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FRITZ LANG ET LA QUESTION DU HAPPY END

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Academic year: 2022

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Séminaire Classicisme hollywoodien – 2 mars 2021

FRITZ LANG ET LA QUESTION DU HAPPY END

1. Autour de la fin: cinéaste contre producteur

C'est lorsqu'il est le plus provocant que le happy end intrigue et intéresse le plus. Certains des films américains de Fritz Lang offrent à cet égard une déclinaison tout à fait insolite de la figure.

Outre l'article cité plus haut, on constate au fil des entretiens et des déclarations de Lang qu'il est nettement préoccupé par la question du dénouement. On peut voir là la confirmation de la fin du film comme limite mise à la liberté du cinéaste: Lang ne s'est jamais caché de souffrir du système autoritaire des studios: "Quand vous êtes sous contrat avec un grand studio américain, vous n'avez jamais les mains libres." (Bogdanovich, 1990, p.22). Cette hostilité semble souvent s'être cristallisée autour des dénouements.

Dès Fury, son premier film américain, il proteste contre le baiser final de Spencer Tracy et Sylvia Sidney, baiser imposé par le producteur, J. Mankiewicz : le happy end, en l'occurrence le fait que Joe ait renoncé à sa vengeance, était en effet assez clair sans cette fin que Lang qualifie de mièvre. Dans La rue rouge (remake de La chienne de Renoir), il se bat avec la censure pour imposer que le personnage d'E.G.

Robinson reste en vie - comme celui de M. Simon chez Renoir. Cape et poignard se terminait par une longue scène où, par la voix de G. Cooper, Lang exprimait ses vues sur l'arme atomique: la Warner a supprimé le tout, pour des raisons inconnues du cinéaste. Enfin il y eut deux fins tournées pour Les contrebandiers de Moonfleet, et le producteur décida de garder celle dont ne voulait pas Lang, après lui avoir promis de ne jamais l'utiliser.

2. Relativité du bonheur

Il faut pourtant noter que Lang ne refuse pas le happy end par principe, et surtout pas au nom des films sombres qu'il a tournés en Allemagne. Il reconnaît que le public est plus satisfait par un happy end que par une fin tragique, et ne l'en respecte pas moins pour cela; il veut obéir à la logique interne du récit, et peut même déplorer l'absence d'un happy end qui s'imposerait: il regrette ainsi que dans L'invraisemblable vérité le personnage de Dana Andrews, sympathique pendant tout le film, s'avère finalement un meurtrier. C'est que Lang, sans doute plus fin analyste des habitudes hollywoodiennes que bien des Américains de souche, est sensible à la relativité du happy end : celui-ci, comme le montre Lang avec humour, n'est bien souvent heureux que par rapport à l'éventualité d'un malheur plus grand (Bogdanovich 1990, p.121).

3. Fins roses pour films noirs

Sans doute cette conscience exceptionnelle des problèmes posés par la fin du film rend-elle plus saisissants les happy ends dont sont pourvus quelques-uns des films américains de Lang.

On a souvent dit que ceux-ci étaient des mécaniques glacées, où des personnages inhumains agissaient selon des comportements infiniment stylisés. Très nombreux en effet sont les scénarios où le récit obéit à la logique du cauchemar: Furie, La femme au portrait, Espions sur

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la Tamise, La rue rouge, The House by the River, La Femme au gardenia, Désirs humains, La CinquièmeVvictime, L'Invraisemblable Vérité. Le schéma y est presque toujours identique:

normalité - incident - enchaînement de catastrophes qui poussent le personnage à agir contre son intérêt le plus évident. Le tout dans une atmosphère confinée (mise en scène, décor, éclairage), qui rend le protagoniste semblable à une mouche prisonnière, se heurtant aux parois d'un verre.

Dans cet univers infiniment noir, qui met souvent en accusation la société américaine, le happy end insolite s'affirme plus que jamais comme un organe greffé sur le récit, une sorte de "coda"

quasiment détachable de l'ensemble, dans la mesure où elle en est souvent séparée par une forte ellipse temporelle, un changement dans l'éclairage, un régime musical particulier (la musique, après avoir souligné la violence du climax, redevient douce et paisible).

Ce "finale" provocant semble bien être le sceau de l'institution sur l'oeuvre, assumé ou repoussé, selon les cas, par le cinéaste. On a déjà vu que Lang refusait le baiser final de Furie, mais non son happy end : Joe (S.Tracy) renonce à faire condamner la horde qui l'a lynché; même s'il clame que sa foi en la justice est brisée, sa raison et son humanité reprennent le dessus. Dans La femme au portrait, la provocation est assumée par Lang: il a lui-même changé la fin "en ayant recours à une ruse si vieille qu'elle semblait presque nouvelle "(Eibel, 1988, p.153) : la pénible aventure vécue par Richard (E.G. Robinson) n'était en effet qu'un rêve. La logique aurait voulu qu'il fût condamné, mais Lang a rejeté cette fin comme "défaitiste, une tragédie pour rien, occasionnée par un destin implacable..., une tristesse inutile que le public rejetterait

". (id.)

Dans La Femme au gardenia, Nora (A.Baxter) est persuadée d'avoir tué un homme sans en avoir le souvenir précis (ici la structure cauchemardesque est à prendre au pied de la lettre).

Ledeus ex machina est une découverte de dernière minute qui innocente la jeune femme, et rend possible son amour pour le journaliste Casey (R.Conte).

Règlement de comptes est un film très noir, où un policier vertueux (G. Ford) se transforme en justicier pour venger la mort de sa femme. Selon la loi du genre, tout le monde est mort ou presque mort à la fin; mais un épilogue en forme de happy end nous montre le policier réintégrant ses fonctions avec une satisfaction évidente.

Notons cependant qu'il n'y a pas de "politique" systématique dans le film noir au sujet de la fin. Parmi les modèles du genre, on trouve des fins résolument tragiques (Quand la ville dort), des happy ends très plaqués (Les passagers de la nuit), d'autres enfin plus pudiques, comme la fin de Mark Dixon, détective, qui promet sans la montrer la réunion du couple D.Andrews/G.Tierney.

Enfin, le happy end de La cinquième victime est tout aussi inattendu que celui de La femme au portrait. Alors qu'il n'y a plus aucun espoir pour que des journalistes intègres puissent faire leur métier face à des crapules arrivistes, brusque retournement de situation: Mobley (D. Andrews),

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en voyage de noces en Floride, apprend par un journal local qu'il est réintégré dans son journal avec de l'avancement...

Faut-il conclure de ces heureux dénouements que Lang partageait l'optimisme moral de Hollywood? Certainement pas: non seulement toutes ses déclarations, mais toute la substance même de ses films témoignent du contraire. Le grand intérêt de ces fins roses, plaquées sur des films très noirs, consiste justement à montrer combien le happy end est à Hollywood, certes, un choix idéologique, mais encore autre chose que cela : c'est un film dans le film, un élément autonome où l'oeuvre, tout en réaffirmant avec la plus grande force ses propriétés essentielles, dérive loin de ses auteurs - la preuve en somme que le film hollywoodien n'appartient en dernier ressort qu'à son public.

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