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Peut-on parler de codes dans les sciences humaines et particulièrement en géographie ?

RAFFESTIN, Claude

Abstract

L'auteur fait le point sur l'utilisation du mot "code" dans quelques sciences humaines en général, et en géographie en particulier; à partir d'une procédure d'analyse simple, il essaye de montrer comment le concept d'Etat est codé dans la géographie politique : le code utilisé n'est pas exempt de présupposés idéologiques et il est marqué par le référentiel utilisé, à savoir la carte. L'essai pourrait être étendu à d'autres concepts couramment utilisés en géographie.

RAFFESTIN, Claude. Peut-on parler de codes dans les sciences humaines et particulièrement en géographie ? L'Espace géographique , 1976, no. 3, p. 183-188

DOI : 10.3406/spgeo.1976.1649

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4301

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L'Espace Géographique, no 3, 183-188.

Do in, 8, place de l'Od éon, Pa ris-VIe.

PEUT-ON PARLER DE CODES

dans les sciences humaines et particulièrement en géographie ?

Claude RAFFESTIN

Université de Genève

CODE COMMUNICATION ÉTAT GÉOGR. POLITIQUE MÉTHODOLOGIE SÉMIOLOGIE

CODE COMMUNICATION METHODOLOGY POLITICAL GEOGRAPHY SEMIOLOGY STATE

RESUME. — L'auteur fait le point sur l'utilisation du mot « code » dans quelques sciences humaines en général, et en géographie en particulier; à partir d'une procédure d'analyse simple, il essaye de montrer comment le concept d'Etat est codé dans la géographie politique : le code utilisé n'est pas exempt de présupposés idéologiques et il est marqué par le référentiel utilisé, à savoir la carte. L'essai pourrait être étendu à d'autres concepts couramment utilisés en géographie.

ABSTRACT. — Can one speak of codes in the social sciences, and in geography in particular ? — The author review the use of the term « code » in some social scien- ces in general, and in geography in particular; by a process of simple analysis, he attempts to show how the concept of State is coded in political geography : the code used is not without ideological implications, and it is distinguished by the referential used, in this case the map. The experiment could be extended to other concepts currently used in geography.

1. Y a-t-il des codes ?

La forme interrogative qui est, ici, employée, suffit ou devrait suffire à signaler la distance que je crois percevoir entre le point de départ d'une intuition obsédante et le seuil d'une démonstration éclairante mais encore vague. Il s'agit, bien évidemment d'une distance de communication, autrement dit celle qui sépare un émetteur, moi en l'occurrence, d'un desti- nataire, le lecteur ou l'auditeur. Cette distance m'ap- paraît d'autant plus grande que le terme de code n'a pas reçu de définition satisfaisante quand il a été utilisé dans les sciences humaines, et particulièrement en géographie. Quelques exemples montreront pour- quoi j'ai tendance a surévaluer la distance entre l'intuition que j'ai et la démonstration que je voudrais faire.

Pour Deleuze et Guattari, le code est une symbo- lique : « la société n'est pas d'abord un milieu d'échan- ge où l'essentiel serait de circuler ou de faire circu- ler, mais un socius d'inscription où l'essentiel est de marquer et d'être marqué. Il n'y a de circulation que si l'inscription l'exige ou le permet» (1). Dans les sociétés traditionnelles c'est la terre qui est l'élément supérieur à la production car « elle est la surface sur laquelle s'inscrit tout le procès de la production, s'enregistrent les objets, les moyens et les forces de travail, se distribuent les agents et les produits» (2).

(1) Gilles DE LE UZE et Félix GUATT AR I,Capitalisme et Schizo- phrénie, l'Anti-Œdipe. Paris, 1972, p. 166.

(2) Ibid., p. 164-165.

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Pour Marc Guillaume, le code social peut être défini, en première approximation « comme l'ensem- des associations entre des signifiants (objets, ser- vices, actes...) et des signifiés sociaux, associations créées ou contrôlées par des organisations pour sub- sister et si possible se développer » (3). Il s'agit bien aussi, ici, d'une symbolique; mais d'un genre très particulier, puisqu'elle est « détournée et réduite

au profit des organisations » (4). Ainsi, l'axiomatique

des prix ou code de la valeur marchande est « le Premier code qui envahit au XIXe siècle tout le champ social" (5). Il s'est substitué à beaucoup de symbo- liques qui structuraient les sociétés traditionnelles, constate donc que, pour Deleuze et Guattari, le code correspond à ce que Guillaume appelle symbo-lique.

Chez Maurice Ronai, qui emploie abondamment le terme de code, j'ai cherché en vain une définition explicite de ce mot. Cependant, si l'on analyse les différents passages dans lesquels il l'utilise, on finit par se repérer. C'est d'abord un signe qui permet la reconnaissance" ou « l'identification". C'est en-suite un système qui permet de nommer : « C'est donc en dernière instance le code nomination, c'est-à-dire code linguistique qui structure le code de recon-naissance et le code des indices conventionnels » (6). Le code physiopsychologique qui retient l'attention de Ronai semble fonctionner à partir de signes acquis à travers les dépôts expérimentaux de la perception. Le code de l'inconscient qui assimile l'inanimé à l'ani-mé à travers l'anthropomorphisation du paysage attes-tée par un certain vocabulaire : « bras du fleuve, mamelon... »

(7) traduit-il, comme le pense Ronai, un certain type de fétichisme du paysage »? Je crois qu'il s'agit d'autre chose, que je qualifierai de persistance

du mythe. Le mythe identifie l'inanimé à l'animé contrairement à la raison dont le processus est inverse.

Cependant, la langue peut conserver longtemps dans ses structures des traces de mythisa-tion (8). Je passe sur les codes « archaïque et straté-gique" pour en arriver au code proprement géogra-phique. L'idée de Ronai n'est pas développée et la seule pensée qu'il exprime, à savoir que le paysage est un texte, qui de

ce fait est redevable d'une structure, n'est pas nouvelle. Il y aurait d'ailleurs beaucoup à dire sur la

contradiction implicite conte-nur dans l'article de Ronai, qui met à nu la fonction mythifiante du paysage à partir d'un texte de Gourou et qui, pourtant, assimile le code géographique à la lecture du paysage.

Mais là n'est pas mon propos. Celui-ce concerne l'existence ou la non-existence de code en géographie : et, justement, Ronai, qui fait l'hypothèse de leur

existence, ne les explicite pas.

(3) Marc GUILLAUME, Le capital et son double. Paris, 1975, (4) Ibid., p. 65.

(6) Maurice RONAI,Paysages. Hérodote. 1976, n° 1, p. 146.

(7) Ibid., p. 148

(8) Cf. Max Horkheimer et Theodor W. ADORKO,La dialec- tique de la raison. Paris, 1974, p. 47.

Claude Raffestin

Que l'écriture de Pierre George soit dominée par le code géographique ne m'éclaire pas sur la nature de celui-ci, sinon que je peux en déduire que l'écriture de George est plus homogène que celle de Gourou, dans la mesure où il ne puise que dans un lexique, recueil de signes, ratifié par une « pratique géogra- phique » : celle de ceux qui se réclament d'une tradi- tion dans laquelle le paysage est objet de savoir.

Ainsi, tous ceux qui répugnent à ces emprunts à la linguistique auront tôt fait de proclamer que le con- cept de code n'est pas opératoire, et qu'il demeure un mot aussi vague et imprécis que bien d'autres, mais à la mode. Autant dire tout de suite que je ne partage pas cette façon de voir, pour une raison fondamentale que je vais exposer. Les sciences hu- maines et, partant, la géographie humaine, ont pour objet très général la culture sensu lato. Il s'agit de :

« l'insieme di tutta l'informazione non ereditaria e dei mezzi per la sua organizazione e conservazio-ne

» (9). Selon Lotman, la lutte pour la survivance, biologique et sociale, est une lutte pour l'information.

Autrement dit, le géographe humain étudie les structures qui sont conférées au monde par la culture.

C'est-à-dire qu'il étudie l'in-formation du monde par des signes. Une phrase de Lotman est à cet égard d'une importance extrême pour tout géographe : « La transformazione del bosco in terreno agricolo, il prosciugamento delle paludi o l'irrigazione del deserto, qualsiasi trapano cioè di un paesaggio aculturale in culturale, puo essere considerato anche corne la conversione di un non testo in testo » (10). Mais com- ment admettre, sinon par le jeu d'une analogie com- plaisante, que les signes matérialisés de la culture dans une ville ou un paysage agraire, par exemple, sont assimilables à un texte ? C'est qu'en fait ils remplissent une double fonction : « da una parte rispondono a fini pratici, mentre dall'altra, concen- trando in sé l'esperienza dell'attività lavorativa précé- dente, servono alla conservazione e alla trasmissione dell'informazione»(ll). Toute structure observable et modelée par la culture présente . donc une double I face : elle est signification d'une part et communica-tion d'autre part. La culture est « un generatore di strutturalità » (12). Elle intervient comme système de signes non-héréditaire de la collectivités Par consé- quent, l'information doit être conservée et transmise.

Elle doit être conservée pour permettre aux membres de la collectivité d'être assurés de pouvoir transcrire à travers leur action des ensembles cohérents, à savoir des

« monuments », des « paysages », etc., dans les-quels leur existence puisse se dérouler. Elle doit être transmise ou communiquée aux générations suivantes pour leur permettre d'abord de comprendre la signi- fication des systèmes de signes dans lesquels ils seront plongés, et pour leur permettre ensuite d' agir comme leurs prédécesseurs. Cette description d'un

(9) J.-M. LOTMAN et B.-A. USPENSKIJ, Tipologis della Cultura. Milano, 1975, p. 28.

(10) Jbid., p. 35.

(11) Ibid., p. 35.

(12) Ibid., p. 42.

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Codes en géographie 185

processus de manière trop linéaire pourrait laisser croire que le changement n'est pas possible. En fait, il n'en est rien puisqu'il s'agit d'une information non- héréditaire, qui est communiquée sous des formes variées qui facilitent l'émergence ou la disparition d'éléments.

2. Codes et communication.

Si l'on considère qu'il y a communication, « cela veut dire que toute « performance » de communication doit s'appuyer sur une « compétence » préexistante et que tout acte de « parole » présuppose une « lan- gue» (13). De la même manière qu'Eco, je considé- rerai pour l'instant que ces mots de « parole » et de « langue » ont un sens imprécis, ce qui me permettra

d'assimiler langue à code. Il faut signaler que tous les linguistes, loin de là, n'admettent pas cette assi- milation. Miller, cité par Eco, définit le code comme

« tout système de symboles qui, par convention préalable, est destiné à représenter et à transmettre une information d'une source à un point de desti- nation » (14). Cette définition, que je qualifierai de

« technique », ne me convient pas dans la mesure où elle dégage trop clairement un émetteur et un destinataire qui, dans le problème qui me préoccupe, ne sont pas immédiatement ni clairement repérables et identifiables, même s'ils existent sans aucun doute.

En effet, beaucoup n'admettront pas spontanément qu'une ville est un texte, donc un ensemble d'infor- mations, qui est communiqué par un émetteur à un destinataire. En réalité, il y a bien communication;

1 mais celle-ci n'est pas le fait d'un seul émetteur et elle n'est pas transmise à un seul destinataire. D'au- tre part, cette communication se réalise tout à la fois dans le temps et dans l'espace. La ville est une « information » d'origine collective et destinée à une collectivité présente et à des collectivités futures, pour autant que, dans ce dernier cas, la ville subsiste.

Mais ce texte qu'est la ville, qui résulte d'une praxis sociale, n'a pas été « écrit » à partir de rien.

Il a été écrit à partir d'un « langage » que j'ai défini, plus haut, comme code. Quels sont les signes cultu- rels qui ont été mobilisés et combinés pour « écrire » la ville ? Quel est le système de signes et de règles combinatoires sous-jacent à toute structuration de l'espace ? Nous l'ignorons. L'histoire, à cet égard, a été particulièrement trompeuse; car, dans son effort de reconstitution, elle nous a fait croire qu'elle pouvait nous faire comprendre la genèse des signes urbains et, par conséquent, dégager les règles de combinaison de ces signes. En fait, il n'en est rien.

Ce que l'histoire nous a montré, c'est essentiellement l'évolution des formes urbaines, c'est-à-dire l'évolu- tion des différentes versions du « texte urbain »; mais non l'évolution des codes à partir desquels ces textes avaient été écrits. Il ne s'agît "pas" d'un reproche adressé aux historiens, car je ne crois pas — c'est une hypothèse — que l'on réussisse jamais à atteindre ces codes originels à partir desquels tout notre envi- ronnement culturel a été créé. Ce que je veux dire, c'est que nous ne pouvons pas saisir les codes qui ont directement servi à la praxis sociale pour créer les structures, ces «dépôts de la durée» (15). Mais ces dépôts de la durée n'en sont pas moins considérés comme des structures à la faveur d'un phénomène de transposition linguistique. Ce phénomène est essentiel, car il est celui des rapports entre culture et langue naturelle. Selon Julia Kristeva, cette pra- tique peut être scientifiquement étudiée en tant que modèle secondaire par rapport à la langue naturelle, modelée sur cette langue et la modelant (16). Il s'agit d'une découverte des chercheurs de l'université de Turku. Pour ceux-ci, dans leurs publications relatives à la sémiotique, les phénomènes de la série culturelle ont été définis comme des systèmes de modèles secon- daires (17). C'est toute la question de l'influence de la langue naturelle sur toutes les manifestations de la culture humaine. Ce n'est qu'à travers les langues naturelles, codes privilégiés, que l'on peut espérer avoir accès aux autres codes. Il n'en demeure pas moins qu'il s'agit d'un accès indirect. Cet accès peut être défini comme sémiotique ou sémiologique selon que l'on se réfère à Peirce et Morris ou à Saussure.

Dès lors, si l'on admet cet accès, on peut avec Eco faire les deux hypothèses suivantes : a) la culture doit être étudiée en tant que phénomène de communi- cation ; b) tous les aspects d'une culture peuvent être étudiés comme contenus de la communica- tion (18). La première hypothèse n'est pas infirmée par l'individu isolé, car la communication peut se faire dans le temps, entre « je » et « je ». Comme dit Eco, il suffit que l'information soit transmissible au

« je » du lendemain (19) : « Dès l'instant où deux hommes communiquent il est facile d'imaginer que ce qui est observable c'est le signe verbal ou picto- graphique par lequel l'émetteur communique au desti- nataire l'objet pierre et sa fonction possible à travers un nom » (20).

La seconde hypothèse signifie que toute entité culturelle peut devenir, dans le système général de la culture, le signifiant qui renvoie à une autre unité culturelle.

(13) Umberto Eco, La structure absente. Paris, 1972, p. 13.

(14) Ibîd., p. 13.

(15) Roland BARTHES, Le degré zéro de l'écriture. Paris, 1964, p. 26.

(16) Julia KRISTEVA, Tel Quel, théorie d'ensemble. Paris, 1968, p. 86.

(17) LOTMAN,op. cit., p. 41.

(18) Eco, op. cit., p. 25.

(19) Ibid., p. 26.

(20) Ibid., p. 27.

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Ces quelques notions étant posées, on peut consi- dérer que le discours géographique (la description géographique peut être un discours ou une écriture) est un système de signes qui communique une prati-que sociale réalisée dans une enveloppe spatio-tem- porelle. Par cette écriture — « la forme spectaculai- rement engagée de la parole... » (21) — est fixé, mais aussi interprété, un ensemble d'actions humaines qui ont laissé des « traces » dans l'espace. Pour assumer ce travail, le géographe, pris dans un système culturel, utilise les ressources de la langue naturelle et fait ainsi passer dans son texte des termes de la vie quotidienne sans se rendre compte, dans la plupart des cas, qu'il pervertit sa description par toute la constellation équivoque des idées véhiculées par ces termes (22).

Comme je l'ai montré, s'il y a communication il faut faire l'hypothèse d'un code sous-jacent. Mais quel est ce code géographique ? S'il s'agit tout simplement de mettre en évidence les concepts géographiques employés pour transmettre une connaissance sur l'espace, je pense qu'on peut faire l'économie du mot code. En réalité, le problème est sensiblement plus complexe, puisqu'il s'agit de montrer que, sous les signes utilisés, sont dissimulés des principes ou codes qui sont fortement idéologiques : « Ceci pour dire que la sémiologie ne peut se faire que comme une critique de la sémiologie qui donne sur autre chose que la sémiologie: sur l'idéologie » (23). Car, effec- tivement, le processus de dénotation ne conduit jamais qu'à identifier la fonction, alors que le processus de connotation révèle une conception qui a guidé l'utili- sateur; et c'est alors que commencent les implications idéologiques (24).

3. Géographie et codes.

Pour tenter de dégager ces principes, il convient de choisir un « texte », c'est-à-dire un corpus bien iden- tifié, sur lequel il est possible de travailler. Je vais prendre ce qui, par excellence, est géographique, à savoir le territoire; et je vais m'interroger sur la manière dont les géographes ont « communiqué » le territoire. De manière à restreindre ce texte pour des raisons évidentes, je prendrai le discours sur le terri- toire en géographie politique. Si je choisis ce secteur, c'est encore pour montrer qu'il y a un « style » de communication qui suppose le recours à des principes constants. Je me situerai dans une perspective syn-

chronique en recourant au texte de Schwind(25). Il serait naturellement possible de considérer l'analyse du territoire dans une perspective diachronique, de- puis Ratzel, par exemple; mais, alors, la démarche aurait une signification différente, puisqu'elle condui- rait à dégager des ensembles rendant compte de pro- blématiques successives.

En géographie politique, le territoire est l'un des signes utilisés pour définir l'Etat. De fait, Schwind distingue : Staatsgebiet, Staatsvolk et Staatsgewalt Ainsi territoire, -population et pouvoir sont mobilisés pour éclairer le système d'Etat en tant que fondement d'une organisation à laquelle la géographie politique a toujours emprunté son point de départ. Ceci révèle une problématique qui a très certainement contribué à alimenter une vision purement formelle de la géographie politique, vision qui a très nettement desservi celle-ci depuis une trentaine d'années. Je signalerai, au passage, que la problématique se modi- fie rapidement, d'où un regain d'intérêt pour cette discipline pratiquement inconnue en France (26).

On remarquera que si l'on ne retient qu'une partie des mots composés allemands « Gebiet », « Volk » et

« Gewalt », on dispose d'une série de signes pouvant tout aussi bien définir n'importe quelle organisation possédant ces trois attributs. Mais, comme je l'ai dit, je vais concentrer mon analyse sur le territoire tout en prenant la précaution préalablement de montrer que ces trois signes qui fondent l'Etat résultent d'op- positions. Le territoire de l'Etat peut être formulé en adaptant le modèle utilisé par Lotman à propos de la culture (27). L'Etat, par opposition aux autres, est caractérisé par un nombre de choses fini, contenu dans un espace délimité, et on peut poser le territoire à travers l'opposition intérieur = extérieur.

Mais à partir de ce schéma, on peut considérer les choses de deux points de vue. D'une part, on peut appeler directe l'orientation du point de vue intérieur et inverse l'orientation du point de vue extérieur.

Je vais revenir sur ces schémas après avoir montré les oppositions qui intéressent le « Staatsvolk » et la

« Staatsgewalt ».

La population s'identifie au cours d'un processus d'opposition qui peut s'exprimer par Nous = Vous ou Indigène = Etranger. Il s'agit dès lors d'une plura- lité qui dévoile son identité.

Enfin, le Staatsgewalt, ou pouvoir de l'Etat se fonde sur l'opposition prééminent # non prééminent, ou supérieur = inférieur.

On notera que dans les deux cas, c'est-à-dire pour la population et pour le pouvoir, on retrouve, bien que sous une forme légèrement différente, le modèle fondamental de la fig. 1, et que l'orientation est celle de la fig. 2. C'est, d'une part, l'identité du Nous d'un

(21) BARTHES, op. cit., p. 26.

(22) KRISTEVA (op. cit., p. 86) reprend cette idée exprimée pa r E n ge l s à p ro p os d e l'é co n o m ie p ol i ti q ue.

(23) KRISTEVA,op. cit., p. 83.

(24) Cf. Eco, op. cit., p. 271.

(25) Martin SCHWIND,Allgemeine Staatengeographie. Berlin, New-York, 1972.

(26) Voir Edward F. BERGMAN,Modem Political Geography.

WMC, Brown, Dubuque (lowa), 1975.

(27) LOTMAN,op. cit., p. 155 et 156.

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Codes en géographie 187

Fig.1 Fig.2 Fig.3

point de vue propre à l'intériorité; et c'est, d'autre part, la prééminence ou la supériorité d'un point de vue propre, encore une fois, à l'intériorité. On pour- rait, pour la population et le pouvoir, développer le point de vue de la fig. 3 mais, comme je l'ai dit, je m'en tiens pour l'instant à la territorialité.

Dès lors, on peut admettre que le système « Etat » est constitué par Schwind à partir des principes sui- vants selon le modèle de la fig. 2 : Intériorité + Iden- tité + Supériorité. C'est ce que j'appelerai le code sous-jacent utilisé pour définir l'Etat. Cette série dénote la fonction Etat mais, en même temps, cela connote une idéologie particulière qui est en partie exprimée, même si c'est d'une manière naïve, par l'inscription du monument aux morts de Cavour (Piémont) : « Pour revendiquer les limites sacrées que la nature a placées comme frontière de la Patrie, ils ont affronté, impavides, une mort glorieuse... (28).

Sans doute, comme toute idéologie, celle-ci est trans- cendante du point de vue situationnel, comme dirait K. Mannheim; mais, alors, cela signifie que le concept Etat utilisé en géographie politique procède d'un code qui n'est pas exempt de présupposés. En effet, cette conception de l'Etat relève en partie de l'imaginaire, au sens immédiat du terme, dans la mesure où cet Etat-objet, tel qu'ii est défini, n'appartient pas au monde géographique. J'aimerais préciser que le re- cours au terme imaginaire n'implique pas un sens péjoratif. Je veux dire qu'à partir de nos perceptions du monde réel, inatteignable par définition, nous construisons un monde sur lequel nous travaillons, ici le monde géographique. A l'appui de cette thèse, j'aimerais citer Greimas, qui justifie ma démarche non pas sémiologique, au sens rigoureux du terme, mais de nature sémiologique : « La science, d'autre part, n'est pas non plus une adhésion à la réalité du monde, mais une prospection de cette réalité, un effort (d'INTELLIGIBILITE, au sens étymologique de ce mot. La science n'est langage que dans la mesure où celui-ci est compris comme un lien de médiation, comme un écran sur lequel se dessinent les formes

intelligibles du monde. La connaissance, dès lors, cesse d'être subjective, sans résider pour autant dans les objets « réels »» (29).

Je reviens maintenant à l'analyse du territoire, ou si l'on préfère, de la territorialité en géographie poli- tique, à partir des catégories spatiales utilisées par Schwind. Pour communiquer la notion de territoire, Schwind utilise cinq catégories qui sont : la surface, la forme, la frontière, la capitale et la position. Cha- cune de ces catégories a donné naissance à des typo- logies dans l'évolution de la géographie politique, et Schwind n'échappe pas à cette règle. Mais là n'est pas mon propos. On peut dégager les principes qui sous-tendent ces signes de manière a déterminer le type de code auquel ils s'alimentent. II y a les prin- cipes de superficie, de forme, de linéarité, de centra- lité et de relation. Schwind établit même une opposi- tion sémantique explicite lorsqu'il écrit : « Das Kor- relat zur Peripherie ist der Mittelpunkt; der Gegenpol zur politischen Grenze ist die politische Haupt- stadt»(30). Il est aisé de voir qu'il y a, entre cette affirmation et le modèle de la fig. 2, un indiscutable isomorphisme. Le territoire est, ici, conçu à partir du point de vue de l'intériorité, c'est-à-dire selon une orientation directe. C'est pourquoi l'opposition centre = périphérie est si fondamentale. La superficie et la forme sont en quelque sorte générées par la dynamique de l'opposition centre = périphérie ou centralité = linéarité. L'intériorité apparaît donc com- me le résultat d'une combinaison de principes ou élé- ments de code d'une nature qui reste encore à définir.

Superficie, forme, ligne et centre appartiennent à un code d'essence géométrique. On peut même affirmer qu'il s'agit d'un code géométrique. Le territoire, défini pour l'instant en tant qu'intériorité, est donc commu- niqué par la géographie politique à l'aide d'un code géométrique. Mais ce code n'est pas seulement géomé- trique, il est encore syntaxique dans la mesure où il n'y a pas de référence a la fonction ni non plus à l'espace dénoté, mais seulement une logique struc-

(2S> Voir P. GUICHONNET,C. RAFFESTIN,Géographie des frontières. Paris, 1974, p. 5. Cette phrase est tout à fait iso- morphe à la figure 2.

(29) Algirdas J. GREIMAS,Sémantique, sémiotiques et séi logies. In Sign, langage, culture. Paris, 1970, p. 15.

(30) SCHWIND,op. cit., p. 158.

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turale : « il y a là les conditions structurales pour la dénotation de l'espace » (31). Au fond, c'est un code géométrique qui est utilisé pour la dénotation du territoire. Mais alors, cela signifie que le territoire objet de la géographie n'est pas communiqué à l'aide d'un code géographique spécifique, mais à l'aide d'un code géométrique qui ne ressortit pas à la géogra- phie. C'est évidemment une objection pertinente qui peut être faite, et qui est d'autant plus intéres- sante qu'elle permet de mettre en question cette affir- mation, souvent reprise par les géographes, à savoir que leur discipline est la science du concret et du réel. Elle n'est rien de cela, comme je l'ai montré en reprenant une citation de Greimas précédemment.

Mais est-ce à dire que le géographe informe sur le territoire à partir d'un code géométrique ? Non, je ne le pense pas et je vais tenter de m'en expliquer. Toute sa communication est bien sous-tendue, lorsqu'il décrit le territoire, par un code géométrique; mais celui-ci est voilé par le recours qui est fait à la carte.

La carte est un modèle du territoire, et le géographe construit le territoire à partir de la carte lorsqu'il emploie les catégories signalées précédemment. Sa vision du territoire est zénithale, et c'est l'emploi de . cette image du territoire qu'est la carte qui contraint à utiliser un code géométrique, puisque la carte topographique est elle-même élaborée à partir d'un tel code.

Mais ceci a eu des conséquences assez importantes pour la géographie politique, dans la mesure où la

(31) Eco, op. cit., p. 292.

combinaison des éléments de ce code géométrique a conduit à la construction de typologies dont le forma- lisme s'apparente plus à la rhétorique, c'est-à-dire à

« des figures fixées » d'un certain discours géogra- phique, qu'à une connaissance riche en valeur expli- cative.

Reste le problème de la position, qui peut s'analyser en termes relationnels et, par là même, permettre d'exprimer la liaison avec l'extériorité. Si les autres éléments étudiés facilitent la mise en évidence de l'Intériorité, la position facilite la mise en évidence de la relation I r E, donc l'adoption du point de vue inverse contenu dans la fig. 3. C'est le principe de connexité ou de voisinage qui restitue l'image de l'Intériorité face à l'Extériorité. C'est aussi un élément de code syntaxique qui, combiné avec les quatre autres, contribue à l'élaboration de typologies de type sémantique. La position dénote une relation de voisinage et non pas un territoire déterminé.

Ces remarques n'ont d'autre prétention que de cerner une hypothèse sur l'existence des codes en géographie. Il conviendrait de poursuivre ce type d'analyse dans d'autres directions de la géographie, tout à la fois dans une perspective synchronique et dans une perspective diachronique. Enfin, il serait hautement souhaitable de proposer d'autres codes qui échappent au formalisme que j'ai dénoncé plus haut. Je pense que cette incursion dans le domaine linguistique est indispensable pour que le géographe prenne conscience que les explications qu'il donne sont essentiellement conditionnées par le langage qu'il utilise et que, par conséquent, il doit réfléchir sur ce langage.

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