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0-3
HE ^pV BATAILLE
LES CÉLÉBRITÉS D'AUJOURD'HUI 1-e
Henry Bataille
DENYS AMIEL
BIOGRAPHIE-CPITIQUE
ILLUSTRÉE d'un PORTRAIT-FRONTISPICE ET d'un
autographe
SUIVIE d'opinions et d'une bibliographie
PARIS
LIBRAIRIE E. SAN SOT &
C'^ÉDITEURS
7,RUE DE l'Éperon, 7
IL A ETE TIPE DE CET
OUVRAGE
:Cinq exemplaires sur
Japon
impérial,numérotés deI à 5 et
dou^e
exemplaires sur Hollande,numérotes
de6 à ij.HENRY BATAILLE
\a confession est
un
des besoins spiri- tuelsde l'Homme
» a ditRemy de Gourmont,
c'esten
vertude
ce principepremier que
l'âmehumaine de
tous lestemps
s'est toute largeouverte
et a vibré à l'expression vraiede
la poésie intime. Cette expression estmalheureuse- ment
rare,l'homme ne pouvant guère en
général se dépersonnaliser assezpour
faire taire la vanitéinnée
qui préside à l'objectivationde
ses senti-ments;
aussi sauf Catulle,Properce, Wordsworth,
Heine
etquelques
autresne comptons nous guère
de
représentants parfaitsde
cegenre
lyriquequi
semble émaner directement de
l'àmemême,
sans passerpar l'intermédiairede
l'esprit tropsouvent
artificiellementdéformateur.
Je pourrais ainsipar- lerdu symbolisme qu'ont connu
les dernières— 4 —
générations;
mais
sisimplement
je rappelle la faussetéde
cette récente manifestationde
l'esprit qui (touthommage rendu
à ses beautés) tailiit à jamais faire dévier la poésiede
sa voie la plusnormale
etde son
sens le plus pur, c'estpour indiquer historiquement
le contraste et lebrusque
arrêtque
devait alorsmarquer l'avènement d'une manière, dont l'homme
quiva nous occuper
ici fut lepremier
représentant.En 1894,
alors, dis-je,que
levent
était à la tradition greco-latine età l'insinceritéde son imi-
tation,que
lessentiments
se haussaient et se cui- rassaienten quelque
sortepour mieux
plastronnerde
leur exaltation, parutun
livre intitulé : « laChambre Blanche
»,véritable rappel àl'humanité de
la poésie,
son
introspection aprèsson
extériorisa- tion.Ce
petit livre signé:Henry
Bataille, était le perpétuelirissonnement d'une
sensitive etcomme
pétri
en quelque
sorte avec desmorceaux de
sen- sations,de
cessensations aiguës et très vraiestellesqu'en ont de
raresadolescents inexpertsencore de
la façon
dont on
lesexprime
et qui puisent préci-sément une grande
partde
leurcharme dans
l'exquis naturel de leur inhabileté.Son auteur
parut être le vrai poète de nature; sestouches indéterminées
et légères étaient l'indicede
l'intime etadéquate communion de
l'âmehumaine
avec1
"âme
des choses.Cet
« état de l'âme »y
étaitpartout confessé avec
une
telle ténuité d'expres- sion ettémoignait d'une
sensibilité si sincèreque
l'on sentait impossible
que l'homme
ait cru faire—
5—
œuvre en
l'écrivant; ses feuillets étaientencore imprégnés de
l'odeurdu vieux bahut
provincial qui les auraitlongtemps en
ses tiroirs, jalouse-ment
gardés.... carnet d'heurede quelque
pré- cieux adolescent défunt,pieusement
livré parune main
amie....Cela
n'était point et c'étaità la fois tout cela.*
* *
Henry
Bataille estné
le4
avril1872
àNîmes où son
père était magistrat.Mais
le cadresomp- tueusement évocateur de
la vieille colonie latineencore
si vivantesous
l'éclatantelumière médi- terranéenne
n'eut etne pouvait
avoir lamoindre
influence sursajeune âme,
car à l'âgede 4
ans, il vint à Parisoù son
père avait éténommé
conseiller à la
cour
d'appel.Son enfance
se par- tagea entre les propriétés familialesde Bordeneuve
prèsde Castelnaudary
et lesenvirons de Moux
également dans
l'Aude,où régulièrement
il passa ses troismois de
vacances.Son grand'père Mestre-
Huc
propriétaire-poète qu'ilne connut
pas étaitun
fin lettrédont
les jeux florauxde Toulouse
avaientcouronné un
petitvolume
: « JesPâque-
rettes.
Une
espècede romantisme
gris etvague, bour-
geois à la fois etmystérieux embruma de bonne heure
sajeune imagination
fébrile.Quand
levisage colléaux
vitres pâlesde l'humide
lavanderie, ilregardait
tomber
la nuitd'automne,
lesmoindres
bruits
de
pas surla routeprochaine évoquaient en
— 6 —
son âme de fantomatiques
diligencesvenant de
très loin,de
pa5'sinconnus, emplies de voya- geurs énigmatiques
et tristes.... tristesde
ladou-
leur desvoyages;
et la pitié nativede son âme
hésitante prétait à ces errants
bizarrement conçus
touteune amère mentalité de
partant vers l'insoup- çonné... l'inconnu toujours...Ce
frissonde
l'inconnu, cette timidité,cetapeu- rement
d'êtremaladif
traverse la vie etl'œuvre
d'Henr}' Bataillecomme un
kit motivmélopéen.
« Voyageur, voyageur de jadis qui t'en vas
»
A
l'heureoù
les bergers descendent desmontagnes
» Hâte-toi! les foyerssont éteints
où
tu vas» Closes lesportes au pays
que
turegagnes»
La
granderoute est videetlebruit des luzernes« Vientde si loin qu'il feraitpeur.... dépêchetoi.
A
Paris il fait sesétudes àHenri IV, Janson de
Saillvj puisaux
Eudistes à Versailles,Déjà
vers l'âgede 14
anson
diraitqu'un
assainissement s'opèreen
luiqui désembrume en quelque
sorte sa personnalité, lasecoue
etsemble
lacamper
plusferme
; ilcommence
à considérer avecune
pointed'ironie ses rêves inconscients et fantasquesde
jadis.On
sentdistinctement à travers tout ce livrede
la «
Chambre
Blanche » laluttedu
parisienqui ne
peut
s'arracherà labonne
terreprenante
et fami- liale qui leretient par tantde
fibres secrètes.Il se
lamente
sur les floraisonsautomnales
« Je m'en vais les quitterpuisque voici lesgivres
Si
nous devons aujourd'hui
àM. H.
Batailleune
poésiede
sipoignants arrachements,
c'est qu'il n'a jamais été ceque
l'on estconvenu
d'appelerun
provincial; troismois
paran
ilvenait seretremper en son pays de
l'Aude, juste assezpour
extraired'un
terroirauquel
il était réguliè-rement
enlevé, toute labeauté de
ses sensations aussitôt brisées qu'àpeine éprouvées.
S'il l'a à cepoint compris
etaimé
c'est parce qu'il abeaucoup
souffert
de
ses constants départs.Vers
l'âgede
15ans
ilconnut véritablement
la souffrance, ily
eutdans
cettepériode de son enfance comme un
épais brouillardde
terribles deuils,de
peines diverses etprofondes
qui s'estgrisement étendu en dégradé
sur toute sa vie.On ne
saura jamais àquel
point lesgrandes douleurs d'une adolescence
délicate sontgénéra-
tricesdes tristessesde l'homme, sourdes
etprolon- gées... indicernables....((
Que
le mystèresoitsur elles àJamais
».La
viede
Paris l'a pris enfin; il la sent bien finieson
enfance, il écrit alors :«
Mon
enfance adieumon
enfance,je vais vivreNous
nous retrouverons après l'affreuxvoyage
»et voilà qu'il
va
l'entreprendre cetinconnu
et imprévisiblevoyage
de lavieMais avant de
passer à cettedeuxième
partie, ilme
parait indispensablede
direun mot de
cette terrede l'Aude où
est éclos legénie
d'H. Bataille :«
La première
influencede
lanature me
paraît» toujourscapitale.
Ce que
l'onrencontre en ou-
» vrantles
yeux
se dépose, déjà,au fond de
l'âme,» crée, déjà,
un peu d'imagination
et fait déjà» rêver
au
spectaclequi semeut autour de nous.
»
Puis
aveclesansces visionsémergent de l'ombre
»
où
lecœur
lesgarde
captives; elles se classent.» elles
deviennent
cepaysage
intérieurdans
lequel»
évoluent nos
aspirations » a écrit AlbertEmile
Sorel. Il
importe de
se le rappeler.Les romans de Daudet,
les contesd'Armand
Sylvestre, et les his- toires plaisantes descommis-voyageurs ont
fantai-sistement
accréditédans
lesimaginations un Midi
toutde
lumière,de
gaieté,de
beu\"cries aliacées et d'intempestiveexubérance. Rien ne
méritemoins
ces évocations à la
Teniers que
la contréequi
s'étend entrePexiora
etLezignan où
s'estécoulée
l'enfancede
Bataille.J'emprunte
àM.
François Alibertl'exacte etpoignante
descriptionde
ceslieux«
Océan de
désolation, solitudede
pierre etde
feu,» sécheresseà
goût de
cendres,mer morte,
plaines»
de
sable réverbérantescomme
des plagesimpré-
»
gnées de
sel, collinesaux blancheurs
d'osse-»
ments ou
noirâtreset fauvescomme un
pelage))
de
lionpoudreux,
plantescouleur de
lèpre,de
» fiel, d'absinthe et
de
poison, et tout àcoup
à»
l'automne
frissonde pourpre,
d'or etd'émeraude
» brûlée qui parcourt
un immense déroulement
»
de
vignes, crépusculede Judée,
oliviersde
»
Gethsémani, Corbières
!Corbières coteaux
de»
lavande
etde
cailloux roulants, villages absor-»
bant
le soleil, recuits etsombres comme une
» lave refroidie, clochers carrés et calcinés
que
je»
vous
aime.... » (i)C'est
dans
cetteatmosphère première
qu'il fautrechercher
les originesd'un
esprit aussi particulierque
celuide M. H.
Bataille,, il fautinvoquer
lenombreux mélange de
races diverses, l'âpreté Palestiniennede
ces corbières méridionales, les influences climatériques qui firent éclore,comme
sous une
haleine fiévreuseet desséchée, cetteâme
faite
de
tristesse etde commisération.
J'insiste sur tout cela tant ce
me
parait êtreindissolublement
lié à cette personnalité et à sapremière
extériorisation.On
attachepeu
d'im-portance
d'ordinaireaux premières productions d'un
écrivain arrivé, et c'estun grand
tort, car c'estprécisément dans
sespremières
manifestationsqu'on trouve
lasubstance fondamentale de
samanière
àvenir,l'essencemère
qui plus tardentreracomme élément
principaldans
lacombinaison
desproductions
les plus variées eten
constitueraéternellement
le fonds.Mais
tandisque,
àTinsu de
tous, grandissaiten H.
Bataille le poète etaussi ledramaturge de
plus(1) FrançoisPaulAlibert.La Terre de l'Aude. Paris-Occi- dent.
— 10 —
tard,
on
avaitau
contraireremarqué en
lui des aptitudessiprononcées pour
la peinturequ'on ne
lui laissa
même
pasterminer
saphilosophie
et qu'il entraen 1890
àl'Académie
Julianpour
se consacrerentièrement
à cet art. Il eutpour maître Benjamin Constant,
Lefèvre, etDoucet
avec lequelil se lia
d'une grande
amitié. Il fut 2 fois classépremier pour
lesconcours
d'esquisses prépara- toiresau
prixde Rome.
Il est à noterqu'iléprou-
vaitune
véritablerépugnance
à exécuter des exquisses, et ceci paraît êtreune anomalie.
Il avaitpeu de goût pour
le paysage^n'en
fit jamais etaujourd'hui même ne
l'aime pas, il promettaitau
contrairede devenir un
portraitiste célèbre.Ceci sexplique
: Ily
adans un paysage quelque chose de
toujours difficilement spiritualisable;un paysage manque
toujoursde synthèse
; ilne prend de charme que
si lesouvenir
vient lecompléter
et s'y juxtaposer, l'impression
qui
aaccompagné
sa perception, c'est là l'impossible matérialisation de l'immatériel.
Pour H.
Bataille, l'intérêt principalde
la vie consistantdans son humanité,
lepaysage
n'enpouvait
contenir à sesyeux qu'en
entranten
collaboration aveclui-même,
car l'expression pic- turaledu monde
extérieur restera toujours froide etfermée
à toute autre subjectivisme qu'à celuide son
traducteur.... (1)(1) H. Batailleémet ses idées surlePortrait humain dans son albumdes TêtesetPensées, préface Ollendorft, 1901.
—
II—
Le concours au
prixde Rome
allait s'ouvrir et l'oncomptait fermement
sur lui lorsqu'un évé-nement
fortuitinterrompit une
carrièrede
peintreprévue
Au hasard d'une conversation avec un ami
etune dame du monde on
parlade
la réalisation possibled'une
féerie àLondres. Le
projet grandit et il fut décidéqu'H.
Batailley
apporteraitune
partie artistique; disons
en
passant qu'il n'avait jamaiscomplètement
cesséd'écrirepour lui-même, ébauchant au
collègede vagues
plansde
pièce,de romans, de poèmes dont
l'un lui fournit précisé-ment
le sujetdelà
manifestation projetée.C'est ainsi qu'il écrivit
en
collaborationavec Robert d'Humières
« la Belleau
BoisDormant
», féerie lyriqueen
trois actesqui
fut représentée àY Œuvre en 1894. Son
sujetbrodé,
il s'occupa avecun
soin toutspécialde
samise en
scènequi
futdu
restesplendidement
présentée(Rochegrosse
avait brossé les décors) ilse familiarise ainsipour
la
première
foisavec
le côté matérieldu
théâtre qu'il doit plus tard sibrillamment
illustrer.Voici quel
était le sujetde
la féerie:La
bellequi
se réveilleau bout de
milleans
est restéel'amou-
reusede son
rêveenchanté^
ellene
reconnaît plus le princecharmant de
la réalité, elle essaye vaine-ment de
vivreune
féeriemoderne
et garde,im-
puissante à la chasser, l'obsession merveilleusede son
rêve.Quand
le prince s'aperçoitde
cette tra-hison mentale
et millénaire impossible à dissiper,il
demande aux
puissances déclinantesde
la vie—
12—
de rendormir son
amante..., etcomme on
arrivaitaux temps modernes
etque
les fées allaient s'en- fuir,avant de
partir elles accomplissaient cette dernièrebonne
actionde
rendre la princesse à lasplendeur de son sommeil.
Tout
cela rappelaitun peu
leShakespeare de
Rêver el dormir.Mais
toute lajeune
et jalouse littérature s'étaitdonné rendez-vous pour
écraser, sans la connaître,l'œuvre de
celui qu'elle prenaitpour un amateur
sans sedouter
qu'il devait être l'illustrecontinuateur de
ses idées les plus chères, et la pièce effectivement s'effondraau
milieu des vociférations et des projectilesen une
séancedemeurée mémorable
; la presse lui porta le der- niercoup en pronostiquant
lenéant
littéraire leplus
complet de son
auteur.Dégoûté du
théâtre,on
le conçoit,H.
Bataille reprit sespinceaux
sepromettant
biende ne
plus jamaisretourner
à la littérature.(Notons que
déjà « la Lépreuse » était écrite).Un heureux
hasardvoulut que
lié avecMarcel Schwoh, H.
Bataille lui livrât,un
jourdans
l'in- timité, lesquelques
poésiesde .^m
enfance.Le poète profond,
tropprofond,
qui étaiten Marcel Schwob,
crutcomprendre
toutceque renfermaient de beauté
cespremiers
versdont l'humanisme
lui fut la révélationnon seulement d'un homme mais encore d'un genre
tout entier.Ces
vers d'adoles- cent furentdonc
publiésen 1895 sous
le titrede
la «
Chambre
blanche » et l'auteurde
«Monelle
» présenta l'ouvrageau
publicen une
préface célèbre.—
13—
Il parla
de
« petit livretout blanc, tout balbutiant, tout tremblant...,de
petitesfillescoloriéescomme
les livres d'images...,
de
parolesminaudées
etmaniérées^ de
phrasesemmaillottées
par d'an- ciennesmains de
nourrice...,de poèmes étendus dans
des lits fraisbordés où
ilssommeillent
àdemi,
rêvantde
pastilles,de
princesse,de
nattesblondes
etde
tartines à miel, »Il
y
vitbeaucoup
plus qu'il n'y avait et surtoutbeaucoup moins,
tout cela était plussimple
etmoins alambiqué^ moins conte de
Perrault; ily
avaittout
simplement
l'angoissanteévolution d'une
âme
d'enfant, àune âme
d'adolescent qui, s'il sesouvient
des histoiresmerveilleusesdont
sanour-
rice l'endormait, sait aussi qu'il a fallu dire adieu à tout cecalfeutrement
affectueuxde
l'enfance, la plus belle partiede
la vie qui, elle, n'estfaiteque
d'adieuxadieux aux
rêves chersdevant
lecollètement de
la réalité. Ily
avait laphilosophie
la plus
profonde,
la plus naturelle et surtout la plus vraie parce qu'elle était la plus inconsciente et lamoins
étudiée et n'avaitpoint songé
à serenfermer en un système.
Tel poème comme
« lesSouvenirs » contientde quoi
épigraphier les chapitres les plustechniques de
lapsychologie humaine...
Et nous retrouverons
plus tarddans
toutel'œuvre
d'Henr}'Bataillecomme un prolongement
de
cetteenfance hantée qui
a lutté et luttera tou- jourschez
ledramaturge
futur à travers ses per-sonnages pour
labeauté du
rêve,de
linstinct,de
— 14 —
l'illusion, contrelalaideur
de
l'artifice,du
préjugé,de
la réalité.Le
«Beau Voyage
», ilne
faut pas l'oublier, parutexactement
troissemaines avant
«Un
Jour »de
FrancisJammes avec
lequelon
lui atrouvé
d'étrangesressemblances;
c'estassurément
l'in- fluenced'un même romantisme
inquietqui
apresque simultanément
frappé cesdeux
adoles- cencesdans
leursdeux Midi
si différents et sidifféremment exprimés.
Poésiede déchirements chez
l'un...de
rosesblanches chez
l'autre.H.
Bataille était bien décidé àne
jamais plusaborder
le théâtrelorsquen 1896
après Taccueil faità la «Chambre
Blanche » il consentit à faire représenter la « Lépreuse » sur la scènede
l'an- cienAthénée, mais dans un simple but de
charité,au
bénéficed'une
vieille actriceMadame Louise France qui y joua
le rôlede
l'aïeule; le succès futénorme,
et cette fois la pressey découvrit un
instinct
de
l'ordre,de
la clarté,de
la simplicitéqui
laissait prévoirun
très bel avenir.Je reviendrai
du
reste là-dessus.\JE71chantement
joué en 1900
reçutde
la presse l'accueil toujours rébarbatif et hostile qu'elle ré- serveaux novateurs depuis
qu'elle existe. Il arrivanéanmoins
à la 43"°'; et c'estàpartirde
cemoment
que
Batailleprend de
l'empire sur lepublic.Dans
un
articledu Temps, Larroumet abime mécham-
ment
l'œuvre, il parlede
«Marivaux
à la Salpé-—
15—
trière »,,
y découvre
tropde
vérité, s'effarouchequ'on
puisseétalerun
« aussiauthentique exemple de détraquement physique
etmoral de
la sociétémoderne
» etcependant, comme
àcontre-cœur
il
accorde
«un énorme
talentjuvénile àl'auteur »,jugement
qu'ildevaitamplement
ratifierparlasuite.
C'est à cette
époque que
se place lacomposition du
«Beau Voyage
» recueilde poèmes,
suite néces- saire des précédents qu'ilenglobe
etcomplète parfaitement du
reste.Cet ouvrage
futune
révé- lationdans
lemonde
des lettres et l'exquis artisteque
futJean Lorrain
salua ainsison appa-
rition. ((Voilà
le livred'un grand
poète, voilà le» livre
de
poésiemoderne
qui resteracomme
»
marque
caractéristiquede
notreépoque
d'abord,» ensuite
pour
sa valeuren
soiqui
faitque
les» poètes et les artistes
mettront
ce livre à côté»
de
rinterme:^yO etnon
loin des Fleursdu Mal —
»
Henry
Bataille estde
sagénération
celuiqui
a»
trouvé
lemieux
lechemin de
l'âme... »Réuni aux poèmes de
laChambre Blanche
etparu en 1904
l'ouvrage étaitainsi dédicacé:A mon
pèreLéopold
de Bataille;A
tout cequi futlafamille deBatailleetde Batailler,Balmet,Mestre-Huc,
Darnis,etMartin d'Auch
; etqui repose dansdifférents cimetières comprisentre les terres deNarbonne, Moux
et Lagrasse,au
pied del'Aricpoudreux
oiimontent
lesbergers;A
tout cequi futlafamilled'AliceMestre
etd'AnaïsQui
finitenmon âme
imparfaiteetvéridique.Je dédiece
poème
Cueilli de
ma quim^ième
àma
trentième année.—
i6—
Et
cela était plutôtun
épitaphe, car c'estune tombe que
ce livreune tombe gardienne de
sou- venirs poignants...En un lyrisme
acre etmorbide
tantôt, et tantôt tendre et
doux comme un
appel naîtde
violeromantique
c'était l'âme deschoses mortes
qui parlait et s'élevait telleune
brisemys-
térieuse et lointaine; à travers les
larmes de l'homme,
c'était l'enfance qui pleurait, l'enfance impossible à oublier etqui
devait toujours sur- vivre.Dans
cettefaçon de
plaquer,nues de
lanudité de
leurenfantement,
lesimpressions
dépouilléesde
toutartifice,de
tout apprêt factice, je retrouve bien leprocédé du dramaturge
actuel, caren
somme
sespoèmes ne
sontque
les réflexesde
ses actions théâtrales.Quand on
a luun quelconque
despoèmes de M. H.
Batailleon
adans
l'âme toutun
bruisse-ment de ressouvenances
personnellesentre-cho- quées qui
se réveillentbrusquement comme
obéissant à
une
espèce d'indéfinissable télépathie poétique.Le Beau Voyage
était écriten
laseuleforme
quiput convenir
àdessouvenirs dont une grande
partdu charme
résidedans
l'imprécision.Que
l'auteur eut serti ces sensationsde formes
nettes et arrettéesléchéeset sans
bavures
cela n'eut plus étéqu'une
froidephotographie mnémonique
;le
genre comportait
l'inachevé, l'âmedu
lecteur se laisse d'autantmieux
pénétrerd'une
telleévo-
cation qu'ellepeut
ellemême
travailler et bâtir-~
17—
avec
du
sienautour de
l'indication essentielle ettypique de
l'écrivain.Cette poésie entre
en nous
et se fait notre, parce qu'elle est subjectivejusque dans son
élabo- ration etque chacun
arrivant avec sa personnalitépeut en quelque
sortecommunier avec
l'auteurqui
lui a laissé sa part
de
collaboration inconsciente,d'émotion
individuelle.*
* *
Les
qualités tout à fiiitdominantes que nous dégageons aujourd'hui de l'œuvre complète de M. H.
Bataille et quisemblent
larésumer
sont lelyrisme
et lasincérité;ellessontcomme
lespoutres maîtressesde son
édifice définitivement posées,auxquelles
ilne touchera
plus etqui
luimain-
tiendront satournure
à jamais caractéristique,en
dépit des diverses modifications apportées,au cours de
laconception
générale, à telou
tel accessoireélément.
Sa
sincérité lepousse d'abord
à des investiga- tionsprofondes
sur l'âmede
la race, et les loispremières de
la vie etdu sentiment;
investiga- tions quiméthodiquement menées
parune âme
de
poète,lerejetèrentdans
lesrégionsde
lalégende
primitive.Voulant
connaître la nature originelled'un peuple avant que de
l'examinerchez
l'individuen
particulier, et sesouvenant, avec
E. Scherer,que
le passéde
tous lespeuples
aune époque
légendaire, il était naturel qu'il l'étudiât toujoursen
sincèreetconsciencieux numismate moral
.
—
18—
«
Tout
estvenu —
dit-il— de
l'âmeprimor-
» diale; tout ce
que nous sommes,
tousnos
petits» gestes
innombrables
sont la répercussiondu
» geste rare et
beau de l'âme
primitive.Et
voilà»
pourquoi
lemoindre fragment de
poésiepopu-
» laire
nous secoue de
cette nostalgie puissante.» Il
semble que nous nous y
reconnaissions loin-))
tainement
etque nous y
pleurions notresim-
» piicité
perdue
car la réalité intérieurede nous
»
même
feralongtemps encore
le soucide beau-
»
coup
d'entre nous... »Les deux
tragédies légendaires : «La
Lépreuse » et «Ton sang
»simultanément données,
sontcomme
lejalonnement
àde grands
intervallesd'un même
filon;elles sontles manifestationscon-
frontéesd'une même
force naturelleobservée
à diversmoments du long
travail des âges.Ces
forces naturellesdont
il étaitintéressantde sonder
toute laprofonde
signification sont: la vie, lamort;
l'amour, la haine. Il n'était pas indiffé- rent d'ennoter
l'historiquepour
tenterd'endémê-
ler
au dedans de nous
lesmystérieuses
et latentes influences.De
cette incursiondans
ledomaine de
l'âme primitive,M.
Bataille rapporte ce fatalisme navré, cedésenchantement
par endroitsmorbide qui embaume, comme d'un arôme
cruel,quelques unes
des pièces qui suivront.Car
ilen
est arrivé, selon la très intelligenteformule de M.
JulesLemaître,
« à cette sagesse se résolvantdans un
fatalisme instinctif qui est la
philosophie
paroù
—
19—
commencent
lessimples
etoù
aboutissentsouvent
les raffinés ».
Les
idéesébauchées dans
lesdeux
essais
que
je viens d'indiquer, il s'aperçoitqu'on ne peut guère
lesrépandre qu'en
lesmodernisant
etque
lamodernisation de
lalégende
est sa piredéformation.
Il
abandonne donc
lalégende pour
ledrame moderne.
Il a la soifde défendre
la vie. Il passe des « primitifs »aux
« raffinés »,comprenant que
l'éternelle poésie traverse les
temps
et qu'elle puise peut-être plusde douloureuse
intensitédans
le contraste
du
fait-diversbanalement
quotidien,dans
notre jour, lejour moderne.Et
c'esten
effet, le banal fait-divers qu'il étaledésormais,
l'histoire vulgairecomme
toute his- toirequi un
instant retient notre attention...C'est la journalière ritournelle mille et mille fois reproduite, avec à
peine quelques
variantesdans
les
mises en
scène, curieusesen
apparence,mais
banalesencore au fond
elles aussi;seulement de
tout celaM.
Bataille a extrait l'âme.Son procédé
est des plussimples
:Dès
le début,il rentredans
lecœur même de
la vie,de
l'action,dans
la vérité apparente, actionquelconque,
intense le plus possible,où
les per-sonnages vont
etviennent
librement, sans artificeaucun,
sans fournirformellement de renseigne- ments
sureux-mêmes...
ils vivent seulem.entde
leur vie habituellela plus naturelle..., etcesimple
«
galop
d'essai » suffit ànous
fixermieux que ne
sauraient le faire les plus explicites discours.Et
— 20 —
ils iront
désormais
ainsi,au
filde
leur existence jusqu'à la fin.Mais une
tellehomogénéité
lescoordonnera aux
situationsque
lepluslogiquement
naitrontles conflits les plusconformes
à la réalité surtout, et ensuite à lapensée
secrètede
l'auteur; car lapensée de
l'auteur n'a servi qu'à faireun simple apport
à la scène, de la viecourante vue
par luiavec
peine, toutefois,son rattachement
discret et tacite àquelque grand
principe philoso-phique
àquelque sentiment
général.C'est ainsi l'histoire
du
bellâtre entredeux femmes dont
l'une estridiculement amoureuse.
On
s'enmoque,
etsoudain
elle devient ter- rifiante... Elle devient la force instinctivede
l'amour, qui irradie ettriomphe. (L Enchantement, Odéon, 1900).
C'est l'aventure de l'adultère quasi-incestueux
d'une mère
tropjeune avec
l'amide son
fils... Elle devient l'étude des « fonctionsde
lafemme
à traversla vie. »{Mania)!
Colibri,Vaudeville 1905
).C'est la fuite
combien
fréquentede
la petite provinciale avecson
professeurde piano
;mais
quiun
jour effrayéede son
erreur,désenchantée de
tout, se suicide Ellenous
ditque
toutsentiment, même
le plus beau, porteen
luison
commencement
et sa fin.{La Marche
Nuptiale,Vaudeville
1905).C'est latrivialité
du
grosnoceur
bouffon,qui
a conquis, parce qu'il a fait rirebêtement, qu'on
plaque
dès qu'il devient supérieur, tout pantelantde
désespoir... et qui se résigne parceque
laVie
—
21—
vaut qu'on
se sacrifiepour
elle.Hic
quosdnnis
amor... » (Poliche,Comédie
Française 1906).C'est enfin
l'abandon
parl'homme de
latemnie
simple, « nature »,compagne
des joursmauvais, pour
la rivaleluxueuse
et belle...Ce
quiveut
direque l'homme comprend mal
la forcede l'amour
etque
la sociéténe la
pasencore
réglée.(La Femme Nue, Renaissance,
1908).Et
tous, tant qu'ilssont,minables marionnettes,
fantochesde
rien,aux mains d'une
force cachée^qui tire les ficelles
de
leursmouvements,
ils sont risibles à laquatrième page du
journal... ils sont pitoyablesau cœur de
l'observateur; car ils sont des victimesde quelque grand
principe originel.Les
coulissesdu
scénarioquotidien sont
pro-tondes
et lamentables...peu de penseurs y ont voulu
pénétrer.Schopenhaûer,
lui, les connais- saitdans
leurs recoins, et c'estavecquelques unes de
sesmaximes que M. H.
Bataille a étiqueté lesmimiques de
ses «pupazzi
».
Retournez
cespauvres
jouetsdont
jevous énu- mérais
à l'instant les histoires vulgaires...Péné-
trez leurâme...
Regardez-lesen
transparence etdans
lefiligranede
leur étiquette drôleou
bébettevous
lirezétonnés
:«
Toute
souffrance est peut-être le retentisse-ment mystérieux d'un bonheur
à travers l'espaceou
letemps
».
«
Un amoureux tourne au comique
aussi bien— 22 —
qu'au
tragique; parce
que dans
l'unou
l'autre cas, il estaux mains du génie de
l'Espèce qui ledomine au
pointde
le ravir àlui-même.
»« Il
y
a desoiseaux qui
semettent
à bâtir leur i nid^on ne
saitpourquoi,
àl'automne.
»«
La femme
estune
successionde
fonctions. »« L'horrible détresse d'avoir
joué
toute sa vie surune
erreur d'un jour,de
s'être crue héroïque, belle ; d'avoir portéune rayonnante
illusion,quelque chose comme une couronne de
beauté,pour
se réveiller pressant avec tendressedans
ses bras,comme
les enfants,un moignon informe dont un pauvre ne
voudrait pas. »« Ilest
véritablement
incroyablecombien
insi- gnifiante etdénuée
d'intérêtvue du dehors
etcombien sourde
etmystérieuse.àl'intérieurs'écoule laviede
la plupart deshommes.
Elle n'est qu'as- pirations impuissantes,marche
hésitantedun homme
qui rêve à travers les âgesde
la vie, jusqu'à lamort,
avecun
cortègede pensées
tri- viales. »« ...
Les
Instinctifsdétiennent dans
les profon-deurs
inconscientesde
l'âme la plusgrande beauté du monde
moral... ils sont la force la plus bellede
la vie et l'exemple le plus persuasif... »Est-ce à dire après cela
que
le théâtre de—
23—
M.
Bataille estun
théâtre d'idées? Il faudrait certes segarder de
luidonner
ce titre,dans
le sensoù
lecomprenait Dumas,
parexemple, ou
Ibsen.Le but de M.
Bataille n'est pointd'exprimer
des idées,pour une
louable raison;cest qu'un auteur
quiprend pour point de
départ ladémons-
tration
de
tellethèse,de
telle idée, forgera néces-sairement de
toutes pièces ses caractères et ses situations,en vue du problème
à résoudre,en vue de
l'idée àprouver;
et cela,d'une façon
arbi- traire,au détriment de
la véritédabord,
et le plussouvent de
lavraisemblance.
Cela
prouve-t-ilqu'on ne doive
pas avoir d'idées etque M.
Bataille n'en aitpas? Au
contraire.
Seulement,
il les a à samanière que
jene
suis pas éloignéde
croire labonne
: derrière latète.Je
ne
puismieux
faireque
devous
livrerson
postulatdramatique, auquel du
reste, il secon- forme scrupuleusement.
«
Le
théâtre n'estpoint
faitpour exposer
des» idées;
mais seulement pour
les suggérer.Les
» pièces
de
théâtredoivent
avoir desdessous de
» pensée,
une trame philosophique^
ainsique
les»
vêtements ont
desdoublures
nécessairesmais
))
résolument
invisibles. S'il est nécessaireque
le»
drame comporte une
idée, des idées, lapensée
»
pour
le public doit êtrechose
facultative; il» faut
qu'une œuvre
vaille parelle-même. Les
» idées, c'est
pour nous,
c'estun
travailen dehors
»
dont
le seul résultat estde donner au
public.— 24 —
» par sensations,
un aperçu
pluspénétrant et plus»
ému de
la vie...Les personnages doivent
se»
mouvoir
libres, et agir seloneux,non
pas selon» les besoins
de
la cause. C'esteux-mêmes qui
»
doivent conduire
la pièce,non
pas la pièce les»
conduire.
» (i)Et
c'est icique
j'en viens à faire lerapproche- ment
frappantd'Henry
Bataille etdu grand
Ibsen.Nul
écrivainen
France, jene
dis pas: n'amieux
subi l'influence
du Norvégien, (M.
Bataille a trop d'originalité etde
personnalitépour
subir des influences)mais nul
n'amieux compris
la véritéd'un procédé dramatique,
il s'en fautde
peu, le plus juste qui soit.Voici comment
s'exprimait Ibsendevant
lecomte Prozor son ami
et tra-ducteur
:« Si,
en
transportant sur la scène certains êtres»
que
j'aivus
etconnus,
certains faitsdont
j'ai été»
témoin ou
quim'ont
été racontés, eten
répan-»
dant quelque
poésie sur le tout, j'arrive à» éveiller les esprits, différentes idées naîtront
»
dans
différentes têtes et tout celaaura eu ma
» pièce
pour
pointde
départ.Eh
! jene m'en
»
défends
pas,mon cerveau
aussi a pu, tandis»
que
j'écrivais, être traverséde
tellesou
telles» idées.
Mais
toutcela n'estqu'accessoire; le prin-» cipal
dans une œuvre de
scène, c'est l'action,» c'est la vie. »
(i) Cette préface du Masque et de la Marche Kupiiale.
(Fasquelle) expose longuement les idées de M. Bataille et eutun "randretentissement.
—
25—
Il est aisé
de
saisir l'étrange similitude despro-
cédés.Seulement
! l'action, la vérité, je lestrouve autrement
intenseschez M.
Batailleque chez
Ibsen.M.
Batailleme
fait l'effetd'un
Ibsen consé-quent
aveclui-même
et quine
se serait point laissé aveugler par lanébuleuse atmosphère
des fiords,au
pointde ne
plusvoguer que dans du
rêve,etd'enoublier les réalités
auxquelles
l'eussentpourtant
contraint les prémisses posées.Le grand
traversdu drame
d'Ibsen est « d'excéder la vie » suivant lapropre
parolede M.
Bataille. Je n'enveux pour exemple que
la finde
Solness leCons-
tructeur. Ibsen estun romantique
toutde même,
et si le style
ne
l'est pas, lapensée
resteun peu
déclamatoire.M.
Bataillene conclue
pasdu
tout. Il parait plus absent.Mais
siinformulée que
soit laphilosophie de
l'auteurde
laFemme Nue,
ellene
s'endégage
pasmoins
très clairementde
ses pièces. C'estune
phi- losophieindividualiste, d'ailleurs aussicomme
celle d'Ibsen, avec des différences essentielles (cellede M.
Bataillene
traiteque du sentiment) mais
cesdeux
auteurssemblent
les seuls qui aient étavé toutes leursœuvres
surune
philosophie, surun système de
pensée.Voici du
reste àpeu
prèscom- ment m'exphquait Henry
Bataillelui-même
l'éla- borationdesesidéesthéâtrales: «Quand
j'écrisune
pièce,
— ne croyez
pasdu
toutque
je lacom-
pose
avec desmatériaux
tout préparés.Dans
la— 26 —
formation
etl'élaborationde mon
travail ily
aun
travail inconscient àcôté
d'un
travailconscient...,il s'éveille d'abord
en moi une vague
idéede
piècephilosophique,
je la sens plutôtque
jene
la for-mule
etsoudain
à force d'être latente etsourde- ment
agitéeen moi,
elle éclatecomme en une
bouffée, et sansque
j'y réfléchisse les caractères s'endégagent soudain
; je
ne
les dirige pas, jene
me demande
pas ceque
je vais leur faire dire, je leslaissevivre etceux
avec lesquels j'ai ainsipro- cédé
sont les meilleurs, tandisque ceux que
j'aidû guider
sont lesmoins bons
selonma con-
ception.Après
cela jeprends mes personnages,
jeme promène
avec eux, jem'émeus
aveceux
etquand
les
événements
traînent etne vont
pas,un goût
inconscient faitque
je lespousse
ailleurs.Ce
travailiait, je puistotalement me déperson-
naliser et jugermon œuvre comme
celled'un
autreen me
défaisantdu
prestigede
la création..., à cemoment
intervientmon
esprit critiquesou-
cieuxde
l'ordredans
la présentation,de
la cons- cience,de
la ligne. »Et je retrouvais
dans
ce procédé, celuidu
peintre; n'est-ce pas leprocédé même physique du
peintrequi aprèss'êtreen quelque
sorte incons-ciemment fondu
avec lapâtede
sestubes etavoircouché son âme
vivanteen
traitsgénéraux
sur la toile, faitquelque
pasen
arrière,va
se regarderd'un
[)eu loin, se juge et se critique etapporte
àson œuvre
cet ordre, ce classement, cette disci-— 27 —
pline indispensable à laquelle il n'avait pas
pu
sesoumettre d'abord dans
toute lafougue spontanée de
saprimitiveidentificationavec
la matière.Il était fatal
qu'en procédant
ainsiH.
Bataille,profond
etconséquent
naturiste jusqu'en saméthode,
arrivâtaux conclusions
les plus quoti- tidiennes les plusvolontairement
banales, partant, les plus vraisembabies.Tout
lemonde
aencore
présent à l'esprit cetteadmirable Femme Nue qui
a définitivement consacré legrand
talentde M.
Bataille; jene
reviens pas sur sadonnée. Le
publicqui en
est resté eten
resteraencore
long-temps au procédé du
« toutmâché
» a trèsgéné- ralement trouvé
le dernier actemonotone
et futvisiblement déçu du dénouement. Ce
fut aussi l'impressionde beaucoup de
critiques.Oh
! je sais bienqu'une grande
bellescène d'un lyrisme
très écrit,dans
laquelle lapauvre Loulou
se futcarrément achevée devant l'acharnement du mal-
heur,ou
si l'on préfère,un
retourdu prodigue
à sespremières amours,
eut plusclassiquement terminé
leschoses;
soitque
ces diverses solutions eussentviolemment secoué
les nerfs, soit qu'elles eussentcontenté
lesâmes mélodramatiques
tein- téesd'une vague
soifde
sérénité bien bourgeoise.Mais M.
Batailleen rigoureux
« vériste » afaitde grands
progrèsdepuis
laMarche
Nuptiale. Il acompris que neuf
fois etdemie
sur dix leschoses
finissaientbanalement
etque
le théâtre étantun
terrain d'étude générale devait statuer surla
bana-
lité des neufs cas et
demi
etnon
sur ledemi
— 28 —
dixième
d'exception quine
ressortit pasaux
lois généralesd'humanité.
Loulou ne
se resuicidera pas...son ami ne
reviendra pas à elle; et elle continuera, avecn'importe
qui, à vivre blessée etmalheureuse
toujours,comme
l'infiniemultitude
deséternellesabimées dont
elle est le type... jusqu'au jouroù une
vieillessequelconque
seterminera
parune mort quelconque
aprèsune
viesimplement
quel-conque
encore,comme
la plupart des autres.Je
trouve
cettebanaHté beaucoup
plus cruelle-ment
matérielle et vraisemblable.C'est
un grand
tortde
vouloir à toute force faired'une
pièceun
épisodecomplet
aveccom- mencement
milieu et fin.Les
solutions sont plutôt l'exception,mauvaises ou bonnes
elles clôturent toujoursquelque
chose.La
vie est faitede contingences
vulgaires^ etpour
être vrais la
comédie ou
ledrame ne doivent
êtrequ'un morceau du rouleau
vitalénigmatiquement moiré que
l'ondécoupe au
hasarddu
ciseau, sans toujours suivre lesensde
latrame. Ainsi ledrame
a
de
l'espace,de
lavérité,de
la signification.Si l'auteur
ne
les tire pas, ily
anéanmoins
desconclusions
àtirer. Si jamaisau
cours des diverses scènesaucune
tiradene
revêt le caractèred'une
leçon, siaucun personnage
n'est le porte-voixde
ridéeintime de
l'auteur, la pensée, s'ily en
a une,est
intimement mêlée
à l'action;seulement
elleen
estl'âme
discrète.Les conclusions inexprimées formellement
sont— 29 —
celles
que nous donnons, chacun de nous,
le soir retirédans
l'intimitéde
notreappartement,
etque nous apportent
àpeu
près lamême
àtous, lafoule desimpressions
justes, des sensations vraies,que
l'auteur
nous
aloyalement
dosées : c'estplus exact, plus sincère; j'ajoute: c'est plushonnête. Nous
restonsainsi libres
de solutionner comme bon nous semble,
selon la naturede
notreâme
etde
notre espritquiont vécu
et travaillé sansqu'on nous
ait forcé lamain.
J'ai dit
qu'au
plushaut
pointM.
Bataille avait le cultede
laprimitive beauté,de
cettebeauté simple
et franche des natures
neuves.
Ilétait naturel qu'il fut pitoyablede
la pitié la plusémue,
ce qui esten somme une
des facesde son âme de
lyrique. Il adonc
été instinctivementconduit
àprendre
sespersonnages parmi
ces éternels meurtris, sans dé- fense, fortsseulement de
leurs générosités,de
leurs bontés,de
leurs crédulités;en un mot
d'au- tantde
faiblesses.Mais, par
exemple, généreux,
aimants, crédules etbons, ils le sont jusqu'à l'opiniâtreté exaspérée, c'est là la caractéristiquede
leur individualisme.C'est
en
cela qu'ils sontanalogues aux person- nages
d'Ibsen, griséscomme eux
par l'illusion vitale,ignorant
des obstacles. Ils se révoltent s'ils lesrencontrent
et s'y brisentde
tout l'élande
leurimpuissance.
Regardez
lesun
àun.
Ilssontcomme de pauvres
— 30 —
oiseaux brusquement
arrachésd'une
tranquille obscurité et jetésbrutalement dans
la cruditédu grand
jour^dans
l'affolanttournoiement du
tour- billonhumain. Au
début, hésitants, ils tâtonnent, effrayésdu Daïmon qui s'empare
d'eux, et les pénétre jusqu'à lamoelle;
...un
restede
timidité (quine
seraitquun début
d'acclimatationaux conventions de
la société) les fait consentir à descompromissions d'amour
secret, d'adultères tacites jusqu'au jouroù
ilsont
conscience qu'ilssont toutamour
etoù
lesentiment timoré de
jadis faisant place à la plusabsolue
passion, cette dernière estdevenue
leurunique
raisond'être.Ce
jour là ils arrachent leurmasque trompeur,
ils sedressentfarouches, bestiaux...
C'est
que
lessentiments
acquisont cédé
le pas à l'instinct.Quelque temps endormie sous
lescendres d'une
civilisationsimplement
superficielle, l'àme primitivese réveille.Voyez,
parexemple,
cette inoubliable scènede
la
Femme Nue où
lapauvre
Lolette sacrifiée, se dresse, crie, hurle, supplie, et se traîne,comme
l'âme
casséeen deux, de
l'un à l'autrede
ses bourreaux...Cela
c'est laviemême...
Ilssont bien tous des êtres nus,non
adaptés,non
assouplis,beaux
de leur naïf instinct,superbes
et nobles floraisonsd'une
nature vierge figéedans
sa pri- mitivité.Tous redeviendront
nus.Au paroxysme de
leur crise passionnelle, aveugles et colletéscomme
parune main de
fer etde
glace qui les traîneraitaux
pires extrémités, ilsjouent
leur va-—
31—
tout.
Ce fatum
angoissant qui pèse sureux
et surnous,
c'estl'amour,l'éternel despotequi conduit
lapauvre humanité
toujours etsur lequelH.
Bataille fait reposer lefond de
saphilosophie
qu'il syn- thétise àpeu
prèsen
cestermes
: «L'Amour
estle
grand
refugede l'homme
contre la solitude,l'immense
solitudeque
luiont imposée
la nature, l'espèce, les lois éternelles. Il est lasublime
réac- tion.L'Amour
estl'œuvre de l'homme
contre- nature.Ce merveilleux sentiment
a étédéformé
et avili d'abord par la
rehgion qui met
lepéché
à sa base, ensuite par la sociétéqui
luimet
la loi^la
convention
et l'entrave.Mais déformé ou
abêti l'instinctde TAmour
restesublime
etadmirable.
Il
domine
la matière.L'Amour
c'est le cride
rébellion contre lenéant de
la vie. C'est luiqui
arracheaux
servitudes l'individuenchaîné
par mille entraves, entravesde
l'atavisme^de
l'héré- dité,de
la loi.Le malheur
estque
cesentiment
tenant parsa basemême
àla nature, estincomplet
etsoumis au
transitoire, à lamort.
Etl'amour meurt indépendamment de
lavolonté
; et c'est làune
des plus effroyables tristessesqui
soient.La
naissance et lamort de l'Amour,
voilàTétude
la pluspassionnante
et la plus frissonnante! »M. H.
Bataille etM. G. de Porto Riche
sontceux qui dans
le théâtreont
lemieux compris
et leplusdouloureusement exposé
lefonctionnement de
ce terriblemoteur de
l'actehumain.
Sans doute
à les regarderde
près, lesperson-
nages de M.
Bataillesontde farouches
égotistesqui
— 32 —
sacrifient tout à leur passion,
ne songent
qu'àrevendiquer
les droitsde
la conscience et renientviolemment
les devoirs.Mais
ilen
est ainside
tout individuretourné
à l'instinct qui redevient le primitif lutteurpour
la vie, lutte instinctivemise au
serviced'une
vie tellement entièreque
la viemorale
et matérielle à la fois seconfondent pour
n'être plusd'une
façon généraleque
la possi- bilité de vivre ellemême.
C'est
dans
cet espritqu'a été faite cette scènedu
dernieractede
laFemme Nue qui m'a paru
n'avoir pas étécomprise de
la plupart des gens.On
a étéétonné de
voir lesdeux
rivalesen
téte-à-tête parlercomme
sil'une n'eut pas fait lemalheur de
l'autre.
N'oublions
pasque l'amour meurtrier
envisagé avec raison par l'auteur,comme une grave mala-
die,ou
plutôtune
fatalité formidable, vient d'avoir sa crise... Passée cette crise qui seule les soutenaitde
sa puissance, les victimes seretrouvent de pauvres
épaves banales,dédoublées du sentiment
qui lesanimait
tantôt, etdont
elles s'entretiennentcomme d'une chose
étrangère, fatale, et déjà loin- tainequi
les a fait toutesdeux beaucoup
souffrir.«
Lorsqu'on aime
Pierre...c'estpour
la vie... Je saisceque
c'est......
Oh
!ne me découragez
pas.......
Ce ne
sont pas leshommes
qui sont cruels.C'est l'amour. »
Elles sont toutes
deux envoûtées sous
cette force si mystérieuse, si puissante et simaligne
qu'il est—
33—
encore de
meilleure tactiquede
se liguer contre elleque de
rester diviséen
s'entredéchirant...Au
total, résignation
meurtrie de
Têtrequi
acompris...qui
commence
à s'acclimater, qui aperdu
sesillu- sions...Mais
ce destinmauvais
est-il bienau
dessusd'eux
?Ne
le portent-ils pas plutôtcaché en eux-mêmes
? N'est-il pas la fleurmorbide
àl'arôme
pernic'eux qu'ils situent très loin tandis qu'ils l'ont peut-être agrafée à leurvêtement?
C'est là
une énorme question
qui relève plutôtd'un
chapitrede morale philosophique.
C'est
une
desformes d'un immense amour de
lanature que
l'étude constante d'êtresqui
se rappro-chent
le plusde
sasublime
simplicité;mais
celane
va pas sansqu'il failleun peu
les idéaliserd'une
auréolede
poésie.Aussi
suis-jeconduit
à parlerde
cedon merveilhux
quiest spécial àM. H.
Bataille et lui faitune
place tout à fait à partdans notre
littératurecontemporaine,
jeveux
parlerde son
lyrisme.Ce lyrisme
particulier, exact,comme
ill'a définilui-même, mêlé
à la banalité terre à terre, issu d'elle.Le lyrisme
estcomme une
sortede vocabulaireexprimé ou non,
qu'emploierait l'âme intérieured'un
être,son âme
primitive et viergede
toutconvenu, pour
traduire sessentiments, sesconcep-
tions, ses joies et ses peines. Il est l'objectivationdu
subjectif si je puis dire.Tout
être qui s'estun
tant soitpeu
recueillien
- 34 —
lui-même
et asondé son
tréfonds, s'estdécouvert une
personnalité toute différentede
celledont
ils'est fictivement affublé
pour
aller et venirdans
le
commerce
journalieravec leshommes
et qui, à lalongue,
a fini pardevenir
la principalechez
la majorité.
Ilest fatal
que
desconflitsviennent
à naître des constantesmises en
présencede
cc:".deux person-
nalités, chezceux qui ont encore
assezde
finessepour
les accuseret les différencier.Jesaisque
cette différenciation, s'appelle la conscience, etsetrouve
être aujourd'hui, hélas! le faitd'un
très petitnombre.
Ces passionnants
conflits sontceux dont M.
Bataille a
apporté
l'étudeau
théâtre.Il est naturel
que
l'âme intérieurede
ses per-sonnages énonce
ses conceptions,chante
ses joies et crie ses peinesdevant
l'autreque
j'appellerai l'âme extérieure; et lelangage
qu'elleemploiera pour défendre
ses droits, c'est cela le lyrisme.Mais
aussien
quelstermes M.
Bataille les fait parler, cesâmes
!Vaporeux
impalpables, à lamanière
desparfums dont on
ignorede quoi
ilssont faits et les causes
du
bien-être qu'ilsvous
procurent, sesmots,
qui sontpourtant ceux de
tous les jours,ne semblent
avoir jamais servi, tantils puisent
de
grâce,de
distinction etde
subtilitédans
leur habileassemblage.
Ecoutez
parlerune âme
intérieure,écoutez
lapauvre
petitepensionnaire
d'hier parlerdu don
nuptial d'elle