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LE PÉPLUM EST DANS LA BOÎTE, COCO!

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Academic year: 2022

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LE PÉPLUM EST DANS LA BOÎTE, COCO !

MARIN DE VIRY

ans sa quête éternelle et poussive d’un scénario binaire, la télévision française grand public sort de sa boîte, à chaque élection présidentielle américaine, la même trame interprétative, aussi spectaculaire qu’elle est dénuée d’intérêt politique. Cette trame

«exciting » permet à n’importe quel stagiaire en neo-journalisme de tricoter des phrases autour des deux propositions suivantes :

a) en politique intérieure aux États-Unis s’opposent les parti- sans d’une action sociale plus étendue aux partisans du laisser-faire, lequel est dans les gènes de ce pays. Dans les mentalités, l’inné ultralibéral reste majoritaire par rapport à l’acquis keynésien et social. C’est étrange et vaguement déplorable, mais c’est comme ça ; b) en politique extérieure, la puissance américaine oscille entre deux pôles, le réalisme et le messianisme, selon des modalités à peu près semblables chez les républicains et les démocrates. Le réalisme consiste à envahir l’Irak à cause du terrorisme et du pétrole.

L’idéalisme consiste à envahir l’Irak au nom de la démocratie.

Vous noterez que pour la Russie, la grille interprétative est également réduite à deux fois deux dimensions :

a) en matière intérieure, c’est l’anarchie ou la dictature (la version ultra-raffinée étant d’expliquer que cette tragique alternative est liée à l’étendue du pays et au goût séculaire pour le malheur de son peuple) ;

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b) en matière extérieure, c’est le repli identitaire ou l’ouver- ture à la modernité. Il fallait le dire.

Vous noterez enfin que pour les cas plus rares où il est ques- tion de l’Amérique latine, on a encore le droit à un carré magique : a) en matière intérieure, le Latino-Américain est condamné soit à fomenter un pronunciamiento d’extrême droite soit à natio- naliser d’un coup sec ;

b) en matière extérieure, c’est soit l’alignement sur les États- Unis, soit la recherche effrénée d’un partenaire extérieur au conti- nent (ce qui amène mécaniquement un pronunciamientod’extrême droite subventionné par les États-Unis).

Ceci pour rappeler que le plus sûr moyen de terminer idiot est de regarder la télévision.

Sur tous les continents, la problématique politique se réduit pour elle à une matrice à quatre cases. À l’intérieur : deux options.

À l’extérieur : deux options. Bataille navale pour nourrissons.

Pour le malheur intellectuel des téléspectateurs français, le style de McCain et celui d’Obama semblent coller parfaitement à cette trame indigente. La nature vient en effet conforter la caricature, car chacun des deux candidats a le physique bien typé pour le rôle : à ma droite un pilier blanc, à ma gauche une flèche noire.

La densité et le mouvement. Le vieux lion et l’aigle neuf. Le héros du Vietnam et le héros des campus. Magnifique segmentation ! Le péplum est dans la boîte, coco !

Donc, des consultants vont nous expliquer que McCain est porteur de l’impérialisme pétrolifère, tandis qu’Obama exportera la démocratie, à la tête d’une hyperpuissance féminisée. Que celui-ci trouvera les ressources pour un deal sur les infrastructures et la sécurité sociale, tandis que celui-là conservera la politique fiscale de l’Administration actuelle, favorable aux ultras-riches et au privé, et internationalement égoïste. Comme le barycentre idéologique des consultants de la télévision est pro-Obama, une lichette de manichéisme viendra couronner le tout : ce serait bien que le bien triomphe du mal, le neuf du vieux, le sympa de l’inquiétant, le crème du blanc, etc. Et si McCain gagne, nous aurons des propos aigres sur fond de déconfiture des aspirations humaines au progrès. Contre un babil euphorique si c’est Obama qui passe.

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Autrement dit, on s’ennuie déjà

Les opinion makers de notre brave télévision française ne vont pas parler de trois choses essentielles dans cette campagne : la communication, Dieu, et le bon usage de la puissance.

Ils ne parleront pas de la communication, c’est-à-dire de la bataille de l’opinion car les stratèges, les tacticiens, et les story tellers des équipes de campagne aux États-Unis ont des moyens, un profes- sionnalisme et une malignité cynique qui dépassent de loin ceux de nos communicants nationaux. Ceux-ci en font un légitime complexe.

Surtout, parce qu’il faudrait dire que les deux machines de communication démocrates et républicaines ont exactement les mêmes moyens et les mêmes objectifs : distraire (escamoter, attirer l’attention sur quelque chose de non gênant), intimider (en faire des tonnes, asséner des arguments d’autorité d’expert, saturer les plages de pub), et embrouiller les électeurs (sur le mode : il a dit ce qu’il n’a pas dit et il a fait ce qu’il n’a pas dit qu’il ferait). Les élites des deux partis ont décidé que les campagnes se gagnent contre la réflexion, le courage, et la clarté d’esprit des citoyens américains. Or, dire cela, qui est une évidence pour qui s’est un tout petit peu penché sur la fabrication des opinions dans les deux états-majors, c’est dire que l’enjeu ne se joue pas entre l’âne et l’éléphant, qui n’échangent pas d’arguments mais des bombes com- municantes, des mini-nukes sémantiques destinées à détruire les couches profondes de la réputation de l’adversaire, et que l’enjeu n’est plus entre la manipulation et la délibération, car la manipula- tion a gagné depuis longtemps. On sait bien qu’au bout, la diffé- rence des politiques intérieures ne sera pas massive, étant entendu le déficit et la faiblesse du secteur public. La seule chose qui impor- te vraiment, c’est que les décideurs ont décidé qu’il fallait abrutir les électeurs de spots ineptes et tripaux jusqu’à ce qu’ils finissent par penser avec enthousiasme ce qu’on leur demande de penser. Et ce qu’on leur demande de penser est simple : l’autre est un zozo.

Bref, les politiciens américains se prennent pour des dieux grecs, des êtres supérieurs autojustifiés qui s’amusent avec l’opinion. Le tout arrosé d’une dose de Heidegger, pour la confiance aveugle en la technique communicante.

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Ils ne parleront pas de Dieu, ensuite, car à leurs yeux c’est l’ininterprétable et pourtant massif déterminant de la campagne américaine. Et c’est vrai qu’il est à la fois électoralement décisif et crypté. Car Dieu est à toutes les sauces américaines, et le marketing en invente un nouveau, un seul vrai, chaque semaine. Le Dieu des Wasp, le Dieu des créationnistes abrutis (le Dieu juste qui expédie Darwin en enfer parce qu’il a remplacé Adam et Eve par des pois- sons), le Dieu des nombreux allumés qui s’imaginent qu’ils seront brusquement enlevés dans le Royaume tandis qu’ils conduiront sur l’autoroute, le Dieu qui bénit l’Amérique et se fout du reste du monde, le Dieu de Mel Gibson, à base de sang et d’inquiétude, le Dieu qui vous signale qu’il est d’accord avec votre manière de conduire votre existence en vous envoyant du pognon, en vous donnant le sens des affaires, le Dieu des Texans, le Dieu des Latinos, le Dieu du gospel. Et puis Dieu tout court aussi. Il est là à chaque minute, dans chaque discours de cette campagne. Une offense à l’un de ces dieux qui font Dieu, et le candidat n’a plus qu’à plier bagage.

Obama et McCain, qui avaient un rapport mesuré à l’infini, si j’ose dire, ont dû s’y mettre. Une pincée de born again par-ci par-là, de lourds silences, quelques reniements. C’est la revanche des méprisés : le déclassé du Bible Belt se venge de la manipulation médiatique voulue par ses dirigeants en les terrorisant par l’irration- nel. Même Madeleine Albright s’y met ! Fabuleuse, sa récente inter- view dans l’Express. Ma génération a négligé Dieu dans les relations internationales, dit-elle. C’était assez compliqué comme ça pour qu’on y mette en plus ce grand paramètre un peu mou, au premier regard... Mais nous avions tort. Il pèse, se rend-elle compte.

Formidable, ce côté « j’avais oublié un petit facteur dans ma thèse de doctorat il y a quarante ans, so sorry, les calculs sont faux ».

Le bon usage de la puissance, enfin. Le gouvernement des États-Unis pouvait et peut encore sans rire décréter l’état d’urgence parce que le Nicaragua (encouragé par les services américains, semble-t-il) avait reçu une centaine d’AK 47 de feu la République tchécoslovaque, et il peut envahir l’Irak sans l’ombre d’une menace sur sa sécurité, car la paranoïa sécuritaire est une constante sécu - laire. Mais tout de même, il existe un fond de common decency suffisamment fort pour trouver gênante, et parfois criminelle, cette propension à montrer « qui est le patron » (et la chose n’est pas plus

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républicaine que démocrate, cf. les bombardements de la Serbie sous Clinton). La retenue du plus fort est d’autant plus indispensable qu’il est de facto irresponsable et incontestable dans les faits, comme tous les créateurs de normes de l’histoire. On croirait au contraire que pour Bush, mais aussi pour bon nombre de politi- ciens, cette irresponsabilité de l’hyperpuissance n’est pas un motif de retenue, mais un signe d’élection divine. D’où ce mélange, très bernanosien, de cynisme et de sentimentalité. Cynisme du fort, sen- timentalité de l’élu de la Providence.

Fondamentaliser la modernité

En désespérant, on pourrait penser qu’il n’y a pas de théorie américaine des relations internationales, il n’y a qu’un discours d’au- tojustification de l’ambivalence infantile de son rôle dans le monde.

Bref, la conjonction de l’irresponsabilité et de la brutalité a transfor- mé les États-Unis sous l’Administration Bush en machine à se faire haïr. Le crétinisme théocratique n’est pas que le fait des mollahs hagards contre qui la « WOT » a été déclenchée. En prétendant moderniser l’islam, Bush a contribué à fondamentaliser la modernité.

La thématique sécuritaire a été tellement surjouée qu’elle est mise en question. Le malaise qui semble saisir les Américains lorsqu’il sentent ce problème jouera un rôle-clé dans l’élection : tomberont- ils dans l’ornière traditionnelle de la puissance impériale, ou essaieront-ils autre chose ? Penseront-ils qu’à la fin, trop de sécurité agressive tue la sécurité, ou accepteront-ils de continuer de payer pour se faire détester ?

De cela, et de la manière dont le vote sera orienté par la réponse à la question, nous n’entendrons pas parler à la télévision française, comme d’habitude.

Marin de Viry est l’auteur d’un ouvrage sur la presse : Pour en finir avec les hebdomadaires(Gallimard, 1996), et de chroniques littéraires dans Commentaire.

Il codirige une société de conseil qu’il a fondée. Son dernier ouvrage,le Matin des abrutis, vient de paraître aux éditions Lattès.

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