• Aucun résultat trouvé

Alzheimer : la tentation venue des essais sauvages

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Alzheimer : la tentation venue des essais sauvages"

Copied!
2
0
0

Texte intégral

(1)

actualité, info

Alzheimer : la tentation venue des essais sauvages

Un médicament anticancéreux, commercia- lisé depuis plusieurs années, vient de dé- montrer une «efficacité spectaculaire» contre la maladie d’Alzheimer. Faut-il dès lors res- pecter les très longs délais nécessaires aux expérimentations officielles d’ores et déjà en visagées chez l’homme ? Que risqueront ceux qui ne respecteront pas la réglementa- tion en vigueur ?

Telles sont les principales questions mé- dicales et éthiques auxquelles devraient être rapidement confrontées les différentes auto- rités sanitaires nationales en charge des mé- dicaments, mais aussi les médecins et autres spécialistes de la prise en charge et de la recherche contre cette maladie aujourd’hui encore incurable.

Résumons. Une équipe américaine vient d’annoncer, dans les colonnes de la revue Science,1 avoir obtenu (chez une variété pa- thologique de souris de laboratoire) des ré- sultats que toute la communauté trouve

«spectaculaires» (et parfois même, sans guil- lemets, miraculeux) contre les lésions céré- brales caractéristiques de cette affection.

Les auteurs de cette expérimentation an- noncent qu’ils vont passer au plus vite à des essais sur des personnes souffrant de cette maladie. En toute rigueur ces essais devront être menés (après accord des auto- rités médicales et éthiques ad hoc) dans le cadre des réglementations en vigueur ; sans doute contre placebo. Leurs résultats ne pour- ront pas être établis et confirmés avant plu- sieurs années.

Ce cas de figure est assez inédit. Dans un tel contexte, et au vu des caractéristiques et de la fréquence de la maladie tout comme des multiples échos médiatiques internatio- naux rencontrés par la publication scienti- fique américaine, une question inédite et lourde de conséquences est soulevée : celle du possible non-respect des procédures offi- cielles d’expérimentation des médicaments.

Corollaire : faut-il condamner – et si oui, à quel titre – les essais sauvages qui pourraient être menés en marge des règles législatives et réglementaires aujourd’hui en vigueur ?

La publication de Science est signée par une équipe de la Case Western Reserve Uni- versity de Cleveland (Ohio). Les chercheurs ont conduit leurs travaux dans le cadre de l’hypothèse aujourd’hui dominante (quoi que parfois contestée) : cette maladie neurologi- point de vue

42_45.indd 1 27.02.12 11:43

(2)

Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 29 février 2012 483

Alzheimer : la tentation venue des essais sauvages

que est la conséquence directe de l’accumu- lation, dans certaines régions cérébrales, de fragments d’une protéine dite bêta-amyloïde.

Pour des raisons qui demeurent en grande partie mystérieuses, l’organisme des mala des ne parviendrait plus à lutter contre la forma- tion de ces dépôts protéiques.

Postulat dominant (mais parfois contesté) : parvenir à éliminer ces dépôts (ou mieux prévenir leur apparition) conduirait à faire disparaître (ou à ne pas voir apparaître) les différents symptômes de la maladie. Les chercheurs ont travaillé à partir d’une piste a priori très intéressante : ces structures pro- téiques sont normalement dégradées lors de mécanismes enzymatiques dans lesquels est directement impliquée une protéine dite apo- lipoprotéine E (ApoE).

La chercheuse Paige Cramer et ses collè- gues de Cleveland ont alors émis l’hypothè se que le bexarotène pourrait augmenter l’éli- mination des fragments bêta-amyloïdes dans le cerveau dans la mesure où cette molécule concourt, précisément, à activer l’ApoE. Di- rigés par Gary Landreth, les chercheurs ont donc administré ce médicament à des souris de laboratoire spécialement créées pour être un modèle expérimental aussi parfait que possible de la maladie initialement décrite par Aloïs Alzheimer. Et ils expliquent avoir observé (en trois jours seulement et à partir d’une seule dose administrée par voie orale) une spectaculaire disparition des lésions pa- thologiques intracérébrales. Mieux encore : les rongeurs devenus déments présentaient une amélioration, très spectaculaire nous dit- on, de leurs capacités cognitives, sociales et olfactives.

Disparition – jusqu’à 75% – des plaques pathologiques et améliorations substantiel les de l’intellect murin : les chercheurs estiment que le bexarotène parvient à «reprogrammer»

les cellules immunitaires présentes dans le cerveau. En usant d’une métaphore parlante, ils expliquent que ces cellules, destinées à assurer la lutte contre tout ce qui est étranger à l’organisme, parviendraient de nouveau à

«nettoyer» les dépôts pathologiques. Les res- ponsables de la revue Science ont aussitôt jugé que ce travail était d’une grande por- tée : le manuscrit de Paige Cramer et de ses collègues a été reçu par la rédaction le 9 dé- cembre ; il était accepté pour publication dès le 20 janvier.

«Jusqu’à présent le meilleur traitement exis- tant chez des souris de laboratoire prenait plusieurs mois pour éliminer les plaques amyloïdes», a rappelé le Dr Daniel Wesson, l’un des coauteurs de ce travail. De nom- breux autres chercheurs de la communauté spécialisée ont salué ce travail ainsi que les perspectives thérapeutiques qu’il ouvrirait.

L’équipe de Cleveland veut maintenant s’as- surer que le médicament anticancéreux agira de même chez ces personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. On imagine sans mal qu’elle n’est pas la seule.

Bien évidemment rien, ici, n’est acquis et l’administration de ce médicament pourrait vite se révéler problématique, à commencer par ses effets secondaires importants, car- diovasculaires notamment. Pour autant, si l’objectif est atteint, cette découverte de re- cherche fondamentale pourra déboucher sur le premier traitement ayant réellement dé- montré une efficacité clinique contre la ma- ladie d’Alzheimer. On sait en effet que les

quatre médicaments actuellement commer- cialisés dans cette indication sont non seule- ment inefficaces mais potentiellement dan- gereux. Des essais cliniques préliminaires avec le bexarotène pourraient commencer d’ici à 2013.

Initialement développé par le laboratoire américain Ligand Pharmaceuticals, le bexa- rotène a vu ses droits mondiaux rachetés par la multinationale pharmaceutique japo- naise Eisai, en 2006. Outre-Atlantique, rien ne semble avoir été laissé au hasard. Selon The Scientific American (cité par le site Slate.

com), Gary Landreth a d’ores et déjà créé une société – ReXceptor Therapeutics – qui procédera aux premiers essais cliniques. Il s’agira notamment de savoir si la molécule franchit bien la barrière hémato-encépha-

lique. Les droits concernant le bexarotène viennent de tomber dans le domaine public mais la Case Western Reserve University vient d’en protéger l’usage qui pourrait en être fait dans le domaine de la lutte contre la maladie d’Alzheimer.

Si les phénomènes curatifs observés chez les rongeurs sont reproduits, d’autres essais seront conduits ; soit un processus qui pren- drait entre deux et trois ans avant que le mé- dicament puisse être officiellement proposé aux millions de personnes qui souffrent de cette maladie, à travers le monde.

On peut aussi imaginer que d’autres essais pourraient être lancés beaucoup plus rapi- dement. Autorisé à la commercialisation de- puis 1999, le bexarotène est aujourd’hui bien connu et aisément disponible, indiqué dans le traitement de certains lymphomes cutanés.

Pour sa part, Gary Landreth anticipe les demandes qui ne manqueront pas d’émaner des médecins comme des familles ayant un des leurs atteint par cette maladie neurolo-

gique dégénérative. Il met aujourd’hui pu- bliquement en garde contre toute tentation d’enfreindre les réglementations en vigueur et de procéder à des essais précipités «à do- micile», à partir de prescriptions médicales faites en dehors de l’indication officielle.

Sera-t-il entendu ?

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

Ce texte reprend pour partie celui d’une chronique parue sur le site Slate.fr

Bibliographie

1 Cramer PE, Cirrito JR, Wesson DW, et al.ApoE­Directed therapeutics rapidly clear b­amyloid and reverse deficits in AD mouse models.Science DOI : 10.1126/science.

1217697.

© istockphot.com/dra_schwartz

42_45.indd 2 27.02.12 11:43

Références

Documents relatifs

Pour reproduire leurs semences à la ferme, les agriculteurs doivent avoir accès aux variétés reproductibles du domaine public, aujourd’hui pour la plupart interdites et enfermées

La qualification juridique du texte numérique est le préalable indispensable à l ’étude des modalités d’application des droits d’auteur au document numérique par exemple,

La structure narrative du texte journalistique met généralement en scène une forme d’organisation d’un ensemble de structures narratives qualificatives et de structures

نــﻋ ثﻴدــﺤﻝا ﻰــﻝإ ﺎــﻤﺘﺤ ﻲــﻀﻔﻴ ﺎــﻤ وــﻫو ،بوــﺘﻜﻤو قوــطﻨﻤ وــﻫ ﺎــﻤ لوﻘﻝﺎــﺒ دــﺼﻘﻨو ،ﻩدﺎــﻘﺘﻋا لــﻴﻠﺤﺘ مــﺜ ﻪــﻝوﻗ لــﻴﻠﺤﺘ نــﻤ ةرـﻜﻓ لوـﺤ

Sous l é’ gide des CPR (Chantiers Populaires de Reboisement) d’abord, des services forestiers ensuite, utilisant la toute puissance de l ’ Etat pour imposer les

Ensuite, dans les deux chapitres suivants, nous aborderons plus en détail la situation de la gestion des ressources humaines au sein des institutions du secteur public en France et

Problème au sens de problématique scientifique et didactique, problématique scolaire, problème au sens d’énigme, problème reformulé par l’élève dans un

Tout en accueillant avec satisfaction la mise en place du mécanisme de coordination, ainsi que des modalités de suivi, d’évaluation et d’établissement de rapports concernant le