M ATHÉMATIQUES ET SCIENCES HUMAINES
J ACQUES C OURCIER
Le texte philosophique comme lieu d’étude sur la logique usuelle
Mathématiques et sciences humaines, tome 107 (1989), p. 7-16
<http://www.numdam.org/item?id=MSH_1989__107__7_0>
© Centre d’analyse et de mathématiques sociales de l’EHESS, 1989, tous droits réservés.
L’accès aux archives de la revue « Mathématiques et sciences humaines » (http://
msh.revues.org/) implique l’accord avec les conditions générales d’utilisation (http://www.
numdam.org/conditions). Toute utilisation commerciale ou impression systématique est consti- tutive d’une infraction pénale. Toute copie ou impression de ce fichier doit conte- nir la présente mention de copyright.
Article numérisé dans le cadre du programme Numérisation de documents anciens mathématiques
http://www.numdam.org/
LE TEXTE
PHILOSOPHIQUE
COMME LIEU D’ETUDE SUR LA
LOGIQUE
USUELLE.Jacques COURCIER1
Cet essai de
Dominique Dubarle2
est extrêmementcomplexe.
Il réunit deux genres littérairesqui
sont rarementconjoints
dans notre littérature moderne etqui
nécessitent deux modes de lecture fondamentalement différents. Il faut donc l’aborder àpart égale
comme traitant d’unequestion mathématique
et deproblèmes philosophiques.
Cette dualité interdit de considérercomme de
simples
excursus lesmultiples
annotationsqui
l’émaillent. Elle ne doit pas être assimilée à uneambiguïté.
Eneffet,
les choix dans l’ordre desproblèmes mathématiques
considérés ne relèvent pas de la seule
stratégie
desobjets mathématiques,
mais bienplutôt
de laconviction
qu’il
y a desobjets non-mathématiques qui
peuvent être éclairés par uneapproche
ayant ce type de modalité. Il
s’agit
bien d’un traitement demathématique
et d’unemathématisation de concepts
philosophiques,
au sens où l’on peut direqu’un physicien pratique
les
mathématiques
pour pousser sonanalyse théorique.
Mais ici la référence n’est pas
physique.
Elle relève des sciences humaines etDominique
Dubarle est convaincu que la
philosophie,
et toutparticulièrement
lagrande
traditionqui
culmine en
Hegel,
en faitpartie.
Pour êtreclair, précisons
tout de suitequ’il
nes’agit
pas demettre
Hegel
enéquation,
mais de trouver dans cette forme ancienned’expression
des modalités depensée
et delogique qui
ne seraient pas assumées et encore moins thématisées dans lestravaux actuels.
La
question
de fond peut être résumée en troisétapes :
1. il n’est pas
acceptable
pour un mathématicien de voir des raisonnementsqu’il
nepuisse
retraduire en son propre
discours,
selon les modalités de sarequête
derigueur ;
2. il y a chez
Hegel
une idéequi
semble poser de grosproblèmes
à touteinterprétation
de cegenre : la
logique
de l’essence et ladialectique. Voyons
cequ’il
en est ;1 Université Paris 4, I.S.H.A., 96, Bd
Raspail,
Paris 75006.2
Dominique
Dubarle(1907-1987),
dominicain, fut en même temps un excellent connaisseur de la logique mathématique, un collaborateur occasionnel de LouisLeprince-Ringuet,
unprofesseur
dephilosophie
éminent, spécialiste mondialement reconnu de Hegel, et l’ancien doyen de philosophie de l’InstitutCatholique
de Paris. Ils’intéressa très tôt aux questions de la
cybernétique
(il fut probablement le premier à écrire à propos de Norbert Wiener en France dans le Monde). Il s’intéressa de très près aux problèmes de désarmement nucléaire et collaborajusqu’à la fin de sa vie activement au mouvement Pugwash. Il fut surtout un enseignant et publia de nombreux articles. On peut trouver une
bibliographie quasi
exhaustive dans le numéro spécial de la Revue de L’InstitutCatholique de Paris (n 026). Le texte que nous
présentons
ici est un inédit. Sur la philosophie desmathématiques
de D.D.,
signalons
la chronique que nous avonsproposé
dans le numéro de la Revue des SciencesPhilosophiques
et Théologiques, T 73, n ° 2 Avril 1989.
3.
quoiqu’il
en soit de la valeur des différents essais deformalisation,
demeure laquestion
du rapport entre
logos (c.à.d.
tous les discours surl’essence...)
et formalisation dulangage.
Les
conséquences
de cetteapproche
sontévidentes :
en engageant cetteanalyse
on abordede front une des
grandes
cassures de notre culture. Cette coupure concerne aussi bien lelangage
de la
description (l’essence
deschoses)
que celui de la décision au travers de laquestion
de lamodalité. Le but de cet essai de D. Dubarle est de proposer une unification d’une structure
formelle
permettant
deconjuguer
les deuxaspects.
Pour
préciser
le deuxièmepoint rappelons
que laproblématique hégélienne
est unequestion générale
que nouspourrions
schématiser en disantqu’elle
tente de considérer de manière rationnelle le devenir non seulement dans le mouvement, mais dans l’êtreet/ou
l’essence. Il suffit d’avoir fait un peu d’histoire de lapensée (philosophique
etscientifique)
pourcomprendre
combien laquestion
était d’actualité. Elle est la traduction directe desproblèmes
que soulevèrent la relativité
galiléenne
et newtonienne. L’étude du mouvement se fait par le biais du différentiel.Hegel
est en réaction contrel’approche purement mathématique.
Il propose donc uneanalyse qui prétend réinterpréter
l’essentiel de leur apport. Mais l’évolutionhistorique
du
questionnement scientifique prendra
d’autres chemins. Elle seraplus
étude des structures de groupe que de fonction.L’approche
des invariants sera la recherche des groupes de transformationqui
conserventl’espace (et
nonplus
la recherche del’espace absolu).
En ce senson peut estimer que l’étude de
Hegel
est à contre-courant de toute la recherchescientifique.
Celane suffit pas pour
rejeter
lesquestions hégélienne
comme sans intérêt.I. LES DEUX PLANS
Nous allons
esquisser
les deuxplans généraux
de notre texte1. du
point
de vuemathématique
2. du
point
de vuephilosophique
et voir de
quelle
manière ils seconjuguent.
1. Le
point
de vuemathématique
Ce texte se
présente
comme lapremière partie
d’un travail dont nous nepossédons
pas detrace de la suite. Il n’aborde que l’étude de la base
B[22].
Ilprévoit
pour la suite d’autres extensions(au
cas despuissances nème
de2, puis
des basesinfinies).
Une desparticularités
decette
présentation
est de ne pas faire tous lesdéveloppements mathématiquement pensables,
mais de proposer les extensions
qui
semblent lesplus
"intéressantes". Lapremière
estappelée L2.
Lesquatre
valeurslogiques
seront v,f,
i etj.
Les considérationsqui
suivent introduisent 16espèces propositionnelles
distinctes dont les éléments permettent de définir une suite depréfixes
adverbiaux(formellement, thétiquement, hypothétiquement
etmatériellement,
p.
26).
D. Dubarleprésente
ensuitequelques
connecteurspropositionnels
dans ce cadre. Ilpropose des formes en extension directe par
rapport
aux connecteurs élémentaires du calculpropositionnel.
L’auteur
présente
ensuite un formalisme deL2
dont ilprécise
bienqu’il
n’est pas fonc- tionnellementcomplet
maisqu’il
est"grammaticalement adéquat" (p. 28).
Tout ceci lui permet de proposer une axiomatisation déductivementcomplète (pour
la notion de déduction-implication).
Il n’est pas nécessaire d’introduire uneaxiomatique
nouvelle fondamentalement différente de celle du calculpropositionnel.
Cependant
il faut remarquer que L2 n’est pascomplet.
Onpeut
éventuellementprendre
encompte une structure de corps de Galois. Ceci aurait l’inconvénient de faire sortir des chemi-
nements habituels de la
pensée.
"Leprincipe
de maintien de l’inaliénable seraitderechef
entamé"(p. 35).
Pour parer cetinconvénient,
on vaadjoindre
àL2
une formeprépositionnelle
P’qui
varendre
L2 complet.
P’procède
parcontraposition
des valeurs iet j.
On obtient ainsi lesystème
~2 qui
est unesimple
extension deL2 (p. 37).
Cette extensionpermet
d’établir un pont avec lalogique
des modalités. Il faut noter que la notiond’égalité
pose desproblèmes
dansh2
car elledevra être radicalement distincte de la notion
d’équivalence.
En posant~2
commesystème
déductif nous pouvons ainsi démontrer que
l’aspect sémantique
de latautologie
permet de passer àl’aspect syntaxique
du déducdf.Suit une
longue analyse
duparallèle
entreA 2
etS5
de Lewisqui permet
deprésenter
lesystème Moe
comme laplus simple
desreprésentations
finies deS5 (p.43).
Cecicorrespond
àune refonte de la notion de modalité dont la
signification (qui
servira dejustification)
seraabordée dans la deuxième
partie.
On peut introduire dès lors les modalités P+ etP*.
On définit ensuite la notion
d’appartenance (p. 49).
Cette notion fournit uneinterprétation
permettant de
distinguer
i etj, qui
sont tous les deux dès lors des atomes. Lepremier
estl’image
de la valeurlogique
F élément nul dusystème,
alors que le second seral’image
deV,
élément unité.On peut considérer la
logique
de baseB [22]
soit comme une extension deL2
soit commeadjonction
de P’ à L2(la
seuleadjonction qui
permette de mettre surpied
unelogique
fonctionnelle
complète
pour cettebase).
Mais on peut s’intéresser à d’autresadjonctions
pos-sibles, qui, elles,
ne seront pas fonctionnellementcomplètes.
Il suffit pour cela d’utiliser parexemple
les modalités P+ etP*
définies ci-dessus. Nous allons considérer pour cela lalogique
2
obtenue en faisant
l’adjonction
deP+
que nous nommeronsL~ (p. 51).
On se retrouve avecune base de 8
espèces propositionnelles principales.
Pour le théorème decomplétude
il faudraintroduire une notion intermédiaire entre
l’équivalence
etl’égalité,
queDominique
Dubarledéfinit
(p. 55)
etqu’il appelle l’homologie
substantielle(alors
que avecl’adjonction
deP*,
2
c’est-à-dire dans
L* ,
nous aurions unehomologie qualifiée d’essentielle).
Nous pouvons aussi
conjuguer
ces deux extensions.Nous aboutissons ainsi au dernier
point mathématique
de ce texte :l’analyse
del’équivalence
sur la base deB[22].
A cettelogique
usuelle on peutadjoindre
trois classesd’espèces propositionnelles indépendantes
par rapport à la relationd’équivalence.
En fait ilsuffit
d’adjoindre
P’ et PO’ pour mettre surpied
lesystème
delogique
del’équivalence.
Il y a"cireularité des
opérations
etrelations,
et ceci peut devenir comme leprincipe
de modes inédits du raisonnementlogique.".
Lesregistres
Pl- etPP
sont définissables dans le formalismeh 2 ,
@mais ils
n’y
ont pas defigure
"reconnaissable"(p. 61).
Or ces deuxregistres
ne sont pas involutifs. Il faut doncprendre quelques précautions supplémentaires,
si l’on veut avoir unsystème logique
déductivementcomplet.
D. Dubarle établit donc unsystème
de lalogique
del’équivalence
sur la base d’axiomes comportant quatre thèses formelles et trois axiomes nontriviaux
(p. 65).
Il faut donc unelogique plus
vaste que lalogique
del’égalité (issue
de lalogique modale)
pour avoir des classespropositionnelles
stables pour certaines relations.Nous avons là un bref résumé du
développement mathématique
de D. Dubarle. Le dernierparagraphe
de ce texte est unensemble
de considérationshiérarchisant
dupoint
de vue de lathéorie des groupes
d’abord, puis
de lalogique,
les différents édifices ainsi construits. Avant que d’aborder cepoint,
il nous semble nécessaire de considérer succintement ledéveloppement
"philosophique"
desquatre premiers paragraphes.
Ainsi nousespérons
maintenir leprojet
initialque nous nous sommes fixé.
2. Le
point
de vuephilosophique
Une
partie
de l’enchaînement des extensionsqui
font passer deB[22)
au dernier cercle del’équivalence
paradjonction
de P’ et de Pl~1- àL2
a sa raison dans des considérationstechniques.
Nous en avons résumé certaines. Mais il nous semble que l’on
peut
relire l’ensemble du processus d’une autre manière. Il faut suivre les annotations diverses au fil du texte, et toutparticulièrement
cellesqui
servent aux dénominations des différentes formespropositionnelles.
Le
premier
élément que nous retiendrons est la conviction que ni l’intuitionnisme ni leslogiques
àplus
de deux valeurs de vérité ne fournissent à l’action de lapensée
lesrègles qui
luiconviennent. Et encore moins
peut-être
ce que l’onappelle
ladialectique philosophique.
En
conséquence
unelogique qui
cherche à traduire un tant soit peu les actes réels de décision etd’intelligence
doit respecter la structure fondamentalement booléenne de lapensée qui conjugue
le vrai et le faux. Il faut maintenir "l’inaliénable d’une raisonqui
s’estconquise
en vertu de
l’opposition
du vrai etdu faux" (p. 23).
Lalogique
doit doncs’appuyer
sur le Vraiet le Faux comme données de base. Mais il est
possible
que par la suite les atomes desalgèbres qui
sedévelopperont
sur cette base ne soient pas ces valeurs de vérité.L’introduction de deux autres valeurs est nécessaire pour établir
B[2 ~ ] .
Elles ont nom i etj, "les
deux autres valeurslogiques
n’ont pas étéenvisagées
ni dénomméesexplicitement
dansle
passé...
valeurslogiques intégrantes...
sur leplan
d’uneontologie
il ycorrespondrait
uncouple
defacteurs intégrants
del’être ... (on
peutdonc)
lesappeler
"idéel" et "réel" "(p.
23).
D. Dubarle établit les
catégories d’opposition
entre ces 4valeurs,
et l’on retrouve des schémasclassiques
enscolastique
aristotélicienne : lescatégories
del’opposition.
On peut lire en effet decette manière
l’opposition analytique
entre v etf,
mais aussil’opposition
desynthèse
effectiveentre
ï et j (le
passage de cequi
n’estqu’idéel
auréel).
Bien entendu tout ceci peut sembler un
jeu d’images, puisque
lajustification mathématique
de ces
quatre
termes est leur fonctionnementmathématique.
Iln’empêche
que nous avons à cetégard
le même sentiment que celuiqui préside
àl’échange
fameux decorrespondance
entreDescartes et Beeckman à propos de loi de la chute des
corpsl.
A Isaak Beeckmanqui
demandeune formulation
mathématique précise
pour cequ’il
pense être la réalitéphysique
de la loi de la chute des corps, Descartesrépond
par uneformule,
mais sedépêche
d’ensuggérer
immédia-tement d’autres
qui
seraient tout aussimathématiquement
calculables. Nous avons là un réflexe de mathématicienqui
aborde l’enchaînement de tous lespossibles,
alors que lephysicien
considère
simplement
les cheminements de cequi
sembles’imposer
de fait. D’une certainemanière,
ce que proposeDominique
Dubarle est unelogique
del’intelligence
sous ses deuxformes,
dedescription
et dedécision,
avec une conviction foncière de réalisme. Il pense toucherquelque
chose de la nature même de laréflexion,
cellequi justement
fitespérer
àHegel pouvoir
passer de lalogique
de l’essence à lalogique
de l’être et à ladialectique qui régit
l’histoire.
1 Cf.
Koyrd :
La loi de la chute dcs corps. in Etudes Galiléennes, 2. et toutc labibliographic
attenantc.Nous avons par ailleurs les
semi-négations
de vvers j (déposition qui
va du vrai vers leréel)
et v vers i(relèvement
du vrai versl’idéel).
Ces deuxopérations "correspondent
dans unecertaine mesure à deux
significations conjuguées
del’opération
que lalogique hégélienne
aessayé
designifier
avec le termed’Aufhebung" (p. 24)
Nous n’entrerons pasplus
loin dansl’interprétation
de ce termetechnique. Signalons
que le commentaire enparallèle
se trouve dans"Logique
etdialectique" (p. 153) 1.
Considérons maintenant les différentes
espèces propositionnelles
deL2.
Nous avonsl’affirmation et la
négation,
ainsi que lessemi-négations
que nous avonsdéjà
considérées.Nous avons aussi des
espèces secondaires,
dont laprésence
dit bien"qu’elle
donne à lapensée
de
signifier et
de traiter certainesfaçons
d’avoir lieuen fait
que lalogique propositionnelle
usuelle n’était pas en mesure de
signifier
ni de traiteradéquatement" (p. 25).
D. Dubarle lesprésente
comme "despréfixes
adverbiaux de tenueconceptuelle
différente de celle dupréfixe
demodalité et laissés
jusqu’à présent
en dehors du traitementlogique.
les momentsconjonctifs
del’affirmation ... et
symétriquement
les momentsdisjonctifs."
D’où laterminologie
que l’auteur propose deformellement
et dethétiquement
."Seul cequi
est à lafois formellement
etthétiquement
vrai peut être vrai defaçon
entière et absolue"(p. 26).
Les deux autressignes
pourront recevoir
l’interprétation complémentaire
de"hypothétiquement"
et de "matériellement"(p. 26).
Dans cettedescription
perce immédiatement le vocabulairehégélien.
Cettelogique
permet de
distinguer
cequi
est le formellement vrai de cequi
est lethétiquement
vrai. "On peut traduire ces deux derniers théorèmes en disant que P estformellement
vrailorsque
P estimpliqué
par sadéposition,
etqu’il
estthétiquement
vrailorsqu’il
estimpliqué
par son relèvement. On peut ainsi entrevoir lespremières
avenues d’unealgèbre
et d’unelogique
associant à
l’algèbre
et à lalogique familières
de ladisjonction
et de laconjonction,
lapossibi-
lité de
décomposer
mentalement ce dont lapensée
traite en "momentsconjugués" assujettis
cha-cun pour soi aux
procédures régulières
de la rationalité et du calculalgébrique qui
meten forme
cette rationalité"
(p. 33).
La deuxième
partie
en introduisant lesystème
A2 fait lajonction
avec la notion de modalité.La raison
profonde
en est la constatation que lapensée
ne se coule pas naturellement dans lesstructures du corps de Galois
(p. 35).
L’introduction del’élargissement
deL2
parl’adjonction
de P’ est mesurée par
l’approche
de la différencesymétrique
entre P et P’ :Pa interprête
lacontingence,
au sensclassique,
c’est-à-dire lapossibilité
d’être et de ne pas être. L’introduction de P’permet
de donner un autrejeu
à lacontraposition
et aux modalités del’opposition,
tout enconservant le rôle fondamental du Faux. Nous avons donc des structures de discours
parallèles qui pourront parler
de la modalité tout comme de lacontingence.
Il faut reconnaître que ce n’est pas sans une certaine fierté que D. Dubarle met en évidence le fait que son
système
A2 contient lesystème
modalS5
de Lewis avec une économie de formesremarquable (passer
de232
formes distinctes à28 simplement !) :
c’est lesystème Mec. (p. 43).
Ce
système
dénote des modalitésqui
sont"le fait intrinsèque,
despropositions considérées,
...alors que les
opérateurs
modaux deS5
dénotent des modalitésqui
sontun fait extrinsèque.
Il ya deux manières pour
l’esprit
de penser la nécessité : en raison du contexte(Lewis)
ou en raisonde la réalité propre
(Ma), indépendamment
de tout contexte extérieur... La chose est alorscomprise
comme par soi etintrinsèquement
nécessaire"(p. 47).
Il est difficile de trouver formuleplus
directementhégélienne.
Certaines véritéspremières approchent
pour le moins cettecondition :
l’appréhension
même de leur contenu les rend d’elles mêmes certaines. Laphilosophie
a l’habitude dedistinguer
ces deux sortes de nécessité enparlant
d’une part de nécessité par soi(Ma),
d’autre part de nécessité parle fait
d’autre chose(la
"necessarium per1 Pour ces livres, voir la suite de cette
présentation, p.15
sq.aliud" de la
scolastique, système S5,
p.47).
Ils’agit
bien d’élaborer non pas lalogique
d’unephénoménologie,
mais lalogique
del’essence. 1
On peut
envisager
une extension de lalogique
des modalités : il estthétiquement
nécessaireque
P,
il est formellementpossible
queP,
etc...L’étude de la relation
d’appartenance
entraîne dans d’autres dédalesplus profonds.
Ilsemble bien que l’étude de A2 amène à considérer une sorte de
changement
d’axe dansl’espace conceptuel,
donnant un rôle d’atome nonplus
à v etf,
mais à iet j.
Ces deux fonctions ne sontplus
dualementsymétriques,
mais fondamentalement distinctes(p. 49).
, 2
Pour
l’élargissement
sous la forme deL+
et de sonconjugué
les axiomes P+ et P* sontinterprétés
comme donnant accès au substantiellement vrai et à l’essentiellement vrai(p. 52).
La différence entre la substance et l’essence n’est pas très facile à manier et il faut là aussi se
replonger
dans les distinctionshégélienne
pour leur donner un sens. Leur rapport à la modalité peut éclairer par le contexte : sera considéré comme nécessairement vrai cequi
est à la foissubstantiellement et essentiellement
vrai,
lepossiblement
vrai sera cequi
est ousubstantiellement ou essentiellement vrai
(p. 56).
Tout ceci nous amène à
multiplier
les distinctionspossibles
entre la relationd’égalité
et lesrelations
d’équivalence. "L’équivalence
doit désormais êtredistinguée
de la relationd’égalité
etpeut être utilement considérée comme une
opération
portant sur deux sortes d’entitéslogiques
etfournissant
un résultat nouveau"(p. 60).
"Il y a circularité desopérations
etrelations,
et ceci peut devenir comme leprincipe
de modes inédits du raisonnementlogique. De fait,
dupoint
devue de l’ histoire de la
pensée,
il semble que la structurelogique
de la thèse ci-dessus se retrouvesous-jacente
ausystème
de ladialectique hégélienne,
où ellejoue
alors un rôleimportant" (p.
61 )2.
"Lesdéfinitions
données ci-dessusreprésentent
alors la machinerielogique
de cechangement
deregistre.
Elle se propose en termes trop peuclassiques
pour être aisémentidentifiable à quelque
chose dedéjà familier
à lapensée." (p. 61)
Nous avons là unepossibilité d’interprétation
de ladialectique
comme processus déterminant unchamp
commun aunécessaire-contingent,
àl’universel-singulier,
et au vrai-faux.3. La conclusion
Nous allons maintenant revenir au cheminement
mathématique
et simultanémentphilosophique
de notre texte en considérant la dernièrepartie.
Notreprésentation
aborde pourconclure le
§V
relatif aux considérationsalgébriques
surl’organisation
de lapensée
rationnelleen
présence
d’une base àquatre
valeurs de vérité(p. 69).
Legrand
nombred’espèces propositionelles possibles qui
nepeut guère
être saisi par lapensée humaine, peut
maintenant être considérélogiquement.
Leslogiques
que nous avons étudiées ont pour baseB[2 ~ ]
e t2 2
utilisent donc aussi les
semi-négations.
Les troislogiques A2, L+
etL*
n’ont pas le mêmecomportement
relativement àl’implication.
D’où l’introduction dans ces deux dernières de la notion de modalité. Ces troislogiques
partent donc des quatre valeurs deB [22]
et donnent unsystème qui
peut se transformer l’un en l’autre. Mais le fait quel’implication
ne fonctionneréellement que dans la
première
entraînequ’il
faut considérer les deux autres comme les1 Curieusement, ce
rapprochement
avec lalogique
de la modalité de Lewis ne sera plus repris semble-t-il par la suite. Aussi bien dans"Logique
etDialectique"
que dans "Logos et Formalisation" cette extension ne seraplus
relevée.
2 Cf.
Wissenschaft
der Logik, II,11chap
III, A etEncyclopédie.
§ 183-187.moments ou les différentes modalités du faux
(F,I,J)
Seul le Faux peut être mis encorrespondance
avec le pur etsimple
non-être. Les autrespositions
doivent aussi se référer à leur rôle de semi-affirmation."Dans un univers mental à quatre valeurs
logiques,
eneffet,
sedésigner
parexemple
le vraicomme la valeur
logique
àpoursuivre,
ou lefaux
comme la valeurlogique
àéviter,
n’estplus
sefixer
entièrement le propos intellectuel ou rationnel comme c’estle faire
dans le cas de l’universmental à deux valeurs
logiques
seulement"(p. 75).
La cohérencen’implique
pas l’accord entrepropos intellectuels. Il faut
forger
unetranscription logique
dessystèmes.
Cestranscriptions
peuvent ou non respecter le caractère
distingué
de telle ou telle valeur. Onparlera
dès lorsd’équimorphisme simplement
formel que l’ondistinguera
deséquimorphismes
concordantépistémologiquement. L’analyse
de lalogique
a pour résultatprincipal
de mieux faire com-prendre
comment dans le cheminement d’unepensée qui
nepeut
travailleruniquement
sur deuxvaleurs de
vérité,
il y auraobligatoirement
dessystèmes
detranscription,
deshomorphismes.
Certains d’entre eux ont un sens du
point
de vue de laconnaissance,
les autres sont purement formel. Certainsanalysent
cequi
est, d’autresanalysent
le décisionnel.La thèse que nous
présentons procède
pour une part del’analyse logique,
mais pour une autre,massivement,
d’une sorte de réalisme"physique"
de la notion de raisonnement et depensée,
dont on peut estimer que l’un des lieuxmajeurs
de conscience dans l’histoire de laphilosophie
futHegel,
maisqui
doit êtrerepris
d’une autre manièreaujourd’hui,
étant donné les outilsd’investigation
que nous avons sur les processuslogiques.
L’analyse critique
de l’oeuvre de D. Dubarle ouvre donc directement sur deuxquestions
1. la
première question
est du réalisme de cetteobjectivité,
de ce réel de lapensée ;
2. la deuxième
question
est de lapertinence
d’unoutillage mathématique
pourl’investigation
et laréponse
à cettequestion.
Il. LA SUITE
Nous
disposons
de deux livresqui
reprennent sous une formephilosophiquement plus
achevée le propos de ce
premier
texte de 1963. Nous avons aussi une dernière conférenceprononcée
à Neufchâtel en 1980qui
montre bien que leprojet mathématique
n’ajamais
cesséd’être
présent
àl’esprit
de D. Dubarle.I1.1 - Le
premier
livre a pour titre"Logique
etdialectique" 1.
Ilreprend
pour une part lesanalyses
de 1963 Nous avons unelogique
duConcept qui
serapproche
de celle de Boole- Schrôder. Mais ilajoute
une considérationprofondément originale : l’analyse
du refushégélien
de considérer un
homologue
du zérooblige
à passer outre si l’on veut établir une véritablealgèbre.
Il fautesquisser
desdéveloppements
dans le sens d’unegéométrie projective.
Il faut en effet considérer aussi bien du
point
de vuemathématique
que dupoint
de vuephilosophique
laquestion
du terme nul et de son absence chezHegel. :
"tandis que le concept demeure pour lalogique classique
tel une unitésimple
etinorganique
del’intelligibilité,
il esttoujours
pour lalogique hégélienne à
tout le moins cette unitécomplexe
etorganisée
de troismoments
qui
luiconfèrent
une structure interne... ces trois moments sont absolument immanents les uns aux autres dans l’unité indéchirable duconcept" (p.132).
1 Logique et
dialectique. Dialectique hégélienne
et formalisation, Larousse, Paris, 1972, p. 1-200 ; en collaboration avec A. Doz, p. 201-237.Hegel
a cherché leconcept
de latotalité, "ayant
sesdifférences conceptuellement
au-dedansde lui-même et non
plus
au-dehors... avec la certitudequ’il
devait exister,puisque
lacompréhension
de latotalité, Concept
parexcellence,
ne peut sedifférencier conceptuellement qu’en
vertu dequelque principe qui
lui soitintérieur" (p. 134).
Le terme faisant fonction determe nul est absent de la doctrine du
Concept
telle queHegel
la formule. En lui-même leConcept
se donne comme totalité et unité.... ". Mais pourqu’une mathématique logiquement exploitable
de l’unité et de ses moments internespuisse
avoirlieu,
il sembleindispensable
que lapensée s’adjoigne
cette terminaisonconceptuelle
videqui désigne
le "néant abstrait"(abstrakte Nichts),
ainsi que le ditHegel, jouant fonctionnellement
le rôle du zéro... C’est cetteadjonction
d’un termenul,
semblable à celle que Parménide accepta en vue de raisonner sur la totalitéunique,
que, contreHegel (il
nefaut pas
s’encacher),
l’on vapostuler
ici pour libérer lapuissance
deformulation mathématique
quel’enseignement hégélien
contient enlui,
maiscomme à l’état
paralysé" (p.135).
Triplicité
ouquadruplicité
des déterminationsconceptuelles
chezHegel ?
"La conclusionfinale
de cettelongue
discussion est que, si l’onveut faire correspondre
audiscours
de laphilosophie hégélienne
unsystème
rationnelcapable de faire
le contrôle de ce discours et de salégitimité interhumaine,
ilfaut
pour commenceradjoindre
unquatrième
terme, lui aussiconceptuel,
à la triade des momentslogiques
duConcept qu’il
a retenue. Cequatrième
termen’est autre que le terme
logiquement vide,
le "Null" abstrait dontHegel veut faire
pour son compte une appartenancecaractéristique
de l’entendement"(p. 146).
On en déduit une
correspondance
entre legraphique
de la page 25(1963)
et celui de la page 155(Logique
etDialectique ) Seules,
pour mieux coller au textehégélien,
les dénominationsont
changées.
"Tel est sommairement
exposé,
lepoint
de contact que l’on avait en vue d’établir entre lesystème
de lapensée spéculative hégélienne
etle formalisme algébrico-logique.
C’est semble-t- il leplus simple
de tous ceux que la doctrine et ladialectique
duConcept
soient à même desuggérer.
On obtient ainsi une extension de lalogique mathématique classique
des termesqui satisfait
bien aux conditionsgénérales
que l’ons’étaitfixées
en discutant leproblème
soulevépar la
logique hégélienne
1)
conserver comme inaliénablel’acquis
de lalogique classique
2) représenter quelque
chose de l’économie interne d’une entitéconceptuelle
et de son actede
compréhension.
Le moyenmathématique
est d’une extrêmesimplicité.
Il n’en a pas moinsobligé
à un travail intellectuelapprofondi,
tant pour le rendrepossible
que pour entrevoir àquoi
il peut servir"
(p.159).
Logique
etdialectique
aborde ensuitel’image
de lagéométrie projective. "ll faut cependant
aller
aujourd’
huiplus
loin que Parménide et direquelque
chose sur les rapportslogiques qu’il
ya entre cet
Un, infinité
de lapositivité conceptuelle fondamentale,
et lecouple
des terminaisonsconceptuelles "étant", "néant",
que la discursivitémanie..(on
peututiliser)..la géométrie projectivefinie PG f l,2J composée
de troispoints (1,0), ( ,1), (0,1 )....Cn
devra direqu’il
y anon seulement deux mais trois modes
mathématiques possibles
de l’unité : le modefini,
lemode
in~ni
et le modeindifférent" (p. 173).
C’estsouligner vigoureusement
combien laconfrontation entre
langage
formel etdialectique
del’Être
situe celuiqui
lespratique
dansl’espace paradoxal
de laprise
deparole
comme acte. Il faut faire la distinction constamment entre lepouvoir d’exprimer
et lepouvoir
dedésigner.
Le livre"Logique
etdialectique"
setermine par une
analyse
de ce que lapratique
dulangage mathématique peut
apporter comme éclaircissement sur la différence entre ces deuxpouvoirs.
Et toutparticulièrement
quant àl’analyse
de ce que l’onappelait l’analogie
et que nous considérons maintenant comme une miseen rapport. La
géométrie projective qui
interdit aux termes colinéaires d’êtreégaux,
fournit unegrille
de lecturesuggestive. Dominique
Dubarle a abordé d’abord lalogique
booléenneclassique, puis
lalogique
ultrabooléenne B[22]
Maintenant iladjoint
des termes transcendantsaux
représentations
des termesgénériques."Ce
que l’étudelogicienne
de ladialectique hégélienne oblige cependant
depercevoir,
c’est l’entrée en scène d’alternatives nouvelles auniveau des
possibilités
del’affectation sémantique : régime
d’intériorité ourégime
d’extériorité del’intelligibilité" (p. 200).
IL2 - Abordons maintenant notre deuxième texte.
"Logos
etformalisation
dulangage" 1.
L’erreur
principale
deHegel
pour D. Dubarle consiste à ranger lemathématique
dansl’analytique
paropposition
audialectique.
Il fautpouvoir
assumer le rôle desmathématiques.
Pour
pouvoir
transcrire certaines affirmations de lapensée conceptuelle,
il fautquelques précautions.
"La restrictionconsiste,
comme cela adéjà été fait
à notreépoque
au moment où ils’est
agi
dereprésenter j:idèlement
lalogique
des termesd’Aristote,
àsupprimer
tout cequi implique
considération etprise
en compte du terme nul. Leprincipe
de cetaménagement
estacquis
au moinsdepuis
les travauxdéjà
cités de Lukasiewicz sur lasyllogistique
d’Aristote. Dupoint
de vuemathématique
celasignifie qu’au
lieu de se donner l’univers des termesgénéraux
sous
la forme
d’un treillisdistributif,
on se le donne sousla forme
restreinte d’un demis-treillis comportant un élément maximal"(p. 265).
Nous avons là une reconsidération de l’introduction de ce terme nulqui
estl’originalité
de"Logique
etDialectique".
"Il n’est du reste pas dit que l’idée deHegel de former,
àpartir
des termes"Etre"
et"Rien",
cequ’il
aappelé
uneproposition spéculative n’ait point quelque
chose d’inédit à apporter au mathématiciens’occupant
delogique
mathématisée"
(p. 266).
Il faut doncesquisser
uneintelligence
différentielle. "On peut se demander si ce queHegel
aappelé
laproposition spéculative
n’est pas,plus
ou moinsconsciemment de sa part, l’essai d’élever au niveau du
Concept,
del’ontologie
et de lalogique
tout
ensemble,
le "calcul desfluxions" édifié
parNewton,
defaçon
àjustifier absolument,
par leConcept
luimême,
sonemploi en mathématique
et,réciproquement,
à permettre à l’ homme del’ontologie
et de lalogique
proprement dite lapratique
del’intelligibilité fluente,
cette"pensée
en durée" queBergson
s’estefforcé
d’instaurer en endemandant,
luiaussi, l’inspiration
etl’enseignement
au calculinfinitésimal (p. 267).
IL3 - Venons-en à notre dernier texte. Il
s’agit
d’une interventionprésentée
lors d’uncolloque
international sur
Linguistique
etMathématiques.
La conférence est intitulée : Le discourshégélien
etquelques-uns
de sespoints
de contact avec lamathématique. (Neufchâtel,
mai1980)2.
"Cette dernière contribution constitue l’une des ultimes
productions
de D. Dubarle. Elleprécise
ledéplacement progressif
de sapensée :
on peut certes chercher un "code decorrespondance algébrique
entreConcept
et structurationmathématique,
codequi pourrait
servirde fil
conducteur àl’effort
decomprendre l’enseignement spéculatif hégélien."
Mais il y a un second lieuqui
est un apport neuf dans notreperspective :
"ladescription
desopérations foncières
et du processus notionel duConcept
intéresse unetopologie
de la continuité. Chose queHegel,
à samanière,
a ressentie vivement sanspouvoir
arriver àquelque
issuesatisfaisante,
et
qu’à
la suite deHegel,
C.S. Peirce apensé
être l’un des aspectscapitaux
de lalogique hégélienne".
1 Logos
et formalisation
dulangage.
Klincksieck, Paris 1977. 301p.2 La
pagination
n’est pas indiquée, car nous nous sommes référé au manuscript directement, n’ayant pas sous la main le texte édité chez Peter Lang, Berne et Francfort/Main,1982. dansl’ouvrage
collectif"Linguistique
et mathématiques : Peut-on construire un discours cohérent enlinguistique
?" compte-rendu ducolloque
deNeufchatel 1980.