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Les greffes d'avant-bras en 2016

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Le Courrier de la Transplantation - Vol. XVI - n° 1 - janvier-février-mars 2016 32

D o s s i e r

Xxxx

2 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - janvier-février-mars 2016

POINTS FORTS

Actualités en Médecine Physique

et de Réadaptation D O S S I E R

Les greffes d’avant-bras en 2016

L. Badet*, E. Morelon**, A. Gazarian*,***

* Service de chirurgie de la transplantation, pavillon V, hôpital Édouard-Herriot, Hospices civils de Lyon, Lyon.

** Service de médecine de la transplantation, pavillons V et P, hôpital Édouard- Herriot, Hospices civils de Lyon, Lyon.

*** Clinique du Parc, Lyon.

Le développement des greffes composites, et en parti- culier des greffes d’avant-bras, s’intègre aujourd’hui à la stratégie de traitement proposée à des patients qui présentent un handicap majeur et qui, bien souvent, sont dans une situation de “mort sociale”, c’est-à-dire de handicap suffisamment important pour conduire à une désinsertion sociale et quelquefois familiale.

L’accès à la transplantation de la chirurgie réparatrice est le fruit d’un long processus évolutif, sociétal et médical, au cours duquel la transplantation a d’abord eu pour objectif de sauver la vie (greffe de reins dans les années 1950), puis d’améliorer la survie des patients (greffes de pancréas dans les années 1980), et enfin, aujourd’hui, d’améliorer leur qualité de vie.

Les greffes de tissus composites représentent donc un nouveau champ d’appli cation de la transplantation et posent encore de nombreuses questions médicales et éthiques.

L’absence de mains ou d’avant-bras ne tue pas et, comme le disent les patients eux-mêmes, la greffe ne sauve pas leur vie, mais leur redonne la vie ; elle constitue donc une forme de “renaissance” après un traumatisme physique et psychologique majeur, qui s’inscrit dans leur existence comme un séisme.

Situations nationale et internationale

La première greffe de main réussie, réalisée en 1998, à Lyon, chez un patient qui présentait une amputation unilatérale, a permis de valider le concept et la faisa- bilité de cette greffe. Cependant, toute transplantation (jusqu’à ce que l’induction de tolérance immunitaire soit applicable en clinique humaine) implique l’utili- sation d’un traitement immunosuppresseur dont l’inter ruption conduit inéluctablement à la perte des

greffons. Ce traitement immunosuppresseur s’associe à nombre de complications infectieuses, carcino- logiques et métaboliques non négligeables. De ce fait, le poids et les conséquences d’un tel traitement au long cours doivent être clairement mis en balance avec le bénéfice à attendre de la greffe ; le Comité consultatif national d’éthique français s’est rapidement positionné pour un accès limité à la transplantation, réservé aux seuls patients amputés des 2 mains. Il est néanmoins intéressant de noter que tous les pays ne se sont pas positionnés de la même façon, et que le registre international rapporte actuellement presque autant de cas de transplantations chez des patients mono-amputés que chez des patients bi-amputés. La première greffe de main a aussi permis de montrer que le rejet pouvait être contrôlé par un renforcement du traitement immunosuppresseur, que l’appropriation psychologique de la main était bonne et que la plasti- cité cérébrale permettait aux mains de retrouver leur place dans l’homonculus, d’être réintégrées dans le cortex sensitivomoteur. Au-delà du temps nécessaire à la réintégration corticale, l’appro priation des greffons est le fruit d’un travail de rééducation de plusieurs années, qui permet finalement au patient de réaliser la quasi-totalité des gestes de la vie courante et de recouvrer une autonomie.

La première double greffe de mains a également été réalisée à Lyon, en 2000, chez un patient bi-amputé insatisfait de l’utilisation de prothèses myo électriques ; nous avons aujourd’hui plus de 16 ans de recul après la greffe. Cette première double greffe a été effectuée dans le cadre d’un protocole hospitalier de recherche clinique (PHRC), qui se termine actuellement après avoir inclus 6 patients. Le PHRC est en train de laisser la place à un protocole de recherche médicoéconomique (PRME) ayant pour objectif de comparer, dans les 10 ans à venir, la greffe d’avant-bras ou de main à l’utilisation d’un matériel prothétique.

La greffe de mains ou d’avant-bras constitue une forme de “renaissance” après un traumatisme physique et psychologique majeur.

Depuis la première greffe de main en  1998, 64 patients ont pu en bénéficier de par le monde ; pour limiter le rejet, cette opération s’accompagne d’un traitement immunosuppresseur de même nature qu’en transplantation rénale.

Ce type de greffe nécessite la pleine adhésion du patient : le processus de rééducation et d’appro- priation dure plusieurs années.

La greffe d’avant-bras constitue aujourd’hui encore une modalité de traitement “en devenir”, qui reste du domaine de l’évaluation médicoéconomique mais dont les résultats jusqu’à maintenant sont encou- rageants, même si des pertes de greffons par rejet chronique sont aujourd’hui identifiées.

Mots-clés : Greffes - Transplantation - Tissus composites - Traitement immunosuppresseur - Rejet

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Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - janvier-février-mars 2016 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation

La situation internationale en 2016, selon le registre international implémenté depuis 2002 (The Inter- national Registry on Hand and Composite Tissue Allo- transplantation) est la suivante :

•▸64 patients ont été greffés de par le monde dans 24 centres internationaux ;

•▸les traumatismes, les explosions et les brûlures électriques ou thermiques constituent les principales causes d’amputation, avec une recrudescence des infections par Purpura fulminans ;

•▸quasiment tous les patients, au moment de leur greffe, ont reçu un traitement immunosuppresseur d’induction le plus souvent à base de thymoglobulines associées à une triple immunosuppression de main- tenance, composée d’inhibiteur de calcineurine, de mycophénolate mofétil et de corticoïdes ;

•▸71 % des patients ont présenté au moins 1 rejet aigu durant la première année suivant la greffe (comparé à 20 %, par exemple, en transplantation rénale), carac- térisé par la présence de lésions cutanées facile- ment identifiables cliniquement et dont l’histologie est notamment marquée par la présence d’un infiltrat lymphocytaire T. Les rejets répondent habituellement à l’utilisation de topiques locaux (corticoïdes et FK506 en pommade) et à une intensification du traitement par corticoïdes. Des cas de recours de seconde intention à d’autres molécules telles que l’alemtuzumab, l’ATG (Anti-Thymocyte Globulin) ou les anti-CD20, en cas de rejets résistants aux corticoïdes, ont été publiés ;

•▸les équipes rapportent des complications chirur- gicales, des infections, des thromboses vasculaires et des complications liées à l’immunosuppression, toutes de même nature que celles observées dans les greffes d’organes solides : infections à germes opportunistes, cancers viro-induits, complications métaboliques telles que insuffisance rénale, diabète, hypercholestérolémie et effets indésirables propres aux molécules immuno suppressives. Les complications médicales doivent être prévenues et contrôlées par les équipes de transplantation grâce à un suivi rapproché des patients transplantés. Les patients ayant reçu une greffe de tissus composites sont le plus souvent jeunes, et présentent peu de morbidités associées : de ce fait, ils tolèrent mieux la toxicité des médicaments immunosuppresseurs que les patients porteurs de maladies chroniques.

Rejet du greffon

Beaucoup plus complexe est la question de la durée au long cours de ces greffes. Tout greffon a une histoire qui s’inscrit dans le temps et, en dehors du cas parti- culier des greffes syngéniques (entre jumeaux homo- zygotes), la durée de vie des greffons est limitée. On sait aujourd’hui que le rejet chronique (qui s’accompagne d’une dysfonction progressive des greffons) constitue, en greffe rénale par exemple, la principale cause de perte de greffons au long cours, et qu’il est en partie lié à la réponse immune humorale (rejet chronique humoral). La durée de vie des transplantations d’organes solides est en moyenne de 15 ans, et les

patients sont assez souvent retransplantés lorsqu’ils perdent leur greffon. Avec le recul, nous savons aujourd’hui que les greffes composites n’échappent pas au rejet chronique, et plusieurs patients, dont un des patients greffés à Lyon, ont dû subir une amputa- tion des greffons du fait de la survenue de thromboses de greffons liées à des lésions typiques de vasculo- pathie d’allogreffe. Cinq équipes ont en effet déclaré des dysfonctions chroniques de greffons, caractérisées par des thromboses vasculaires, rendant l’amputation nécessaire ; pour ces patients, les durées de vie des greffons ont varié de 265 jours à 13 ans. Un certain nombre d’entre eux étaient peu ou non compliants au traitement immunosuppresseur, ce qui, comme pour les autres transplantations d’organe, soulève la problématique de l’évaluation médicopsychologique des patients avant la greffe. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que la perte de fonction des greffons prend, en greffe de mains, une teneur particulière, puisque, contrairement aux organes solides, qui limitent l’impli cation des patients dans le bon fonc- tionnement de leur greffon au respect du traitement et des consignes médicales, recouvrer une autonomie en cas de greffe de main nécessite un processus de rééducation et d’appropriation de plusieurs années : l’amputation des greffons est alors psychologiquement très dure à vivre pour les patients mais aussi pour les équipes. Se pose ensuite, bien sûr, la difficile question de la prise en charge et d’une retransplantation éven- tuelle, avec son cortège de difficultés techniques et immunologiques. Il faut savoir qu’on escomptera des réultats fonctionnels a priori moins bons que ceux de la première greffe, puisque la retransplantation devra se faire, pour des raisons techniques, un peu en amont de la première greffe.

Sur le plan fonctionnel, le résultat dépendra en partie du niveau d’amputation initial, le principe étant que la récupération fonctionnelle est d’autant meilleure et rapide que le niveau lésionnel d’amputation est distal, c’est-à-dire près du poignet. Assez grossièrement, la sensibilité est la première à réapparaître, et permet rapidement − en 6 mois environ − d’acquérir une sen- sibilité de protection ; au bout de 1 an, il existe une sensibilité discriminative, dont la qualité dépend du niveau lésionnel, et qui constitue un des avantages majeurs, comparativement aux prothèses. La récu- pération motrice est plus lente et sa qualité est aussi fonction du niveau lésionnel, avec, lorsque l’amputa- tion se situe juste au-dessus du poignet, une récupé- ration des muscles intrinsèques qui permet à terme la réalisation de tous les gestes de la vie courante, voire, chez certains patients, la reprise d’une activité professionnelle. Dans l’immense majorité des cas, la greffe permet une réintégration sociale et familiale des patients et redonne à ces derniers leur autonomie perdue, avec des résultats fonctionnels globaux qui paraissent meilleurs que ceux apportés par les pro- thèses myoélectriques. Dans l’immense majorité des cas également, le degré de satisfaction des patients après la greffe est excellent, et ce en ce qui concerne les 2 dimensions que sont la fonction et la restitution d’une image corporelle.

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2 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - janvier-février-mars 2016

POINTS FORTS

Actualités en Médecine Physique

et de Réadaptation D O S S I E R

Les greffes d’avant-bras en 2016

L. Badet*, E. Morelon**, A. Gazarian*,***

* Service de chirurgie de la transplantation, pavillon V, hôpital Édouard-Herriot, Hospices civils de Lyon, Lyon.

** Service de médecine de la transplantation, pavillons V et P, hôpital Édouard- Herriot, Hospices civils de Lyon, Lyon.

*** Clinique du Parc, Lyon.

Le développement des greffes composites, et en parti- culier des greffes d’avant-bras, s’intègre aujourd’hui à la stratégie de traitement proposée à des patients qui présentent un handicap majeur et qui, bien souvent, sont dans une situation de “mort sociale”, c’est-à-dire de handicap suffisamment important pour conduire à une désinsertion sociale et quelquefois familiale.

L’accès à la transplantation de la chirurgie réparatrice est le fruit d’un long processus évolutif, sociétal et médical, au cours duquel la transplantation a d’abord eu pour objectif de sauver la vie (greffe de reins dans les années 1950), puis d’améliorer la survie des patients (greffes de pancréas dans les années 1980), et enfin, aujourd’hui, d’améliorer leur qualité de vie.

Les greffes de tissus composites représentent donc un nouveau champ d’appli cation de la transplantation et posent encore de nombreuses questions médicales et éthiques.

L’absence de mains ou d’avant-bras ne tue pas et, comme le disent les patients eux-mêmes, la greffe ne sauve pas leur vie, mais leur redonne la vie ; elle constitue donc une forme de “renaissance” après un traumatisme physique et psychologique majeur, qui s’inscrit dans leur existence comme un séisme.

Situations nationale et internationale

La première greffe de main réussie, réalisée en 1998, à Lyon, chez un patient qui présentait une amputation unilatérale, a permis de valider le concept et la faisa- bilité de cette greffe. Cependant, toute transplantation (jusqu’à ce que l’induction de tolérance immunitaire soit applicable en clinique humaine) implique l’utili- sation d’un traitement immunosuppresseur dont l’inter ruption conduit inéluctablement à la perte des

greffons. Ce traitement immunosuppresseur s’associe à nombre de complications infectieuses, carcino- logiques et métaboliques non négligeables. De ce fait, le poids et les conséquences d’un tel traitement au long cours doivent être clairement mis en balance avec le bénéfice à attendre de la greffe ; le Comité consultatif national d’éthique français s’est rapidement positionné pour un accès limité à la transplantation, réservé aux seuls patients amputés des 2 mains. Il est néanmoins intéressant de noter que tous les pays ne se sont pas positionnés de la même façon, et que le registre international rapporte actuellement presque autant de cas de transplantations chez des patients mono-amputés que chez des patients bi-amputés. La première greffe de main a aussi permis de montrer que le rejet pouvait être contrôlé par un renforcement du traitement immunosuppresseur, que l’appropriation psychologique de la main était bonne et que la plasti- cité cérébrale permettait aux mains de retrouver leur place dans l’homonculus, d’être réintégrées dans le cortex sensitivomoteur. Au-delà du temps nécessaire à la réintégration corticale, l’appro priation des greffons est le fruit d’un travail de rééducation de plusieurs années, qui permet finalement au patient de réaliser la quasi-totalité des gestes de la vie courante et de recouvrer une autonomie.

La première double greffe de mains a également été réalisée à Lyon, en 2000, chez un patient bi-amputé insatisfait de l’utilisation de prothèses myo électriques ; nous avons aujourd’hui plus de 16 ans de recul après la greffe. Cette première double greffe a été effectuée dans le cadre d’un protocole hospitalier de recherche clinique (PHRC), qui se termine actuellement après avoir inclus 6 patients. Le PHRC est en train de laisser la place à un protocole de recherche médicoéconomique (PRME) ayant pour objectif de comparer, dans les 10 ans à venir, la greffe d’avant-bras ou de main à l’utilisation d’un matériel prothétique.

La greffe de mains ou d’avant-bras constitue une forme de “renaissance” après un traumatisme physique et psychologique majeur.

Depuis la première greffe de main en  1998, 64 patients ont pu en bénéficier de par le monde ; pour limiter le rejet, cette opération s’accompagne d’un traitement immunosuppresseur de même nature qu’en transplantation rénale.

Ce type de greffe nécessite la pleine adhésion du patient : le processus de rééducation et d’appro- priation dure plusieurs années.

La greffe d’avant-bras constitue aujourd’hui encore une modalité de traitement “en devenir”, qui reste du domaine de l’évaluation médicoéconomique mais dont les résultats jusqu’à maintenant sont encou- rageants, même si des pertes de greffons par rejet chronique sont aujourd’hui identifiées.

Mots-clés : Greffes - Transplantation - Tissus composites - Traitement immunosuppresseur - Rejet

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Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - janvier-février-mars 2016 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation

La situation internationale en 2016, selon le registre international implémenté depuis 2002 (The Inter- national Registry on Hand and Composite Tissue Allo- transplantation) est la suivante :

•▸64 patients ont été greffés de par le monde dans 24 centres internationaux ;

•▸les traumatismes, les explosions et les brûlures électriques ou thermiques constituent les principales causes d’amputation, avec une recrudescence des infections par Purpura fulminans ;

•▸quasiment tous les patients, au moment de leur greffe, ont reçu un traitement immunosuppresseur d’induction le plus souvent à base de thymoglobulines associées à une triple immunosuppression de main- tenance, composée d’inhibiteur de calcineurine, de mycophénolate mofétil et de corticoïdes ;

•▸71 % des patients ont présenté au moins 1 rejet aigu durant la première année suivant la greffe (comparé à 20 %, par exemple, en transplantation rénale), carac- térisé par la présence de lésions cutanées facile- ment identifiables cliniquement et dont l’histologie est notamment marquée par la présence d’un infiltrat lymphocytaire T. Les rejets répondent habituellement à l’utilisation de topiques locaux (corticoïdes et FK506 en pommade) et à une intensification du traitement par corticoïdes. Des cas de recours de seconde intention à d’autres molécules telles que l’alemtuzumab, l’ATG (Anti-Thymocyte Globulin) ou les anti-CD20, en cas de rejets résistants aux corticoïdes, ont été publiés ;

•▸les équipes rapportent des complications chirur- gicales, des infections, des thromboses vasculaires et des complications liées à l’immunosuppression, toutes de même nature que celles observées dans les greffes d’organes solides : infections à germes opportunistes, cancers viro-induits, complications métaboliques telles que insuffisance rénale, diabète, hypercholestérolémie et effets indésirables propres aux molécules immuno suppressives. Les complications médicales doivent être prévenues et contrôlées par les équipes de transplantation grâce à un suivi rapproché des patients transplantés. Les patients ayant reçu une greffe de tissus composites sont le plus souvent jeunes, et présentent peu de morbidités associées : de ce fait, ils tolèrent mieux la toxicité des médicaments immunosuppresseurs que les patients porteurs de maladies chroniques.

Rejet du greffon

Beaucoup plus complexe est la question de la durée au long cours de ces greffes. Tout greffon a une histoire qui s’inscrit dans le temps et, en dehors du cas parti- culier des greffes syngéniques (entre jumeaux homo- zygotes), la durée de vie des greffons est limitée. On sait aujourd’hui que le rejet chronique (qui s’accompagne d’une dysfonction progressive des greffons) constitue, en greffe rénale par exemple, la principale cause de perte de greffons au long cours, et qu’il est en partie lié à la réponse immune humorale (rejet chronique humoral). La durée de vie des transplantations d’organes solides est en moyenne de 15 ans, et les

patients sont assez souvent retransplantés lorsqu’ils perdent leur greffon. Avec le recul, nous savons aujourd’hui que les greffes composites n’échappent pas au rejet chronique, et plusieurs patients, dont un des patients greffés à Lyon, ont dû subir une amputa- tion des greffons du fait de la survenue de thromboses de greffons liées à des lésions typiques de vasculo- pathie d’allogreffe. Cinq équipes ont en effet déclaré des dysfonctions chroniques de greffons, caractérisées par des thromboses vasculaires, rendant l’amputation nécessaire ; pour ces patients, les durées de vie des greffons ont varié de 265 jours à 13 ans. Un certain nombre d’entre eux étaient peu ou non compliants au traitement immunosuppresseur, ce qui, comme pour les autres transplantations d’organe, soulève la problématique de l’évaluation médicopsychologique des patients avant la greffe. Par ailleurs, il faut tenir compte du fait que la perte de fonction des greffons prend, en greffe de mains, une teneur particulière, puisque, contrairement aux organes solides, qui limitent l’impli cation des patients dans le bon fonc- tionnement de leur greffon au respect du traitement et des consignes médicales, recouvrer une autonomie en cas de greffe de main nécessite un processus de rééducation et d’appropriation de plusieurs années : l’amputation des greffons est alors psychologiquement très dure à vivre pour les patients mais aussi pour les équipes. Se pose ensuite, bien sûr, la difficile question de la prise en charge et d’une retransplantation éven- tuelle, avec son cortège de difficultés techniques et immunologiques. Il faut savoir qu’on escomptera des réultats fonctionnels a priori moins bons que ceux de la première greffe, puisque la retransplantation devra se faire, pour des raisons techniques, un peu en amont de la première greffe.

Sur le plan fonctionnel, le résultat dépendra en partie du niveau d’amputation initial, le principe étant que la récupération fonctionnelle est d’autant meilleure et rapide que le niveau lésionnel d’amputation est distal, c’est-à-dire près du poignet. Assez grossièrement, la sensibilité est la première à réapparaître, et permet rapidement − en 6 mois environ − d’acquérir une sen- sibilité de protection ; au bout de 1 an, il existe une sensibilité discriminative, dont la qualité dépend du niveau lésionnel, et qui constitue un des avantages majeurs, comparativement aux prothèses. La récu- pération motrice est plus lente et sa qualité est aussi fonction du niveau lésionnel, avec, lorsque l’amputa- tion se situe juste au-dessus du poignet, une récupé- ration des muscles intrinsèques qui permet à terme la réalisation de tous les gestes de la vie courante, voire, chez certains patients, la reprise d’une activité professionnelle. Dans l’immense majorité des cas, la greffe permet une réintégration sociale et familiale des patients et redonne à ces derniers leur autonomie perdue, avec des résultats fonctionnels globaux qui paraissent meilleurs que ceux apportés par les pro- thèses myoélectriques. Dans l’immense majorité des cas également, le degré de satisfaction des patients après la greffe est excellent, et ce en ce qui concerne les 2 dimensions que sont la fonction et la restitution d’une image corporelle.

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et de Réadaptation D O S S I E R

Le coût des greffes est aujourd’hui supporté par des protocoles de recherches clinique et médico- économique dans la mesure où les autorités de santé n’ont pas souhaité pour le moment encore que l’acte et la prise en charge soient inscrits à la nomenclature. Le coût de l’hospitalisation initiale est de 70 000 euros environ, auquel viennent s’ajouter ceux de la rééducation, estimés à un peu plus de 100 000 euros par an (les 2 premières années) et du traitement immunosuppresseur, qui est de l’ordre de 25 000 euros par an.

Dans les mois et les années à venir, les greffes d’avant- bras seront comparées, en termes de qualité de vie et de coût, aux prothèses, dont la précision et la techno- logie ne cessent de progresser, afin que soient mieux déterminées les places respectives de ces 2 moda- lités de prise en charge chez des patients bi-amputés.

L’offre de soin, pour des raisons réglementaires, se concentrera, sauf amendement à venir, sur Lyon et Paris, où 2 centres ont été identifiés comme experts pour développer cette activité. Il est important que cette information soit portée vers les centres de rééducation afin que les patients puissent accéder à cette modalité de traitement.

Accès aux greffons

L’accès aux greffons est devenu depuis quelques années un des enjeux du développement des greffes composites. Les greffons proviennent de donneurs décédés en état de mort encéphalique, au même titre que la majorité des greffons qui permettent aujourd’hui de greffer des patients du cœur, du poumon, du rein, du foie et/ ou de l’intestin, du pancréas… Après le  prélèvement, les équipes doivent assurer une res- titution tégumentaire du corps et mettent en particu- lier en place des prothèses de substitution lorsque les avants sont prélevés. Si les délais d’attente ont été courts pour les premières greffes de mains en France, certains patients se trouvent aujourd’hui sur liste d’attente depuis plus de 2 ans sans qu’aucun greffon n’ait pu être trouvé pour eux, quelquefois même sans qu’une seule proposition de greffon n’ait été faite aux

équipes de greffes. Cela pose évidemment un problème important tant pour les patients en attente que pour l’achèvement des protocoles de recherche clinique dont la progression se trouve fortement ralentie. Une meil- leure information et un travail de proximité au niveau des coordinations de prélèvement dans les grands centres hospitaliers constituent peut-être un facteur de déblocage, mais il est certain qu’un travail national de fond doit être réalisé, en particulier par l’Agence de la bio médecine, pour que cette activité soit considérée par tous les acteurs du prélèvement comme une acti- vité de transplantation à part entière.

De nombreuses questions se posent encore, et un certain nombre de réponses sont attendues d’autres protocoles de recherche clinique également en cours, qui concernent plus spécifiquement la prise en charge des amputations bilatérales chez les brûlés et la place que pourrait avoir une greffe chez des patients amputés au-dessus du coude, dont on attendrait un résultat fonctionnel moins bon que celui des greffes d’avant- bras, mais qui pourrait participer à la restitution d’une image corporelle, quelquefois premier objet de la demande des patients.

Conclusion

Nous pouvons dire aujourd’hui que les greffes d’avant- bras constituent encore une modalité de traitement

“en devenir”, qui reste du domaine de l’évaluation médicoéconomique mais dont les résultats jusqu’à maintenant sont encourageants et qui permet une resti tution de l’autonomie, de l’intégrité corporelle et une amélioration de la qualité de vie des patients concernés au prix d’effets indésirables liés au trai- tement immunosuppresseur conformes à ce que nous connaissons pour les transplantation d’organes solides. Pour  permettre de mieux définir la place de ces greffes de main dans la stratégie de prise en charge des patients, une étude comparant l’utilisation des prothèses (dont les évolutions technologiques sont permanentes) à la greffe est en cours et doit inciter les centres de rééducation à référer les patients qui souhaitent participer à cette étude.

Les auteurs n’ont pas précisé leurs éventuels liens d’intérêts.

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Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation - 04 - octobre-novembre-décembre 2015 Actualités en Médecine Physique et de Réadaptation

La discussion bénéfice-risque : une analyse collégiale et respectueuse du projet individuel

The risk-benefit balance:

a collegiate analysis towards the patients expectations

J. Paysant*, I. Loiret*, C.X. Bichon*

* Institut régional de médecine physique et de réadaptation de Nancy, Ugecam Nord-Est.

Jusqu’à présent, la prothétisation du membre supé- rieur peut être considérée comme la thérapeutique de référence face à une amputation uni- ou bilaté- rale, congénitale ou acquise. L’allogreffe, d’intro duction semi-récente, vient-elle modifier l’offre dans les théra- peutiques de compensation ? L’allogreffe, qui est bien une thérapeutique de substitution et non une tech- nique de réparation comme la réimplantation d’un membre sectionné, pourrait-elle être une alternative à la prothèse à proposer aux patients amputés ? Cette proposition thérapeutique, ne concernant aujourd’hui que les amputations acquises, ne doit-elle être pro- posée qu’en deuxième intention, en recours après un appareillage ou, au contraire, en première intention ?

La transplantation : une idée floue pour les équipes de MPR

et d’appareillage, une idée fixe ou refoulée pour les amputés

La question de “se faire greffer un bras” ou de retrouver un “bras humain de chair et d’os” était, jusqu’à un passé récent (et pour nous, au Centre de réadaptation et d’appareillage à l’Institut régional de réadaptation, jusqu’en 2010), une question qui planait vaguement, plus qu’elle ne hantait les pratiques. En effet, cette question peut se trouver posée (ou gardée comme refoulée) à différents moments du parcours du patient, parfois de façon insistante, comme la question de la

marche chez le paraplégique… Cependant, chez le para- plégique, cette étape, quelquefois nécessaire dans la construction d’un projet thérapeutique et de vie réaliste, est simple… et la solution réversible ! De plus, les essais de marche avec des attelles, chez le para plégique, sont, et sauf exception, non concluants.

En ce qui concerne les personnes amputées d’un membre supérieur, l’objectif des équipes de médecine de réadaptation et d’appareillage est de leur redonner des capacités et une indépendance en leur proposant une solution d’appareillage personnalisée, adaptée à leur projet de vie, solution qui s’avère le plus souvent une aide et un progrès. Une forme de scepticisme et de réticence face à la transplantation s’appuyait sur les résultats assez satisfaisants obtenus avec les solutions prothétiques, mais aussi sur les médiocres résultats des repositions de main (1). Ainsi, lors des repositions de main, la récupération lésionnelle, en termes tant de sensibilité que de motricité, était faible, avec des compensations – certes efficaces, mais importantes – du tronc et de l’épaule, pour suppléer, en particulier, au raccourcissement et à la mobilité réduite de la main.

Mais les problématiques de la réimplantation et de la transplantation sont bien différentes : “une réimplan- tation s’impose, une transplantation se discute”. C’est toute la différence entre une situation d’urgence requérant la réimplantation lorsque les conditions de transport du membre sectionné, l’état clinique et les compétences sont au rendez-vous, et une situation de chirurgie réglée, donnant le temps à la réflexion.

POINTS F ORTS

Mots-clés : Prothèse - Membre supérieur - Transplantation -

Responsabilité Keywords: Prosthesis - Upper limb - Transplantation -

Responsibility

Le résultat obtenu par les allogreffes oblige aujourd’hui les médecins traitants et les médecins de réadaptation à informer et discuter de l’allogreffe, thérapeutique alternative aux prothèses.

Cependant, compte tenu des risques et de la lourdeur du suivi post-transplantation, un screening précis et une discussion collégiale (entre médecins de MPR, chirurgiens, immunologistes, psychiatres…) sont indispensables.

Dans l’hypothèse de faisabilité, la personne amputée doit pouvoir décider en pleine information et en toute liberté.

Comme dans toute thérapeutique, la satisfaction finale dépendra de la cohérence entre les résultats objectifs et les attentes du patient, ces dernières devant donc faire l’objet d’une analyse précise et sereine.

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