• Aucun résultat trouvé

LES FOUS CRIENT AU SECOURS!

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "LES FOUS CRIENT AU SECOURS!"

Copied!
22
0
0

Texte intégral

(1)

Présentation de Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin

LES FOUS CRIENT AU SECOURS !

JEAN-CHARLES PAGÉ

Témoignage d’un ex-patient de Saint-Jean-de-Dieu

(2)
(3)

les fous crient au secours !

(4)
(5)

Jean-Charles Pagé

Postface originale du Dr Camille Laurin

LES FOUS CRIENT AU SECOURS !

Témoignage d’un ex-patient de Saint-Jean-de-Dieu

Présentation de Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin

Nouvelle postface d’Action Autonomie, le collectif de défense des droits en santé mentale de Montréal

(6)

Les Éditions Écosociété reconnaissent l’appui financier du gouvernement du Canada et remercient la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) et le Conseil des arts du Canada de leur soutien.

Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

Coordination éditoriale : Barbara Caretta-Debays Révision : Christophe Horguelin

Illustration de la couverture : © Raymond Depardon/Magnum Photos Typographie et mise en page : Yolande Martel

L’édition originale de ce livre a été publiée en 1961 par les Éditions du Jour (Montréal).

Les titulaires de droits d’auteur étant introuvables, la présente édition a obtenu une licence de la Commission des droits d’auteurs du Canada.

© Les Éditions Écosociété, 2018 ISBN 978-2-89719-432-1 Dépôt légal : 4e trimestre 2018

Ce livre est disponible en format numérique.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Pagé, Jean-Charles, 1932-, auteur

Les fous crient au secours : témoignage d’un ex-patient de Saint-Jean-de-Dieu / Jean-Charles Pagé ; prologue d’Anaïs Dupin et de Jérémie Dhavernas ; postface à l’édition originale du Dr Camille Laurin ; postface à la présente édition d’Action Autonomie.

(Collection Retrouvailles)

Édition originale : Montréal : Éditions du Jour, 1961.

ISBN 978-2-89719-432-1 (couverture souple)

1. Hôpital Saint-Jean-de-Dieu (Montréal, Québec). 2. Hôpitaux psychiatriques – Québec (Province) – Montréal. 3. Malades mentaux – Soins – Québec (Province) – Montréal. 4. Pagé, Jean-Charles, 1932-. I. Dupin, Anaïs, 1987-, préfacier. II. Dhavernas, Jérémie, préfacier, 1985-. III. Laurin, Camille, 1922-1999, postfacier. IV.  Action Autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal, postfacier. V. Titre. VI. Collection : Collection Retrouvailles.

RC448.Q83M6 2018 362.2’10971428 C2018-942450-8

(7)

table des matières

PROLOGUE : Pourquoi rééditer Les fous crient au secours !,

par Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin . . . . 7

-

ÉDITION ORIGINALE 1 . Le dernier lendemain de la veille . . . . 15

2 . Saint-Gabriel . . . . 24

3 . L’empire des fous . . . . 29

4 . Mal nourris ! . . . . 37

5 . Mal habillés ! . . . . 41

6 . Un congé m’attendait… . . . . 46

7 . Derrière les barreaux . . . . 55

8 . Les salles-en-arrière . . . . 58

9 . Malades maltraités . . . . 62

10 . Les deux cas Saint-François-d’Assise . . . . 69

11 . Traitements imposés de force . . . . 82

12 . Une injustice impardonnable . . . . 85

13 . Où l’on travaille pour 50 cents par semaine . . . . 89

14 . Règlements inadéquats . . . . 93

(8)

15 . La religion telle que comprise à Saint-Jean-de-Dieu . . . . 97

16 . L’hôpital, complice des préjugés . . . . 102

17 . Réaction des malades devant l’internement . . . . 107

18 . On n’a plus le sens des valeurs . . . . 112

19 . Un fou coûte 2,75 $ par jour . . . . 116

20 . L’assemblée . . . . 119

21 . Après l’assemblée… encore l’hôpital . . . . 124

22 . Les autorités se moquent des familles . . . . 126

23 . Le pire handicapé . . . . 130

24 . Suggestions constructives . . . . 134

25 . En guise de conclusion . . . . 139

POSTFACE de l’édition originale : La maladie mentale : un défi à notre conscience collective, par le Dr Camille Laurin . . . . 143

-

ÉPILOGUE : De la psychiatrie, par Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin . . . . 156

POSTFACE de la présente édition : Les fous crient encore… pour le respect de leurs droits, par Action Autonomie . . . . 167

ANNEXES I . Articles de presse . . . . 206

II . Rapport Bédard (extraits) . . . . 227

OUVRAGES DE RÉFÉRENCE PRINCIPAUX . . . . 235

REMERCIEMENTS . . . . 237

(9)

prologue

Pourquoi rééditer Les fous crient au secours !

Jean-Charles Pagé est guéri. Il aurait pu se taire pour qu’on oublie au plus vite qu’il sort à peine de l’asile des fous. Il a préféré devenir le porte-parole des « hommes sans voix », il crie « au secours » au nom de ces milliers d’abandonnés, ses frères les fous, nos frères les fous. […] Puisse son geste d’homme libre et courageux éveiller l’opinion publique et, conséquemment, forcer nos gouvernants à mettre un terme à une situation qui fait la honte du Canada français.

Ces mots d’« avertissement » à la première édition des Fous crient au secours ! sont de Jacques Hébert, qui vient à cette époque de fonder les Éditions du Jour. C’est lui qui décide de publier en 1961 le témoignage d’un ancien patient d’asile, Jean-Charles Pagé, interné sans son consentement pour alcoolisme, et qui malgré sa volonté d’être libéré et son état stable y restera captif pendant plus d’un an. Dans ce livre, Pagé dénonce les conditions dans les- quelles sont détenus les « fous » du Québec, plus parqués que traités dans d’immenses hôpitaux psychiatriques faiblement financés par l’État et administrés par les communautés reli- gieuses depuis plus d’un siècle.

C’est également Jacques Hébert qui a l’idée de joindre au texte de Pagé une postface de Camille Laurin, alors éminent psychiatre

(10)

8 les fous crient au secours !

de la nouvelle garde, afin de ne pas cantonner le témoignage à la simple anecdote et d’en augmenter la portée dans l’espace public.

Cette postface transformera un récit consternant en un véritable plaidoyer pour une réforme des soins psychiatriques et du sys- tème asilaire québécois. Le « geste d’homme libre et courageux » de Jean-Charles Pagé deviendra finalement un succès en librairies (40 000 exemplaires vendus) et secouera autant l’opinion publique que le jeune gouvernement Lesage, élu un an plus tôt. Le livre ne connaîtra pourtant jamais de réédition…

Dès sa parution, le 15 août 1961, la presse écrite réagit. Le Devoir dénonce la situation et salue la postface « dense et coura- geuse de Laurin1 ». La Presse publie quant à elle une vaste enquête sur les hôpitaux psychiatriques, qualifiant ces derniers de « com- promis entre le pénitencier et le camp de concentration2 ».

Devant le tollé, la réaction du gouvernement provincial ne se fait pas attendre. Rappelons que le Québec est alors en pleine Révolution tranquille, inspirée à la fois par les principes du key- nésianisme et par ceux de la social-démocratie. L’État souhaite rompre avec le credo non interventionniste de la Grande Noirceur, qui avait laissé les champs de la santé, de l’éducation et de l’assis- tance sociale entre les mains du clergé catholique. Si les symboles forts de cette période, comme la création du ministère de l’Édu- cation et la nationalisation de l’électricité, ne se sont pas encore matérialisés, l’ère des réformes est tout de même commencée.

Depuis le 1er janvier 1961, le Québec s’est doté d’un programme d’assurance hospitalisation, pierre d’assise du système de soins de santé public à venir.

C’est dans ce contexte que le gouvernement Lesage met sur pied la Commission d’étude des hôpitaux psychiatriques, compo- sée des psychiatres Dominique Bédard, Denis Lazure et Charles Roberts, tous trois associés à la vague moderniste et défendant les

1. André Laurendeau, « Les fous crient au secours », Le Devoir, 21 août 1961.

Le texte complet est reproduit en annexe.

2. Gérard Pelletier, « Il est temps d’avoir honte », La Presse, 26 août 1961. Le texte complet est reproduit en annexe.

(11)

9 prologue mêmes idées que Laurin. L’exercice est mené dans l’urgence : la Commission est constituée le 9 septembre 1961, moins d’un mois après la parution du livre de Pagé, et remet son rapport en mars 1962 (voir le rapport Bédard en annexe). Les commissaires recom- mandent entre autres un meilleur financement des hôpitaux et départements psychiatriques, la promotion de la recherche et de l’enseignement, l’implantation de la psychothérapie, des unités de soins plus petites et des équipes soignantes multidisciplinaires.

La commission Bédard recommande également la décentralisa- tion des services afin que l’aliéné ne soit plus interné à l’asile qu’en dernier recours, favorisant ainsi la réintégration chez soi ou dans des établissements adaptés. La désinstitutionnalisation est née.

Pour mener à bien ce programme, les commissaires exigent que le contrôle des services psychiatriques de la province soit retiré aux congrégations religieuses pour être confié au corps médical, plus précisément aux psychiatres. Rappelons que depuis l’Acte pour le soulagement des personnes dérangées dans leur esprit et pour le soutien des enfants abandonnés de 1801, le gouvernement québécois « sous-traite » aux communautés religieuses le soin des

« fous ». Cette pratique, appelée affermage, consiste à déléguer exclusivement à des entités privées la prise en charge des aliénés, en contrepartie d’une somme d’argent allouée per capita. La possibilité pour les communautés religieuses de réaliser ainsi un profit (voir la revue de presse en annexe) peut entraîner plusieurs dérives, toute guérison ou libération de patient signifiant une perte de financement. La surveillance par l’État est sommaire.

Au moment de l’adoption de la loi, en 1801, le système d’affer- mage est destiné à financer les « loges » où sont isolés du reste de la société, selon la terminologie de l’époque, les idiots, débiles et autres monstres dont on ne sait plus quoi faire. Cette mesure est utilisée en dernier recours, le fou étant encore dans une large mesure pris en charge par la communauté. La construction des premiers asiles, soit le Montreal Lunatic Asylum en 1839 et l’Asile de Beauport en 1845, l’urbanisation, l’industrialisation et l’arrivée massive d’immigrants européens sans argent ni famille viennent

(12)

10 les fous crient au secours !

changer la donne. On régule désormais l’indigence et la folie dans d’immenses institutions quasi carcérales. Signe que la science s’intéresse de plus en plus aux divers égarements de l’esprit, le corps médical a maintenant sa place, quoique contestée, dans les asiles. Malgré ces profonds changements, l’affermage est maintenu. Il sera source de tensions entre une vision de la folie fondée sur la science, prédominante dans la communauté anglo- protestante, et une vision axée sur la charité, répandue chez les francophones catholiques. À la fin du XIXe siècle, la bourgeoisie anglophone au pouvoir à Québec souhaite ramener le contrôle des asiles dans le giron de l’État. L’élite canadienne-française et le clergé s’y opposent farouchement, défendant la libre entreprise et la charité chrétienne. Durant cette crise, des sœurs de Saint- Jean-de-Dieu refuseront même aux médecins visiteurs l’accès aux malades…

La dispute est résolue par l’adoption de la loi Ross de 1885, qui met en place un compromis qui durera jusqu’en 1962 : le contrôle médical des asiles appartient au gouvernement tandis que le contrôle administratif et financier demeure entre les mains des propriétaires des lieux qui sont, du côté francophone, les com- munautés religieuses.

La parution des Fous crient au secours ! enclenche donc la dissolution d’un système critiqué depuis des lustres. Elle annonce en quelque sorte la décléricalisation de la société québécoise, autant dans les sphères de la santé, de l’éducation et des services sociaux que dans le monde syndical.

Tout cela n’est pas dû au hasard. La présence d’un gouverne- ment élu avec le slogan C’est le temps que ça change et l’esprit du temps ont certes créé les conditions favorables à ce que Les fous crient au secours ! ait l’impact qu’il a eu. Sa parution a pourtant été le fruit d’une alliance toute naturelle entre, d’un côté, la nou- velle génération de psychiatres et, de l’autre, une petite intelli- gentsia progressiste.

Commençons par les psychiatres. Plusieurs découvertes et nouvelles pratiques viennent complètement chambouler la disci-

(13)

11 prologue pline psychiatrique après la Seconde Guerre mondiale. Les inno- vations pharmaceutiques, notamment les neuroleptiques, laissent espérer ce qui était inconcevable encore quelques années aupara- vant : que la folie soit désormais traitable par la médication et devienne dès lors une maladie comme une autre. On commence à utiliser le terme « maladie mentale » et à croire que la science peut tout guérir, y compris les cas psychiatriques les plus lourds.

Parallèlement au développement rapide de la pharmacopée, les années 1950 sont marquées par l’essor de la psychothérapie, nouvel incontournable de la guérison du malade dans une cer- taine littérature scientifique prédominante aux États-Unis et en Europe. Psychanalyse, thérapie d’occupation, art-thérapie ou gestalt-thérapie : la psychiatrie moderne souhaite désormais dia- loguer avec la psychologie, dans une optique de guérison et de réintégration du malade au sein de sa communauté, en rupture avec la pratique traditionnelle de soulagement et d’apaisement du fou par son retrait de la vie sociale. On veut favoriser la guérison par la création d’équipes multidisciplinaires et le développement de cliniques à échelle humaine ancrées dans la communauté, à l’opposé du modèle des asiles surpeuplés et coupés du reste du monde. Dans la littérature scientifique, le lien de confiance entre le psychiatre et son patient est dorénavant considéré comme primordial pour favoriser le traitement, contrairement à la rela- tion de distance et d’obéissance jusque-là privilégiée.

Au Québec, ces nouvelles idées sont rapidement intégrées à la formation universitaire des futurs psychiatres. Grâce aux subven- tions fédérales en « hygiène mentale » créées en 1948, plusieurs d’entre eux font des séjours à l’étranger, important ensuite ces théories innovantes. Rapidement, une scission se crée entre cette génération, qualifiée de moderniste, et les traditionnalistes, tou- jours adeptes du déterminisme et d’un certain fatalisme caracté- ristiques de l’approche psychiatrique de l’entre-deux-guerres.

Une fois diplômés, les modernistes, au nombre desquels on trouve Laurin, Bédard et Lazure, n’arrivent pas à transposer ces idées dans leur pratique, du moins dans les hôpitaux francophones, là

(14)

12 les fous crient au secours !

où les traditionnalistes détiennent les postes de pouvoir et colla- borent depuis des décennies avec le clergé. La confrontation est inévitable…

Le temps est venu pour la vieille garde, écrira dans Cité libre le psychiatre Pierre Laberge, de se rajeunir ou de laisser sa place à ceux qui ont fait les raccordements nécessaires avec les grands courants et les découvertes récentes de la psychiatrie telle qu’elle se pratique dans les pays évolués. Ceux-là nous ont appris d’abord à voir le malade non pas comme une bête curieuse, un animal de jardin zoologique, mais comme un semblable, un frère susceptible de ne pas passer le restant de ses jours dans une prison, s’il y a possibilité pour lui d’être soigné et guéri3.

Dès les années 1950, les modernistes s’affairent à populariser leur idéal d’une psychiatrie libérée du joug religieux et tournée vers le progrès. Le débat se déroule dans un premier temps à l’intérieur de la communauté médicale et n’a, sans surprise, que peu d’écho dans la population. Tout change lorsque des intellec- tuels et des journalistes s’y intéressent et investissent le champ médiatique.

En 1955, Jacques Hébert fait paraître dans le journal Vrai une série d’articles pourfendant le système asilaire. Il y expose deux ans plus tard le scandale du poste de police no 1 où, conséquence directe de la surpopulation des asiles, sont enfermées indéfini- ment et sans procès une vingtaine de femmes pauvres et à la santé mentale fragile. Hébert fonde les Éditions de l’Homme en 1958 et publie l’année suivante Scandale à Bordeaux, puissante charge contre les abus commis par les médecins de l’aile psychiatrique de la plus grande prison du Québec, qui accueille les criminels jugés mentalement inaptes à subir leur procès. Bien que ce livre paru à la fin du règne de Duplessis n’ait pas eu la réception escomptée, Hébert récidive en publiant Les Insolences du Frère Untel en 1960. Cette fois, le succès est au rendez-vous pour l’ouvrage de

3. Pierre Laberge, « Le point de vue d’un psychiatre », Cité libre, vol. 12, no 40, octobre 1961. Le texte complet est reproduit en annexe.

(15)

13 prologue Jean-Paul Desbiens, qui critique vertement le clergé catholique et sa mainmise sur l’éducation, dénonçant au passage la pauvreté du français enseigné dans les écoles de la province. Préfacé par André Laurendeau, plus tard fervent partisan de la croisade des psychiatres modernistes, le livre de Desbiens obtient un large succès populaire (100 000 exemplaires vendus) et sera considéré a posteriori comme annonciateur des réformes de la Révolution tranquille.

Aux côtés de René Lévesque, Gérard Pelletier, Pierre Elliott Trudeau, Guy Rocher et Pierre Vadeboncoeur, Jacques Hébert collabore à la revue d’idées Cité libre, qui devient rapidement l’organe de presse principal d’une nouvelle élite intellectuelle canadienne-française désireuse de s’affranchir du duplessisme et de l’omnipotence de l’Église catholique en prônant des réformes libérales. Avec 60 ans de recul, on comprend aisément que l’ac- tion de ces progressistes ait rejoint celle des psychiatres moder- nistes, vu leurs intérêts communs. C’est précisément de leur alliance que naît une vaste campagne contre les hôpitaux psychia- triques, dont Les fous crient au secours ! est le point culminant.

Outil d’affirmation de la psychiatrie moderne et des volontés de réforme des anticléricaux, témoin d’un moment critique de l’histoire contemporaine du Québec et réflexion sur la folie comme instrument de régulation sociale, Les fous crient au secours ! est un document fascinant. Malgré cela, il n’a connu qu’une seule édition. Si on le cite encore dans certains milieux, le lire est devenu un défi tant il est difficile d’en dénicher un exem- plaire. C’est ce grave manque qu’a voulu pallier la présente réédi- tion, qui comprend le récit de Jean-Charles Pagé ainsi que la postface d’origine de Camille Laurin.

Se replonger dans un témoignage si affligeant sur la réalité d’un « fou » en 1961 appelle nécessairement un état des lieux sur la réalité des personnes psychiatrisées aujourd’hui. Plus de 60 ans après le début de la désinstitutionnalisation, les idéaux des modernistes ont-ils réellement été mis en application ? Et si oui, ces réformes ont-elles créé pour les personnes psychiatrisées une

(16)

14 les fous crient au secours !

vie meilleure, un plus grand respect de leurs droits, de leur dignité, de leur volonté ? Action Autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal, un groupe communautaire travaillant quotidiennement dans ce domaine, nous livre son analyse dans une nouvelle postface.

En plus du présent prologue et d’un épilogue cherchant à ouvrir le débat et à interpeller le lecteur sur les notions de folie, de norme et de violence institutionnelle, vous trouverez en annexe des extraits du rapport Bédard de 1962 et des articles de presse de l’époque, afin de rendre le plus fidèlement possible l’état d’esprit dans lequel fut reçu Les fous crient au secours ! Finalement, une bibliographie est mise à la disposition des curieux.

Nous terminerons ce prologue sur un point essentiel. Si nous avons souhaité rééditer ce livre, c’est d’abord et avant tout parce que nous avons été ébranlés par le récit de Jean-Charles Pagé.

Nous avons tenté de retracer monsieur Pagé afin qu’il collabore au projet, si l’envie y était, ou qu’il nous donne à tout le moins sa bénédiction. Ce fut malheureusement peine perdue… Monsieur Pagé, nous vous saluons bien bas. Et si vous lisez ces lignes, n’hésitez pas à nous contacter !

Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin

(17)

chapitre 1

Le dernier lendemain de la veille

[26 avril 1960]

— Oh ! ma tête !…

Comme j’ai mal à la tête et d’un mal si étrange.

Les idées incohérentes s’entrechoquent.

J’essaie d’ouvrir les yeux, mais je les referme aussitôt.

Ma tête semble un cerveau électronique dont un court-circuit a fait sauter les fusibles. Je veux reprendre contact avec le réel. J’en suis incapable. Une à une les bougies s’allument.

— Où suis-je ?

Je regarde. Mes yeux se fixent sur un mur grisâtre. Gris de cette imprécision de temps, de cette tristesse sombre qui ne se définit pas.

Je cherche un signe pour me reconnaître. Le mur gris est nu.

Il m’enveloppe. Il est si proche que je crois qu’on l’a plié pour en former les pans.

Je n’ose pas bouger la tête, de crainte d’interrompre ma pauvre connexion d’idées.

— Mais où suis-je donc ?

Je me recueille et je me souviens. Je buvais un rye double1. J’avais peur ; si peur que j’en étais angoissé. Je suis alcoolique, je

1. Le rye est un whisky canadien, fabriqué traditionnellement avec du seigle (rye, en anglais).

(18)

16 les fous crient au secours !

le sais depuis longtemps et je me suis fait soigner à maintes reprises, voulant guérir de mon mal. Je lutte, presque désespéré- ment, depuis plusieurs années contre mon problème grandissant : l’alcool2.

Toujours, une nouvelle crise me terrasse.

Je me sens à la fin d’une cuite fatale.

— De quoi ai-je une peur aussi terrible ?

Ma mémoire ne m’apporte aucune réponse, ce qui redouble mon angoisse. Rien n’existe de ce que je suis, d’où je viens, de ce que j’ai fait.

— Serait-ce la prison cette fois ?

La panique m’envahit. Je sursaute. Je veux savoir. Je me vois incapable de bouger malgré les commandements furibonds de mon cerveau.

Après maints efforts, je m’assois.

Quel drôle de lit ! Petit, très bas et trop étroit. Fabriqué de tiges de fer, recouvert d’un matelas mince et difforme, ce lit est l’âme de la pièce. Il n’a aucune couverture. Son oreiller rigide endort mal mes troubles diffus.

— S’il y a une porte, où est-elle ? Inquiet, je scrute les murs.

Je la vois, juxtaposée à la tête du lit. Elle m’apparaît énorme et sans poignée. Tout en haut, un judas minuscule de trois pouces par six.

Je me lève, je me précipite vers ce trou, espérant connaître l’issue de ma dernière cuite.

Je comprends vite que ce hublot miniature est refermé par une trappe qui ne s’ouvre que de l’extérieur.

Une grille solide le rend encore plus impénétrable.

J’en conclus que je dois être dans le donjon d’une prison.

2. Pour une histoire culturelle de l’alcoolisme, de sa perception et de son traitement, voir Rod Phillips, Une histoire de l’alcool, traduction de Jude Des Chênes, Québec, Presses de l’Université Laval, 2015.

(19)

17 le dernier lendemain de la veille Mon cœur balance entre des sentiments divers : la crainte, la panique, la honte, le remords, la solitude. À un rythme effarant, les émotions se succèdent les unes aux autres.

— Au secours ! Au secours !

Une douleur au poing m’arrête de marteler cette porte qui m’isole de tout.

Je suis aux aguets. J’espère une réponse… un bruit qui réponde à ce bruit.

Enfin, mon oreille perçoit des pas. La trappe du judas s’ouvre.

Mon œil rencontre un œil qui questionne et que je questionne.

— Où suis-je ? Qui êtes-vous ? Qu’ai-je fait ? Parlez !

— Tiens-toi tranquille, le cave, ou on va te mettre la camisole3.

— Monsieur, dites-moi quelque chose. Pourquoi suis-je ici ? Ai-je tué quelqu’un ?

— T’as pas tué personne. T’es à l’âsile.

Son accent sur le a ne me laisse aucun doute.

— Pas Saint-Jean-de-Dieu, non4 ?…

— Exactement, mon vieux. Pis t’es mieux de ne pas varger dans la porte, si tu veux pas te faire passer la camisole de force et attacher après le lit.

— Est-ce que je peux aller aux toilettes ? Fumer ?

— Si tu veux pisser, t’as un pot de chambre, là, à la tête du lit.

3. La camisole de force, une chemise dont les manches longues s’attachent dans le dos de la personne internée afin de l’immobiliser. Inventée en 1790 à l’hôpital de Bicêtre, en France, elle permet de faire comprendre au malade que toute désobéissance sera nécessairement punie et qu’il a donc tout intérêt à se dominer lui-même. La camisole de force a aujourd’hui été remplacée par d’autres mesures de contention physique, notamment la combinaison Argentino ou encore l’usage de neuroleptiques, souvent appelés « camisole chimique ».

4. D’abord hospice, puis hôpital psychiatrique, Saint-Jean-de-Dieu est fondé en 1873 à la suite d’une entente entre le gouvernement et la congrégation des Sœurs de la Providence de Montréal, connue pour les soins qu’elle prodigue aux pauvres et aux « déments » depuis sa fondation par sœur Émilie Gamelin en 1843.

Saint-Jean-de-Dieu sera pendant plusieurs décennies le seul asile francophone de la grande région de Montréal. Décléricalisation oblige, il changera de nom pour celui d’hôpital Louis-Hyppolite-Lafontaine en 1976, puis sera rebaptisé Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSSM), en 2013.

(20)

18 les fous crient au secours !

En effet, je vois une sorte de bassin inséré dans un banc de bois, très bas et peu agréable à regarder.

— Est-ce que je peux fumer, monsieur ?

Je me fais suppliant. J’essaie de l’attendrir. C’est inutile.

— Tu veux nous sacrer le feu ? Non, tu fumeras quand on te sortira de la cellule.

— Quand allez-vous me sortir d’ici, alors ?

Si je suis vraiment dans un hôpital, je ne comprends pas pourquoi on m’emprisonne. Qu’ai-je fait ?

— Laisse faire pour tout de suite, le jeune. T’es mieux de dormir là, et de ne plus varger dans la porte, parce que c’est la camisole. Compris ?

Le judas se referme. Un bruit sec et métallique. Puis rien.

Je me sens désespéré, la conversation n’ayant apporté que peu d’éclaircissements à mes interrogations.

— Suis-je devenu fou ?

Je le dis, je le répète, je recommence et ne peux y croire.

Un psychiatre du sanatorium Albert-Prévost5 m’avait prévenu d’une telle éventualité. Mais je ne l’avais guère pris au sérieux.

Ces médecins, ils ont le don de nous faire des frousses ! Pourtant, ces frousses étaient quelque peu fondées.

J’avais bel et bien fait du delirium tremens6 pendant trois jours. Ces divagations passées, j’avais recouvré mon bon sens. Et la vie avait continué.

5. Fondé en 1919 et destiné à traiter les malades souffrant d’« affection du système nerveux », l’Institut Albert-Prévost a par la suite été intégré à l’hôpital du Sacré-Cœur, dont il est devenu le département de psychiatrie sous le nom de pavillon Albert-Prévost. De 1960 à 1962, l’Institut est le théâtre d’une guerre idéologique entre l’administration et le corps médical traditionaliste, d’un côté, et de jeunes psychiatres modernistes de l’autre, dont Camille Laurin. Pour punir ce dernier d’avoir rédigé la postface du présent ouvrage, l’administration annon- cera l’abolition de l’enseignement à l’Institut, entraînant de facto le congédiement des modernistes.

6. Le delirium tremens est une conséquence neurologique du sevrage de l’alcool, caractérisé par de fortes fièvres, des rêves éveillés et d’intenses tremble- ments. Cette étape autrefois jugée nécessaire au sevrage de l’alcool est aujourd’hui

(21)

Faites circuler nos livres.

Discutez-en avec d’autres personnes.

Si vous avez des commentaires, faites les nous parvenir ; nous les communiquerons avec plaisir aux auteur.e.s et à notre comité éditorial.

ÉDITIONS ÉCOSOCIÉTÉ C.P. 32 052, comptoir Saint-André

Montréal (Québec) H2L 4Y5 ecosociete@ecosociete.org

www.ecosociete.org

DIFFUSION ET DISTRIBUTION Au Canada : Diffusion Dimedia En Europe : Harmonia Mundi Livre

(22)

Printemps 1960. Jean-Charles Pagé se réveille à l’hôpital avec un mal de tête carabiné. « Les idées incohérentes s’entrechoquent. J’essaie d’ouvrir les yeux, mais je les referme aussitôt. Ma tête semble un cerveau électronique dont un court-circuit a fait sauter les fusibles. Je veux reprendre le contact avec le réel. J’en suis incapable.

Une à une les bougies s’allument. »

Admis à l’« asile des fous » en raison de son alcoolisme, ce vendeur d’assurance de 28 ans passera plusieurs mois à Saint-Jean-de-Dieu. Durant son séjour, il expérimente la difficile condition de malade mental : camisole de force, interdiction de sorties, forte médication, horaires stricts, travail forcé... Révolté par le traitement réservé à ses pairs et l’univers concentrationnaire qu’il découvre, il décide à sa sortie de l’hôpital de devenir le porte-parole de ces

« hommes sans voix » en publiant Les fous crient au secours ! aux Éditions du Jour, en 1961.

Réédités ici pour la première fois, le témoignage de Jean-Charles Pagé et la postface originale du Dr Camille Laurin ont connu un grand retentissement dans le Québec du début de la Révolution tranquille. Soixante ans plus tard, le traitement des personnes psychiatrisées s’est-il vraiment amélioré ? La désinstitutionnalisation des soins a-t-elle tenu ses promesses ? Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin dépoussièrent ce texte pour nous aider à démystifier la folie et lancer une réflexion sur l’état actuel de la psychiatrie.

Avec une nouvelle postface d’Action Autonomie, le collectif pour la défense des droits en santé mentale de Montréal.

Jérémie Dhavernas et Anaïs Dupin ont tous les deux étudié en histoire et travaillent dans le milieu communautaire en défense des droits, respectivement dans la lutte contre la pauvreté et en santé mentale.

Qu’est-ce qu’un « Retrouvailles » d’Écosociété ? Un livre qui n’a jamais cessé d’être présent chez les militant.e.s, sur le terrain. Un texte que l’on aime raconter, comme un mauvais coup. Un outil pour remuer le monde.

9 782897 194321 >

collection retrouvailles

Références

Documents relatifs

- Ce qui est affiché ou classé pour être conservé en classe et permettre aux enfants, aux maÎtres et aux visiteurs de se situer dans l'ensemble du travail ;.. Précautions à

Il grimpe sur la colline pour s’amuser, rencontre ses cousins lapins, joue à colin-maillard

Quand elle fait ses commissions, c’est lui qui porte ses paniers, et il marche doucement,. tout doucement,

Quand elle fait ses commissions, c’est lui qui porte ses paniers, et il marche doucement, tout. doucement,

Hier, je suis allé chez le caviste à vélo et j'ai acheté une bouteille de whisky.. Spontanément, j'ai mis la bouteille dans le panier porte-bagage du

Ils n’ont pas osé s’asseoir en nous attendant et errent, désœuvrés, dans cette salle de soins qui n’est pas la leur.. L’un d’eux a trouvé une revue professionnelle

Le problème des tours consiste à placer un nombre donné de tours sur cet échi- quier, de manière qu'aucune tour-ne puisse être prise par un autre.... -

I vous faudra de trés nombreuses parties avant de vous sortir de ce premier niveau, assez infernal dans cette version...