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Le genre, cet inconnu

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Academic year: 2022

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Le genre, cet inconnu

COLLET, Isabelle

COLLET, Isabelle. Le genre, cet inconnu. L'école des parents , 2014, no. 607, p. 24-25

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:48211

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Dossier

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es derniers mois, dans la mou- vance de la Manif pour tous, une campagne de désinfor- mation a été lancée afin de convaincre les parents d’élèves qu’une perni- cieuse « théorie du genre » était en train de s’infiltrer dans les écoles.

Cette « théorie », récemment inven- tée par les milieux intégristes et réactionnaires, est accusée de nier à la fois le sexe, l’identité, les goûts et le libre arbitre des enfants.

Cette campagne est grave car elle vise à briser la relation de confiance qui existe entre les parents et l’école publique. De plus, elle fait passer le genre ou gender pour une mode américaine colonisant la société française, oubliant par la même occasion plus de quarante ans de recherches scientifiques dans notre pays sur les inégalités entre hommes et femmes (et, somme toute, sur le genre, même si le terme n’est en usage que depuis les années 2000).

Une partie des opposants, obnubi- lés par la sexualité et par la manière de l’exercer, n’ont pas compris que le genre ne parlait pas du sexe, mais de la hiérarchie entre les sexes. Une autre partie l’a parfaitement com- pris, mais préfère sacrifier les prin- cipes d’égalité sur l’autel d’un ordre social patriarcal prétendument naturel.

Si la théorie du genre existait, qu’est-ce qu’elle dirait ?

Parlons fiction. Cela peut paraître étonnant, mais la description de la

« théorie du genre » apparaît pour la première fois sous la plume du cardinal Ratzinger, futur Benoît XVI, en 2004, dans une lettre adressée aux évêques. Selon l’Église, il y aurait une nature humaine voulue par Dieu qui serait profondément ancrée en chacun de nous, et que nous nous

devons de réaliser. Les différences anatomiques entre hommes et femmes traceraient un ordre social naturel intemporel. Les femmes seraient ainsi prédestinées à la repro- duction dans l’espace privé et les hommes à la production intellec- tuelle dans l’espace public. L’Église voit là de simples « différences » entre les sexes qu’il faut préserver, et non des sources d’inégalités.

En face, il y aurait la « théorie du genre » qui nierait toute différence biologique entre les sexes, jusqu’à réfuter la différence des anatomies.

Ainsi, selon Christine Boutin, ancienne présidente du Parti chré- tien démocrate (PCD), la « théorie du genre » inciterait chaque indi- vidu à choisir sa sexualité et même son sexe !

Que sont en réalité les études genre ?

Il est ridicule d’avoir à l’écrire, mais lorsque les chercheurs-es affirment qu’il n’y a aucune preuve d’une dif- férence de nature entre les hommes et les femmes, ils et elles ne sont pas dans une négation délirante de la réalité biologique. Il s’agit simple- ment de rappeler que la présence d’un chromosome Y ne permet pas de pronostiquer des aptitudes innées pour les tâches ménagères ou l’usage de la violence conjugale. C’est la hiérarchie entre les sexes, et la socia- lisation différenciée qui en découle, qui permettent d’expliquer l’ordre social, et non les différences anato- miques entre les individus.

En 1949, Simone de Beauvoir n’uti- lisait pas encore le terme « genre » dans son essai Le deuxième sexe1, mais elle a ouvert la porte aux études genre2 en affirmant que le patriarcat s’appuyait sur l’éducation des femmes pour les maintenir dans une situation d’infériorité. La prétendue

faiblesse structurelle des femmes, leur rôle dans la maternité, n’étaient que prétextes a posteriori. Elle n’a pas été la première à l’énoncer, mais c’est grâce à elle que l’on commence à parler de manière scientifique de la construction sociale du sexe. Elle utilise le concept de « rapports sociaux de sexe », déclinés à partir du concept marxiste des « rapports sociaux de classes » : nous naissons mâle ou femelle, mais c’est la société qui nous apprend ce que signifie devenir un homme ou une femme, et qu’une femme vaut moins qu’un homme.

Par la suite, tous les champs de recherche s’emparent peu à peu du genre pour produire de nouvelles grilles d’interprétation du réel : la sociologie et la psychologie, bien sûr, mais aussi les sciences de l’éducation, l’anthropologie, l’histoire, l’écono- mie, les sciences politiques, la géo- graphie… jusqu’à la médecine qui constate que les médicaments sont mis au point et testés sur les hommes, avec en conséquence des effets secon- daires indésirables ou une moindre efficacité chez les femmes.

Un tournant se produit en 1990, avec Trouble dans le genre, de la philosophe américaine Judith Butler (qui ne sera traduit en français qu’en 20053). On retrouve, à l’origine de cet ouvrage, la célèbre phrase de Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient. » S’y ajoute l’idée qu’on ne naît pas non plus homme, et que les individus sont continuellement en train de devenir, via une performance de genre, et une mise en scène et en mots des normes de sexe. Parce qu’il s’articule sans peine aux rapports sociaux de sexe, sans faire l’écono- mie de la hiérarchie, les cher- cheurs-es francophones se

Le genre, cet inconnu

L’école des parents mars-avril 2014 N°607 1. Le deuxième sexe,

tome 1 : les faits et les mythes, éd. Gallimard.

2. Ou études de genre/

sur le genre.

3. Éd. La Découverte.

Maître d’enseignement et de recherche à l’université de Genève, enseigne les questions de genre en éducation dans le cadre d’un cours obligatoire pour les futur-e-s professeur-e-s du primaire et du secondaire.

www.isabelle-collet.

net

Isabelle Collet

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GRÂCE À L’ESSAI « LE DEUXIÈME SEXE » DE SIMONE DE BEAUVOIR, ON A COMMENCÉ

À PARLER DE LA CONSTRUCTION SOCIALE DU SEXE

réapproprient le terme « genre » facilement. Des ouvrages fondateurs de ce que l’on nomme aujourd’hui les études genre paraissent dans les années 1990. Nicole Mosconi4, pro- fesseure émérite en sciences de l’éducation à l’université Paris Ouest Nanterre La Défense, interroge les effets de la mixité scolaire et crée le concept de « rapport socio-sexué au savoir » : tous les individus ont le droit d’acquérir tous les types de savoir, mais selon leur classe sociale et leur sexe, certains savoirs sont considérés comme tabous ou infa- mants, naturels ou transgressifs.

Françoise Héritier5, en anthropolo- gie, parle de « valence différentielle des sexes » : quelque soit la manière dont on décrit le masculin et le fémi- nin d’une culture à une autre, le masculin vaut toujours plus que le féminin.

Au début des années 2000, nous assistons à un important renverse- ment théorique avec, en France, Christine Delphy, sociologue au CNRS, qui énonce que la hiérarchie précède le processus de catégorisa- tion. Le féminin n’a pas été construit en prenant les caractéristiques des femmes en exemple. Il s’agit en réa- lité de la compilation d’un ensemble de caractéristiques que l’on va ensuite attribuer par défaut aux femmes. Le même processus est uti- lisé pour le masculin. Ce qui struc- ture les deux catégories, c’est que, pour chaque caractéristique, le fémi- nin vaut moins que le masculin.

Ainsi, le féminin et le masculin se définissent indépendamment de la catégorie de sexe, mais vont ensuite être attribués aux individus, homme et femme.

Un être de sexe masculin qui porte les caractéristiques données au fémi- nin (être délicat, passif, ne pas aimer

la compétition ou la violence, avoir des rapports sexuels avec des hommes) est donc considéré comme inférieur (puisque la hiérarchie pré- cède la catégorie). Quant aux femmes qui s’élèvent au-dessus de leur sexe, selon l’expression utilisée jusqu’au XIXe siècle, elles sont asso- ciées aux hommes, telle la grande mathématicienne Emmy Noether, surnommée LE Noether.

Pourquoi les études genre font peur ?

Je forme des enseignant-e-s à la question du genre en éducation depuis maintenant près de quinze ans. Les résistances que je rencon- trais en 2000 sont globalement les mêmes que celles d’aujourd’hui :

« Si on élève les garçons et les filles de la même manière, comment fera-t-on pour nous différen- cier ? », « Je ne suis pas pour une stricte égalité entre les hommes et les femmes, car nous sommes dif- férents et heureusement ! », « Nous sommes peut-être égaux mais sur- tout complémentaires. »

Ces phrases révèlent une profonde confusion des termes, soigneuse- ment entretenue par les « anti- genre ». Tout d’abord, « égalité » n’est pas l’opposé d’« identité » (mais d’« inégalité »). Quand la Déclaration des droits de l’Homme stipule : « Tous les hommes naissent libres et égaux », personne n’est supposé comprendre : « Tous les hommes naissent libres et iden- tiques. »

Entre outre, à force de surexposer les différences entre les hommes et les femmes, on oublie que tous les hommes sont différents entre eux ainsi que toutes les femmes entre elles. La différence particulière qui fait que les femmes possèdent un utérus et les hommes des testicules

est surtout importante à noter au moment où les personnes veulent se servir de ces organes… ce qui n’est finalement pas très courant dans notre vie sociale au quotidien.

Ensuite, si la complémentarité a effectivement un rapport avec la différence (pour être complémen- taire, il faut être différent), elle n’a rien à voir avec l’égalité, même si les éléments complémentaires sont indispensables l’un à l’autre. 2 et 8 sont complémentaires pour faire 10, 2 est indispensable à 8 pour faire 10 (et inversement), mais 8 et 2 ne seront jamais égaux.

Et, enfin, que se passe-t-il si les individus n’ont pas envie d’être complémentaires ? Doit-on les contraindre ? Doit-on surtout ne jamais leur dire qu’il peut en être autrement ? Doit-on étouffer leur libre arbitre ou leur autonomie car ils risqueraient de briser la « néces- saire complémentarité » ? Au fond, si la Manif pour tous a peur que le genre soit évoqué à l’école, c’est parce qu’elle accuse les lobbies LGBT6 de vouloir détruire le mythe des deux sexes complémentaires et prédestinés, ce qui aurait pour conséquence de nous rendre tous identiques et donc tous homosexuels.

Pourtant, il est manifeste que l’ho- mosexualité, ou, d’ailleurs, l’hété- rosexualité, ne peuvent s’enseigner.

En revanche, l’égalité, ou l’inégalité, peuvent s’enseigner. Si l’école a la capacité de maintenir en place des systèmes de domination, elle a aussi le pouvoir de provoquer des chan- gements sociaux en émancipant les individus qu’elle forme ; en ouvrant leur choix ; en leur apprenant l’au- tonomie de penser. C’est peut-être même la mission première de l’École de la République. n

N°607 mars-avril 2014 L’école des parents 4. La mixité dans

l’enseignement secondaire : un faux- semblant ?, éd. PUF, 1989.

5. Masculin/Féminin. La pensée de la différence, éd. Odile Jacob, 1996.

6. Lesbiennes, gays, bi’ et trans’.

Comprendre l’éducation au prisme du genre. Théories, questionnements, débats, d’Isabelle Collet, éd. Université de Genève, 2014, disponible sur : publications-ssed-infos@

unige.ch

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