914 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 25 avril 2012
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Pr Marco Vannotti CERFASY Ruelle Vaucher 13 2000 Neuchâtel mvannotti@cerfasy.ch
La FMH, la journée des malades et l’optimisme face à l’AI
Qu’allez-vous bien faire de votre espérance de vie ?
On ne lit jamais assez la presse médicale et scientifique. Prenez la dernière livraison de Médecine/Sciences.1 Dirigée par Hervé Chnei
weiss cette revue internationale, francophone et francoquébécoise se penche savamment sur le vieillissement. Pour l’essentiel, il s’agit de rapporter ce que l’on sait des rouages moléculaires qui le régissent, le sousten
dent, le ralentissent, le précipitent, le dé
règlent. Vu des éthers de Sirius on ne peut manquer d’être surpris de la solidité de la métaphore horlogère dans le registre de la description du battement de la vie dans le cours du temps. Et comme il s’agit ici d’une revue située, par définition, au croisement de l’avancée des sciences et de la pratique de la médecine, le propos mêle faits et commen- taires, à savoir ce que l’on sait du vieillir et ce que l’on pourra ou non en faire.
Symptôme éclairant : l’éditorialJanus. Le lecteur découvre d’abord un texte du biolo
giste Miroslav Radman, 67 ans, suivi d’un
autre signé de Gilbert Lagrue, 86 ans et Joël Ménard, 72 ans ; deux personnalités médi
cales françaises œuvrant toujours au service de la santé publique. Le premier, filant éga
lement la métaphore, nous éclaire sur la chimie de cette horloge biologique flexible que serait devenu le vieillissement. Un vieillis
sement dont il donne la définition suivante :
«la perte progressive des fonctions biolo
giques qui aboutit à la mort de l’organisme»
– on aimerait, à ce propos, savoir quand com
mence cette perte.
Et Miroslav Radman de rappeler à l’as
semblée de tous les vivants que «la probabi
lité de la mort augmente exponentiellement avec l’âge de l’organisme». Pour ceux qui l’ignoreraient, il s’agit ici d’une loi formulée à Londres en 1825 par Benjamin Gompertz (17791865) mathématicien britannique de formation autodidacte. Pour ce qui est de l’homme, se souvenir aussi longtemps que possible que le risque de ne plus vivre dou
ble tous les huit ans. «Les changements a physiologiques, fonctionnels et morpholo
giques liés à l’âge se manifestent chez tous les individus, mais les maladies et la mort n’affectent, à chaque âge, qu’une fraction de la population» souligne doctement l’auteur.
Sous la plume des Drs Lagrue et Ménard, le propos est d’un autre ordre : traiter du vieillissement comme d’un enjeu du XXIe siècle. En France, comme dans les pays in
dustriels, l’espérance moyenne de la vie hu
maine est passée en un siècle de 50 à 80 ans.
Et pour ce qui est de la France, la saignée avancée thérapeutique
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a A propos de ces changements, conseillons, dès mainte- nant, la lecture de l’étonnant «Journal d’un corps» de Da- niel Pennac, ouvrage que viennent de publier les éditions Gallimard et sur lequel nous reviendrons. Nous revien- drons aussi sur «Les assises du corps transformé ; le corps vieillissant», ouvrage collectif que viennent de pu- blier Les Etudes Hospitalières.
Bibliographie
1 Médecine/Sciences. Mars 2012, numéro 3, volume 28.
www.médecinesciences.org
complaisamment complices des tendances
«naturelles» des assurés à l’escroquerie.
Les médecins savent, personnellement et professionnellement, ce que cela signifie d’avoir au quotidien, dans son entourage, une personne atteinte d’une maladie chro- nique douloureuse. Le désarroi des familles est am plifié par différents constats d’impuis- sance : d’abord, la douleur de celui qui en est atteint résiste aux soins des médecins et à la sollicitude des proches. Les familles souffrent ensuite, et plus encore, de l’ab- sence de reconnaissance sociale de la ma- ladie.
L’AI semble encore à l’écart des préoccu- pations évoquées par la Journée des mala- des 2012. C’est pour cela que la FMH aurait à prendre des positions autrement plus fer- mes face aux persistants dénis d’humanité de l’AI.
1 C’est, naturellement, fort différent pour la RMS ! 2 Steiner-Koenig U. «Work and Care» – concilier profes-
sion, vie privée et soins à des proches. Bull Med Suisses 2012;93:9.
3 Lalive D’Epinay C, Bickel JF. Personnes âgées et ré- seau familial. Le cas de la Suisse. Médecine Psycho- somatique 1994;22:12-23.
4 Romann C. Collaboration avec l’AI : nous sortons enfin de l’impasse. Bull Med Suisses 2012;93:11.
des deux guerres n’aura pas changé cette pente ascendante. On ne disputera pas ici de savoir qui de la biologie, de la pharmaco
logie, de la pratique médicale ou de l’hy
giène publique et de la politique a le plus direc tement contribué au développement de ce phénomène. Toujours estil que tout sem
ble s’accélérer (et de manière exponentielle) depuis une vingtaine d’années. «Nous ga
gnons aujourd’hui trois mois de vie tous les ans» rappellent les Drs Lagrue et Ménard à celles et ceux qui auraient tendance à ne pas vouloir s’en souvenir. «N’oublions pas qu’il existe des organismes simples (hydre et méduse) qui ne vieillissent pas et, surtout, que la vie humaine gagne six heu
res par jour depuis deux siè
cles» note pour sa part Miroslav Radman. Ainsi donc, depuis deux siècles, les journées se
raient de trente heures. Et le biologiste d’ajouter que tout converge désormais pour nous dire que l’espérance de vie est flexible.
Arrive aussitôt l’immanqua
ble question – médicale – de savoir si (et comment) nous pouvons jouer (en notre faveur,
si possible) sur cette flexibilité. Les réponses sont, somme toute, assez simples. Mais pour ne pas être occultées elles réclament une prise de cons cience qui, elle, ne va pas de soi. Accepter l’idée que le développe
ment général de l’industrialisation a fait de nous des sédentaires (trop) bien chauffés.
«On se nourrit trop et l’activité physique né
cessaire à la survie est très insuffisante, as
sènent les Drs Lagrue et Ménard. Dans notre civilisation occidentale, tous les ali
ments sont disponibles en abondance et le type d’aliments consommés s’est modifié : l’alimentation est plus riche en viande et également en corps gras, en sucre et en sel, exhausteurs du goût et facilitateurs des ventes.»
On connaît dès lors, ou on imagine aisé
ment le contenu de l’ordonnance destinée à celles et ceux qui veulent al
longer autant que faire se pourra leur flexibilité indivi
duelle :
– ne pas fumer ou arrêter le plus tôt possible ;
– manger moins salé, moins gras, moins sucré et sans apport excessif de façon à conserver le poids optimum ;
– limiter les boissons alcoolisées à l’équiva
lent de deux verres par jour ;
– pratiquer régulièrement une activité phy
sique quotidienne : il faut au moins 45 mi
nutes de marche à un rythme suffisant, de vélo, de natation ou de course à pied.
Combien sontils, parmi les membres du corps médical, à avoir peu ou prou rédigé tout ou partie d’une telle ordonnance de lon
gévité ? Estce d’ailleurs ce que vient vérita
blement chercher le patient auprès de son médecin ? «Très curieusement ces idées ont mis très longtemps à être diffusées, recon
nues et acceptées, observent naïvement ou pas les deux rédacteurs. Le transfert des don
nées de base aux applications quotidiennes est toujours difficile et lent. Il n’est jamais simple, surtout audelà d’un certain âge, de changer un mode de vie très profondément ancré en nous. La psychologie comporte
mentale nous a bien appris que "la connais
sance d’un risque n’a jamais suffi à elle seule à modifier un comportement". Les médecins commencent heureusement à appréhen der ce problème.»
Estce si sûr ? Plus précisément, si cela est vrai estce heureux ? On ne contestera pas le droit à la puissance publique de diffuser (avec les deniers des citoyens) des messages du type Mangez cinq fruits et légumes par jour.
Pour votre santé, bougez ou évitez de grignoter ; encore que leur dimension proprement in
fantilisante ruine le message qu’elle entend
porter. On s’interrogera en revanche sur le fait de savoir si le rôle du médecin est ou non de retarder à tout prix ce qui est généra
lement perçu comme un vieillissement phy
siologique. Où l’on retrouve la question émi
nemment politique de la place du médecin (et plus généralement du savant) aux com
mandes des destinées du peuple.
Là encore la question est assez simple. Elle ne concerne pas les avancées thérapeutiques ponctuelles et de la correction du patholo
gique douloureux qui ne soulèvent aucune difficulté. En revanche, l’hygiène (entendue comme le moyen de prolonger la vie aux ul
times frontières de la programmation biolo
gique) estelle la fin à proposer, sinon à im
poser, aux citoyens ? Notre ordonnance offre ici quelques exemples à méditer, le soir, à la veillée. Jusqu’où aller dans l’interdiction de
la consommation de tabac ? Fautil con train
dre à 45 minutes quotidiennes d’exercices physiques, restreindre de manière autoritaire les apports caloriques et faire une croix sur les viandes et les gras ? Où tracer la frontière entre l’hygiène despotique et l’éducation ci
toyenne ?
On peut aussi tenir tout ceci pour décidé
ment superfétatoire, considérer que la vie n’a de sel que pimentée d’exhausteurs de goût et que le libre arbitre interdit au méde
cin d’aller trop loin dans des actions de thé
rapie préventive qui s’opposent assez vite au libre arbitre de chacun. Il n’en reste pas moins vrai que depuis deux siècles nous vi
vons six heures de plus par jour. Avec toutes les conséquences que nous commençons à percevoir ; parmi lesquelles l’émergence d’un droit au suicide médicalement assisté n’est pas la moins inquiétante.
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
… Accepter l’idée que le développement général de l’industrialisation a fait de nous des sédentaires (trop) bien chauffés …
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