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Pour une politique efficace de prévention des risques industriels et technologiques majeurs

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Academic year: 2022

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Pour une politique efficace de prévention des risques industriels et technologiques majeurs

Analyses et contributions de la CGT ---

Le présent texte reprend, pour l’essentiel, l’intervention d’ouverture aux débats de la journée de travail et d’étude organisée le 29 octobre 2001 par la CGT avec le concours des fédérations les plus concernées par les activités et sites à risques, notamment celles qui ont des sites classés SEVESO. Cette introduction a été enrichie à partir des interventions syndicales de cette journée et en s’appuyant également sur les documents reçus à l’issue de la journée. Elle a également intégré certaines réflexions et propositions qui ont émergé suite aux débats lancés par le gouvernement. Telle quelle, elle se veut une contribution destinée à fonder une politique de prévention cohérente et efficace et un point d’appui pour l’activité revendicative CGT.

Après la catastrophe de Toulouse, les salariés et les syndicats dans leur ensemble, singulièrement ceux des entreprises dangereuses ou polluantes, se sont retrouvés confrontés à des débats difficiles, trop souvent en position d’accusés.

Situation d’autant plus mal vécue que les accusations apparaissent profondément injustes à des syndicats (notamment aux syndicats CGT) qui mènent depuis longtemps une lutte active et difficile en faveur de la sécurité dans ces entreprises, sans être entendus de la part des directions d’entreprises, des élus locaux et des pouvoirs publics dans leurs ensemble1. Sur ce refus de prendre en compte les avis syndicaux, les documents et exemples abondent, y compris sous forme d’interpellations publiques. Tout se passe comme si le scandale de l’amiante (par exemple) était déjà oublié. A lire le contenu du projet de loi (tel que connu à mi-janvier 2002), à entendre quelques interventions d’élus politiques, à observer les comportements de dirigeants d’entreprises, on a nettement l’impression que nombre de décideurs politiques et économiques n’ont rien appris de la catastrophe de Toulouse ou du naufrage de l’Erika, tant ils mettent d’acharnement à ignorer les analyses syndicales (en particulier CGT) et les propositions sur des dimensions stratégiques en matière de prévention des risques.

Le simple citoyen est en droit de s’interroger sur la volonté des pouvoirs publics et du patronat à adopter des mesures de prévention véritablement efficaces. A ce degré d’indifférence et d’autisme constants, il n’est pas exagéré de parler d’attitude

1 Il existe une multitude d’exemples d’interventions restées sans suites de la part des pouvoirs publics et des directions, y compris quand la sécurité était compromise (comptes-rendus de réunions, tracts, courriers, interpellations publiques, etc.). C’est pourquoi nous récusons catégoriquement l’argument du « tous

responsables » avancé par M. JL. Guigou, Secrétaire Général de la Datar, dans France-Soir du 27 septembre.

Certaines réponses des directions d’entreprises et des pouvoirs publics (préfets, …) à des courriers syndicaux sont des modèles de textes dilatoires.

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irresponsable voire criminelle de la part de ceux dont une des responsabilités est de prévoir ou d’appliquer des mesures de prévention des risques industriels.

Ceci étant dit, la catastrophe de Toulouse montre aussi que nous avons nous-mêmes besoin d’accentuer très fortement notre action si nous voulons peser réellement sur les choix qui conditionnent la sécurité dans les activités à risques, si nous voulons impulser une intervention syndicale plus dynamique, si nous voulons gagner une appropriation active de ces questions par l’ensemble des salariés, si nous voulons favoriser une intervention des populations à la fois plus exigeante et plus positive qu’aujourd’hui.

A la suite de la catastrophe de Toulouse, le gouvernement a organisé un débat national sur les risques technologiques, débat qui, selon la lettre des ministres concernés aux préfets de régions, ne devait « occulter aucune des questions relatives au risque industriel »2. Nous avons pris acte de l’ambition affichée, sans illusion au vu des expériences passées (cf. sécurité maritime3) mais avec la ferme volonté que cela ne reste pas un discours de circonstances sans grande portée concrète. Il est clair que, au- delà de notre contribution à ces débats, chaque militant de la CGT, dans son champ de responsabilités, selon son expérience et ses compétences, aura à cœur de poursuivre l’action pour faire avancer la cause de la sécurité des salariés et des populations, partout où se trouvent des activités à risques. C’est une autre manière d’être solidaires des victimes et sinistrés de Toulouse. C’est ainsi que nous donnerons un vrai contenu, un contenu offensif, positif et sans ambiguïté au slogan « Plus jamais ça ! »… ni ici, ni ailleurs…

La journée d’étude du 29 octobre 2001, a donc été à la fois travail d’approfondissement sur les questions de sécurité industrielle, acte de solidarité envers les victimes de l’explosion de Toulouse, participation aux débats lancés par le gouvernement –avec aussi comme objectif d’élaborer et/ou d’approfondir des propositions revendicatives qui pourraient être portées par les luttes et traduites rapidement en mesures concrètes-.

Le sujet est vaste, tant par la diversité des activités concernées que par la multitude des thèmes à traiter. L’ambition ne peut donc être de tout traiter dans le détail ou de produire des réponses toutes faites à la place de la nécessaire intervention des salariés et des organisations syndicales sur le terrain. En revanche, à partir de l’expérience syndicale, de ce qui a déjà été fait (les très nombreuses interventions connues constituent déjà un riche potentiel), on peut construire un cadre de référence cohérent pour l’analyse et les propositions CGT. Ce cadre devrait permettre à l’action syndicale de se déployer plus efficacement sur le terrain et en retour d’enrichir les propositions faites.

2 Cf. lettre du 15 octobre 2001.

3 Sur le dossier de la sécurité maritime, les avancées sont réelles mais restent très insuffisantes et les délais d’application excessivement longs en regard des risques qui perdurent. Quant aux moyens budgétaires, les quelques progrès réalisés ne permettent toujours pas de rattraper les retards résultant d’années de restrictions.

Tous ceux qui vantent ou organisent réduction des dépenses publiques et libéralisation du transport maritime, portent une responsabilité majeure dans le maintien d’une situation à hauts risques dans ce secteur.

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SOMMAIRE

I – Considérations sur l’ampleur et les enjeux des risques technologiques ... p. 4 a) une catastrophe pas si singulière ... p. 4 b) une réalité inquiétante ... p. 4 c) une situation qui ne doit rien au hasard ... p. 5 d) urgence à changer la donne ... p. 6 II – Ecarter faux débats et fausses solutions ... p. 8

a) la thèse de l’attentat ... p. 8 b) une drôle de solidarité ... p. 9 c) de curieux « experts » ... p. 10 d) la déshérence des questions de sécurité industrielle ... p. 11 e) localisation des activités : rester sérieux ! ... p. 12 III – Le risque technologique et la prévention ... p. 17

a) considérations de méthode ... p. 17 b) sur les risques industriels et technologiques ... p. 18 - de la réaction chimique aux réactions industrielles ... p. 18 - des réactions à l’usine chimique ... p. 19 - les spécificités du « risque chimique » ... p. 20 - en tirer enseignement pour la prévention ... p. 22 c) risques et principe de précaution ... p. 26 - la notion de risque zéro ... p. 26 - analyse des risques et prévention ... p. 27 - incertitudes et principe de précaution ... p. 28 - incertitude et retour d’expérience ... p. 29 IV – Orientations et propositions pour une politique de prévention ... p. 30

a) priorité à la prévention et aux mesures efficaces ... p. 30 b) intégrer les enjeux sociétaux ... p. 31 c) mobiliser l’ensemble des acteurs ... p. 33

- quatre catégories principales d’acteurs ... p. 33 - considérations sur les différents acteurs ... p. 34 - des axes d’action syndicale ... p. 40 d) propositions revendicatives ... p. 40 - ayant trait à l’emploi au sens large ... p. 41 - concernant les CHSCT ... p. 42 - concernant l’intervention publique ... p. 45 - concernant la démocratie et la transparence ... p. 46 - concernant la responsabilisation des entreprises ... p. 47 - concernant les CRAM et l’INRS ... p. 48 - concernant l’inspection du travail ... p. 48 V – En guise de conclusion ... p. 50 VI – Annexes ... p. 51

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I – CONSIDERATIONS SUR LAMPLEUR DES RISQUES INDUSTRIELS ET TECHNOLOGIQUES AINSI QUE SUR LES ENJEUX CORRESPONDANTS

a/ Une catastrophe pas si singulière…

L’explosion de l’usine AZF – Grande paroisse de Toulouse restera comme une des plus graves catastrophes industrielles de ces dernières années voire comme une des plus graves du siècle en ce qui concerne la France.

Mais on aurait tort d’en faire un événement exceptionnel, singulier à un point tel qu’il ne devrait donc pas se reproduire de sitôt… Il s’agit certes d’une catastrophe exceptionnellement grave par ses conséquences… mais il s’agit aussi d’une catastrophe qui s’inscrit dans une longue litanie d’accidents graves ou de quasi-accidents dont les conséquences auraient pu être catastrophiques à divers titres. Près d’une centaine d’accidents, assez souvent extrêmement graves, ont été recensés avec le nitrate d’ammonium. Ainsi sur 73 événements impliquant du nitrate d’ammonium, recensés dans la base de donnée ARIA et cités dans le rapport Barthélémy, 47 sont intervenus depuis l’année 1990. Sur ce dernier total 33 concernent des sites français, surtout sites de stockage ou usines de fabrication. Le document cité ne fait état d’aucune mesure générale de prévention qui aurait été adoptée suite aux enseignements tirés de ces sinistres. Cela paraît étonnant dans la mesure où leur multiplication aurait dû alerter les acteurs de la prévention et susciter au minimum un renforcement des contrôles des sites de stockage et manutention.

Si rien d’essentiel ne change… le risque d’accidents majeurs va rester à un niveau élevé, dans l’ensemble des activités dites à risques (sites Sévéso, activités classées, stockages et transports de matières dangereuses).

b/ Une réalité inquiétante

L’inventaire des accidents technologiques et industriels effectué par le BARPI (Bureau d’analyse des risques et pollutions industrielles) recense 12 210 accidents de 1992 à 2000 dont 1778 au titre de l’année 20004. Sur ce total de 12 210, les familles de produits en cause sont à 21% les produits pétroliers, à 11% les produits chimiques de base et à 6,5% d’autres produits chimiques ou formulations phytosanitaires (24% des cas sont non classifiés). Si on se limite aux accidents avec conséquences corporelles (donc a priori ceux d’une certaine gravité), les matières chimiques de base arrivent en tête avec 23%, suivies des produits pétroliers (14%) et des autres produits chimiques (7,6%).

Dans 10 688 accidents (88% du total) on connaît le secteur d’activité en cause. Pour les accidents avec conséquences corporelles, les transports de matières dangereuses arrivent en tête (17%) et sont suivis par l’industrie chimique avec 7,2% des cas.

4 Document du MATE (ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement).

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Ces chiffres sont d’autant plus inquiétants qu’ils sont incomplets (système déclaratif peu contrôlé) et qu’ils disent peu de choses sur la gravité réelle des accidents et les risques potentiellement encourus. Ils ignorent tous les incidents qui auraient pu dégénérer en sinistres mais ont été heureusement maîtrisés à temps.

Car les exemples relatés par la presse (cf. cas de la CFR – raffinerie de Normandie cité par l’Humanité), le vécu quotidien des salariés, des données éparses5 montrent que des catastrophes ont parfois été frôlées de justesse… Jean Moulin le disait à l’occasion d’une intervention CGT au CES, le 5 décembre 2000, « il n’est pas sûr que la compétence et la vigilance des salariés pourront toujours éviter des sinistres majeurs comme ce fût le cas au cours des années passées ». Tout observateur, un peu attentif, des pratiques de gestion des entreprises pouvait faire la même réflexion au même moment et encore actuellement. Il n’est même pas certain que les préconisations résultant de l’accident de Feyzin et concernant les stockages de GPL soient correctement appliquées actuellement.

c/ une situation qui ne doit rien au hasard

En soulignant les risques élevés liés à certaines activités ou produits ce n’est pas la

« dangerosité intrinsèque » de ces produits ou activités qui est en cause mais les politiques des directions et des pouvoirs publics qui transforment un risque potentiel en probabilité élevée de sinistre grave6.

C’est que depuis de nombreuses années –malgré les mises en garde, malgré les interventions des salariés et des syndicats, notamment de la CGT- les choix libéraux et le credo de la mise en concurrence, l’insuffisance ou le retrait de l’intervention publique confortent les gestions pour le profit dans les entreprises avec leur cortège de réductions des effectifs et des coûts et de ce fait créent une situation potentiellement très dangereuse dans des activités déjà dites à risques.

C’était le cas pour Toulouse au travers des réductions d’effectifs, du développement de la sous-traitance, des économies de maintenance, outre un contrôle public pour le moins très insuffisant. On avait déjà vu cette situation poussée à l’extrême dans le transport maritime pétrolier avec le naufrage de l’Erika7. On l’avait vu avec les séries d’accidents dans le transport routier avec en point d’orgue récent l’accident du tunnel du Mont Blanc et plus près de nous celui du Saint Gothard en Suisse. Le procès de l’explosion intervenue en 1992 à la Mède vient rappeler ce qu’il en était de l’état des installations de cette raffinerie et, à lire la presse, il semblerait que la situation n’est guère plus satisfaisante aujourd’hui.

5 Ainsi la liste des incidents sur canalisations gaz produite par les camarades CGT de GDF pour la région Ouest fait état de 47 incidents depuis 1984 dont 14 avec fuites de gaz.

6 Voir ci-après les considérations sur les risques.

7 Cf. notamment dossier CGT dans ADE n° 82, avis et rapports du CES, rapport de l’Assemblée Nationale.

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Les syndicats CGT ne cessent d’alerter, de réclamer des mesures efficaces, sans être entendus réellement. Dès que la pression médiatique retombe, dès que salariés et populations relâchent leur mobilisation, les élus et décideurs politiques (locaux, nationaux, européens), les directions d’entreprises s’empressent d’oublier leurs déclarations vertueuses ou indignées et surtout les promesses faites. En revanche ils s’entendent trop souvent à produire des réglementations complexes et inefficaces voire inapplicables. L’expérience de la sécurité maritime comme celle du transport routier de marchandises fourmillent de ces exemples de double langage et de politiques inefficaces ou contradictoires8.

Dès que l’occasion se présente certains en rajoutent même dans le libéralisme imbécile et idéologique. Le rapport de l’Assemblée Nationale vient d’épingler le lobbying de l’UIC destiné à écarter des mesures favorables à la prévention ; lobbying qui vient encore de s’exercer lors de la préparation du projet de loi sur la prévention des risques technologiques, début 2002 (Cf. annexe n° 6).

S’y ajoute parfois, même au niveau le plus élevé des pouvoirs publics, une vision strictement techniciste de la prévention des risques, c’est à dire une vision erronée parce qu’elle continue d’ignorer le facteur humain alors que des spécialistes reconnus en soulignent l’importance9.

d/ Il y a urgence à changer la donne

De même que pour les questions de sécurité maritime, la gravité de la situation dans l’ensemble des activités dites à risques vient du fait que le problème ne tient pas seulement au comportement de quelques brebis galeuses qui violeraient les règles. En réalité il s’agit du problème fondamental d’un système (de gestion des entreprises et d’intervention publique) qui produit de plus en plus d’insécurité parce que fondé sur des exigences de rentabilité abusives et sur une concurrence qui sacrifie délibérément la sécurité, quoiqu’en disent les discours officiels des directions et les chartes éthiques en tous genres (celle de TFE est exemplaire du genre … on voit la pratique !). Il devient vraiment urgent que tous les acteurs concernés par ces problèmes se ressaisissent et assument enfin leurs responsabilités.

Après l’explosion de Toulouse, après l’accident du tunnel du Mont Blanc et celui du Saint Gothard, après le naufrage de l’Erika, et tant d’autres… personne ne peut plus prétendre ignorer la réalité et les causes des risques industriels et technologiques. Il y a des responsabilités à la situation actuelle et cela devra de plus en plus souvent être pointé publiquement à l’avenir.

Pour ce qui concerne nos responsabilités syndicales, elles ne sont pas du même ordre.

Celle qui nous incombe c’est de mener dans la durée, une bataille permanente et

8 Cf. bulletin de l’UIT n° 26 de janvier 2001 sur l’attitude des parlementaires français au Parlement européen à propos des directives sur la sécurité maritime.

9 Cf. par exemple Amalberti « Conduite des systèmes à risques » chez PUF ainsi que P.Peretti-Watel « la société du risque » à la Découverte (notamment les considérations sur savoirs profanes et savoirs experts)

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opiniâtre pour obtenir partout de vraies mesures de sécurité et de prévention. Cette bataille permanente doit notamment empêcher directions et pouvoirs publics de continuer à « botter en touche » comme ils pratiquent trop souvent actuellement. Ce choix et cette orientation syndicales doivent être affichés et portés avec force dans toute la CGT. Cela devrait être d’autant plus facile que cela rejoint l’intérêt des salariés car éviter que ces activités soient stigmatisées en permanence comme activités dangereuses et polluantes est encore le meilleur moyen d’y préserver l’emploi et de faire face aux menaces de délocalisations.

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II COMBATTRE RESOLUMENT LES MANIPULATIONS ET LES AFFIRMATIONS APPROXIMATIVES OU ERRONEES ; ECARTER FAUX DEBATS ET FAUSSES SOLUTIONS

Le débat que le gouvernement a lancé après l’accident de Toulouse aurait dû être l’occasion de mener un vrai débat sur la situation dans les activités à risques. Les débats ont certes été riches, foisonnant de propositions très diverses voire contradictoires mais cela ne fait pas une politique de sécurité industrielle d’autant que les modalités de ces débats n’ont permis que de juxtaposer des points de vue sans les confronter au fond. Le résultat final dépendra donc entièrement de la bonne volonté et de la capacité de M. Ph. Essig à dépasser les contradictions et à intégrer des propositions disparates en un tout cohérent dans le rapport qu’il est chargé de produire pour le gouvernement. Il y a mieux comme pratique de la concertation et de la démocratie.

Reconnaissons, par contre, la qualité et l’intérêt du travail de la Commission d’enquête parlementaire.

Notre but n’est pas d’alimenter ou de susciter la peur et les attitudes irrationnelles. Au contraire nous affirmons qu’il y a des solutions accessibles pour produire, transporter et distribuer sûr dans les activités à risques, au bénéfice des salariés, des populations et de l’environnement10. La condition c’est d’en avoir la volonté, de s’en donner les moyens et de prendre des mesures efficaces. Mais pour qu’il en soit ainsi, les débats doivent porter sur les questions de fond, sur les vrais problèmes même ceux qui fâchent… Raison aussi pour ne pas laisser polluer ces débats indispensables par de faux-débats ou pire par des manipulations de diverses natures.

C’est la raison pour laquelle nous voulons revenir ici sur certains traitements du problème de Toulouse dans les médias car ce sont des questions qui peuvent resurgir et stériliser toute avancée réelle, d’autant que certains ont intérêt à empêcher l’adoption de mesures efficaces de prévention11. Précisons qu’il ne s’agit donc pas de préjuger des résultats d’enquêtes complexes mais bien de démonter des constructions médiatiques sur le sujet. Notons toutefois que le rapport Barthélémy ainsi que les propos du juge d’instruction ou le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée Nationale confirment assez largement ce que la CGT dit depuis des années sur ces questions de sécurité industrielle. Indirectement cela valide l’approche de la présente note.

a/ La thèse de l’attentat : une construction médiatique peu scrupuleuse

L’accident d’AZF Toulouse étant intervenu peu de temps après l’attentat du 11 septembre… il était assez compréhensible que cette hypothèse soit envisagée avec plus

10 Il ne faut jamais oublier que les salariés sont en règle générale les premières victimes en cas de sinistre. A ce titre c’est d’abord en assurant une vraie sécurité en interne qu’on garantit la sécurité vis à vis de l’extérieur des usines.

11 Les intérêts en question peuvent être de nature très diverse : économiques (réduire les coûts consacrés à la maintenance et à la sécurité pour préserver et accroître les profits, réduire les primes d’assurance ou les indemnisations, saisir des opportunités immobilières) mais aussi de nature plus idéologique ou politique

(rassurer des électeurs, écarter des responsabilités, utiliser la peur ou l’ignorance pour promouvoir certains choix contestables voire douteux).

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d’attention qu’en d’autres circonstances, notamment dans les diverses enquêtes diligentées après l’accident.

Malgré la faiblesse et la fragilité des arguments en ce sens, Le Figaro en a fait très vite un des axes privilégiés dans son traitement de la catastrophe de Toulouse12. Pour soutenir cette thèse tout a été bon. En fait, selon divers éléments rendus publics dès début octobre et notamment le 8 octobre, la presse a confirmé une manipulation et précisé son origine mais sans que les journaux qui ont privilégié cette thèse n’en informent clairement leurs lecteurs13. Ce qui fait que certains continuent d’y croire alors que cela devient une hypothèse désormais écartée par l’enquête judiciaire.

Mais il importe de voir que cette manipulation, dont la connotation raciste n’était pas absente, arrangeait aussi bien du monde : des assureurs, pas forcément mécontents que ce soit l’Etat qui doive assumer les coûts du sinistre, la direction de TFE et les chefs d’entreprises à risques pas forcément mécontents d’être dédouanés de lourdes responsabilités sans oublier des élus politiques qui réclament à corps et à cris des fermetures d’usines alors qu’ils peuvent avoir beaucoup à se reprocher du fait de leurs politiques d’urbanisme, de leur absence de vigilance face aux risques industriels et, à tout le moins, en terme d’inaction face à des problèmes connus ou par leurs choix libéraux (et ceux de leurs partis).

b/ La drôle de solidarité de la direction envers les salariés

D’habitude, dans une configuration semblable, les directions s’empressent de mettre l’accident sur le compte d’une erreur humaine ou d’une faute des salariés.

Fort astucieusement, la direction d’AZF Toulouse a pris la défense des salariés en récusant la faute de manipulation. Dans le contexte, défendre les salariés et leur compétence (réelle) c’était favoriser automatiquement une solidarité des salariés autour de la direction et un front uni face aux accusations extérieures voire aux simples questions14. Malgré l’écart existant entre positions syndicales et positions de la direction de l’entreprise, les médias ont assez souvent traité ces positions de façon à laisser croire à une identité de positions15. Dans un tel contexte, les militants et syndicats CGT ont eu beaucoup de difficultés à faire entendre leur différence. Il y aurait beaucoup à dire à ce propos sur le rôle des médias et leur parti-pris.

12 Dès le 25 septembre 2001 ce journal avance l’idée que cela ne peut être que le résultat d’un acte volontaire. Il est le seul à être aussi péremptoire et surtout à mener durablement une campagne médiatique autour de l’acte intentionnel même quand il devient de plus en plus évident qu’il faut envisager la thèse de l’accident comme la plus probable. Mais même dans le cas d’acte de malveillance la gestion de la direction aurait été en cause en raison de l’article L230-2 du code du travail.

13 Voir notamment France Soir des 2 et 5 octobre 2001, Le Monde du 7 octobre 2001.

14 Ces types de comportements sont étudiés par la dynamique des groupes et les directions d’entreprises les connaissent bien car ils sont utilisés dans le management d’entreprise.

15 La CGT a eu l’occasion de préciser dans de nombreux textes que l’entreprise n’est assimilable ni à ses dirigeants ni à ses propriétaires. Les salariés en sont un acteur essentiel mais dont les intérêts et les positions ne sauraient être identifiés à ceux des dirigeants et des propriétaires de l’entreprise. Voir Analyses et documents économiques n° 78 de janvier 1999.

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Ici, la manipulation réside dans l’équation implicite sous-tendant la position de la direction du site, à savoir que accident = erreur ou faute humaine.

Cette relation ne couvre pas tous les cas et elle est fausse dans la plupart d’entre eux mais, pour Toulouse, dire qu’il n’y avait pas erreur ou faute (et l’erreur était inconcevable pour des salariés au professionnalisme reconnu et pour un syndicat très impliqué dans la sécurité) c’était forcément suggérer que l’explosion était due à une malveillance ou à un attentat. Et c’est bien ainsi que cela a été interprété. C’était l’effet recherché16.

En fait la direction a oublié ou voulu passer sous silence le fait qu’un accident est d’abord et essentiellement la conséquence des choix de gestion et d’organisation de l’entreprise (et on peut montrer que même une erreur humaine y trouve son origine première). En procédant ainsi la direction pouvait faire silence sur les questions de fond (emploi, sous-traitance, maintenance, …) et donc sur ses propres responsabilités en ces domaines.

c/ De curieux « experts » …

Mais les deux approches ci-dessus n’auraient pas été crédibles en l’absence de soutiens

« scientifiques ». Bien sûr il y a eu de nombreux avis de scientifiques argumentés, fondés, mesurés sur le sujet. Mais il faut aussi dire qu’on a vu dans la presse, une ribambelle d’« experts », chimistes ou non, produire des discours approximatifs, souvent péremptoires, pour récuser la possibilité d’un accident. On a pu lire ce genre de florilège (en substance) :

- le nitrate d’ammonium est un produit particulièrement stable qui ne peut exploser dans les conditions habituelles de stockage et utilisation ;

- le nitrate d’ammonium est un explosif de « sécurité » ;

- pour faire exploser le nitrate d’ammonium il faut vraiment des conditions et des moyens exceptionnels.

Et certains de citer, à l’appui de leurs affirmations, l’ouvrage de référence sur ces questions, à savoir « Explosifs occasionnels » de L. Médard.

L’ennui c’est que l’explosion a eu lieu et que ces discours sont erronés, à tout le moins très approximatifs et sollicitant les textes cités.

Une consultation un tant soit peu attentive et sérieuse des ouvrages disponibles en français17 fait clairement apparaître que :

16 Que l’action de la direction soit volontaire ou non ne change rien au résultat final de sa démarche.

17 Il s’agit notamment de « Explosifs occasionnels » de L. Médard, Editions Techniques et Documentation, de

« Réactions chimiques dangereuses » document publié par l’INRS, de « Hygiène et sécurité dans la grande industrie chimique minérale » par A. Valland et R. Damel (INRS – 1966). On trouve aussi des données qui doivent inciter à une attitude prudente dans « Chimie Industrielle » de R. Perrin et J.P. Scharff (Dunod) et dans la fiche de données de sécurité de ce produit. On peut aussi consulter certains ouvrages en anglais sur ces mêmes sujets. Par ailleurs un ingénieur – chimiste doit pouvoir tirer des conclusions utiles, au moins de prudence, de sa formation en thermodynamique et cinétique chimiques. Il semble que certains l’aient oublié.

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- le nitrate d’ammonium change de forme cristalline notamment autour de 32 et 50°C.

Ces transformations peuvent conduire à dégagement de chaleur et dilatation donc modification de densité et granulométrie avec risques de prise en masse au stockage ;

- le nitrate d’ammonium peut se décomposer violemment dès 170 – 200°C, selon des processus encore imparfaitement connus ;

- le seuil de sensibilité pour l’amorçage de cette décomposition peut se trouver notablement abaissé si le nitrate est impur et contient certains produits ainsi qu’en fonction de sa densité (une note de Norsk Hydro signale aussi ce fait) ;

- il existe une multitude de réactions chimiques, impliquant peu ou prou les produits existant dans une usine comme AZF, qui peuvent servir pour amorcer la réaction principale de décomposition. Le confinement conduisant à la déflagration peut résulter de la masse entreposée.

C’est d’ailleurs ces risques multiples qui justifiaient le contenu de l’arrêté spécifique existant dès les années 60 pour le stockage de ce produit18.

Il est clair que certains experts chimistes devraient réapprendre à lire un texte professionnel. Ce qui est particulièrement grave c’est que certains parmi ceux-là sont censés produire des orientations et des politiques de sécurité y compris dans des institutions publiques de prévention ou d’étude des risques. Un salarié qui ignore certains risques est excusable parce qu’il n’a pas été formé et informé. Un directeur d’entreprise qui dit « je ne savais pas… » ne l’est pas car il est responsable de l’évaluation des risques et des mesures de prévention dans l’entreprise qu’il dirige. A défaut de connaître personnellement les problèmes il doit s’entourer de compétences.

Un expert ou un ingénieur qui a une responsabilité de sécurité n’a pas le droit de faire une lecture approximative ou une interprétation erronée d’un ouvrage de référence sur un tel sujet19. L’approche exclusivement manageuriale est dangereuse pour la sécurité.

Rétrospectivement on comprend mieux pourquoi certains continuent d’exclure les syndicats de salariés d’organismes qui traitent de la sécurité et de la prévention.

Certains responsables ministériels dénient même aux syndicats le droit d’être consultés sur la réglementation alors qu’ils consultent abondamment le patronat20.

d/ dont les interventions disent aussi la déshérence des questions de sécurité industrielle

Signalons aussi que pour accéder à une documentation de qualité et vérifier l’information produite par les experts, le non-spécialiste aura d’énormes difficultés. Il apparaît un

18 Cf. « Hygiène et sécurité dans la grande industrie chimique minérale », op. cité.

19 C’est le cas de la lecture de l’ouvrage de L. Médard faite par certains. Mais on pourrait aussi mettre en cause les discours approximatifs autour de la notion de risque zéro qui continuent de fleurir.

20 Ainsi le Conseil d’administration de l’INERIS vient d’être renouvelé sans qu’y figure de représentant des confédérations syndicales de salariés. Représentants de l’administration et du patronat restent entre eux sous l’œil de quelques membres d’associations environnementales qui apparaissent plutôt comme alibis. On pourrait faire sensiblement la même remarque concernant le Conseil supérieur des Installations classées.

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redoutable cloisonnement entre par exemple la chimie scolaire telle qu’enseignée (y compris de niveau universitaire ou grande école) et les conditions de la chimie appliquée et pratiquée en situation industrielle. Cet effet est accentué par le creux de recrutement d’ingénieurs dans l’industrie chimique lourde au cours des dernières années.

Ainsi que l’expliquait un militant ingénieur en génie chimique de Toulouse cela pèse négativement sur les transferts d’expérience et conduit à des pertes de compétences en matière de sécurité.

Des questions comme la sécurité des processus industriels chimiques ne sont guère traitées y compris par l’INRS qui ne publie plus d’ouvrages consistants explicitement consacrés à ce sujet. Résultat : sauf à être à la fois suffisamment compétent dans les différents domaines chimiques concernés et à être sensibilisé aux questions de sécurité en situation d’exploitation, un ingénieur-chimiste peut parfaitement ignorer ces problèmes ou n’en avoir qu’une vision superficielle voire totalement fausse. Cela produit parfois de curieuses affirmations sur les mesures aptes à la prévention des risques industriels.

C’est ainsi qu’à un haut niveau nous avons pu nous entendre dire, lors d’une rencontre, que les automatismes constituaient la solution idéale aux problèmes de sécurité, la solution à privilégier compte tenu de leur rapidité de fonctionnement (comparée à l’intervention humaine). Bien des opérateurs d’installations industrielles savent d’expérience et pourraient expliquer en quoi cette vision d’une solution exclusivement technique est une aberration dangereuse. Rappelons que c’est un argument des directions pour supprimer des emplois et on voit où cela mène. Dans son audition à l’Assemblée Nationale Th. Desmarets a même avancé comme argument le souci d’exposer moins de salariés en cas de sinistre (il fallait oser !).

Notons enfin que les travaux de R Amalberti viennent confirmer l’expérience vécue des opérateurs.

e/ Localisation des activités dangereuses : rester sérieux !

Il est compréhensible que les populations victimes du drame de Toulouse ou traumatisées par celui-ci, soient indignées et craignent la proximité des entreprises dangereuses pour les logements, commerces, écoles, etc.

Il est légitime que cette crainte subsiste tant que toutes les réponses à leurs questions et toutes les garanties pour l’avenir n’auront pas été apportées. Et on voit mal ces populations faire confiance aux élus politiques et aux directions sur ce sujet, d’autant plus avec la manière dont les victimes du sinistre ont été traitées ensuite.

Ce qui est tout à fait scandaleux en revanche c’est l’usage politicien qui est fait de ce sentiment, y compris pour couvrir des opérations immobilières. N’oublions pas que parmi les élus qui réclament à cors et à cris le départ ou la fermeture des usines, certains portent de lourdes responsabilités dans l’existence d’un niveau élevé de risques industriels majeurs.

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c’est le cas de tous ceux qui acceptent des implantations industrielles ou des extensions sans aucune réserve ou exigence particulière de sécurité, sans prendre l’avis des syndicats, sans même se soucier des mesures et préconisations qu’ils pourraient et devraient exiger21.

c’est le cas de tous ceux qui par leurs choix d’urbanisme englobent les usines à risques dans la ville sans aucune précaution particulière. Cela concerne de la même façon les constructions autour des aéroports, dans les zones inondables, etc. ou bien certains choix d’axes routiers traversant des zones industrielles à risques22.

c’est le cas quand des élus ont un faible niveau d’exigence en matière d’évaluation des risques, de plan de prévention (interne ou externe),…

c’est le cas de tous ceux qui, soit soutiennent des politiques aggravant les risques (ainsi en matière de libéralisation des transports), soit refusent les moyens nécessaires à une intervention publique efficace en matière de prévention (voir par exemple les longues années de dégradation du budget de la mer ou l’insuffisance notoire des moyens des DRIRE), soit encore abandonnent au privé des interventions qui devraient rester sous maîtrise publique (Des actionnaires privés font forcément passer le profit avant toute autre considération et cela se vérifie d’abondance)23

Pour en revenir au fond de ce débat, il faut être conscient que la situation qui s’est créée au fil des décennies d’urbanisation ou d’implantations d’activités est complexe.

Elle concerne une partie tout à fait considérable de l’outil industriel, de transport et de stockage en France24. Sans doute y a-t-il quelques cas particuliers où la nature des activités et l’existence d’implantations alternatives satisfaisantes pour tous doivent permettre de déplacer ces activités ou de corriger des erreurs d’urbanisation. Dans ce cas il faut le faire, en concertation avec toutes les parties concernées et avec toutes les garanties pour l’emploi des salariés, le devenir de ces activités et les conditions de sécurité ultérieures.

Mais il est clair que le problème général de la cohabitation entre zones urbanisées et activités à risques ne peut être abordé sous l’angle simpliste de la fermeture ou de la délocalisation des activités. C’est une solution impraticable et totalement illusoire au regard du nombre de sites concernés, des enjeux d’emplois (des millions d’emplois directs et indirects en incluant la sous-traitance…), de productions et d’échanges, de recherche… On ne peut rayer d’un trait de plume une histoire industrielle et urbanistique complexe avec des activités qui sont le cœur de l’économie nationale et tout à fait indispensables. Pour traiter les problèmes posés par cette situation, les

21 L’exemple du développement de Toulouse vers la zone industrielle où était située AZF Grande Paroisse est particulièrement éclairant quant à l’irresponsabilité de nombreux décideurs. (Cf. aussi dépôt de gaz d’Aumale en Seine-Maritime).

22 Problème du barreau autoroutier construit contre l’avis des syndicats au travers de la zone industrielle du Havre, zone où se trouvent de nombreux sites classés SEVESO.

23 Cf. positions de certains élus du littoral Manche-Atlantique à l’occasion des naufrages de l’Erika et de l’Ievoli sun et leurs positions (ou celles de leurs groupes) tant à l’Assemblée Nationale qu’au Parlement européen.

24 Il y aurait de l’ordre de 65000 installations classées soumises à autorisation dont 1249 sites SEVESO II.

Parmi ces derniers, la moitié sont situés en zones urbanisées.

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démarches anti-technologiques ou à connotations de peurs obscurantistes sont tout aussi contestables et inopérantes que la suffisance scientiste ou l’autisme méprisant de certains technocrates et dirigeants d’entreprises.

Les industries chimiques, à l’instar de la plupart des activités, ne méritent ni excès de louanges ni excès d’indignité et de critiques. Elles sont et elles servent ce que les hommes décident. Elles peuvent certes servir au pire (y compris dopage ou guerre chimique par exemple). Mais les orientations de gestions et les pratiques contestables voire très douteuses de grands groupes chimiques et pharmaceutiques (choix de production et de recherche, prix de certains médicaments, marketing calés sur la rentabilité et non sur les besoins….) doivent-elles faire oublier l’apport des activités chimiques ou pharmaceutiques au progrès de la santé humaine et à l’éradication de fléaux graves ? A-t-on oublié ce qui se passe dans les pays qui n’ont pas ou plus accès aux médicaments, aux phytosanitaires, aux engrais, etc. ? Doit-on fermer toutes les activités liées à l’automobile parce qu’il y a plus de 8000 morts par an sur les routes de France ? Doit-on arrêter l’activité aéronautique parce que des avions ont servi aux attentats du 11 septembre ? A l’évidence ce n’est pas en termes de délocalisations et de fermetures qu’il faut aborder la question des activités à risques.

En cas de fermeture il faudra alors poser le problème de la relocalisation des activités, au moins de l’essentiel d’entre elles, si on admet que certaines peuvent être contestables (mais jusqu’où peut-on considérer qu’il en est ainsi ? Qui doit le décider ? Et par quoi remplace-t-on les activités considérées comme non souhaitables ?). Qui en France, acceptera les activités déplacées et quid des salariés et de leurs familles ? Va- t-on envoyer ces activités réputées dangereuses ou/et polluantes vers le tiers-monde, sachant que la prévention y sera encore moindre ? Sans oublier le coût de l’opération.

Il est évident que déplacer se traduira dans la majorité des cas par des délocalisations vers des pays à bas coûts de main d’œuvre et peu exigeants sur la sécurité. C’est d’ailleurs ce que des groupes font pour préserver leur profitabilité et les dividendes des actionnaires.

Il est clair aussi que le déplacement des activités, leur éclatement en petits sites isolés va conduire, dans ces conditions, à un déplacement des risques et sans doute à leur aggravation par abaissement des normes applicables et/ou perte d’une culture de sécurité propre aux grands sites industriels (qui tient aussi à la présence syndicale). De plus cela va se traduire par un accroissement des activités de transport et d’entreposage qui en seront d’autant plus dangereuses dans des secteurs où règne déjà une concurrence fondée sur l’abaissement des coûts, des effectifs, etc. donc source de risques aggravés25. Le déplacement –autre que marginal- d’activités à risques n’est pas seulement irréaliste à court-moyen terme ; c’est aussi une solution dangereuse qui déplace et aggrave les risques pour tous. Le problème des sites et activités à risques est d’abord un problème de sécurité et essentiellement cela.

25 L’accident du Saint Gothard est illustratif des problèmes posés par ce type de transport dans le cadre d’une Europe très libérale.

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La seule façon réaliste et sérieuse de traiter ces questions consiste : 1/ pour l’existant :

à faire une évaluation pluraliste, sérieuse, objective et complète de chaque situation et de tous les risques induits (c’est-à-dire appliquer effectivement les orientations de la directive Sévéso II). On pourrait sans doute mobiliser les personnels du ministère des armées spécialistes de ces questions pour renforcer –momentanément et à titre exceptionnel- les moyens des DRIRE et ainsi accélérer ce travail urgent et indispensable ;

à prendre de vraies mesures de sécurisation des activités et de l’environnement des sites, ce qui est tout à fait accessible ;

à ne pas écarter certaines relocalisations ponctuelles si elles sont vraiment nécessaires, sous réserve de prendre en compte les questions d’emplois,… et de s’assurer que la relocalisation améliore effectivement la sécurité pour toutes les parties concernées.

Il est impératif que les salariés soient partie prenante de ces débats là et des décisions qui en résulteraient.

2/ pour l’implantation d’activités nouvelles ou les choix d’urbanisation.

La question se pose de façon différente puisqu’il s’agit d’édicter des règles et procédures qui permettent d’éviter les erreurs passées.

Cela veut dire :

améliorer la transparence et la démocratie de façon à permettre des débats de qualité avant de décider des activités futures et des modes de développement (quoi produire, où et dans quelles conditions…) ;

renforcer les règles publiques, favoriser l’intervention citoyenne, assurer la transparence, améliorer les procédures, responsabiliser les décideurs, etc. de façon que l’urbanisation soit maîtrisée et intègre vraiment toutes les questions de sécurité et de prévention des risques et nuisances dès l’amont des choix. Il faut en particulier se préoccuper des incohérences pouvant résulter du mouvement de décentralisation qui multiplie les intervenants, sans forcément organiser la concertation et les mises en cohérences des décisions (Cf. cas du dépôt gaz d’Aumale).

Cela vaut d’ailleurs pour l’ensemble des risques et pas seulement les risques technologiques et industriels majeurs ;

renforcer les règles relatives à l’implantation d’activités à risques, prévoir la disponibilité de zones d’implantation ad hoc pour certaines activités (politique de réserves foncières), renforcer les obligations de sécurisation y compris vis à vis de

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l’extérieur (évaluation pluraliste et publique des risques, mesures de cloisonnement et de confinement pour éviter l’effet domino, périmètres de sécurité, plans de prévention, plans d’intervention en cas de sinistre, information, …)

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III – CONSIDERATIONS SUR LA PREVENTION DES ACCIDENTS ET SINISTRES MAJEURS LIES AUX RISQUES INDUSTRIELS ET TECHNOLOGIQUES.

a/ Considérations préalables sur le traitement de ce thème

Le champ des activités concernées par la prévention des risques technologiques majeurs dépasse de beaucoup les industries chimiques et les sites classés SEVESO.

Dans beaucoup d’activités, les salariés sont confrontés aux risques technologiques majeurs notamment parce qu’ils utilisent, manipulent ou transportent des matières dangereuses (produits chimiques mais aussi matières radio-actives). Dans certains cas (transports, stockages et expéditions de matières dangereuses) les quantités manipulées, la diversité des substances et les conditions de manipulation ou de transport produisent des niveaux de risques équivalents en gravité à ceux rencontrés dans les usines de production chimique (voir par exemple l’accident du Saint Gothard).

Il est logique de concentrer la réflexion sur risques chimiques et sites Sévéso dans les circonstances actuelles et parce qu’il s’agit d’une part importante des cas de risques majeurs. Mais ce qui est dit ci-après s’applique non seulement aux sites Sévéso mais à l’ensemble des établissements classés et notamment ceux soumis à autorisation. Dans certains cas, la différence entre site Sévéso (donc soumis aux prescriptions de la directive n° 96/82/CE du 9/12/1996) et site simplement classé (donc soumis à autorisation pour les plus dangereux d’entre eux) peut tenir uniquement à la présence de quantités moindres des mêmes produits dangereux26. Le site classé Sévéso n’est pas forcément celui qui présentera le plus de risques ; ce sera même le contraire si la directive est appliquée dans toute son étendue. Pour l’intervention syndicale il conviendra de considérer les différents cas avec la même exigence en matière de prévention des risques.

Certaines activités à risques (nucléaire, explosifs et pyrotechnie, différents modes de transports) obéissent à des réglementations particulières mais pour autant les problèmes rencontrés sont très proches et méritent là aussi une intervention syndicale au moins aussi exigeante que dans le cas des sites classés Sévéso.

Bref, la prévention des risques industriels et technologiques majeurs doit être une préoccupation syndicale partout où ils existent et pas seulement dans les sites Sévéso.

Pour le traitement du problème des risques majeurs il a été choisi de s’appuyer sur le cas des « risques chimiques ».

La raison n’en est pas que conjoncturelle. Le traitement du problème des risques majeurs en s’appuyant sur l’exemple de la grande industrie chimique (pétrochimie et chimie des grands intermédiaires) présente l’avantage de fournir un large tronc commun de réflexions transposables avec un minimum d’adaptations aux autres activités à risques technologiques majeurs (ensemble des industries chimiques, production

26 Cf. décret n° 99-1220 du 28 décembre 1999 et arrêté du 10 mai 2000 concernant les installations classées ou certaines catégories d’entre elles.

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d’électricité nucléaire, transport et conditionnement du gaz naturel, transport de matières dangereuses par route, fer ou voie d’eau par exemple). On rencontre en effet sensiblement les mêmes types de risques de nature physico-chimique dans ces activités et dans les industries chimiques. Ainsi le conditionnement et le transport de gaz par conduite présentent des problèmes communs avec ceux des transferts dans les activités pétrolières et pétrochimiques. Le transport de matières dangereuses par fer, route ou voie d’eau peut s’analyser comme du stockage mobile qui combine risques du stockage fixe de matières dangereuses, risques de mise en contact de produits incompatibles et risques liés au mode de transport lui-même.

Pour l’angle d’approche prévention des risques adopté ici, dans la production d’électricité nucléaire, les risques liés au réacteur peuvent être traités comme ceux résultant des réactions chimiques industrielles mais avec des niveaux d’énergie considérablement supérieurs et la spécificité du danger des radiations (d’où enjeux de leur confinement)27. La partie vapeur-électricité d’une centrale électrique étant pour une part notable similaire dans le principe aux équipements qu’on rencontre dans la plupart des grandes usines pétrolières et chimiques (et vice versa).

Il est donc légitime et pertinent de traiter ainsi la question de la prévention des risques industriels majeurs, sous réserve que le militant de terrain fasse l’effort d’adaptation au réel et aux réglementations particulières. Cette adaptation est d’ailleurs tout aussi nécessaire pour tenir compte de la diversité des industries chimiques elles-mêmes.

b/ Considérations sur les risques industriels et technologiques majeurs à partir de l’exemple du risque chimique.

1/ De la réaction chimique « scolaire » aux réactions industrielles.

Sauf à avoir fait des études scientifiques de niveau supérieur, la vision grand public de la réaction chimique reste très sommaire. Elle se résume à mélanger des réactifs dans un récipient de verre de volume limité pour obtenir un (ou des) produit(s) nouveau(x). A partir du lycée on commence à vraiment savoir que la réaction peut être exothermique (dégagement net de chaleur), endothermique (absorption nette de chaleur) ou athermique. On sait aussi que certaines réactions sont incomplètes et donnent lieu à des états d’équilibre.

Toutes les réactions ne sont pas possibles. C’est la thermodynamique chimique qui permet de prévoir les réactions possibles et leurs conditions éventuelles de réalisation.

On peut aussi prévoir assez largement les réactions qui vont a priori se révéler dangereuses (c’est par exemple le cas de celles qui sont très exothermiques et peuvent donner lieu à phénomène auto-entretenu voire emballement des réactions). Pour obtenir un produit fini commercial il faut souvent passer par une longue suite de réactions intermédiaires jusqu’au produit final. Les réactions industrielles sont rarement des

27 La réaction chimique implique les électrons des atomes tandis que la réaction nucléaire concerne les constituants du noyau de l’atome (proton, neutron).

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réactions complètes et simples : elles sont souvent incomplètes et réversibles (états d’équilibre entre composants) et fournissent une multitude de produits non désirés qu’il faudra séparer du produit fini. Les phénomènes en cause sont complexes et peuvent rester mal connus (ainsi il y a toujours débat sur les réactions détaillées et précises intervenant lors de la décomposition du nitrate d’ammonium).

Pour obtenir les produits désirés avec un bon rendement (physique et économique) il faut fixer les conditions opératoires appropriées (pressions, températures, concentrations) et en général utiliser des catalyseurs (qui abaissent les seuils énergétiques des réactions et favorisent certaines réactions au détriment de celles qui sont indésirables). Dès que les conditions opératoires sont modifiées , les résultats obtenus sont différents (parfois très différents pour des variations minimes des conditions opératoires)28. S’y ajoutent les problèmes liés aux utilités nécessaires (production de vapeur, d’électricité, …).

2/ Des réactions à l’usine chimique

Une unité de production chimique va donc comporter :

un ou plusieurs réacteurs, capacités de formes très diverses et parfois très sophistiquées, dans lesquels seront réalisées, le plus souvent en continu, les réactions. Ces réacteurs peuvent être des fours cabines à gaz comme dans le cas du vapocraquage ou des tubes sous très haute pression comme dans certaines polymérisations.

un ensemble d’équipements utilisant des procédés physiques ou physico-chimiques pour assurer la séparation des produits de réaction, purifier les produits finis et recycler ou éliminer les sous-produits. On trouve ainsi des distillations, des filtrations et séchages, des cristallisations, etc.28.

les matériels permettant d’apporter ou d’enlever de l’énergie (sous forme chaleur ou travail) afin d’assurer et maîtriser les réactions, de stabiliser les produits, de réaliser les séparations et les transferts de produits d’une capacité à l’autre ou vers les stockages. Il s’agit d’une multitude de pompes et compresseurs (avec leurs turbines ou moteurs électriques d’entraînement), d’échangeurs y compris des fours et chaudières. Pour des raisons de sécurité et de continuité de production, beaucoup de ces appareils (pompes notamment) sont en double avec démarrage automatique en cas de panne de l’appareil en service.

les instruments de régulation permettant de maintenir les différentes variables de réglage, ce qui se fait au moyen de centaines de boucles de régulation des pressions, températures, débits, niveaux… Y sont associées les alarmes qui signalent les dysfonctionnements et les sécurités qui peuvent déclencher automatiquement

28 Pour avoir une idée de la diversité des questions posées par les productions chimiques on peut consulter : E.

Koller, « Aide mémoire de génie chimique » et R. Perrin, JP Scharff, « Chimie industrielle » chez Dunod. Ces livres sont de niveau universitaire mais peuvent être consultés en faisant abstraction de l’outil mathématique.

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certaines opérations en cas de risques. Aujourd’hui ces régulations sont le plus souvent pilotées de façon centralisée par ordinateur.

les stockages destinés aux produits finis, aux produits intermédiaires, aux intrants, aux utilités (combustibles, …). La gamme de ces stockages va du stockage liquide de GNL à très basse température au fuel-oil n° 2 qu’il faut réchauffer en passant par toute la gamme des acides, bases, solvants, etc.

En fonction des produits stockés, chaque stockage a des exigences spécifiques précises et il est évident que les mélanges (non volontaires et non prévus) sont tout à fait proscrits, de même que les fuites.

les diverses utilités nécessaires au fonctionnement de l’ensemble à savoir par exemple circuits de fourniture de vapeur, électricité, eau, air comprimé, azote.

Pour des raisons économiques mais aussi de sécurité (limitation du transport de produits dangereux) il est intéressant de regrouper sur un même site ou sur des sites voisins les unités et activités qui entretiennent entre elles des liens étroits. A l’inverse ce regroupement exige des précautions accrues pour maîtriser la diversité et l’ampleur des risques concentrés sur une même zone (notamment éviter l’effet dominos).

Ce qu’il faut retenir de cette énumération sommaire c’est la complexité des grandes usines chimiques, la diversité des installations qui s’y trouvent, la multitude des phénomènes physico-chimiques qu’il faut y maîtriser. Comme nous l’avons dit précédemment on retrouve, au moins pour partie, les mêmes configurations de risques potentiels dans bien d’autres secteurs que les industries chimiques proprement dites.

L’usage de produits chimiques comme auxiliaires de traitement des aciers dans la métallurgie en est un exemple. La chimie « fine » ou l’industrie des composants électroniques présentent aussi des risques importants de même nature.

3/ Les spécificités du « risque chimique » au regard de la prévention des risques majeurs29

Le risque chimique est d’abord celui des produits dangereux par eux-mêmes, mais aussi par combinaison avec d’autres produits (y compris matériaux de stockage inadaptés) ou encore à cause de conditions spécifiques dans leur environnement (présence de flammes à proximité…).

En principe les produits dangereux sont confinés et les réactions maîtrisées au cours de la production, du stockage et des transferts (incluant les différents modes de transport). Il n’est pas sensé y avoir de fuites vers l’extérieur, de réactions non maîtrisées, de mélanges intempestifs…

29 Nous ne traitons pas ici toutes les dimensions des risques chimiques ; sont notamment exclus les risques chroniques pour la santé humaine. Voir à ce sujet les deux articles de J. Moulin sur les Risques chimiques dans la RCE n° 53 de mai 1992 et dans la RCE n° 55 de décembre 1992.

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Les risques de mélanges intempestifs et de fuites sont par contre nombreux dès lors que s’amorce une situation d’incidents, surtout si le ou les incidents ne sont pas maîtrisés à la source et très vite. La formule bien connue « un incendie se maîtrise dans les premières minutes » vaut pour l’ensemble des risques chimiques (la combustion n’étant d’ailleurs qu’une réaction d’oxydation particulière).

Ajoutons que les zones de stockage et de manutention (ports, gares de triage, entrepôts…) peuvent être très propices à la rencontre de produits incompatibles en cas de gestion insuffisamment rigoureuse.

Les produits chimiques peuvent présenter plusieurs types de risques, à des degrés très variables :

Un risque de toxicité pour les humains (et l’ensemble des êtres ou organismes vivants) ou pour l’environnement.

La toxicité peut se manifester de façon aiguë dès lors que certains seuils d’absorption sont dépassés, ce qui est souvent le cas lors d’une fuite massive. Ces seuils peuvent être très bas avec certains produits et leur dépassement conduire à la mort immédiate des personnes intoxiquées, d’où les risques associés aux postes de travail isolés dans ces activités.

La toxicité peut aussi se manifester de façon chronique par absorption répétée de faibles doses (cas typique : le benzolisme).

C’est le premier cas qui nous concerne ici par rapport à la prévention des risques majeurs mais la vigilance sur le risque d’intoxication chronique est en général un bon moyen de prévenir aussi le risque d’intoxication aiguë.

Un risque d’asphyxie lorsqu’ils remplacent l’air dans un espace relativement confiné.

Même des produits très peu réactifs ou très neutres chimiquement présentent ce danger.

Des risques de brûlures (avec la vapeur, …), gelures (ainsi avec les gaz de pétrole liquéfiés) et attaques des tissus vivants (avec les acides, les bases notamment) ainsi que de corrosion des contenants si ceux-ci sont mal adaptés.

Des risques d’incendie quand la réaction de combustion peut s’amorcer entre un produit dit combustible et un produit comburant (l’air en particulier).

Des risques de réactions explosives, c’est à dire incontrôlées et pouvant aller jusqu’à des déflagrations brutales d’une grande puissance destructrice30.

La décomposition explosive du nitrate d’ammonium entre dans cette catégorie de même que les explosions de nuages de poussières (problèmes des silos de céréales…) ou celles des mélanges de gaz avec l’air (dans certaines fourchettes de concentration).

30 Voir sur le sujet « Les mélanges explosifs », et « Réactions chimiques dangereuses », documents INRS.

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Le confinement en permettant des montées de pression considérables peut favoriser le passage au régime de déflagration et en accroître la puissance destructrice.

Les activités chimiques (production, stockage, transport) présentent en même temps toute la gamme des risques non chimiques. On y est confronté aux risques électriques, aux risques liés aux températures et pressions (soit élevées, soit basses), aux risques de circulation de véhicules dans les sites, aux risques de chutes, aux risques machines, à la présence de sources radioactives (utilisées dans les mesures de niveau, …), etc.

L’importance relative de chaque risque dépend évidemment de l’activité considérée. Il est clair que dans le pétrole ou la pétrochimie le risque incendie et explosion prend une place privilégiée. Dans le transport de matières dangereuses c’est le risque accident de circulation qui mobilise le plus l’attention tandis que dans le nucléaire c’est le risque lié aux radiations. Pour apprécier la gravité d’un risque c’est la gravité potentielle des conséquences de l’accident qui doit être la référence et non pas le taux d’occurrence probable car un risque à probabilité d’occurrence faible peut être de grande ampleur par ses conséquences (ainsi le risque explosion pour le nitrate d’ammonium).

Une particularité importante du problème des risques dans les industries chimiques, dans le nucléaire, dans le transport de matières dangereuses, tient au fait qu’un incident banal (chute ou malaise d’un opérateur, collision ordinaire entre véhicules, rupture ou fuite sur vanne ou joint) peut rapidement induire une situation de risque majeur. Ainsi une banale défaillance sur un joint mal monté peut donner une fuite de produit combustible qui dégénérera en incendie voire en explosion s’il y a présence d’une flamme ou d’un point chaud à proximité. Une collision lors d’un transport peut déclencher une fuite avec pollution grave de l’environnement. Un étiquetage ou une information défaillants dans un entreposage portuaire peuvent amener en contact des produits incompatibles.

Ce qui fait que ces activités sont à risques majeurs ce n’est pas seulement les produits par eux-mêmes, ni même les quantités (encore que cela compte évidemment beaucoup en cas d’accident) mais le fait qu’un incident banal et courant puisse déboucher sur des problèmes en série ou sur un accident majeur impliquant les produits dangereux. Sur ce point le problème est strictement identique pour le nucléaire, les industries chimiques et toutes celles qui utilisent de façon significative des produits chimiques dangereux, ainsi que pour le transport de matières dangereuses. La formule du Commandant Claden, citée dans l’annexe n° 2 doit être présente à l’esprit de chacun.

4/ Une spécificité dont il faut tirer enseignement

A partir de ce que nous venons de voir on peut déjà tirer deux conclusions pour ce qui concerne la prévention des risques technologiques.

Il faut une tolérance zéro vis à vis de toute défaillance, même minime et de quelque nature qu’elle soit.

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Pour que ces activités soient sûres cela exige :

des unités parfaitement conçues avec des matériels et matériaux adaptés pour lesquels la sécurité est intégrée dès l’origine et sans cesse améliorée en fonction des avancées technologiques et de l’expérience acquise (d’où l’importance du retour d’expérience au bénéfice de tous) ;

une maintenance exigeante et permanente de façon à conserver les installations dans un état optimal de sécurité. Et évidemment, les interventions pour entretien doivent respecter des règles strictes (procédures, qualité du travail, contrôles, …) eu égard aux produits, aux procédés et aux conditions rencontrées ;

une maîtrise parfaite du fonctionnement des installations par les opérateurs pendant toutes les phases et conditions de fonctionnement (démarrage, arrêt, marche normale, situations d’incidents). D’où l’importance d’effectifs d’exploitation suffisants, bien formés, vigilants. Ils doivent être totalement disponibles pour assurer en priorité la conduite des installations en toutes circonstances notamment en cas d’incidents pour empêcher ceux-ci de prendre de l’ampleur. D’où les risques associés au développement de la polyvalence opérateurs - ouvriers de maintenance – pompiers ;

la préoccupation permanente d’éviter tout incident, même banal, qui pourrait enclencher un processus conduisant à un accident plus grave ; d’où les régulations, les alarmes, les sécurités, les exigences de maintenance (capacité, rapidité et qualité d’intervention). De ce point de vue la réduction des équipes organiques de maintenance pose problème et d’autant plus quand le remplacement se fait par de la sous-traitance en cascade ou qui utilise des salariés précarisés. Même remarque que ci-avant sur les polyvalences qui sont à proscrire ;

la capacité à maîtriser très vite tout début d’incident ou d’accident avant qu’il ne s’aggrave, devienne incontrôlé et dégénère.

Cela dépend de la capacité des opérateurs à maîtriser le fonctionnement des installations en situation perturbée.

Cela dépend de la capacité des équipes de maintenance à intervenir vite et efficacement pour réparer (entretien mécanique et électrique, instrumentistes, …).

Cela dépend enfin de l’existence de services sécurité (pompiers) spécialement formés aux risques spécifiques de chaque site.

Quand on mélange les fonctions (pompiers-opérateurs par exemple) ou quand l’organisation des équipes conduit à allonger les délais d’intervention (cas du transport de gaz par conduites actuellement) on s’expose à ne pas pouvoir intervenir à temps et on prend le risque qu’un incident banal se transforme en sinistre majeur.

L’emploi doit être une préoccupation centrale dans ces activités.

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Il est clair qu’on peut et qu’on doit améliorer la sécurité par l’introduction d’automatismes qui assurent notamment la mise en sécurité des installations en cas de défaillances. Il est vrai que la gestion par ordinateur offre de ce point de vue des possibilités considérables encore qu’elle puisse aussi aggraver les risques si elle est mal conçue et surtout si elle ignore le rôle des hommes et la réalité du fonctionnement des processus industriels. Ainsi, l’insuffisance du nombre de postes de conduite et d’écrans de visualisation peut détériorer la capacité d’intervention des tableautistes en situation perturbée, en limitant leur possibilité d’appréhender globalement l’installation dont ils assurent la conduite.

En revanche, l’idée développée par certains (dont des directions d’entreprises obsédées par la réduction des coûts salariaux) comme quoi les problèmes de sécurité se règlent par des solutions exclusivement technologiques est une erreur grossière et une attitude totalement irresponsable.

Dans ces activités, le rôle des hommes est et reste essentiel pour de multiples raisons :

- la complexité et la multiplicité des phénomènes physico-chimiques, la variabilité des comportements concrets des appareillages sont impossibles à intégrer totalement dans les automatismes et les programmes d’ordinateurs. Ainsi chaque tour de distillation est spécifique même si son équilibre de fonctionnement est régi par quelques principes simples de bilan matière et bilan thermique.

- il reste beaucoup de réactions chimiques et de phénomènes assez mal connus.

L’explosion de Toulouse illustre cette réalité. L’auteur de cette note pourrait citer telle réaction de polymérisation de l’éthylène pratiquée pendant de nombreuses années de façon empirique, sans connaissance du mécanisme réel de la réaction et fournissant pourtant un produit fini de qualité ;

- la multiplication des mécanismes de sécurité et leur sophistication ajoutent aussi de nouveaux risques sous forme de pannes sur ces mécanismes eux-mêmes (qualité des composants électroniques, …). C’est d’ailleurs pourquoi on doit rechercher et privilégier des sécurités intrinsèques chaque fois que possible ; - selon les cas d’incidents, les mises en sécurité peuvent exiger des mesures

variées (par exemple problème des positions de sécurité des vannes qui ne sont pas identiques en toutes circonstances) ;

- enfin il ne faut jamais oublier qu’entre le prescrit et le réel opératoire il est des cas où il peut y avoir des écarts qui intègrent précisément l’expérience des opérateurs, ces savoirs et savoir-faire collectifs non formalisés qui permettent que ça marche31. Ce sont des réalités que les spécialistes en sécurité des modes

31 Ne pas confondre de tels écarts prescrit-réel opératoire avec des infractions a u code de la route (du genre griller un feu rouge).

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