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Les malpositions dentaires liées aux maladies parodontales. Écouter pour mieux «entendre»

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Academic year: 2022

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RÉSUMÉ

Dans le cadre des maladies parodon- tales, il est intéressant de porter un autre regard sur les malpositions primaires et les malpositions secondaires. Le déve- loppement chez l’enfant et l’adolescent ainsi que les traces qu’il en reste chez l’adulte offrent une lecture des positions dentaires et des symptômes. L’approche somato-psychique aide à comprendre la mise en œuvre neuromusculaire et com- portementale de la sphère bucco-den- taire. L’approche psycho-somatique- prend en compte le « dénouage » qui peut se produire lors des troubles occa- sionnés par les maladies parodontales avec perte des tissus de soutien des dents. L’accueil et l’examen du patient doivent être guidés par le discernement afin de trouver derrière les symptômes – ces signaux émis par le corps- ce qui cli- Christine Romagna

DCD/Docteur des Universités en Parodontologie

Ex PH parodontologie exclusive CH Tonnerre

Ex MCU-PH parodontologie UCB Lyon- HCL et CHU Dijon Pratique privée

DU Psychosomatique Médecine Montpellier

Les malpositions dentaires liées aux maladies parodontales.

Écouter pour mieux « entendre »

Dental malpositions related to periodontal disease.

Listening to “hear” better

Adresse pour correspondance : christine.romagna@orange.fr Article reçu : 00-00-2020 Accepté pour publication : 00-00-2020

gnote pour signifier quelque chose. Une écoute attentive des dires du patient, mais aussi des non-dits, est essentielle afin de le percevoir dans sa dimension holistique allant du biologique à l’ontolo- gique, en passant par la psychologie du sujet et ses comportements.

ABSTRACT

In the context of periodontal disease, it is interesting to take a different look at primary and secondary malpositioning.

Development in children and adoles- cents as well as the traces left behind in adults provide a reading of dental positions and symptoms. The soma- to-psychic approach helps to unders- tand the neuromuscular and behaviou- ral implementation of the oral sphere.

The psycho-somatic approach takes into

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account the « denouage » that can occur during disorders caused by periodontal diseases with loss of the tissues sup- porting the teeth. The reception and exa- mination of the patient must be guided by discernment in order to find behind the symptoms - those signals emitted by the body - what is blinking to mean something. Careful listening to what the patient says, but also to what is not said, is essential in order to perceive it in its holistic dimension, from the biological to the ontological, through the psycho- logy of the subject and his behaviours.

MOTS CLÉS 

Malpositions dentaires secondaires, maladies parodontales, traitement plu- ridisciplinaire ortho-paro, surcharges occlusales, psychosomatique, oralité

KEY WORDS

Secondary dental malpositions, periodontal diseases, multidisciplinary ortho-paro treatment, occlusal over- loads, psychosomatic, orality.

VERBATIM DES MOTIFS DE CONSULTATION DES PATIENTS

« J’ai une dent de devant qui bouge »,

« J’ai peur qu’elle tombe à tout moment ».

« J’ai l’impression que toutes mes dents bougent », « J’ai peur que toutes mes dents tombent ». « J’ai une dent qui se déplace, elle sort de plus en plus », « Elle rentre de plus en plus… ». « Mes dents sont moins alignées qu’avant », « Elles sont plus en avant qu’avant », « J’ai les dents qui s’écartent, ou qui sont plus écar- tées qu’avant, maintenant je peux passer ma langue entre elles ». « Je n’ose plus sourire », « ça me gêne », « Je suis gêné ».

Le verbe « bouger » a double sens. Le mot « gêne » aussi, physique et psycho- logique. Ces mouvements dentaires ont pour conséquence du désordre esthé- tique, des défauts de prononciation, l’émission de postillons parfois, une masti-

cation altérée, prudente voire supprimée pour certains aliments. Il y a préjudice esthétique et perte fonctionnelle partielle ou totale. Une incidence sur la vie de la personne au plan physiologique, psycho- logique, postural, affectif. Mais il y a des raisons qui expliquent la survenue de ces symptômes à partir des mêmes plans.

Les patients manifestent souvent de l’in- compréhension et de la surprise en plus de l’inquiétude. En effet, la représentation très « matérielle » des dents que se font les patients se traduit par le fait qu’elles devraient être immobiles et à leur place ad vitam. Comme des objets présents dans leur corps uniquement pour manger et sourire. Elles ne sont guère perçues comme des organes susceptibles d’évo- luer en lien avec les différents plans évoqués ci-dessus, sauf à se carier ou à se casser. Les appuis occlusaux et la mobilité physiologique des dents leur sont inconnus. Quand celles-ci bougent ou se déplacent, il y a souvent confusion entre

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ces deux mots. Or leurs causes sont diffé- rentes : mécaniques et/ou bactériennes, liées au stress ou à des habitudes compor- tementales.

Les patients évoquent toujours la peur que ses dents tombent. Est-ce le souvenir des dents de lait qui sont tombées ? Ou une assimilation aux signes du vieillisse- ment, à la fatalité, l’irréversibilité, la peur de « la fin ». On entend parler de cauche- mars nocturnes de la perte des dents, qui sont d’ailleurs signifiants. Voltaire déclarait lui-même : « je perds une dent, je meurs au détail ». Nous entrons dans le domaine ontologique.

Commençons par distinguer : les malpo- sitions primaires des malpositions secon- daires.

LES MALPOSITIONS PRIMAIRES

Les malpositions primaires résultent de la génétique et du développement neuro- musculaire, des habitudes fonctionnelles et para-fonctionnelles, aboutissant à des pressions labiales et linguales utiles ou nocives qui s’exercent sur les dents et définissent le couloir dentaire. La langue est le conformateur buccal. La forme des arcades, la position des dents ne résultent pas du hasard, mais d’une nécessité en rapport avec des facteurs multiples : une combinaison de paramètres héréditaires, biologiques, physiologiques, psycholo- giques, comportementaux[10]. Le schéma corporel est une constante. Son adapta- tion individuelle est modelée par la succion des pouces, doudous, et autres tétines, les déformations générées par la respira- tion buccale, et au moment des débuts du langage leurs conséquences avec les défauts de prononciation.

L’image du corps est tout autre[2]. Ce que chacun ressent, perçoit, interprète de sa bouche peut être très éloigné de la réalité esthétique et fonctionnelle (occlusion et mastication).

Nous ajoutons que :

–la bouche doit être considérée comme le miroir de l’organisme tout entier, tant on connaît aujourd’hui les liens entre l’état parodontal et l’état de santé général, –la bouche et les arcades dentaires sont

le lieu de la plus haute élaboration du développement de l’humain, celui de la parole,

–la bouche est l’expression de la per- sonne tout entière, sa personnalité ; avant les tests ADN, les corps étaient et sont encore reconnus par le schéma bucco-dentaire. La bouche témoigne du contexte familial, du vécu très intime de chaque être depuis la vie fœtale jusqu’à la mort,

–la bouche est porteuse de l’inconscient du sujet.

La position naturelle des dents résulte de l’anatomie, de l’hérédité, de la physiologie, de la neuro-physiologie, du psychisme, des émotions, du comportement. Il s’agit d’un tissu somato-psychique comme la trame et la chaîne d’un tapis[8]. La denture révèle et signe notre identité.

LES MALPOSITIONS SECONDAIRES

Les malpositions secondaires ont lieu quand il y a perte des tissus de soutien des dents, lors du développement des maladies parodontales. Celles-ci sont d’origine infectieuse avant tout, mais surviennent sur des terrains prédisposés.

La réponse de l’hôte au déséquilibre

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du microbiote lors de la dysbiose sur le plan inflammatoire est prépondérante. Et aussi les facteurs locaux tels que la persis- tance d’une déglutition dite atypique, avec une pression de la langue en avant contre les dents (fig. 1).

Plus l’âge du patient augmente, plus cette force est dominante, tandis que la muscu- lature des lèvres faiblit. Il s’ajoute parfois une succion du pouce tardive y compris chez les adultes, des manies gestuelles[5]

comme l’interposition machinale des doigts entre les dents, l’onychophagie, les peaux arrachées, le mordillement d’un crayon, d’un pendentif…

La présence de piercings accentue la solli- citation de la sphère buccale. Et enfin, la consommation tabagique, a fortiori par le vapotage, innove dans le registre de façon encore plus forte avec le suçotement de l’embout durant des heures d’affilée.

Tous ces micromouvements qui sont des traumatismes répétés provoquent une mobilisation des dents – on pourrait même

parler d’un ébranlement – avec un élargis- sement desmodontal qui se combine à la perte osseuse et gingivale occasionnées par la maladie parodontale.

Une interférence occlusale sur le chemin de fermeture physiologique située généra- lement sur une couronne ou une obturation mal contrôlée, qui est passée inaperçue, déclenche un discret mouvement mandi- bulaire de compensation vers une position d’intercuspidation maximale faussée et contribue ainsi aux déplacements de dents dans les secteurs antérieurs[1].

Une perte de calage occlusal postérieur engendre également une bascule mandi- bulaire vers l’avant et le haut avec l’ou- verture de diastèmes dans le secteur antérieur maxillaire.

Il existe des surcharges fonctionnelles dans les cas de supraclusion antérieure mais aussi des surcharges reportées sur les secteurs latéraux dans les cas de béance antérieure. Il existe des surcharges para-fonctionnelles en cas de bruxisme ou serrement excessif des dents.

Et enfin des situations occlusales au départ normales qui deviennent des surcharges secondaires quand la maladie parodontale a affaibli les tissus de soutien[4]. La fonc- tion devient plus sollicitante sur un paro- donte enflammé et/ou réduit ou quand elle s’exerce sur un petit nombre de dents résiduelles.

Dans les malpositions dentaires secon- daires ou migrations, la dent se déplace vers l’avant généralement, mais aussi sur le côté, en rotation ou en égression. Dans les mobilités dentaires, la dent bouge sur elle-même. Des échelles de gravité ont été proposées pour quantifier l’amplitude

Figure 1 : pulsion linguale lors de la déglutition et déplacement dentaire.

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du mouvement. Les deux peuvent se combiner entre elles et s’amplifier réci- proquement.

La migration la plus visible est l’apparition d’un diastème, le plus fréquent étant le médian entre les deux incisives centrales maxillaires. Il peut évoquer les fameuses dents du bonheur dont toute une lignée familiale a hérité.

L’augmentation de cet espace peut être acceptée dans une certaine mesure, surtout quand il préexistait avant la maladie.

Mais quand les dents étaient bien alignées et serrées les unes contre les autres, l’ou- verture des diastèmes est mal perçue, en particulier quand ils sont asymétriques (fig. 2, 3, 4 et 5).

Figure 5 : contentions intra coronaires.

Figure 2 : parodontite et ouverture du diastème médian.

Figure 3 : après contrôle de l’inflammation gingivale.

Figure 4 : après traitement orthodontique.

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On voit bien que les aspects orthodon- tique et parodontal peuvent être vus sous un angle mécanique et bactérien.

Ces notions sont à la fois pleines de bon sens et de rigueur scientifique. La notion de prévention du développement d’une maladie parodontale en corrigeant une malocclusion primaire par une ortho- dontie majeure se conçoit sous l’angle de l’approche rationnelle et mécanique des choses. Mais, les malpositions primaires ne doivent pas être considérées comme un réel facteur de risque de développe- ment des maladies parodontales, sauf à considérer l’alignement des dents comme facteur prophylactique.

Cette notion très souvent évoquée n’est pas primordiale pour le développement des maladies parodontales. Il existe chez certains adultes des malpositions primaires spectaculaires avec un parodonte parfaite- ment sain, même si l’hygiène est impar- faite. Une malocclusion peut être tout à fait bien supportée par le parodonte[4]. Il y a seulement des malpositions primaires bien ou mal supportées par le patient, par son entourage et par la société qui impose ses normes esthétiques.

UN AUTRE REGARD

Entendons-nous sur les termes. Une hygiène insuffisante va provoquer l’instal- lation d’une gingivite, pas d’une parodon- tite. Une gingivite est réversible. Elle est la résultante d’un principe simple d’une relation de cause à effet. Le parodonte profond, os, attache et cément, peut quant à lui parfaitement résister (fig. 6).

Pour qu’il y ait parodontite, il faut en plus un facteur génétique, une prédisposition, plus encore quelque chose qui va flan- cher chez la personne, le sujet, pour des raisons que nous allons tenter d’élucider.

On n’est plus dans la logique de cause à effet. Des symptômes clignotent pour signifier autre chose dans ce lieu singulier qu’est la bouche. Et s’il y a parodontite, alors une malocclusion ou une surcharge peut être un facteur aggravant.

Il est intéressant de porter un autre regard sur ce qui se passe. D’une part lors du développement de l’enfant et de l’adoles- cent, d’autre part les traces qu’il en reste chez l’adulte ; nous avançons ainsi vers l’ap- proche somato-psychique, et psycho-so- matique quand il y a du dénouage.[7, 8]

Souplesse

Pourquoi les dents devraient-elles être fixes et immobiles ? La fable de La Fontaine

« Le chêne et le roseau » ne défend pas la rigidité, mais la souplesse et l’adaptabi- lité. Les constructions antisismiques sont basées sur ce même principe. Le mouve- ment est à priori positif, c’est la mobilité positive du vivant : flexibilité et adaptabilité sont des lois d’évolution. Quand un corps ne s’adapte pas aux changements du milieu, il risque la maladie. Est-ce qu’une

Figure 6 : malocclusion majeure et inflammation gingivale ayant pour

conséquences des récessions gingivales mais pas de parodontite.

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dent bouge pour un meilleur équilibre ou au contraire moins bon ? On a bien sûr très vite envie de recaler. De vite vite retrouver l’esthétique. Pourtant, il peut être intéressant de prendre le temps de tester jusqu’où ça se déplace.

La contention des dents va s’opposer à la mobilité ou au déplacement. Cependant, la contention entre 11 et 21 peut poser problème en ostéopathie car elle semble provoquer un blocage respiratoire au niveau de la suture crânienne médiane, pouvant conduire à une expression figée du visage comme un masque. Nous observons bien ici que la souplesse est une qualité.

La croissance de la face continue toute la vie, le maxillaire évolue toujours vers le bas et en dedans. L’avancée des dents antérieures est en moyenne de 1 mm pour une période de 60 ans. Certains montrent des changements de plus de 5 mm. Il peut même y avoir changement de position des implants.

Évolution du point de vue

Autrefois la bouche prévalait par sa forme.

Seules les lèvres étaient représentées sur les portraits picturaux. On pense au sourire si discret de La Joconde. Puis c’est sa motricité qui a été représentée avec le sourire ou la moue. Aujourd’hui elle prévaut par son contenu : les dents et même la langue sont visibles sur les photos papier glacé des magazines de mode.

Cela a transformé la place du dentiste : de l’arracheur de dents à celui qui calme les douleurs, il est devenu le dentiste qui prévient avec l’administration du fluor et des conseils minimaux alimentaires par

la suppression du sucre. Il est désormais surtout devenu l’esthéticien, le plasticien.

La médecine bucco-dentaire n’est plus seulement soignante mais pourvoyeuse de qualité de vie. L’esthétique entre comme critère majeur de la néo-qualité de vie à laquelle chacun a droit. Pourquoi avoir une telle préoccupation vis-à-vis de l’alignement des dents ? Pourquoi y a-t-il un tel besoin d’ordre dans les dents ? Un sourire doit être rectiligne. Seules quelques variations sont acceptables, et encore… Des dents en avant sont toujours perçues comme une expression d’agressi- vité ou curieusement au contraire de niai- serie. Au mieux elles correspondent à la morphopsychologie d’une « anglaise » ou d’une femme « croqueuse », gourmande, avec l’érotisation qui en découle, aux lèvres avantageusement pulpées grâce au soutien des dents. Les sourires de Brigitte Bardot et de Laetitia Casta ont marqué un tournant d’appréciation du sourire féminin. La hantise des dents longues qui font penser à l’expression « des dents qui rayent le parquet » existe bel et bien. On sent là derrière la nostalgie des dents de lait… Elles, elles sont toujours petites, discrètes, charmantes. Nostalgie de l’enfance d’avant 7 ans, cet état de grâce, où l’on pouvait encore croire à la petite souris… Ces dents de lait conser- vées soigneusement dans une jolie boîte souvenir. Remarque : les progrès actuels de la science et la capacité de clonage démontrent tout l’intérêt de cette pratique puisque nous allons pouvoir bientôt reconstituer de nouvelles dents grâce à ces éléments conservés.

Quelles sont les peurs liées aux grandes dents ? La peur de la dévoration indiscuta- blement, qui prend ancrage lors du stade oral de la première année de vie. « Je vais te manger, te croquer tout cru » dit la

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maman à son enfant, et plus tard l’amou- reux-se. C’est l’érotisation de la sphère buccale. Une explication aussi à la genèse des contes où l’ogre veut dévorer ses fils, et pas ses filles. L’ogre, version sombre du père qui en dévorant le fils fait disparaitre un concurrent, un rival. Il le fait retourner là d’où il vient : un ventre où il n’était pas encore devenu dangereux.

Incidences, conséquences

Le patient a-t-il le désir de se montrer tel qu’il est, tel qu’il pense être ou tel qu’il voudrait être ? Peut-il accepter de se montrer tel qu’il est ? Se voit-il lui-même tel qu’il est ? Perçoit-il que son attitude inconsciente est celle du petit enfant qui continue à téter, celui peut-être qui a vécu le manque originel dès sa naissance et qui cherche inlassablement à recevoir ce que sa mère ou la personne au rôle maternant n’a pas su ou pu lui donner[7]. Garde-t-il en lui cette trace qui l’incite à chercher le réconfort dans la consommation de tabac ou de nourriture ?

Un plein qui viendrait combler un vide. Ou bien a-t-il fait sienne l’attitude de l’ogre qui veut tout incorporer, tout dévorer dans la toute-puissance et qui n’aura jamais assez, ne sera jamais repu ? Les troubles du comportement alimentaire attestent de ces manques ou de ces excès subis et tentent d’y remédier à l’adolescence, moment où se rejouent toutes les problématiques du sujet depuis sa conception[8]. Et même avant, lors de sa préhistoire. Peut-être même arri- vons-nous dès la naissance comme à la douane avec des valises déjà pleines, char- gées de génétique et de transgénéalogie, dont notre denture témoigne ? Les dents constituées d’émail comme le cristal, de

dentine comme l’ivoire, de racines et de couronnes, comme Malkhout et Kether dans l’arbre des Séphirots[9]. Tout un voca- bulaire porteur d’évocations, de vibrations, de résonances, de mémoires.

Un chirurgien-dentiste attentif, à l’écoute, qui ausculte ses patients avec confiance et ouverture d’esprit peut être témoin privilégié de la vie authentique des êtres humains. Le vécu, les affects, ce qui en a été élaboré ou non, tout lui apparaît en ce lieu si particulier qu’est la bouche. En se gardant bien d’interpréter, il peut avec sincérité et un certain détachement – que l’on peut nommer la bonne distance théra- peutique – observer avec intérêt, recoupe- ments mais sans curiosité, décrire ce qu’il voit, donner des informations avancées au patient qui, lui, se questionnera, en fera son miel et donnera du sens à ce qui lui est apporté.

Les critères esthétiques sont subjectifs : de la beauté superficielle, la plastique, la séduction, les apparences, le masque de la comédie humaine, vers la beauté inté- rieure, riche de santé, bien-être, sainteté – mot pris au sens étymologique –, joie intérieure. La bouche peut être le révéla- teur de ce passage du désordre à l’ordre, être une porte de l’extérieur vers l’intérieur par la sélection du bon aliment pour la vie, au propre et au figuré, de ce que le sujet accepte de goûter, de mâcher puis d’avaler ou de recracher.

Prendre ou pas. Choisir. Le fondateur de la Gestalt thérapie, Fritz Perls[6], l’a bien exprimé dans son livre initiateur Le moi, la faim et l’agressivité. La bouche est aussi une porte sélective de l’intérieur vers l’ex- térieur au niveau de la plus haute fonction humaine, le langage. Une parole élaborée, maîtrisée, qui fait œuvre de libération.

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A contrario une parole interdite, rendue impossible par l’indicible. La cure psycho- thérapeutique sait bien que c’est la parole retrouvée qui guérit. Ce qui peut être enfin dit et écouté par un autrui bienveillant qui atteste que cela est possible, « enten- dable », recevable[3]. C’est une présence véritable qui est nécessaire dans toute relation et bien sûr dans la relation théra- peutique. La qualité de présence est parfaitement exprimée dans ce passage de l’Évangile où il est dit que Marthe s’af- faire à tant de choses, tandis que Marie, elle, écoute. Marthe en est jalouse et agacée car elle pense bien faire en s’affai- rant à la cuisine. Et pourtant c’est Marie qui a raison car elle est dans une présence attentive. « Soyez attentifs » psalmodie le prêtre orthodoxe durant les offices. Que ce soit en psychothérapie ou en spiritua- lité, c’est une même vérité, une même nécessité.

La bouche signifie « ouverture » (étymo- logie latine : os, oris). Ce qui a donné le verbe oser, soit montrer, extérioriser, dévoiler ce qui est intime, original, unique en soi. Sourire, ce serait s’ouvrir à l’autre, offrir un peu de soi quand les dents sont visibles. Un sourire pudique montre peu.

Comment traiter l’ouverture buccale limitée à quelques millimètres et déviée chez cette patiente de 42 ans adressée pour la réalisation d’une gouttière occlu- sale par son ostéopathe, à la suite d’une proposition interventionniste par un ORL ? La patiente au demeurant très souriante au point de masquer un déni (avec l’habitude, le praticien le perçoit très vite), évoque au bout de quelques minutes d’entretien attentif le coup reçu sur le visage lors d’un accident de voiture qu’elle a provoqué à l’âge de 20 ans. Avec la culpabilité qui persiste et l’impossibilité

d’en parler en famille avec ses parents, et ses sœurs présentes dans la voiture.

Elle reconnaît enfin qu’elle aussi a été victime de cet accident et pas seulement

« la » coupable. Après avoir pu enfin parler et pleurer, sa bouche s’ouvre dans l’axe médian de plusieurs centimètres.

LE TRAITEMENT PLURIDISCIPLINAIRE

Le traitement pluridisciplinaire doit être un traitement raisonné, conservateur, respec- tueux des tissus, des organes dentaires, des repères physiologiques et de la fonc- tion, à l’écoute de ce que le corps exprime parfois à la place du patient. Donc ne soyons pas toujours interventionnistes, pas trop interventionnistes.

Les traitements esthétiques du paro- donte peuvent se donner comme but de restaurer ce qui existait avant les trauma- tismes divers et les conséquences des maladies parodontales, de prévenir les risques d’altération ou de faciliter l’intégra- tion harmonieuse des couronnes prothé- tiques et des implants dentaires[4]. Quand il y a maladie parodontale, les praticiens dans le cadre d’un traitement pluridiscipli- naire peuvent se donner comme objectif premier de restaurer la bouche originelle.

Le patient en est souvent satisfait et ne demande pas plus (fig. 7, 8, 9, 10, 11, 12 et 13, pages suivantes). Car la trans- former, ce serait une réponse d’ingénieur pour aller vers une bouche vue comme un objet. Aller « vers qui » est une plus juste question. Faire une bouche impeccable à quelqu’un au niveau esthétique, implan- taire, c’est bien, à condition qu’elle soit vécue par lui intérieurement. La notion du corps que j’ai (objet) est à modifier vers celle du corps que je suis (sujet)[3].

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Figure 7 : avant traitement d’une parodontite avancée avec migrations dentaires prononcées et évolutives.

Figure 10 : traitement orthodontique simplifié adapté au contexte de maladie parodontale sévère.

Figure 8 : malpositions secondaires et maladie parodontale chronique avancée.

Figure 9 : avant traitement, la patiente souhaite une amélioration esthétique.

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Figure 11 : après des mouvements de version et discrète rotation, la patiente a retrouvé un profil plus harmonieux.

Figure 13 : le traitement orthodontique doit éviter en cas de parodontite sévère les ingressions afin de ne pas induire l’approfondissement des poches parodontales.

Figure 12 : sourire retrouvé.

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Sous cet angle d’observation et de compré- hension, la perte de la dimension verticale d’occlusion dans la maladie parodontale, quand il y a migrations antérieures, pourrait signer une sorte d’effondrement physique, postural, une verticalité qui a du mal à s’ériger, du mordant perdu ? L’occlusion est à écouter aussi avec finesse. Quand elle est juste et équilibrée, le son émis est clair et net.

Le tissu humain est une trame entre soma et psyché : nous sommes incarnés, ce qui veut dire que nous sommes un corps, et que c’est le corps qui parle. La pensée, le psychisme et le corps ne sont pas des entités différentes. Le psycho-somatique n’est pas du psy qui régit le corps quand ça dysfonctionne. Ou du mental qui doit dominer le corps pour que ça aille mieux.

Nous sommes somatopsychiques avec toutes les interactions entre l’individu et son histoire. Un événement physique ou psychique au présent peut provoquer un dé-nouage dans le tissu humain, dans cette trame somatopsychique. Le symp- tôme somatique exprime ce qui n’est pas exprimable par la parole, par le comporte- ment.

Nous devons chercher à relier les éléments séparés, clivés au point d’être incompré- hensibles, sans lien visible. Et pour cela commencer par savoir poser des diagnos- tics différentiels, autrement dit distinguer avec discernement.

La fonction occlusale porte la personne en soi. Elle est liée aux mouvements même de construction du sujet. Elle est l’attes- tation de l’existence du sujet. Quand ça se met à bouger, le déplacement est lié à l’atteinte même du sujet. En particulier dans les parodontopathies. Le parodonte

est le tissu même du sujet : l’os alvéolaire assure le fondement, l’enracinement. Le ligament alvéolo-dentaire lie et solidarise, mais maintient un peu de souplesse. Le cément fixe.

Le parodonte est symboliquement le « je suis ». Les dents sont symboliquement le

« j’ai, je fais ». Le corps ne fait pas la diffé- rence entre le réel et la crainte, donc pas non plus entre le physique et le symbo- lique. Donc profitons-en, il peut être aussi réparé par du symbolique.

Cette efficacité symbolique explique les résultats et bien sûr l’attrait qu’exercent les approches médicales autre que la science qui demeure bien sûr valable elle aussi, les unes n’empêchant pas l’autre.

Les maladies du parodonte sont des mala- dies du sujet. Il y a perte de la défense constitutive du sujet, au-delà de la défense gingivale, au-delà de l’inflammation gingi- vale parfaitement décrite par les méca- nismes cellulaires en cascade et les médiateurs de l’inflammation. La ques- tion est pourquoi l’attaque bactérienne a lieu, pourquoi la dysbiose, pourquoi une telle réponse inflammatoire de défense, contre quoi, contre qui. Ce peut être un processus auto-immun contre soi-même.

Le déséquilibre serait un dysfonctionne- ment adaptatif. La dent bouge afin que le sujet se bouge. L’aspect fonctionnel peut représenter la « meilleure » solution prise en charge par le corps pour que le sujet se bouge. La somatisation est une des façons de réagir. « Même le microbe est un adversaire existentiel, un adversaire ontologique » dit Annick de Souzenelle[9], au sens de adversus c’est-à-dire « tourné vers » moi pour que je passe par-dessus.

Elle évoque ce « clos de perles fines,

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comme bouclier, rempart des dents stable devant la langue… ».

Nos propositions de traitement passent par l’arrêt de la perte de soi. « Avez-vous vraiment envie de continuer ainsi ? » Une remise en ordre en quelque sorte afin de retrouver des appuis, pieds, bassin, mandi- bule, pour une verticalisation de l’être, qui n’exclut pas le recours aux implants qui en renfort peuvent apporter une plus grande solidité aux arcades dentaires. C’est aussi dans cette idée que nous considérons les mobilités, les migrations, et donc l’ortho- dontie, dans un contexte de verticalisation de l’être.

Du sacrum au larynx, la colonne verté- brale contribue mécaniquement à cette verticalité. Il s’agit du faisceau gouverneur en médecine chinoise. L’énergie prend sa source, son fondement dans le rein donc dans la même région que le sacrum.

Le Dictionnaire des symboles nous dit que la bouche est médiation entre la situation où se trouve un être, et le monde inférieur ou le monde supérieur, dans lesquels elle peut l’entraîner. Elle est représentée dans l’iconographie universelle aussi bien par la gueule du monstre que par les lèvres de l’ange; elle est aussi bien la porte des enfers que celle du paradis.

POUR NE PAS CONCLURE…

Le diagnostic scientifique, la réponse scientifique ne devraient pas exclure la recherche de sens.

La recherche de sens, les significations ne devraient pas plus exclure la démarche scientifique. Ces deux approches sont non seulement compatibles, mais se potentia-

lisent mutuellement. Conflit d’intérêt :

L’auteur déclarte n’avoir aucun conflit d’intérêt.

BIBLIOGRAPHIE

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6. Perls F. Le moi, la faim et l’agressivité. Le corps à vivre, Ed Tchou ; 1969 / 1978 7. Sirven R. L’enfant de 6 à 12 ans ou l’âge docile. L’Harmattan, Psychologiques ; 2002

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Références

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