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La datation du Barlaam français du Mont Athos (à propos d un article récent)

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Submitted on 3 May 2019

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propos d’un article récent)

Vladimir Agrigoroaei

To cite this version:

Vladimir Agrigoroaei. La datation du ’Barlaam’ français du Mont Athos (à propos d’un article récent).

Annales Universitatis Apulensis. Series Historica, Department of History, Archeology and Museology, University of Alba Iulia, 2016, 20 (1), pp.153-164. �halshs-02056155�

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LA DATATION DU BARLAAM FRANÇAIS DU MONT ATHOS (À PROPOS D’UN ARTICLE RÉCENT)

VLADIMIR AGRIGOROAEI* La traduction en ancien français de l’histoire de Barlaam et Josaphat, faite sur les marges d’un manuscrit grec enluminé du monastère d’Iviron, l’un des trésors du Mont Athos, a été longtemps ignorée. Elle représente la seule traduction française médiévale connue faite à partir du grec ancien et date d’après la Quatrième croisade.1 En 1866, Paul Meyer a publié un article consacré à cette œuvre longtemps oubliée.2 Un siècle et demi plus tard, nous avons tenté de reprendre le travail de P. Meyer dans notre thèse de doctorat (2011), en éditant quelques feuillets de plus. Une nouvelle version de cette étude a été publiée dans un article récent.3 Pour nous, la traduction française du Mont Athos a été faite en collaboration par un Français et par un moine athonite, voire ivirite (c’est-à-dire du monastère d’Iviron), après 1204, directement sur les marges du manuscrit grec du XIe siècle. C’était la première démarche française de ce type ; ce n’était pas pour autant le premier cas de traduction marginale à Iviron. Les moines géorgiens traduisaient des textes grecs depuis deux ou trois siècles. Ils traduisaient également du géorgien en grec. Leur programme de translatio avait également des rapports avec les traductions faites du grec en latin par les Bénédictins italiens

* Chargé de recherche, CNRS-Centre d’études supérieures de civilisation médiévale, Poitiers ; e- mail : vladimir.agrigoroaei@gmail.com.

1 Le manuscrit 69 / 463 des anciennes classifications ou 4583 (II, 149) dans Spyridon P. Lambros, Κατάλογος των εν ταις βιβλιοθήκαις του Αγίου Ορους ελληνικών κωδίκων. Catalogue of the Greek manuscripts on Mount Athos, 2 vol. (Cambridge : Cambridge University Press, 1895-1900), ici 2 : 149. Pour les enluminures, voir Sirarpie Der Nersessian, L’Illustration du roman de Barlaam et Joasaph d’après les clichés de la Frick Art Reference Library et de la Mission Gabriel Millet au Mont Athos (Paris : De Boccard, 1937) ; une version couleur des enluminures a été publiée par Στυλιανός M. Πελεκανίδης, Παναγιώτης K. Χρήστου, Χρυσάνθη Μαυροπούλου-Τσιούμη, Σωτήρης N. Καδάς (et Μάκης Σκιαδαρέσης), Eds., Οι Θησαυροί του Αγίου Όρους, Σειρά Α΄

Εικονογραφημένα χειρόγραφα. Παραστάσεις, επίτιτλα, αρχικά γράμματα, Τόμος Β' Μονή Ιβήρων, Μονή Αγίου Παντελεήμονος, Μονή Εσφιγμένου, Μονή Χιλανδαρίου (Athènes : Εκδοτική Αθηνών, 1975), 60-91 (fig. 53-132). Pour les traductions françaises médiévales de ce texte, voir la fiche « Barlaam et Josaphat », s. v. Andrea Valentini, in Claudio Galderisi, Ed., Translations médiévales. Cinq siècles de traductions en français (XIe-XVesiècles), 2 tomes, 3 vol. (Turnhout : Brepols, 2011), ici tome 2 (= Répertoire, avec la collaboration de Vladimir Agrigoroaei), 1 : 328-34.

2 Paul Meyer, “Fragments d’une ancienne traduction française de Barlaam et Joasaph, faite sur le texte grec au commencement du treizième siècle,” Bibliothèque de l’École de Chartes 27, 1 (1866) : 313-334.

3 Vladimir Agrigoroaei, Histoire des traductions en français au XIIe siècle (Poitiers : thèse de l’Université de Poitiers-CÉSCM, 2011), 2 vol., ici 2 : 167-212 ; cf. Idem, “Rara avis : la traduction française médiévale du Barlaam et Ioasaph du Mont Athos,” Medioevo Romanzo 38, 1 (2014) : 106- 151.

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d’un autre couvent athonite, et la traduction française s’inscrivait en un mouvement culturel complexe qui caractérisait le Mont Athos.4

Il existe cependant une autre interprétation, proposée par Emese Egedi- Kovács. Cette autre hypothèse attribue la traduction du Mont Athos à un Franc (parleur d’un francien-koïnè-picard-anglo-normand du XIe siècle), qui maitrisait parfaitement la langue grecque savante et qui vivait à Constantinople, peut-être dans le monastère de Lophadion, à l’époque où le texte grec du même manuscrit avait été transcrit. Cette conjecture est surprenante en ce qu’elle veut intégrer l’histoire des saints Barlaam et Josaphat à une série de textes appartenant à la littérature courtoise en français, bien que cette dernière n’existe pas encore à la fin du XIe siècle et que le manuscrit ivirite contienne en réalité un texte hagiographique. Selon E. Egedi-Kovács, la traduction française a dû rester dans le monastère constantinopolitain jusqu’en 1261. Cette conjecture a été présentée lors du colloque Byzance et l’Occident (2013), à Budapest, où nous avons également exposé notre hypothèse. Nous avions à cette occasion relevé5 quelques erreurs dans la reconstitution faite par E. Egedi-Kovács, que nous lui avions signalées. Néanmoins, ces erreurs n’ont pas été examinées, car la présidente de la session n’a pas souhaité nous accorder le temps nécessaire à la démonstration.

Nous avons donc choisi d’attendre la publication de la communication de Mme Egedi-Kovács afin de répondre par l’écrit.

L’article d’Emese Egedi-Kovács, signalant ses recherches préliminaires et son projet d’édition du manuscrit d’Iviron vient de paraître dans une publication de son université.6 Sachant que cet article constitue une amélioration de la communication présentée au colloque de novembre 2013, notre réponse ne s’intéressera qu’au texte publié. Nous citerons plusieurs passages, tout en signalant entre parenthèses les pages ou les notes dont ils ont été extraits. Nous commençons notre analyse par le point qui paraît le plus important : la langue et la datation sur la base de critères linguistiques de la traduction française du Mont Athos.

Pour E. Egedi-Kovács, « tout bien considéré, le début du XIIIe siècle, que P. Meyer avança pour la datation de la version française du codex d’Iviron, semble plutôt un terminus ante quem. D’ailleurs, du point de vue des faits

4 Vladimir Agrigoroaei, “Traduction et sotériologie. Nouvelles recherches au sujet du Barlaam français du Mont Athos,” in Anna Maria Babbi, Ed., Francofonie medievali. Lingue e letterature gallo-romanze fuori di Francia. Atti del convegno internazionale dell’Università degli studi di Verona. 11-13 settembre 2014 (Vérone : Fiorini, 2017), sous presse.

5 Les deux conférences ont été présentées le 25 novembre 2013 au colloque Byzance et l’Occident,

II, Studia Byzantino-Occidentalia (Budapest, Collège Eötvös József).

6 Emese Egedi-Kovács, “La traduction française de la version grecque dite d’Iviron de Barlaam et Joasaph. À propos de l’édition critique en cours,” in Laszlo Horvath, Ed., Investigatio fontium. Griechische und lateinische Quellen mit Erläuterungen, Beitrage der Tagung, Klassisches Altertum-Byzanz-Humanismus der XI. Ungarischen Konferenz fur Altertumswissenschaft (Budapest : Eötvös József Collegium, 2014), 83-94.

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historiques, rien n’empêche de supposer qu’il ait pu y avoir à Constantinople – dès la fin du XIe siècle – un franc capable de traduire tout un texte écrit en grec » (p. 91). Nous ne connaissons pas les « faits historiques » qui permettent de deviner une telle conclusion. La seule preuve évoquée par E. Egedi-Kovács est « que la première traduction latine du roman grec de Barlaam et Joasaph, exécutée vers 1048, est justement due – selon toute apparence – à un français vivant depuis longtemps à Constantinople » (p. 91).7 Malheureusement, la bibliographie s’accorde pour affirmer que ce Français imaginaire était en réalité un moine bénédictin amalfitain du mont Athos, de son nom Léon.8 De plus, le Barlaam grec n’est pas un roman ; c’est un texte hagiographique.

Pour motiver sa datation de la traduction française, « remontant peut-être au début du XIIe siècle voire à la fin du XIe » (p. 88), aussi bien que pour rejeter la datation de Paul Meyer, E. Egedi-Kovács cite Charles Beaulieux (1927), ce qui lui permet d’affirmer, d’une part, « qu’on connaît peu de choses sur la graphie [française] de cette période » (p. 88) ; d’autre part, que « les éléments caractérisant la graphie des chansons de geste et des autres textes du XIIe siècle qui nous sont parvenus, tels qu’ils ont été rassemblés par Charles Beaulieux dans son ouvrage sur l’histoire de l’orthographe française, semblent bien apparaître dans le texte français du manuscrit d’Iviron alors que ceux propres aux textes écrits à partir du

XIIIe en semblent complètement absents » (p. 88-89).9 Glissons sur la relevance scientifique de l’ancien travail de Ch. Beaulieux.10 Quant aux graphies de la traduction athonite, elles ne relèvent certes pas du moyen français, mais nous ne voyons pas en quoi cette ‘découverte’ permettrait de dater la traduction française

7 E. Egedi- Kovács cite à ce propos Hiram Peri [Pflaum], “La plus ancienne traduction latine du roman grec de Barlaam et Josaphat et son auteur,” Studi mediolatini e volgari 6-7 (1959) : 169-189, ici 178. Hiram Peri Pflaum est également connu pour une interprétation insolite (et erronée) de la filiation arabe-géorgienne-grecque de l’histoire de Barlaam et Josaphat. Dans un livre publié la même année que l’article cité par E. Egedi-Kovács, H. Peri Pflaum propose d’identifier une traduction grecque perdue, faite à partir de la version arabe et datant du VIIe siècle, que saint Jean Damascène aurait corrigée. Cf. Hiram Peri Pflaum, Der Religionsdisput der Barlaam-Legende, ein Motiv abendländischer Dichtung (Untersuchung, ungedruckte Texte, Bibliographie der Legende) (Salamanque : Acta Salmanticensia, filos. y letras (14, 3), 1959), 20-22.

8De crainte de ne pas inventorier toutes les études qui s’accordent sur cette identification, nous citons uniquement la dernière synthèse de José Martínez Gázquez, Ed., Hystoria Barlae et Iosaphat (Bibl. Nacional de Nápoles VIII.B.10) (Madrid-Bellaterra : CSIC-UAB, 1997), XIV(l’introduction de l’édition de cette première traduction latine, la BHL 979b). La seule version des Barlaam latins qui ait un rapport avec la France est la deuxième version latine, du début du XIIe siècle (la BHL 979).

Selon le témoignage des manuscrits, cette traduction serait originaire de France ; Giovanna Dapelo,

“Il romanzo latino di Barlaam e Josaphat (BHL 979): Preparando l’edizione,” Filologia mediolatina 8 (2001) : 179-220.

9 E. Egedi-Kovács cite Charles Beaulieux, Histoire de l’orthographe française, 2 vol.(I : Formation de l’orthographe des origines au milieu du XVIe siècle ; II : Les Accents et autres signes auxiliaires) (Paris : Champion, 1927), ici 1 : 42-86.

10 Cf. le compte rendu de Clovis Brunel dans la Bibliothèque de l’École des Chartes 88 (1927) : 340- 342.

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athonite de la même époque que la Chanson de Roland du manuscrit d’Oxford.

Les ‘preuves’ citées pour justifier cette hypothèse sont les mots « margerite » et

« basilic », présents apparemment dans la traduction française, qui selon E. Egedi-Kovács n’existeraient plus sous cette forme dans les scriptae de la fin du

XIIe siècle. Hormis le fait que les deux prétendus archaïsmes ne permettent de tirer aucune conclusion au sujet de la datation du texte, il est également impossible de vérifier leur présence dans la traduction française, car E. Egedi- Kovács ne mentionne pas les feuillets renfermant les exemples qu’elle est en train de proposer, y compris parce qu’au lieu de citer les feuillets du codex, elle y fait référence en affirmant qu’« il s’agit d’une trois centaines pages ! » (p. 93-94).

La preuve finale qui permettrait selon elle d’affirmer que la traduction française remonte à la fin du XIe siècle est, si possible, encore plus surprenante. Il s’agit du fait que « l’adjectif ‘chrétien’ et ses dérivés sont à chaque fois abrégés par la graphie xp (les lettres grecques chi et rho) surmontée d’un tilde (xpīen pour chrétien ; xpīens pour chrétiens ; xpīente pour chrétienté). Cependant, le nom de Christ apparaît constamment sans abréviation (Iesu Crist) » (p. 90). Cette autre

‘découverte’ permet à E. Egedi-Kovács d’affirmer que, « si ce type d’abréviation (xp) était tout-à-fait habituel dans les manuscrits latins (xps pour Christus), il ne [lui] semble pas qu’il en ait été de même pour les manuscrits en ancien français » (p. 90). Pourtant l’ancien français ne connaît pas de système d’abréviation différent du latin de la même époque. Il est inutile d’inventorier les manuscrits du XIIe siècle qui conservent des textes français attestant cette abréviation. Or, l’hypothèse de Mme Egedi-Kovács contredit non seulement la bibliographie du manuscrit d’Iviron, mais aussi les deux études (F. D’Aiuto et P. Schreiner) qui devraient lui permettre de mettre en doute les acquis de cette même bibliographie, comme nous le verrons par la suite.

« En ce qui concerne la langue dans laquelle est rédigée la version française », E. Egedi-Kovács note qu’il s’agit du « francien – la koïnè littéraire de l’époque – qui en constitue la base, à laquelle quelques phénomènes dialectaux viennent se superposer » (p. 91). Elle observe une série de « phénomènes dialectaux » (sans indiquer leur référence dans le manuscrit) qui témoignent d’une scripta d’origine picarde, mais qui sont pour elle des traits picards et anglo- normands. Elle admet enfin qu’« il semblerait donc que les traits picards et normands l’emportent en nombre, surtout peut-être les traits picards » – ce qui constitue une autre preuve que la traduction française date en réalité du début du

XIIIe siècle – mais elle n’en tire pas les conséquences. En parlant de cette traduction, Mme Egedi-Kovács préfère ajouter « que de nombreux traits marquants qui caractérisent la graphie picarde n’y apparaissent nullement » (p. 92). Il est intéressant d’observer qu’elle cite au passage la grammaire de l’ancien picard de Charles-Théodore Gossen (p. 92, note 40),11 mais au lieu

11 Charles-Théodore Gossen. Petite grammaire de l’ancien picard (Paris : Klincksieck, 1951 (1970)).

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d’essayer de repérer les « phénomènes » en question dans ce dernier ouvrage, elle décide de comparer la traduction française du Barlaam athonite avec le

« manuscrit A (Paris, BNF, fr. 375) du roman de Floire et Blanchefleur » (p. 92).

Pour motiver son choix, E. Egedi-Kovács cite uniquement l’opinion de l’éditeur de Floire et Blanchefleur, Jean-Luc Leclanche (2003).12 Il paraît que dans cette version du roman courtois « la plupart des traits dialectaux et des pratiques graphiques en usage dans les ateliers picards du XIIIe siècle sont présents » (p. 92).

Enfin, puisque Floire et Blanchefleur, quintessence du dialecte picard selon E. Egedi-Kovács, montre plus de traits picards que la traduction athonite (inédite, et dont la scripta demeure largement inconnue), la comparaison « suggère peut- être également une datation haute » pour le Barlaam de l’Athos (p. 93). Elle ajoute

« que les dialectes [du français] ne furent formés qu’au XIIIe siècle » (p. 93), et conclut avec un deuxième argument : « le texte français du manuscrit d’Iviron diffère du point de vue philologique de toutes les versions françaises connues » (p. 93). Nous n’osons pas insister sur les différences « philologiques » entre manuscrits, en particulier parce que le mot « philologique » appartient à un champ sémantique légèrement différent. Nous retenons uniquement que selon la médiéviste hongroise les picardismes du manuscrit A de Floire et Blanchefleur permettraient de faire remonter la datation du manuscrit de l’Athos au XIe siècle, c’est-à-dire à l’époque où remonte en fait le texte grec du même manuscrit.

La simple énumération de ces incohérences suffirait pour montrer l’invraisemblance de la lecture proposée par Mme Egedi-Kovács. Malheureu- sement pour notre lecteur, Mme Egedi-Kovács ne s’intéresse pas uniquement aux faits linguistiques (« graphiques » dans son interprétation), elle se propose également d’éclairer le contexte historique. En ignorant sans l’ignorer tout à fait l’interprétation que nous avons proposée (« toute séduisante qu’elle soit », p. 88, note 16), et sans mentionner notre nom non plus, elle cite des « recherches récentes » qui « ont prouvé » que le manuscrit « fut très probablement rédigé dans le monastère de Lophadion à Constantinople et non dans celui d’Iviron où il est actuellement conservé, et ce à une époque beaucoup plus ancienne qu’on le supposait, à savoir la fin du XIe siècle (v. 1075) » (p. 88). Dans la note de bas de page qui sert de justification pour cette affirmation se trouve un renvoi à un article de Francesco D’Aiuto (1997).13 Suit la citation indirecte d’une opinion de Kurt Weitzmann (1963), qui aurait affirmé que le manuscrit date de l’époque de l’Empire latin.14 Par la suite, sans citer aucune autre étude, E. Egedi-Kovács

12 E. Egedi-Kovács cite Jean-Luc Leclanche, Ed., Robert d’Orbigny, Le conte de Floire et Blanchefleur, publié, traduit, présenté et annoté (Paris : Champion, 2003), IX-XI.

13 Francesco D’Aiuto, “Su alcuni copisti di codici miniati mediobizantini,” Byzantion : Revue internationale des études byzantines 67, 1 (1997) : 5-59. E. Egedi-Kovács cite l’article entier et non pas les p. 25-34 (le manuscrit d’Iviron).

14 Kurt Weitzmann, Aus den Bibliotheken des Athos : Illustrierte Handschriften aus mittel- und spätbyzantinischer Zeit (Hambourg : F. Wittig, 1963), 105-107 (cité par E. Egedi-Kovács ; il s’agit

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suppose un autre détail surprenant : « peut-être du fait de la reconquête inattendue de la ville en 1261, le manuscrit ne parvint jamais dans un pays francophone et resta au monastère de Lophadion après la restauration de l’Empire byzantin et la fuite des Latins (qui n’eurent vraisemblablement pas le temps de l’emporter avec eux) » (p. 88). Cette reconstitution hypothétique du contexte historique est à l’opposé de la nôtre. Nous sommes donc obligé de donner une réponse.

Rappelons d’abord que la bibliographie critique du manuscrit ivirite s’accorde pour le situer au Mont Athos à l’époque de l’Empire latin. Notre interprétation ne contredit pas cet acquis des anciennes recherches (celle de Paul Meyer incluse). Il faut donc examiner la pertinence des « recherches récentes » sur lesquelles s’appuie l’hypothèse de E. Egedi-Kovács. Or, l’étude de F. D’Aiuto, point d’appui de son hypothèse, ne s’intéresse pas au texte français. Les observations du philologue italien portent uniquement sur le texte grec du manuscrit ivirite, qu’il compare d’un point de vue paléographique à deux autres manuscrits de la même époque : le Vatican gr. 394 (Jean Climaque) et le manuscrit du couvent athonite de Dionysiou, 61 (un texte de Grégoire de Nazianze).15 Puisque le manuscrit de la Vaticane a été écrit par un certain copiste Constantin, mentionné dans son colophon, F. D’Aiuto considère que « la presenza di tutti gli elementi che oramai sappiamo caratteristici della mano di Constantino, e la fortissima somiglianza d’insieme con la grafia dei due manoscritti fin qui analizzati, mi spingono a considerare vergato dal nostro calligrafo anche un terzo codice : si tratta dell’Athous Iber. 463 ».16 S’appuyant uniquement sur des rapprochements paléographiques (toujours sujets à caution), F. D’Aiuto ne fait qu’émettre une supposition : le texte grec de notre manuscrit serait transcrit par le copiste Constantin du colophon du manuscrit de Vatican. Il critique les anciennes interprétations, celle de Sirarpie Der Nersessian en particulier, affirmant que le manuscrit d’Iviron devait être produit dans la Capitale byzantine.

Enfin, il explique son choix surprenant dans une note de bas de page : « ...è in effetti probabile che invece, al momento della presa di Constantinopoli da parte dei crociati nell’aprile 1204, il manoscritto si trovasse ancora nella capitale, dove era stato prodotto, e che in questa occasione sia stata agiunta la traduzione marginale antico-francese (cosí già Weitzmann, Aus den Bibliotheken…,

de la page 106). Cependant, E. Egedi-Kovács ne le cite pas directement. Pour des raisons inconnues, elle cite R. Volk, le dernier éditeur du texte grec (2009), qui cite à son tour l’ouvrage de K. Weitzmann (cf. Robert Volk, Ed., Die Schriften des Johannes von Damaskos, VI/1 et 2 : Historia animae utilis de Barlaam et Ioasaph (spuria), 2 vol. (Berlin-New York : Walter de Gruyter, 2009), ici 1 : 271-272).

15D’Aiuto, “Su alcuni copisti,” 25-34 pour les recherches qui portent sur le groupe formé par ces trois manuscrits. Le reste de l’article traite d’autres groupes de manuscrits, attribués à d’autres copistes.

16 Ibid., 30.

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p. 160) ».17 Or, dans son interprétation, c’est la traduction française qui est évoquée comme preuve d’une origine constantinopolitaine. F. D’Aiuto fait par la suite un autre saut interprétatif. En considérant que son rapprochement des trois manuscrits grecs n’est pas une hypothèse de travail, mais un fait indéniable, il insiste sur le colophon du manuscrit de la Vaticane, le seul qui comprend des noms propres. Constantin, le copiste de ce manuscrit, le dédie à un certain

« seigneur Nikon », que F. D’Aiuto identifie instamment avec le patriarche constantinopolitain Nicolas III Grammatikos (1084-1111). Nous ne savons pas si cette autre identification est correcte, car F. D’Aiuto ne cite aucun témoignage à ce propos. Mais c’est à partir de l’identification douteuse du patriarche Nicolas III

Grammatikos, fondateur du monastère de Lophadion, qu’il propose l’identification du copiste Constantin avec un moine de ce couvent constantinopolitain.18 Cela permettrait de conjecturer que les trois manuscrits, celui d’Iviron inclus, seraient produits à Lophadion. Bref, la tentation d’identifier la main d’un scribe existe, mais peut-on préciser que ce copiste a vécu à Lophadion, qu’il n’est jamais allé à l’Athos, qu’il serait le seul auteur d’un type de jambage (dans tous les manuscrits grecs médiévaux) ou que son œuvre est restée à Constantinople pour deux siècles et demi ?

On voit donc que les « recherches récentes » citées par E. Egedi-Kovács ne prouvent rien, que la traduction française y est traitée au passage, dans une note de bas de page, et que sa prétendue provenance constantinopolitaine n’est pas une découverte mais plutôt un argument qui sert à identifier un copiste grec du XIe siècle. Néanmoins, il y a quelque chose d’autre à signaler. Pour mieux appuyer sa conjecture, F. D’Aiuto cite, comme nous l’avons déjà vu, une autre étude, évoquée également par E. Egedi-Kovács : « cosí già Weitzmann, Aus den Bibliotheken…, p. 160 ». Or, K. Weitzmann n’affirme pas la provenance constantinopolitaine. Sa phrase, très ambiguë, se concentre sur le critère temporel : « Eine die Ränder füllende Übersetzung des griechischen Textes ins Französische, die wohl zur Zeit des lateinischen Kaisertums in Konstantinopel im 13. Jahrhundert gemacht wurde, zeigt das lebendige Interesse des damaligen Abendlandes an dieser lebhaften Romanschilderung. »19 Il s’agit donc d’une indication qui peut être interprétée de deux manières différentes : « au temps de l’Empire latin de Constantinople » ou « au temps de l’Empire latin, à Constantinople ». Nous n’insistons pas, car cette phrase n’est pas un verset de la Bible et K. Weitzmann ne prouve rien non plus. Il ne fait qu’exprimer sa conviction sans la démontrer. L’hypothèse de la provenance constantinopolitaine de la traduction française de l’Athos se fonde donc sur une simple note de bas de page qui contient une erreur de citation. L’étude de F. D’Aiuto n’est en outre pas

17 Ibid., 31, note 92.

18 Ibid., 25-29.

19 Weitzmann, Aus den Bibliotheken des Athos, 106.

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la seule à attribuer des manuscrits à un copiste du monastère de Lophadion. Une autre recherche, de la plume d’Anna Marava-Chatzinicolaou, identifiait déjà le même copiste en rapport avec le patriarche Nicolas III Grammatikos. Sauf que le copiste Constantin de A. Marava-Chatzinicolaou aurait transcrit d’autres textes dans d’autres manuscrits. Il s’agissait, d’une part, du même manuscrit Vatican gr.

394, qui contient son nom ; d’autre part, des manuscrits de Paris (BnF), gr. 74 et gr. 533. Sachant que le premier manuscrit (celui de la Vaticane) est le seul qui contient le colophon permettant à F. D’Aiuto et A. Marava-Chatzinicolaou de construire leurs hypothèses, il y a de quoi mettre en doute non seulement la provenance soi-disant constantinopolitaine de la traduction française, mais l’hypothèse de F. D’Aiuto tout court.

S’ajoute ensuite un autre détail. A. Marava-Chatzinicolaou considérait que le monastère de Lophadion pouvait être identifié avec un autre couvent, celui de Petra.20 Quoique nous ne soyons pas intéressé par l’histoire de Lophadion, il faut préciser que ce monastère même pose un grand problème. Il paraît qu’il était situé quelque part dans le voisinage de la Porte de Saint-Romain, mais nous ne savons pas s’il était à l’intérieur ou à l’extérieur des murailles, ni combien de temps il a existé. En réalité, nous ne savons rien à son propos, sauf qu’il a été fondé en 1060.21 Que faisait-il alors, le manuscrit athonite, dans un couvent constantinopolitain qui n’existait peut-être plus dans la première moitié du XIIIe

siècle ? Il est vrai que la présence du manuscrit à Lophadion en 1261 n’a jamais été conjecturée par F. D’Aiuto. Cette hypothèse a été avancée par P. Schreiner, dans un article que E. Egedi-Kovács cite ailleurs, afin de lui présenter ses

« remerciements les plus chaleureux » pour avoir attiré son « attention sur ce document » et pour avoir « fourni une copie des microfilms du manuscrit » (p. 84, note 4). P. Schreiner affirme sa conjecture de manière très claire,22 bien que le

20 Anna Marava-Chatzinicolaou, “Παρατηρήσεις τοῦ Πατριάρχη Νικολάου Γ’ τοῦ Γραμματικοῦ σὲ μικρογραφίες χειρογράφων (πιν. 27-30),” Δελτίον της Χριστιανικης Αρχαιολογικης Εταιρειας 10 (1980-1981 = Στη μνήμη του Ανδρέα Γρηγ. Ξυγγόπουλου (1891-1979)) : 147-160.

21 Les études qui mentionnent ce monastère citent Raymond Janin, Constantinople byzantin : Développement urbain et répertoire topographique (Paris : Institut français d'études byzantines, 1964), 382. Raymond Janin ne donne que les références que nous venons de mentionner et s’appuie à son tour sur Constantinos Sathas, Μεσαιωνικ βιβλιοθήκη (Venise-Paris, 1872-1894), VII : 183 ; et sur Johannes Leunclavius, Iuris graeco-romani tam canonici quam civilis (Francofurti : Impensis heredum Petri Fischeri, 1596), II : 302.

22 Peter Schreiner, “Die Begegnung von Orient und Okzident in der Schrift,” in Erika Juhász, Ed., Byzanz und das Abendland: Begegnungen zwischen Ost und West (Budapest, Eötvös-József- Collegium, 2013), 11-41, ici 24: “Eine Begegnung ganz anderer Art tritt uns in einer wegen der zahlreichen Miniaturen schönsten Handschriften des Barlaam Romans entgegen, heute unter der Nr. 463 im Iviron-Kloster auf dem Athos verwahrt. Die Handschrift entstand Ende 11. Jh. im Lophadion-Kloster in Konstantinopel, und befand sich dort offensichtlich auch noch während der lateinischen Herrschaft, als die Ränder des Textes mit einer französischen Übersetzung eben dieser Version des Barlaam-Romans gefüllt wurden. Sie wurde aber, vielleicht wegen der überraschenden Rückeroberung der Stadt 1261, nie in den französischen Sprachraum gebracht.”

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monastère de Lophadion demeure encore une énigme. Nous nous arrêtons ici, en soulignant que tout ce que nous savons à son propos est qu’il a été fondé en 1060, ce détail constituant un critère de datation utilisé par F. D’Aiuto (et non pas une preuve concernant le manuscrit du Barlaam de l’Athos).

Il est alors le temps de mettre un peu d’ordre dans tout cela. F. D’Aiuto proposait un rapprochement subjectif, fondé sur des preuves incertaines (paléographiques), sur une identification problématique (le Nikon anonyme avec un Nicolas patriarche) et sur la compréhension discutable d’une affirmation faite par un critique allemand, qui ne prouvait rien non plus. Mais ce n’est qu’à partir de l’article de P. Schreiner que la localisation du manuscrit à Constantinople durant l’époque de l’Empire latin a été affirmée (befand sich dortoffensichtlich).23 Pour lui, le manuscrit ivirite était conservé dans le monastère constantinopolitain de Lophadion même pendant la domination latine (auch noch während der lateinischen Herrschaft).24 Il n’avait pas besoin de prouver une telle hypothèse car elle était « évidente » (offensichtlich). C’est à partir de cet adverbe, offensichtlich, que l’article d’E. Egedi-Kovács met en scène sa reconstitution fantaisiste. Elle cite F. D’Aiuto pour affirmer d’abord que « des recherches récentes ont prouvé qu’il [le manuscrit grec] fut très probablement rédigé dans le monastère de Lophadion à Constantinople et non dans celui d’Iviron où il est actuellement conservé » (p. 88). Par la suite, elle affirme que « selon K. Weitzmann, c’est pendant cette période, après la IVe croisade, que ses marges furent chargées d’une traduction française » (p. 88). Elle cite correctement le point de vue de K. Weitzmann, le seul problème est que la citation est précédée par une construction circonstancielle (« à cet endroit ») qui relie K. Weitzmann et F. D’Aiuto, en attribuant au premier la lecture fautive du dernier.25 L’erreur de E. Egedi-Kovács réside donc dans le fait d’occulter la vérité (la note de bas de page de F. D’Aiuto) et de la présenter comme remontant à une étude qui ne l’avait pas formulée ou prouvée (K. Weitzmann). Il faut noter que E. Egedi-Kovács ne cite pas ici P. Schreiner, le seul à avoir exprimé cette même hypothèse, peut-être parce que son opinion, héritière directe de la note de F. D’Aiuto, n’est pas

23 Ibid., 24.

24 Ibid.

25 Egedi-Kovács, “La traduction française,” 88 : « Quant à la question de la provenance et de la datation du manuscrit d’Iviron, des recherches récentes ont prouvé qu’il fut très probablement rédigé dans le monastère de Lophadion à Constantinople et non dans celui d’Iviron où il est actuellement conservé, et ce à une époque beaucoup plus ancienne qu’on le supposait, à savoir la fin du XIe siècle (v. 1075). À cet endroit qu’il aurait été conservé à l’époque de l’Empire latin et, selon K. Weitzmann, c’est pendant cette période, après la IVe croisade, que ses marges furent chargées d’une traduction française. Par la suite, peut-être du fait de la reconquête inattendue de la ville en 1261, le manuscrit ne parvint jamais dans un pays francophone et resta au monastère de Lophadion après la restauration de l’Empire byzantin et la fuite des Latins (qui n’eurent vraisemblablement pas le temps de l’emporter avec eux). Plus tard, sans que l’on puisse savoir à quelle date exactement, il fut porté au monastère d’Iviron ».

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prouvable. D’autre part, l’invention d’un traducteur franc demeurant à Constantinople vers la fin du XIe siècle n’est en aucun cas confortée par les sources critiques de Mme Egedi-Kovács. F. D’Aiuto et P. Schreiner n’affirment jamais l’existence d’un Franc à Constantinople un siècle avant l’installation des croisés de 1204. Ils parlent uniquement de l’Empire latin. Il n’est donc pas question de prouver comment le manuscrit est arrivé à Iviron.26 Toutes les autres recherches s’accordent sur sa provenance athonite. Ce qu’il faut prouver, en revanche, c’est son passage par Constantinople.

Notons en dernier lieu que E. Egedi-Kovács mentionne notre hypothèse comme « une autre théorie, qui – toute séduisante qu’elle soit – semble peu probable ». Cette autre « théorie » affirme que « le codex aurait été préparé dans le monastère d’Iviron à l’époque (au XIIIe siècle) ou celui-ci passa provisoirement sous l’autorité de la papauté » (p. 88, note 16). E. Egedi-Kovács ne mentionne pas nos études, qu’elle connaissait après leur présentation au colloque de Budapest (décembre 2013). Pour des raisons inconnues, elle préfère citer un énoncé de la fin d’un article d’Inmaculada Pérez Martín.27 Cette autre étude (aussi bien que la nôtre) ne traite cependant pas de la « préparation du codex » (i.e. le traitement du parchemin et l’assemblage des cahiers). Le couvent d’Iviron ne passa pas non plus

« provisoirement sous l’autorité de la papauté » ; le Mont Athos se trouvait à l’époque sous la protection directe d’Innocent III. C’était une histoire plus compliquée, que E. Egedi-Kovács ne mentionne pas.

Or le mérite de notre hypothèse n’est pas celui d’avoir découvert l’histoire de la soumission des moines géorgiens ivirites au Pape et au cardinal Benoît de Sainte-Suzanne. Cette histoire est racontée par maintes études, à commencer par les éditeurs des Actes d’Iviron, où nous l’avons trouvée.28 Ce n’est pas par hasard que I. Pérez Martín l’a également mise en relation avec la traduction du Barlaam. Nos recherches se sont surtout concentrées sur la technique de traduction, et sur le rapport entre cette traduction française et d’autres traductions, du grec en latin (faites par les moines amalfitains de l’Athos) ou du grec en géorgien (par les moines du monastère d’Iviron). Lors du colloque de Budapest nous avons présenté une partie de ces résultats, ainsi que l’article qui était sous presse dans la revue

26 Pour E. Egedi-Kovács, ce voyage imaginaire se situe à une époque ultérieure « sans que l’on puisse savoir à quelle date exactement, il [le manuscrit] fut porté au monastère d’Iviron » (Ibid., 88).

27 Inmaculada Pérez Martín, “Apuntes sobre la historia del texto bizantino de la Historia edificante de Barlaam y Josafat,” Erytheia 17 (1996) : 159-177, ici 176-177 : A comienzos del s. XIII, los márgenes del códice recibieron una traducción francesa del texto, probablemente realizada en el propio monasterio de Iveron que, durante la ocupación latina de la primera mitad del s. XIII, estuvo sometido a la autoritad del papa Inocencio III y en el se instalaron clerigos latinos.

28 Jacques Lefort, Nicolas Oikonomidès, Denise Papachryssanthou, Vassiliki Kravari, Hélène Métrévéli, Eds., Actes d’Iviron, vol. III. De 1204 à 1328, édition diplomatique, 1 (Texte) (Paris : CNRS éditions, 1994), ici page 4 (la traduction française du compte rendu du synode d’Ohrid). Pour le texte grec, voir Günter Prinzing, Ed., Demetrii Chomateni Ponemata Diaphora (Berlin-New York : Walter de Gruyter, 2002), 198-201.

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Medioevo romanzo.29 Nous avons également distribué une édition partielle des feuillets que nous avons édités. Le fait d’ignorer notre démonstration et d’inventer une provenance constantinopolitaine du manuscrit témoigne donc d’un choix personnel de E. Egedi-Kovács. Quant à celui de faire remonter la traduction française au XIe siècle, les philologues jugeront de sa cohérence et de sa crédibilité.

Dans notre interprétation, l’analyse de la technique de traduction de la version française du manuscrit d’Iviron permet d’envisager l’existence d’une équipe de traducteurs, plurilingue et latinophone.30 Si E. Egedi-Kovács pense que la traduction devait être faite à Constantinople et que le traducteur devait être un Latin qui n’avait pas besoin de l’aide des orientaux, c’est pour la faire sortir du milieu athonite, incommode, et pour inventer l’existence d’un Français qui maitrisait parfaitement le grec (p. 90) à une époque où cette maîtrise du grec n’est pas encore attestée.31

La traduction du Barlaam du Mont Athos fait en réalité partie d’un mouvement plus large de la translatio studii et de la translatio imperii, selon des règles du Commonwealth byzantin et en rapport direct avec d’autres phénomènes culturels similaires, sinon identiques, issus du monde cosmopolite du Mont Athos.32 Les calques innombrables faits à partir du grec dans la version française constituent une preuve que cette dernière s’inscrit dans une autre tradition et qu’elle n’a pas des rapports directs avec les traductions françaises de son époque. Nous tenons à remercier Emese Egedi-Kovács d’avoir d’ailleurs trouvé un autre détail dont l’interprétation (corrigée) renforce notre hypothèse.

Elle a observé « l’apparition du mot ‘eleins’ qui serait évidemment une forme francisée de λληνικς » (p. 93). Néanmoins, il ne s’agit pas du mot ‘hellène’, d’origine antique, comme le croit E. Egedi-Kovács en citant les dictionnaires étymologiques français. Ce mot a été introduit dans la langue française après la Renaissance (sa forme érasmienne en témoigne). La signification et la forme reuchlinienne du mot calqué par le traducteur médiéval montrent qu’il s’agit d’un avatar médiéval du mot antique, ayant l’acception de ‘païen’.33 Or, si le mot

« Eleins » ne se trouve que dans la traduction du Mont Athos, si les autres traductions latines et vernaculaires se servent – E. Egedi-Kovács l’observe pour le cas de trois autres traductions françaises – du mot ‘païen’, cela veut dire que les

29 Agrigoroaei, “Rara avis : la traduction française médiévale,” passim.

30 Ibid., 132-133.

31 Cf. Pascal Boulhol, La Connaissance de la langue grecque dans la France médiévale. VIe­XVe s.

(Aix-en-Provence : Publications de l’Université de Provence, 2008), pour l’étude du grec en France au Moyen Âge.

32 Agrigoroaei, “Traduction et sotériologie,” passim.

33 Il est dommage que E. Egedi-Kovács ne cite pas l’ouvrage d’A. Kaldellis afin d’expliquer cette différence et son origine (les lettres de saint Paul). Anthony Kaldellis, Hellenism in Byzantium: The Transformations of Greek Identity and the Reception of the Classical Tradition (Cambridge : Cambridge University Press, 2007).

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traducteurs latins étaient les vrais savants. Dans ce cas, le mot « Eleins » du manuscrit ivirite témoigne d’une hésitation dans l’interprétation du mot grec correspondant. Si le traducteur n’a pas utilisé le mot ‘païen’, que l’on trouve dans les traductions latines, c’est parce qu’il ne maitrisait pas la langue grecque ; il a été aidé à traduire le texte grec et tous les choix de la traduction ne lui appartenaient pas.

Enfin, notons une dernière découverte de E. Egedi-Kovács : en étudiant l’effacement d’une miniature du manuscrit d’Iviron (l’accueil de Josaphat par un ermite), elle se demande « si cet accueil n’était pas trop ‘chaleureux’, du moins au goût de celui qui effaça la miniature ». Dans son interprétation, « le texte semble d’ailleurs équivoque sur plusieurs points, et la trame elle-même montre une parenté étroite avec les romans d’amour grecs » (p. 85, note 7). Nous ne pouvons pas affirmer que ce détail « semble confirmer dans une large mesure [ses]

précédentes recherches, en particulier [son] hypothèse selon laquelle il y aurait eu un contact direct entre les littératures grecque / byzantine et française à une époque relativement haute, à savoir dès le XIIe siècle, exactement au moment où le roman français connaissait ses débuts » (p. 84-85). Même en prenant les précautions qui s’imposent, nous n’osons pas imaginer la manière dont l’amour courtois dériverait d’une scène « trop chaleureuse » de l’accueil de Josaphat par un ermite. Ce détail licencieux devra être exploré par les spécialistes du roman courtois.

Nos recherches s’arrêtent aux confins de la littérature religieuse. Nous avons envisagé un projet de plus longue haleine (une dizaine ou une vingtaine d’années), mené à bien par une équipe de chercheurs, internationale et transdisciplinaire. Nous comptons rédiger plusieurs sondages et études thématiques avant de nous attaquer à une édition. Quant à l’étude linguistique, nous espérons la rédiger à la fin de l’édition et non pas pendant les phases préliminaires.

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