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View of Montréal, espace à consommer dans'Chronique de la dérive douce' de Dany Laferrière et 'Les aurores montréales' de Monique Proulx

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Résumé

Bien que leur expérience du Québec diffère radicalement, Dany Laferrière, écri- vain d’origine haïtienne ayant migré à vingt-trois ans dans la province québécoise, et Monique Proulx auteur québécois « pure laine », soulèvent des questions communes à travers leurs portraits de Montréal. Chronique de la dérive douce et Les aurores montréales dépeignent en effet tous deux Montréal de façon provocante : ces œuvres réduisent la métropole québécoise à un espace de consommation sans caractère propre. En s’appuyant sur les concepts de « surmodernité » et de « non-lieu » de Marc Augé, cet article montre que les deux œuvres mettent à mal les représentations idéalisées de Montréal comme modèle du multiculturalisme. Alors que les auteurs se focalisent sur le quotidien de leurs personnages, la métropole disparaît derrière le grouillement de vies, de besoins et de désirs de ses habitants. Noyée sous un foisonnement de signes incohérents, Montréal devient alors une jungle urbaine anonyme consommée et ex- ploitée par ses habitants les plus résilients.

Abstract

Despite their different life trajectories in Quebec, Dany Laferrière – who is origi- nally from Haiti and migrated in Quebec when he was 23 – and Monique Proulx –

“pure laine” québécois writer – raise common questions about Montreal. Indeed, Chro- nique de la dérive douce and Les aurores montréales depict Montreal in a provocative way: in these books, the Quebecois metropolis becomes an insipid place waiting tto be con- sumed and loses all distinct features. Relying on Augé’s concepts of “surmodernité”

and “non-lieu”, this article shows that these two books challenge representations of Montréal as idealized multicultural metropolis. Laferrière and Proulx’s Montréal disap- pears under the hustle and bustle of its inhabitants’ daily life, needs and desires. Fading away behind a profusion of incoherent signs, Montreal becomes an urban jungle which its most resilient resilient inhabitants manage to consume.

Isabelle C

hoquet

Montréal, espace à consommer

dans Chronique de la dérive douce de Dany Laferrière et Les aurores montréales de Monique Proulx

Pour citer cet article :

Isabelle Choquet, « Montréal, espace à consommer dans Chronique de la dérive douce de Dany Laferrière et Les Aurores montréales de Monique Proulx », dans Interférences lit- téraires/Literaire interferenties, n° 13, « L’espace et le quotidien. Transformations et

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Geneviève Fabry (UCL) Anke Gilleir (KU Leuven) Agnès Guiderdoni (FNRS – UCL) Ortwin de GraeF (Ku leuven) Jan herman (KU Leuven) Guido latré (UCL) Nadia lie (KU Leuven)

Michel lisse (FNRS – UCL) Anneleen massChelein (KU Leuven) Christophe meurée (FNRS – UCL) Reine meylaerts (KU Leuven) Stéphanie vanasten (FNRS – UCL) Bart vanden bosChe (KU Leuven) Marc van vaeCK (KU Leuven)

Olivier ammour-mayeur (Université Sorbonne Nouvelle -–

Paris III & Université Toulouse II – Le Mirail) Ingo berensmeyer (Universität Giessen)

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Philiep bossier (Rijksuniversiteit Groningen) Franca bruera (Università di Torino)

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Dirk delabastita (Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix – Namur)

Michel delville (Université de Liège)

César dominGuez (Universidad de Santiago de Compostella

& King’s College)

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B 3000 Leuven (Belgium)

ComitésCientifique – WetensChappelijkComité

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dans Chronique de la dérive douce de Dany Laferrière et Les Aurores montréales de Monique Proulx

1

Bien que leur expérience du Québec diffère radicalement, Dany Laferrière, écrivain d’origine haïtienne vivant à Montréal, et Monique Proulx auteure québécoise

« pure laine »2, soulèvent des questions communes à travers leurs portraits de la mé- tropole québécoise, révélant ainsi ce que Laferrière appelle leur proche « sensibilité

»3. À l’encontre des discours optimistes qui décrivent Montréal comme une métro- pole modèle du « multiculturalisme » offrant « une culture mosaïque »4, Chronique de la dérive douce et Les Aurores montréales – publiés originellement dans les années 1990 – opèrent une rupture dans la représentation de cette ville. Laferrière revendique l’originalité de leur perspective: « […] je sens derrière toute notre aventure littéraire un profil neuf de cette ville, son énergie, sa vitalité, son avidité, sa soif de culture et de savoir »5. Chronique de la dérive douce, dont une nouvelle version a paru en 2012, dépeint Montréal à travers les yeux d’un Haïtien de vingt-trois ans qui vient d’y arri- ver. D’inspiration autobiographique, ce livre en prose traduit l’évolution du regard du jeune homme au fil de quatre saisons. Dans Les Aurores montréales, la métropole québécoise apparaît au lecteur à travers un kaléidoscope de perspectives, puisque chaque nouvelle de ce recueil évoque le vécu d’un habitant différent de la ville.

Nous montrerons que les deux œuvres mettent à mal les représentations idéa- lisées de Montréal en se focalisant sur le quotidien de leurs personnages : sous la plume des deux auteurs, Montréal disparaît derrière le grouillement de vies, de besoins et de désirs de ses habitants. Noyée sous un foisonnement de signes inco- hérents, Montréal devient alors une jungle urbaine anonyme consommée et exploi- tée par ses habitants les plus résilients. Ainsi, le narrateur de Laferrière s’y « sen[t]

comme un enfant oublié dans une confiserie » et « veu[t] tout/ les livres/ le vin/

1. Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce (1994), nouvelle édition, Paris, Grasset, 2012 et Monique Proulx, Les Aurores montréales (1996), Montréal, Boréal, 1997.

2. L’empreinte de l’immigration sur le profil démographique du Québec a donné naissance à des débats sur l’identité québécoise concernant le « NOUS identitaire […] qui serait encore [par- fois] perçu […] comme étant à dominante « pure laine » de vieille souche… européenne », mais qui ne peut désormais ignorer les « Québécois pure laine crépue nourri[s] au lait de coco sur les plages conviviales de Jacmel » et autres membres de sa société cosmopolite (Robert berrouët-oriol,

« Lettre ouverte à Pauline Marois », dans Planète Ayiti, 10 février 2008 : http://planete.qc.ca/ayiti/

nouvellesbreves/nouvellesbreves-1022008-144973.html).

3. Dany laFerrière et Monique Proulx, « La lettre et l’image », dans Dialogue d’île en île : de Montréal à Haïti : dialogue épistolaire entre Jacques Godbout et Emile Ollivier, Monique Proulx et Dany Laferrière, Paul Chamberland et Serge Legagneur, Jacques Brault et Jean-Richard Laforest, Montréal, Les Éditions du CIDIHCA, 1996, p. 37. Proulx dédie d’ailleurs sa nouvelle « Noir et Blanc » à Dany Laferrière. Elle lui rend doublement hommage quand un de ses personnages fait référence à lui comme « un roi à Montréal » (Monique Proulx, Les Aurores montréales, op. cit., p. 143).

4. Martin munro, « Theorizing the Haitian Fragment and Fragmenting Caribbeanist Theory in Emile Ollivier’s Passages », dans The Romanic Review, vol. 97, n° 1, 2006, p. 223.

5. Dany laFerrière et Monique Proulx, « La lettre et l’image », op. cit., p. 33.

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les femmes/ la musique/ et tout de suite »6. Un personnage de Monique Proulx fraîchement débarqué de Chine comprend quant à lui « à quel point Montréal [est]

contenu dans [l]e le magasin » Canadian Tire – une chaîne de grands magasins « aux utilités et au superflu confondus »7. Or, malgré le marqueur d’identité nationale contenu dans le nom « Canadian Tire », les produits et le consumérisme qui y sont attachés symbolisent ironiquement l’effacement de l’identité et font de ce magasin le summum du non-lieu décrit par Marc Augé8.

Présentée à travers le kaléidoscope d’individus en quête d’un bien-être matériel et psychologique, Montréal perd tout centre pour devenir un enchevêtre- ment de parcours utilitaires. Chaque protagoniste se déplace dans l’espace « par conséquence et nécessité de fait », pour répondre à ses besoins quotidiens et au défi d’« un milieu devenu amorphe ou ingrat », tel le nomade décrit par Deleuze et Guattari9. Par son parcours dans la ville, chacun revisite ainsi la cartographie de Montréal puisque départ et arrivée s’effacent au profit des points utilitaires du tra- jet. Consommer devient la seule façon d’exister, tandis que la satisfaction des désirs permet de fuir un quotidien ingrat. Parcourue pour être consommée de mille façons – à travers ses pigeons, ses biens de consommation ou ses humains – Montréal perd tout caractère distinct et ne peut se faire incarnation d’identités culturelles. Pour réconcilier son foisonnement d’images éclectiques et exister comme métropole, Montréal en vient à dépendre du regard de chacun de ses habitants et n’existe que quand elle est consommée au quotidien.

1. f

oisonnement duquotidien etabsenCederéCit

1.1. La surabondance aveuglante du quotidien

En se concentrant sur le quotidien de leurs personnages montréalais, Les Aurores montréales et Chronique de la dérive douce évoquent les enjeux de ce que Marc Augé appelle « la surmodernité ». Ces œuvres traitent en effet des « transformations accélérées » du monde contemporain qui engendrent la nécessité d’une « réflexion renouvelée et méthodique sur la catégorie de l’altérité »10. Augé désigne par « sur- modernité » la surabondance événementielle – difficulté de penser le temps due à l’accélération de l’histoire, la multiplication d’événements transmis par l’infor- mation omniprésente et les interdépendances du système-monde11 –, la surabon- dance spatiale – « changements d’échelle, […] multiplication des références ima- gées et imaginaires, et […] spectaculaires accélérations des moyens de transport »,

« abouti[ssant] concrètement à des modifications physiques considérables : concen- trations urbaines, transferts de population et multiplication de […] ‘non-lieux’ »12 – et l’individualisation des références – figure de l’ego, de l’individu, qui fait retour13.

6. Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, op. cit., p. 174 et p. 66.

7. Monique Proulx, op. cit., pp. 55-56.

8. Marc auGé, Non-Lieux. Introduction à une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, « La Librairie du xxe siècle », 1992.

9. Voir Jana Evans braziel, « From Port-au-Prince to Montreal to Miami, Trans-American Nomads in Dany Laferrière’s Migratory texts », dans Callaloo, vol. 26,1, 2003, p. 237.

10. Marc auGé, op. cit., p. 35.

11. Ibid., pp. 40-43.

12. Ibid., pp. 47-48.

13. Ibid., p. 50.

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Ces excès engendrent la fluctuation des repères de l’identification collective et la nécessité de la production individuelle de sens14, comme Laferrière et Proulx le montrent dans leurs œuvres.

En effet, Chronique de la dérive douce et Les Aurores montréales offrent le point de vue d’egos devant pallier le manque de repères collectifs. En cela, ces œuvres illustrent que « [d]ans les sociétés occidentales, au moins, l’individu se veut un monde. Il entend interpréter par et pour lui-même les informations qui lui sont délivrées »15. Tel l’eth- nologue, ces personnages cherchent à « bricoler un univers significatif »16 face au choc des images quotidiennes hétéroclites qui les submergent à chaque moment à Mon- tréal. Un personnage de Proulx souligne cette surabondance aveuglante de l’informa- tion : « Il naît et il meurt constamment tant d’informations dans les journaux et à la télévision que je me sens parfois comme en Chine où aucune information ne circulait, ramenée à une disette qui m’empêche de comprendre le monde »17.

À son arrivée dans la province québécoise, depuis le taxi qui le mène de l’aéroport à sa chambre de location, le narrateur de Laferrière vit cette avalanche d’images montréalaises comme une invasion : le quartier animé, l’homme au masque de renard, les fêtards en train de converser et de boire, les gens qui s’embrassent, l’homme complètement nu, la foule qui applaudit, les adolescents jouant au hockey le forcent à « ferme[r] les yeux / un bref instant/ pour être avec [lui]-même »18. C’est justement cette violence des images montréalaises qui attire Proulx, comme elle l’ex- plique dans un échange épistolaire avec Laferrière : « J’ai choisi d’habiter [à Montréal]

à cause des images. Je viens de Québec, ville de carte postale et de beauté peinarde, décor inaltéré que les machinistes, après la dernière prise de vue, auraient oublié de démonter. Ici, ça déferle et ça grouille, ce n’est jamais figé dans l’esthétisme. Tu te postes au coin de la rue et le film continu se déroule »19. Pour exprimer l’incohérence de ce flux d’images produites par la ville, Proulx compare Montréal à une « bag lady passablement sulfureuse qui détient dans ses sacs de clocharde un ramassis de tout ce que l’on peut imaginer de meilleur et de plus abominable »20, ce que Les Aurores mon- tréales transcrit à travers les mille réalités quotidiennes de ses personnages.

1.2. Une métropole illisible

Cet hétéroclisme entrave le « besoin de donner un sens au présent, sinon au passé »21. En effet, dans Les Aurores montréales et Chronique de la dérive douce, ce foisonnement de la vie ordinaire « en deçà de l’événement [et] du remarquable » complique la possibilité d’instaurer un récit comme « agencement narratif cohérent d’ordre événementiel »22. Marie-Pascale Huglo souligne cet enjeu de l’invasion du quotidien dans les œuvres littéraires : « l’ordinaire du temps est tissé de parcours

14. Ibid., p. 51.

15. Ibidem 16. Ibid., p. 22.

17. Monique Proulx, op. cit., p. 56.

18. Dany laFerrière, op. cit., pp. 13-14.

19. Dany laFerrière & Monique Proulx, art. cit., p. 35.

20. Ibidem.

21. Marc auGé, op. cit., p. 41.

22. Marie-Pascale huGlo, « Présentation », dans Temps zéro, nº 1, 2007. [En ligne], URL : http://tempszero.contemporain.info/document71.

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usuels, d’actions prévisibles, d’incidents aléatoires, de moments déconnectés les uns des autres. En cela, le quotidien contreviendrait à l’ordre du récit et aux attentes qu’il suscite : peut-on encore parler de récit à partir du moment où l’événement transfor- mateur se trouve évacué pour laisser place à des gestes, des motifs, des impressions ou des incidents infimes dépourvus de conséquences ? » 23. Dans une mise en abyme, ce bouleversement de « l’ordre du récit » est reflété aussi bien dans la forme même des deux œuvres écrites en fragments, que dans la perspective des habitants sur Montréal.

La succession de vingt-sept courtes nouvelles constituant Les Aurores mon- tréales, tout comme les centaines de paragraphes qui composent Chronique de la dérive douce, matérialisent le fractionnement inhérent à l’expérience urbaine. Le fragment sert de moyen d’expression privilégié à l’homme urbain en proie à la surmodernité : cette forme reflète le caractère multiple de la ville et la discontinuité, le mouvant, l’immédiateté24. Le kaléidoscope des points de vue des personnages de Proulx ou la succession des impressions du narrateur de Laferrière — notamment son insis- tance sur les sensations25 — trahissent l’impossibilité d’établir un récit de la vie à Montréal et ainsi de dresser un portrait cohérent de la métropole. La ville devient en effet illisible, comme le personnage chinois de Proulx l’exprime avec angoisse:

« […] Montréal m’est apparu comme une énigme indéchiffrable dont les clés et les codes pour survivre m’échapperaient à jamais »26.

En effet, aveuglés « dans un univers quasi obsessionnellement habité par le quotidien, le contemporain et la ville, au centre duquel se trouve l’instant vécu, le momentané »27, les personnages ne peuvent avoir de vision d’ensemble de Mon- tréal. Incapables d’envisager ce que De Certeau appelle la « Ville-concept » de l’ur- baniste, ils sont condamnés à arpenter la ville pour la déchiffrer à leur niveau et ne peuvent ainsi dépasser leur perspective limitée de « la pratique de la rue »28. Le motif de la promenade récurrent dans Chronique de la dérive douce renforce l’immer- sion déboussolante dans le quotidien : il « concerne autant l’errance du personnage que le déroulement du récit qui ne va nulle part, mais avance »29. Le narrateur de Laferrière arpente souvent la ville sans but, au hasard de ses pas : « en attendant de connaître mon sort, je navigue à vue. / Je me dirige vers l’ouest»30, « je marche toute la nuit /dans la nouvelle cité »31, « Je sors dehors/ et me dirige/ vers le nord,/

sans savoir où/ je vais »32, « je mets le cap vers l’est/ avec l’intention de/ marcher le plus loin/ possible dans cette/ direction »33, « J’ai marché plus de deux heures/ vers

23. Ibid.

24. Ursula mathis-moser, Dany Laferrière. La dérive américaine, Montréal, VLB, 2003, p. 196.

Mathis-Moser s’appuie sur Jeanne Demers.

25. C’est en effet par le corps que le personnage s’ approprie Montréal : « Des cinq sens,/ j’utilise jusqu’à présent/ l’ouïe,/ la vue,/ l’odorat./ Me restent/ le goût/ et toucher. » (Dany laFFerière, op.

cit., p. 91).

26. Monique Proulx, op. cit., p. 54.

27. Ursula mathis-moser, op. cit., p. 59. Mathis commente ici l’œuvre de Laferrière.

28. Voir Michael sherinGham, « Trajets quotidiens et récits délinquants », dans Temps zéro, nº 1,

« Raconter le quotidien aujourd’hui », s. dir. Marie-Pascale huGlo, 2007. [En ligne], URL : http://

tempszero.contemporain.info/document79 29. Marie-Pascale huGlo, art. cit., § 11.

30. Dany laFerrière, op. cit., p. 20.

31. Ibid., p. 22.

32. Ibid., p. 58.

33. Ibid., p. 125.

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le sud »34. Chez Proulx, le motif de la promenade s’incarne dans les mille tentatives des personnages de fuir leur vie montréalaise,que ce soit par la marche – Laurel « a appris à marcher sans repos et sans distraction »35 –, l’alcool et les rencontres éphé- mères. Le personnage de « Blanc » « cour[t] et […] drague et […] boi[t] trop depuis [s]on retour, [il] cherche le Montréal d’avant »36– , le voyage, le fantasme d’une autre vie… Montréal devient un catalyseur pour les personnages qui cherchent à fuir37, mais ces évasions sans destination finale ramènent toutes au quotidien montréalais insatisfaisant.

1.3. Montréal, agrégat de non-lieux

Face à ces déplacements ne menant nulle part, uniquement réalisés pour sup- porter la vie dans la ville – survivre matériellement pour les plus démunis, ou psy- chologiquement pour les plus blasés38 – Montréal devient invisible : les personnages des deux œuvres ne voient pas ses emblèmes et effacent ainsi son histoire. Témoi- gnant de l’incapacité de la métropole à fournir des points de repère à ses habitants, le narrateur de Laferrière se réfère par exemple aux points cardinaux et non pas aux monuments montréalais. Ceux-ci perdent alors leur fonction traditionnelle : ils ne permettent plus de penser la continuité des générations, de partager et commé- morer ensemble. Le centre-ville ne peut plus se faire lieu de vie et d’échange39. Au contraire, quand enfin un personnage de Proulx évoque des lieux chargés d’histoire comme le Carré Saint Louis ou la rue Saint Denis, il nie leur incarnation d’une trajectoire collective. Il ne voit dans la ville que solitudes et fractures sociales. La foule qui déambule dans le centre est : « anarchique, un éparpillement d’identités contradictoires qui déambulent sans harmonie, sans but commun », tandis que la rue Saint-Denis foisonne de sans-abri qui « se font envahissants et ostensibles, nou- velle minorité gangrenant rapidement la métropole »40. Ne pouvant être intégrée au quotidien d’une société en crise, l’histoire se manifeste comme refus du présent sous la forme d’Émile Nelligan, poète québécois qui a tenté de mettre fin à ses jours dans le Carré Saint-Louis41. La communication entre cet écrivain appartenant au passé et le narrateur est impossible, et Nelligan dévisage le narrateur avec pitié en lui disant des choses incompréhensibles. Dans ce parc où l’histoire est devenue muette et incapable de donner des repères à ses habitants, le professeur universitaire remet tout ce qui fait son identité sociale à un sans-abri, depuis son portefeuille et ses clefs de voiture en passant par sa serviette, sa cravate et son alliance42. Son

34. Ibid., p. 36.

35. Monique Proulx, op. cit., p. 159.

36. Ibid., p. 232.

37. « [C]atalyst for characters to seek escape » (Christopher Porter « [C]atalyst for characters to seek escape » (Christopher Porter bolander, Neither Here Nor There: (De)centered Portraits of Montreal in Five Texts from Quebec, thèse de doctorat, The University of Wisconsin-Madison, 2008, p. 256).

38. Comme Munro le souligne en commentant Passages d’Émile Ollivier, cette errance a quelque chose de métaphysique. Selon Munro, à travers ses errances, Normand tente de résoudre les questions de mortalité et d’échapper à la banalité du quotidien pour atteindre l’Idéal, à la manière de Baudelaire. Les brèves rencontres temporaires que permet la vie nocturne de la ville offrent des moments d’évasion. Le passant devient alors une source possible de salut momentané, une façon de sortir de la stagnation existentielle (Martin munro, art. cit., p. 220).

39. Marc auGé, op. cit., p. 86.

40. Monique Proulx, op. cit., p. 227.

41. Nelligan est un poète québécois qui a fait une tentative de suicide dans ce parc (voir Christopher Porter bolander, op. cit., p. 260).

42. Monique Proulx, op. cit., p. 229.

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échange de regard avec Émile Nelligan fait ensuite anticiper qu’il va se suicider et ainsi « abandonn[er] [aussi] la partie la moins monnayable de [s]on existence »43. Les rares évocations de lieux emblématiques de Montréal dénoncent ainsi une société en crise, une métropole devenant « non-lieu » puisqu’elle ne peut intégrer les « lieux anciens » à son présent44.

Montréal est devenu un « espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique », par opposition au lieu anthropolo- gique qu’Augé définit comme « construction concrète et symbolique de l’espace […]

à laquelle se réfèrent tous ceux à qui elle assigne une place »45. Les non-lieux qui se multiplient avec la surmodernité ne peuvent être associés à une culture localisée dans le temps et dans l’espace46. Chronique de la dérive douce et Les Aurores montréales regorgent de lieux anonymes où les personnages essayent de trouver leur place, en proie à de cruelles solitudes : parcs, magasins, chambres transitoires, hôpitaux, banques, ad- ministrations pour trouver un emploi. Les références aux points de transit et aux moyens de transports – non-lieux typiques – se multiplient : aéroports, gare, métros, bus, taxi … Loin d’évoquer les endroits emblématiques de Montréal, le narrateur de Laferrière parle ainsi des non-lieux qu’il fréquente au quotidien : des épiceries bon marché où il peut se nourrir sans dépenser beaucoup, des parcs où on peut attraper des pigeons, des quartiers où les poubelles fournissent des victuailles, de la vie sou- terraine qui se déploie sous le centre-ville quand il passe la journée dans le métro pour lutter contre l’ennui. Pour la narratrice chinoise de Proulx, l’« initiation à la vie montréalaise »47 se fait dans un magasin « semblable à un archipel aux îlots surpeu- plés, dont les foules denses sont formées d’objets plutôt que d’êtres vivants »48.

1.4. Quand la ville se retire

Montréal devient alors invisible au point de s’effacer : « la ville […] se retire sur la pointe des pieds »49 pour laisser place à un néant social et architectural. De manière surprenante, certains narrateurs voient avant tout la nature à Montréal.

Celui de Chronique de la dérive douce évoque ainsi constamment « un pays d’hiver »50, réduisant Montréal à « un/réfrigérateur/ avec six millions de gens »51. Froid et neige sont l’obsession de cet « homme du sud »52 qui vit sa première année à Montréal comme une « initiation à la glace »53. C’est « la nature [qui le] salue [pour avoir] sur- vécu à l’hiver » quand les arbres de la ville lui font une haie d’honneur54. La nature est en outre présente à travers le parc où le narrateur se ravitaille – en recettes pour cuisiner les pigeons ou en matière pour son livre à venir. Les personnages de Proulx voient de même la nature à Montréal à travers l’importance de l’hiver ou dans ses

43. Ibid., p. 219.

44. Marc auGé, op. cit., p. 100.

45. Ibid., p. 68.

46. Ibid., p. 44.

47. Monique Proulx, op. cit., p. 55.

48. Ibid., p. 53.

49. Ibid., p. 83.

50. Dany laFerrière, op. cit., p. 156.

51. Ibid., p. 160.

52. Ibid., p. 165.

53. Ibid., p. 175.

54. Ibid., pp. 203-204.

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parcs comme le Mont Royal55, mais aussi dans ses paysages urbains. Ainsi, un nar- rateur haïtien voit du « sable qui mène à la mer tiède et parfumée » quand la neige est vraiment blanche à Montréal56. Évoquant son initiation à la vie montréalaise, la narratrice chinoise compare la métropole à la mer : « J’ai fait quelques pas dans n’importe quelle direction, et moi qui ne sais pas nager, grand-mère, je me suis enfoncée dans cette mer solide et insondable jusqu’à ce qu’elle se referme complè- tement sur moi »57. Elle se décrit elle-même comme un arbuste chinois fraîchement transplanté en Amérique du nord, et mesure sa familiarité avec la ville en fonction de ses éléments naturels : « Depuis, le Saint-Laurent m’est devenu aussi familier que le Huangpu »58.

À travers ces métaphores naturelles, c’est l’essence même de Montréal qui est remise en question sous le coup de la surmodernité, puisqu’elles trahissent que « la marque sociale du sol »59 a disparu. Augé désigne par ce terme l’invention du lieu transcrit dans les récits de fondation mis en place par un groupe pour s’approprier un espace60. « Le dispositif spatial » est donc ce qui incarne l’identité du groupe : « les ori- gines du groupes sont souvent diverses, mais c’est l’identité du lieu qui le fonde, le ras- semble et l’unit »61. Or, Chronique de la dérive douce et Les Aurores montréales évoquent litté- ralement l’effacement des « repères du territoire »62 et donc du langage de l’identité »63. Puisqu’elle voit en Montréal l’endroit où « vivaient [s]es ancêtres blottis aux flancs de la montagne »64, la narratrice d’origine amérindienne de Proulx efface la ville et toute son histoire coloniale. À travers ses yeux, la métropole n’est plus qu’une « terre bruyante peuplée de créatures bavardes et ces forêts sans arbres sont tout ce qui […] reste » aux descendants amérindiens qui doivent « apprendre à y enfouir de nouvelles racines ou accepter de disparaître »65. Le narrateur de Laferrière efface aussi Montréal quand il compare un fonctionnaire à « un fils de trappeur »66, ou évoque l’avant Christophe Colomb67 et le personnage de « l’indien »68. Incapable de « faire interagir effectivement toutes les complexités qu’elle recèle – afin que les gens deviennent plus cosmopolites – et de faire des rues surpeuplées des lieux de prise de conscience de soi plutôt que des espaces de peur »69, Montréal devient une « jungle » urbaine70, engageant un rapport

55. Monique Proulx, op. cit., p. 162.

56. Ibid., p. 145.

57. Ibid., pp. 54-55.

58. Ibid., p. 55.

59. Marc auGé, op. cit., p. 58.

60. Ibidem 61. Ibid., p. 60.

62. Ibid., p. 63.

63. Ibid., p. 60.

64. Monique Proulx, op. cit., p. 194.

65. Ibid., p. 195.

66. Dany laFerrière, op. cit., p. 103.

67. Ibid., p. 161.

68. Dans l’édition précédente de l’œuvre, le narrateur évoquait avec humour le rapport à la terre de l’indien : « Pire qu’être nègre c’est / être indien en Amérique./ Alors là, mon vieux, tu ne/

peux même pas dire que tu/ n’es pas d’ici » (Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, Montréal, VLB, 1994, p. 89).

69. Richard sennett, « La civilisation urbaine remodelée par la flexibilité » dans Le Monde Di- plomatique, février 2001, pp. 24-25. [En ligne], URL : http://www.monde-diplomatique.fr/2001/02/

SENNETT/14782

70. Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, Paris, Grasset, 2012, p. 69.

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de force cruel avec ses habitants dicté par la consommation : phagocyter ou être phagocyté. Cette recherche individuelle d’un bien-être immédiat dicte les règles des interactions et annihile toute vision collective de la vie à Montréal.

2. C

onsommerpourexisteroudésirer pourrévolutionner

? 2.1. Le règne de l’individualisme : consommer ou être phagocyté

L’objectif de chacun étant de changer de quotidien en consommant, les per- sonnages montréalais des deux œuvres doivent se plier à la « relation contractuelle » qui régit l’utilisation d’un non-lieu71. Afin d’accéder à « l’espace de la consomma� « l’espace de la consomma- tion contemporaine », l’individu doit « prouver son innocence » en déclinant son identité au contrôle de douane, à la caisse ou au péage. Il démontre ainsi son droit de partager l’identité provisoire des passagers ou de la clientèle72 et acquiert l’illu- sion de « la liberté, la douloureuse et magnifique liberté »73, accédant au « pouvoir de traverser les étalages surabondants sans rien acheter »74. La liberté devient donc elle-même une simple marchandise, qui n’est pas accessible à tous. La métropole rejette en effet tous les habitants ne suivant pas les règles de fonctionnement des non-lieux. Le narrateur de Laferrière « n’a[yant] pas ce qu’il faut pour partir »75 se voit ainsi contraint de quitter la gare où il passait la nuit, puisqu’il ne peut convaincre un policier qu’il attend un bus. De la même façon, la police se fait garante du res- pect de la relation contractuelle dans le métro : « Il / faut ruser avec les policiers pour / bénéficier d’un tel confort »76. Dans la nouvelle de Proulx intitulée « Tenue de ville », une employée de banque fait comprendre à un ouvrier qu’il n’est pas le bienvenu dans cet « îlot de bon goût et d’harmonie » et qu’il ne peut pas encaisser son chèque. Son apparence de travailleur et son « primitivisme » ne lui permettent pas d’être en règle77 : « Le chèque est bon, sans nul doute. Ce n’est que lui qui ne l’est pas »78. Dans « Le passage », une employée de l’agence pour l’emploi blasée et condescendante signifie à une jeune femme qu’elle n’a pas les diplômes et com- pétences nécessaires pour prétendre à un emploi intéressant à Montréal, et accroit ainsi ses angoisses : « Et si l’univers, clos comme une pomme, ne lui faisait jamais de place, jamais, nulle part ? »79. En outre, Les Aurores montréales comme Chronique de la dérive douce regorgent de personnes marginalisées que la ville rejette parce qu’elles ne se conforment pas aux règles de consommation dans les non�lieux. Objectifiées et réduites à des indésirables, elles sont phagocytées par la métropole qui « tue à petit feu »80 et elles perdent leurs forces vives. Ainsi les Amérindiens sont « devenus

71. Marc auGé, op. cit., p. 128.

72. Ibid., pp. 127-128.

73. Monique Proulx, op. cit., p. 57. S’appuyant sur Augé, Munro rappelle que ce sentiment de liberté individuelle est indissociable d’une grande solitude : si, dans les non�lieux de la ville, le flâneur peut faire l’expérience de la liberté individuelle, puisque, anonyme, il échappe par exemple à la proxi- mité excessive de voisins potentiellement intrusifs, la liberté du non-lieu peut toutefois mener à une solitude excessive (Martin munro, art. cit., p. 221).

74. Monique Proulx, op. cit., p. 57.

75. Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, op. cit., p. 28.

76. Ibid., p.59.

77. Monique Proulx, op. cit., p. 67.

78. Ibid., p. 72.

79. Ibid., p. 20.

80. Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, op. cit, p. 136.

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des clochards, […] sans abri dans [leurs] réserves humiliantes, et l’esprit qui faisait [leur] force s’écoule goutte à goutte hors d[’eux], épuisé »81, tandis que le « ça » de la nouvelle de Proulx désigne un SDF dont la seule trace d’humanité est une « photo de ça quand c’était humain et petit et que ca rêvait de devenir astronaute »82. La ville phagocyte l’individu en le noyant dans l’anonymat et se fait inhospitalière, comme le constate un autre personnage de Proulx : « quelques rues plus loin je n’existe plus, la rue mange les universitaires et les mélange à n’importe qui, analphabète et sans abri »83.

2.2. Une société à la « dérive »

L’absence de vision collective et l’enfermement dans le cadre temporel des non-lieux régenté par le provisoire sont renforcés par le caractère évanescent de la société montréalaise souligné par les deux œuvres. Les références à la fugacité dans les titres – la dérive84, l’aurore – évoquent une crise identitaire de la métropole.

Reflétant une période de chamboulement après le « non » du dernier référendum sur l’indépendance du Québec – un « vot[e] contre l’avènement du fait français en Amérique »85, ces deux œuvres insistent sur le flou du projet collectif montréalais86. Le rôle joué par Montréal dans la défense de l’identité québécoise est ambivalent comme l’évoque la nouvelle de Proulx « Leçon d’histoire ». Au cours d’une étrange discussion dans laquelle le nom de la métropole revient sans arrêt, deux person- nages y déconstruisent le signe « Montréal ». Sous l’impact de leur prononciation différente – Montréal et Montrréal [sic] – , et des visions irréconciliables des deux interlocuteurs, la place de cette ville devient ambigüe : est-ce que « Montréal accapare les subsides culturels de l’État [… et ] veut tuer les régions autres que Montréal ? » ou est-ce que « [c]’est à Montrréal [sic] que se joue le test de la survivance du fait français »87? Proulx souligne la déstabilisation qu’a représentée le référendum pour Montréal dans plusieurs de ses nouvelles. La narratrice de « Blanc » décrit sa déso- rientation dans la métropole après deux années d’absence, qu’elle explique par les questionnements sur l’identité sociale de la ville : « depuis l’issue du référendum, peut-être Montréal a-t-il subtilement perdu sa provincialité défensive en même temps que sa cause, et revêtu peu à peu à mon insu la peau coriace des vraies villes, celles où il faut apprendre à devenir quelqu’un tout seul, sans soutien patriotique »88. Les transformations de la ville sont aussi liées à ses changements démographiques.

Laurel, personnage névrosé par excellence, donne la clef de ses angoisses en expli-

81. Monique Proulx, op. cit., p. 194.

82. Ibid., p. 197.

83. Ibid., p. 227.

84. Mathis-Moser rappelle le sens étymologique de « dérive » : « dérive est synonyme de perdre de vue la rive, au sens maritime de s’écarter de sa route de sa direction, d’être emporté au gré des vents et des courants » (Ursula mathis-moser, op. cit., p. 94). Ainsi, souligne-t-elle, le narrateur de Laferrière manque d’orientation pendant plus d’un tiers du livre : « Fautes de repère le moi nage dans un présent non structuré et quasi intemporel fait de sensations, observations, souvenirs et comparai- sons entre ici et ailleurs » (ibid., p. 169).

85. Monique Proulx, op. cit., p. 232.

86. Brulotte souligne un « repliement, presque schizoïde par moments, de la nouvelle [québé- coises de la dernière décennie du xxe siècle] sur soi » et la focalisation sur les « problèmes d’intimité ».

Ainsi, « [d]e manière révélatrice, les problèmes collectifs sont mis à l’arrière plan pour laisser place aux problèmes de couple » (Gaëtan brulotte, « Bilan de la nouvelle québécoise des dix dernières années du xxe siècle », dans University of Toronto Quarterly, vol. 70, n° 3, 2001, p. 770).

87. Monique Proulx, op. cit., pp. 73-74.

88. Ibid., p. 232.

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quant son projet littéraire : « Son livre s’appellera Les Aurores montréales, […] parce que Montréal est une ville qui n’arrête pas de changer […], une ville qui additionne tellement les nouveaux visages que l’on perd toujours celui que l’on croyait enfin connaître […] »89. L’absence de projet commun entre individus atomisés est relevée par plusieurs personnages des deux œuvres, qui soulignent leur grande solitude dans un monde souvent indifférent et ambivalent90. Quand le personnage chinois de Proulx se glorifie d’avoir enfin compris la vie à Montréal, la jeune femme sou- ligne de manière révélatrice : « Je suis maintenant seule […] comme un vrai être humain »91.

Cette solitude engendre des crispations identitaires entre individus en mal de sentiment d’appartenance, occupés à survivre dans cette jungle urbaine92. Laferrière souligne les barrières sociales qui existent à Montréal : « D’un côté de la ville,/ l’an- cien maître./ De l’autre côté,/ l’ancien porteur d’eau./ Plus bas,/ le nouvel immi- gré »93. Alors que les Québécois « pure laine » ajoutent à la crainte de l’assimilation anglophone celle de l’invasion des allochtones – ainsi, le personnage Laurel a pour cause de « défendre le Montréal français contre les Envahisseurs »94 –, les Montréa- lais d’adoption relèvent la difficulté de s’intégrer à la communauté francophone95. Les descendants d’immigrés semblent condamnés à rester « des mutants » : à « ne jamais [se] fondre dans l’homogénéité qui endort, […] à senti[r] les aspérités de [leurs] morceaux intimes qui refusent de s’emboîter complètement dans le puzzle »96. La couleur de peau catalogue certains personnages comme « figure[s] de l’altérité »97. Réifié, « sur�déterminé de l’extérieur », « fixé » par le regard blanc98, le narrateur de La- ferrière voit parfois ses possibilités de créer des liens sociaux entravées. Ainsi, quand il rend sa boucle d’oreille à une passante, celle-ci a un « haut-le-cœur/ en [l]e voyant » :

« Quel monstre a�t�elle repéré en moi/ que j’ignore ? »99. La narratrice chinoise de

89. Ibid., pp. 163-164.

90. Munro évoque l’indifférence et l’ambivalence du monde quand il parle des personnages écrivains mis en scène par Jean-Claude Charles et Dany Laferrière. La focalisation de ces deux auteurs sur les détails du quotidien de leurs personnages écrivant dans l’anonymat marque une rup- ture avec la tradition haïtienne qui glorifie la figure de l’auteur et l’écriture engagée (Martin munro, Exile and Post-1946 Haitian Literature. Alexis, Depestre, Ollivier, Laferrière, Danticat, Liverpool, Liverpool University Press, 2007, p. 183).

91. Monique Proulx, op. cit., p. 56.

92. Munro souligne que si sa diversité multiculturelle fait de Montréal un cadre de rencontre idéal, le sentiment d’appartenance à la ville est illusoire : tout le monde en fait partie, et pourtant personne n’y a vraiment sa place (Martin munro, art. cit., p. 221).

93. Dany laFerrière, op. cit., p. 21.

94. Monique Proulx, op. cit., p. 160.

95. Den Toonder souligne ce phénomène : « En défendant le français jusqu’à l’extrême – surtout contre l’anglais – certains Québécois mènent une politique protectrice qui exclut quasiment toutes les influences extérieures » (Jeanette den toonder, « Pluriculturalisme au Québec : la voix des auteurs allophones », dans Journal of Canadian Studies/Revue d’études canadiennes, vol. 35, n° 3, Fall 2000, p. 105). Pour Augé, c’est une réaction typique de notre époque : « nous vivons une époque […]

paradoxale : au moment même où l’unité de l’espace terrestre devient pensable et où se renforcent les grands réseaux multinationaux, s’amplifie la clameur des particularismes ; de ceux qui veulent rester seuls chez eux ou de ceux qui veulent retrouver une partie, comme si le conservatisme des uns et le messianisme des autres étaient condamnés à parler le même langage : celui de la terre et des racines » (Marc auGé, op. cit., p. 48).

96. Monique Proulx, op. cit., p. 97.

97. Anne brown, « Le parcours identitaire de Dany Laferrière ou “Mon cœur est à Port-au- Prince, mon esprit à Montréal et mon corps à Miami” », dans Studies in Canadian Literature/Études en littérature canadienne, vol. XXVIII, no 2, 2003, p. 48.

98. Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs (1952), Paris, Seuil, 1995, p. 93.

99. Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, op. cit., p. 149.

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Proulx souligne quant à elle ses difficultés à s’intégrer à la communauté franco- phone, bien qu’elle parle mieux français chaque jour : « je sens leur méfiance. Je reste une ombre légère en retrait »100. Une descendante de migrants italiens clame son exaspération de devoir toujours commenter les raisons de sa présence « ici » et de ne pas être « encore tenu[e] pour acquis dans ce pays si vulnérable »101. Soulignant sa volonté d’intégration à la majorité dominante francophone, elle affirme son droit de se sentir chez elle à Montréal : « je suis née ici, je ne suis pas une immigrante, je veux occuper le territoire »102.

2.3. La marchandisation d’autrui

Dans cette jungle urbaine « où un chat doit savoir japper/ s’il veut sur- vivre »103, les relations humaines qui se développent sont marquées du sceau de l’individualisme et du pragmatisme. Laferrière et Proulx dépeignent une société où les personnages deviennent tangibles seulement quand ils consomment. Le person- nage de Proulx « Laurel » réduit sa mère à sa consommation : il la nomme « Iouni- verselle » dans son livre à venir car elle « habite le quartier grec […], tient un magasin d’aliments naturels chez les Anglais, fait ses emplettes chez les Italiens et couche avec un Chilien » 104. Afin d’exister, les personnages de différents milieux sociaux passent une grande partie de leur temps à satisfaire leurs besoins. Les plus favorisés consomment des mets fins et des produits culturels, théâtre, parfums, homards, voyages exotiques, école privée – tandis que les plus démunis pensent en terme de survie : « Je dois reconnaître que j’ai plus/ besoin de viande, ces jours-ci,/ que de tout autre chose »105.

Cette urgence de la consommation est incompatible avec une éthique dans les rapports humains puisqu’elle nécessite une « marchandisation d’autrui » que Sheller décrit comme une forme de cannibalisme106. La valeur de chacun dépend des pos- sibilités de consommation qu’il offre. Ainsi les relations dans Chronique de la dérive douce sont clairement liées au « primum vivere »107, les femmes devenant figures nourricières : « Mets-toi du côté des femmes. Elles sont solides, elles te nourriront, te laveront, te vêtiront et te borderont, si tu tombes malade »108. Objectifiées, elles deviennent interchangeables : « tout homme a besoin de sa mère. Si elle n’est pas là, une autre femme peut faire l’affaire. Elles ont souvent du cœur »109. Le rapport à l’autre devient utilitaire : « Julie c’est pour le cœur./ Nathalie, pour le sexe./ Il me faut vite quelqu’un/ pour l’argent »110. Comme Braziel le montre, dans cette consommation débridée des femmes, le personnage de Laferrière ne fait plus la distinction entre le libidinal et l’alimentaire. Il consomme femmes et nourriture

100. Monique Proulx, op. cit., p. 56.

101. Ibid., p. 96.

102. Ibid.

103. Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, op. cit, p. 20.

104. Monique Proulx, op. cit., p. 158.

105. Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, op. cit, p. 27.

106. « [C]ommodifi cation of otherness », ma traduction (Mimi « [C]ommodification of otherness », ma traduction (Mimi sheller, Consuming the Caribbean From Arawak to Zombies, London and New York, Routledge, 2003, p. 144).

107. Dany Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, op. cit, p. 46.

108. Ibid., p. 73.

109. Ibid.

110. Ibid., p. 144.

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sans jamais être rassasié111 pour le « pareil bien-être physique » que « manger et faire l’amour » procurent112. De la même façon, Les Aurores montréales met en scène des

« collectionneur[s] de femmes »113 . Une des seules choses que le personnage mou- rant Mister Murphy a gardée de sa vie est une « centaine de clichés de femmes aux beaux visages pétillants comme s’il s’agissait d’une rubrique annonçant des choses à vendre ou à louer »114. Nick Rosenfeld utilise, quant à lui, les femmes comme « des tremplins vers le rêve » et l’évasion « dans un emportement fugace ayant peu à voir avec elles »115.

2.4. Désirer pour révolutionner le quotidien

Au-delà du constat des « effets destructeurs » de « la perte du lieu », de « la folie du monde »116 et de la pauvreté des relations humaines dans un univers où il faut consommer pour exister, Laferrière et Proulx sèment quelques lueurs d’espoirs quant à des changements possibles. Le désir qui mobilise leurs personnages a en ef- fet un potentiel révolutionnaire – souligné par Deleuze dans « Dialogues avec Claire Parnet »– que certains pressentent117.Ainsi le professeur blasé qui a toujours évité de penser à d’autres vies possibles, envie soudainement le désir qu’il fait naître dans les yeux d’un sans abri. Après un étrange face-à-face au cours duquel le sans-abri ramasse les pièces semées par l’universitaire, le « visage […] tendu […], allumé par le désir », la dialectique du pouvoir semble s’inverser : « En ce moment, je donnerais n’importe quoi pour que quelque chose ou quelqu’un détienne un peu de ce pouvoir sur moi, pouvoir d’allumer les vieux désirs extravagants scellés sous le plâtre »118. Ne trouvant pas de façon de réveiller ces désirs qui lui permettraient de changer un ordre trop bien établi, le personnage mettra probablement fin à ses jours. Tou- tefois, ce désir révolutionnaire est mobilisé par plusieurs autres personnages qui parviennent à renverser des positions de pouvoir, notamment des migrants sur qui repose le potentiel du changement dans ces deux œuvres.

Ainsi pour les migrants, la narratrice chinoise de Proulx ou le narrateur de Laferrière par exemple, Montréal ne devient « que » le nord, l’Amérique, le capi- talisme119, signe d’un espace à conquérir pour leur bien�être, afin de « changer de

111. Jana Evans Jana Evans braziel, art. cit., p. 244.

112. Dany laFerrière, Chronique de la dérive douce, op. cit, p. 168.

113. Monique Proulx, op. cit., p. 236.

114. Ibid., pp. 235-236.

115. Ibid., p. 177.

116. Marc auGé, Journal d’un sdf. Ethnofiction, Paris, Seuil, « La Librairie du xxe siècle », 2011, pp. 10-11.

117. « Le désir est révolutionnaire parce qu’il veut toujours plus de connexions et d’agence- ments. Mais la psychanalyse coupe et rabat toutes les connexions, tous les agencements, elle hait le désir, elle hait la politique » (cité par Jana Evans braziel, « Trans-American Constructions of Black Masculinity : Dany Laferrière, le Nègre, and the Late Capitalist American Racial machine-désirante », dans Callaloo, vol. 26, n° 3, Summer, 2003, p. 874).

118. Monique Proulx, op. cit., p. 229.

119. Plusieurs critiques littéraires ont souligné cette réduction de Montréal dans une œuvre ou dans l’autre : Bolander souligne par exemple que dans la nouvelle « Jaune et blanc » de Proulx, Cana-Cana- dian Tire devient un microcosme de la vie de la protagoniste à Québec / Montréal/ au Canada/ en Amérique du Nord/ en Occident (Christopher Porter bolander, op. cit., p. 286). Bolander souligne que le titre du recueil de nouvelles de Proulx lui-même réduit Montréal à une ville du nord, à travers le néologisme « montréale » qui remplace « boréale » (ibid., p. 10). Braziel, quant à elle, évoque le traitement du Québec dans l’oeuvre de Laferrière. Selon elle, cet écrivain ne prend pas en compte le désir de souveraineté politique et sociale du Québec puisqu’il replace la province dans un contexte canadien anglophone, et plus généralement dans une problématique plus large d’américanisation

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monde »120 et de quotidien. En considérant le nord comme une marchandise, le migrant inverse des rapports de pouvoir instaurés depuis des siècles121 : il désire pour révolutionner. « [F]ous de désir. […] la longue file des hommes […] aux pénis arqués, à l’appétit insatiable »122 part ainsi à la conquête de l’Amérique. Ce person- nage martèle ses ambitions à l’aide de métaphores le positionnant « en jeune tigre affamé »123. Dans l’œuvre de Laferrière, l’« homme-meuble », « homme objet »124 re- vendique une place de sujet et « tout l’espace qui [lui] est dû »125 à travers sa conquête des femmes. Il évoque la « pulsion cannibale » qui le pousse à « dévorer ces corps blancs laiteux »126. Pour Tachtiris, le désir pour la femme blanche fait partie d’un désir plus large d’obtenir tous les droits – matériels ou autres – de l’homme blanc refusés à l’homme noir. la femme blanche devient alors un bien matériel, un signe de réussite127 qui symbolise que le migrant prend sa place à Montréal. Le taxi qui conduit le narrateur de Laferrière de l’aéroport à sa chambre de location est conduit par nul autre que Legba, esprit de la religion vaudou gardant la frontière entre le monde des humains et le monde des divinités. L’intervention de ce puissant loa du vaudou entérine le passage du narrateur d’un monde à un autre, et annonce son changement de quotidien. Au summum de sa consommation de Montréal, il trans- forme la métropole en matière pour son livre à venir, laissant ainsi derrière lui une vie ouvrière misérable et laborieuse et s’appropriant la ville. Dans un retournement ironique des choses, c’est bientôt le migrant qui va façonner l’image de la métro- pole. Ainsi, dans la nouvelle « Les aurores montréales » de Proulx, un personnage grec souhaite symboliquement la bienvenue à Montréal au Québécois « pure laine » en mal de repère, exprimant ainsi qu’il s’est approprié la ville et qu’il y est chez lui.

*

* *

Quand Dany Laferrière écrit à Monique Proulx qu’il a « perçu chez [elle] un son qui [lui] est familier »128, peut-être évoque-t-il le bruit du quotidien du Montréal contemporain que les deux auteurs font résonner à travers leurs mots. Dans ce

(Jana Evans braziel, « From Port-au-Prince to Montreal to Miami, Trans-American Nomads in Dany Laferrière’s Migratory texts », art. cit., pp. 238-239).

120. Dany laFerrière, J’écris comme je vis. Entretien avec Bernard Magnier, Lyon, La Passe du vent, 2000, p. 137.

121. Mimi Mimi sheller, op. cit., p. 3.

122. Dany laFerrière, Cette grenade dans la main du jeune nègre est-elle une arme ou un fruit ? (1993), Paris, Serpent à Plumes, 2003, p. 54.

123. Id., Chronique de la dérive douce, op. cit, p. 191.

124. Id., « Biographie des territoires », entretien de Taina Tervonen avec Dany Lafer- rière, dansAfricultures, no 29, 1er décembre 1999. [En ligne], URL : http://www.africultures.com/

php/?nav=article&no=1146.

125. Id., J’écris comme je vis. Entretien avec Bernard Magnier, op. cit., p. 109.

126. Id., Chronique de la dérive douce, op. cit, p. 192.

127. Corine Corine taChtiris, « Of Male Exiles and Female Nations “Sexual Errancy” in Haitian Immigrant Literature », dans Callaloo, vol. 35, n° 2, 2012, p. 449. « The white woman here becomes a kind of material good, a sign of success in a land obsessed by it. The desire for the white woman therefore functions as part of a larger desire for all the “rights” of the white male denied to the black male, material or otherwise. » « La femme blanche devient une sorte de bien matériel, un signe de réussite dans un pays obsédé par elle. Le désir d’avoir la femme blanche fait donc partie d’un désir plus large d’obtenir tous les “droits” matériels ou autre de l’homme blanc niés à l’homme noir » (Ma traduction).

128. Dany laFerrière & Monique Proulx, art. cit., p. 34.

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portrait en rupture de Montréal, les habitants – et en particulier les migrants – ont besoin de consommer la ville pour changer de quotidien, mais en retour, la métro- pole ne peut se passer d’eux pour exister. Montréal devenue néant architectural et social derrière le grouillement et les impératifs du quotidien, ne redevient tangible que quand les Montréalais l’affrontent dans un corps à corps pour satisfaire leurs pulsions consommatrices.

Fulton met en avant ce rapport dialectique entre Montréal et le migrant dans son article « The Disengaged Immigrant: Mapping the Francophone Caribbean Metropolis ». Elle y souligne le pouvoir que l’immigrant a sur les métropoles dans la nouvelle configuration de l’espace urbain : s’il refuse de s’engager physiquement ou idéologiquement dans le projet de production transculturelle, il ne permet pas à la ville de jouer son rôle de métropole transnationale129. La ville dépend donc de l’engagement dialogique quotidien de l’immigrant avec elle pour exister130. La figure du migrant a le pouvoir de réduire Montréal à « une page blanche » en refusant de la lire, ou de dessiner ses contours en interagissant avec elle.

Chronique de la dérive douce, et Les Aurores montréales peuplent Montréal de per- sonnages venus de différents horizons – ces deux œuvres semblent écumer tous les profils imaginables d’habitants : africain, chinois, mexicain, haïtien, chilien, pro- vincial, d’origine amérindienne ou italienne, québécois « pure laine », anglophone, pour n’en citer que quelques-uns. Ce sont les migrants qui mettent la ville en mots en décrivant leur quotidien, et qui la sortent ainsi de son néant. Le narrateur de Laferrière qui devient écrivain ou les migrants de Proulx qui se font narrateurs à la première personne du singulier des nouvelles les concernant - dessinent le nou- veau visage de Montréal. À l’encontre des discours officiels prônant l’idéal d’une culture mosaïque131 mais incapables de refléter leur expérience urbaine quotidienne et imposant « où et comment [ils] peuvent devenir ethniques »132, les migrants trans- forment le Montréal qu’ils pratiquent en matière pour leurs écrits afin d’accéder à un nouveau quotidien.

Isabelle Choquet

Denison University choqueti@denison.edu

129. Dawn Dawn Fulton, « The Disengaged Immigrant: Mapping the Francophone Caribbean » dans French Forum, vol. 32, nos 1-2, Winter/Spring 2007, p. 245.

130. Ibid., p. 245.

131. Martin Martin munro, art. cit., p. 223.

132. Himani Bannerji, auteur né au Bengladesh, cité par Martin Himani Bannerji, auteur né au Bengladesh, cité par Martin munro (ibid., p. 224, ma tra- duction).

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