R EVUE DE STATISTIQUE APPLIQUÉE
E. D OURILLE
Un exemple d’élaboration de modèles à coefficients techniques
Revue de statistique appliquée, tome 11, n
o1 (1963), p. 87-93
<
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87
UN EXEMPLE D’ÉLABORATION DE MODÈLES
A COEFFICIENTS TECHNIQUES
E. DOURILLE
Directeur
Adjoint du
Centred’Études Régionales
sur
l’Économie de l’Énergie
INTRODUCTION
Les modèles
économétriques
mesurent unegrandeur
en fonction de va-riables
explicatives qui
sont, apriori,
lesprincipaux
facteurs déterminant cettegrandeur ;
la relation estexplicitée
par une formulealgébrique
entreces variables à l’aide de coefficeints et de
paramètres
dont les valeurs sont tirées de l’observation. oCes modèles sont
généralement
destinés à êtreopératoires :
on sedonne ,
a
priori,
les valeurs des variablesexplicatives
en un futur couvert par le modèle et on en déduit ce que sera la variableexpliquée,
cequi permet
deprendre
une décision enconséquence.
L’étude des séries
statistiques, chroniques
ou coupesinstantanées,
per- met de tester les modèles. En choisissant convenablement les coefficients etparamètres respectifs,
il y agénéralement
ungrand
nombre de modèles con-cevables
s’ajustant
aux donnéesstatistiques disponibles
avec uneapproxima-
tion
jugée
suffisante.Comment effectuer un choix
parmi
ces modèles ?Quand
on nedispose
que de sériesstatistiques
donnant les valeurs des variablesexplicatives
etexpliquées
à certaines dates(chronique)
ou dans cer-tains secteurs à une date donnée
(coupe instantanée),
il est commode de s’en tenir à la formulationmathématique
laplus simple parmi
cellesqui
donnentpratiquement
satisfaction.Quand
ondispose
deplus
d’informations déterminant l’avenir de la gran- deur étudiée(par exemple
des réalisationstechniques
futuresqui peuvent
êtreprévues
avec uneprobabilité convenable),
ilpeut
êtrepréférable d’adopter
un modèle tenant
compte
de cesinformations,
auprix
d’une formulation moinssimple
etd’hypothèses complémentaires
limitant lechamp d’application
dece modèle. Il
s’agira
alorsd’élargir
au maximum cechamp d’application
enaméliorant
l’information,
en effectuant uneanalyse plus
fine de cephéno-
mène, en mesurant autant quepossible
les nouveaux facteurs mis enévidence ,
même au
pris
d’une formulationplus complexe
entre cettegrandeur
que l’on veutapprécier
et ses variablesexplicatives.
L’étude des
perspectives
de consommationsd’énergie
dans l’Industrie fournit un vivantexemple
de l’élaboration de tels modèles. Les"modèles
à coefficientstechniques"
sont effectivement utilisés au Centre d’Etudes Ré-gionales
sur l’Economie del’Energie
et il nous a paru intéressant de lesRevue de Statistique Appliquée. 1963 - Vol. XI - N- 1
88
présenter
en suivant le processus de raisonnement itératifqui,
del’hypothèse
à l’observation et vice versa, a
permis
de bâtir ces modèlessuccessifs, qui
trouvent leur utilisation en fonction des informations
disponibles
danschaque
cas
particulier.
HYPOTHESES PREMIERES
- La consommation
d’énergie
C d’un secteur industriel(ou
d’unusage industriel dans ce
secteur)
n’est fonction que de deux variables : laproduction
I de ce secteur, et letemps
t.- L’élasticité a de C par
rapport
à I est constante.- Hors l’effet de la variation de
I,
le taux annuel de variation de C est constant.Ces
hypothèses
conduisent à soumettre à l’observation des modèles destypes
suivants :où a, b et r sont des constantes, et e la base des
logarithmes népériens.
Comme l’a montré G. Morlat
(3),
il estpratiquement préférable
d’effectuer . les calculsd’ajustement
sur les sérieschronologiques disponibles,
au.moyen des accroissements annuels AC et AI par le modèleAC - a A I -
r, formuledérivée de la différentielle des modèles
précédents. :dC C = adI I -
rdt. Ilest bon
cependant
desouligner
que dans ce cas on admetl’hypothèse
com-plémentaire
suivante :- l’évolution du
phénomène
étudié est assez lente pour que les accroissements annuels AC et AIpuissent
être assimilés aux dC et dl del’équation différentielle,
avec un dtégal
à l’unité pour une année.OBSERVATIONS
P.
Ailleret, puis
G. Morlat ont trouvé d’excellentes corrélations enajustant
leurs modèles aux sérieschronologiques
de consommations d’élec- tricité de différents secteurs industriels.Dès
1956,
E. Venturaajusta
son modèle sur la série des consomma-tions totales annuelles
d’énergie
dans l’Industriefrançaise :
pour diverses raisons dont laprincipale
était l’insuffisance des données d’observation tant en nombrequ’en qualité (les statistiques
de base des charbons sont des sta-tistiques
de livraisons et non deconsommations),
la corrélation fut nettement moins bonne. En admettant une distribution normale des valeurs ret a,
don- nées par l’étude de cette sériechronologique,
autour de leurs valeurs moyennes, il a même observé que les valeurs admissibles de r compre- naient 0 dans l’intervalle de confiance à un seulécar-type,
et que par con-séquent
il étaitplus simple
deprendre
le modèle à élasticité constante(1) "Estimation des besoins
énergétiques"
par P. Ailleret. RevueFrançaise
del’Energie
de
Septembre
1955.(2)
"Prévisions de consommationd’énergie
de l’IndustrieFrançaise"
par E. Ventura.Annales des Mines de Février 1957.
(3)
Communication de G. Morlat auCongrès
international à la Statistique (Paris 1961).Revue de Statistique Appliquée. 1963 - Vol. XI - N’ 1
89
0394C Co = (^I Io)a,
bien entendu a étantjudicieusement
choisi en fonction de r = 0.Que
le coefficient de corrélation soit fort oufaible,
onn’échappe
pas à une certaine indétermination descouples
de valeurs a et r à choisir à l’in- térieur de l’intervalle de confiance que l’on s’est donné.Or,
G. Morlat ajustement
fait remarquer que, pour laprévision
àlong
terme, on aboutit à des résultats fort différents selon le
couple
de valeur aet r
adoptés ;
aussi souhaitait-il que l’onpuisse
donner à l’un de ces coef- ficients unesignification technique permettant
de lecalculer,
ou tout au moins del’estimer,
par une toute autre méthode.HYPOTHESES
Gardons un modèle de
type C a nI -
r. t, mais convenons que lesaccroissements concernent tout l’intervalle de
temps (0, n)
de sorte que :Peut-on donner une
signification "technique"
à ces coefficients a et03B2,
c’est-à-dire utiliser des informations sur l’évolution
technique
deséquipe-
ments
énergétiques ?
Si pn
etPo
mesurent les consommations unitaires moyennesgénérales
de tous les
équipements
du secteur industriel étudié au cours des années net
0,
on montre facilement que :ce
qui
veut dire que oc mesure lerapport
des consommations unitaires auxtemps
n et 0 deséquipements énergétiques étudiés,
etque 03B2
est la valeurmoyenne annuelle de la variation de consommation unitaire entre les
temps
net 0. Les coefficients
"techniques"
aet (3
ainsi définisdépendent
non seule-ment du
temps (03C1n
est certainement fonction duprogrès technique
donc dutemps)
mais aussi de laproduction
I(plus
il y aurad’équipements
nouveaux,plus p
doit différer dep 0
Le modèle
simple qui
vient d’être décrit est lepremier "modèle
àcoefficients
techniques" (appelé
modèleA)
du CEREN : il est très utile car ce que l’on observe leplus
facilement ce sont les variationsglobales
de laconsommation unitaire p sur des
périodes passées,
et les techniciens don- nent volontiers des estimations de l’évolution future de ceparamètre
p enfonction
de cette évolutionpassée.
Cefaisant,
ils admettentimplicitement
une
hypothèse
d’évolution de laproduction :
ce seragénéralement
une ex-trapolation
de l’évolution constatée au cours desquelques
années lesplus
ré-centes. ..
Mais une telle
hypothèse implicite
n’est pas admissiblequand précisé-
ment on se donne a
priori
une évolution nettement différente. D’où la néces- sité de rechercher un modèle danslequel
lecouple
des coefficientstechniques
a
et P
estpratiquement indépendant
de I. oRevue de Statistique Appliquée. 1963 - Vol. XI - N’ 1
90 Voici comment il a été
opéré.
On a divisé l’ensemble des
équipements énergétiques,
telqu’il
sepré-
sentera au cours de l’année n de la
prévision,
en trois groupes :- les
équipements "anciens"
en service au cours de l’année 0 et restant en vie en année n de consommation unitaire moyenne03C1’n
en année navec une
production
totaleI’n,
- les
équipements
de"renouvellement" qui
ontremplacé
leséquipe-
ments déclassés des années 0 à n pour assurer la même
production
initiale10 (production I"n
et consommation unitaire moyennePn"
au cours de l’annéen),
- les
équipements "de développement" qui
ont assuré la variationde
production AI,
avec une consommation unitaire moyenne03C1"n’
au cours del’année n.
En admettant que
03C1"n = 03C1"n’ (on
suppose donc que leséquipements
de re-nouvellement ne se
distinguent
pastechniquement
deséquipements
de déve-loppement),
un calculsimple analogue
auprécédent
donne laors à aet j3
lessignifications techniques
suivantes :En
première approximation
ces ceofficientstechniques
nedépendent plus
de la
production
I.A
regarder
deplus près,
uneproduction
industrielle ensurdéveloppe-
ment induira des effets sur la durée de vie des
équipements (donc
surPl, 1)
etsur le
progrès technique
deséquipements
neufs(donc
surp
et03C1"n’)
; noussupposerons par la suite que ces effets induits sont
négligeables compte
te-nu de la
précision
actuelle de nos estimations.Ce modèle à coefficients
techniques (modèle
B duCEREN)
n’est pra-tiquement
pas utilisé car03C1’n, p"n
oup"n’
ne sont pas des données usuelles d’observation d’où la nécessité de recourir à de nouvelleshypothèses
afind’exprimer
les coefficientstechniques
a etP,
définisprécédemment,
à l’airede
paramètres quantifiables.
Appelons :
- p la variation de consommation unitaire annuelle des
équipements neufs,
- w la variation de consommation unitaire annuelle des
équipe-
ments
après
leur mise en service,- D la durée de vie des
équipements.
Les
hypothèses
suivantes :- p, w, D sont des constantes,
- le
remplacement
deséquipements,
ainsi que des installationsen
développement,
se fait par trancheségales
deproductions
annuelles maussi bien avant
qu’après
l’année0, permettent d’exprimer
aet f3
en fonc-tion de ces constantes p, w, D.
En
effet,
en utilisant les notationsprécédentes,
et enappelant
z. la consommation unitaired’énergie
deséquipements
neufs étudiés autemps 0 ,
les consommations unitaires moyennesp (au temps 0)
et03C1’n, 03C1"n
et03C1"n’ (au
temps n) s’expriment
comme suit :Revue de Statistique Appliquée. 1963 - Vol. XI - N’ 1
91 par
application
del’égalité
par
hypothèse
Des calculs
analogues
donnent :En
reportant
ces valeurs depo, 03C1’n, 03C1"n, et 03C1"n’
dans les formulesprécé-
demment trouvées pour ex
et 03B2,
on obtient le modèle à coefficientstechniques
suivant
(modèle
C duCEREN) :
enposant toujours AC (%) =
a. AI(%) - 03B2.
n :OBSERVATIONS
Il existe des données
statistiques prises
dans l’informationtechnique permettant
d’évaluer p, w, D. o Admettre que p, w, D sont des constantes veut dire que l’onajustera
les sérieschronologiques
de consommations uni- taires sur des droites, et que tous leséquipements
ont eu et auront la même durée de vie.Une telle
simplification peut
être suffisante dans certains cas, mais leplus
souvent on constate que p, w et D sont des fonctions dutemps
et leurs valeurs onttrop
varié entre les années(- D)
et(+ n)
pour que l’onpuisse
admettre
l’hypothèse
de leur constance.Il faut donc retourner aux
hypothèses
pour concevoir un modèleplus proche
de la réalité.Cependant,
ce modèle rend degrands
services. Enpremier
lieu il per- met deprévoir 0394C (0394I
étantdonné)
en fonction deparamètres
nouveaux :progrès
de latechnique
deproduction
et d’utilisation del’énergie (p),
évo-lution des
équipements après
leur mise en service(w),
durée de vie de ceséquipements (D) ;
il ouvre une voie nouvelle aux informationstechniques
à re- chercher.En sec.ond lieu il
permet
de calculer p, w, et D sur unepériode
pas-Revue de Statistique Appliquée. 1963 - Vol. XI - N’ 1
92
sée
pendant laquelle
on connaît les variations deproductions
AI et de con-sommations
d’énergie 0394C. Pratiquement,
on évalue p à l’aide de la durée de vie moyenne D observée et d’unehypothèse
sur l’évolution de w en fonction de p.Mais le
champ d’application
de ce modèle aurait ététrop
restreint sinous n’avions pas conçu un modèle nous
libérant,
au moinspartiellement,
de
l’hypothèse
de constance des valeurs de p et w : ce futl’objet
du modèle D du CEREN.Il n’était pas réaliste non
plus
degarder l’hypothèse
de constance dela durée de vie des
équipements :
c’estpourquoi
nous avonsconçu
le modèle E que nous décrivons directement ci-dessous.HYPOTHESES
Supposons,
nonplus
que p, w, D sont des constantes, mais- que p
prend
trois valeursp1, p2, p3 respectivement
pour lespériodes (- D1, 0), [- (D - n), 0], (0, n),
- que w
prend également
trois valeursw1, w2, w3
pour ces mêmespériodes,
- que D
prend
deux valeurs :Dl
avant l’année 0 etD2 après
cetteannée 0, dans ces conditions nous avons calculé que les coefficients
techniques
03B1
et 03B2 s’exprimaient
ainsi en fonction de ces nouveauxparamètres :
OBSERVATIONS
On
peut
observer les valeurs de p, w, D évoluant avec letemps,
et leursajustements
sur dessegments
de droite donnentpratiquement
satisfac-tion dans l’état actuel de nos
connaissances ;
ainsi le CEREN a-t-il pu, pour une dizaine de branchesindustrielles, parfois
par usage et pargrande Région,
établir un tableau des valeurs calculées ou estimées de ces para- mètrespermettant
decalculer,
à l’aide des modèles à coefficeintstechniques
que nous avons
présentés ci-dessus,
des coefficientstechniques
ex et 6qui
rendent dès maintenant
grand
service. eOn
conçoit
aisémentqu’il
faudra encorebeaucoup
depatientes
re-cherches afin de recueillir suffisamment de données
statistiques
issues des recherchestechniques
pour que le CERENpuisse
considérer que sesprévi-
sions à l’aide de ces coefficients
techniques
ont atteint uneprécision suffisante.
C’est dire que nous attendrons maintenant les
prochains progrès
de l’ob-servation. o
Revue de Statistique Appliquée. 1963 - Vol. XI - N’ 1
93 CONCLUSION
Ce modèle
E, qui
est effectivementemployé
pour tous les ensemblesd’équipement
les mieux connus, donne satisfaction dans l’état actuel de nosconnaissances.
Un
grand progrès
seraaccompli
dans le domaine de laprévision
de laconsommation
d’énergie
dans l’Industrielorsque
tous les usages dechaque
branche industrielle
pourront
être traités par un tels modèle.Alors,
pour les secteurs les mieux connus, on pourrareprendre
lesdéfinitions des consommations unitaires moyennes en
supposant
que tous lesparamètres,
m, z, w, sont des fonctions dutemps.
et une formule
analogue
pour03C1"n’.
Des variations de ces
paramètres
en fonction dutemps
sur lespé-
riodes
observées,
on pourra induire deshypothèses
d’évolution sur le futurayant
une meilleurprobabilité
de coïncidence avec la réalité.Ainsi des
hypothèses
encore moinsrestrictives,
et des modèles éla- borés enconséquence, permettront
de mieuxanalyser l’importance
desprin- cipaux
facteursinfluençant
les consommations industriellesd’énergie ;
ilsauront un
champ d’application plus
étendu, leurs résultatsprévisionnels
au-ront une meilleure
précision
apriori,
dans tous les cas, laprévision
auragagné
en rationalité.Comme on le voit, le travail d’itération entre les
hypothèses
et lesobservations n’est pas
prêt
de se terminer dans cedomaine,
comme dans bien d’autres.Revue de Statistique Appliquée. 1963 - Vol. XI - N 1