• Aucun résultat trouvé

«L'éternel retour» (fragments 322 et 341).

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "«L'éternel retour» (fragments 322 et 341)."

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

« L'éternel retour » (fragments 322 et 341).

Qu’est-ce donc que l’éternel retour ? C’est d’abord l’objet d’une affirmation qui, en tant que telle, est manifestation de la volonté de puissance. Ce qui compte, dans l’éternel retour, n’est pas seulement que tout revienne à l’identique, c’est qu’à l’instant même où je l’affirme, j’acquiesce à la totalité du temps, au présent, au passé et à l’avenir. Je fais de ce qui fut, de ce qui est et de ce qui sera un objet de ma volonté, échappant par là même au remords et à la nostalgie, autant qu’à la crainte de l’avenir.

Marc Crépon

Le concept de l’éternel retour a été créé dans l’Antiquité, période que connaissait très bien Nietzsche. Il utilise à son tour ce concept à la fin du livre IV du Gai Savoir (§

341) même si l’on trouve une allusion dès le § 285 Excelsior ! : « tu veux l’éternel retour de la guerre et de la paix » .

Nietzsche raconte dans Ecce homo que l’idée lui vient en août 1881, à Sils-Maria, en Suisse : « Je veux raconter maintenant l’histoire de Zarathoustra. La conception fondamentale de l’œuvre, Vidée de l’éternel retour, cette formule suprême de l’affirmation, la plus haute qui se puisse concevoir, date du mois d’août de 1881. Elle est jetée sur une feuille de papier avec cette inscription : A 6 000pieds par delà l’humain et le temps. Je parcourais ce jour-là la forêt, le long du lac de Silvaplana ; près d’un formidable bloc de rocher qui se dressait en pyramide, non loin de Surlei, je fis halte. C’est là que cette idée m’est venue. »

L’image du § 322 complexifie et précise la théorie de l’éternel retour. Nietzsche distingue le cycle répétitif des astres et l’individu, véritable univers qui porte en lui « des voies lactées [...] irrégulières ». Plus qu’une répétition cyclique, l’éternel retour serait donc plutôt une spirale comportant des variations.

Nietzsche ne fait pas de l’éternel retour une réalité, il ne croit pas vraiment à la métempsychose et à la possibilité avérée de revivre à l’infini, mais il s’agit d’une hypothèse philosophique qui marque le degré suprême de la volonté de puissance et de l’amor fati. En effet, accepter de revivre sa vie à l’identique d’innombrables fois, c’est consentir absolument à la totalité du réel, à ses joies et ses souffrances, donc pratiquer l’amor fati, « ne plus aspirer à rien d’autre qu’à donner cette approbation et apposer ce sceau ultime et éternel » 341, C’est aussi accepter de revivre à l’infini la confrontation des forces affectives en soi, et donc le degré suprême de la volonté de puissance, une soif de guerre et de lutte infinie. Plus largement, l’éternel retour marque le consentement à la volonté de puissance éternelle qui habite le monde.

Enfin, c’est une libération de la morale métaphysique, puisqu’on revit la même chose par-delà le bien et le mal et parce qu’il ne peut exister de monde métaphysique immuable si tout est en perpétuel mouvement. Néanmoins, l’éternel retour est aussi

(2)

un principe créateur comme l’indique le titre du § 341, Le poids le plus lourd. Peser chaque action à l’aune de la question : « Veux-tu ceci encore une fois et encore d’innombrables fois ? » force l’individu à créer de toutes pièces son propre système de valeurs. Enfin, ce concept est un principe sélectif qui distingue les esprits forts qui supportent ce « poids le plus lourd » et les esprits faibles qui deviennent fous de désespoir.

Allons plus loin :

L’éternel retour ou vouloir tout revivre afin d’atteindre une éternité de VIE et non de mort

Nietzsche pose la question : voudriez-vous tout revivre ? Il conçoit l’éternel retour non pas comme un mythe métaphysique abstrait, mais comme une épreuve pour la volonté. Il montre que le vouloir-vivre de son maître Schopenhauer doit se transformer en un vouloir-revivre qui est le sens même non pas de la vie mais d’une vie qui n’attend plus son sens d’un fondement mais d’elle-même. La puissance n’est de son côté pas le pouvoir (qui s’exerce sur autrui) mais le déploiement de ses capacités (du soi). Nous ne revivrons pas dans l’éternité, mais par la volonté de revivre, nous devenons éternels, nous accédons dès maintenant à l’éternité, comme l’ont vu aussi Spinoza et Bergson, qui font de cette expérience la clé paradoxale de l’accès à une éternité de vie et non pas de mort.

• Revenir est l’être du devenir, l’un du multiple, la nécessité du hasard (« chaos »,

« labyrinthe »). L’éternel retour n’est pas le retour du même. Le même ne revient pas.

C’est le revenir seulement qui est le Même de ce qui devient.

• L’éternel retour est sélectif.

D’abord comme pensée. Quoi que je veuille, je « dois » le vouloir de telle manière que j’en veuille aussi l’éternel retour. Est éliminé ce que l’on ne veut qu’une fois… Même la paresse et la lâcheté qui voudraient leur éternel retour deviendraient autre chose qu’une paresse et une lâcheté.

Ensuite comme l’Être sélectif. Seule revient l’affirmation, seul revient ce qui peut être affirmé. L’éternel retour est une roue au pouvoir centrifuge qui chasse le mauvais.

Quand l’Être s’affirme du devenir il expulse de soi tout ce qui contredit l’affirmation…

• L’éternel retour est Être sélectif. C’est la répétition qui sélectionne, qui sauve, qui libère.

Il est évoqué dans Le GS au frag 285 : « tu désires l’éternel retour de la guerre et de la paix » et au frag 339 : « Les Grecs priaient sans doute : Que tout ce qui est beau revienne deux ou trois fois ». Il s’agit de faire en sorte d’aimer la vie, d’aimer

(3)

toute la vie, d’aimer tout dans la vie, jusqu’à souhaiter que tout ce qu’on y trouve, nécessairement, se réactive.

Explication de texte du fragment 341 (attention : traduction différente à titre de comparaison) :

Que dirais-tu si un jour, si une nuit, un démon se glissait jusque dans ta solitude la plus reculée et te dise : « Cette vie, telle que tu la vis maintenant et que tu l'as vécue, tu devras la vivre encore une fois et d'innombrables fois ; et il n'y aura rien de nouveau en elle si ce n'est que chaque douleur et chaque plaisir, chaque pensée et chaque gémissement, et tout ce qu'il y a d'indiciblement petit et grand dans ta vie, devront revenir pour toi et le tout dans le même ordre et la même succession - cette araignée-là également, et ce clair de lune entre les arbres, et cet instant-ci et moi-même. L'éternel sablier de l'existence ne cesse d'être renversé à nouveau - et toi avec lui ô grain de poussière de la poussière ! »

Ne te jetterais-tu pas sur le sol, grinçant des dents et maudissant le démon qui te parlerait de la sorte ? Ou bien te serait-il arrivé de vivre un instant formidable où tu aurais pu lui répondre : « Tu es un Dieu et jamais je n'entendis choses plus divines ! » Si cette pensée exerçait sur toi son empire, elle te transformerait, faisant de toi, tel que tu es, un autre, te broyant peut-être : la question posée à propos de tout et de chaque chose : « Voudrais-tu ceci encore une fois et d'innombrables fois ? » pèserait comme le poids le plus lourd sur ton agir ! Ou bien ne te faudrait-il pas témoigner de bienveillance envers toi-même, et la vie, pour ne désirer plus rien que cette dernière, éternelle confirmation, cette dernière éternelle sanction ?

Nietzsche, Le Gai Savoir, livre IV, § 341, traduit de l'allemand par Pierre Klossowski.

Nietzsche n'est pas un philosophe comme les autres ; il aime la provocation et tout ce qui rend la lecture plus attrayante — humour, utilisation de métaphores, caricatures

— recèle chez lui, précisément, la profondeur de la pensée. Il est certain qu'il ne faut pas lire Nietzsche comme un philosophe classique, et plaquer sur la lecture des schémas conceptuels pré-établis est la meilleure façon de manquer l'originalité de cette pensée. Nietzsche a le mérite de montrer qu'il existe d'autres chemins possibles pour la philosophie, qui sortent du cadre rigide des traités classiques. Sa démarche généalogique et critique présente l'intérêt de remettre en question bien des vérités établies, et de s'ouvrir à des réalités jusque là ignorées.

(4)

Montrer que la philosophie n'est pas une mais multiple, qu'elle s'exprime sur plusieurs voies et qu'aucune vérité n'est jamais définitivement établie, tel est l'avantage que représente l'étude d'un philosophe tel que Nietzsche.

Le texte qui nous préoccupe est, à cet égard, tout à fait significatif du style lyrique et poétique de Nietzsche, et, par ailleurs, se signale par la construction d'un mythe : celui de l'éternel retour. Cette manière de procéder peut rappeler Platon, mais ici le mythe n'est pas un paradigme, c'est à dire, au sens propre, une illustration latérale d'une idée. Il est au contraire chargé d'un sens existentiel, et se signale par son caractère tragique. Il touche en effet à quelque chose d'extrêmement profond en l'homme et peut bouleverser toute son existence. C'est bien d'une réflexion sur la vie humaine dont il s'agit ici, et non une quelconque spéculation sur un problème métaphysique. Que le mythe soit révélé par un démon au début du texte, dans la « solitude la plus reculée » de l'homme, crée une impression d'étrangeté et de mystère. Nous sentons bien que quelque chose d'essentiel se joue ici.

Le temps, tel que nous nous le représentons habituellement, est un mouvement continu qui consomme chaque instant et le renvoie dans le passé. Ce qui a été vécu, ne peut plus jamais être vécu à nouveau : la fuite du temps est irréversible. Ce type de représentation a cours habituellement dans la science, mais également dans l'histoire ; elle traverse aussi la vie sociale des hommes, rythmée par les horloges et les calendriers. L'hypothèse de Nietzsche (car il ne s'agit que d'une hypothèse), récuse cette compréhension linéaire de la temporalité, pour lui substituer l'idée d'un temps cyclique, qui, à l'image du serpent qui se mord la queue, fait revenir ce qui a déjà été.

Cette représentation est à mi-chemin entre une vision classique du temps comme « marque de mon impuissance » (Lagneau), et la perspective de l'éternité, temps suspendu qui contiendrait les vérités immuables.

Mais Nietzsche présente ici l'éternel retour comme une épreuve incontournable qu'il va falloir surmonter et dont la simple évocation fait froid dans le dos. Il n'évoquait lui- même ce thème qu'à voix basse et en tremblant de tous ses membres. Car il s'agit bien d'avoir le courage d'affronter à nouveau ce qui a été, aussi bien le meilleur comme le pire. Une idée forte se dégage ici, plus d'ailleurs par ce qu'induit l'éternel retour, que par ce qu'il représente par lui-même, dans la mesure où il est simplement hypothétique : nous n'avons rien à attendre de ce que nous promettent les religions et certaines philosophies, à savoir une vie meilleure et éternellement heureuse. Ce que nous avons eu, ce que nous avons été, reviendra toujours. Ce que l'homme doit être, c'est à lui et à lui seul de le construire. Même la perspective épicurienne d'une mort qui consiste en une disparition totale ou plutôt en une dispersion des atomes qui constituent le corps mais aussi l'âme de chaque homme nous est ici retirée. Nous boirons jusqu'à lie cette coupe qui sans cesse se remplira.

(5)

Cette éternisation de chaque instant vécu, par le fait qu'il est condamné à revenir sans cesse, ne peut, dans un premier temps, que provoquer le désespoir et nous jeter « sur le sol, grinçant des dents et maudissant le démon ». Il faut une force de caractère exceptionnelle pour supporter l'idée que tout reviendra toujours « dans le même ordre et la même succession ». Ainsi, nous serons tentés de regretter telle ou telle de nos actions ayant eu des conséquences funestes. Mais il est trop tard, car si cela a été, cela sera de nouveau. L'homme doit avoir le courage de ne plus regarder en arrière pour privilégier l'action. C'est là, dans un second temps, que la pensée de l'éternel retour peut provoquer de la joie, un enthousiasme lié au défi que représente la volonté de dépasser cette malédiction, d'agir en faisant en sorte de ne jamais regretter ce que nous accomplissons. Les regrets et les remords cèdent la place à un « vouloir » inébranlable qui plonge dans l'action avec une fermeté résolue, nous obligeant à savoir exactement ce que nous voulons, portant la vie à son plus haut degré d'accomplissement. La question décisive, que nous devons à chaque fois nous poser est donc bien celle-ci : « Voudrais-tu ceci encore une fois et d'innombrables fois ? »

Le risque du retour éternel, pesant à chaque instant sur l'action, l'oblige à sans cesse examiner où elle s'oriente et à ne jamais prendre à la légère certains risques qui pourraient se transformer plus tard en regrets. la volonté doit vouloir ce qui est bon pour elle, ce qui la fortifie, ce qui l'augmente et délaisser ce qui l'affaiblit, ce qui la tire en arrière et lui cause de la douleur. Ceci semble être pour Nietzsche le seul critère à prendre en compte dans l'action, à savoir qu'il y a d'un côté ce qui porte la vie à son plus haut degré d'accomplissement et de l'autre ce qui la nie. Telle est cette « bienveillance envers toi-même et la vie ». Cette démarche peut sembler immorale, dans la mesure où la seule obligation que l'homme doit prendre est ce que son instinct lui souffle comme étant le meilleur pour lui, au-delà de toute obligation transcendante liée à la raison pratique.

Le thème de l'éternel retour débouche donc chez Nietzsche sur une éthique de la volonté, puisque sa seule pensée peut nous transformer radicalement ; elle nous invite à nous confronter sans cesse à nous-mêmes et à savoir ce que veut notre volonté la plus profonde. Le seul commandement de l'éthique nietzschéenne serait, de ce point de vue : « deviens ce que tu es ». Mais en donnant un poids et une gravité extrêmes à notre vie éphémère, Nietzsche fait d'elle une valeur absolue. « L'éternel Retour doit être comparé à une roue ; mais le mouvement de la roue est doué d'un pouvoir centrifuge, qui chasse tout le négatif. Parce que l'Être s'affirme du devenir, il expulse de soi tout ce qui contredit l'affirmation, toutes les formes du nihilisme et de la réaction : mauvaise conscience, ressentiment..., on ne les verra qu'une fois. » [1]

Comme nous venons de le voir, ce texte au lyrisme incomparable stimule l'esprit et crée sans aucun doute chez le lecteur une motivation et un intérêt pour les problèmes qui y sont évoqués. Les utilisations possibles de ce texte sont nombreuses ; citons, à

(6)

titre indicatif, la possibilité de l'utiliser pour introduire un cours de philosophie morale ; dans une démarche critique il est facile d'opposer son éthique de la volonté, à l'idée de loi morale telle qu'elle est développée dans la philosophie pratique de Kant. A l'inverse, on peut s'en servir pour faire une critique du rigorisme et de l'absolutisme kantien en matière de morale. Il peut également servir de base à une réflexion sur le temps et sur l'histoire dans la mesure où le cycle de l'éternel retour, s'oppose à la linéarité du temps scientifique. Il faudra bien sûr indiquer ici que le thème de l'éternel retour n'est qu'une hypothèse utilisée par Nietzsche pour sanctifier la vie et en faire pratiquement une oeuvre d'art.

Références

Documents relatifs

zur Schule gehen, zur Schule fahren.. die

Ces exercices sont choisis pour être faciles à chercher mais trouver leur solution complète est souvent plus difficile que dans les exercices habituels.. Des dessins, des calculs et

Se connaître soi-même, ce n’est donc pas se connaître dans sa nature immédiate, mais apprendre à connaître ce dont on dispose de meilleur, connaître le meilleur de soi-même,

[r]

[r]

Passionné de programmation depuis le collège c’est dans ce domaine que j’ai décidé de faire mes études puis de travailler, je suis aujourd’hui développeur en télétravail sur

Papier cadeau, boîtes en carton, avec ou sans fenêtre en plastique : dans le bac de tri. Films, liens, pochettes et boîtes en plastique : dans la poubelle

Les Écritures apostoliques nous disent dans 1Yohanan (1JEAN 2) chapitre 2'' Nous avons un réconfort : Yeshoua'.' c'est le verset 15 :« N'aimez pas le monde, ni les choses qui