modernes et un peu artificielles voire

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Introduction générale

revendiquée par de nombreux hommes politiques, du reste aussi bien conservateurs que répu-blicains. Cependant, la Garonne ne constitue pas véritablement une limite linguistique infran-chissable, car on parle également le gascon dans la région située au nord du fleuve depuis Port-Sainte-Marie jusqu’à Duras (et même jusqu’au département voisin de la Gironde). La situation est d’autant moins simple puisque même ceux qui emploient comme dialecte le lan-guedocien se targuent d’utiliser le gascon 14. Pour cette raison et aussi parce que des acteurs politiques peuvent changer de circonscriptions électorales, nous prendrons en compte dans cette étude l’ensemble du Lot-et-Garonne, même les secteurs qui se trouvent en dehors du champ linguistique du gascon et de l’appellation Gascogne stricto sensu. De toute façon, les trois départements concernés appartiennent à l’Occitanie 15.

En dehors de l’usage de l’occitan 16, ces derniers sont marqués par un autre dénomina-teur commun, en l’occurrence la présence d’un bonapartisme puissant, certes lors du Second Empire 17, mais encore dans les premières décennies de la IIIe République. Si le phénomène

nouveau d’« Occitanie », créé par le félibre Xavier de Ricard (Cf. MARTEL Philippe, Les Félibres et leur temps. Renaissance d’oc et d’opinion (1850-1914), Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux [coll. « Saber »], 2010, p. 92).

14 C’est le cas du poète agenais Jasmin.

15 Voir note 13 pour la difficulté de l’usage de ce terme. Le « Midi des Occitans » n’est ni fixé ni confirmé par le

découpage régional actuel – à la différence de la Bretagne ou de l’Alsace : « nulle entité administrative ne s’est jamais appelée Occitanie ou même Midi » (in MARTEL, Les Félibres et leur temps…, op. cit., p. 23). Au total, une trentaine de départements sont à rattacher à l’aire linguistique d’oc qui se divise entre plusieurs grands groupes dialectaux, du gascon du Sud-Ouest au provençal du Sud-Est, séparés par l’espace languedocien, tandis qu’au nord voisinent limousin, auvergnat et vivaro-alpin. À l’intérieur de ce Midi, il n’y a ni unité ni uniformité. Ont été identifiées au moins trois Occitanie : celle des montagnes, qui fournit la population, celle du bassin aqui-tain et celle du Sud-Est méditerranéen concernée plus tôt que les autres par l’urbanisation, l’industrialisation et l’exode rural (MARTEL, Les Félibres et leur temps…, op. cit., p. 30).

16 Si l’usage du français s’est développé dans les campagnes, en particulier depuis la loi Guizot du 28 juin 1833

obligeant toutes les communes de plus de 500 habitants à ouvrir une école primaire de garçons, et si celui de l’occitan tend, de fait, à reculer, le dialecte régional reste cependant la langue de la connivence groupale – le village, le clan des amis de même génération et de même statut social – et celle de la sociabilité villageoise ou de quartier, la langue des travaux agricoles, de la fête, des histoires et des chansons. Le français devient la langue des privilégiés par la naissance ou par l’argent, cependant que le gascon reste le parler des classes populaires, plus particulièrement des paysans (cf. MARTEL, Les Félibres et leur temps…, op. cit., p. 44 sqq).

17 L’adhésion des paysans français au bonapartisme est fortement regrettée par les fondateurs du marxisme.

Alors que pour Marx et Engels, la classe révolutionnaire est la classe ouvrière, dès 1852, dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, Marx prophétise avec un optimisme – qui ne s’est d’ailleurs pas vérifié – que les paysans

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fran-Introduction générale

est réel dans les trois départements concernés, il est nettement plus net et plus durable dans celui du Gers, notamment sous l’emprise des Cassagnac 18. Comme le regrette en 1875 le quotidien légitimiste lot-et-garonnais L’Union du Sud-Ouest : « Le bonapartisme est très

re-muant dans le Gers où il a à sa tête les Cassagnac 19 », au point qu’on a pu parler de « cassa-gnaquisme » ou de « parti cassagnaquiste. 20 » Encore en 1886, à la veille des élections

can-tonales, le préfet comprend que, dans le canton d’Aignan tenu par Georges de Cassagnac, aucun républicain n’ait envie de se sacrifier car « la lutte n’est pas possible dans ce canton

qui n’a pas fait un pas vers la République depuis 1880. Il est absolument inféodé au

çais parcellaires, c’est-à-dire les petits paysans, peuvent abandonner bientôt la cause de Louis-Napoléon Bona-parte, à laquelle ils sont attachés depuis 1848, pour se rallier aux ouvriers. Ainsi, « la révolution prolétarienne obtiendra le chœur sans lequel son solo devient un chant funèbre dans toutes les nations paysannes. » Dans cette affirmation, souvent citée, on voit l’idée que les paysans parcellaires peuvent devenir une force révolutionnaire et plus encore que sans eux il n’y a pas de possibilité de victoire de la révolution prolétarienne. Toutefois, dans l’édition de 1869 du même ouvrage, Marx fait disparaître cette mention du solo révolutionnaire ouvrier devenu chant funèbre sans lesecours paysan. La parcelle ayant résisté, de même que le bonapartisme rural, il est dès lors difficile d’annoncer l’alliance prochaine de la paysannerie et du prolétariat. Marx constate donc lucidement, mais sans nuance, la défection de la paysannerie à l’égard du régime républicain qui l’avait pourtant dotée du suffrage universel, son opposition à toute perspective révolutionnaire et son ralliement massif au bonapartisme. Il incri-mine l’hétérogénéité de cette catégorie, tout en véhiculant des clichés séculaires sur l’inculture, l’incapacité politique, l’égoïsme, le besoin de tutelle… Pour lui, les paysans français s’interposent entre la bourgeoisie ex-ploiteuse et les prolétaires exploités mais plus éduqués, regroupés et déjà conscientisés. Les paysans sont donc réduits à l’état de masse de manœuvre ne sortant de sa passivité que pour servir de chair à canon dans les guerres ou au contraire d’instrument militaire pour réprimer les porteurs de l’avenir, les ouvriers, les seuls à pouvoir constituer la classe révolutionnaire. Les analyses de Maurice Agulhon sur 1848 et 1851 ont cependant démontré qu’une capacité de progrès, de démocratie et de militantisme, fût-il parfois défensif, existe bel et bien dans de larges couches de cette paysannerie.

18 Maire de Couloumé-Mondebat de 1862 à 1865 puis de Plaisance de 1865 à 1874 et conseiller général

d’Aignan à partir de 1852, Bernard-Adolphe Granier de Cassagnac (1806-1880) est élu député en 1852, 1857, 1863 et 1869 dans la circonscription de Mirande. Il redevient député à partir de 1876 jusqu’à sa mort en 1880. Son fils aîné, Paul, également maire de Couloumé-Mondebat et conseiller général de Plaisance à partir de 1871, est député de Condom de 1876 à 1877, puis, après sa réélection en 1879 faisant suite à une invalidation, jusqu’en à 1880 date à laquelle il abandonne la circonscription de Condom pour celle de Mirande de 1881 à 1893 et enfin de 1898 à 1902. Son quatrième fils, Jean-Baptiste Georges est député de Mirande en 1880-1881 ; s’il laisse le siège de Mirande à Paul, il est toutefois réélu conseiller général d’Aignan en 1886 et 1892. Son petit-fils Paul Julien, un des fils de Paul, est conseiller général de 1905 à 1937 et député du Gers de 1919 à 1924.

19 In L’Union du Sud-Ouest, 10 janvier 1875.

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Introduction générale

gnaquisme. 21 » Dans ce département, d’autres leaders impérialistes sont également puissants,

qu’il s’agisse de Jules Peyrusse, conseiller général de Saramon depuis 1864, ou encore de Jules Seillan, maire et conseiller général de Mirande depuis 1871. Au même titre que la Cha-rente-Inférieure, le Gers a été qualifié de « Corse continentale. 22 » Une telle fidélité à ce

cou-rant politique jusque dans les années 1900 doit par conséquent être interrogée. En Lot-et-Garonne, bien que ce département devienne plus rapidement républicain que les deux autres, il reste un député bonapartiste (Hermann Sarrette) jusqu’en 1889 et des candidats se récla-mant de ce courant jusque dans le milieu des années 1890. Quant aux Landes, un député im-périaliste, Adhémar de Guilloutet, est encore élu jusqu’en 1893, et, de 1898 à 1910, le mandat du nationaliste le général Jacquey est constamment renouvelé.

Enfin, comme il s’agit de départements ruraux 23, connaissant d’ailleurs un grand retard

technique 24 ainsi qu’un lent et inexorable mouvement de dépopulation 25, il s’avère que l’organisation sociale paysanne (composée de plusieurs grandes catégories), même si elle connaît des différences selon les secteurs géographiques, revêt aussi des points communs. Il existe deux classes de propriétaires (les propriétaires rentiers – les moussus [les messieurs] – et les propriétaires laboureurs – c’est-à-dire exploitants) et deux classes de paysans sans terre (les métayers et une catégorie hétéroclite de brassiers, domestiques, journaliers et valets de ferme). Si les propriétaires exploitants sont majoritaires dans le Gers et dans le Lot-et-Garonne, les métayers y restent malgré tout très nombreux, alors que dans le reste de la

21 AD32, 1 M 280 : rapport du préfet du Gers (13 avril 1886). 22 Par exemple in L’Avenir de Lot-et-Garonne, 30 juillet 1895.

23 En 1862, le Lot-et-Garonne compte 59 490 paysans (propriétaires et non propriétaires) et encore 54 052 en

1892. À cette catégorie des gens de la terre, il faut ajouter les autres ruraux. En 1880, on dénombre dans le Gers 204 739 agriculteurs sur une population de 283 546 habitants, soit 72,2% (in Annuaire administratif du départe-ment du Gers, Auch, 1880, p. 64-65). En 1851, sur 115 771 Landais exerçant une activité, 74 451 (soit 64,38%) sont des agriculteurs (in LERAT Serge [dir.], Landes et Chalosses. T. II, Pau, Société Nouvelle d’Éditions Régio-nales et de Diffusion, 1984, rééd. Pau, Éditions Cairn, 2010, p. 758).

24 Alors que la France compte 10 000 moissonneuses et faucheuses, le Lot-et-Garonne, où trois quarts des

char-rues ne sont que de simples araires, ne possède que 4 moissonneuses et 2 faucheuses. Les petits propriétaires gersois utilisent également un outillage très rudimentaire (charrues, houes, binettes…).

25 Ainsi, dans le Gers, les 314 885 habitants recensés en 1846 correspondent à son total maximum. La baisse est

ensuite continue (298 931 en 1861, 295 692 en 1866, 284 717 en 1872, 283 546 en 1880…) essentiellement en raison d’une forte dénatalité liée à un faible recul de la mortalité. Entre 1846 et 1885, le taux de natalité moyen est à peine de 18,9‰ contre 26‰ en France. À cela, il faut ajouter l’exode rural : le Gers perd 20 000 habitants vers 1860 et encore 10 000 entre 1860 et 1870. En Lot-et-Garonne, la baisse de la population est également con-tinue : on dénombre 274 610 habitants en 1906 contre 278 740 en 1901 et 286 671 en 1896.

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Introduction générale

France, leur nombre est en constante diminution 26. Ainsi, le département du Gers compte treize fois plus de métayers que de fermiers. En Lot-et-Garonne, si le nombre de paysans non propriétaires est à peu près équivalent de 1862 à 1892 (de 11 004, il passe à 11 814), c’est le nombre de métayers qui augmente le plus (de 5 518 à 6 623), suivi de celui des fermiers (de 912 à 1 019). En revanche, le nombre de journaliers diminue un peu (de 4 574 à 4 172). Mais c’est dans les Landes que le système du métayage est le plus massif en y étant du reste majori-taire : le nombre de métayers y dépasse en effet très fortement celui des fermiers ou des pro-priétaires exploitants 27. En 1912, on y compte encore 20 000 métayers, ce qui place ce dépar-tement en tête de l’ensemble de la France, devant l’Allier et l’ouest du pays. Dans le Gers et dans les Landes, les contrats de métayers incluent des dîmes jusqu’à la Première Guerre mon-diale. Comme l’avait remarqué Albert Soboul, il n’existe donc pas une seule paysannerie française, mais « plusieurs classes paysannes, souvent antagonistes 28 », avec beaucoup de

nuances dans leurs attitudes sociales et leurs positions politiques. Cette affirmation s’applique à la Gascogne où la catégorie sociale peut expliquer un vote 29. Ainsi, comme les paysans lot-et-garonnais sont en très nette majorité des cultivateurs-propriétaires 30 relativement indépen-dants 31 et possédant une vie de relations ouverte, les régions de petite propriété rurale sont par conséquent les piliers de la démocratie, la population y étant plus dense et donc la vie

26 De 400 000 en 1862, il passe à 320 000 en 1882, puis à 200 000 en 1929. En 1919, seulement 5% des

exploita-tions sont tenues par des métayers. Le métayage est surtout concentré dans les régions du Centre et du Sud-Ouest. Cf. ZELDIN Theodore, Histoire des passions françaises. 1848-1945, t. I, Oxford, Payot & Rivages, 1973 et 1977 ; pour la traduction française : Paris, Éditions Recherches, 1978, p. 194 ; MOULIN Annie, Les paysans dans la société française, Paris, Éditions du Seuil (coll. « Point-Seuil), 1992, p. 180.

27 Enquête de 1892. Cf. Z

ELDIN, Histoire des passions françaises…, t. IV, op. cit., p. 185.

28 S

OBOUL Albert, « La Question paysanne en 1848 », in La Pensée, Paris, 1948, p. 55.

29 PourGuy Bégué, il constitue avec l’origine géographique l’élément principal (B

ÉGUÉ Guy, Les déterminants du vote. Application à la circonscription de Marmande, Lot-et-Garonne (1848-1988), Thèse de doctorat, Uni-versité de Paris I).

30 Le phénomène intéresse puisque, en 1895, est publié un article sur ce sujet : M

AYDIEU G., « Notes pour servir à une monographie du paysan propriétaire du Lot-et-Garonne », in Revue d’économie politique, 9, 1895, p. 159-164.

31 Ils sont 48 486 en 1862 (contre 11 004 non propriétaires). Si leur nombre baisse en 1892 (ils ne sont désormais

plus « que » 42 238, contre 11 814 non propriétaires), le nombre de propriétaires n’exploitant que leurs biens est cependant en augmentation tandis que le nombre de propriétaires travaillant en outre pour autrui en qualité de fermiers, métayers ou journaliers diminue de moitié.

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Introduction générale

litique plus active 32. Dans l’ensemble, les exploitants du Lot-et-Garonne, jusqu’alors séduits par le bonapartisme, deviennent – progressivement –, au temps de la IIIe République, plutôt acquis aux républicains; nous aurons l’occasion d’en rappeler plus précisément les raisons. Le sud du département vote davantage républicain que le nord ; et c’est dans le sud qu’est locali-sée la grande majorité des exploitations de plus de 40 ha 33. En revanche, l’habitat dispersé, minimisant la discussion politique, favoriserait l’influence dominante de la noblesse rurale : les métayers, plus ignorants et plus craintifs vis-à-vis de la nouveauté, votent comme leurs propriétaires terriens, c’est-à-dire en faveur des candidats conservateurs. Étudiant la Vendée de 1793, Charles Tilly a cependant souligné combien cette idée couramment admise, selon laquelle les régions économiquement retardées et privées de contacts urbains seraient obliga-toires réactionnaires, est trop simpliste 34. Néanmoins, la permanence à droite des résultats électoraux dans la commune forestière de Houeillès en Lot-et-Garonne tout comme la vitalité des légitimistes dans l’arrondissement de Lombez et dans la partie orientale de l’arrondissement de Mirande dans le Gers 35

, secteurs caractérisés par une plus grande disper-sion de l’habitat et une importance restreinte de la petite propriété, sont particulièrement si-gnificatives 36. Dans le Gers, comme en Lot-et-Garonne, malgré l’importance du nombre de métayers, les paysans propriétaires de petites ou moyennes exploitations (entre 5 et 30 ha pour 40% d’entre elles) dominent la structure sociale 37

. Le mode d’exploitation prédominant est le faire-valoir direct. Et si le métayage est malgré tout très répandu, le fermage y est en

32 À la suite des travaux de Fernand Benoît, Maurice Agulhon a démontré que la vie sociale est plus riche, plus

intense, plus diversifiée en pays de villages et de bourgs qu’en pays de fermes isolées. L’idée a été reprise no-tamment par : PÉCOUT Gilles, « La politisation des paysans au XIXe siècle. Réflexions sur l’histoire politique des campagnes françaises », in Revue de l’Histoire des Sociétés rurales, 2, 1994, p. 91-125, principalement p. 103 et p. 111.

33 Enquête de 1862 sur les exploitations. Précisons cependant qu’à la différence d’André Siegfried, qui pensait

que l’élément important résidait dans la taille des propriétés, Paul Bois conteste l’idée que ce soit la taille de la propriété foncière qui soit un facteur décisif du vote qui dépendrait davantage dans la façon dont les terres ont été acquises et dans la situation sociale qui sert de contexte (BOIS Paul, Paysans de l’Ouest, des structures éco-nomiques et sociales aux options politiques depuis l’époque révolutionnaire dans la Sarthe, Le Mans, 1960).

34 T

ILLY Charles, The Vendée, 1964, cité in ZELDIN, Histoire des passions françaises…, t. IV, op. cit., p. 29.

35 En 1871, le journal républicain gersois L’Avenir qualifie la vallée de la Save de « Vendée du Gers » (in

L’Avenir, 5 octobre 1871).

36 A contrario, dans le Gers, le canton de Cologne, qui possède un fort coefficient de groupement de l’habitat, est

conservateur, et celui de Montréal, qui tend à sa dispersion maximum, est de gauche.

37 En 1862, 25 000 exploitations ont moins de 5 ha, 24 000 entre 5 et 10 ha, 10 500 entre 10 et 30 ha, 2 000 entre

(16)

Introduction générale

revanche plus rare (moins de 5% des terres sont concernés par ce mode d’exploitation). La situation est plus compliquée dans les Landes résinières à la fin du XIXe siècle : le métayer-gemmeur ne doit pas donner une part en nature de ses produits mais reçoit une somme d’argent équivalant à la moitié du prix de vente de la résine – l’autre moitié revenant au pro-priétaire des pins –, si bien qu’au lieu d’être un paysan, il a l’impression d’être plutôt un ou-vrier. Le clivage social s’accentue d’autant plus avec l’enrichissement des propriétaires – grâce à la forêt – qui quittent leurs anciennes maisons situées dans les « quartiers » 38 pour aller habiter dans les bourgs où ils ont fait édifier de grosses maisons : à cette nouvelle bour-geoisie forestière répond la masse des métayers-gemmeurs demeurant dans les « quartiers » qu’ils sont dorénavant les seuls à peupler. Se cristallisent alors assez rapidement deux classes sociales bien distinctes, homogènes, très étanches et de plus en plus antagonistes, ce qui per-met de comprendre pourquoi c’est dans le Marensin et le Born que naissent les premiers syn-dicats landais organisant les luttes des gemmeurs.

Dans les trois départements du cœur de la Gascogne, et notamment dans les zones de vigne 39, la crise phylloxérique sévère contraint les populations de ces secteurs (surtout du Gers et du Lot-et-Garonne) à l’exode rural : parallèlement aux 62 000 ha de vignes perdus, le Gers, un des quatre départements français les plus touchés par le phylloxéra, subit une perte de 60 500 habitants entre 1880 et 1910 40. L’exode rural est particulièrement fort en Lot-et-Garonne entre 1886 et 1891, tout comme la crise phylloxérique 41. Alors que les paysans ont voulu devenir propriétaires de leurs terres, cette grave crise inverse le mouvement, les petits propriétaires des villes et villages se débarrassant des parcelles exiguës 42.

Les résistances à la République sont multiformes (elles peuvent être politiques, reli-gieuses, culturelles, militaires), émanent aussi bien des droites que de l’extrême gauche et connaissent des modifications entre 1870 et 1914.

38 Dans les Landes, un quartier est une exploitation agricole.

39 La vigne connaît une croissance spectaculaire sous le Second Empire, que ce soit en Lot-et-Garonne comme

dans le Gers. Dans ce département, on passe de 73 000 ha de vignoble en 1804 à 94 000 ha dans les années 1860 et à 105 000 ha à la fin du Second Empire.

40

Avec la Dordogne, la Charente et la Charente-Inférieure, le Gers fait partie de la catégorie des départements ayant perdu le maximum d’hectares, en l’occurrence plus de 50 000 ha (FAURE Marcel, Les paysans dans la société française, Paris, Armand Colin (coll. « U »), 1966, carte p.53).

41 Le département perd entre 25 000 et 50 000 ha.

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Introduction générale

Il nous faudra donc étudier la permanence du danger conservateur 43 (tant des royalistes que des bonapartistes, puis son évolution vers le nationalisme), afin de déterminer si ces résis-tances à droite ne sont qu’un « chant du cygne », des résisrésis-tances un peu désespérées sans réelle chance d’ébranler la République ou, au contraire, si elles représentent un vrai danger et si, même dans l’ombre, elles sont importantes et à prendre au sérieux. Il nous faudra égale-ment voir dans quelle mesure les Églises (catholique et protestante 44) peuvent peser sur les options politiques des Gascons. À ces résistances conservatrices, se mêle, à partir du début des années 1880, la contestation anarchiste qui devient toutefois plus prégnante au cours de la décennie suivante.

D’autre part, dans le même temps où s’affirme le sentiment national, ressuscite le régio-nalisme qui s’explique par le maintien de la centralisation napoléonienne sous la IIIe

Répu-blique. Après la création du Félibrige en 1854 – association de poètes ayant pour but de dé-fendre la langue d’oc –, réorganisé en 1876, la querelle du régionalisme 45

débouche dans le domaine politique surtout à partir des années 1870 et plus encore 1890, certains félibres prô-nant la décentralisation, s’opposant en cela à la plupart des radicaux-socialistes qui défendent la centralisation jacobine 46. Ces revendications culturelles et politiques, très fortes en Pro-vence, existent-elles en Gascogne et sont-elles dangereuses pour la République ? La petite patrie (ou « matrie », selon le néologisme du Félibre Léon de Berluc-Parussis) devient-elle l’adversaire de la grande ?

L’étude devra aussi définir si les résistances sont toutes tournées contre la République en tant que telle (ses valeurs, ses principes…) – « la Gueuse » – ou si certaines ne le sont seu-lement contre ce que la IIIe République est devenue – une République opportuniste qui a mis en place une nouvelle « aristocratie » (« l’aristocratie bourgeoise » décriée aussi bien par les

43 Le Courrier de Dax, journal républicain landais, offre une définition simple de ce terme : « Par conservateurs,

entendez les bonapartistes et les royalistes enrégimentés sous la bannière cléricale » (30 décembre 1880). La notion est cependant plus complexe puisque des républicains eux-mêmes se qualifient de conservateurs (voir infra, p. 195-196), mais c’est celle à laquelle nous nous réfèrerons.

44 La place du protestantisme dans le cœur de la Gascogne sera présentée dans le premier chapitre de la

deu-xième grande partie. Voir infra, p. 271.

45

La signification même du régionalisme est cependant assez confuse.

46 La situation est toutefois beaucoup plus complexe, car les Félibres sont loin d’être tous des monarchistes ou

des cléricaux. En réaction face à l’emprise de l’école d’Avignon, le Félibrige « rouge » – républicain et anticléri-cal – s’organise notamment à partir de 1876. De plus, il existe quelques radicaux-socialistes, tel Charles Beau-quier par exemple, qui sont favorables à la décentralisation.

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Introduction générale

boulangistes que les radicaux, et que l’historien Theodore Zeldin a même qualifiée d’« oligarchie de professionnels de la politique, plus ou moins discrédités 47

»).

Nous tenterons de déterminer également les liens qu’il peut y avoir entre ces différentes résistances, d’étudier les réseaux qui peuvent s’être constitués, les frontières départementales n’étant pas très significatives, et d’établir l’influence que peuvent jouer aussi bien les dépar-tements limitrophes que les grandes villes du Sud-Ouest, Bordeaux et Toulouse.

La recherche porte sur la période allant de 1870 à 1914. Elle débute, selon toute logique, au moment où la IIIe République est proclamée le 4 septembre 1870, dans le difficile contexte de la défaite contre la Prusse, car c’est la date aujourd’hui acceptée comme celle de la nais-sance de ce régime 48. Lors de ses premières années, la République peine à s’ancrer dans l’esprit des Français, et pendant la période 1870/1879, dans de très nombreuses régions, les candidats républicains sont loin d’être majoritaires. Les élections de février 1871 voient même un raz-de-marée conservateur, ce qui est le cas dans les trois départements de notre étude 49. Il est donc intéressant d’analyser, non pas comment la République commence à s’enraciner – ce n’est pas notre sujet –, mais comment dans une région qui, à l’instar du pays, devient progressivement républicaine, les forces conservatrices essaient de résister à cet enra-cinement.

L’autre date extrême de l’étude – 1914 – correspond à la première année de la Grande Guerre, événement charnière dans l’histoire mondiale choisi par tous les historiens pour faire débuter le XXe siècle historique, qui marquerait alors la fin « du vieux monde du XIXe siècle… 50 » – le « Monde d’hier » selon l’écrivain autrichien Stephan Zweig 51. En

47 Z

ELDIN, Histoire des passions françaises…, t. IV, op. cit., p. 243.

48 On s’est en effet longtemps demandé quelle était la « vraie » date de naissance de la IIIe République : 1879,

lorsqu’une majorité républicaine fait son entrée au Sénat ? Après le 16 mai 1877, quand Mac-Mahon doit abdi-quer ? L’année 1875, qui voit les votes des lois constitutionnelles ? Le lendemain du 28 mai 1871, après la ré-pression sanglante de la Commune ? Ou, finalement, le 4 septembre 1870, trois jours après la défaite de Sedan ? (Cf. CARDONI Fabien, « 1870 : la révolution de velours », in L’Histoire, 348, déc. 2009, p. 80-85, p. 81).

49 P

IOT Céline, « Élections et élus de février 1871 en Gascogne : le triomphe des conservateurs », in Parlements. Revue d’histoire politique, « Élus et élections du 8 février 1871 », n°14, 2011 (dossier coordonné par Sylvie Guillaume et Thierry Truel), Journée d’études du CEMMC de l’université Michel de Montaigne – Bordeaux 3 (Libourne, 5 juin 2010), p. 93-106.

50 S

TERNHELL Zeev, La droite révolutionnaire. Les origines françaises du fascisme. 1885-1914, Paris, Galli-mard, 1997 [1978], p. 541.

51 Z

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Introduction générale

France, « l’Union sacrée » apparaît comme une mise entre parenthèses des querelles poli-tiques ; il semble donc « naturel » d’arrêter l’analyse à cette date car, même si nous pouvons dire que cette vision nous semble toutefois idéaliste – les divergences politiques continuant à exister –, il n’en reste pas moins que les adversaires de la République mettent en sommeil leurs revendications (bien que l’antimilitarisme reste un leitmotiv dans l’extrême gauche). D’ailleurs, dans leurs pays respectifs, les partis socialistes de la IIe

Internationale se rallient à « l’Union sacrée » 52. Cependant, si de nombreux éléments semblent montrer que le conflit de 1914-1918 est une rupture – tant dans le monde qu’en France –, d’autres révèlent qu’il repré-sente plutôt une continuité, comme l’a constaté Madeleine Rebérioux 53, et, dans les années vingt, les antirépublicains reprennent leur combat, parfois sous d’autres formes plus dures qu’avant 1914 au premier rang desquelles se situe le fascisme qui, pour certains historiens 54

, naît en raison de la Grande Guerre et du traumatisme qu’elle a généré 55. Mais la lutte contre la République, bien que plus discrète, ne s’est pas totalement éteinte pendant le conflit. En effet, le culte du Sacré-Cœur, par exemple, connaît un regain, principalement dans les milieux catholiques traditionnels : s’il représente l’espoir de la victoire contre les Allemands, il est aussi celui de la reconquête spirituelle de la France républicaine 56. Quant à la légende tenace de la « couardise » des combattants méridionaux – de nature à ébranler l’unité nationale que l’on considère indispensable à la lutte et à la victoire – 57

, elle a pu être parfois perçue comme

52 Seuls les Bolcheviks considèrent la Première Guerre mondiale comme la « fille du capitalisme ».

53 « C’est à l’ombre du radicalisme que se préparent non seulement le grand massacre, mais la profonde crise

des valeurs culturelles, politiques, la crise sociale dont presque tous les éléments de base sont en place avant 1914. À cet égard, la coupure de la guerre n’est pas très pertinente. Elle a accéléré plus qu’elle n’a créé. » (in REBÉRIOUX Madeleine, La République radicale ? 1898-1914, Paris, Éditions du Seuil (collection « Nouvelle histoire de la France contemporaine », 11), 1975, p. 243).

54 Michel Winock, Stéphane Audouin-Rouzeau, Christophe Prochasson, Gerd Krumeich…

55 D’autres historiens sont toutefois totalement opposés à cette théorie, en particulier Zeev Sternhell, Rémy

Ca-zals et Frédéric Rousseau par exemple…

56 C

ABANES Bruno et DUMÉNIL Anne (dir.), Larousse de la Grande Guerre, Paris, Larousse (Historial de la Grande Guerre, Péronne), 2007, p. 230-236.

57 Le 24 août 1914, le sénateur Auguste Gervais évoque la « défaillance » du XVe corps et, le lendemain,

Georges Clemenceau poursuit en parlant de « la nature impressionnable des Méridionaux ». Pour certains, c’est le signe que Gervais cherche « à diviser notre France au profit de l’étranger » (in Le Petit Provençal, 26 août 1914). À partir de là, les soldats des régions envahies pensent que ceux du Midi, n’ayant pas à craindre pour leurs foyers, ne se battent pas avec autant de pugnacité qu’eux (cf. LE NAOUR Jean-Yves, « La faute aux “Mi-dis” : la légende de la lâcheté des méridionaux au feu », in Annales du Midi, t. CXII, n°232 : spécial 1914-1918, octobre/décembre 2000, p. 499-516).

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Introduction générale

le reproche fait par les populations septentrionales à un Midi suspecté d’être un peu trop à gauche, d’être une région « rouge » aux tendances pacifistes dont il convient de se méfier dans l’épreuve et la défense de la patrie 58

. Notre recherche n’a pas pour objectif d’interpréter la Première Guerre mondiale en cherchant à comprendre quel statut lui assigner – matrice de tous les maux du XXe siècle ou conséquence des problèmes de la fin du XIXe siècle ? Rupture ou continuité ? – 59, mais, parce que ce conflit reste néanmoins un événement important, il nous a semblé opportun d’arrêter notre étude au moment où les résistances à la République sont, momentanément, moins prégnantes.

Afin de pouvoir comprendre les forces qui tentent de résister à la République entre 1870 et 1914 au cœur de la Gascogne, rappelons le contexte historique de cette région au cours des régimes précédents et également le rôle majeur qu’y jouent les masses rurales.

À la suite de l’affirmation d’Eugène Ténot 60

, a longtemps prévalu l’idée que, jusqu’en 1848, la vie politique des campagnes françaises est restée largement enfermée dans le carcan d’un système inégalitaire piloté par les préfets et tenu par les notables locaux, les seuls autori-sés à voter au suffrage censitaire, et que l’idée de l’instauration du suffrage universel mascu-lin, dès l’avènement de la IIe

République, constitue le premier palier de la politisation pay-sanne 61, la certitude que l’acte électoral correspond à un régime politique particulier, la

58 Même s’il a été assez maladroit de la part de ministres ou d’officiers de stigmatiser telle ou telle région, car le

recrutement des régiments incriminés n’a pas été régional, cette idée est sans doute exagérée. En effet, Messimy, ministre de la Guerre, est un républicain convaincu et le sénateur Gervais appartient au parti radical. Le reproche de la lâcheté des soldats méridionaux est surtout la preuve des préjugés et des haines régionales venant des popu-lations du Nord elles-mêmes. Le conflit de 14-18 n’a finalement pas effacé les « petites patries » au profit de la grande.

59 Nous l’avons fait à l’occasion du colloque « La Grande Guerre aujourd’hui : Mémoire(s)/Histoire(s) » (cf.

PIOT Céline, « La guerre de 1914-1918 comme rupture ou continuité chez les historiens », in Alexandre Lafon, David Mastin et Céline Piot (dir.), La Grande Guerre aujourd’hui : Mémoire(s)/Histoire(s), Actes du colloque (Agen/Nérac, 14/15 novembre 2008), Nérac, Éditions d’Albret & Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Agen, 2009, p. 269-309).

60 « Le suffrage universel institue le règne des paysans », in T

ÉNOT Eugène, Le Suffrage universel et les Paysans, Paris, Librairie centrale, 1865.

61

Maurice Agulhon écrit en effet : « La révolution de 1848 est une étape décisive dans l’histoire politique de la paysannerie française. En instituant le suffrage universel, elle fait des ruraux, qui sont alors les plus nombreux en France, les arbitres du destin national. » (in DUBY Georges [dir.], Histoire de la France rurale. T. 3 : A GUL-HON Maurice, DÉSERT Gabriel et SPECKLIN Robert, Apogée et crise de la civilisation paysanne. 1789-1914, Paris, Éditions du Seuil (coll. « L’Univers historique »), 1976, p. 164).

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Introduction générale

publique – il nous faut cependant rappeler que ce sont moins les travaux et les conclusions plutôt nuancées de Philippe Vigier 62 que leur réduction, voire leur simplification par d’autres historiens qui ont largement concouru à cette thèse. Plusieurs arguments contredisent toutefois ce schéma. Il est d’abord difficile de ne pas prendre en compte la période révolutionnaire qui, sans que l’on dénie tout sens à la vie politique des communautés rurales sous l’Ancien Ré-gime, est un incontestable moment d’accélération du processus de politisation des paysans, avec, notamment, l’apprentissage de la citoyenneté 63

. D’autre part, comme Philippe Vigier et Maurice Agulhon le reconnaissent, la Monarchie de Juillet joue un rôle important dans l’acculturation de la politique en milieu rural en donnant le droit de vote pour les élections municipales à un quart de la population des petites communes 64. Toutefois, la décision en

62 V

IGIER Philippe, La Seconde République dans la région alpine, étude politique et sociale, Paris, Presses Uni-versitaires de France, 1963. T. 1 : Les notables ; t. 2 : Les paysans.

63 Une enquête sur les sociétés populaires et clubs jacobins a montré la diffusion dans les campagnes d’une

forme de sociabilité politique (BOUTIER JeanetBOUTRY Philippe, « Les sociétés politiques en France de 1789 à l’an III : une machine ? », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, XXXVI, janvier/mars 1989, p. 29-67). Celle de Georges Fournier pour le Languedoc a bien mis en valeur une participation importante aux scrutins, notamment municipaux, organisés pendant la période révolutionnaire (FOURNIER Georges, Démocratie et vie municipale en Languedoc du milieu du XVIIIe au XIXe siècle, Toulouse, Association des Amis des Archives, 2 tomes, 1994). Le concept de sociabilité, emprunté par Maurice Agulhon à son collègue aixois l’archéologue et antiquisant Fernand Benoît au début des années soixante, permet d’approcher des filiations a priori improbables, des confréries de Pénitents aux chambrées provençales, en passant par les loges maçonniques, dans le contexte il est vrai d’une campagne provençale proche des villes sinon en partie urbanisée elle-même. Ces lieux conviviaux sont aussi des ateliers où est forgé l’esprit républicain sans lequel le soulèvement de décembre 1851 – mais il est loin d’être seulement provençal, non plus que la sociabilité des chambrées – ne serait autre qu’une ultime jacque-rie, comme l’ont pensé d’aussi éminents chercheurs que Theodore Zeldin ou Eugen Weber. Si les analyses de Peter McPhee remettent toutefois en question le poids de la période révolutionnaire dans la mobilisation de l’électorat rural, à cause des faibles taux de participation aux élections de 1792, celles de Melvin Edelstein, au contraire, insistent sur l’importance de la naissance de la citoyenneté en 1792 dans l’émergence de la démocratie et proposent de nouvelles interprétations du taux de participation moyen des ruraux en prenant en compte les consultations municipales et administratives (MCPHEE Peter, The Politics of Rural Life. Politicial Mobilization in the French Countryside, 1846-1852, New-York, Clarendon Press of Oxford University Press, 1992 ; EDELSTEIN Melvin, « Vers une sociologie électorale de la Révolution française : la participation électorale des citadins et des campagnards (1789-1793) », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1975, p. 508-529 ; EDELSTEIN Melvin, « La participation électorale des Français (1789-1870) », in Revue d’histoire moderne et contemporaine, octobre/décembre 1993, p. 629-642, principalement p. 632-635).

64 La loi de 1831 fait désigner par l’élection les conseils municipaux. Si elle est encore fort oligarchique et

censi-taire, elle constitue tout de même la réapparition légale, après trente ans d’éclipse, de la politique au village, ou de sa possibilité (VIGIER, La Seconde République dans la région alpine…, op. cit., p. 9 ; AGULHON et alii,

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Apo-Introduction générale

1848 d’instaurer le suffrage universel ne suffit pas à assurer réellement une participation élec-torale indépendante de l’ensemble de la population française, car le vote des paysans reste encore, pour une grande part, encadré par les élites locales 65. Il faut tenir compte des pres-sions qui entravent le vote et des formes d’abstention qui peuvent exister. Les républicains qui, à partir des années 1860, n’ont de cesse de vouloir développer l’éducation populaire par le biais de bibliothèques, de sociétés d’instruction, de caisses des écoles et des cercles locaux de la Ligue de l’enseignement 66, ont effectivement compris qu’il n’a pas suffi d’instaurer le suffrage universel en 1848 pour que s’impose la démocratie, les résultats des premières élec-tions présidentielles et législatives organisées sous la IIe République leur en offrant la doulou-reuse démonstration.

Le pouvoir des notables n’est en effet que très partiellement ébranlé par les élections lé-gislatives d’avril 1848 et de mai 1849 où trois grandes tendances s’affrontent (le parti de l’Ordre, les républicains modérés et les démocrates-socialistes). Ainsi, dans les Landes, le 16 avril 1848, si sur sept députés à élire, quatre sont de véritables républicains (Victor Le-franc, Eugène Duclerc, François Marrast et Pascal Duprat), les trois autres restent des hommes des régimes royalistes précédents ou ne sont que des ralliés de circonstance (le

gée et crise de la civilisation paysanne…, op. cit., p. 157). Gilles Pécout regrette que peu d’historiens se soient véritablement intéressés à la portée de cette loi municipale comme relais de politisation et transfert d’un certain nombre de prérogatives issues de la période révolutionnaire et impériale (PÉCOUT, « La politisation des paysans au XIXe siècle »…, op. cit., p. 108). Nous pouvons cependant citer les travaux anciens d’André-Jean Tudesq et de Maurice Agulhon et ceux, plus récents, de Christine Guionnet (AGULHON Maurice, La République au village. Les populations du Var de la Révolution à la Seconde République, Paris, Éditions du Seuil, 1979 [1970] ; TU-DESQ André-Jean, « La loi municipale de 1831 et ses premières applications », in Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Nice, 1969 ; « L’administration municipale dans le Sud-Ouest sous la Monar-chie de Juillet », in Annales du Midi, octobre-décembre 1972 ; « De la MonarMonar-chie à la République : le maire, petit ou grand notable », in Pouvoirs, n°24, 1983 ;GUIONNET Christine, L’apprentissage de la politique mo-derne. Les élections municipales sous la Monarchie de Juillet, Paris, L’Harmattan, 1997).

65 « Si l’assimilation entre politisation et diffusion de la démocratie explique les succès de la République dans le

Sud-Est provençal, elle ne garantit pas pour autant l’alliance à perpétuité du régime républicain et des valeurs démocratiques aux yeux des paysans » (in PÉCOUT, « La politisation des paysans au XIXe siècle »…, op. cit., p. 94).

66 Au cœur de la Gascogne, le premier cercle local de la Ligue de l’enseignement est celui de Nérac qui apparaît

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Introduction générale

quis Élie de Dampierre, Numa Turpin et Frédéric Bastiat 67). Et, quelques mois plus tard, lors de l’élection présidentielle de décembre 1848, à l’instar de la majorité des Français (74,2% des votants), les Landais 68 préfèrent apporter majoritairement leurs suffrages à Louis-Napoléon Bonaparte (84,2% des votants ; 58,5% des inscrits) 69, tout comme les Gersois (60% des inscrits) et, dans une moindre mesure, les Lot-et-Garonnais (68,3% des votants ; 53,1% des inscrits) 70. Pour Maurice Agulhon 71, il faut voir deux éléments conjoints dans ce raz-de-marée bonapartiste : à la fois des paysans conservateurs entraînés par des notables sou-haitant l’ordre 72 (mais son concurrent Cavaignac fait aussi un large usage de la défense de la famille, de la religion, de la propriété, de l’ordre) et des paysans confusément protestataires votant, parce que pauvres, contre un Cavaignac alors chef et symbole du pouvoir. Si la majo-rité des suffrages provient de conservateurs, une partie émane aussi de Montagnards qui pré-voyaient l’échec de Ledru-Rollin et qui voulaient avant tout écarter Cavaignac 73

. Natalie Pe-titeau 74 rappelle que certains villageois et ouvriers ont même cru voter pour le glorieux empe-reur. Selon Bernard Ménager 75 et Sudhir Hazareesingh 76, la force du mythe que Louis-Napoléon Bonaparte a très bien su exploiter, a aussi son importance : l’Empire est l’héritier des valeurs de la Révolution française, le libérateur des peuples, la chantre de la souveraineté populaire et le défenseur du territoire national. Si les thèmes présentés plus haut (famille, reli-gion, ordre) sont des notions de droite, la diminution des impôts, la promesse d’institutions de prévoyance et de modifications de la législation industrielle, les grands travaux pour lutter

67 Réélu en mai 1849, il décède en 1851. Une élection partielle a donc lieu le 11 mai 1851 et elle donne la

vic-toire à un candidat du parti de l’Ordre, Durrieu – un général de division en retraite.

68 AD40, 3 M 121. 69

L’arrondissement de Mont-de-Marsan est beaucoup plus favorable que celui de Dax.

70 AD47, 3 M 117. 71 A

GULHON et alii, Apogée et crise de la civilisation paysanne…., op. cit., p. 166.

72 De nombreux notables voient dans Louis-Napoléon Bonaparte l’homme qui peut leur servir de paravent pour

échapper à la République.

73 Comme l’indique L’Opinion du 19 décembre 1848 : « Beaucoup ont abandonné Ledru-Rollin pour

Louis-Napoléon Bonaparte en haine de Cavaignac. »

74 P

ETITEAU Natalie, « Culture républicaine, héritages impériaux et mythe napoléonien », article mis en ligne sur Clio Blog de Natalie Petiteau.mht.

75

MÉNAGER Bernard, Les Napoléon du peuple, Paris, Aubier (coll. historique), 1988, p. 99.

76 H

AZAREESINGH Sudhir, « La légende napoléonienne sous le Second Empire : les médaillés de Saint-Hélène et la fête du 15 août », in Revue historique, n°627, 127e année, juillet 2003, p. 543-566 ; « Les fêtes de la nation », in Critique. Revue générale des publications françaises et étrangères, n°697/698, juin/juillet 2005 (Spécial « Le citoyen entre nation et Europe »), p. 446-457, précisément p. 453.

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contre le chômage, l’allégement du fardeau de la conscription, l’amnistie pour les condamnés politiques peuvent nourrir un bonapartisme de gauche . Pour la Gascogne, se conjuguent un vote de clientèle antirépublicain dans les zones contrôlées par les notables monarchistes 77 et un vote de mécontentement dans les fiefs des républicains avancés. Notons cependant que quelques cantons, en particulier ceux de Saint-Esprit et de Mont-de-Marsan dans les Landes, ne donnent pas à Louis-Napoléon-Bonaparte la majorité absolue, en raison d’une relative im-plantation de républicains et de démocrates-socialistes – les « rouges », ce que les élections législatives du 13 mai 1849 confirment 78 : un quart des suffrages se porte sur les républicains modérés et les « rouges » obtiennent 7% des voix. Victor Lefranc et Pascal Duprat peuvent ainsi être réélus. La situation est identique dans le Gers où, même si, en 1849, moins de la moitié des élus sont issus des droites, le résultat est très serré : trois élus appartiennent au parti de l’Ordre, trois sont républicains et le septième vote finalement avec les républicains 79

. Quant au Lot-et-Garonne, plus de la moitié des élus sont du parti de l’Ordre, faisant de ce département un des plus conservateurs d’Aquitaine. Les idées républicaines n’ont donc pas encore pénétré en profondeur les provinces françaises et les notables ont gardé intact leur prestige héréditaire, ce qui est le cas dans les trois départements du cœur de la Gascogne.

Malgré les petits succès du républicanisme décrits plus haut, les Landes n’opposent qu’une faible résistance au renforcement de l’autorité de Louis-Napoléon Bonaparte et au coup d’État qu’il organise le 2 décembre 1851, à la différence des deux autres départements de notre zone d’étude. Quelques soulèvements ont bien lieu à Saint-Esprit et à Hagetmau – sous l’impulsion de plusieurs personnalités, dont Victor Lefranc et Pascal Duprat –, mais, à l’instar des Hautes-Pyrénées et du Comminges, on ne peut parler de soulèvement général comme c’est le cas, à l’inverse, dans le Centre et le Sud-Est de la France, de même dans les départements voisins du Gers (essentiellement dans les secteurs de Condom, Auch, Mirande et Fleurance) et du Lot-et-Garonne (dans le Marmandais, le Villeneuvois et le Néracais) où la résistance, plutôt menée par les professions libérales (avocats, chefs ouvriers, artisans, petits

77

La peur qui suit les révolutions de 1848 renforce le parti de l’Ordre.

78 Dans les Landes, la participation à ce scrutin est faible (60,6%) alors qu’elle est très forte en Lot-et-Garonne

(84%).

79 L’élection partielle du 8 juillet 1849, faisant suite au décès de Lacave-Laplagne du parti de l’Ordre, donne

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Introduction générale

commerçants…) 80 est très forte. S’il y a quelques cultivateurs et ouvriers agricoles parmi les résistants, ils ne figurent pas comme meneurs et y sont proportionnellement en très nette mi-norité 81. Les différents historiens de cette résistance au coup d’État se sont demandés s’il s’agissait d’un mouvement spontané ou organisé par les sociétés politiques, notamment les clubs et autres sociétés secrètes 82, et s’il était social ou politique. Leurs conclusions montrent qu’une très grande majorité des insurgés défend le régime républicain menacé : si les meneurs sont anti-bonapartistes et pour la plupart membres de sociétés de pensée 83, parallèlement, ils souhaitent instaurer une République réellement démocratique et sociale.

Lors du plébiscite du 21 décembre 1851 84, les Landais, à 76,9%, votent en faveur de la nouvelle constitution consacrant le pouvoir personnel du « prince-président », résultat plaçant les Landes en 38e position sur 86 départements et premier département de notre zone d’étude. Les 70% des inscrits approuvant le coup d’État sont atteints dans trois des vingt-sept cantons. C’est seulement dans la commune de Sore qu’émerge véritablement une

80 Ce qui contredit l’affirmation d’Eugen Weber à propos des « deux mille paysans qui marchèrent sur Agen »,

voulant en voir une dernière jacquerie (in WEBER Eugen, La fin des terroirs. La modernisation de la France rurale, 1870-1914, Paris, Librairie Arthème Fayard/Pluriel, 2011 [1983], p. 306).

81 B

ORDES Maurice (dir.), Histoire de la Gascogne des origines à nos jours, Roanne, Éditions Horvath, 1977, p. 348 ; DELPONT Hubert et ROBIN Pierre, « La résistance en Albret au coup d’État de 1851 », in Revue de l’Agenais, 1er trim., 111, 1984, p. 76-94 et 1er trim., 112, 1985, p. 47-75 ; C

ARBONNIER Bertrand, La résistance républicaine au coup d’État du 2 décembre 1851 de Louis Napoléon Bonaparte en Lot-et-Garonne, TER de maîtrise (sous la direction de Bernard Lachaise), Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3, 2001.

82 Ces clubs battent leur plein dans de nombreux secteurs du Lot-et-Garonne fortement démocrates-socialistes,

en l’occurrence dans les cantons de Lavardac, Damazan, Casteljaloux, Le Mas d’Agenais et Marmande essentiel-lement. Par exemple, en Albret, il existe depuis 1834 la société néracaise « Aide-toi » (28 membres) où, d’après le sous-préfet de Nérac, « s’y professent des doctrines anarchistes par quelques apôtres de la République » (Arch. dép. Lot-et-Garonne, 4 M 188).

83 En Lot-et-Garonne, le vétérinaire Caillavet et le propriétaire Gimet, membres de la société « Aide-toi »,

appar-tiennent également à la loge maçonnique de Nérac « Les Travailleurs Réunis », créée en 1847 à l’initiative de Jean Durban et qui compte 75 membres (Arch. dép. Lot-et-Garonne, 4 M 188). À Agen, lors du procès contre les meneurs de la résistance au coup d’État du 2 décembre 1851, l’instruction établit que les sociétés secrètes ont été dirigées par les avocats Vivent, Fournel et Delpech (SOULA Laurence, « Justice et répression politique : les commissions mixtes du Lot-et-Garonne et du Gers », in Actes du Congrès de la Fédération Historique du Sud-Ouest : Hommes et Pays de la Moyenne Garonne (Agen/Moissac, 23/24 mai 2004), Revue de l’Agenais, 132e année, janvier/mars 2005, p. 371-394, principalement p. 391, n. 42).

84 Résultats globaux pour 1851 et 1852 ainsi que le classement par département in : M

ÉNAGER, Les Napoléon du peuple…, op. cit., 1988, p. 433-434. Résultats locaux trouvés aux archives départementales.

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Introduction générale

té de « non » 85. Un an plus tard, le nouveau plébiscite révèle des résultats encore plus élevés (80,8%). En Lot-et-Garonne, le « oui » est majoritaire à 74% de voix en 1851 (47e position à l’échelle nationale), à 78,4% en 1852. La région du Marmandais atteint les 91,4% en 1851. Les élections du 29 février 1852 au Corps législatif voient le succès de deux bonapartistes, Henri Noubel à Agen et Charles Laffite à Nérac, et d’un monarchiste, Gustave de Richemont à Marmande/Villeneuve-sur-Lot. Dans le Gers, 68,2% des électeurs se prononcent pour le « oui » en 1851 (61e position seulement). Bien que le plus faible des trois départements, ce résultat est en progrès par rapport à celui de l’élection présidentielle de 1848. Les votes défa-vorables se situent à la fois dans les cantons républicains de 1849 et dans ceux de Lombez, Samatan et L’Isle-Jourdain où l’opposition légitimiste est très marquée. C’est le canton de Plaisance qui arrive en tête (avec 88% en faveur du « oui »), suivi par ceux de Miradoux (83%), Aignan (82%), Riscle (81%), Marciac (78%) et Nogaro (78% également). Les élec-tions du 29 février 1852 au Corps législatif sont quasiment réduites à une simple formalité administrative : Bernard-Adolphe Granier de Cassagnac est élu à Mirande (73%) 86, Belliard à Condom/Lectoure (64%) et le comte de Lagrange à Auch (63%). Alors que, dans le Gers où il a été correct en 1851, le plébiscite est cette fois plus massif en 1852 avec 80,3% de « oui », résultat quasiment aussi fort que dans les Landes et qui représente la plus grosse progression pour le cœur de la Gascogne. On assiste également à un très grand recul des « non » (seule-ment 1,26%) et des abstentions. Si les cantons de Condom, Eauze, L’Isle-Jourdain, Samatan sont restés les plus hostiles, l’arrondissement de Mirande arrive en tête, en particulier le can-ton de Riscle (avec 93%). Du reste, dans ce département, vingt-deux cancan-tons sur vingt-neuf sont tenus par des bonapartistes et, lors des cantonales de 1855, tous les candidats officiels sont encore élus. Aux législatives de 1857, 71% des inscrits gersois votent pour les bonapar-tistes. Dans sa circonscription, Bernard-Adolphe Granier de Cassagnac obtient même 81%. Ainsi, malgré quelques différences entre départements, l’Empire, de façon globale, emporte l’adhésion des électeurs.

Les contemporains républicains, voulant à tout prix imputer le bonapartisme des pay-sans à l’infériorité supposée de leurs conditions de vie, en viennent à considérer cet électorat,

85

En dehors de la spécificité de la commune de Sore, tandis que la moyenne départementale de « non » donne un pourcentage de 2,9, les opposants les plus nombreux se situent dans le canton de Saint-Esprit, foyer de la résis-tance au coup d’État (8,3%), et dans les cantons urbains de Mont-de-Marsan (7,1%) et de Dax (3,7%).

86 Dans sa circonscription de Mirande, il obtient même davantage de « oui » que Louis-Napoléon Bonaparte lors

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