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Éthique environnementale et droit international

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Éthique environnementale et droit international

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence

BOISSON DE CHAZOURNES, Laurence. Éthique environnementale et droit international. In:

Ordine Internazionale e Valori Etici . 2003. p. 269-294

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:42615

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ÉTHIQUE ENVIRONNEMENTALE ET DROIT INTERNATIONAV

Laurence BOISSONS DE CHAUZOURNES*

SOMMARIO: 1. Introduction. - 2. Une éthique environnementale en émergence. - 3.

L'éthique environnementale est porteuse de nouveaux concepts juridiques.- 4. L'é- thique juridique environnementale est transversale et force la porte d'autres systè- mes ·de normes. - 5. L'éthique environnementale, une éthique <<internormative».- 6. Conclusion: De l'étique environnementale à un <<droit l'environnement>>?

1. Introduction

Les valeurs éthiques devancent le droit, le transcendent, le guident ou peuvent l'imprégner. Elles sont consubstantielles à la lexferenda et partant fondamentales pour le façonnement progressif de la lex lata2Cettaines peuvent ensuite trouver un réceptacle dans le droit. De ce fait, le droit est p01teur de valeurs, outil de satisfaction de celles-ci ou animé par leur finalité. Les considérations éthiques sont nécessairement imbriquées dans le droit international au risque de dépouiller celui-ci et de le rendre stérile.

L'image de la "texture ouvette" du droit telle que fotmulée par Hart traduit cette réalité du droit transcendant la lex scripta, c'est-à-dire le simple formalisme de la règle écrite. Le professeur Georges Abi-Saab a bien expri- mé cette intel'action de l'éthique et du droit:

"New ideas take hold in society; they harden into values which become more and more important, more and more imperative in the social con-

1 L'auteur remercie Makane Moïse Mbengue, Assistant à la Faculté de droit de l'Université de Genève, pour sa précieuse aide dans la préparation de cette contribution.

' Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Genève et Directrice du Dépar- tement de droit international public et organisation internationale.

2 H. THIRLWAY, "Reflections on Lex Ferenda", Netherlands Yearbook of ln.tema- tional Law, vol. XXXII, 2001, pp. 3-26.

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sciousness, to the point where an overwhelming social feeling develops to the effect that they have to be formally sanctioned. This is the threshold of law. But in order for values, which are direct social emanation, to become law, they have to be captured and defined in legal terms [ .. .]"3.

La protection internationale de l'environnement relève de ces va- leurs. L'intégration juridique de ces préoccupations n'en est toutefois qu'à ses débuts. S'interroger sur les visages juridiques de l'éthique de l'environnement, c'est donc s'aventurer sur un chemin encore peu con- solidé. Qui plus est, le concept d'éthique environnementale est rebelle à toute systématisation. Plusieurs terminologies sont utilisées pour y faire référence: "considérations environnementales", "préoccupations environ- nementales", "standards environnementaux", "valeurs environnementa- les", "facteurs environnementaux", "objectifs environnementaux", "exi- gences environnementales" ou encore "normes environnementales". La difficulté à qualifier la substantialité de l'éthique environnementale se fait par exemple ressentir dans le langage judiciaire lorsque le juge veut souligner la nécessité de leur prise en compte. Ainsi, l'Organe d'appel de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) dans l'affaire Amiante, prenant plus particulièrement en compte les aspects liés à la santé humaine a précisé que: «[p]lus [!']intérêt commun ou [!]es valeurs com- munes [poursuivis] sont vitaux ou importants, plus il sera facile d'ad- mettre la "nécessité" de mesures conçues pour atteindre ces objectifs [ ... ]»4. En l'espèce, l'objectif poursuivi par la mesure était la protection de la vie et de la santé des personnes au moyen de la suppression ou de la réduction des risques pour la santé bien connus et extrêmement graves que présentent les fibres d'amiante. Selon 1 'Organe d'appel «la valeur poursuivie est à la fois vitale et importante au plus haut point»5.

Malgré cette polysémie terminologique, nul ne saurait nier que l'éthique environnementale a déjà gagné et gagne de plus en plus une place importante dans l'ordre juridique international. Qu'il suffise de se référer aux propos de la Cour internationale de justice (CIJ) pour s'en convaincre encore plus:

3 G. ABI-SAAB, "The Legal Formulation of a Right to Development". in R.-J.

DUPUY (ecl.) Le droit au développement au plan international, Colloque 1979, Académie cie droit international cie La Haye, p. 160.

4 Mesures co/111/IU/Wutaires affectant l'amiante elles produits en contenant, rapport cie 1 'Organe d'appel, 16 janvier 1998, Doc. WTIDS26/ABIR, WT/DS48/AB/R, par. 172.

' Ibid., par. 172.

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«L'environnement n'est pas une abstraction, mais bien l'espace où vivent les êtres humains et dont dépendent la qualité de leur vie et leur santé y compris pour les générations à venir[ ... ]»6.

Dans le contexte d'une réflexion sur l'éthique environnementale, une remarque préalable s'impose. Elle a trait à la notion d'environne- ment. Celle-ci est dynamique et évolutive. Elle pose des exigences en ce sens. En outre, il y a différentes conceptions d'adaptation du droit à ces dernières. La première est utilitariste ou anthropomorphiste et a marqué de son empreinte le droit en la matière7. L'environnement est appréhendé de manière extérieure à l'être humain. Il doit satisfaire les besoins de celui-ci. La seconde repose sur une conception écosystémique, l'homme étant un élément d'un ensemble. On ne trouve pour l'heure que quelques traces de cette conception8.

Les relations entre valeurs environnementales et droit international seront appréhendées au travers de quatre prismes. Le premier permet d'observer que si 1 'on peut parler d'une captation par le droit interna- tional de valeurs environnemental.es, cela n'est encore que de manière émergente. Le deuxième permet de souligner que l'éthique environne- mentale est porteuse de nouveaux concepts juridiques, gu' elle con- ditionne le droit et que celui-ci doit alors s'adapter. Le troisième conduit

6 CIJ, Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires, Avis consultatif, Recueil/996, pp. 241-242, par. 29

7 Voir par exemple, article 55 (1) du Protocole 1 additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés interna- tionaux: "La guerre sera conduite en veillant à protéger l'environnement naturel contre des dommages étendus, durables et graves. Cette protection inclut l'interdiction d'utiliser des méthodes ou moyens de guerre conçus pour causer ou dont on peut attendre qu'ils causent de tels dommages à l'environnement naturel, compromettant, de ce fait, la santé ou la survie de la population".

K Voir par exemple, Préambule de la Charte mondiale de la nature: <<L'humanité fait partie de la nature et la vie dépend du fonctionnement ininterrompu des systèmes naturels qui sont la source d'énergie et de matières nutritives[ ... ] Toute forme de vie est unique et mérite d'être respectée, quelle que soit son utilité pour l'homme, et, afin de reconnaître aux autres organismes vivants cette valeur intrinsèque, l'homme doit se guider sur un code moral d'action>>; Voir également, Préambule de la Convention sur la diversité biologique: <<Conscientes de la valeur intrinsèque de la diversité biologique et de la valeur de la diversité et de ses éléments constitutifs sur les plans environnemental, génétique, social, économique, scientifique, éducatif, culturel, récréatif et esthétique[ ... ] Conscientes également de l'importance de la diversité biologique pour l'évolution et pour la préservation des systèmes qui entretiennent la biosphère [ ... ] Affirmant que la conservation de la diversité biologique est une préoccupation commune à l'huma- nité[ ... ]>>. Pour le texte de ces instruments, voir L. BOISSON DE CHAZOURNES, R. DESGA- GNE, C. ROMANO, Protection internationale de l'environnement: Recueil d'instruments juridiques, Pedone, Paris, 1999.

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à observer que l'éthique environnementale est par nature transversale et qu'elle tente de forcer la porte d'autres corpora de normes. C'est le problème de l'éthique environnementale face à d'autres systèmes de valeurs. Enfin, le quatrième prisme met en lumière le caractère «inter- normatif» de l'éthique environnementale.

2. Une éthique environnementale en émergence

La véritable entrée en scène de 1' environnement dans 1 'ordre juridi- que international se réalise à partir des années 1970. La Déclaration de Stockholm sur l'environnement humain et les instruments qui sont adop- tés dans son sillage sont porteurs d'une nouvelle vision9. Le rapport de l'homme à l'environnement ainsi que le sens de la finitude des ressour- ces naturelles sont parmi les concepts-clé. Le droit international connaît ensuite différentes phases d'évolution. L'éthique juridique de l'environ- nement s'est notamment globalisée dans les années 1980, avec la prise en compte de problèmes universels par leur nature, tels la détérioration de la couche d'ozone, les changements climatiques ou encore la dispari- tion de la biodiversité. Parler de problèmes universels exige que l'on prenne en compte la diversité du monde, et notamment ses disparités.

Les outils juridiques utilisés doivent tenir compte de ces aspects. Cela a des implications sur les modes de façonnement du droit10. L'universalité doit être construite en droit. Les notions d'intérêt collectif et d'obliga- tions erga omnes ne suffisent pas à réguler 1 'universalité de la matière.

Le droit doit être innovateur.

Malgré les pierres d'achoppement rencontrées sur le chemin de 1 'émergence de l'éthique juridique de 1' environnement, les années 1990 ont permis une consécration de 1' importance des valeurs environnemen- tales, notamment grâce à la préparation et à la tenue du Sommet de Rio en juin 1992 sur l'environnement et le développement. Il est vrai que le

cont~nu de ces valeurs peut être sujet à discussion, ce qui freine alors leur consécration juridique. Il en est ainsi, par exemple, de la notion de développement durable, notion d'intégration qui peine à asseoir les piliers sociaux et économiques et à établir leur relation avec la protection de l'environnement.

La jurisprudence internationale est illustrative de la montée en puissance de l'éthique environnementale. Ainsi en est-il de l'affaire

9 Ces instruments sont reproduits dans L. BOISSON DE CHAZOURNES, R. DESGAGNE, C. ROMANO, op. cil.

10 Voir infra, p. 6.

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relative au Projet Gabcikovo-Nagymaros dans laquelle la Cour, tout en ne voulant pas trop s'aventurer sur le chemin de la spécification juri- dique, rappelle d'abord que l'environnement fait partie des intérêts essentiels d'un État en s'appuyant sur les travaux de la Commission du droit international (CDI) :

«C'est surtout dans les deux dernières décennies que la sauvegarde de l'équilibre écologique en est venue à être considérée comme répondant à un «intérêt essentiel» de tous les Etats» 11

Dans la même lancée, la Cour par le biais d'un obiter dictum remar- quable mettra en exergue toute l'importance de l'éthique environnemen- tale dans 1 'ordre juridique international:

«[ ... ] Au cours des âges, l'homme n'a cessé d'intervenir dans la nature pour des raisons économiques et autres. Dans le passé, il l'a souvent fait sans tenir compte des effets sur l'environnement. Grâce aux nouvelles perspectives qu'offre la science et à une conscience croissante des risques que la poursuite de ces interventions à un rythme inconsidéré et soutenu représenterait pour l'humanité-qu'il s'agisse des générations actuelles ou futures-, de nouvelles normes et exigences ont été mises au point, qui ont été énoncées dans un grand nombre d'instruments au cours des deux dernières décennies. Ces normes nouvelles doivent être prises en considération et ces exigences nouvelles convenablement appréciées, non seulement lorsque des Etats envisagent de nouvelles activités, mais aussi lorsqu'ils poursuivent des activités qu'ils ont engagées dans le

é J?

pass » -.

L'organe d'appel de I'OMC a également posé en termes clairs l'importance de l'éthique environnementale (celle-ci se manifestant au travers de 1' adoption d'un certain nombre d'instruments internationaux relatifs à la protection de l'environnement) dans le cadre de l'application des accords de libre-échange. D'après cet organe,

«L'expression "ressources naturelles épuisables" figurant à l'atti- cle XX g) a en fait été façonnée il y a plus de 50 ans. Elle doit être ana-

11 Projet Gabcikovo-Nagymaros, Arrêt du 25 septembre 1997, CIJ, Recueil 1997, par. 53: <<La Cour ne voit aucune difficulté à reconnaître que les préoccupations exprimées par la Hongrie en ce qui concerne son environnement naturel dans la région affectée par le projet Gabcfkovo-Nagymaros avaient trait à un <<intérêt essentiel» de cet Etat, au sens où cette expression est utilisée dans l'article 33 du projet de la Commission du droit international >>. Voir également Annuaire de la Comm.ission du droit inter- national, 1980, vol. Il, deuxième partie, p. 48, par. 14.

12

Gabcikovo-Nagy111aros, op. cit., par. 140.

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lysée par un interprète des traités à la lumière des préoccupations actuelles de la communauté des nations en matière de protection et de conservation de l'environnement. L'article XX n'a pas été modifié pendant le Cycle d'Uruguay, mais le préambule de l'Accord sur l'OMC montre que les signataires de cet accord étaient, en 1994, tout à fait conscients de l'importance et de la légitimité de la protection de l'envi- ronnement en tant qu'objectif de la politique nationale et internationale.

Le préambule de l'Accord sur l'OMC13 - qui éclaire non seulement le GATT de 1994 mais aussi les autres accords visés - fait expressément état de "l'objectif de développement durable"»14

Si le principe du respect des valeurs environnementales est posé, les recettes d'une hiérarchie avec d'autres corps de normes, sinon d'une cohabitation, restent à préciser. L'émergence clans les trente dernières années d'une éthique juridique de l'environnement dans l'ordre interna- tional est réelle. Toutefois, c'est une éthique qui pour l'heure promeut des valeurs dont le contenu est encore peu défini en droit international.

Cela est en partie dû au fait que le droit it)ternational doit lui-même s'adapter aux exigences de 1 'éthique de 1' environnement.

Le caractère en «émergence» de 1' éthique environnementale est illustré par les techniques juridiques utilisées clans les instruments inter- nationaux choisis pour promouvoir la protection de l'environnement. La soft law ou «droit programmatoire» constitue le réceptacle par excellence de l'éthique environnementale et le canal par lequel cette dernière se structure et se consolide progressivement. Ainsi, l'éthique environne- mentale repose sur une politique juridique «prospective», c'est-à-dire tournée vers la réalisation d'objectifs non pas dans l'immédiat mais dans le plus ou moins long-terme. D'où la référence aux agenclas15 et aux

D <<Les Parties au présent accord, reconnaissant que leurs rapports dans Je domaine commercial et économique devraient être orientés vers le relèvement des niveaux de vie, la réalisation du plein emploi et d'un niveau élevé et toujours croissant elu revenu réel et de la demande effective, et l'accroissement cie la production et du commerce cie marchan- dises et cie services, tout en permettant l'utilisation optimale des ressources mondiales conformément à 1 'objectif cie développement durable, en vue à la fois de protéger et préserver l'environnement et cie renforcer les moyens d'y parvenir d'une manière qui soit compatible avec leurs besoins et soucis respectifs à différents niveaux cie développement économique».

14

Etats-Unis · Prohibition à l'importation de certaines crevel/es el de certains produits à base de crevel/es, Rapport cie l'Organe d'appel, 12 octobre 1998, doc.

WT/DS58/ABIR, par. 129.

15 Voir Agenda 21 de la Conférence cie Rio sur 1 'environnement et le développe- ment de 1992.

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plans ou programmes d'action 16. Dans le domaine des traités, la te- chnique des conventions-cadre17 est privilégiée. Ces conventions posent les pierres de fondation d'un système qui ensuite sera consolidé par des protocoles18, des annexes ainsi que par les décisions adoptées par les Réunions ou les Conférences des Parties contractantes. Tous ces instm- ments, de nature conventionnelle ou non, permettent une sédimentation de la prise de conscience et de l'action qui doit en découler.

Le caractère «en émergence» de l'éthique environnementale fait enfin de celle-ci une «éthique préventive» ou une «éthique de la préven- tion». La protection de l'environnement nécessite une autre logique que celle très confinée de la réaction ou du curatif. L'éthique environne- mentale est demandeuse d'anticipation juridique. Comme l'a si bien relevé le Professeur de Sadeleer:

«Bien qu'il se décompose en une mosaïque de polices générales et spéciales, le droit de l'environnement présente une incontestable unité.

Sa prétention est d'assurer une véritable maîtrise des risques en pré- venant leur apparition tout en tolérant un certain degré de nuisances. Et si les mesures préventives ne parviennent pas à éliminer totalement les risques écologiques, elles ont au moins le mérite de réduire leur survenance dans les limites de l'indemnisable. Les dommages écolo- giques ne devraient d'ailleurs se produire que de manière accidentelle;

s'ils surviennent, c'est parce qu'ils constituent la part perdue du progrès scientifique et technique. Ils peuvent d'autant plus facilement être répa- rés qu'ils sont devenus exceptionnels»19

Le caractère préventif de l'éthique environnementale explique l'ori- ginalité des mécanismes de règlement des différends dans cette sphère.

La soft law donne lieu ici à un soft seulement. Cette dernière consiste en 1 'établissement de procédures servant à vérifier l'observation par les Etats parties de leurs obligations conventionnelles, qui sont communé- ment appelées procédures de non-respect (non-compliance procedures).

Leur but premier est de prévenir des différends ou de «les étouffer dans

1" Voir Plan d'action de la Conférence de Johannesburg sur le développement dura-

ble.

17

Voir Convention-cadre sur les changements climatiques, Convention sur la diver- sité biologique.

IR Protocole de Kyoto, Protocole de Cartagena sur la prévention des risques bio- technologiques relatif à la convention sur la diversité biologique.

IY N. DE SADELEER, ''Le principe de prévention - Analyse coût-bénéfice de la mesure préventive", in L'outil économique en droit intemalional el européen de /'envi- ronnemenl (sous la direction de S. Maljean-Dubois), CERIC, La Documentation Fran- çaise, Paris, 2002, p. 4].

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l'œuf»20. Ce type de procédures se développe de plus en plus dans les instruments internationaux relatifs à la protection de l'environnement dans des domaines aussi divers que la préservation de 1' ozone21, les changements climatiques22, le commerce international des produits chi- miques dangereux23, l'accès à l'information et la participation du public en matière environnementale24, la prévention des risques biotechnolo-

. 25

g1ques .

3. L'éthique environnementale est porteuse de nouveaux concepts juridi- ques

L'entrée en scène de l'éthique environnementale dans l'ordre juri- dique international a permis l'éclosion ou la consolidation de certains concepts juridiques. On doit, tout d'abord, observer que l'éthique envi- ronnementale repose en grande partie sur la notion de protection de l'intérêt public au plan national, régional et international. A l'échelon national cette protection peut bénéficier des instruments de hiérar- chisation et d'application du droit qui prévalent dans les ordres internes.

Hors des frontières nationales, c'est une autre affaire. L'environnement ne reconnaît pas les frontières politiques et le droit international doit s'adapter à ces impératifs. Structuré dans un ordre spatial fait prin- cipalement de territoires étatiques, il tente de transcender les frontières appelant les Etats à coopérer. Ainsi, dans 1' affaire de l'île Kas- sikili/Sedudu, bien que la Cour ait décidé que l'île qui faisait l'objet de différend entre la Namibie et le Botswana relevait de la souveraineté du Botswana, elle a tout de même considéré que

«Les ressortissants des deux Etats et les bateaux battant pavillon du Botswana ou de la Namibie seront soumis aux mêmes conditions en ce

. [ ] 1 . d 1, . ?6

qUJ concerne . . . a protection e environnement»- .

20 L. CAFLISCH, ··cent ans de règlement pacifïque des différends interétatiques", RCAD/, tome 288 (2001 ), p. 447.

21 Protocole de Montréal, Article 8.

22 Protocole de Kyoto, A1ticle 18.

2' Convention de Ro!lerdam sur la procédure de consentement préalable en connais- sance de cause applicable à certains produits chimiques et pesticides dangereux, A1ticle 17.

24 Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et 1' accès à la justice en matière d'envi ronnemenl, Article 15.

25 Protocole de Cm1hagène sur la prévention des risques biotechnologiques, Article 34.

26 Affaire de l'Île Kassikili/Sedudu, arrêt du 13 décembre 1999, ClJ, Recueil 1999, par. 103.

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Éthique environne111enrale er droit iwernarional 277

Ce paradigme de la transcendance territoriale induit également que l'éthique environnementale fasse l'objet d'une appréciation erga omnes et non pas exclusivement inter partes. C'est là tout le sens et la portée du dictum de la CIJ dans les affaires sur la licéité de la menace ou de l' emp l .01 . d' armes nue eatres l ' . 27 et d u pro; . et G a b ct -ovo-"k N agymaros : 28

«L'obi igation générale gu' ont les Etats de vei lier à ce que les ac ti vi- tés exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle respectent l'environnement dans d'autres Etats ou dans des zones ne relevant d'aucune juridiction nationale fait maintenant partie du corps de règles du droit international de 1 'environnement».

L'environnement ne connaît pas non plus les remparts de la di- stance. La logique de bon voisinage ou celle de la réciprocité des enga- gements ne sont donc que de peu d'aide pour protéger l'environnement.

Cette situation a permis l'émergence de principes tels le principe des responsabilités communes mais différenciées. Ainsi, en vertu du Principe 7 de la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement:

«Les Etats doivent coopérer dans un esprit de partenariat mondial en vue de conserver, de protéger et de rétablir la santé et 1' intégrité de l'écosystème terrestre. Etant donné la diversité des rôles joués dans la dégradation de l'environnement mondial, les Etats ont des responsabi- lités communes mais différenciées. Les pays développés admettent la responsabilité qui leur incombe dans l'effort international en faveur du développement durable, compte tenu des pressions que leurs sociétés exercent sur l'environnement mondial et des techniques et des ressources financières dont ils disposent».

Des États parties à un traité peuvent connaître des situations différentes du fait de leur condition géographique ou climatique ou encore de leur niveau de développement économique. Les règles sont définies de telle manière à préciser les comportements communs à tous, tout en identifiant des obligations pour certains groupes d'Etats, cela dans le but de parvenir à des objectifs définis par tous et pour tous. Il n'y a pas non plus d'avantages immédiats pour les États parties aux instru- ments.

La préoccupation déjà évoquée de la construction de l'éthique universelle est au cœur de ces développements. Ajoutons également que dans le contexte de règles promouvant l'intérêt commun de l'humanité,

27 Licéité d<' la lll<'nacf' ou de !'e111ploi d'armes nucléair<'s, op. cil., par. 29.

2x Cabcikovo-Nagvnwros, op. cil., par. 53.

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le rôle de l'État est appelé à évoluer: de souverain aux privilèges patrimoniaux, il doit devenir le gardien de ressources au bénéfice de 1' humanité en son entier. Il doit de ce fait rendre des comptes dans des domaines liés à 1' exploitation de ressources naturelles, domaines qui traditionnellement relevaient de sa compétence "interne". Ainsi en est-il dans les domaines de la gestion et de l'exploitation des forêts, du gaz ou d u petro e ' 1 29 .

Il est intéressant en outre, de remarquer que l'éthique environne- mentale s'inscrit dans le temps: l'État est redevable de ses actions aux générations présentes mais aussi aux générations futures. L'éthique envi- ronnementale est bel et bien une éthique intergénérationnelle caractérisée par la responsabilité des générations présentes vis-à-vis des générations futures. La Cour n'a pas manqué de prendre en compte cette dimension intergénérationnelle dans 1' avis sur la Licéité de la menace ou de l'emploi d'armes nucléaires. Selon la Cour:

«Le pouvoir destructeur des armes nucléaires ne peut être endigué ni dans l'espace ni dans le temps. Ces a.rmes ont le pou voir de détruire toute civilisation, ainsi que l'écosystème tout entier de la planète. Le rayonnement libéré par une explosion nucléaire aurait des effets préjudiciables sur la santé, l'agriculture, les ressources naturelles et la démographie, et cela sur des espaces considérables. De plus, l'emploi d'armes nucléaires ferait courir les dangers les plus graves aux généra- tions futures. Le rayonnement ionisant est susceptible de porter atteinte à l'environnement, la chaîne alimentaire et l'écosystème marin dans l'avenir, et de provoquer des tares et des maladies chez les générations futures [ ... ] En conséquence, pour appliquer correctement, en l'espèce, le droit de la Charte concernant l'emploi de la force, ainsi que le droit applicable dans les conflits armés et notamment le droit humanitaire, il est impératif que la Cour tienne compte des caractéristiques uniques de l'arme nucléaire, et en particulier de sa puissance destructrice, de sa capacité d'infliger des souffrances indicibles à l'homme, ainsi que de son pouvoir de causer des dommages aux générations à venir »30.

Un autre aspect marquant est celui du rôle de l'opinion publique. La reconnaissance de l'éthique environnementale au plan international a été en partie portée par la société civile (en tout cas dans les pays occi- dentaux) et cela s'est manifesté dès les années 1960-1970. On a assisté à des mouvements de protestation, à 1' éclosion de parties politiques et de

29 Voir par exemple, la Convention sur la diversité biologique ainsi que le Protocole de Kyoto sur les changements climatiques.

30 Op. cil., par. 35-36.

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mouvements associatifs. La société civile a ainsi constamment fait pression sur les États pour protéger les valeurs environnementales. Si la société civile a été partie au processus de consécration de J'éthique environnementale, il y a toutefois un lent avènement de l'universali- sation de la société civile. Ce sont les mouvements dans les pays du Nord qui ont été actifs dans les premiers temps. Ceux des pays du Sud ont éclos dans les années 1990.

Une caractéristique de l'implication de la société civile est qu'elle se manifeste sur plusieurs fronts: celui de la création du droit, celui de la mise en œuvre du droit et celui du règlement des différends. La question des amici curiae peut être évoquée dans ce contexte pour noter la légiti- mité revendiquée par les acteurs non-étatiques à participer à des pro- cédures internationales de règlement des différends, qui pour beaucoup son inter-étatiques et pour certaines non publiques. L'éthique environne- mentale propulse l'idée selon laquelle le juge stricto sensu ne doit pas être le seul acteur dans la résolution des différends. La sphère juridic- tionnelle doit s'élargir afin de permettre à des acteurs tels que les experts, le"s scientifiques, les sociologues, à contribuer à la res judicata.

L'affaire Mesures Communautaires concernant les viandes et produits carnés (hormones) a permis de relever ce point. L'Organe d'appel a reconnu que dans 1 'évaluation des risques, de nombreux acteurs sont à prendre en considération31. De même, de plus en plus de procédures de règlement des différends dans le domaine de l'environnement prennent en considération ce besoin d'assister le juge dans lajuridictio (le pouvoir de dire le droit) par l'entremise d'expertise ayant trait aux questions environnementales. C'est le cas du Règlement facultatif pour l'arbitrage de différends relatifs aux ressources naturelles et/ou à l'environnement de la Cour permanente d'arbitrage32.

Il reste que l'information caractéristique de l'éthique environnemen- tale est parfois difficilement conciliable avec les valeurs d'autres systèmes, telle par exemple le caractère co1ifidentiel d'informations de nature commerciale et économique. La récente décision rendue par le Tribunal arbitral constitué au titre de l'article 32 de la Convention

'1

Mesures communautaires concernant les viandes et les produits carnés, op. cil., par. 187: <dl est essentiel de ne pas perdre de vue que le risque qui doit être évalué[ ... ] aux termes de l'article 5:1 n'est pas uniquement le risque vérifiable clans un laboratoire scientifique fonctionnant clans des conditions rigoureusement maîtrisées, mais aussi le risque pour les sociétés humaines telles qu'elles existent en réalité, autrement-dit, les effets négatifs qu'il pourrait effectivement y avoir sur la santé des personnes clans le monde réel où les gens vivent, travaillent et meurent>>.

'2 Article 27 elu Règlement facultatif pour l'arbitrage de différends relatifs aux ressources naturelles et/ou à l'environnement de la Cour permanente d'arbitrage.

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OSPAR sur la protection du milieu marin de l'Atlantique Nord-Est, est révélateur de cette complexité. La notion d'information environnemen- tale étend de plus en plus son champ d'application au point de reven- diquer que soient divulguées des informations liées à des analyses économiques ou à des activités industrielles ou relatives à la propriété intellectuelle33. Malgré cela, le Tribunal dans l'affaire précitée a réfuté l'idée selon laquelle des informations de nature purement commerciale et industrielle puissent tomber sous le couvert de 1' information environ- nementale34.

Une dernière remarque a trait à 1' adaptation du droit. La protection de l'environnement est porteuse d'incertitude scientifique entendue au sens large. Le vecteur principal de cette dernière est le principe de précaution. Celui-ci est porteur d'un nouveau paradigme: celui de la gestion de 1' incertitude. Le droit pour 1' heure est réticent à admettre cette dimension. Reconnaître un tel principe comme principe de droit positif, c'est admettre que l'on doit anticiper l'incertain. En effet, la temporalité de la précaution est le futur. C'est également admettre que l'on doive prendre des décisions sur la base de données qui laissent place au doute:

Les situations escomptées ne se produiront peut-être jamais.

Le droit est-il capable d'intégrer en son sein ce paradigme du futur incertain? Pour l'heure, il convient de relever que le droit s'accommode difficilement du flou et du relativisme de l'éthique de la précaution.

C'est pourquoi la juridicisation de cette dernière fait place à des contro- verses et des malaises. On en veut pour preuve la pratique du Tribunal

33 La Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement est édifiante sur le fait de savoir ce qu'est l'information environnementale. Aux termes de l'article 2 (3) (b), l'expression "information(s) sur l'environnement" «désigne toute information dispo- nible sous forme écrite, visuelle, orale ou électronique ou sous toute autre forme ma- térielle, et portant sur: [ ... ] 1' analyse coüt-avantagcs et les autres analyses et hypothèses économiques utilisées dans le processus décisionnel en matière d'environnement>>.

34 Dispute Conceming Access to l!~fonnation Under Article 9 of the OSPAR Con- vention (freland versus United Kingdom of Great Brilain and Northem freland), Per- manent Court of Arbitration, A ward of 2 July 2003, p. 54, par. 170 and p. 57, par. 178- 181: "lt is clear that Article 9(2) is not a general frcedom of information statute. The information here is restricted in a number of ways[ ... ] the phrase 'information relating to the environment' does not appcar in article 9(2) of the OS PAR Convention. Even if such a phrase clic!, it is cloubtful if that woulcl hclp lrelancl, for it is far from clear that the 14 categories of reclactecl information identilïed by lrelancl woulcl fall within that broacler class [ ... ]who!! y aside from the difficult question of whether the[ ... ] Reports clealt with environmcntal information (as opposeclto information about economie justification), the words 'environmental information' do not appear in Article 9(2) nor, incleccl, in any part of Article 9. Even if such words did, il is doubtjit! thal the 14 categories would come wilhilllhal c/ass" (italiques ajoutés).

(14)

Éthique environnementale et droit international 281

sur le droit de la mer qui oscille entre «prudence» et «précaution» refu- sant de prendre ainsi toute position explicite sur la nature juridique de la précaution:

«[ ... ] les parties devraient, dans ces conditions, agir avec prudence et précaution et vei lier à ce que des mesures de conservation efficaces soient prises dans le but d'empêcher ~ue le stock du thon à nageoire bleue ne subisse des dommages graves» 5.

Ou bien encore,

«[ ... ] la prudence et la précaution. exigent que l'Irlande et le Royaume-Uni coopèrent en échangeant des informations relatives aux risques ou effets qui pourraient découler ou résulter des opérations de l'usine MOX et qu'ils élaborent des moyens permettant, le cas échéant, d'y faire face»36.

L'Organe d'appel de l'OMC lui-même se plaît à entretenir un flou autour de la notion de précaution :

«Un groupe spécial chargé de déterminer, par exemple, s'il existe des "preuves scientifiques suffisantes" pour justifier le maintien par un Membre d'une mesure SPS particulière peut, évidemment, et doit, garder à l'esprit que les gouvernements représentatifs et conscients de leurs responsabilités agissent en général avec prudence et précaution en ce qui concerne les risques de dommages irréversibles, voire mortels, pour la santé des personnes» 37.

Rappelons ici que l'Organe d'appel avait alors refusé de se pro- noncer sur le statut du principe de précaution en droit international:

«Le statut du principe de précaution dans le droit international continue de faire l'objet de débats parmi les universitaires, les profes- sionnels du droit, les hommes de loi et les juges. Certains considèrent que le principe de précaution est devenu un principe général du droit international coutumier de 1' environnement. La question de savoir s'il est largement admis par les Membres comme principe de droit international coutumier ou général est moins claire. Nous estimons, toutefois, qu'il est superflu, et probablement imprudent, que l'Organe d'appel prenne posi-

3~ Tribunal international du droit cie la mer, A.!Jaire du thon à 11ageoire bleue, 27 août 1999, par. 77. Disponible sur www.itlos.org

36 Tribunal international elu droit cie la mer, Affaire de l'Usine MOX, 3 décembre 2001, far. 84

3 Mesures COIIIIIIWICiutaires COl/cernant/es via11des et produits camés (Hormones), op. cit., par. 124.

(15)

282 L. Boissons De Chauzourn.es

tion dans le présent appel au sujet de cette question importante, mais ab- straite. Nous relevons que le Groupe spécial lui-même n'a pas établi de constatation définitive concernant le statut du principe de précaution dans le droit international et que le principe de précaution, du moins en dehors du droit international de l'environnement, n'a pas encore fait l'objet d'une formulation faisant autorité»38.

4. L'éthique juridique environnementale est transversale et force la por- te d'autres systèmes de normes

L'éthique environnementale est par nature transversale en ce sens qu'elle force la porte d'autres systèmes de normes pour trouver applica- tion. S'agissant des relations entre l'environnement et le développement, la Conférence de Rio de l 992 a tenté de les concilier au moyen du concept de développement durable. Son contenu est néanmoins encore peu défini. Dans l'affaire Gabcikovo-Nagymaros, la CIJ a voulu rappeler l'équilibre qui doit prévaloir entre environnement et économie. Elle a précisé que:

«[ ... ] Le concept de développement durable traduit bien cette néces- sité de concilier développement économique et protection de l'envi- ronnement»39.

Toutefois, le développement durable est aussi porteur d'une di- mension sociale. Le Sommet de Johannesburg a rappelé son importance:

«[ ... ] nous assumons notre responsabilité collective, qui est de faire progresser, aux niveaux local, national, régional et mondial, le dévelop- pement économique, le développement social et la protection de l'envi- ronnement, piliers interdépendants et complémentaires du développe- ment durable»40.

. Les relations entre commerce et environnement occupent une place importante dans l'agenda des négociations internationales. Elles sont sujettes à controverses. On parlera plus particulièrement de I'OMC car cette organisation exerce une force d'attraction notamment du fait de son mécanisme de règlement des différends. La question qui se pose est celle de savoir si l'éthique environnementale doit se mesurer à l'aune des principes du libre-échange. Même si l'Organe d'appel a ouvert les portes

1X ·

· !btd., par. 123 .

. w Affaire Gabcikovo-Nagymaros, op. cil., par. 140.

411 Par. 5 de la Déclaration de Johannesburg sur le développement durable (2002).

(16)

Éthique environnementale et droit international 283

de I'OMC à l'environnement, on peut se demander si cela est suffisant.

Le malaise tiré du souci de la recherche d'une symbiose entre éthique environnementale et éthique commerciale est très bien illustré dans ce long passage du rapport de 1' Organe d'appel dans 1' affaire Etats-Unis - Prohibition à l'importation de crevettes et de certains produits à base de crevettes:

«[ ... ] nous tenons à insister sur ce que nous n'avons pas décidé dans cet appel. Nous n'avons pas décidé que la protection et la préservation de l'environnement n'ont pas d'importance pour les Membres de I'OMC. Il est évident qu'elles en ont. Nous n'avons pas décidé que les nations souveraines qui sont Membres de I'OMC ne peuvent pas adopter de mesures efficaces pour protéger les espèces menacées telles que les tortues marines. Il est évident qu'elles le peuvent et qu'elles le doivent.

Et nous n'avons pas décidé que les États souverains ne devraient pas agir de concert aux plans bilatéral, plurilatéral ou multilatéral, soit dans le cadre de I'OMC, soit dans celui d'autres organismes internationaux, pour protéger les espèces menacé~s ou protéger d'une autre façon l'environ- nement. Il est évident qu'ils le doivent et qu'ils le font[ ... ] Ce que nous avons décidé dans cet appel, c'est tout simplement ceci: bien que la mesure prise par les États-Unis qui fait l'objet de cet appel serve un objectif environnemental reconnu comme légitime en vertu du pa- ragraphe g) de 1' article XX du GA TT de 1994, elle a été appliquée par les États-Unis de façon à constituer une discrimination arbitraire et injustifiable entre les Membres de I'OMC, ce qui est contraire aux pre- scriptions du texte introductif de l'article XX. Pour toutes les raisons spécifiques indiquées dans le présent rapport, cette mesure ne peut bénéficier de 1' exemption que 1' article XX du GA TT de 1994 prévoit pour les mesures qui servent certains objectifs environnementaux recon- nus et légitimes mais qui, en même temps, ne sont pas appliquées de façon à constituer soit un moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable entre les pays où les mêmes conditions existent, soit une restriction déguisée au commerce international. Comme nous 1' avons souligné dans l'affaire États-Unis- Essence, les Membres de l'OMC sont libres d'adopter leurs propres politiques visant à protéger l'environ- nement pour autant que, ce faisant, ils s'acquittent de leurs obligations et respectent les droits que les autres Membres tiennent de 1 'Accord sur l'OMC»41

41 Affaire Crevettes, op. cil., par. 185-186. Voir également Etats- Unis - Nonnes sur 1 'essence nouvelle et reformulée, Rapport adopté le 20 mai 1996, WT/DS2/ AB/R/, page 33.

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284 L. Boissons De Ch.auzournes

A l'échelon diplomatique, il est intéressant de remarquer que les nouvelles négociations ont tenté d'octroyer un droit de cité à l'éthique environnementale, malgré leur propension à «segmenter» le problème global que constituent les accords environnementaux multilatéraux (AEM/2 au nom de la prévisibilité du système commercial multilatéral.

Les Etats au travers de la Déclaration de Doha ont essayé d'organiser structurellement le discours relatif à 1' objectif du développement du- rable43. De plus, elle contient une déclaration de principes en vertu de la- quelle il est dit:

«Nous réaffirmons avec force notre engagement en faveur de l'objectif du développement durable, tel qu'il est énoncé dans le Préam- bule de l'Accord de Marrakech. Nous sommes convaincus que les objec- tifs consistant à maintenir et à préserver un système commercial multilatéral ouvert et non discriminatoire, et à œuvrer en faveur de la protection de l'environnement et de la promotion du développement du- rable peuvent et doivent se renforcer mutuellement. Nous prenons note des efforts faits par les Membres pour effectuer des évaluations environ- nementales nationales des politiques commerciales à titre volontaire.

Nous reconnaissons qu'en vertu des règles de l'OMC aucun pays ne devrait être empêché de prendre des mesures pour assurer la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux, la préservation des végétaux, ou la protection de l'environnement44

, aux niveaux qu'il con-

42 Voir paragraphe 31 i) de la Déclaration de Doha: «Afin de renforcer Je soutien mutuel du commerce et de 1 'environnement, nous convenons de négociations, sans préju- ger de leur résultat, concernant: la relation entre les règles de J'OMC existantes et les obligations commerciales spécijïques énoncées dans les accords environnementaux mul- tilatéraux (AEM). La portée des négociations sera limitée à l'applicabilité de ces règles de J'OMC existantes entre les parties à I'AEM en question. Les négociations seront sans préjudice des droits clans Je cadre de I'OMC de tout Membre qui n'est pas partie à J' AEM en question [ ... ]>>. Voir sur la question, L. BOISSON DE CI·ti\ZOURNES, M. M. M13ENGUE,

«La Déclaration de Doha de la Conrence ministérielle de J'Organisation mondiale elu commerce et sa portée dans les relations commerce/environnement>>, RGDIP, 2002, n°4, pp. 855-892.

43 Voir paragraphe 51 de la Déclaration. La Déclaration de Doha organise la mise en œuvre institutionnelle du développement durable. En effet, elle prévoit que <<le Comité du commerce et elu développement et le Comité elu commerce et de J'environnement serviront chacun, clans le cadre de leurs mandats respectifs, d'enceinte pour identifier les aspects des négociations relatifs au développement el à l'environnement, et pour débattre de ces aspects, afin cl'aiclcr à atteindre J'objectif visant à ce que Je développement durable soit pris en compte d'une manière appropriée>>.

44 La mention explicite à la protection de l'environnement constitue une nouveauté.

En effel, la formulation de l'article XX ne contient pas le terme "environnement" mais uniquement ·une référence au concept ''de protection de la santé et de la vie des per- sonnes, des animaux et des végétaux, ainsi que de la préservation des ressources naturel-

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